Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 février 2024 5 02 /02 /février /2024 17:03

 

Musée Bernard d’Agesci, Niort, Deux-Sèvres.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Un triptyque biographique

au service du Procès de Kafka,

par Reiner Stach.

Avec le concours d’Orson Welles.

 

 

Reiner Stach : Kafka I Le temps des décisions,

traduit de l’allemand par Régis Quatresous, Le Cherche Midi, 2023, 958 p, 29,50 €.

 

Reiner Stach : Kafka II Le temps de la connaissance,

traduit de l’allemand par Régis Quatresous, Le Cherche Midi, 2023, 1232 p, 29,50 €.

 

Reiner Stach : Kafka III, à paraître.

 

 

Plus indulgents, plus élogieux ont été les avocats littéraires de Franz Kafka que ceux, imaginaires certes, mais non improbables, absurdes au plus haut point, de son roman le plus emblématique : Le Procès. Il faut maintenant compter avec les talents de médecin légiste de Rainer Stach, qui, en son monumental triptyque, dissèque la psyché malheureuse de l’écrivain, sans oublier le développement de son œuvre. Nul doute que cet abondant biographe plaide avec ardeur la cause de l’écrivain, qui eut le rare privilège posthume de susciter par antonomase un emblématique adjectif : kafkaïen. Prenant sa source chez l’auteur du Château et de La Métamorphose, en passant par le cinéaste Orson Welles, il ne cesse de caractériser les incompréhensibles complexités administratives et psychologiques, dont les impérities et les oppressions sont légions au cours de l’Histoire du XX° siècle, mais aussi de notre infatigable présent politique.

 

 

Ne manquaient pas auparavant les biographies de Kafka, écrivain austro-hongrois de langue allemande et de religion juive, né le 3 juillet 1883 à Prague et mort le 3 juin 1924 à Kierling, par exemple celle de Claude David[1]. Mais à ce point de méticulosité, de richesse et d’empathie, jamais on avait œuvré comme Reiner Stach. Ce dernier, en un triptyque  volumineux, soit une somme près de trois mille pages, s’est emparé de toutes les sources disponibles, de l’œuvre de son modèle, des sources et des témoignages les plus divers. Mais au-delà, il s’est glissé dans la peau de son personnage, au point de s’identifier à lui, de l’animer, pour confier à son lecteur une personnalité vivante. Certes le risque est ainsi de confiner à la fiction, à la biographie imaginaire, mais au bénéfice du lecteur, car il ne semble pas que Reiner Stach soit dénué du nécessaire scrupule. Face à une telle somme de près de trois mille pages, où le mot « échec » revient souvent, échec amoureux, échec littéraire, que le lecteur emporté suit avec un plaisir complice et inquiet, un seul bémol : il est étrange que le tome III, encore inédit en France, soit, bien que celui de la jeunesse de Franz, le dernier publié. Qu’importe après tout. Que la fluidité narrative, psychologique et métalittéraire s’appuie sur une prodigieuse documentation, souvent inédite, sur des notes et une bibliographie généreuses et fouillées, est une prouesse en soi ! Le roman biographique, la critique textuelle et la convocation de l’Histoire vont de pair pour composer une fresque qui force le respect.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les facettes du personnage sont nombreuses, parfois difficilement conciliables. L’employé d’assurances modèle, malgré « le travail spectral du bureau » (selon ses propres termes), l’amoureux pusillanime, le jeune homme écrasé par la figure du père (« la voix sonore du père était omniprésente »), l’écrivain méticuleux et abondant, cependant le plus souvent inédit, grevé de titres inachevés, le malade de la tuberculose, le penseur plus ou moins distant avec le judaïsme et le sionisme, le romancier tragique et cependant capable de lire à ses auditeurs subjugués sa Métamorphose en riant…

Il faut compter avec l’incompatibilité entre les contraintes, la promiscuité de la vie quotidienne et l’ascèse de l’écriture : « c’était le voisinage immédiat de la vie active qui asséchait sa vie d’écrivain ». Sans oublier la répugnance pour « la poésie à programme dont Brod lui offrait le modèle » et pour le zèle des sionistes : « Il ne cherchait à convaincre ni à prouver quoi que ce soit, mais à représenter sous une forme pure ce qui s’imposait à lui ». Malgré ses « tentatives d’écritures le plus souvent ratées », selon l’aveu même de Kafka, il usa d’une lettre à Felice « où il avait déclaré sa passion pour la littérature à la femme qu’il aimait » ; déclaration bien ambigüe…

Au-delà du narrateur prenant et inquiétant, du diariste pointilleux et irrégulier, « plus personne ne doute que sont inscrites dans l’œuvre de Kafka des expériences qui devraient bientôt se révéler hautement symptomatiques de l’Histoire du XX° siècle ». Bien que notre auteur n’eût pu avoir connaissance de ces systèmes, face au communisme et au nazisme, La Colonie pénitentiaire, dont la machine à torturer jusqu’à la mort est un modèle, et bien entendu l’exécution absurde du Procès, font foi…

La conclusion de cette monumentale et attachante biographie est bouleversante : « Si Kafka avait eu par deux fois la chance d’en réchapper, d’abord à la tuberculose, aux camps ensuite, au terme de cette catastrophe civilisationnelle, il n’aurait plus rien reconnu. Son monde a cessé d’être. Seule sa langue vit ». De surcroit faut-il préciser que le monde enclos dans son œuvre, lui, est plus puissant, impressionnant que jamais…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout accusé a droit à un avocat, dit-on ; y compris celui du Procès indécidable de Kafka. Quoique Grégoire Samsa, dans sa métamorphose en « vermine » n’ait pas accès à ce droit fondamental,  Joseph K…, celui qui ne connaîtra jamais ni son juge ni son crime, se retrouve malgré lui flanqué d’un avocat surprenant, malade qui plus est. Huld chez Franz Kafka, Maître Hastler chez Orson Welles, à quoi lui servent-ils, sinon à le précipiter un peu plus dans le labyrinthe de la justice, sans pouvoir échapper à l’infamie de la mort finale ? Justice injuste, avocat incompétent et intranscendant au point que K… renvoie son avocat. Mais on ne se débarrasse pas aussi facilement d’Hastler, alias Orson Welles lui-même…

Chez Kafka nous avons affaire à un avocat malade de la justice, véritable fantoche rapidement évacué. « Monsieur l’avocat est malade », annonce Léni. Il est donc a priori déconsidéré, incompétent, menacé lui aussi par on ne sait quel jugement de vie et de mort. Presque un double de K…, il ne reprend de la vigueur que pour rabrouer son client Block, et renseigner à plaisir notre accusé sur les rouages incompréhensible de la justice. La preuve : K… est obligé de jouer le rôle de son propre avocat devant le tribunal ; rôle qu’il interprète fort mal puisqu’au lieu d’une plaidoirie, il développe un réquisitoire contre les gardes qui ne lui vaudra aucune indulgence. Huld, qui n’a rien instruit ni plaidé, est au final remercié par K… qui va tenter de le remplacer par le peintre Tintorelli, bien introduit, dit-on dans les milieux judicaires. Comme si l’art était plus porteur d’espoir que toute autre humaine plaidoirie. L’avocat n’a contribué en rien à la situation de l’ignorant accusé, à moins qu’il n’ait contribué à l’aggraver en l’enfonçant un peu plus dans le maquis semé d’épines de la justice.

Si dans un premier temps Maître Hastler parait n’être pas plus efficace que Huld, il prend vite chez Welles une dimension machiavélique pour devenir terriblement protéiforme. Telle une puissance cachée, il s’exprime, sur un immense lit baroque, par une étrange fumée. Il ne manque pas d’embrouiller K… avec les volutes de ses imprécisions sur la machine judicaire. Il cache chez lui une sommité du greffe, est assistée par une garde-malade plus séductrice encore que celle de Kafka et qui parait manipuler par sa sensualité et au bénéfice du Maître les accusés en leur comparution qui n’est qu’en sa présence. Il use d’un sadisme raffiné auprès du répugnant Bloch -ce pourquoi, qui sait, il est lui aussi en procès- et paraît prêt à ne faire qu’une bouchée de K… Pire encore, à lui on n’échappe pas. Si Huld a disparu dans la tempête du récit, Hastler réapparait comme un deus ex cinéma en repoussant l’ecclésiastique dans l’ombre : c’est lui qui prend en charge l’indécidable apologue des portes de la Loi. Ainsi l’avocat paraît instruire un procès à charge, peaufiner un réquisitoire en emprisonnant K… dans son écran d’épingle. Avant de le faire assassiner par ses acteurs…

Chez Kafka et chez Welles, à une justice devenue folle s’ajoute l’injustice du créateur absent ou marionnettiste. Et c’est justement l’avocat, seul membre de l’aréopage judicaire que K… puisse approcher, qui en est le témoin, voire le levier. Un avocat inutile, un avocat machiavélique et omniprésent, dans les deux cas la justice est désacralisée, bafouée, prise de folie totalitaire, par l’extinction d’un de ses membres indispensables et incapable ou par sa boursouflure despotique. Abandonné ou circonscrit par son défenseur, K… est toujours perdant au cours d’une parodie de procès. Le créateur Kafka fournit à son antihéros à la même initiale un anti-avocat, le livrant à la solitude, à l’angoisse du piège, à la mort sans au-delà. Kafka n’est pas même à l’image du Dieu de l’Ancien testament qui abandonna Job sans avocat, mais non sans Dieu. Chez Welles, le créateur et démiurge cinématographique se substitue à l’avocat. Le metteur en scène, l’auteur, devient le dieu manipulateur de sa créature, l’avocat perfectionnant la bombe à atomiser K… Si Dieu, chez l’écrivain, s’était absenté, avait abandonné un rejeton de son peuple sans nom (alors que le seul créateur possible était l’écrivain), chez Welles il s’est fait conjointement avocat, prêtre, artiste, seul créateur polymorphe ; d’où la mégalomanie superbe d’un tel avocat de l’art cinématographique.

Le rôle de l’avocat ? Voilà qui est à entendre dans les deux sens. A quoi sert l’avocat chez Kafka et Welles ? A presque rien et à presque tout. Chez Kafka, à ne pas être ; chez Welles à être plus qu’un acteur, mais le réalisateur lui-même, qui en vient à voler la vedette à sa créature, K… joué par Anthony Perkins, au cours d’une « psychose » supplémentaire, tué avant que les dernières paroles du film soient : « I played the advocate and I whrote and directed this film ; my name is Orson Welles ». Avec un tel avocat, seule la cause du film peut être gagnée devant la cour de justice de l’art.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une hydre aux mille têtes incompréhensibles et totalitaires, où il n’y a pas de juge et dont chacun est un juge aussi grégaire et cruel qu’un cirque romain… C’est ainsi que dans Le Procès, écrit en 1914, qu’apparait la justice qui enserre K… jusqu’à une mort honteuse : « Comme un chien ! dit-il, et c’était comme si la honte devait lui survivre », ce sont les derniers mots. On a souvent dit que Kafka préfigurait l’univers totalitaire à venir ; K… étant la métaphore du Juif innocent de sa judéité et cependant cerné par l’antisémitisme. Mais dans quelle nouvelle mesure Welles, lecteur de Kafka, va-t-il, en 1963, traduire l’anticipation involontaire du roman ? Comme Pierre Ménard réécrivant Don Quichotte, sous la plume de Borges[2], le futur du roman en change irrémédiablement sa lecture. Kafka est un visionnaire formidablement inquiétant, en dépit de ou grâce à son absence d’historicité ; Welles, adaptant le livre aux événements de son siècle est probablement un visionnaire plus exact, mais plus fermé. Quoique tous les deux, par la grâce de la fiction, nous proposent une œuvre ouverte, au sens d’Umberto Eco[3].

Kafka ne situant ni géographiquement ni temporellement son œuvre, dans une sorte d’anhistoricité métaphysique, au contact du réalisme le plus étroit et du fantastique le plus poreux, au contact du roman policier et de la prière, K … le justiciable est un personnage intemporel. Quant au tribunal omniprésent, il est de toutes les angoisses, de tous les régimes politiques. La dimension métaphysique du personnage n’empêche pas de le voir traqué, accablé par le dévoiement d’une justice républicaine ou impériale, digne de la pugnacité et du sens du détail de l’administration prussienne. Ce pourquoi l’on a dit, comme George Steiner dans Langage et silence[4], ou dans De la Bible à Kafka[5], que le romancier pressentait, dans l’étouffement de sa poitrine de tuberculeux, les exactions des dictatures à venir, voir des holocaustes inqualifiables. George Steiner soulignait que le mot employé à la première phrase de La Métamorphose, « vermine, Ungeziefer en allemand, est un trait de clairvoyance tragique, car c’est ainsi que les nazis devaient appeler ceux qu’ils destinaient à la chambre à gaz[6] ». L’antisémitisme sournois qui menaçait l’Europe du vivant de Kafka devait s’exprimer dans la sourde terreur de K… Prélude annonciateur de la montée des totalitarismes et de ce futur régime nazi qui allait balayer les libertés, brûler les livres et exterminer six millions de K…, parmi lesquels des familiers de l’écrivain. Ainsi, chaque lecteur peut observer in nucleo, dans Le Procès, la minutie des procès staliniens, les exécutions arbitraires hitlériennes ou maoïstes, les geôles castristes ou nord-coréennes… Kafka est d’autant plus impressionnant, même si l’on ne peut exclure le comique de son œuvre, nouant banalité et imprécision du cadre, depuis la séance du tribunal jusqu’à l’exécution, en passant par la scène du fouetteur, qu’il peut contenir et décrire tous ces régimes et toutes ces pulsions humaines et trop humaines réalisées. Sans avoir besoin d’aucune allusion politique précise, ni au présent, ni au futur ; Kafka n’écrit pas une anti-utopie à la façon d’Huxley ou d’Orwell. Pensons cependant combien l’arrestation matinale de K… ressemble à celles décrites par Soljenitsyne au seuil de L’Archipel du goulag[7]...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un demi-siècle plus tard, Orson Welles peut se permettre de traduire avec plus d’exactitude l’aspect prémonitoire du roman. Outre une caméra baroque qui contribue à amplifier la vision du cauchemar (pensons à l’immense porte que K… peine à ouvrir), il déploie dans son film nombre d’allusions fort précises. La bureaucratie déshumanisée, l’ordinateur géant au-dessus de la multiplication des bureaux anonymes et standardisés appartiennent au taylorisme américain autant qu’ils figurent les administrations totalitaires -qu’on ne confondra pourtant pas. Si le maccarthisme est propice à la traque des individus, il est à relativiser face à la terreur stalinienne révélée par le rapport Kroutchev. Notons à cet égard que Welles filme ses extérieurs parmi les barres d’immeubles de Zagreb, en un pays communiste qui lui signifiera son renvoi. Les policiers paraissent autant venir des films noirs que de la Gestapo. Plus frappants encore, ces files de déportés haves et numérotés ne peuvent venir que d’Auschwitz... Enfin la scène finale, si différente de Kafka, projette un champignon atomique au-dessus de la mort de K…, allusion évidente à Hiroshima et Nagasaki, qui permirent d’achever une guerre et des populations. Mais Welles visionnaire ne décrit-il pas un passé, un présent, et non un futur ? Il donne à Kafka une légitimité politique supplémentaire à l’orée du siècle des totalitarismes, mais en visionnaire fermé, car orientant le spectateur vers des situations historiques déjà répertoriées.

Kafka et Welles proposent cependant tous deux des œuvre-univers. Chez le romancier, le procès qui accable K… se joue sur la scène de l’intemporel et de la confrontation entre intériorité et société ; tout en restant ouvert à toutes les interprétations métaphysiques et politiques, il est donc par là universel. Kafka est d’abord un visionnaire de la condition humaine, tel que le reconnait Albert Camus dans Le Mythe de Sisyphe[8]et tel qu’on le retrouve chez le cinéaste de Citizen Kane. C’est de plus un roman qui s’adresse autant aux religieux qui se heurtent à un Dieu incompréhensible qu’à ceux qui survivent après que le Dieu de Nietzsche soit mort et dès lors que les utopies de remplacement s’acharnent sur tant de K… du XXème siècle ; chez Welles, le télescopage des allusions historiques donne au film une dimension d’anti-utopie qui n’était guère présente dans le roman. L’œuvre du cinéaste est un condensé du siècle de l’automatisation et des totalitarismes, une œuvre-monstre par le travail de la fiction qui redistribue les réalités dans une conflagration visionnaire bien digne de la dimension mégalomane de l’auteur de Citizen Kane. L’indétermination du Procès de Kafka est redéterminée par les terreurs du siècle de Welles, tandis que par les arcanes de la Loi, tous deux invalident la loi religieuse autant que la loi séculière. Reste que l’artiste écrivain de Kafka sait se faire discret derrière le chuchotement terrible de sa plume, tandis que l’artiste filmique, Orson Welles lui-même, phagocyte la démiurgie : avocat de l’art, il en est aussi le juge après la mort de Dieu, condamnant le vulgus pecus : ce spectateur pris dans les rets de sa toile.

 

Quelle morale impavide faut-il tirer des personnages de l’avocat chez Kafka et Welles ? De ceux qui habitent l’uchronie et l’anti-utopie du pays du Procès ? Sinon qu’au-delà de l’injustice fondamentale, historique et génésique des délits et des peines chez l’humain, où la philosophie des Lumières n’a pas su pénétrer - ce qui reste une thèse peut-être trop pessimiste - la dimension métaphysique et historique de la faute d’être né l’arme de mort à la main et hors de la certitude de la transcendance condamne irrémédiablement l’homme kafkaïen que nous sommes tous.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Claude David : Kafka, Fayard, 1989.

[2] Jorge Luis Borges : « Pierre Ménard, auteur du Quichotte », Fictions, Gallimard, 1951.

[3] Umberto Eco : L’œuvre ouverte, Seuil, 1965.

[4] George Steiner : Langage et silence, Seuil, 1969.

[5] George Steiner : De la Bible à Kafka, Hachette littératures, 2003.

[6] George Steiner : Langage et silence, Seuil, 1969, p. 129.

[7] Alexandre Soljenitsyne : L’Archipel du goulag, Seuil, 1974.

[8] Albert Camus : Le Mythe de Sisyphe, Gallimard, 1942.

 

Musée Bernard d’Agesci, Niort, Deux-Sèvres.

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
8 janvier 2024 1 08 /01 /janvier /2024 12:32

 

San Polo, Venezia. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

L’arbre Lolita cache la forêt Nabokov,

romancier antitotalitaire.

De L’Ouragan Lolita à La Vénitienne,

en passant par Brisure à Sénestre.

 

 

Véra Nabokov : L’Ouragan Lolita. Journal 1958-1959,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent, L’Herne, 2023, 128 p, 14 €.

 

L’Herne Vladimir Nabokov, 2023,

sous la direction de Yannicke Chupin et Monica Manolescu, 272 p, 33 €.

 

Vladimir Nabokov : L’Extermination des tyrans,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Gérard-Henri Durand, Julliard, 1977, 252 p.

 

Vladimir Nabokov : Brisure à Senestre,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Gérard-Henri Durand, Julliard, 1978, 272 p.

 

Vladimir Nabokov : La Vénitienne et autres nouvelles,

traduit du russe et de l’anglais par Bernard Kreise et Gilles Barbedette,

Gallimard, 1991, 216 p.

 

 

Si l’expression « l’arbre qui cache la forêt » a bien un sens, nul doute qu’elle s’applique à Vladimir Nabokov (1899-1977). Entre scandale, censure, à l’encontre d’un volume confidentiel d’abord publié en anglais à Paris en 1955, chez un éditeur plus que suspect de pornographie sous le manteau - Maurice Girodias - puis devenu best-seller stratosphérique, tout conspire à faire de Lolita le roman emblématique de son auteur, auquel un Cahier de L’Herne rend justice en toute sa richesse et sa multiplicité. Et si l’on n’oublie pas de mentionner à la marge le nouvelliste, par exemple à l’occasion de La Vénitienne, le versant antitotalitaire de notre cher Nabokov, échappé du communisme puis du nazisme, visible dans une nouvelle L’Extermination des tyrans, et surtout dans un roman, Brisure à senestre, apologue cruel, dystopie universelle. Reste que l’art de celui qui sut écrire d’abord en russe, puis en anglais, est toujours l’ultime tremplin nabokovien…

 

Loin d’être une potiche, Véra Nabokov, son épouse aimée, était une collaboratrice intrépide et cultivée. En témoigne un journal tenu entre 1958 et 1959, intitulé L’Ouragan Lolita. Secrétaire, agent littéraire, chauffeur, voire garde du corps, elle observe et gère cette spectaculaire période de transition entre une relative obscurité et une météorique célébrité, avec pertinence, acuité, non sans humour.

Face aux polémiques, elle comprend parfaitement la nécessité du roman, pour la jaquette duquel son époux exigeait : « Pas de petite fille ». Ainsi réfute-t-elle l’épithète de « séductrice » pour cette Dolores de douze ans, dont le prénom signifie douleur : « J’aimerais pourtant que quelqu’un remarque la tendre description de l’impuissance de cette enfant, sa pathétique dépendance envers le monstrueux Humbert Humbert, et son courage déchirant tout du long, culminant dans ce mariage sordide mais essentiellement pur et sain ». L’on cherche matière à « immoralité », un « angle scandaleux ». Même si l’on demande à Vladimir d’écrire un article sur l’obscénité (« Non, merci »), un critique du New Republic accorde « enfin à V. la reconnaissance, méritée depuis trop longtemps, de sa vraie grandeur ». D’autres, plus perspicaces encore, parlent d’« œuvre d’art », d’« objet de beauté ». Lolita est tour à tour interdit au Canada, en France, traduit au Japon, en Israël. Bientôt la traduction française fait l’objet d’un éloge. Stanley Kubrick réalise aussitôt l’efficace film homonyme… Mais rien ne dépasse le brio narratif et stylistique, le blâme sévère des tares des prédateurs masculins, ses personnages féminins guère épargnés, les dérives criminelles, la satire des Etats-Unis, le voyage intracontinental, le lyrisme paradoxal…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Véra n’oublie pas leur fils, Dimitri, chanteur d’opéra, la chasse aux 2000 papillons, surtout les « azurés », parmi les Etats-Unis, de remettre à leur place des propriétaires de motels antisémites, de déplorer « le bétail maltraité » lors des rodéos. Les coulisses d’un pays jamais idéalisé, et celle du succès sont ici dévoilées avec largeur de vue, piquant et aménité.

Pourquoi n’avait-on pensé plus tôt à un Cahier de L’Herne ? C’est chose faite avec ampleur et brio, tout en mettant l’accent sur la liberté nabokovienne. Expert en jeu d’échecs et lépidoptères, il n’en défend pas moins « l’esprit de démocratie [qui] est la condition humaine la plus naturelle », mais aussi en son roman aux tableaux totalitaires, Brisure à Senestre, que l’on peut relire à l’occasion de l’invasion de l’Ukraine par une tyrannique Russie. Parmi les inédits, une pièce en vers russes, La Tragédie de Monsieur Morn, côtoie un poème inattendu consacré à Superman, quand des récits de rêves n’empêchent pas la détestation de la freudienne interprétation. L’on découvre combien Nabokov est exaspéré par les clichés, les modes et les facilités. Polyglotte, le français lui permit d’écrire Mademoiselle O et d’user du mot « nymphette » découvert dans un poème de Ronsard. Ainsi revient la triste héroïne dont le surnom devint un titre emblématique des oppressions contre les femmes et de leur indépendance, ce dont témoigne une Azar Nafisi, qui en organisa des lectures secrètes à Téhéran. Le roman est à la fois l’allégorie de la liberté créative de l’artiste, de la défense des femmes, ce dont se fait écho Vanessa Springora, l’auteure du Consentement, qui lui consacre un texte poignant et nuancé. Preuves s’il en était besoin de l’actualité sans cesse renouvelée de notre cher Vladimir Nabokov.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un tel titre est un paradoxe, tant l’on sait qui sont les exterminateurs. Bien qu’avec la modestie du format de la nouvelle, L’Extermination des tyrans use de la littérature en guise de dissolvant à l’encontre non pas seulement d’une « solution diluée de mal », mais d’un « mal pur ». « Humble professeur de dessin », un narrateur affronte la montée d’un personnage qu’il connait dès l’enfance, « un fanatique grossier » jamais nommé, donc allégorique et intemporel, dont la « réussite démagogique » est irrésistible. Une tentative d’assassinat s’impose, non pas en tant que « héros civique », mais « au nom de mes propres conceptions du bien et de la vérité ». Ainsi, le récit, au moyen d’une sorte d’autobiographie fictive, n’est sans emprunter les termes de la philosophie politique libérale, comme lorsqu’il s’agit de pointer la passion « pour les formes extrêmes de société organisée ».

Cependant l’ironie pointe le bout de son nez, lorsque « Son Excellence », reçoit une femme « qui avait réussi à faire pousser un navet de quarante kilos », et qu’il ordonne de couler dans le bronze… Cette « négation incarnée d’un poète », permet néanmoins à son portraitiste, écrivain doué du génie de Nabokov lui-même, « d’exorciser [sa] servitude » : « Le rire me sauva. Ayant gravi tous les degrés de la haine et du désespoir, j’atteignis ces sommets d’où l’œil peut contempler le grotesque de très haut. Un éclat de rire tonitruant, venu du fond du cœur, me guérit ». Voilà pourquoi tous les dictateurs interdisent et cherchent à éradiquer le rire[1], cette « potion secrète contre les tyrans futurs, ces monstres tigroïdes, les bourreaux niais de l’homme ». Il est à craindre que, malgré cette utile libération, elle n’empêche pas le couperet sanglant de la main des théocrates obtus, des tyrans domestiques et publics, en un mot de la palanquée de pouvoirs totalitaires qui nous environnent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette fois, c’est dans le cadre plus vaste d’un roman que le tropisme antitotalitaire de Vladimir Nabokov prend un entier développement. Brisure à Senestre est l’incontrôlable dystopie qui entraîne Adam Krug à sa perte, un universitaire spécialiste de Shakespeare. Il est sévèrement attristé par la mort de son épouse, et inquiet de surcroit pour son fils. Pire encore, le pays nommé « Padukgrad » dont il est citoyen se dote d'un régime totalitaire, sous la coupe d’un certain Paduk, fondateur de la doctrine de « l'ekwilisme », qui prône la normalité de tous les êtres humains. Non loin de L’Extermination des tyrans, Krug et Paduk furent condisciples à l’école, lorsque ce dernier, nettement asocial était méprisé ; ce qui peut permettre d’inférer de la doctrine qu’il met en place.

L’on devine que toute singularité est réprimée par les « nivelistes », que bien des amis de Krug sont arrêtés par la police. Pourtant le gouvernement engage Krug à faire l'éloge du pouvoir, ce qu’il refuse, malgré l’alléchante promesse : il sera « le président de l’université », choyé entre tous. Parviendra-t-il à s’enfuir du pays avec le concours du boutiquier Peter Quist ? Caractérisée par son sens de l’absurde et ses fonctionnaires zélés, la police ekwiliste met brusquement fin à ce rêve. De plus il apprend que son fils a été emmené dans un centre pour délinquants, entraîné dans une prétendue expérience lors de laquelle les « petites personnes » sont violentées par la libération des instincts de ses condisciples, cette fois ci jusqu’à la mort. Au désespoir, refusant de lire publiquement une apologie de l'ekwilisme, Krug croit pouvoir étrangler le fonctionnaire commis à la surveillance de son cachot. La constance de Paduk n’a pas de cesse : la vie de ses amis contre un discours, promet-il. Accepter serait pour Krug déchoir et se renier. Aussi lorsque ses amis, également arrêtés tentent de le convaincre de les sauver en présence de Paduk, Krug ne peut plus que sombrer dans la folie, rire, rire encore et tenter de se jeter sur Paduk. Après que « le côté droit de sa tête semble avoir pris feu », une seconde balle a raison lui. À moins, encore fois, que le rire ait raison du despote. Hélas, nous rappelle le narrateur écrivain : « je savais que l’immortalité que j’avais conférée à cette malheureuse créature humaine n’était qu’un sophisme fuyant, un jeu de mot ». La pirouette de la littérature en quelque sorte, à l’issu de ce condensé de nazisme et de communisme, aussi tragique que satirique…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a dans le passé une Eurydice que l’on ne peut retrouver. A moins du rameau d’or de l’art ; que sait emprunter Vladimir Nabokov, en particulier dans La Vénitienne. C’est en effet l’exil qui a rejeté l’écrivain de son pays et de sa langue, depuis l’infâme conflagration bolchevique de 1917. Une douzaine de nouvelles venues des années vingt sont ici réunies sous le signe de la nostalgie et de la promesse de l’art, territoire perdu et œuvres magiques. Récits écrits dans la langue de Pouchkine, mais aussi premières proses en anglais, ce recueil est une aisée et cependant synthétique porte d’entrée dans l’œuvre du fabuleux, indépassable, auteur de Lolita.

Comme dans un conte enfantin, un « sylvain d’antan » vient visiter l’écrivain dans « Le lutin ». Ce messager d’une intime mémoire s’approche de son encrier pour lui susurrer : « C’est que nous sommes ton inspiration, Russie, ta beauté énigmatique, ton charme séculaire ». Ce fut en 1921 la toute première nouvelle publiée par celui qui signait Vladimir Sirine, emblématique déjà du versant élégiaque qui irrigue l’œuvre entière. Ainsi, immigrés et jeunes expatriés, à Berlin, à Zermatt, dans le sud de la France ou en Angleterre, peuplent, presque fantomatiques, ces nouvelles. Celui qui fut chassé du paradis russe poursuit à travers ses personnages, voire ses alter ego, une quête du bonheur dont son adolescence choyée fut l’archétype. L’éternel émigré tente d’en recréer les miettes par la double vertu d’or de la nostalgie et de l’écriture.

Dans une atmosphère postimpressionniste et postsymboliste propre aux écrits de jeunesse, les amours perdus et impossibles refont surface, ou explosent. Comme dans « Bruits », presque poème en prose (« l’oreille musicale de mon âme savait tout, comprenait tout »), évoquant un amour de jeunesse. Ou dans « Un coup d’aile » qui juxtapose en un subtil contrepoint le luxe d’un grand hôtel, la lumière des pistes de ski enneigées, l’éclat de l’héroïne et les ombres finalement triomphantes de la mort. Au cœur de l’aventure lyrique et tragique entre Isabelle et Kern, ce dernier est assailli par un ange : « Le bord d’une aile gigantesque le faucha comme une tempête duveteuse ». Peut-on frapper et ensanglanter un ange à la « fourrure moelleuse » ? Se vengera-t-il ? Le fantastique fait soudain irruption dans une réalité moins duveteuse…

Bientôt, d’autres thématiques, urbaines, voire politiques, irriguent la constellation du nouvelliste et futur romancier. Comme une sorte de prémonition du plus tardif roman Brisure à senestre, dans lequel le personnage de Krug subit l’oppression d’un uchronique régime totalitaire, « Ici on parle russe » conte l’emprisonnement dans une salle de bain d’un membre du Guépéou par des émigrés. Ce qui joue le rôle d’une revanche en même temps que d’un indéfectible poids à supporter. Symboliquement, les communistes, responsables de l’expulsion de l’Eden de Nabokov et de toute une diaspora, sont enfin châtiés.

Mais c’est surtout le territoire étrange et promis de l’art qui fascine ici. La peinture et la réalité se font concurrence dans la nouvelle-titre qui prend pour personnage central une « Vénitienne » de couleurs sur sa toile. « La jeune Romaine, dite Dorothée », peinte au XVI° siècle par Sebastiano del Piombo, fascine les « amoureux des Madones ». Cette jeune femme portraiturée, sosie d’une vivante, permet autant au personnage qu’à l’auteur de poursuivre non sans ironie leur quête de beauté, dont l’art est le lieu à la fois accessible et suprême. Passer tout vivant dans la sphère éternelle de l’œuvre est le vœu secret du protagoniste qui, à l’occasion de sa contemplation passionnée, devient « une partie vivante du tableau où tout prenait vie autour de lui ». Et si le restaurateur charmé ne se laisse lui pas prendre définitivement, le jeune homme impuissant devant la vie se sent « empêtré comme une mouche dans du miel », et se retrouve « peint dans une pose absurde à côté de la Vénitienne ». Bien sûr, comme dans tout récit fantastique, il y a une explication plausible à ce qui est par ailleurs histoire d’amour et drame conjugal, mais un petit citron venu du tableau reste l’invérifiable preuve de l’intrusion du surnaturel dans un quotidien réaliste.

 

Il s’agit bien cependant d’une profession de foi esthétique : « La contemplation de la beauté, qu’il s’agisse d’un coucher de soleil aux tonalités particulières, d’un visage lumineux ou d’une œuvre d’art, nous force à nous retourner inconsciemment sur notre propre passé, à nous confronter, à confronter notre âme à la beauté parfaite et inaccessible qui nous est dévoilée. » Il y a certes quelque chose de proustien dans cette formule. Nous rappelant combien l’amour pervers et forcené, cependant attendrissant, d’Humbert Humbert pour sa Lolita est la résultante d’une tentative pour retrouver le « vert paradis des amours enfantines », selon le vers de Baudelaire.

Augmenté de deux brefs essais sur la littérature (« Le rire et les rêves » et « Bois laqué »), ce recueil, brio d’écriture et de surprenantes images, prend encore plus de vigueur et de sens. L’auteur des études réunies dans Littératures[2], sait sans nul doute être son propre critique, se réfléchir dans le miroir de son art et en prolonger la diffraction. Nous laisserons alors à Nabokov le mot de la fin, que toute son écriture, jusqu’au solaire roman Ada ou l’ardeur[3], n’a jamais parjuré : « Car l’art sait bien qu’il n’y a rien de vulgaire et d’absurde qui ne puisse s’épanouir dans la beauté avec une lumière appropriée ».

 

C’est sans injustice que l’on retient de Vladimir Nabokov l’affriolante et désespérée nymphette de douze ans, dont le diminutif parait cacher, enjoliver sa douleur, et devint très vite par antonomase un nom commun, soit une lolita. Mais au risque d’une réelle injustice, ne restons pas aveugle devant l’antitotalitarisme d’un styliste infiniment raffiné, qui n’avait d’autre préoccupation, même si l’on pense à sa dilection pour les papillons et les échecs, que d’élever la littérature au rang suprême de l’art.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur La Vénitienne fut publiée dans Europe, juin 1991

Celle sur L’Affaire Lolita dans Le Matricule des anges, novembre 2023

 

[2] Vladimir Nabokov : Littératures, Fayard, 1983.

[3] Vladimir Nabokov : Ada ou l’ardeur, Fayard, 1975.

 

San Polo, Venezia. Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
2 janvier 2024 2 02 /01 /janvier /2024 18:11

 

Muséum d'histoire naturelle, La Rochelle, Charente-maritime.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Eloge d’Une autre Histoire du monde

& blâme de l’Histoire mondiale de la France.

 

Pierre Singaravélou, Fabrice Argounès, & Camille Faucourt :

Une autre histoire du monde, Gallimard / Mucem, 2023, 192 p, 26,50 €.

 

Histoire mondiale de la France,

sous la direction de Patrick Boucheron, Seuil, 2017, 800 p, 29 €.

 

 

Clio, Muse de l’Histoire était grecque. Comme le furent les premiers historiens, Hérodote, au V° siècle avant Jésus Christ, puis Mégasthène, Thucydide, et plus tard Diodore de Sicile… Pléthore à cet égard furent les Romains, puis nos Froissart (un chroniqueur médiéval), et autres Michelet, sans oublier les narrateurs de cette expansion européenne qui parait incarner le premier rôle parmi l’Histoire du monde. Si cette dernière proposition n’est pas fausse, il toutefois la nuancer, voire l’infirmer. Ailleurs c’est également écrit le livre des peuples, des inventions, des découvertes et des civilisations. Ce que confirme avec ampleur un ouvrage aussi bien documenté qu’illustré, intitulé Une autre histoire du monde. S’il est bon de remettre sur le métier l’écriture du passé, il n’est pas tout à fait certain qu’il faille offrir autant d’éloge à l’Histoire mondiale de la France, que commit Patrick Boucheron, et dont le décentrement souffre lui de bien des failles aussi bien historiennes qu’éthiques.

 

Laissons une perspective trop occidentale pour une ouverture digne de notre globe terrestre. Car maintes régions ont et vivent « une autre histoire du monde », pour reprendre le titre de ce bel ouvrage venu d’une exposition au Mucem de Marseille ; plus exactement, pour évacuer l’hideux acronyme, le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, qui, pour l’occasion, écarquille cent yeux vers d’autres continents, mers et océans.

C’est bien Clio qui ouvre le bal de cet opus, montrant aux nations les faits mémorables du règne de Napoléon, au travers du tableau allégorique d’Alexandre Véron-Bellecourt. L’on devine cependant que les sentiments des personnages représentant la Chine, la Russie, l’Arabie et les Incas, sont mitigés, voire franchement hostiles. Est-ce, dans l’esprit du peintre, pour nous signifier que ces derniers ont le tort de ne pas reconnaître les haut-faits civilisationnels de l’empereur, entre Code civil, conquêtes et victoires, ou pour prévenir de l’hubris napoléonien ?

Pas seulement sur les champs de bataille, pas seulement dans les cours impériales et présidentielles, c’est en effet dans les musées que s’écrit l’Histoire. Or ce Mucem n’échappe pas à cette volonté, parcourant l’Histoire du monde du XIIIe au XXIe siècle, et délaissant la directivité occidentale. À travers sculptures, peintures, textiles, cartes, objets archéologiques, manuscrits et arts décoratifs, cette exposition révèle la multiplicité  des aventures, des expériences et des représentations africaines, asiatiques, amérindiennes et océaniennes, donc des mondialisations extra-européennes. L’on écrit l’Histoire sur des peaux de bison lakota, des bambous gravés kanak, des sarongs javanais, et autres récit de griot sénégalais, soit plus de 150 œuvres et objets issus de collections publiques et privées.

La cartographie se fait recensement nécessaire et instrument de pouvoir et d’orgueil. Pluralité des récits et pluralités des cartes vont d’une « chronique d’or » retrouvée en Mongolie, à la « carte de Tupaia », explorateur polynésien qui sut renseigner les voyages de Cook au XVIII° siècle. Mais aussi en passant par une « mappemonde Ch’on hado », ou « carte du monde sous le ciel », conçue au même siècle, mais sous des latitudes chinoises. Car, comme chacun d’entre nous est le nombril de l’univers, comme chaque civilisation se pense centrale et justifiée, la Chine ne prétendait-elle pas être « l’empire du milieu » ?

Rares manuscrits musulmans, « khipu » de cordelettes qui sont un langage sous le ciel andin, livre de magie batak venu de Sumatra, calendrier divinatoire du Danhomè africain et gravé sur une planche de bois, tambour royal du Mali permettant de communiquer, lequel orne - trop ? - sobrement la couverture, chronique andine et « Codex mexicanus », pirogues océaniennes et kimonos, rouleau japonais « de la diversité humaine », tout un monde coloré prend vie, pullulant de regards et de significations.

Ainsi une « planète métisse » emprunte d’étonnants accents culturels sous nos yeux ; également au regard des entreprises de colonisations et des démarches de décolonisation. Ainsi un artiste contemporain (Chéri Samba) peut imaginer une carte du monde à l’envers, les continents de l’hémisphère sud montant comme des bourgeons, des flammes. L’on a compris que l’entreprise se veut revendication politique, revanche. Il ne faudrait pas toutefois que l’affaire soit de l’ordre de l’anti-occidentalisme effréné et de la propagande éhontée.

Et encore moins du « vol de l’Histoire », tel que les Occidentaux l’ont commis, par exemple cette plaque du royaume d’Edo, partie du butin pris lors de la conquête de Bénin, par un Anglais, et qui se trouve au Musée du Quai Branly, donc indument.

Mais écrire l’Histoire, c’est aussi l’effacer, la réécrire, comme au moyen de l’encyclopédie soviétique, ou pire par le décret de cet empereur chinois qui condamna au feu les textes précédant sa dynastie. Loin d’être obscurantisme périmé, un tel travers fait judicieusement l’objet du dernier chapitre : « Réécritures contemporaines du passé ». S’il s’agit de se départir d’une glorification du colonialisme dans la ligne de l’hagiographie d’un Christophe Colomb, bien. Le roman national n’est plus gaulois, mais reste une fabrication de l’ordre de la fiction lorsque l’Inde modifie jusqu’aux manuels scolaires pour exalter l’hindouisme et le nationalisme, ou lorsque la Chine imagine, au moyen du même bourrage de crâne, que sa civilisation impériale est vieille de cinq millénaire, alors que le peuple chinois est une invention récente. De même les affiches cinématographiques exaltent les conquêtes turques au point de prétendre par la voix d’Erdogan que les Musulmans ont découvert l’Amérique avant Christophe Colomb ! Un semblable délire affectant également quelques pays africains. Toutes ces falsifications sont un versant contigu des autodafés et autres destruction des livres[1]. En ce sens, pour reprendre un titre de chapitre, « la multiplicité des explorations et des mondialisations » n’est pas un gage d’avancée perpétuelle des connaissances exactes et des libertés. Même si ce beau livre nécessaire semble en être le garant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Science humaine, trop humaine… L’Histoire en effet n’a rien d’une science exacte, même si elle aussi a pour devoir de progresser vers la vérité. Or voir paraître une nouvelle vision de l’Histoire de France ne peut être que conceptuellement excitant, d’autant que visiblement, dès son titre, elle ne tombe pas dans les séductions délétères du protectionnisme et du nationalisme vieillots. Bien sain et on ne peut plus sensé est de montrer que tout territoire ne s’est pas construit sans être lieu de croisements et de circulations depuis des millénaires, et a fortiori depuis les derniers siècles. Sauf qu’aucune Histoire ne peut totalement échapper à l’idéologie, et il est à craindre que cette dernière mouture en regorge, entre Histoire diverse et Histoire identitaire. Il faudra donc se livrer conjointement et successivement à un éloge divers et à un blâme sévère de l’Histoire mondiale de la France, que Patrick Boucheron livre au seuil d’un nouveau monde, pour notre meilleur et, qui sait, pour notre pire.

« L’art du récit et l’exigence critique » ; ainsi Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, ouvre-t-il le bal du généreux et didactique volume qu’il a dirigé, aidé de quatre coordonnateurs et d’une centaine de contributeurs, tous plus historiens les uns que les autres. La lecture en est en effet fort agréable, fluide, informée, enrichissante, surprenante, sans jargon ni pompeuse érudition. Quant à l’exigence critique, car engagée, il faudra l’examiner avec doigté : « une conception pluraliste contre l’étrécissement identitaire ». En effet, se réclamant avec justesse de Michelet qui affirmait en 1831 « Ce ne serait pas trop de l’histoire du monde pour expliquer la France », il s’agit de rappeler ce qui devrait être une évidence : il n’y a pas de nation qui se soit construite sans que la plupart de la planète y ait défilé. Certes que cette « glorieuse patrie […] pilote du vaisseau de l’humanité », toujours selon Michelet, soit une prétentieuse hyperbole, nul n’en doute, mais il est ici question de ce en quoi la France n’est qu’un arbitraire espace nourri de mille irrigations de la planète-monde, quoique cristallisant une Histoire et une pensée unique, où le Christianisme et les Lumières ont joué des rôles décisifs.

Sinon un vide ratatiné sur soi, que serait la France sans les errantes populations celtes, les développements gallo-romains, les écrits des Grecs anciens, la démocratie athénienne, la Renaissance italienne, les Lumières venues d’Angleterre, Internet venu de Californie. Malgré les Capétiens, l’ordonnance linguistique de Villers-Cotterêt, le roi soleil Louis XIV, La « Déclaration des droits de l’homme et du citoyens » et le Général de Gaulle qui firent l’identité de la France, cette dernière n’est qu’un conglomérat d’influences méditerranéennes, européennes, mondiales enfin, d’où l’indiscutable bien-fondé de cette Histoire mondiale de la France. Il est en effet impossible de corseter l’historien de la francité dans un carcan strictement national qui serait une grande fiction. Ce serait comme interdire à Shakespeare d’avoir lu Plutarque et Ovide pour être le grand écrivain anglais que l’on sait. Au-delà de l’archétype nécessaire mais passablement fantasmatique de l’Etat-nation, l’on comprendra mieux la France en la connectant avec des dynamiques mondiales, en entendant combien nous sommes pétris de mondialisations successives.

À la manière de Roberts et Westad[2], commençons aux « prémices d’un bout du monde », (34 000 avant J-C) soit l’âge des migrations préhistoriques. Passons sur le ridicule titre de bal masqué (sans doute pour faire non-genré) : « L’homme se donne un visage de femme » à propos de la Dame de Brassempouy (23 000 avant J-C). Mais qui aura le ridicule de parler d’art français au sujet des grottes de Lascaux et de Chauvet, dont le langage « fonde un nouveau monde, quoique sur le territoire aujourd’hui pompeusement national » ? Le « vieux mythe des origines gauloises » a bien du plomb dans l’aile, même s’il est abusivement mis sur le même plan que « la fiction narrative d’une providentielle conquête romaine », qui fut loin d’être désastre civilisationnel.

Ce sont 146 dates qui ponctuent ce volume, de Cro-Magnon aux drapeaux de « Je suis Charlie » après les attentats de 2015. Elles sont classiques, comme la fondation phocéenne de Marseille en 600 avant Jésus Chtist, ou le choix de Paris comme capitale par les Francs en 511, ou encore l’Encyclopédie de 1751, et, de toute évidence 1789, en une étrange formule globaliste et piteuse à la mode : « Révolution globale qui inspire les patriotes de l’Europe entière ». Heureusement l’on prend soin de pertinemment noter l’influence de la révolution américaine, elle bien plus paisible et libérale. La Grande guerre de 1914 et le Front populaire de 1936 ne manquent pas à l’appel, quand celle de 39-45 n’est vue que sous l’angle de la « défaite nationale », de la France libre de 1940 et du Vel’ d’Hiv’ de 1942, alors la libération alliée semble en retrait. Les entrées finales de cette Histoire mondiale de la France sont croustillantes, en des sens bien différents : en Martinique, le chantre de la négritude, Aimé Césaire meurt en 2008, digne de tous les honneurs ; à New-York, en 2011, Dominique Strauss-Kahn se vit privé de sa porte vers l’élection présidentielle pour avoir eu l’indignité de se livrer à de rocambolesques frasques sexuelles. L’on se doute qu’un moindre recul relègue pourtant l’évènement dans les plus  poussiéreuses poubelles de l’Histoire.

 

Ces dates sont surprenantes (des haches en jadéite italienne à Carnac en 4600 avant J-C), excitantes pour la curiosité intellectuelle (hors Alesia, les cités gauloises « se sont livrées à Rome en toute liberté » ou « Des gaulois au Sénat de Rome » en 48). Ce sont bien des « sociétés bigarrées », y compris lorsque les barbares peuvent être assimilés, avec un rien d’indulgence idéologique, à des « migrations germaniques »…

Qui parmi nous sait qu’une « première alliance franco-russe » se fit en 1051, lorsqu’Henri I se maria avec Anne de Kiev ? Que les Normands, non seulement conquirent l’Angleterre en 1066, mais aussi la Sicile en 1091 ? Que les foires de Champagne, en 1202, liaient des accords avec des marchands italiens, des banquiers vénitiens, ce pour « des sommes colossales » ? Que Paris devint « la nouvelle Athènes de l’Europe », en 1215, grâce à son université ? Qu’en 1247 la science hydraulique d’Al Andalus contribua à l’assèchement de l’étang languedocien de Montady en 1247 ?

Ajoutons à la peste noire de 1347, venue d’Asie, et qui emporta la moitié des habitants des villes, le bûcher du 14 février 1349, à Strasbourg, où périt un millier de Juifs pour avoir, dit-on, empoisonné les puits. Ajoutons à la vie du grand argentier et commerçant Jacques Cœur sa vaine tentative de reconquérir Constantinople en 1456.

Il est bon de dédorer le blason du Roi soleil, ce monarque absolu que fut Louis XIV, rayonnant depuis Versailles, « lorsqu’une France ceinturée par la frontière de fer de Vauban se découvre exsangue d’avoir été pressée fiscalement pour payer des guerres dont l’atrocité provoque dans toute l’Europe une profonde crise de conscience ». C’est l’époque où Colbert « fait aussi le choix d’un développement des Antilles par l’esclavage », où la révocation de l’Edit de Nantes chassa tant de Protestants utiles. Un tel soleil sent le roussi…

Lon s’étonnera de voir se suivre deux dates antinomiques : 1793 pour la fondation du Museum d’histoire naturelle et 1794 pour le tournant de la Terreur révolutionnaire, terreur qui n’est pas une exception française, car « les guerres révolutionnaires provoquent bien un tournant autoritaire dans toute l’Europe ». De même l’ère napoléonienne se divise entre l’unicité du Code civil en 1804, qui inspira bien des nations, et un empereur « succombant à la démesure » aux dépens de ses voisins et de sa propre démographie. Plus loin, la « révolution romantique est une forme de mondialisation culturelle ».

Mais l’Histoire est aussi climatique, lorsque 1816, « l’année sans été », suite à l’éruption d’un volcan indonésien, fut une année de famines et de troubles sociaux. Et pandémique, lorsque le choléra frappa en 1832 la France et l’Europe.

Autres contrastes et contradictions. Le ferment de libéralisme et de nationalisme de 1848 précède « la colonisation pénitentiaire » de la Guyane en 1852. Après 1860, date du traité de « libre-échange » avec le Royaume-Uni, la France exporte aux quatre coins du monde, quand le « génie français » s’enrichit de personnalités d’ascendance étrangère, Offenbach, Zola, Haussmann, Marie Curie… Pourtant, l’on forge le nouveau « récit national » en scandant « nos ancêtres les Gaulois ».

La lecture nuancée de la Commune de 1871, peut-être trop pindulgente, précède la conférence de 1882 de Renan qui professe en faveur d’une nation « spirituelle » et laïque, non plus soumise à une dynastie ou une « race », mais qui sait consentir au « désir de vivre ensemble ». Les origines coloniales de la francophonie coexistent avec la « mise en spectacle du génie national » lors de l’Exposition universelle de 1900.

La part belle est donnée au XX° siècle, quand Paris est le berceau des avant-gardes et le siège de conférences pour la paix et du Congrès panafricain en 1919, aux espoirs déçus. Alors que la journée de huit heures de travail est enfin actée, Gabrielle Chanel parfume le monde dès 1921. La nationalité française, pour laquelle l’accession est facilitée en 1927, est bientôt souillée : « si la persécution des Juifs de France est une affaire française, leur extermination est un élément d’une histoire européenne ».

L’universalisation des droits de l’homme en 1948 s’unit à la réinvention du féminisme avec le scandale du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir en 1949. Scandale autrement choquant avec la mort de Staline en 1953, car ressentie comme un deuil immense par les communistes viscéralement attachés à leur tyrannie. Une fois l’empire colonial évanoui, de nouveaux humanismes et antihumanismes tentent d’assoir leur légitimité, de l’Abbé Pierre en 1954, au tiers-mondisme de Franz Fanon, « arme de justification de la violence » anticoloniale, jusqu’à mai 68, complaisamment associé à l’antitotatalitarisme, si l’on se souvient de son courant maoïste. Autre complaisance, envers le désastreux socialisme d’Allende en 1973, dont la fin est abusivement qualifié d’« autre 11 septembre », même s’il n’y pas de raison de nier l’horreur de la répression de Pinochet, qui eut un grand retentissement dans l’hexagone. L’on ne sait s’il faut alors pardonner le penchant gauchiste de cette Histoire mondiale de la France, ou le tenir pour une grille de lecture sociologique rendant compte des aveuglements notre société…

Pêle-mêle, mais dans un divertissant chassé-croisé des événements, l’on croise la crise pétrolière de 1973, Giscard et les diamants de Bokassa en 1979, symbole d’une « Françafrique » délétère qui n’en finit pas de mourir, la rigueur de Mitterrand, en 1983, alors qu’il eût fallu dater de 1981 la plongée des déficits et la dette, ainsi que la croissance du chômage…

Autre bonne idée en l’éphéméride. Pour 1984, la mort de Michel Foucault[3], qui fit la généalogie de l’universalisme des pouvoirs, est à la fois celle d’un philosophe emblématique, et l’apparition d’une nouvelle mort : par le sida. Mais l’on reste dubitatif devant le non-dit qui consiste à édulcorer l’enthousiasme de ce dernier pour la révolution islamique iranienne…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hélas, de plus en plus, à partir de 1989, quand nous aimons que Jessye Norman « drapée de tricolore » chantât la Marseillaise, l’opus (et surtout la tête de chapitre)  devient imbuvable, imbibée d’anticapitalisme, alors que le modeste auteur de ces lignes voit dans notre crise sociale et de l’emploi d’abord la responsabilité des politiques socialistes et colbertistes. De plus le cliché du « printemps arabe » a vécu. La « politique arabe de la France » est dénoncée, fonctionnant « comme un trompe l’œil pour préserver des marchés et des débouchés », caressant dans le sens du poil bien des dictateurs, sauf en contribuant à éliminer un Kadhafi, pour l’heureux résultat que l’on sait.

En 1989, outre ce bicentenaire de la Révolution qui ne peut ignorer le génocide de la Terreur, une autre terreur se disloque, lorsque l’Union soviétique laisse s’ouvrir le mur de Berlin. L’horizon de la démocratie libérale se heurte cependant au 11 septembre 2001 et au terrorisme mondial, dont la France est hélas un point névralgique.

L’on constate que les dates choisies ne sont pas forcément canoniques, parfois insolites, dans le but de voir essaimer le regard du lecteur sur la France et sur le monde. En ce sens ce manuel d’une consultation si aisée est une mine de découvertes didactiques et curieuses, quoique parfois discutables, une mise en bouche goûteuse à l’ouverture d’esprit vers une Histoire aux cosmopolites ramifications. Ainsi le travail de l’historien hexagonal révèle des pans méconnus autant que l’intrication des peuples, des nations et des pensées. Au-delà de l’hagiographie périmée d’une seule nation, au-delà du glorieux ou désastreux collier de perles de hauts et bas faits royaux, l’historien se cherche, avec légitimité, de nouvelles approches ; comme lorsque l’on explore l’Histoire des odeurs[4] ou du coup de foudre[5]

Chacun se piquera d’ajouter une ou l’autre date à cette éphéméride que l’on peut lire avec la constance du chronologiste ou avec la curiosité vagabonde de qui picore un moment phare de ci de là. 1913, par exemple, plutôt que consacrée à la niçoise promenade des Anglais et à son tourisme international (et pourquoi pas), eût pu mettre en valeur une explosion culturelle exceptionnelle et bien cosmopolite. Cette parisienne année-là, Proust publia Du côté de chez Swann, Stravinsky et les ballets russes donnèrent Le Sacre du printemps, le cubisme de Braque et Picasso étaient en plein essor… Ou encore 1976, lorsque le Président Giscard d’Estaing autorisa le regroupement familial des immigrés, décision apparemment humaniste dont les conséquences remplacistes n’ont pas fini de se faire sentir…

Il fallait certes dépoussiérer un peu plus le discours historique, même si assez peu nombreuses sont les vieilles lunes encore aujourd’hui attachées comme lierre au « roman national », dont le chantre patriotique fut Ernest Lavisse, auteur d’une Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution (1901) et d’une Histoire de la France contemporaine depuis la Révolution jusqu'à la paix de 1919 (1920-1922), mais aussi d’une Histoire de France, destinée aux écoles, en 1913. L’on sait qu’il est à l’origine d’une imagerie haute en couleurs vantant les exploits de nos rois et chevaliers, de nos empereurs et de notre République, statufiant l’héroïque Jeanne d’Arc et notre immense Napoléon (qui n’avait guère de pitié pour les millions d’hommes qu’il sacrifia) ; sans compter les clichés discutables, tels Charlemagne fondateur de l’école, ni omettre un penchant belliciste après la perte de l’Alsace et la Lorraine. Du fait historique, en passant par la légende, voire jusqu’à la plus fantaisiste fiction, Lavisse confine au vice (pardonnons le trop facile jeu de mot). L’Histoire est une épopée au service de l’amour propre de son pays, passant sous silence le génocide vendéen lors de la Terreur révolutionnaire, par exemple. Un Dimitri Casalis se vit confier la continuation de cette ode nationaliste, depuis 1939, à l’occasion de la réédition anniversaire de 2013[6] : l’on devine par exemple que les méfaits de l’OAS en Algérie sont pudiquement oubliés en ce pastiche… Il faut bien qu’un Patrick Boucheron pose sur la même étagère son Histoire mondiale de la France pour déconcerter les certitudes rassises, quoiqu’avec des tours bien discutables, en particulier d’éviter de parler de la guerre d’Algérie, en lui préférant le « quartier franco-algérien de Jérusalem » en 1962.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Outre le penchant idéologique gauchisant de l’opus, il n’en reste pas moins que cette Histoire mondiale de la France est sans cesse ponctuée de coups de griffes aux identitaires gaulois que serions restés depuis le XIX° siècle. Comme si l’on nous prenait pour des bœufs, des béotiens, des beaufs. Un peu de retenue dans l’ostracisme eût été plus noble. Sauf quelques cramés du bulbe cervical, il n’y a guère de monde pour s’exalter encore de la race française, du génie national à tous crins et du mépris des nations voisines. Il ne s’agit pourtant pas de battre sa coulpe et de se confire en lamentations sur l’avérée culpabilité française en Algérie, en esclavage, en guerres intra-européennes, de surenchérir sur le « complexe occidental », pour reprendre le titre d’Alexandre del Valle[7], alors qu’en matière de colonisation et d’esclavage la planète a connu bien pires engeances, en particulier islamiques, en temps et en quantité.

Des premières aux dernières pages « le métissage irréductible de ses identités » est un concept récurrent, un mantra, un diktat à marteler les têtes des mal-pensants, un anachronisme enfin, tant le phénomène, quoique parfaitement juste en soi, résonne comme une ode à l’immigration actuelle que l’on croit désavouée par xénophobie et repli sur soi, alors que le métissage, qui peut avec bonheur offrir de jolies gammes de chocolat, du noir au  blanc, sans oublier au lait, n’est que le masque torve de l’imposition d’une tolérance à l’intolérable islamisation des sociétés. Certes, et loin de là, tous les contributeurs ne se vautrent pas dans ces errements, et ne s’excitent pas comme des puces sauteuses à l’idée d’une France joyeusement battue de migrations et d’invasions. Il faut alors rappeler que depuis le Haut Moyen-Âge, suite au relatif raz de marée barbare qui déferla sur la Gaule romaine, la population française resta grosso modo stable en sa reproduction jusqu’à la fin du XIX° siècle. C’est un phénomène assez récent que de voir les Polonais, Italiens, Portugais et Espagnols irriguer le sang français, quand à partir des années 1850 « la France devient un grand pays d’immigration ». Mais il faut aujourd’hui trier le bon grain parmi l’ivraie des ressortissants des colonies du Maghreb et d’Afrique, enfin des réfugiés de guerres moyen-orientales, des desperados économiques, sans compter le prosélytisme de remplacement islamique, dont la perfusion et la prolifique natalité risquent de poser d’intraitables incompatibilités sanguines…

Si ouverte, artificielle et fluctuante qu’elle soit, l’identité d’une nation n’est pas tout à fait à rayer des examens de la pensée, ce dont témoigne l’analyse de François Braudel en son essai L’Identité de la France[8]. En ce sens le travail de l’historien, en charge d’objectivité, consiste à « infliger une blessure narcissique à un pays attaché à un récit national tenu pour exceptionnel », pour reprendre les mots judicieux de Patrick Boucheron. Entre Terreur, campagnes militaires napoléoniennes et colonisation dispendieuse, prédatrice et meurtrière, même si elle eut ses penchants et effets bénéfiques (en particulier la presque suppression de l’esclavage), les zones putréfiées de l’Histoire de France sont nombreuses. Mais pas au point de méconnaître la dimension civilisatrice d’un pays de technique, d’art et de culture… Il n’en reste pas moins qu’exclusivement parler de la France, outre la gageure et la présomption, est forcément un malentendu, auquel n’échappe pas complètement cette Histoire mondiale de la France : entre Rhin et Pyrénées, si une Histoire particulière a marqué les mœurs et les esprits, elle est d’une importance pour le moins discutable face aux enjeux que sont ceux de la Civilisation, qui se tisse autant du « Qu’est-ce que les Lumières ? » de Kant que d’un kimono fleuri, des Variations Goldberg de Bach que de La Recherche du temps perdu de Proust, que de Pasteur, Flemming, Marie Curie, que de la constitution américaine et des gastronomies…

Un manichéisme sûr de sa superbe affecte pitoyablement cette Histoire mondiale de la France, alors qu’elle eût bien mieux mérité : « la régression identitaire d’un nationalisme dangereusement étriqué » d’un côté, vouée aux gémonies où pourrissent des ploucs populistes et incultes (entendez le Front National et consorts), et de l’autre les intellectuels éclairés du multiculturalisme dont s’enorgueillissent d’être cet aréopage d’historiens. Sauf que les deux camps, en leurs excès s’aveuglent, et qu’au mieux les érudits compères cornaqués par Patrick Boucheron sont les borgnes au royaume des aveugles. Ne fustige-t-il pas « les effets supposément destructeurs de l’immigration » ? Nous saurions l’approuver si l’Islam n’avait pas été inventé au VII° siècle pour déferler, conquérir, convertir, esclavagiser et décapiter bien au-delà du seul espace français. Car en la matière, il ne s’agit pas d’une Histoire mondiale de la France, mais d’une Histoire mondiale de l’Occident, de la planète et des libertés qui a pu influencer et enrichir des rivages lointains. En ce sens ce n’est pas le grotesque d’une critique nationaliste qui sied ici, mais la dignité d’une critique libérale.

Outre la question soigneusement tue de l’irruption islamique totalitaire, le principal grief que l’on puisse faire à l’encontre de cette Histoire mondiale de la France, est la quasi absence de la France comme langue culturelle, comme celle de Racine, de La Fontaine et de Proust, qui, en sus d’avoir été nourris par l’Antiquité gréco-romaine, ont été traduits en une myriade de langues, comme l’on joue Lully, Rameau, Berlioz, Debussy et Messiaen sur toute la planète, du moins planète éclairée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’on se doute que ce volume qui mérite autant l’éloge que le blâme fut encensé par Libération et Le Monde des livres (dont Patrick Boucheron est un contributeur) et descendu en flammes par Le Figaro littéraire. Polémiques symptomatiques tant chacun se rétracte sur son credo. L’inénarrable Eric Zemmour y accusa lourdement de « Dissoudre la France en 800 pages[9] », bien qu’il y pointât avec justesse la formule pro-islamiste de l’« illusion événementielle » que fut la victoire de Charles Martel sur les Sarrasins en 732. Le plus subtil Alain Finkielkraut y excava « Le tombeau de la France mondiale[10] ». Est-ce seulement parce qu’il regrette avec pertinence que de cette Histoire mondiale de la France disparaissent les écrivains, hors Sade « embastillé et universel », Balzac que l’on y juge dépourvu de cosmopolitisme, Malraux en sa « conscience universelle »,  Simone de Beauvoir qui bénéficie d’un brevet de féminisme ? Notre philosophe, d’une excellence parfois discutable[11], y voit avec effroi, et nous l’appuierons sur ce point, que l’on y préfère les footballeurs « black, blancs, beurs » de 1998, mais aussi l’aimable originaire d’Arménie Charles Aznavour, alors que sont évacués de ce distributeur de médailles de bien-pensance des dizaines d’écrivains, de philosophes, de peintres, de compositeurs de dimension mondiale. La sous-culture enterre avec une inqualifiable indignité la hauteur de la pensée et de l’esthétique…

L’Histoire est trop souvent l’imposition de la doxa d’un temps sur d’autres temps. Regardons en ce manuel hors normes ce cliché bien de notre aujourd’hui : par exemple la mention d’un « réchauffement climatique » en 12 000 avant J-C, d’un autre entre 1570 et 1620 (dans un paragraphe incompréhensible p 292 où « réchauffement » rime avec « abaissement de la température » !), mais pas de celui si bénéfique au Moyen-Âge, mais pas le moindre refroidissement à l’époque de Louis XIV…

Pire - est-ce possible ? - l’on décèle sans peine le message à la fois subliminal et martelé au pilon digne des ateliers du Creusot : en 719, près de Perpignan, le pillage d’une « troupe musulmane » (certes il n’est qu’un accident guerrier parmi d’autres), laisse à notre souvenir une tombe commune, qui recèle un « signe précurseur et insolite […] de notre bienveillance à l’égard du voisin ». En 1143, l’abbé de Cluny, Pierre le Vénérable, fit réaliser la première traduction latine du Coran, que l’on devine encore perfectible. Cette curiosité occidentale, certes poussée par la nécessité de se défendre de l’hérétique ennemi sarrasin, dont la réciproque se fera bien des siècles attendre (car l’Arabe, sinon chrétien, n’imaginait pas devoir traduire la Bible) est alors vilipendée par l’historien dont par pudeur nous tairons le nom, parce l’on reprochait à Mahomet sa « vie détestable ». Quel scandale que de parler de « l’exécrable Mahomet » ! Voudrait-on qualifier de blasphème[12] la position du Vénérable ? Hors la question inévitable des rivalités entre deux systèmes religieux concurrents, dire que « Pierre le Vénérable échoue à réellement dialoguer avec l’Islam » est une de ses vérités qui cache un mensonge : nos historiens n’ont lu ni le Coran, ni les hadits, sinon avec des lunettes de plomb, pour ne pas y lire l’évidence : la nature totalitaire et meurtrière de ces textes[13].

Evidemment, la croisade de 1095 est le « signe du raidissement identitaire de la Chrétienté face aux Musulmans, aux Juifs et aux Grecs ». « Ah ! qu’en termes galants ces choses-là sont mises[14] ». Fallait-il laisser les Arabes, après avoir soumis les deux-tiers de la méditerranée par le fer, le sang et la conversion, détruire le Saint-Sépulcre et fermer la porte aux pèlerins ? Certes les Croisés n’étaient pas des anges face à Saladin - ils le prouvèrent en pratiquant de réels pogroms antijuifs et en pillant Constantinople -, mais se défendre serait « identitaire », donc équivalent à cette fachosphère sous-entendue, dont sont évidemment indemne ces bons Musulmans…

 La traduction de Galland, en 1704, n’est sauvé du fauchage littéraire que parce qu’il s’agit des Mille et une nuits arabes, alors qu’elles sont bien plus cosmopolites, et parce qu’en 1712 Galland « n’a pas agi différemment des compilateurs arabes » lorsqu’il ajouta le conte d’Aladin au corpus. Oyez, oyez bonnes gens, comme la culture arabe est grande, comme la soumission à l’Islam est désirable ! Beurk et rebeurk ! Alors que les compilateurs arabes ont pillé et fait disparaître les manuscrits de ces Mille et une nuits d’origine perse, chinoise, égyptienne, voire grecque et si peu arabe[15] et que seul un Français les a ressuscités. Balzac, disions-nous, ne vaut pas un pet de lapin quand en son temps Claude Fauriel a établi en son Histoire de la poésie provençale, l’influence de la lyrique arabe, ce qui n’est d’ailleurs pas faux. Que pèsent alors Ronsard, Hugo, Baudelaire, devant quelques vers, certes charmants de la poésie d’al-Andalus[16] ? Tenez-vous le pour dit : ce que l’on appelait avec hauteur la civilisation française doit en vassale ployer le genou - et avec la plus grande contrition, puisque la France a eu l’impudence de détruire l’esclavagiste port barbaresque d’Alger en 1830 qui ravageait la Méditerranée - devant la musulmanie, dont on sait qu’elle nous apporta un rayonnement universel et dont elle consent encore à nous faire libéralement don !

Les derniers mots de cette Histoire mondiale de la France sont consacrés à « l’exaltation de la France plurielle ». De cet euphémisme, devons-nous conclure avec le modeste auteur de ces lignes critiques qu’il s’agit d’accueillir les hommes, les livres et les musiques venus du haïku japonais et des économistes libéraux anglo-saxons, venus des Mille et une nuits, du jazz afro-américain ? Absolument. La « France plurielle », au même titre qu’une planète plurielle, doit être une augmentation par les Lumières, non pas une éradication par la barbarie des mœurs et de la théocratie.

 

 

 

 

 

 

 

Il n’a pas échappé, même s’ils le taisent à-demi, aux auteurs réunis par Patrick Boucheron, qu’écrire l’Histoire, c’est donner une direction au futur, c’est en définitive à la manière d’historiens déconsidérés agiter la folle marotte d’une idéologie. Ainsi, sans aller jusqu’à les comparer à ces Attila, derrière lesquels l’herbe historienne ne repousse plus, des empereurs chinois brûlèrent tous les documents d’un passé inconvenant pour édifier et commencer avec eux un monde nouveau, ou Staline fit effacer de photographies compromettantes les dignitaires qui n’étaient plus censés avoir fondé son pouvoir. Effacer l’Histoire des Juifs était également le préalable indispensable au Reich de mille ans. Nous n’aurons pas la bassesse de succomber à la reductio ad hitlerum, qu’il serait indécent d’adresser aux talentueux auteurs réunis par Patrick Boucheron. Reste qu’un nouveau catéchisme du « métissage » sourd toutes trompettes glorieuses rugissantes de cette Histoire mondiale de la France. Nous ne nous en formaliserions pas un instant, au contraire, s’il ne s’agissait que de montrer de la France fut et reste un patchwork ouvert aux circulations de peuples, de sciences, de cultures, indispensables à son enrichissement, et d’en comprendre la nécessité. Il faut alors garder en tête les éloges que mérite cette Histoire mondiale de la France, que d’aucuns qualifieraient peut-être, d’une manière improprement expéditive, d’islamo-gauchisme. Mais ne pas omettre le blâme s’il s’agit en ces pages d’euphémiser, voire réclamer un métissage ouvert à des éléments humains et idéologiques contraires aux idéaux des Lumières et qui contreviendraient aux droits naturels et aux libertés individuelles, non au sens d’une réductrice identité française,  la réponse à opposer est un « non » vigoureux. C’est seulement ainsi que notre futur fera Histoire, et non régression, suicide et pétrification. Si le futur nous réserve qu’il y ait encore des Historiens libres de leur calame, de leur plume ou de leur clavier, et si notre occidentale civilisation avait le malheur de disparaître en mortelle, comme se délita l’empire romain, qu’en diraient-ils ? Sinon qu’une barbarie de quatorze siècles aurait enfin achevé son dessein…

 

L’Histoire est le lieu d’une construction dont le lieu n’est pas formé par le temps homogène et vide, mais par le temps rempli d’à présent[17] », écrivait Walter Benjamin. En ce sens notre choix, notre lecture des événements du passé en dit autant sur ce dernier que sur les obsessions, les modes, les clichés et les tendances idéologiques de notre temps. Ils sont au diapason de la multiplicité mondiale. Au risque toutefois du relativisme, alors qu’il faille considérer les gains civilisationnels, et savoir si possible séparer le bien et le mal dans l’Histoire. Sachant également, au-delà des curiosités locales et chronologiques, s’orienter dans l’Histoire, comme le préconise Odd Arne Westad au seuil de son Histoire du monde : « J’ai cherché d’emblée à repérer, là où c’était possible, les éléments qui, par l’influence générale qu’ils exercèrent, eurent l’impact le plus large et le plus profond, plutôt que de me contenter d’aborder dans l’ordre, une fois de plus, les thèmes que la tradition juge importants[18] ». Il ne s’agit donc pas d’infatuer les ego des historiens, des nationalistes et autres fondamentalistes religieux, voire des ennemis de l’anthropocène, mais de pointer ce qui fit pivot parmi les siècles, les millénaires et les continents au service de conséquences considérables, mais aussi des prospérités et des libertés humaines.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[6] Ernest Lavisse : Histoire de Franceédition augmentée par Dimitri Casali, Armand Colin, 2013.

[7] Alexandre del Valle : Le Complexe occidental, L’Artilleur/Toucan, 2014.

[9] Le Figaro, 19 janvier 2017.

[10] Le Figaro, 26 janvier 2017.

[14] Molière : Le Misanthrope, Acte I, scène 2, vers 314.

[16] Le Chant d’al-Andalus, une anthologie de la poésie arabe d’Espagne, Anthologie, Sindbad, 2011.

[17] Walter Benjamin : Sur le concept d’histoire, Klincksieck, 2023, p 102.

[18] John M. Roberts & Odd Arne Westad : Histoire du monde, Perrin, 2017,  p 19.

 

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
28 décembre 2023 4 28 /12 /décembre /2023 11:00

 

Retablo de San Pedro y Santa Maria de Olite, Navarra.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Existence, inexistence de Dieu,

voire nécessité de la religion.

 

Fénelon, Sébastien Faure, Alain Nadaud,

Rémi Brague, Hartmut Rosa,

Marc-Antoine Mathieu & Lambert Schlechter.

 

 

Fénelon : Traité de l’existence et des attributs de Dieu, Œuvres, I, Lebel, 1820, 472 p.

 

Sébastien Faure : Douze preuves de l’inexistence de Dieu, L’Herne, 2018, 72 p, 6,50 €.

 

Alain Nadaud : Dieu est une fiction, Serge Safran, 2014, 288 p, 19 €.

 

Rémi Brague : À chacun selon ses besoins, Flammarion, 2023, 224 p, 20 €.

 

Hartmut Rosa : Pourquoi la démocratie a besoin de la religion,

traduit de l’allemand par Isis von Plato, La Découverte, 2023, 80 p, 15 €.

 

Marc-Antoine Mathieu : Dieu en personne, Delcourt, 2009, 128 p, 17,95 €.

 

Lambert Schlechter : Fragments du journal intime de Dieu,

L’Herbe qui tremble, 2023, 82 p, 16 €.

 

 

Si le sentiment religieux est un phénomène universel, il existe des religions sans dieu, tel le bouddhisme, donc athées, sans compter celles polythéistes. Mieux - ou pire diront les détracteurs - l’agnosticisme évacue toute religiosité. Avons-nous cependant besoin de religion ? Depuis que tant d’autorités du monothéisme sont persuadées de l’existence de Dieu, selon Fénélon, ou de son inexistence, selon Sébastien Faure, la question n’est pas prête d’être tranchée, quoique Dieu puisse bien être une fiction, comme l’affirme Alain Nadaud. Pourtant, à rebours des naïfs qui ne croient que par habitude culturelle, voire conditionnement, à rebours des férus d’athéisme, deux philosophes prétendent combien Dieu permet la liberté humaine, pour Rémi Brague, et combien, pour Hartmut Rosa, elle est nécessaire dans le cadre de la démocratie ; mais à condition de ne pas se tromper de religion. Théologique et philosophique encore peuvent-être la bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu qui exhibe « Dieu en personne », et le journal intime, selon Lambert Schlechter, de cette créature qui n’a pas fini de défier notre imagination, sans compter les perles et les bourdes de l’argutie.

 

 

Malgré les efforts des Pères de l’Eglise accumulant les preuves de l’existence de Dieu, qu’elles soient tirées de la métaphysique, de l’imperfection de l’être humain, de l’idée que nous avons de l’être nécessaire et de l’infini, comme le postula au XVII° siècle Fénelon[1], alors que d’autres n’ont pas manqué de lister celles de son inexistence, comme en 1908 le libertaire Sébastien Faure[2], la question n’est guère tranchée.

Pourtant François Salignac de la Motte-Fénelon, fameux auteur des Aventures de Télémaque et théologien du XVII° siècle français, archevêque de Cambrai, accumule les preuves irréfutables, du moins le prétend-il, en son Traité de l’existence et des attributs de Dieu. « Ainsi vivent les hommes. Tout leur présente Dieu et ils ne le voient nulle part ». Or le spectacle de la nature et la présence splendide de l’univers suffisent à deviner son auteur. La structure du corps humain et de son intellect n’échappent pas à cette nécessité. Dieu se manifeste autant dans l’infini que dans l’idée. Bien entendu, Fénélon se pique de réfuter le spinozisme, au nom d’un immuable infini originel. Car selon Spinoza, si la Nature est Dieu, toute croyance en un Dieu surnaturel ou transcendant est exclue ; en ce sens cet athéisme oppose à la conception transcendante du divin une philosophie matérialisme de l’immanence. Faut-il y voir l’une des prémisses du « Dieu est mort » nietzschéen ?

Notre édition en 22 volumes des Œuvres de Fénelon orthographiant par erreur la pièce de titre du premier volume « Éxistance de Dieu », faut-il y voir ignorance crasse du doreur et du relieur, ou une dommageable ironie…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En contrepartie, l’implacable anarchiste Sébastien Faure liste en 1908 Douze preuves de l’inexistence de Dieu. Outre l’absence d’universalité du Dieu unique, face aux religions polythéistes ou sans dieu aucun comme le bouddhisme, aucune certitude scientifique ne vient appuyer son existence. Parmi les arguments probants, voici « le Geste créateur est inadmissible », tant on ne peut créer à partir de rien. En conséquence « le pur Esprit ne peut avoir déterminé l’univers ». Il faut alors chasser les contradictions : « le Parfait ne peut produire l’imparfait ». Sans oublier que les motifs de la Création sont indiscernables, que Dieu n’est pas infiniment bon, puisque « l’Enfer l’atteste », le problème du Mal étant incompatible avec un Dieu infiniment bon. Si affirmatif que soit Sébastien Faure, les théologiens lui répondent par la nécessité du libre arbitre et de la responsabilité humaine…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dieu est bien une fiction, comme l’assure avec fermeté Alain Nadaud[3], qui sait parfaitement que les dieux de toutes obédiences sont  autant d’illusions que les démons du bouddhisme. Cette critique du religieux trouve son acmé dans un essai rigoureusement ordonné : Dieu est une fiction. Le sous-titre est parlant : « Essai sur les origines littéraires de la croyance ». Autrement dit, les textes sacrés ne sont écrits que de main d’homme, il est nécessaire et pertinent de leur appliquer une méthode de lecture critique et historique. Lire la Torah, la Bible, Les Métamorphoses d’Ovide et le Coran n’est rien d’autre que lire des romans, des poèmes et des propositions juridiques. La Théogonie d’Hésiode et les Evangiles sont des « œuvres d’imagination ». La seule chose qui les sépare est qu’à la première personne ne croit plus. Inventer des dieux « pour ne pas se désespérer de son sort » reste une activité honorable, si elle ne devient pas une tyrannie contre autrui, « au coût exorbitant de son asservissement, de la confiscation de sa liberté de pensée et d’agir ».

De là à en inférer que « le culte de la littérature ne faisait aujourd’hui que participer à la perpétuation de la croyance », il y a peut-être un pas qu’il ne fallait franchir qu’avec précaution : aimer les textes ne signifie pas croire aveuglement en la réalité de leurs personnages et en l’autorité irréfragable de leurs maximes…

L’essai d’Alain Nadaud, Dieu est une fiction, dévêt les croyances de leurs voiles. Anthropomorphes, bouffis du besoin d’être adulés, capricieux et vengeurs sont trop souvent les dieux. Avec modestie, Alain Nadaud, qui ne prétend ni à la vérité, ni à l’exhaustivité, charge toutes, ou presque, les religions. L’animisme est conspué pour sa naïveté et son ridicule, malgré les qualités d’imagination et de fascination de ses conteurs inspirés. Les mythes n’ont plus qu’un statut littéraire, « projection splendide ou sordide des passions qui animent l’humanité ». Les prophéties bibliques sont des stratagèmes pour faire parler Dieu lui-même ; les prodiges d’un récit « à plusieurs mains », nourrissant l’exégèse juive, n’ont pas été retenus par les historiens, quoique flattant l’orgueil du « peuple élu », sans cesse frappé de déception. Le christianisme est plus universaliste, moins contraignant, il réussit à faire avaler une fiction risquée : Dieu s’incarne en un homme. Contribuant à la fin de l’esclavage et à la séparation des pouvoirs spirituel et temporel, le discours pacifiste des Evangiles ne sera pas toujours entendu, en tout cas pas à la hauteur du mystère de la Sainte-Trinité, « invention délirante et acrobatique », source de querelles, de schismes et d’hérésies. Quant au monothéisme de l’islam, il n’est qu’un outil politique et guerrier de conquête, assure-t-il, s’appuyant sur l’excellent historien Maxime Rodinson[4]. Le Coran n’a « aucun ordre logique », n’est qu’une incantation répétitive, obsessionnelle et autoritaire. Pillant la Torah dont Allah prétend être l’auteur, puis le personnage de Jésus, sans compter la bourde des « versets sataniques », il assure la tyrannie d’un dieu abstrait au moyen du « plagiat et de l’artifice littéraire ». Déçu par le recul des Juifs devant son chef-d’œuvre, Mahomet les vouera aux pires exécrations sanguinaires, tout en perpétuant une « brutale domination sexuelle » en moyen des vierges à disposition dans son paradis. Le Coran ne supporte guère la comparaison littéraire avec la Bible, Mahomet ne pouvant rivaliser avec une création d’un millénaire. La critique du style et de la composition du « texte acrimonieux et vindicatif » est sans indulgence. Pourtant sa persuasion presque planétaire est affolante, tant le besoin de haine et de meurtre anime le cœur de l’homme…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quels que soient les dieux, ils n’apparaissent et ne s’imposent que dans et « par l’imaginaire des hommes » et au moyen de leurs clergés trop souvent impérialistes. Rendons cependant grâce à toutes ces religions pour les trésors d’art, de musique et de littérature, et aux Grecs de n’avoir été ni prosélytes ni fanatiques. Pourtant, le fanatisme et l’extrémisme sont des « raidissements » devant « la sourde perte de croyance ». Car comment comprendre que ces dieux ne se soient adressé qu’à quelques tribus, au lieu de la terre entière, sinon en démasquant leur fausseté. Ce qui surexciterait la susceptibilité des bras armé des dieux.

La lecture d’Alain Nadaud est aussi savante et informé que fluide, son argumentation raisonnée parait ne souffrir aucune contradiction. Y compris lorsqu’il démonte l’argument de l’intraduisible texte sacré, en arguant des traductions de Don Quichotte qui n’empêchent pas le vent du chef-d’œuvre. En revanche il n’est pas sûr que l’exégèse soit toujours un « gaspillage d’intelligence », si l’on sait que l’étude du Talmud vivifie l’intellect des Juifs, quand la récitation coranique abrutit celui des Musulmans. Car « le croyant défend bec et ongles son désir de soumission à une autorité qui pense pour lui ». Nous sommes alors bien loin de la devise des Lumières selon Kant : « Ose savoir ! »

Au-delà de cette soif de croire, ne reste au bout du compte, selon Alain Nadaud, qu’à trouver « une mystique de l’athéisme », oxymore peut-être affabulateur. La « lucidité » de l’athée le conduit à savoir que « l’homme est l’ultime horizon de lui-même », qu’il doit « aménager le vivre ensemble » et repousser la question du mal, imputé à Satan, vers l’humanité elle-même. La sagesse critique d’Alain Nadaud est évidemment de l’ordre d’un humanisme, sans qu’il soit nécessaire d’y aménager une place pour des dieux dangereux. Polémiste il conclue : « la religion est le trou noir de l’intelligence », ce que l’on peut trouver bien excessif… Il en appelle à une « spiritualité » de l’athéisme, recentrée sur « les activités artistiques […] l’amour d’une femme ou d’autrui ». Et pourquoi ne pas penser aux activités économiques au service de l’humanité ?

 Au sortir de cet essai, efficace, roboratif, la pensée du lecteur ne peut que s’élever par-delà les hauteurs des mensonges décryptés des dieux, humains, trop humains. Pourquoi accordons-nous tant de prix à ces fictions que sont les dieux du tonnerre et du vent, Aphrodite ou Bouddha (quoiqu’il fût selon la légende plus exactement un homme), Christ ou Allah, sinon pour nous illusionner… À moins qu’ils soient le soupçon, l’appel de cette transcendance qui nous est consubstantielle et consolatoire.

Est-ce à dire qu’il faut rejeter les textes religieux ? S’il y a parmi eux de la sagesse et de la beauté humaines, certes non. S’ils sont fanatisme, obscurantisme et intolérance, voire appel à l’esclavage des femmes et au meurtre, on gagnera bien sûr à les ranger dans les bas rayons des mauvais documents, aux côtés de Mein Kampf et du Manifeste communiste, ces fictions dangereuses aux montagnes de morts conséquentes et bien réelles, à seule fin des historiens des mœurs.

 

Fénelon : Œuvres complètes, Lebel, 1820-1824.

Photo : T. Guinhut.

 

A contrario la sagacité du philosophe chrétien Rémi Brague s’exerce avec brio dans son essai intitulé À chacun selon ses besoins. Dieu a donné à chaque créature la capacité d’atteindre le bien et assurer sa survie, son développement, et aux hommes la capacité du jugement. La Providence devient ainsi intelligence et sagesse humaine. Or parmi sa « vie historique », l’homme semble parfois bien loin de Dieu. En fait, « la providence divine, quand elle a pour objet l’homme en tant que tel, doit culminer en une économie historique du salut par laquelle Dieu va chercher l’homme là où il est (p 203-204) ». En ce sens cette réflexion fouillée sur la providence se départit de la fatalité pour se consacrer à la liberté, pour affirmer me « libéralisme de Dieu » et la « finesse croissante du bien ». Est-ce un vœu pieux, une illusion, une téléologie nécessaire…

Reste que Rémi Brague ne se penche guère sur ceux que la nature n’a pas favorisés, handicapés mentaux et physiques, enfants cancéreux, et autres victimes de l’Histoire  dont la liberté n’est pas avérée. Toutefois, notre philosophe chrétien fait preuve, non seulement de sa foi en Dieu, mais d’une revigorante foi en l’homme. Nourri de Saint-Thomas d’Aquin et d’une culture aussi précise qu’impressionnante, cet essai, sous-titré « Petit traité d’économie divine », mérite d’être considéré comme un stimulant pour l’humanité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le sociologue allemand Hartmut Rosa offre soudain un titre surprenant, voire paradoxal : Pourquoi la démocratie a besoin de la religion. Le christianisme ayant mauvaise presse pour son supposé obscurantisme, son archaïsme, voire la pédophilie de membres du clergé, il est étonnant de voir le penseur d’Aliénation et accélération[5] s’inquiéter de la perte de légitimité de la religion dans nos sociétés démocratiques.

Comme il est de mode et de cliché parmi nombre d’intellectuels, la critique du capitalisme consumériste et comptable de croissance effrénée sert de prémisse à l’argumentation. De même la crise des réfugiés devrait amener la civilisation  occidentale à se remettre en question. C’est alors que, trésor culturel et moral, la religion doit, au travers de ses cathédrales par exemple, éveiller un émerveillement et une « résonance », pour reprendre l’un de ses précédents titres[6]. Elle « dispose d’éléments qui peuvent nous rappeler qu’un autre rapport au monde que celui visant la croissance et l’exploitation est possible ». La religiosité comme remède au capitalisme ! Ce capitalisme libéral qui rendit tant de service à l’humanité et auquel l’on ne sait pas rendre justice ! Certes dans une église « la disposition agressive disparait pour un moment ». Une « résonance verticale » avec le cosmos, une « communion » sont possibles au cœur de la pensée des trois monothéismes », ainsi que dans l’hindouisme et le bouddhisme.

La pensée d’Hartmut Rosa souffre de deux biais majeurs. Outre son anticapitalisme couplé avec des relents marxistes et une idéologie écologiste hyperbolique, il oublie, ou ne sait, combien l’islam est une religion politique antidémocratique et génocidaire. Rémi Brague a su, bien mieux, penser l’islam[7].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tournons-nous - la chose étant assez rare pour être signalée - vers la bande dessinée philosophique. Car Marc-Antoine Mathieu prétend rencontrer « Dieu en personne », selon son titre à ne pas prendre trop au sérieux.

Tout commence par un recensement parmi une foule engoncée dans un couloir noir, dans on ne sait quelle société peu amène, voire sinistre. Quand un individu sans identité aucune se présente. Et s’il se prétend « Dieu », l’hilarité de la foule le conspue, bien qu’il consente à rire lui aussi. Le voilà interné, observé par un psychiatre, alors que le lecteur ne le voit que de dos. Brillantes, quoique « parfois si incongrues », sont ses réponses. Il se définit comme un « livre de sable », « le zéro », « le silence », « un nouveau-né ». Une intelligence hors-normes et « un savoir insondable » occupent plus de 99 pour cent des capacités de son cerveau, au point que ce Dieu puisse offrir le boson de Higgs aux physiciens, ce boson qui unifie la gravité et la mécanique quantique, ainsi que dénombrer instantanément les molécules d’une bibliothèque. Les prodiges se multipliant, une « disjonction métaphysique » conduit la cité à reconnaître Dieu ! Mais le monde restant inchangé, reproches et ressentiments s’accumulant, le gigantesque procès planétaire est inévitable. S’agira-t-il de « la victoire de la justice des hommes sur celle de Dieu » ?

L’on devine les commissions d’experts, théologiens, scientifiques, obscurantistes, cosmologues, et caetera. Existence, inexistence de Dieu, causalité, libre arbitre s’invitent inévitablement. Ce Dieu créateur et omniscient a-t-il laissé faire la nature et le monde des hommes ? En ce cas pourquoi ne change-t-il pas les choses ? Lui faut-il un logo, est-il libre de droits ? Celui « dont le facteur d’entropie est quasiment nul » voit sa côte de popularité menacée. Pourtant ses livres explosent les meilleures ventes, alors que le théâtre grandiose du procès prend la forme d’une subtile dispute philosophique. En contrepartie, un investisseur crée un parc à thème : « Le royaume de Dieu », dans lequel le visiteur se fait âme.

Peu à peu son visage se dévoile, vieilli, fait de particules en mouvement, ce en contraste avec la raideur hiératiques des lieux et des innombrables protagonistes interchangeables. L’on soupçonne un instant qu’il puisse se réincarner en enfant, avant qu’il disparaisse en avouant n’avoir jamais existé, n’avoir été qu’un acteur, dont l’omniscience n’était qu’un puissant « moteur de recherche »…

En ce génial canular - quoique - la satire de la crédulité ne cesse de gagner des points. L’ironie pointe de plus en plus le bout de son nez. Et si Dieu est mort, pour reprendre la formule nietzschéenne, l’on se sent projeté, lors de la fin du récit, au retour au point de départ, à l’éternel retour du même.

Le graphisme sec, la noirceur austère et intense, tout concourt à une ambiance angoissante, voire menaçante, en quelque sorte kafkaïenne, si l’on pense à l’auteur du Procès.

À quoi bon ajouter quelque page au déluge théologique ? Sinon pour s’en amuser, voire le réfuter d’un mot ? Poète singulier, Lambert Schlechter, dont nous avions fort apprécié l’opus monumental[8], est au plus près de Dieu, puisqu’il sait livrer quelques Fragments du journal intime de Dieu, roboratifs à plaisir.

Triste sort que celui qui ne connait pas la mort ! Que fait-il alors de son éternité ? Il lit les écrivains et les philosophes à une vitesse sidérale, vitupère contre « les exécrables athées », confie que pour façonner le sexe d’Adam ce fut un jeu d’enfant, mais que pour la vulve d’Eve il lui fallut « mille esquisses et brouillons, pour arriver finalement à ce chef-d’œuvre de raffinement ». Par la vertu du péché originel, il se sait « innocenté  du mal ». Un brin d’auto-ironie ne nuit pas.

Voilà un Dieu, et un écrivain, que la naïveté devant l’islam n’aveugle pas : « Si la secte nazaréno-paulinienne m’avait énervé, la secte médino-mecquoise m’a exaspéré : déjà le monothéisme n’était pas si facile à gérer, avec ses ardeurs, sa terreur et sa combativité, - mais là il fut imprégné d’une ferveur nouvelle qui s’exprimait dans la vocifération, les discours d’exclusion et les menaces de mort, et que je te maudisse, et que je te flagelle, et que je t’ampute les mains, et que je te décapite ».

Ce n’est là qu’une poignée de « fragments » d’omniscience. Comment pourrait-il en être autrement face à l’infini ? Lambert Shlechter n’est-il pas une fois de plus un poète fort talentueux, voire génial…

 

Imposteur, simulacre, illusion consolatoire, Dieu peut paraître aux yeux de Rémi Brague absolument nécessaire, voire utile pour Hartmut Rosa. Cependant l’athéisme peut très bien s’en passer, car au regard d’Helvetius, philosophe des Lumières, plutôt qu’au moyen d’une religion susceptible de voir le fanatisme s’emparer d’elle, c’est « uniquement par de bonnes lois qu’on peut former des hommes vertueux[9] ».

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Fénélon : Traité de l’existence et des attributs de Dieu, Œuvres, t I, J. A. Lebel, 1820.

[2] Sébastien Faure : Douze preuves de l’inexistence de Dieu, L’Herne, 2018.

[4] Maxime Rodinson : Mahomet, Points, 2013.

[5] Hartmut Rosa : Aliénation et accélération, La Découverte, 2014.

[6] Hartmut Rosa : Résonance. Une sociologie de la relation au monde, La Découverte, 2018.

[9] Helvétius : De l’esprit, Œuvres, I, 1781, p 261-262.

 

Retablo de San Pedro y Santa Maria de Olite, Navarra.

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
18 décembre 2023 1 18 /12 /décembre /2023 10:10

 

Au jardin. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Présences, absences fantastiques

& autres contes philosophiques.

Jonas Karlsson : La Pièce,

Fernando Trias de Bes : Encre.

Laurent  Pépin : L’Angélus des ogres,

Kjell Espmark : Le Voyage de Voltaire,

Zaki Beydoun : Organes invisibles.

 

 

Jonas Karlsson : La Pièce, traduit du suédois par Rémi Cassaigne,

Actes Sud, 2016, 192 p, 6,50 €.

 

Laurent Pépin : L’Angélus des ogres, Fables fertiles, 2023, 104 p, 17,50 €.

 

Fernando Trias de Bes : Encre, traduit de l’espagnol par Delphine Valentin,

Actes sud, 2012, 176 p, 18 €.

 

Kjell Espmark : Le Voyage de Voltaire,

traduit du suédois par Hubert Nyssen, Marc de Gouvenain et Léna Grumbach,

Actes Sud, 2012, 240 p, 20€

 

Zaki Beydoun : Organes invisibles, traduit de l’arabe (Liban)

par Nathalie Bontemps, Actes Sud, 2023, 128 p, 14,50 €.

 

 

Certes nous disparaissons tous, que les causes soient naturelles ou accidentelles. À moins d’y songer sous les espèces du fantastique. « Escamotage » de Richard Matheson[1] est à cet égard une nouvelle emblématique. Bob manque cruellement d’argent, se dispute avec sa femme, qu’il a de plus trompée. Est-ce le remord qui cause ses troubles graves ? Est-ce le monde qui lui fait défaut ? Son épouse a disparu, le lieu de son travail n'existe même plus. Ses amis et sa famille disparaissent un par un, jusqu’à ce que lui-même disparaisse également. Ce dont ne témoigne que son journal intime abandonné dans un pub. Au plus près de cette angoissante perspective, le thème de la pièce surnuméraire, de « la chambre, l’appartement, l’étage, la rue effacée de l’espace[2] » reste un classique, tel que référencé par Roger Caillois, alors que Marcel Aymé subvertit en 1943 le thème avec son Passe-muraille. Hélas son anti-héros « était comme figé à l’intérieur de la muraille. Il y est encore à présent, incorporé à la pierre[3] ». Plus près de notre contemporain, une « pièce », existe ou non dans un bref roman de Jonas Karlsson satiriste de l’Administration. Chez Trias de Bes, l’encre d’un livre ne se manifeste plus que par son absence. Laurent Pépin use d’une thanatopractrice pour pallier ka disparition. Kjell Espmark préfère subtiliser à son siècle le philosophe des Lumières et le ressusciter dans notre contemporain, là où a disparu toute raison. Le double jeu entre présence et absence ne cesse de réapparaitre parmi des écrivains aux origines et cultures diverses, au point que, chez Zaki Beydoun, il puisse entraîner l’évaporation absolue de l’individu lui-même. L’on hésite alors, parmi ses écrivains, suédois, français, espagnols, libanais, entre effacement politique et effacement métaphysique.

 

Le récit de Jonas Karlsson, plutôt minimaliste, parait d’abord anecdotique. Le narrateur, Björn, nouvel employé d’une quelconque « Administration », montre son zèle le plus exact, en vue d’en « devenir un gros bonnet ». Mais, très vite, il découvre la « pièce », petite, où tout est « en ordre parfait ». Il s’y ressource parfois, ne ménageant pas son application dans son travail, jusqu’à ce que son attitude, debout, immobile, devant un mur, laisse ses collègues pantois. Jusque-là, le propos est celui d’une nouvelle réaliste, tout juste impeccablement écrite, respectant avec un brin d’humour la prétention du personnage, mais sans absolue originalité.

Cependant, abrité en cette « pièce », le narrateur travaille mieux, le soir, la nuit, chipe les dossiers de son voisin pour les traiter avec brio, accède aux documents classés dans la catégorie supérieure ; le voici fin prêt à conquérir les échelons de la hiérarchie, décide qui va bientôt être congédié. La success-story serait implacable et cynique si la gêne occasionnée par son insistance à affirmer l’existence de son lieu d’élection n’était source de trouble et de conflit dans le service. Au point que l’on envisage pince sans rire : « Un consultant va devoir venir pour nous dire que la Pièce n’existe pas ? ». Le trouble psychiatrique probablement dû à l’addiction au travail irait-il s’aggravant…

Pourtant, peu à peu, l’intensité du récit, l’insistance de l’écrivain qui mène son personnage jusqu’aux plus honorables qualités de l’employé modèle ambitieux, les intrigues de bureau - plus exactement un inquiétant espace de travail ouvert - voilà que tout cingle le lecteur d’une déflagration d’ironie, lui laissant prendre conscience qu’une vaste satire est à l’œuvre.

Ce sont en effet les mondes des entreprises, des complexes de bureaux, des administrations de tous bords qui sont ici cruellement moqués. En ce monolithique univers, qui n’est pas loin de faire songer à Kafka, Björn n’a pas la moindre vie hors du bureau auquel il est corps et mental dévoué ; à peine l’exception d’une aventure sexuelle mécanique avec une collègue. De plus, cette « Administration » n’a jamais le moindre référent dans le réel. À quoi s’occupe-t-elle, sinon traiter des dossiers dont le contenu est tu, classer le vide, archiver le néant ? Qui sait si ce ne sont pas des vies humaines, des prisons politiques qui sont là gérées, tant la peur irrigue les employés à la moindre anicroche ? L’absurde activité tourne pourtant avec régularité, quoique avec paresse et négligence pour les uns, et surefficacité pour Björn. La majuscule affublant l’« Administration » laisse à penser qu’elle est la seule, la suprême, qu’il s’agit peut-être d’une émanation de l’Etat total, sinon cet Etat lui-même.

Enfin, sans qu’il n’y paraisse, page 179, le mot est lâché : « Selon ma kremlinologie personnelle, le mouchard le plus vraisemblable était Ann. » Sans qu’il s’agisse forcément du communisme soviétique, la dimension totalitaire innerve impitoyablement les lieux, les esprits, sans espoir de retour.

Il faudra suivre les productions, aussi brèves que perspicaces et troublantes du Suédois Jonas Karlsson. En un précédent volume, La Facture, un autre anti-héros était l’exact opposé de celui de La Pièce : insouciant employé sans ambition, il ne sait qu’être heureux, alors qu’il est frappé d’un immense impôt sur le bonheur[4]. Là encore l’Etat le plus innocemment monstrueux a frappé. La morale de l’apologue est claire. En une « pièce » qui n’existe pas, la perfection du travail administratif se déroule, quand ailleurs une fiscalité redistributrice prétend égaliser le bonheur. Sous des apparences anodines et parfois burlesques, Jonas Karlsson est un expert es anti-utopies on ne peut plus affuté.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’on sait que chez les défunts la vie disparait sans retour. Pourtant la thanatopractrice de Laurent Pépin, dans son Angélus des ogres, s’attache à capturer des « fragments de vie résiduels ». Comme le fait l’écrivain finalement…

À l’issue de Monstrueuse Féérie, précédent volet du trio narratif, son narrateur, psychologue clinicien, avait été lui-même interné dans l’hôpital psychiatrique où il exerçait, ce à cause de crises de panique et autres hallucinations. Ou peut-être à l’issue d’une saine réflexion : « J’habitais dans le service pour patients volubiles depuis ma décompensation poétique. Au fond, je crois avoir toujours su que cela se terminerait ainsi. Peut-être parce qu’il s’agissait du dernier lieu susceptible d’abriter une humanité qui ne soit pas encore réduite à une pensée filtrée suivant les normes d’hygiène. Ou plus simplement, parce qu’il n’y avait plus de place ailleurs dans le monde pour un personnage de conte de fées ». Le voici en plein délire, si l’on en croit la ténacité avec laquelle les cliniciens dépoétisent l’homme et le monde, à moins qu’il s’agisse des portes de la perception. Sauf qu’une thérapie amoureuse est en cours à son chevet, à l’instigation de Lucy, qui s’amaigrit au fur à mesure qu’elle sauve ses patients de leurs monstres, ou de leurs « ogres », dans le cas du narrateur. En effet, pendant la nuit, Lucy devient une ogresse alors que pendant le jour elle agonise. Son anorexie ne fait qu’empirer depuis qu'elle a perdu un bébé. Aussi est-elle en chasse des « traits unaires », censées receler les émanations encore vivantes des morts, de façon à sauvegarder les pensées qui s'évanouissent, une fois que l’individu est privé de son imaginaire, donc de ses contes. Le tout avec le concours d’entités indispensables : « les Monuments s’en allaient et entraient par les fenêtres des enfants malades pour leur faire le récit de vies extraordinaires, de trouvailles miraculeuses : ils réveillaient l’imagination éteinte des enfants malades de la pensée filtrée. Puis ils revenaient et n’en parlaient plus ». Ces mêmes Monuments « s’étaient rendus maîtres de tous les organes de décision du pays et avaient aboli toute pensée officielle. À la place, ils saupoudraient de pensée singulière la nuit ». Un monde affreusement rationnel a disparu au profit « des histoires d’enfance aventureuse ». Le titre alors semble supposer en son oxymore, une poétisation par la prière et une conversion de l’horreur ogresse. Soit une catharsis.

S’agit-il d’une satire de la psychiatrie, ce « camp de concentration » ? Sommes-nous ici confinés dans le seul fantastique ; sinon plutôt dans le merveilleux puisqu’il s’agit d’un conte ? Le doute reste cependant permis face au final « ricanement rauque du Philosophicus scepticus »…

Indéfectiblement onirique et consolatoire, cet Angélus des ogres est le second volet d’un triptyque initié par Monstrueuse féérie[5]. La pérennité du genre du conte, que l’on aurait pu croire enfoui dans le temps de Perrault, Grimm ou Andersen, trouve ici son rebond, sa réactualisation intrigante, séduisante, prenante. Peut-être au croisement du pays des fées, d’Alice au pays des merveilles et du monstrueux cinéma de David Cronenberg, que l’on connait pour sa métamorphose en mouche[6]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce n’est pas un homme qui disparait chez Trias de Bes, mais peut être pire… De l'encre des incunables à l'encre des fictions, combien de rêves et de cauchemars dansent-ils parmi nous ? Deux hommes blessés par la vie cherchent, au tout début du XX° siècle, l’origine de leur infortune parmi les pages chatoyantes de ce roman intitulé Encre. L’un, Johann Walbach, est libraire à Mayence, ville qui fut le berceau de l’imprimerie de Gutenberg. Parce que son épouse le trompe chaque mardi avec un inconnu qu’elle n’aime pas, il cherche à comprendre le pourquoi de cette attraction. L’autre, mathématicien, aimerait voir revenir son épouse comme lui bouleversée par la mort, par noyade en mer, de leur fils. L’un va lire ses livres pendant des années, l’autre poursuivre ses chiffres, de façon à rejoindre la phrase ou l’équation introuvable qui les délivrerait du non-sens. Leur rencontre permet au second de fouiller les livres à la recherches de phrases récurrentes et de composer grâce à quelque algorithme savant un livre parfait et salvateur. S’ajoutent alors un imprimeur qui cherche à réaliser, pour ces assoiffés de certitudes, un livre effacé aussitôt lu, un ouvrier créateur d’une encre qui a les propriétés de la pluie, un éditeur qui ne lit pas et s’enduit chaque matin le corps du noir de froides pages imprimées, un collectionneur de nuages et correcteur déçu par son œuvre littéraire…

Nos deux protagonistes cherchent, pour l’un le secret d’Eros, pour l’autre le secret de Thanatos. Pour tous, la quête métaphysique est celle de la « pierre de Rosette des injustices ». A moins que ce livre vierge et mallarméen, où l’on a imprimé avec le plus grand soin les phrases fondamentales de la littérature et de la philosophie, permette à son lecteur d’« aimer en sachant que la raison de son injustice n’existait pas ». Là sont nos démons et nos paradis, si l’on consent à lire au plus près du monde, à écrire au plus près de soi, là sont les rédemptions des personnages, les nôtres peut-être : « Une identité étrange où la déraison acquiert un sens ». Ou encore : « De l’encre par amour ».

Mais à la chute du roman, lorsque le libraire reçoit « la livre de l’origine de l’infortune », ne s’ouvrent que des pages blanches. Quelle est cette sanction qui fit disparaître l’encre et son pouvoir de lisibilité ?

Outre cinq fictions encore inédites en français, Fernando Trias de Bes, né à Barcelone en 1967, nous avait proposé en 2006 Le Vendeur de temps (Hugo, roman éditeur). Vendre du temps était une géniale trouvaille, jusqu’à bouleverser l’économie toute entière, non sans user des armes aiguisées de la satire. A la lisière du fantastique, Encre, ce conte à la chute surprenante, précieux et attachant, passablement anachronique, postromantique et symbolique, est tout entier une métaphore des pouvoirs et des apories de la lecture et de l’écriture, du livre enfin.

 

Voltaire : Candide, illustré par Brunelleschi, Gibert Jeune, 1933.

Photo : T. Guinhut.

 

À lui tout seul un monde, Voltaire ne peut cesser de faire école, d’engendrer des émules. Son Candide ne peut manquer de réécritures, comme le prouve le Suédois Kjell Espmark au moyen de son Voyage de Voltaire. Et c’est dans la tradition de Voltaire et de Borges que l’espagnol Fernando Trias de Bes nous propose un conte philosophique mélancolique et coruscant.

Croyant mourir, donc disparaître, Voltaire s’éveille, avec toutes ses dents et sa vigueur intellectuelle, mais en ce XX° siècle qui « paraissait être le plus détestable de l’Histoire ». Comme Montesquieu promenait son Persan à Paris, voilà donc le héros des Lumières mis à l’épreuve de notre contemporain. Envoyé en mission pour l’ONU, il visite New York, puis la Russie où il est enlevé par les nouveaux capitalistes d’une « cleptocratie » qui salarie le gouvernement. Il s’agit de rétablir les forces de la raison contre le fanatisme islamiste. Après une critique des mœurs et des institutions suédoises, le philosophe se voit coiffé du casque bleu dans les Balkans. Nouveau Candide, il parcourt les horreurs serbes et leur justification pseudo-rationnelle, voyant ses idées reprises et trahies.

Dénonçant le cynisme des puissants, les totalitarismes, ce voyage est une amusante satire. Qui risque cependant d’enfoncer des portes ouvertes, de frôler les clichés, faute d’analyses précises. En Chine, au Japon, partout il note « les déceptions liées à la déchéance de la Raison ». En Iran, la « Raison divine » lapide. Après sa rencontre avec une nouvelle et noire Emilie parmi l’Afrique massacrée, il ira « cultiver son jardin », « la pelle de la Raison s’enfonçant dans l’humus des forces souterraines ». Sous la plume de Kjell Espmark, c’est bien un apologue fort désabusé.

L’objet satirique est à lire avec humour, même si Kjell Espmark n’a pas la vivacité de son modèle du XVIII° siècle. Mais en cette parodie du conte philosophique le plus fameux de Voltaire, n’a-t-on pas le plaisir, après la disparition de ce dernier, de le voir réapparaitre en un siècle qui n’est pas le sien, où il semblerait qu’ait disparu l’esprit des Lumières et brillé par son absence la raison.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La frontière entre la réalité et le surnaturel est d’autant plus ténue qu’elle explose sous la plume du Libanais Zaki Beydoun. L’anti-héros de ces Organes invibles est peut-être toujours le même, récurrent ou diffracté parmi une poignée de nouvelles. D’autant que l’« Extension » cosmique ou la disparition semblent affecter ce qui l’entoure, jusqu’à sa petite amie, quoiqu’elle s’avère bien présente pour tous les autres : « Ne voulez-vous pas saluer votre amie, me demande-t-il en désignant un fauteuil vide à côté du mien ». Un protagoniste « tombe en déliquescence » quand le narrateur le touche. Les visages s’effacent, jusqu’au silence…

Un autre, en pleine « Paranoïa », est persuadé que l’on lit dans ses pensées. Alors qu’il est paralysé par « le complexe du mille-pattes », et que plusieurs comparses s’appellent laconiquement « K », faut-il y voir une révérence à Kafka ? Au choix, l’on peut être « enfermé dans un point », trouver sa bouche changée en « grenouille hybride », ou se reconnaître autre : « Dans un instant de lucidité, j’ai consulté le grand miroir à côté du lit, et j’y ai vu Mr K ».

Entre « Gueule du monstre », « Terrorisme au ciel » et « Médicament de la mort », où « une Fatwa a peut-être été promulguée », l’on hésite : folie, hallucination, déni de réalité, dérangement psychologique, lois physiques de l’univers débordées ? « L’invisible s’est révélé possible » en cette prose envoûtante à la métaphysique inquiète et vertigineuse. Les métamorphoses traumatiques et de plus en plus abstraites côtoient les rêves borgésiens.

Etonnant à maints égards, Zaki Beydoun cumule quatre recueils fantastiques, volontiers surréalistes, un doctorat de philosophie qui lui permet d’enseigner en Chine et d’y épouser une Chinoise professeur de français. La philosophie serait-elle devenue folle ? Ou pour le moins perspicace tant il s’agit de dire sans dire, de feindre le fantastique et la métaphysique, pour ne pas dire la réalité du totalitarisme communiste chinois…

 

Le conte philosophique, ou apologue, qu’il joue avec les époques en les subvertissant par la dystopie, comme chez Jonas Karlsson et Kjell Espmark, ou qu’il convoque les fabulosités du fantastique, comme chez Trias de Bes et Laurent Pépin, aura de longtemps la capacité d’inspirer lecteurs et écrivains. Le satiriste politique autant que le rêveur des pouvoir des bibliothèques y trouveront sans fin leur miel, amère pour celui qui est l’objet d’une disparition fomentée par une administration, un régime totalitaire, cependant voluptueux pour le lecteur, à l’abri des pages parmi lesquelles ne s’est pas encore évanouie l’encre.

 

Thierry Guinhut


[1] Richard Matheson : Intrusion, Flammarion, 1999.

[2] Roger Caillois : Anthologie du fantastique, Le Club Français du Livre, 1958, p. 10.

[3] Marcel Aymé : Le Passe-murailles, Gallimard, 1943, p 21.

[5] Laurent Pépin : Monstrueuse féérie, Fables fertiles, 2022.

 

 

Collégiale de La Romieu, Gers.

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
11 décembre 2023 1 11 /12 /décembre /2023 18:39

 

Orphée, Musée Massey, Tarbes, Haute-Pyrénées.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Poèmes magiques et cosmologiques d’Orphée.

Pouvoirs & fonctions de la poésie.

 

 

Orphée : Poèmes magiques et cosmologiques,

traduit du grec par Alain Verse,

Les Belles Lettres, 2023, 182 p, 21 €.

 

 

 

« Favola in musica » et sujet obligé de l’opéra, le chant d’Orphée résonne depuis Monteverdi en 1607, en passant par celui parodique d’Offenbach en 1858, jusqu’au Voile d’Orphée, composé par Pierre Henry en 1953 avec des moyens électroniques. Et si l’on s’appuie sur la mort de son épouse Eurydice qu’il ne parvient pas à ramener des Enfers, ainsi que le racontent Virgile dans les Géorgiques et Ovide dans les Métamorphoses, l’on oublie qu’il mourut déchiré par de jalouses Ménades, sa tête posé sur sa lyre flottant sur les eaux, tête continuant de chanter... Le pouvoir de son chant avait charmé animaux et plantes, jusqu’aux pierres, avait endormi Charron, touché Perséphone et l’inflexible Hadès, d’où une réputation sans égale. Mais connait-on les vers de celui qui porte si haut sa lyre ? Magiques et cosmologiques, les voici traduits depuis des lamelles d’or et des papyrus, par Alain Verse. De telles révélations n’ont pas fini de faire d’Orphée l’allégorie de la poésie, et d’inspirer mille poètes, qu’ils soient lyriques, engagés, épiques, didactiques, en vers rimés, voire en prose.

 

Voici un corpus parcellaire, d’autant plus fascinant qu’il laisse imaginer une œuvre souverainement complète, à l’image du cosmos, dont il offre, par le biais d’une théogonie, le tableau de la création. C’est ainsi que nous parvient l’œuvre du poète mythique, venu des légendes de Thrace, fils du roi Œagre, également dieu d’un fleuve, et de la Muse Calliope, la plus savante et maîtresse en poésie épique. Pour les Anciens, Orphée était non seulement un poète stupéfiant, un devin, un musicien, un chanteur, mais de surcroit un fondateur de Mystères, non loin de ceux de Dionysos. S’il était capable de traverser les Enfers sans peine, du moins sans pouvoir répéter cet exploit, la mort ne l’a pourtant pas épargné. Le ressuscitant, ses textes sont d’une importance fondamentale, parce que l’on y trouve une révélation antérieure à toute autre, car Orphée parle directement sous l’inspiration des dieux. Cette révélation donne la clef de la création du monde et de l’homme ; elle pose le principe de l’immortalité de l’âme et fonde les pratiques rituelles initiatiques pouvant conduire l’être humain à dépasser sa finitude.

Quoique moins rigoureuse que celle d’Hésiode, du moins en fonction des 23 colonnes de textes conservées sur un papyrus carbonisé, la théogonie d’Orphée conte comment Zeus  s’empare du pouvoir après avoir avalé Protogonos, le Premier né, tout en rappelant sa généalogie divine : Nuit, Ouranos et Cronos. Le récit s’arrête brusquement au moment où Zeus désire sa mère, ce qui présidera à la naissance de Dionysos…

Quant aux Rhapsodies, elles se veulent « discours sacrés », en XXIV chants, soit autant que l’Iliade et l’Odyssée, ce qui n’est en rien un hasard, tant l’ambition est grande de se mesurer aux poèmes homériques. Hélas, là encore, nous n’avons conservé que des bribes de cette théologie orphique. Chronos donne naissance à l’Ether et au Chaos, puis à partir d’un œuf, à un être double : deux paires d’yeux, deux sexes, des ailes et quatre têtes animales. Il s’appelle parfois Phanès, parfois Eros. Il est celui qui transmet le sceptre à la Nuit, qui est sa fille-épouse et également sa mère. C’est au tour d’Ouranos (le Ciel), de Gaïa (La Terre) et de Pontos (la Mer), d’enfanter Cyclopes, Titans et Titanides. L’on sait qu’Ouranos est châtré par Cronos, selon Hésiode ; ici Zeus châtre son père Cronos et avale Phanès, permettant ainsi l’apparition de tous les autres dieux. Zeus n’arrête pas là ses talents ; en effet, s’unissant avec Corè, il engendre Dionysos, lui-même tué et mangé par les Titans jaloux, avant qu’ils soient châtiés par Zeus, qui les foudroie et les enchaîne dans le Tartare. Que l’on se rassure, le cœur de Dionysos, sauvé par Athéna, permet de lui redonner vie, en un éternel recommencement. À cette théogonie succède une anthropogonie, soit l’apparition des hommes, depuis la chair mêlée de Dionysos et des Titans, et dont l’âme pourrait passer parmi les créatures, humaines et animales, d’où la possible remontée de l’âme vers le divin. Probablement ces Rhapsodies furent-elles composées quelque part entre la fin du premier siècle et le début du second.

Lisons sur une lamelle d’or, provenant de Thourioi  depuis le IV° siècle avant Jésus Christ et conservée au Musée archéologique national de Naples :

« Mais sitôt que l’âme a quitté la lumière du soleil,

Va sur la droite aussi loin qu’on peut

Aller, en étant bien sur tes gardes.

Salut, ô toi qui as souffert la peine ;

Cette peine tu ne l’avais jamais connue auparavant,

Tu es devenu dieu d’homme que tu étais.

Chevreau, tu es tombé dans le lait.

Salut, salut, toi qui chemines sur la voie de droite,

Vers les saintes prairies et les bois de Perséphone. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      En ce sens, l’orphisme est une doctrine du salut. Une souillure originelle condamnant l'âme à un cycle de réincarnations, seule l'initiation doit pouvoir  la conduire vers une survie bienheureuse où l'humain rejoint le divin. Une telle eschatologie est entretenue dans une littérature poétique apocryphe hellénistique, puis néoplatonicienne, en particulier par le soin de Proclus, Damascius, voire Plotin. Cependant nombre d’auteurs antiques, dont Platon, ne manquaient pas de voir là charlatanisme et ramassis de superstitions.

Une autre lamelle confirme l’autorité du poète : « je possède le don de Mnémosyne, célébré par des chants chez les hommes ». Mnémosyne étant la déesse de la Mémoire, mère des neuf Muses, l’on conçoit combien il ne peut y avoir inspiration sans mémoire, et combien cet Orphée est originel, de plus le garant de la transmission du don poétique parmi les générations.

Ce savant volume commence par un choix de plus de 250 témoignages antiques, en particulier, celui d’Hérodote, le plus ancien. Les fragments « veteriora », côtoient les tablettes « orphiques », les papyrus de Derveni, les Stemma des théogonies orphiques et les rhapsodies, ou discours sacrés. Le tout attestant des plus anciennes théogonies et doctrines orphiques aux Ve et VIe siècles avant Jésus Christ. Alain Verse a présidé au choix des textes et aux traductions, restituant la beauté stupéfiante du chant, alors que l’édition est revue et augmentée par Alexandre Marcinkowski, non sans une précieuse postface de Luc Brisson, fort documentée. Ainsi nous découvrons où les auteurs néoplatoniciens ont élaboré leurs exégèses si subtiles de ces textes. Volume d’autant plus précieux que l’édition des Hymnes[1], à l’Imprimerie Nationale, est épuisée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toute une tradition fit d’Orphée le créateur, le propagateur et l’inspirateur de la poésie. Tout poète a une dette envers lui. Quelques soient les fonctions qu’il assigne à ses vers. Rainer Maria Rilke n'en témoigna-t-il pas en ses Sonnets à Orphée ?

« Je sais l'art d'évoquer les minutes heureuses ». Ainsi Baudelaire était-il un nouvel Orphée dans « Le balcon », publié en 1857 parmi Les Fleurs du mal. Ramener le passé à la présence réelle et donner au présent son plein éclat grâce au pouvoir des mots et des vers, seraient donc la fonction du poète armé de sa lyre ; comme le fit Orphée, dans Les Métamorphoses d'Ovide, charmant Charron et Pluton au royaume des morts et tentant de ramener à la vie et à l'amour son Eurydice. Sensations et sentiments sont alors le miel du poète qui, écrivant ses vers mélodiques et imagés, privilégie le registre lyrique. Mais la poésie a-t-elle pour unique fonction cette expressivité des sentiments ? Certes, le lyrisme, et plus précisément le romantisme, sont le ressort des vers ; pourtant, la fable, la poésie engagée, l'Art pour l'art ont bien d'autres fonctions, quoique avant de devoir servir à quelque chose, la création poétique soit d'abord et dans tous les cas osmose réussie entre un dire, un sens, ses images et sa musicalité.

Le préjugé commun dirait sans doute que la poésie sert à exprimer ses sentiments. Si le mot grec « poiêsis » signifie création, elle est aussi une qualité d'émotion, donc, de manière élective, le support de ce lyrisme qui existe depuis l'Antiquité et sous tous les climats. Et bien sûr l'amour en est le thème roi. Du Romain Properce « À la gloire de Cynthie », jusqu'aux Yeux d'Elsa de Louis Aragon, en passant par Les Amours de Ronsard, tout est tendresse et passion, charme et éloge :

« Marie, qui voudrait votre nom retourner,

Il trouverait aimer ! Aimez-moi donc, Marie ».

Ainsi chante au XVI° le poète de la Pléiade qui affectionne le sonnet pour exalter et offrir à l'aimée ses plus purs sentiments, comme l'a fait après lui Shakespeare, ou plus tard encore Baudelaire...

 

Eisen : Orphée. Ovide : Les Métamorphoses, Desray, 1807.

Photo : T. Guinhut.

 

Mais d'autres lyrismes proposent d'extérioriser d'autres affections, pour les calmer peut-être. Lorsque Victor Hugo va se recueillir sur la tombe de sa fille Léopoldine dans « Demain, dès l'aube», sa plainte et sa détresse s'expriment avec pudeur dans un registre élégiaque. Paul Eluard, lui, propose un ardent éloge à « Paris [sa] belle ville » dans « Courage ». Nombre d'entre eux utilisent le « je » pour marquer leur intimité et permettre ainsi l'identification du lecteur qui trouvera son sentir mieux exprimé qu'il en était capable...

Indubitablement, c'est le romantisme qui a porté à l'incandescence les sentiments personnels. John Keats, dans l'« Ode à un rossignol » est « à demi amoureux de la mort secourable », dans une exacerbation de sa mélancolie. Alphonse de Lamartine, dans « Le Lac » et devant la fugacité du bonheur des amants, commande vainement : « O temps ! suspend ton vol ». Plus loin, dans Les Méditations poétiques, il énonce ce que nous avons tous ressenti : « Un seul être vous manque est tout est dépeuplé ». Gérard de Nerval commence ainsi son sonnet : « Je pense à toi, Myrto, divine enchanteresse », pour terminer « El desdichado » par :

« Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée

Les soupirs de la sainte et les cris de la fée ».

Il pense offrir à l'aimée autant qu'au lecteur la quintessence de l'expression des sentiments, de façon à les persuader de leur intensité et de sa sincérité... Orphée, d'ailleurs, étant l'archétype du poète lyrique puisqu'il parvient à séduire par son chant aussi bien les animaux que les dieux des Enfers pour presque parvenir à en ramener son Eurydice, ramenant le lecteur auprès de celle qu’il aime et que seule la poésie peut rattraper au-delà du temps.

Cependant, même les romantiques ont su ne pas se limiter à la poésie lyrique. En effet, qu'ils s'appellent Alfred de Vigny ou Victor Hugo, ils ont cherché à exprimer bien autre chose que des sentiments personnels, à travers le didactisme ou l'engagement. Dans la tradition de l'apologue, Alfred de Vigny fait des alexandrins de « La mort du loup » un précepte stoïcien, enseignant l'homme à supporter la douleur, à l'exemple des animaux. C'est dans ce genre, où se sont illustrées les Fables choisies mises en vers de Jean de La Fontaine, que nous connaissons tous « Le corbeau et le renard », que nous retenons que « Tout flatteur vit au dépens de celui qui l'écoute ». Ainsi divertir et instruire sont les fonctions jumelles de la poésie. Nous savons grâce au « pouvoir des fables », qu'

« À ce reproche l’assemblée,

Par l’apologue réveillée

Se donne toute entière à l’orateur :

Un trait de fable en eut l’honneur ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Victor Hugo, lui, a mis toute sa passion pour la liberté des peuples dans Les Châtiments, conspuant Napoléon III et son coup d'état, celui qu'il appelait par ailleurs « Napoléon le petit », avec cependant bien de l’inhustice. Cette poésie engagée, dans la tradition des Tragiques d'Agrippa d'Aubigné qui, au XVI°, s'attaque aux vices des puissants et dénonce les guerres de religions, trouve son champ d'élection pendant la Seconde guerre mondiale, lorsque Louis Aragon, Robert Desnos et Paul Eluard appellent à la Résistance, à la libération de la France occupée par la tyrannie nazie, dans un recueil commun, clandestin et signé de seuls pseudonymes : L'honneur des poètes. L’on se souvient que « Liberté, j'écris ton nom » d'Eluard fut par jeté par les avions anglais au-dessus de la France résistante : quelle belle preuve du pouvoir des mots et des vers, preuve que n’eût pas méprisé Orphée lui-même... Pierre Seghers, dans La résistance et ses poètes, refuse que ces derniers se réfugient dans une « tour d'ivoire » et légitime l'engagement de celui dont le devoir ne se limite pas à chanter sa bien-aimée. Il s'agit donc d'une poésie argumentative qui, au-delà de ses talents de persuasion, de conviction et de délibération (comme lorsque Paul Eluard dans « Courage » appelle les Français à libérer Paris), manie tous les talents de l'image et de la musicalité, non sans faire parler l'émotion et la responsabilité.
      Il y a bien moins d'émotion, hors l'admiration esthétique, dans l'Art pour l'art. Au milieu du XIX° siècle, Théophile Gautier préfère le marbre : « le carrare / Avec le paros dur », car « l'art robuste / Seul a l'éternité. » Les Parnassiens fondent une école poétique, en réaction contre le romantisme, qui perdurera jusqu'aux sonnets des Trophées de José Maria de Hérédia. La poésie alors ne doit rien au didactisme, ni aux sentiments, ni à l'engagement, elle se veut pure perfection plastique, non sans froideur peut-être. L'écriture des poèmes sert-elle alors à la société ? Ne sert-elle pas d'abord le langage, notre capacité à dire le moi et le monde, dans la plus pure tradition orphique...
      Que l'on compose en classiques alexandrins, en vers libres, en versets, voire à l'occasion d'un poème en prose, il ne suffit pas d'avoir un bon sujet, qu'il soit émouvant, moral, politique ou esthétique, encore faut-il savoir y unir la suggestion des images et les pouvoirs de la musicalité, cette « sorcellerie évocatoire » dont parlait Baudelaire, de façon, comme le fit Orphée, à charmer hommes et animaux, peut-être jusqu'aux dieux des Enfers. La preuve : dans la poésie en prose, comme chez Charles Baudelaire dans Le Spleen de Paris, ou dans « L'huître » de Francis Ponge, les métaphores rayonnent : « Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre d'où l'on trouve aussitôt à s'orner ». De plus les assonances en « ou » et « o » permettent à cette formule linguistique, à ce bijou de mots tiré du Parti pris des choses (1942) d'accéder à une puissante magie incantatoire.
      Qu'il s'agisse des vers de Charles Baudelaire dans « L'invitation au voyage », « Là, tout n'est qu'ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté », ou du « Tendre est la nuit » de John Keats dans son « Ode à un rossignol », l'orphique pouvoir de suggestion suscite l'envolée de l'imagination du lecteur. Ne s'agit-il pas là de la plus haute fonction de la poésie, nous transporter dans un état second de la perception pour une connaissance plus pure du monde et du moi.
      « Un poète est un monde enfermé dans un homme » disait Victor Hugo. Mais le devoir de ce perpétuel Orphée n'est-il pas, en recourant à l'expression poétique de ses sentiments, d'ouvrir ce monde à autrui, à ses secrets lecteurs ? Monde d'émotions, d'indignation politique antitotalitaire, d'art plastique, qu'il soit inspiré par la statuaire grecque ancienne ou par le zen japonais, il est, comme le disait Paul Verlaine « De la musique avant toute chose », une « invitation au voyage » vers le réel autant que vers l'imaginaire. Faut-il penser avec Percy Bysshe Shelley, aux dernières lignes de sa Défense de la poésie, que « Les poètes sont les législateurs non reconnus du monde » ?
 
      Les peintres n’ont pas échappé à la fascination orphique. Pensons à Jean-Baptiste Corot, dont le porteur de lyre parcourt le mystère des forêts ; à Gustave Moreau, dont la lyre picturale confine aux prémices de l’abstraction…

 

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Orphée : Hymnes et discours sacrés, Imprimerie Nationale, 1991.

 

Emile Blin : Orphée et Eurydice, Hôtel de Ville, Poitiers.

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
2 décembre 2023 6 02 /12 /décembre /2023 17:49

La Couarde-sur-Mer, Île de Ré, Charente-Maritime.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Les carnets poétiques et photographiques

de Patti Smith :

Babel, La Mer de corail, Dévotion,

Un Livre de jours.

 

 

Patti Smith : Babel, Bourgois, 1981, 226 p, 95 F.

 

Patti Smith & Robert Mapplethorpe :

La Mer de corail, Tristram, 1996, 72 p, 130 F.

 

Patti Smith : Dévotion, Gallimard, 2018, 160 p, 14,50 €.

 

Patti Smith : Un Livre de jours, Gallimard, 2023, 400 p, 26,50 €.

 

Arthur Rimbaud, Patti Smith :

Une Saison en enfer, 2023, Gallimard, 176 p, 45 €.

 

 

 

Même un amateur inconditionnel de Jean-Sébastien Bach doit reconnaître que la musique de Patti Smith a de la gueule, pour parler familièrement. Parmi treize albums, Horses, Estear, Peace and Noise résonnent à nos oreilles secouées, émues. Celle dont le diminutif vient de Patricia Lee Smith, est née 1946 à Chicago, pour galérer dans sa jeunesse agitée, et devenir une chanteuse et guitariste rock, sans oublier l’étonnante écrivaine, artiste-peintre et photographe. Rythme beat et garage rock s’entrechoquent au point qu’elle soit une icône du mouvement punk. Sa voix est à la voix rauque et lyrique, enragée, prometteuse, voix dont l’engagement politique en faveur des libertés, pour les Pussy Riot, pour Edward Snowden, contre la guerre en Irak, puis le réchauffement climatique d’origine anthropique (du moins pense-t-on), en fait une figure étincelante, presque universelle. Et si l’on est réticent à l’égard d’une bruyante musicalité, d’une chanson aux accents populaires, et cependant personnels, reste le silence profondément  parlant, onirique, des recueils, des livres, où la photographie est une autre dimension du silence sur la page. Entre Babel et Un Livre des jours, bruit avec émotion un puzzle poétique et autobiographique.

Abandon de la tour et brisure des langues, le mythe de Babel nous parle autant de la juste colère du Dieu face à l’orgueil humain que de la perplexité devant l’incroyable diversité des parlers qui s’entrechoquent, incompréhensibles les uns aux autres. À ce vice humain, Patti Smith a renoncé, lorsqu’en 1970 elle avait soudainement abandonné le stade de Florence où se massaient 80 000 idolâtres, pour se marier, faire des enfants, écrire dans une campagne lointaine près de Detroit. C’est ainsi qu’est né, en 1974, le recueil intitulé Babel, un livre que l’histoire de la poésie ne peut ignorer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un arrière-plan rimbaldien et surréaliste, une influence de William Burroughs, tout conspire à faire de ce recueil une transe électrique, où l’écriture automatique se mêle à l’inspiration poétique pour nourrir un flux orphique, entre nécessité du cri et alchimie créatrice, dans le sillage de Rimbaud, dont la forme du poème en prose permet de se faire autre par la langue. Ce dont témoigne « Le rêve de Rimbaud », dont notre poétesse se prétend « une veuve », et auquel, en dépit du siècle qui les sépare, elle adresse un fantasme torride : « oh arthur arthur. nous sommes en aden abyssinie. faisons l’amour »…

Mais aussi à l’aide - ou en dépit - des drogues, comme l’indique l’incipit de l’ouvrage : « héroïne : l’artiste. la première maitresse se tord dans un jardin honoré de brins d’herbe hautement polie… délivrance (éthiopium) est la drogue… un cri de bête dit tout… des notes versées dans la caste liberté… la liberté d’être intense… de défier l’ordre social et de briser la lente monotonie assassine de la censure. ». Ainsi, dès cette déclaration d’intention inaugurale, la prose de Patti Smith est luxuriante, vibratoire et sensuelle, non sans inquiétudes devant les orages des années 1970 et le désarroi métaphysique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le titre trouve bien évidemment sa justification. L’on découvre « l’architecte suprême - celui qui avait mis le feu aux fondations de babel. celui qui avait fait passer le nom des noms par la langue et la matrice d’une femme. celle qui avait provoqué dieu à briyer et cracher des commandements de dents et de mangues. d’ève le vengeur. devise derviche ». L’on notera la ponctuation toute personnelle.

Et, pour clore son livre, elle revient au « pré babel », offrant à son lecteur une sorte de talisman vocal : « ton opium c’est l’air que tu respires / et les façons dont tu manipules tes particules de charme ».

Les expériences d'écriture automatique présentent de lumineux moments, des instants abscons, des pages mélancoliques. Comme les pièces dissemblables d’un puzzle dont il faudrait trouver la cohérence, peut-être impossible, sinon la diffraction du moi Patti Smith, qui est un peu le nôtre. Les portraits d’Edie Sedgwick et de Georgia O'Keeffe sont des moments phares, quand la dernière partie en prose « Babel » qui donne encore son nom au recueil, illumine de ses « Soleils » l’ampleur d’une poétesse « digne d’être adorée par un monastère. pourvue de tous les vices ». Bien que jailli il y a déjà un demi-siècle, ce livre « dédié au futur », reste vigoureusement séminal…

 

Librairie La Belle Aventure, Poitiers, Vienne.

Photo : T. Guinhut.

 

Si Babel est illustré de quelques malhabiles photographies de son auteure, La Mer de corail est cette fois un réel dialogue entre une quinzaine de poèmes en prose et les photographies de Robert Mapplethorpe. Elle vécut avec lui, non seulement à la ville et à la campagne, mais dans une communion créatrice. C’est lui le créateur des pochettes de ses disques, et sa photographie sensuelle, associant portraits, nus et fleurs, entre un néo-classicisme assumé et des représentations sadomasochistes, lui permit d’obtenir la consécration du Whitney Museum de New York en 1988, avant qu’hélas il meure du Sida à 42 ans.

Statues, herbe, fruit, icebergs en noir et blanc, muets et calmes, voisinent avec des textes intensément lyriques, élégiaques et tragiques. Car il s’agit d’un texte de deuil : « Quand il est parti, je n’ai pas pu pleurer, alors j’ai écrit ». Morphée, « dieu des rêves », préside à l’écriture, tandis que la mer du titre est « aussi dense qu’un Rothko ». Le voyage, onirique en diable, emprunte un bateau qui est à la fois celui des mers solaires et du Styx. L’on y croise un personnage, « M », pour Mapplethorpe - nous l’avons deviné – qui est évoqué avec tendresse : « Inclinant la tête il sentit quelque chose lui effleurer la joue. C'était un de ses cils, qu'il ôta avec une délicatesse de collectionneur ». Ce dernier voyage, testamentaire, tente d’aspirer à une transcendance : « Il avait ignoré la nature, et désormais se tournait vers elle pour son salut, entreprenait de faire la paix avec elle, s’inclinant devant ses mystères ».

Deux parties, « Voyage » et « Litanie », composent ce recueil, la seconde étant un triptyque presque religieux, en tous cas spirituel, conçu comme suit : « Crux », « Magua », « Imago ». Comme si le photographe-amant avait été changé en ange : « Car M avait échappé à l’emprise de la Mer de Corail et investi la destinée en fixant sur son sein ses grandes ailes, confiant ses mêmes ailes aux bras repliés de la diaconesse sur son âme ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Titre apparemment religieux, Dévotion s’adresse à l’écriture. Celles de Simone Weil, Arthur Rimbaud, Patrick Modiano, Albert Camus transparaissent en filigrane parmi ce qui est à la fois récit et journal intime, là où « la Muse cherche à être vivifiée ». Tous ces auteurs sont en quelque sorte les maîtres de Patti Smith, poursuivis à Paris puis en Provence, mais avec précaution et respect. Comme lorsque la fille de Camus, Catherine, lui permet de prendre entre ses mains le manuscrit du Dernier homme : « On ne pouvait s’empêcher de remercier les dieux d’avoir doté Camus d’un stylo intègre et judicieux ». Dévotion encore dont témoignent quelques photographies, entre Saint-Germain-des-Prés et Lourmarin, là où dorment les pierres tombales solitaires de ses écrivains d’élection.

Au cœur du recueil, la nouvelle-titre anime « une Simone Weil toute menue ». Un admirateur, intrigué, la suit pour la découvrir patiner avec art sur un étang gelé : « il était enflammé par le ravissement dans lequel elle était ». Et lorsqu’il laisse à l’intention de la patineuse un luxueux manteau, ce dernier « lui procurait la chaleur d’un miracle ». Elle s’appelle Eugenia et confie sa vie à son journal intime. Son destin se résume ainsi : « synthétiser la danse classique et le patinage ». Que sera pour elle ce marchand d’art qui lui offrit ce manteau, alors que « le patinage [est] son amant » ? Néanmoins, puisqu’il lui offre de réaliser à Vienne son rêve, elle devient l’aimée d’Alexander. Sur la glace, c’est à Maria d’être son entraîneuse exigeante en même temps que fascinée par son talent : « As-tu fait un pacte avec le diable, quelque marché inavouable ? s’enquit-elle en riant ». Il l’emmène voyager, sur les traces de… Rimbaud encore. Le crime, avec le fusil du poète, la libère d’Alexander, afin de revenir à sa maison forestière près de l’étang, pour une fin tragique suggérée…

En ce conte, une telle patineuse, que l’obsession pour son art conduit à l'irrémissible, ne peut que s’inscrire dans le cadre d’une réécriture du mythe de Faust, tel que Goethe le magnifia. N’est-ce pas l’image de l'engagement et de la passion, non sans risque, dont notre auteure fit et fait sans cesse preuve ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est à une sorte d’autoportrait mental, un bilan autobiographique, que notre chère Patti Smith se livre à l’occasion de son Livre de jours, confectionné pendant la pandémie covidienne et publié en 2022 aux Etats-Unis. L’exercice est celui d’une nostalgie créatrice. Les amis disparus, les tombes, tout témoigne d’une dimension élégiaque ; ainsi ce « drapeau de la Marine de mon frère, plié et noué par lui. En sa mémoire il restera toujours ainsi ». Le bel objet-livre ressortit également au « collage fragmenté de notre époque », entre fragment de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis et compositions en révérence à des artistes comme Franz Zappa ou Jean Genet. Des autoportraits en noir et blanc, une tasse de thé sur les anges en couleur de Giotto, une icône de Saint-François dans la cuisine, des cafés à Paris et Zurich, tout un univers aux larges amplitudes culturelles et géographiques fait face au temps, ainsi conjuré. Parfois, d’étonnantes compositions confinent au mystère de l’abstraction, comme ce « Manteau noir avec sommet », étrange mausolée funéraire et mystique. « Objet-fétiches », disques, livres sont mis en scène, avec leurs couvertures rouge passé, leurs pages aimées : Marcel Proust, Jim Morrison, témoignant de l’éclectisme et de la curiosité de notre mémorialiste. Quant aux mains vieillies, elles reposent sur un manuscrit, ou se lèvent pour le public lors d’un concert. En ce sens, ce volume est paisiblement narcissique, autant qu’un don à autrui.

Ainsi la photographie fut longtemps la compagne de Patti Smith. Il n’est que de rappeler son récit allégorique illustré par celui qui fut l’un de ses chers amants : Robert Mapplethorpe. Mais notre poétesse n’a pas la prétention d’égaler la maîtrise plastique de ce dernier. Ce sont ici, pour chacun des 365 jours de l’année, des polaroïds, puis au smartphone, des photographies publiées sur Instagram, sur les conseils de sa fille Jesse. Même si l’on y croise des images d’autrui, des portraits iconiques, de Martin Luther King, ou de Greta Thunberg, en cela redevable de l’esprit du temps, peut-être plus discutable. Au-delà de l’indéniable intérêt de la démarche et de la réalisation, composant un portrait kaléidoscopique de notre héroïne, le lecteur ne peut-il pas s’en inspirer pour créer son propre livre de jours…

 

Sa passion pour Arthur Rimbaud est telle qu’elle acheta en 2017 la maison qui avait remplacé celle de la mère du poète à Roche, près de Charleville-Mézières, où il écrivit Une Saison en enfer. L’on ne s’étonnera pas qu’avec une scrupuleuse dévotion elle publie aujourd’hui une édition de ce recueil de 1873, qu’elle qualifie de « drogue de ses jeunes années », édition illustrée de maints documents, dessins et photographies dont l’émotion est palpable. C’est l’occasion rêvée de « mettre mes pas dans les siens », écrit-elle. Au point qu’à la faveur du frontispice elle se soit photographiée avec le pistolet dont Verlaine usa pour tirer sur le poète, silencieux dans sa main, comme une sorte de Calamity James de la poésie. Elle arbore pensivement « ce petit objet, témoin de tant d’amour et de souffrance », que l’on retrouve coloré par les voyelles du fameux sonnet aux synesthésies. Car aux côtés des poèmes prose, figurent ceux en vers, sans omettre de reproduire fort lisiblement les manuscrits. Les « Lettres à sa famille », concluent l’ouvrage, dont les photographies, sont tantôt documentaires, tantôt allusives, tantôt métaphoriques. Et combien est émouvante, en guise d’épilogue, cette silhouette mangée par ses longs cheveux gris, qui se dresse sur une plage ventée, comme une statue de mémoire…

L’hommage à l’adresse de cet adolescent « qui reconnaissait et repoussait tous les miroirs, combattait tous les démons, démasquait les archanges et prophétisait l’époque moderne », se présente avec modestie comme celui d’« une distillation basée sur mes lectures et mon intuition ». Il n’en reste pas moins que Patti Smith n’honore pas seulement notre discothèque mais notre bibliothèque, en veillant Rimbaud, et surtout au moyen de sa rimbaldienne et néanmoins personnelle « Babel », pour reprendre le titre d’un recueil étrange et non moins sonore pour notre émotion et notre imagination, dans lequel « le son est le ver curatif injecté dans le bas-ventre de la langue d’amour ».

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Un Livre de jours

fut publiée dans Le Matricule des anges, octobre 2023.

 

79Tours VinylShop, Niort, Deux-Sèvres.

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
26 novembre 2023 7 26 /11 /novembre /2023 14:54

 

Cathédrale Saint-Gatien, Tours, Indre-et-Loire.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Beau religieux et désacralisation de l'art

versus théocratie.

En passant par Kamel Daoud

& Michel Guérin :

Le Peintre dévorant la femme,

Le Temps de l’art

& Bibliodyssée.

 

 

 

Kamel Daoud : Le Peintre dévorant la femme, Stock, 2018, 220 p, 17 €.

 

Michel Guérin : Le Temps de l’art. Anthropologie de la création des Modernes,

Actes Sud, 2018, 448 p, 25 €.

 

Kamel Daoud & Raphaël Jerusalmy :

Bibliodyssée. 50 histoires de livres sauvés, Imrimerie Nationale, 2019, 219 p, 29 €.

 

 

C’est diversement que les religions ont usé du beau, au service de Dieu, de la création et de l’homme, mais aussi en l’ignorant, en interdisant la plupart de ses potentialités. En ce sens, le beau et son corollaire obligé, l’art, ont une indubitable dimension civilisationnelle, pérenne selon toute apparence. Pourtant deux menaces semblent dangereusement planer au-dessus de la civilisation de l’art, l’une théocratique, si l’on suit Kamel Daoud, l’autre tenant à sa désacralisation, selon Michel Guérin. Voulons-nous que l’œuvre d’art et la beauté soient dissous, ou qu’ils se dissolvent d’eux-mêmes ?

Le christianisme et la chrétienté ne sont en rien iconoclastes. Comme ils n’opposent aucun interdit alimentaire, la coïncidence n’étant en rien fortuite. En ce sens l’on peut s’autoriser à parler de libéralisme. L’on mettra à part le judaïsme, qui prohibe la représentation, mais se rattrape en favorisant l’interprétation des textes sans cesse remise sur le métier, en une émulation intellectuelle profitable. Et si Byzance eut sa longue querelle entre iconophiles et iconoclaste, la victoire des premiers assura la pérennité du beau parmi les icônes.

En revanche l’islam prohibant la représentation de la figure humaine, jusqu’à celle animale, se prive d’une immense possibilité du beau. Même si l’appétence pour la beauté, consubstantielle à la plupart de l’humanité, conduit l’artisan et l’artiste à façonner des mosquées aux céramiques bleutées, des calligraphies savantes ; quoique trop majoritairement à l’usage du texte coranique, hors l’espace persan dont l’atavisme a longtemps permis à leurs manuscrits de s’honorer de savantes beautés humaines, animalières, végétales et ornementales. La théocratie est en cela jalouse du beau qui est un concept brillant par son absence, si l’on excepte l’architecture et la décoration.

Enluminures et reliquaires, chapelles et cathédrales, manuscrits calligraphiés et chapiteaux sculptés, enluminés, retables et triptyques, mosaïques d’or, coupoles peintes, toute la chrétienté aspire à Dieu, loue le seigneur de la Création, depuis le cosmos jusqu’au corps d’Adam et Eve, dont la nudité est la beauté native. La lumière solaire traversant les vitraux historiés de scènes bibliques aux couleurs de l’arc en ciel n’est-elle pas la métaphore du « Fiat Lux » inaugural de la Genèse ?

Pourtant la pudibonderie ecclésiastique n’a pas manqué de fustiger le nu. Si Tertullien Père de l’Eglise du III° siècle, plaide en faveur des femmes qui « simples encore et dépourvues de tout ornement, dans leur beauté inculte et native […] avaient bien pu séduire les anges », il fustige les diaboliques apprêts, les bijoux, « cette poussière noire destinée à peindre le contour des yeux », car « les ornements destinés à relever la beauté ne vont pas sans la prostitution du corps », et « parce que le désir de plaire par la séduction de la beauté vient d’un cœur corrompu». N’y-a-t-il là un anathème contre la beauté, qu’elle soit naturelle ou cosmétique, voire artistique ? Sans oublier l’injonction à voiler la chair et la féminité : « En vain, vous courez après une fastueuse magnificence ; en vain vous appelez pour bâtir l’édifice de vos cheveux les mains les plus habiles, Dieu commande que vous soyez voilées[1] ». Fort heureusement la chrétienté n’emboita guère le pas à un tel rabat-joie. Alors que l’islam s’appuyant sur deux versets de son livre est infiniment plus rigoureux, d’autant que notre contemporain observe l’influente instrumentation politique de ce voile infamant et sexiste, véritable attentat à l’encontre du visage, siège de l’identité individuelle et signe ainsi giflé de la beauté, sinon physique, morale, du moins espérons-le…

Le linge de Véronique, essuyant le visage maculé de sang et de sueur du Christ lors de sa passion, n’est-il pas une nécessité, un témoignage de la dimension humaine et corporelle de ce dieu qui a su se faire homme - ce qui est inconcevable en islam - et, de manière logique, l’affirmation de la représentation, à fin d’adoration certes, mais aussi de connaissance du visage ? Il est la figure du visible, pour reprendre l’argumentation de l’essai de Jean Clair[2], dont ce même linge orne la couverture, assurant du même mouvement la possibilité de la beauté divine au travers de la laideur des traits mortifiés, donc la direction de la transcendance et de la résurrection.

En conséquence le beau religieux, essentiellement chrétien, est antinomique non seulement de l’islam, mais de la théocratie. Car tant qu’elle est inséparablement religieuse et politique, elle ne peut que restreindre non seulement les libertés, mais également la culture de la beauté. L’on sait combien les talibans et autres islamistes détruisent les Bouddhas de Banyan, les antiquités sumériennes, brûlent les bibliothèques, interdisent la musique, alors que l’Occident chrétien a cultivé le chant grégorien et la polyphonie, les orgues et les cantates, à la fois instrumentales et vocales, soit le beau musical. Cependant en une dommageable et récurrente misogynie, la papauté interdit un temps les femmes sur la scène de l’opéra, culpabilisant la beauté de leurs gorges, et conduisant à la cruauté infligée aux castrats, quoique leurs voix d’or puissent se consacrer autant à l’opéra profane qu’aux oratorios sacrés.

Reste un attentat contre la beauté, soit les feuilles de vigne apposées sur les sexes, jusque parmi les fresques de la Chapelle Sixtine exécutées par Michel-Ange. S’il est permis de discuter de l’esthétique des appareils génitaux, celui féminin, dont le pubis s’orne d’un duvet charmant, paraît plus flatteur à l’œil, ne serait-ce que par sa discrétion, le ridicule ne peut qu’éloigner du sentiment de la beauté, plastique, érotique, sculpturale et picturale.

 

Museu de l'Abadia de Montserrat, Catalunya.

Photo : T. Guinhut.

 

Si le temps de chacun de nous est compté, jusqu’à sa funéraire disparition, celui de l’œuvre d’art a la capacité de nous dépasser, voire, selon les Anciens, de se fixer dans une éternité. Pour la rejoindre, Kamel Daoud n’a qu’une nuit. Une nuit éclairée parmi le temps civilisationnel de l’art. Une « nuit au musée », pour déambuler, s’il ne cède à l’attrait du sommeil, parmi les toiles et les sculptures, où il découvre, avec effroi et fascination, Le Peintre dévorant la femme[3]. De cette méditation nocturne, est né un livre qu’il aura fallu plus du temps d’une nuit pour l’écrire, en sa fenêtre bruissante d’éros, et cependant confronté à des civilisations radicalement opposées.

L’on sait que Kamel Daoud est un romancier, journaliste et polémiste algérien : « Je suis un Arabe », reconnait-il. Ce qui ne fait pas de lui un tenant « de l’espèce gémissante qui en veut à l’Occident » ; voilà une graine d’honnêteté intellectuelle qui vaut son pesant d’or. Il se présente bien plutôt en « copiste du Moyen-Âge, en voleurs d’angles et de possibilités », non sans une modestie qui l’honore, alors qu’il ne manque ni de perspicacité, ni d’art.

Dans le cadre d’une collection « Ma nuit au musée », Kamel Daoud est à son tour convié au musée Picasso de Paris, pour vivre une expérience visuelle onirique, et, bien sûr la confier à ses lecteurs.

Pas le moins du monde effrayé par une sortie des figures et personnages qui pourraient tenter l’aventure nocturne et débouler à son chevet, l’écrivain ne s’inquiète guère non plus de ses conditions de gîte : doit-il et pourra-t-il dormir, dîner et petit-déjeuner sans que les miettes de son croissants importunent les précieux tableaux ? Un « lit de camp » et un « panier-repas » seront son ordinaire. Mais le torrent de sa méditation l’emporte et l’importe bien plus. Dans ce « temple de la chair », où la nudité ne cesse d’être représentée, voire molestée, il n’ose dormir. Même si l’on devine qu’il a surtout écrit après cette expérience, on le voit à l’affut, ne perdant pas une seconde d’observation, pas une occasion d’associations d’idées et de rapprochements culturels pertinents ; et inquiétants.

Satyres, baigneuses et femmes bousculent l’image chez Picasso, qui peint Marie-Thérèse avec dévoration ; elle a dix-huit ans, lui cinquante. Son érotisme est prédateur, venu de l’atavisme du chasseur, néanmoins tempéré par le désir amoureux : « le corps se fait pieuvre, inconsistance, possibilité d’abîme », écrit le voyeur, en une langue intensément poétique, là où « le baiser est la preuve que tout amour est cannibalisme ». Dans le regard de l’observateur, se mêlent la femme française et le fantasme arabe de la houri, qui attend et contente, toujours vierge, parmi soixante et onze semblables, l’élu d’Allah au paradis, toujours en érection, selon l’hyperbole coutumière des hadiths. Ce qui d’ailleurs suscita l’idéalisation des harems par les peintres orientalistes du XIX° siècle et les illustrateurs des Mille et une nuits, en dépit de la condition carcérale de leurs esclaves sexuelles…

Rencontrant un peintre délicieusement ou violemment érotique selon, il s’agit alors autant d’une ekphrasis (c’est-à-dire une description d’une œuvre d’art) que d’un autoportrait intellectuel et moral de l’écrivain. Interrogeant l’art du nu dévoilé de l’Occident, où « Le paradis fait partie de la vie, pas de la mort », Kamel Daoud met à la question ce qui, dans la culture de l’Islam dont il est originaire, est « l’art du djihadiste », celui d’une frustration sexuelle congénitale, d’un « assassin du corps […] qui brûle les impies, les captives, les livres ». Face à l’intense liberté érotique de Picasso, il dresse le réquisitoire le plus vif contre l’obscurantisme musulman le plus fanatique et têtu, par-delà les siècles, car « Allah est le contraire de l’image ». Et, en toute logique, contre tous ceux qui font « triompher le cadavre comme préliminaire », c’est-à-dire « les fascismes, les radicalismes, les utopismes et les grandes dépressions religieuses ». Au point qu’il imagine d’écrire l’histoire d’un djihadiste venu se cacher au musée pour détruire les tableaux, « jusqu’à purifier la terre de Dieu de ce qui n’est pas Dieu ». Ou d’écrire « un essai sur l’esthétique du djihadiste » où triomphe le désert…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ne reste que « l’érotisme de l’écriture », formule sarcastique, celui de la calligraphie arabe qui loue le  nom de Dieu, en effaçant les corps. Après l’explosion charnelle de Picasso, ou la génitale Origine du monde tant censuré de Courbet, il n’est pas sûr que la conjonction des puritanismes, qu’ils soient féministes ou religieux, permettent encore longtemps une telle joie débridée devant la beauté sexuelle.

Or, comme Picasso ressuscitant Dionysos et Eros,  le musée est un espace « où les dieux tués par un Dieu récent reviennent à la surface ». Lieu de rassemblement de l’art et de sa liberté sexuelle, il cristallise les représentations, les identités et les Histoires, heurtant forcément qui les refuse au nom d’une théocratie absolutiste : « le musée est traité comme un détail face à la mosquée », qui si elle devient muséale risque également la destruction, car « elle s’est dégradée en incarnation de l’homme et du temps au lieu d’être le lieu du Dieu et de l’éternité ». Notre écrivain nocturne ne peut ici que rappeler la destruction des icônes de l’art païen, de Palmyre et des statues de Mossoul par les djihadistes, cet autodafé universel, cette condamnation éternelle : « L’occident est une femme et il faut voiler cette femme ». Ce pourquoi le nouveau livre de l’auteur de Meursault contre-enquête[4], vaste poème en prose fouillé, inspiré, est au carrefour de l’esthétique et de la philosophie politique.

Ainsi Kamel Daoud, auteur moins d’un récit nocturne que d’un essai lumineux, est un écrivain au plus noble sens du terme, avec ferveur engagé ; sachant faire le lien entre le temps d’une brève nuit, celui de Picasso et celui de l’Histoire des civilisations, pour admettre enfin que « l’art est la seule éternité dont je peux être certain ». Reste que l’on ne peut s’empêcher de s’interroger : un Picasso, qui sut emprunter un esthétique dessin néoclassique pour animer ses figures, eût aussi à cœur de les casser, défigurer ; est-ce à dire que la beauté en fut blessée, ou qu’elle trouva une autre explosion visuelle ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si l’art ancien était fondamentalement relié au divin, l’art moderne s’en détache de plus en plus, jusqu’à, en son ère postmoderne, devenir absolument athée, détaché non seulement de Dieu, mais aussi de la Vérité, de la Beauté et de l’Histoire. C’est la thèse de Michel Guérin dans Le Temps de l’art. Anthropologie de la création des Modernes[5]. Michel Guérin ouvre de ses bras conceptuels le vaste Temps de l’art, depuis sa dimension anthropologique jusqu’à notre contemporain le plus urgent.

Passé le temps de la transcendance, disparait la vocation à l’éternité, pour ne laisser, dans « la condition épochale », place qu’à la singularité d’une œuvre. Renier cet héritage « ne reviendrait-il pas à une manière de suicide ? » se demande-t-il, alors que nous voici dans un « monde hyperprofane dominé quasi exclusivement par la technologie et l’argent » ; nous pourrions ajouter le divertissement. Pouvons-nous objecter au philosophe persuadé du « lien de l’art à la métaphysique » que se libérer d’une transcendance obligatoire, ne soit pas une mince amélioration de notre condition…

Le territoire de recherche de l’essayiste embrasse un vaste cercle. Il a cependant ses temps de prédilection : la Renaissance italienne, le XVIII° siècle de Diderot, le romantisme et la modernité baudelairienne ; où chaque époque est « le fait de sa différence ». Des ors de la peinture religieuse à l’orée de la photographie, la figuration du divin et le réalisme parlent deux langues radicalement opposées, cependant tout autant marquées par le manque, ce qui ne signifie pourtant pas que soit engagée la mort de l’art.

Or « la grandeur de l’art moderne, dégrisée de l’idéalisme », divorcée du sacré et des mythes, place l’artiste et le spectateur face à un défi : dompter son temps, fût-il laid. Michel Guérin est-il trop nostalgique - ou prophète d’un temps à venir - lorsqu’il avertit à juste raison que renoncer à la beauté « revient à faire son deuil de l’amour humain ».

Touffu, bouillonnant de références à l’Histoire de l’art, à la philosophie, à la littérature, l’ambitieux essai de Michel Guérin, par ailleurs auteur de La Philosophie du geste[6] et de Nihilisme et modernité[7], emporte son patient lecteur dans un maelström conceptuel qui nous montre combien la destinée de l’art au travers des siècles et des civilisations est le reflet de notre condition humaine. S’interroger sur l’art, c’est en fait s’interroger sur soi et sa place dans l’univers.

Si la perspective de Michel Guérin est excitante, la lecture le devient parfois un peu moins. Parmi d’éclairantes et belles pages, le profus embrouillamini et la sinuosité de la réflexion, ponctuée d’allusions un brin pédantes à une foultitude de philosophes, cependant souvent pertinents, de Platon à Kant, de Nietzsche à Walter Benjamin, qui surpeuplent la bibliographie et l’index, mais aussi d’italiques qui se veulent signifiantes (quoique les concepts philosophiques germaniques soient explicités), ne répond pas toujours à la clarté que l’on aurait pu attendre.

L’on conseillera de le lire par petites touches, voire fragments pris au hasard et offerts à la méditation. Comme lors de ce beau chapitre sur l’ironie qui s’empare du romantisme allemand et de « l’esprit de prose », et qui, succédant aux grands genres poétiques, sculpturaux et picturaux, s’affirme comme parodie, genre auquel il est possible de rattacher « la geste ultra-réductrice duchampienne » : « La méthode de l’ironie aura permis à l’art moderne d’affirmer par voie négative l’autonomie de l’art ». Faut-il alors se désoler des audaces et des dérives de l’art contemporain ? La quête de la nouveauté à tous crins risque de mener à la futilité sans cosmos, ni beauté : « Ou bien l’art est en souffrance, ou bien la maladie qui se met à le ronger dès qu’il a fini de grandir […] le livre à l’inquiétude, voire à l’angoisse : y aura-t-il encore demain l’art ? »

Quoiqu’un tant soit peu verbeuse, l’analyse de Michel Guérin reste néanmoins une fort pertinente traversée du « temps de l’art », ou plus exactement de ses temps, dont le dernier, le nôtre, a pour lui quelque chose de crépusculaire. L’on pourrait dire que l’essai de Kamel Daoud, illustre parfaitement ce propos, dans la mesure où un moderne, représentatif de l’avant-garde du XX° siècle, Picasso lui-même, n’a pas encore abandonné la tradition érotique de l’Antiquité ni celle religieuse au travers de ses crucifixions, et parce qu’il confronte l’ère muséale à une transcendance par le vide où par ailleurs ne respire plus que l’intrusion étouffante du dieu de l’Islam. L’art postmoderne, succédané de l’anti-art de Marcel Duchamp, s’il est libération de la créativité, pourra-t-il, au-delà de son allégeance au kitsch, à la parodie et au pastiche, assumer une dimension métaphysique et civilisationnelle, y compris par  une résistance à l’encontre de ceux qui ne rêvent que d’anéantir son blasphème, cela aux yeux des futurs amateurs et historiens d’art, auprès desquels il a une vaste responsabilité ?

 

Retrouvons Kamel Daoud, car lorsque la guerre point, s’infiltre, explose, non seulement les hommes mais les livres sont menacés, trainés au sol, salis, bombardés, brulés. À moins d’être épargnés, mis à l’abri, comme en témoignent ces « 50 histoires de livres sauvés », réunies dans un curieux et déconcertant volume : BibliOdyssées[8], qui accompagna une exposition sise au Musée de l’Imprimerie de la Communication graphique de Lyon, au cours de l’an 2019.

Kamel Daoud propose une touchante et brûlante préface : « Textures ou Comment coucher avec un livre ». Il oppose en son enfance algérienne, où ses proches ne savaient pas lire, deux volumes, celui sacré, calligraphié, doré, et celui érotique, taché, caché. Le premier, « impossible à contester », fait « de menaces, de promesses, d’invariables leçons », s’oppose au « livre des femmes », qui est celui du corps au lieu de celui de « Dieu », le tout s’étirant entre prière et masturbation. Lecture et désir se télescopent : « À la relecture des derniers mots, l’orgasme onanique culminait et se confondait, dans un sursaut final, avec l’ultime blanc de la page ». S’impose alors la ferveur de l’interdit : ces livres « auront forgé [son] choix de lecteur et d’écrivain : préférer la texture à la prière ». En d’autres termes préférer la beauté de la chair à la terreur de la négation de sa liberté.

Quant à Raphaël Jerusalmy, essayiste complice de Kamel Daoud en la matière, il joue habilement à faire parler une page d’Esope, « L’âne et le rapace », page arrachée à son livre par des cambrioleurs. Lui répondent le personnage de Kien jailli du roman d’Elias Canetti, Auto-da-fé, où plane l’ombre du nazisme, une bataille des livres dans le genre de Swift, la réécriture de la fable par La Fontaine, Esope traduit en Portugais et arrivant au Japon avec le christianisme ; sans oublier un voyage dans les langues, dont l’hébreu, puis le grec originel, jusqu’à ce que les mots du fabuliste résonnent à Lyon au seuil de l’exposition. La chaîne est faite de maillons disjoints, cependant riches de leurs saveurs de transmission, d’animaux parlants et de morale, où se bousculent les aventures du livre, édifiantes, amusantes et tragiques.

Ces livres sauvés ont été écrits par ceux que n’a pas sauvés Auschwitz, comme Suite française d’Irène Némirowsky, publié un demi-siècle plus tard, ont été perdus dans une gare et réécrits, comme Les Sept piliers de la sagesse de D. H. Lawrence, nettoyés de leur boue après la crue de l’Arno à Florence, rédimés depuis les poubelles par un éboueur de Bogota, ou emportés dans la kafkaïenne valise de Max Brod. Envers des autodafés et autres incendies de bibliothèques, ce sont là des petits et grands miracles, qui émeuvent, bouleversent, au point que les livres, plus que des animaux de compagnie, autant que des amis chers, soient bruissant de vie intime et planétaire. Pied de nez à la censure, le « Parthénon des lires », de l’artiste Marta Minujin, exhibe des centaines d’ouvrages interdits. Ce qui n’est que symbolique répond au courage du Père Najeeb, un dominicain qui bourre des caisses avec les manuscrits anciens de Mossoul pour les soustraire au Califat islamique. Et non seulement les livres sont brûlés, mais aussi leurs imprimeurs, comme Etienne Dolet, condamné au bûcher à Paris par la justice royale, et non l’inquisition notons-le, en 1546. Quant à ridiculiser les têtes sacrées des religions monothéistes dans l’anonyme et réjouissant Traité des trois imposteurs, il n’y faut guère songer, y compris au XVIII°, y compris sous le manteau, alors qu’en ce même siècle des Lumières, c’est l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert qui est maintes fois tracassée. Quelques siècles plus tard, c’est en prude Irlande que le roman d’Edna O’Brien, The Country Girls, censuré pour immoralité, se voit menacé d’être brûlé en public. Le réquisitoire contre le colonialisme de Frantz Fanon, Les Damnés de la terre, se voit interdit en France en 1961 ; en 1973, c’est le tour de Trois milliards de pervers, une « encyclopédie des homosexualités ». C’est à tour de bras que les régimes politiques biffent, pilonnent les ouvrages, voire incarcèrent leurs auteurs : ainsi Jean Grave, qui en 1893 commit La Société mourante et l’anarchie. Ou, ajoutons-le, qu’éditeurs et quidams courroucés refusent de publier les mémoires de Woody Allen, au prétexte d’une accusation discutable, par ailleurs pardonnée par la victime, de viol.

Composé à partir d’une très belle idée, l’ouvrage laisse cependant son lecteur un brin désappointé. La cohérence des chapitres laisse en effet à désirer, le premier, promettant « Foudre. Les livres frappés », semble annoncer l’action du feu, alors qu’ils sont là parfois noyés, comme à Florence par la crue de l’Arno, ou tout simplement perdus et retrouvés. C’est plus clair pour « Les livres défendus », qui ont donc subi la censure, ou ont été mis à l’index par les autorités ecclésiastiques, ainsi que pour ceux « dispersés », comme « la bibliothèque errante de Walter Benjamin », de Berlin à Paris, mais un peu moins à l’occasion de la trahison intellectuelle commise par l’antisémitisme puis le nazisme d’Elisabeth Forster-Nietzsche, la sœur du philosophe du Gai savoir. Restent ceux « qui sauvent », entre « la bibliothèque idéale de Jacques Doucet, Le Livre des livres perdus de Giorgio Van Straten[9]. Quant à Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley, l’on ne sait guère ce qu’il fait là. Pourtant la créature y vénère trois ouvrages qui font son éducation : Les  Vies des hommes illustres de Plutarque, Le Paradis perdu de Milton, Les Souffrances du jeune Werther de Goethe, même si le duo d’auteurs des notices (Joseph Belletante et Bernadette Moglia) ne les mentionnent pas en l’occurrence. Toutes les œuvres ici listées et commentées semblent rangées au petit bonheur la chance, en cette occasion demi-ratée et demi-réussie de construire un livre aussi rigoureusement construit que poignant, puisque l’ordre chronologique n’est pas non plus retenu.

N’y-a-t-il pas cependant une beauté poignante à ces livres menacés, pillés, lacérés, brûlés ? Celle de l’héroïsme de la culture et de la civilisation, face aux théocraties et autres barbaries récurrentes et consubstantielles à l’inhumanité ?

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Tertullien : Œuvres III, Louis Vivès, 1852, p 307, 306, 329, 316, 323.

[2] Jean Clair : Eloge du visible, Gallimard, 1983.

[3] Kamel Daoud : Le Peintre dévorant la femme, Stock,

[5] Michel Guérin : Le Temps de l’art. Anthropologie de la création des Modernes, Actes sud, 2018

[6] Michel Guérin : Philosophie du geste, Actes Sud, 2011.

[7] Michel Guérin : Nihilisme et modernité. Essai sur la sensibilité des époques modernes de Diderot à Duchamp, Jacqueline Chambon, 2003.

[8] Kamel Daoud & Raphaël Jerusalmy : BibliOdyssées. 50 histoires de livres sauvés, Imprimerie Nationale, 2019.

[9] Giorgio van Straten : Le Livre des livres perdus, Actes Sud, 2017.

 

Cathédrale Saint-Etienne, Bourges, Cher.

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
19 novembre 2023 7 19 /11 /novembre /2023 16:55

 

Martello/Martelltal, Trentino Alto Adige, Südtirol.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Vies, poésies & peintures d’Emily Dickinson,

par Françoise Delphy, Diane de Selliers,

Dominique Fortier & Jerome Charyn.

 

 

Emily Dickinson : Poésies complètes,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Delphy,

Flammarion, 1472 p, 2009, 39 €.

 

Emily Dickinson : Poésies illustrées par la peinture moderniste américaine,

Diane de Selliers, 2023, 412 p, 230 €.

 

Dominique Fortier : Les Villes de papier. Une vie d’Emily Dickinson,

Grasset, 2020, 208 p, 18,50 €.

 

Jerome Charyn : La Vie secrète d’Emily Dickinson,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Chénetier,

Rivages, 2013, 432 p, 24,50 €.

 

 

 

Une vie si labile, des poèmes si elliptiques, ainsi l’on devine une femme si étrange, qui n’a d’autre nom qu’Emily Dickinson. Est-il une bibliothèque digne de ce nom sans le recueil complet de ses vers ? Ralph W. Franklin donna en 1998 une édition scrupuleuse et intégrale, bientôt suivie, en 2009, par la traduction de Françoise Delphy, patiente, impressionnante et précieuse prouesse. Sa vie brève, entre 1830 et 1886, dans une petite ville du Massachussetts, n’aura connu ni mariage, ni enfants, ni recueil publié, hors quelques vers orphelins de ci-de-là. Heureusement pour la postérité, ce fut sa sœur qui recueillit pieusement dans des boites l’ensemble de ses vers aux tirets nombreux, moins nombreux que la richesse des choses vues - malgré la réclusion -, la profusion des métaphores et la vigueur métaphysique. Si nous demandions « Devrais-je être amoureux d’Emily Dickinson ?[1] », la question rhétique laissait évidemment deviner une réponse plus que positive. Néanmoins il faut avouer qu’une telle admiration est partagée par bien des lecteurs, entre Lou Doillon et Diane de Selliers, dont le volume des Poésies illustrées par la peinture moderniste américaine est une ode somptueuse, entre la respectueuse Dominique Fortier et l’impertinent Jerome Charyn. Tous lecteurs à la sensibilité affutée.

 

 

Ne serait-ce pas une gageure ? Illustrer des poèmes souvent brefs, lacunaires, mystérieusement suggestifs… L’on aurait pu imaginer que seules des encres zen, des esquisses botaniques et ornithologiques eussent convenu. Comme avec le soin d’une certaine pudeur, d’une retenue devant les minuscules infinis de la poétesse, qu’il faudrait à peine effleurer, sinon déflorer.

Pourtant le microcosme de chaque poème se voit refléter dans le macrocosme de chacune de des peintures américaines choisies à leur service par Diane de Selliers. Si elles ne sont pas exactement contemporaines de notre poétesse, elles déboulent en avalanche depuis la première moitié du XX° siècle pour permettre une lecture en écho, un art de la fugue souverainement intemporel. L’écho se révèle parfois littéral, parfois subtilement métaphorique, car en toutes occurrences l’amplification n’obère pas les vers, qui savent garder leur insolite particularité, et en sortent renforcés.

Elle n’a qu’un jardin, une cuisine, une chambre, quelques voisins, un amour inabouti, de rares intimes. « La messe est dans le jardin », écrit Emily Dickinson. La mort et la transcendance bousculent ses vers en grondant, alors que, toute petite fée recluse comme une nonne, elle ne cède à aucune religiosité instituée. Et pourtant sa plume rayonne vers le monde, vers les phares et les fleurs, la mer et les couchers de soleil américains. Elle a lu Shakespeare, la Bible et Emily Brontë ; elle cisèle une œuvre inouïe, que comme Kafka elle imaginait devoir disparaître, sans la détruire cependant. Le bel acte manqué permit à sa sœur de la publier. Le rythme des vers non rimés, sans aucune contrainte métrique, des majuscules aléatoires, des tirets comme respiration et souffle, une ponctuation hasardeuse, voire disparue, tout concourt à de délicats effrois sacrés, à de minuscules extases, à la mesure cependant de l’univers, comme, face à un « Sunrise » rouge et jaune de Georgia O’Keeeffe, en 1858 :

« C’est comme si je demandai à l’Orient

S’il avait un matin pour moi –

Et qu’il lève ses Digues de pourpre,

Et me fracasse d’Aube ! »

Ses vers, plus éphémères que l’abeille et le papillon, qui sont parmi ses personnages favoris, acquièrent alors un pouvoir d’éternité. Or sur une étagère de bibliothèque, qui sait si sans ses pages vibrantes elle eût été complète ? Et, bien entendu, dans nos mains pieuses, sur nos oreilles lentement agiles, comme lors d’une Pentecôte poétique où le don de la langue poétique innerve en 1870, face au tableau puritain de Grant Wood, « American Gothic », la collusion de l’inquiétude et de la beauté :

« Nous nous présentons

Aux Planètes et aux Fleurs

Mais entre nous

Règnent des protocoles

Gênes

Et effrois »

D’où vient l’ébouriffante radicalité d’Emily Dickinson ? Elle n’est pas - en dépit de son temps - une romantique, pas encore une symboliste, mais un génie aphoristique et fulgurant, éminemment solitaire :

« Certains font leurs Dévotions en surplis –

Moi, je ne porte que mes ailes ».

Ainsi chante en 1861 cette damoiselle élue et panthéiste. Souhaitons qu’un modeste pèlerinage puisse déposer un exemplaire, vêtu de son précieux étui, de ce livre d’art entre tous, sur la tombe de celle que l’on surnommait « la dame en blanc », tant elle adopta cette pureté vestimentaire qui lui convenait si bien.

Autrice-compositrice-interprète, actrice, dessinatrice et mannequin franco-britannique, née en 1982, Lou Doillon répond à plus d’un siècle de distance à celle qu’elle a chantée à plusieurs reprises. Sa préface est pleine d’émotion : « tout ce qui se trouve au-delà de ma véranda, au-delà de ma portée, est lisible par elle ». La voici offrant un éloge à « la poétesse lépidoptériste, émerveillée pour sa propre éternité, nous laissant entr’apercevoir la nôtre ». Si Lou Doillon n’est pas une universitaire (au contraire de Françoise Delphy) pas une professionnelle de la critique, elle résume d’une façon judicieuse le tropisme d’Emily Dickinson : « Ses poèmes sont tour à tour incantations, sortilèges, comptines, jeux d’enfants, marelles jamais inquiétées par la mort qu’elle interpelle et tutoie, qu’elle regarde bien en face pour s’en détourner, émerveillée par un coucher de soleil, par le vol d’un roitelet. Elle semble appartenir tout autant au végétal, au minéral, à l’enfance, à la vieillesse, au masculin, au féminin, au divin ».

Quant à la traductrice, Florence Delphy, qui fournit une édition incontournable, en herméneute attentive et modeste, elle déclare : « C’est une poésie qui n’est pas bavarde, qui est allusive, elliptique, concentrée, ramassée, serrée. » Elle s’interroge : « quand un mot est isolé entre deux tirets, est-il relié au mot d’avant ou à celui d’après, aux deux, ou est-il indépendant ? » Nous ne le saurons jamais, en une délicieuse indécidabilité, comme les ondes et les corpuscules de la physique quantique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’on ne s’étonnera pas de la nécessité du bilinguisme, aussi bien dans les poésies complètes que dans ce volume aussi pictural que typographiquement musical. Aussi fallait-il réaliser une sélection. En cette anthologie, 162 poèmes trouvent leurs correspondances au moyen de 170 peintures, souvent paysagères, entre ciels et fleurs, parfois des portraits, de la part d’artistes soucieux de s’affranchir de l’influence et des codes de la peinture européenne, et surtout de trouver une voie proprement américaine, sans qu’il s’agisse de nationalisme étroit.

Cette peinture peut être tout à fait réaliste, à l’instar d’Edward Hopper, ou aventureusement abstraite, comme parmi les floraisons de Georgia O’Keeffe. Enigmatique toujours. En ce sens l’association d’une œuvre de mots et d’une autre de couleurs offre à l’amateur de cet ouvrage un défi sans cesse renouvelé : découvrir les rimes thématiques et métaphoriques qui les lient sans les enfermer.

Par exemple, cette harmonie de bruns, une femme méditant, une fleur rouge à la main, auprès d’une boule terrestre ouverte, par Helen Lundeberg, intitulée « Artits, Flowers and Hemispheres », en regard de ce poème de 1863 :

« Je paie Cash – en Satin –

Vous n’avez pas mentionné – votre prix –

Un Pétale, pour un Paragraphe

C’est à peu près ça non ? »

De poème en poème, parfois d’une brièveté lapidaire, parfois plus étendus, l’on  croise Charles Burchfield, Arthur Dove, Edward Hopper, Georgia O’Keeffe, Agnes Pelton, Charles Sheeler, Henrietta Shore, Marguerite Zorach, Marsden Hartley, Charles Demuth ou John Marin. Ils sont loin du formalisme conceptuel propre aux mouvements d’avant-garde européens du début du XXe siècle. C’est sous l’œil averti du photographe moderniste Alfred Stieglitz, que ce groupe de peintres, tous originaires des États-Unis, balaie les grands espaces américains, ses hommes et ces femmes, ouvriers, paysans, jeune fille lançant un signal dans un pré…

Le défi a été relevé avec talent par Diane de selliers et son équipe. Typographie, soin de la photogravure, tout répond à la délicate exigence d’une Emily choyée, sans compter le lecteur, bouleversé.

 

Photo : T. Guinhut.

 

Probablement notre poétesse aurait-elle avec reconnaissance apprécié l’évocation que dresse la romancière québécoise Dominique Fortier en ses Villes de papier. Une vie d’Emily Dickinson. Car pour la narratrice, qui intervient parfois en quelques confidences personnelles, Emily est une « ville de bois blanc » ; celle du papier de ses poèmes, car le plus souvent recluse, oublié du monde. On ne lui connait qu’un portrait photographique, hiératique, fragile, attendrissante. Elle n’est saisissable qu’à travers ses poèmes, et encore avec précaution.

Dominique Fortier, soigneusement documentée, se livre à une évocation de ce qui devient un personnage mi-réel, mi-fictionnel, en une sorte de paraphrase libre. « Père », « Mère », « Sophie », la « couturière », le jardin, la bibliothèque, entre Shakespeare et la Bible, sont autant de personnages ; la neige, les oiseaux, autant d’événements. « Quatre-cent vingt-quatre spécimens de plantes et de fleurs » dans son herbier sont presque autant de poèmes, qui, eux, sont 1789. Mais, pour celle qui n’a pas conçu d’enfants, « ses poèmes ne sont pas des enfants de papier. Ce sont, tout au plus, des flocons de neige ».

Quelques rares, trop rares, citations de poèmes innervent ça-et-là le récit, fait de paragraphes successivement séparés, comme des prises de notes, ou des poèmes en prose dépliant les instantanés chronologiques. La langue est assez simple, la syntaxe parfois répétitive, alignant les phrases au présent, comme des constats. S’agit-il d’émotion ou de maladroite froideur ? Laissons à la romancière de cette bio-fiction le bénéfice du doute.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Faut-il tenter de percer la carapace de mystère, comme celle d’un précieux coléoptère, qui vêt fragilement notre Emily ? Faut-il raconter sa vie presqu’invisible, au risque du fantasme ? Il fallait à l’Américain Jerome Charyn un certain toupet pour oser dire en quelque sorte : « Mademoiselle Dickinson, c’est moi », parmi les pages de sa Vie secrète. Voire une rare insolence pour faire de cette vierge sage une vierge folle… De plus, malgré l’abondance de la correspondance, sans compter les 1789 poèmes, la ténuité des éléments biographique risquerait d’inhiber le biographe s’il n’était doué d’autant de fantaisie galopante. Mais paradoxalement voilà qui ne fait que stimuler l’identification et l’imagination de l’écrivain qui use avec pétulance du mode romanesque, pour frôler sa trop secrète égérie.

D’où, au-delà de la réelle poétesse qui vécut come un éphémère entre 1830 et 1886, la nécessité de recourir à la sensibilité du lecteur de l’œuvre, mais aussi à l’imaginaire biographique de l’affabulateur. Jerome Charyn l’avoue en son préambule, il crée de toutes pièces des personnages fictifs : la directrice du Séminaire pour jeune filles, Tom le factotum au bras tatoué. Ainsi, outre « la tribu » familiale d’Amherst, le rédacteur en chef Bowles et le Juge, des protagonistes et événements supplémentaires et fantasmatiques permettent de figurer la personnalité puissante et cependant fuyante de la plus fabuleuse des poètes américains, « chasseresse dans un champ tumultueux de paroles ». Celui qui n’avait « pas envie d’écrire un roman sur une recluse et une sainte », la découvre alors « d’une terrifiante diversité ». En cette narration chronologique, à une jeune fille rousse, étrange et douée succède une femme à demi-aveugle, qui restera célibataire, très probablement chaste, et pourtant amoureuse en secret d’une demi-douzaine d’hommes mariés, qu’elle appelait « Maître », dont ce Juge qui imagina l’épouser… Tout en remplissant ses carnets de brefs poèmes aux vers libres, dont bien peu auront mieux que les honneurs de la publication posthume.

Le biographe intérieur met en scène les frasques de son héroïne du dix-neuvième siècle. Une sortie dans une « rhumerie » pour y rencontrer un Tuteur, ivrogne et tricheur, et fomenter une fuite avec lui. Ses deuils et délires, ses amours fictionnels pour des prédicateurs et des « vauriens ». Ses conflits et réconciliations avec frère et sœurs, avec le père par-dessus tout, avec la pauvre servante Zilpah, ancienne séminariste rejetée, qui conquiert son affection, double malheureuse et bientôt folle de notre recluse. Et « l’Assassin blond », Tom, pickpocket d’abord illettré, qui tournoie autour d’elle comme un fantôme, « troubadour troublé » par la « Sirène aux taches de rousseur ». C’est rarement fastidieux, souvent inspiré, palpitant, toujours fantasque, lyrique, voire érotique, scabreux ; et terriblement lumineux et pathétique pour qui se fait appeler « Daisy le kangourou ».

L’on connait l’écriture poétique d’Emily Dickinson, fulgurante, elliptique, associant brusquement des éléments concrets de la maison et du jardin avec des hypothèses métaphysiques renversantes. Pourtant, le romancier ne parait citer aucun poème. Il a eu le front de les subtilement intégrer en son récit, d’utiliser « ses modulations et ses tropes ». Et de faire entendre une voix, comme une Eurydice ramenée par Orphée, sensuelle, farouchement libre, non sans humour, d’une ironie dévastatrice envers bigoterie et préjugés : car « Satan chante » en « Poète ». Cette voix de « magicienne des Pétales et des Paragraphes » anime la présence miraculeusement retrouvée de l’héroïne narratrice. Ainsi celle qui se confie en disant « je » dresse le portrait de ses aspirations et folies, de ses deuils et désespoirs ; en ce qui devient un nouveau genre, consistant à littérairement s’emparer du point de vue, du corps et de l’esprit d’un écrivain disparu, dont « il était rare que le crayon bondît ».

La carrière du prolifique Jerome Charyn semble ici aborder un tournant. Après une cinquantaine de titres, policiers, livres pour enfants, ou portrait magique de New York[2], il déploie non sans brio une vie intérieure dramatique. Mais à vouloir déployer un art presque cinématographique, entre péripéties nombreuses, enlèvements amoureux, incendies de granges et guerre de Sécession, oublierait-on presque la création poétique, ce « bruit qui sans cesse retentit dans mon cerveau » ? Reste à savoir si Emily Dickinson eût consenti à une telle exhibition, à ce beau mensonge probablement trop romanesque : peut-être avec une gourmandise indignée…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que de beauté fragile, en ses poèmes, face à une immense métaphysique ! Ainsi en 1868 :

« Les braises ardentes rougissent –

Ô cœur à l’intérieur du Charbon

As-tu survécu tant d’années ?

Les braises ardentes sourient –

Les nouvelles de la Lumière s’animent doucement

Les secondes impassibles luisent

Il est une condition requise pour un feu qui dure

Que Prométhée n’a jamais connue –[3] »

Petite Prométhée de papier et d’encre, Emily Dickinson a volé, l’on ne sait comment, le feu de la poésie aux Muses elles-mêmes. Ne doutons pas que les neuf déesses lui aient aisément pardonné.

Thierry Guinhut 

La partie sur Jerome Charyn a été publié dans Le Matricule des Anges, octobre 2013

Une vie d'écriture et de photographie

 

[2] Jerome Charyn : Métropolis. New York, comme mythe, marché, et pays magique, Métropolis, 2000.

[3] Emily Dickinson : Poésies complètes, p 973.

 

Emily Dickinson. Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
12 novembre 2023 7 12 /11 /novembre /2023 15:25

 

Rue des grandes écoles, Poitiers, Vienne.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Nuanciers de la rose et du rose

par Alain Baraton, Pierre-William Fregonese

& Anne Varichon.

 

 

Alain Baraton : Le Livre de la rose, Grasset, 2023, 250 p, 20 €.

 

Pierre-William Fregonese : L’Invention du rose, Puf, 2023, 240 p, 18 €.

 

Anne Varichon : Nuanciers. Eloge du subtil, Seuil, 2023, 284 p, 59 €.

 

 

 

« Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, / l’espace d’un matin[1] ». Au commun trépas, la fille de Monsieur du Perier n’a pas échappé, en l’an de grâce 1607. Ainsi le poète François Malherbe lui offre-t-il une élégiaque « Consolation », qui est restée parmi les plus beaux vers de cet auteur classique néanmoins passablement oublié, associant la beauté des pétales à celle également éphémère de la jeune enfant. Mais cette rose, qui est la reine des bouquets et le péché mignon des clichés, d’où vient-elle, qui est-elle ? Certainement Alain Baraton, fameux jardinier du château de Versailles, saura nous le conter. Et pour jouer sur le mot, n’assistons-nous pas à la montée en puissance d’une couleur, comme en revanche de la puissance du rouge, dont l’invention est l’objet de l’essai de Pierre-William Fregonese, japonisant épris de rose kawaii. Ne doutons pas que de telles nuances végétales et pigmentées soient les reines des plus délicats nuanciers, tels qu’Anne Varichon nous les présente avec amour. Sans nul doute l’on y verra les bouleversements des mentalités, des sensibilités, les variations de l’Histoire…

 

 

Du latin « rosa », qui désigne autant la fleur que l’arbuste, son essence, « eau de rose », pourtant parfaitement distillée, devint l’équivalent du fade et du mièvre, comme ces romans sentimentaux qui font florès. De l’homérique « Aurore aux doigts de rose », à celle qui n’est jamais sans épine, le vocabulaire qui en est issu nous fait rosir de délectation…

En botaniste émérite, Alain Baraton aborde la rose sous les espèces de son climat, de sa culture et de ses variétés. L’on y apprend que les épines (ou plutôt « aiguillons) permettent de dissuader les herbivores, qu’après la fleur, « aplatie, arrondie, turbinée, en coupe ou en quartier, en rosette, en pompon ou urcéolée », vient le fruit, ou cynorrhodon ; l’ouvrage présentant d’ailleurs un lexique conclusif. L’on se doute qu’une rose sans parfum ne serait pas une rose : « Lorsqu’un rosier est en fleur, vous ne pouvez pas vous empêcher d’en humer le parfum. La rose, on va la voir d’instinct. Et puis, lorsque vous parlez d’une rose, vous donnez son nom, ce qui n’est pas le cas d’une pivoine, d’un camélia… » Ainsi parmi les dames aux pétales veloutés, aux fragrances inimaginables, sauf grâce au musical pouvoir d’évocation du seul mot « rose », que l’on ne peut prononcer qu’avec volupté, rêverie et désir de l’offrir à la douce carnation de l’aimée, l’on décline : La Blue girl, la Delbard, la Princesse de Galles, la Pierre de Ronsard… Seraient-elles innombrables ? N’y a-t-il pas de surcroit une « rose Baraton », au point que ce dernier s’exclame : « J'ai reçu pas mal de décorations mais lorsque je dis qu'une rose porte mon nom, c'est un autre effet. La rose, c'est un peu la Légion d'honneur du jardinier ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Les roses parlent d’amour, qu’il s’agisse des clichés à l’eau de rose ou de la passion enflammée. Elles sont également le symbole des jours heureux, de la sortie de l’hiver avec l’apparition des premiers boutons printaniers. Leur fragilité ne les dessert pas. Au contraire : « Elle ne dure qu’un instant mais c’est ce côté éphémère qui la rend si belle ». Qu’elle soit solitaire ou d’un bouquet nombreux, sans un mot de plus elle est tout entière déclaration d’amour, mais dont les conventions disent qu’il faut les offrir par nombre impair, blanche pour le charme, l’innocence et l’amour timide, rose pour la tendresse, orange pour le désir et rouge pour la volupté et les déclarations les plus sensuelles et torrides. Quant à celle qui serait jaune, pourtant séduisante, l’on dit qu’elle signifie un emballement volage, trop volage, voire qu’elle dissimulerait quelque trahison à redouter…

Les contes et légendes s’emparent d’elle, depuis celle qui considère que les filles naissent dans les roses ; et l’un d’entre eux touche particulièrement notre essayiste, évoquant les aventures un peu malheureuses de Marion, fille de jardinier. L’Histoire cependant se rappelle à nous à l’occasion de la vaine résistance d’Hans et Sophie Scholl créant le mouvement de la Rose Blanche en 1942 contre le nazisme, mouvement éphémère et tragique l’on s’en doute,  puis de la rose rouge brandie par François Mitterrand élu en 1982. Hélas, oserons-nous dire que le socialisme n’est pas aussi éphémère que la promesse des pétales…

 

Photo : T. Guinhut.

 

Au-delà des jardins et des bouquets, elle se révèle au travers de la société toute entière, de la littérature, la peinture, le cinéma, la chanson… Du poétique et médiéval Dit de la rose de Christine de Pizan[2], en passant par Le Jardin des roses du Persan Saadi, jusqu’au magnifiquement romanesque Nom de la rose d’Umberto Eco, peut-on imaginer un écrivain qui échapperait à cette fleur, à moins qu’il soit un peu aveugle, comme le dangereux bibliothécaire Jorge de notre regretté Umberto ? La romancière Amélie Nothomb, qui n’a jamais obtenu le prix Goncourt, a reçu un bien plus beau cadeau : un rose à son nom…

Délicieusement didactique, la prose d’Alain Baraton exhale les parfums attendus, sans la moindre épine. En forme de déclaration d’amour, sa prose n’en est pas moins une histoire culturelle raisonnée, entre poètes, musiciens qui ont chanté cette rose, et peintres, coloristes, comme Boucher et Redouté. Hélas jusqu’aux guerres, comme celle anglaise des Deux roses. Et de même la gastronomie s’en est emparée. Que diriez-vous d’un délicieux thé à la rose ?

Reine des fleurs aux cent pétales, celle qui est parfois un prénom règne depuis l’Antiquité, depuis la Perse ancienne, sur les jardins et sur les cœurs, comme pour confirmer la réputation d’Alain Baraton, « rosiériste » et jardinier en chef du Domaine national du Trianon et du Grand Parc de Versailles, sur lesquels il a publié maints ouvrages[3]. Gageons qu’il ne néglige jamais d’offrir cette chair végétale et rose à l’élue de ses sentiments. Pour paraphraser Ronsard, « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie », en même temps que ce beau livre, nourri de science botanique, d’Histoire et autres pimpantes anecdotes.

 

Charles d'Orbigny : Atlas du Dictionnaire universel d'Histoire naturelle,

Renard & Martinet, 1849.

Photo : T. Guinhut.

 

Dans son volume consacré au rouge, Michel Pastoureau[4] n’avait pu que frôler le rose. D’autant qu’en ses histoires des couleurs il restait sagement dans une perspective occidentale. Visiblement cette nuance n’est plus guère la couleur de la mièvrerie, d’une acception genrée[5] uniquement féminine, d’un seul état d’âme ou d’un bonbon[6], ou encore d’un étendard de l’homosexualité masculine. Avec Pierre-William Fregonese, nous ouvrons les yeux en même temps que les fleurs de cerisiers japonaises. Car l’archipel nippon a développé un goût outrecuidant du rose, cultivant sa mignonnerie, que l’on appelle là-bas le « kawaii ».

Cela dit, « phénomène culturel » irrésistible, le rose contemporain est désormais bien mondialisé, bien plus identifié qu’un intermédiaire consensuel entre le rouge historique et le violet, ce dernier trop vigoureux et transgressif, il est définitivement devenu un emblème de la modernité, voire l’un de ses stigmates.

Etat d’âme ou convention ? Une telle tonalité suggère la bonne humeur de « la vie en rose », comme lorsque ce « Think pink », dont le film Funny Face de Stanley Donen, en 1957, en fit une réplique fameuse, dans la bouche de la journaliste de mode vedette, influenceuse avant l’heure. Des longueurs infinies de tissus framboise, fraise, saumon sont alors étalées sous ses yeux. Cependant le rose « shocking » concocté par la couturière Elsa Schiaparelli lors des années 1930, n’est pas celui de la friandise pour fillettes et ingénues. Autrement dit, entre puérilité sans façons et affirmation d’une esthétique, il y a tout un monde lointain.

Rien ne prouve que le rose soit exclusivement féminin. Certes ce que l’on appela joliment le « rose Pompadour », au XVIII° siècle, parait convenir à la carnation des dames, quand l’austère XIX° préfère le réserver aux bourgeoises de bon ton, au temps triste où les Messieurs affectent d’arborer le noir. Ainsi « le rose d’un côté érotise la femme et de l’autre l’infantilise ». Pourtant la layette des bébés ne sépare le rose et le bleu que lorsque des teintures impeccables et de doux lavages permettent de les voir ainsi éclore au XX° siècle. En 2016, l’exposition Barbie du Musée des arts décoratifs parisien confirmait un rosissement culturel, venu des Etats-Unis.

Aujourd’hui, la poupée Barbie devient une héroïne de cinéma, en chair et en écran, vedette absolue lorsque son film encaisse plus d’un milliard de dollars. Depuis 1959, date de lancement de cette poupée élancée, moderne, bientôt inconsidérément féministe, les petites filles se les arrachent, les collectionnent, les font vivre, bouger, parler, rêver, lors de séances de jeu sans cesse renouvelées. Cependant « Barbie ne devient l’incarnation du rose qu’à la charnière des années 1970 et 1980, le modèle emblématique étant « Superstar Barbie » de 1977, où la péronelle est vêtue d’une rose du soir et d’une étole rose ». S’agissait-il d’un conservatisme bien américain réduisant la femme au rose, comme pour écarter un féminisme dangereux ? Alors que l’on vit des garçons arborer des chemises de cette teinte pétulante !

Ainsi, à l’instar d’Alain Baraton, Pierre-William Fregonese se fait historien, au point que le lecteur curieux en rosisse de plaisir. Il fouille les dictionnaires, les filmographies, la peinture, les cosmétiques, les séries, les jeux vidéo, les accessoires et les jouets, à la recherche de son tendre fétiche, « chimère de chair et de plastique »….

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Mais le rose des Japonais, c’est une autre histoire, bien plus profuse. Il est celui traditionnel des fleurs de cerisiers ornementaux, ou « sakura », et celui plus récent, de l’envahissante culture du mignon, ou « kawaii », sans cesse en évolution, en expansion, au point parfois d’écœurer les yeux délicats, ou coincés, selon. Lorsque la société japonaise arbore une vie sociale souvent contraignante, fortement réglée, le rose fait office d’antidote, d’échappatoire et de part du rêve. Les mangas, surtout de romance, les animés sont à cet égard généreux. La mode du cosplay, le succès fulgurant de la culture manga[7], et particulièrement en France, de « Sailor Moon », tout conspire à un « soft power », plus encore à un « rose-pouvoir », à la japonaise, soit un charmant colonialisme, sentimental et intellectuel, que notre auteur qualifie de « self-orientalism ».

Voilà qui donne ses lettres de noblesse à ces « Little Pinks », ces « Hello Kitty » de notre enfance ou de celle de nos filles. Les femmes enfants japonaises, à la fois puériles et innocentes, mais aussi un brin érotiques, voire perverses, ne peuvent qu’exhiber, voire laisser découvrir le rose de leurs parures, de leur corps…

Il n’en reste pas moins que tous les roses ne sont pas des antichambres du rêve. En son avant-dernier chapitre, la vision matinale des nettoyeuses des gares japonaises laisse notre essayiste un peu tristement ému. En ces stations à la propreté légendaire, ces dames discrètes et efficaces vêtues de rose remplissent soigneusement leur office, mais personne ne les regarde ni ne les voit : « Leur rose est délicat, pétillant, anonyme, il est invisible pour nos yeux comme pour nos imaginaires ». Tout n’est pas rose pour elles, mais lui seul les a observées avec tendresse.

L’essayiste Pierre-William Fregonese, professeur à l’Université de Kobe et chercheur auprès de l’Institut des arts contemporains à l’Université des arts de Kyoto, nous offre un ouvrage curieux, ouvrant des fenêtres sur le monde, lointaines, exubérantes. Il est sous-titré « Couleur Japon, histoire monde ». Fascinant, original, l’essai est une mine d’étonnements, un « balcon sur aujourd’hui ». S’il ne présente aucune illustration, comme un beau livre qu’il mériterait d’être, il se veut sans cesse susciter des « réminiscences ». Et tout empruntant parfois le tour autobiographique, d’un Auvergnat venu s’installer au Japon, il permet d’entretenir avec son lecteur une complicité bienvenue.

 

Rose-thé, saumon ou vieux-rose, fleur ou couleur, elle a son nuancier. Et si l’on pense aux vins rosés de Provence, combien de nuances charment-elles, sinon toujours le palais, toujours les yeux au travers du verre lumineux de leurs bouteilles. C’est non sans un certain humour qu’Anne Varichon ajoute une touche vineuse à son beau livre, combien original et inattendu, intitulé sobrement, mystérieusement, Nuanciers. Eloge du subtil. Outre le répertoire des collections, ce volume est celui encyclopédique des textures, des variations et déclinaisons chromatiques.

Depuis au moins le XV° siècle, nombre d’artisans, d’industriels et d’artistes ont eu le goût en même temps que la nécessité d’élaborer méticuleusement ces nuanciers. Ils sont   médecins, peintres, teinturiers, naturalistes, chimistes, commerçants. Il fallait répertorier, disposer une grande variété d’échantillons colorés pour communiquer et s’entendre précisément. L’ingéniosité et le raffinement de ces échantillonnages sont confondantes, tant elles font montre des connaissances scientifiques, techniques et artistiques disponibles au moment où ils émergent. Si la délicate beauté n’était pas forcément le but initialement recherché par les créateurs de ces nuanciers, leur intérêt esthétique n’est pas le moindre.

Bien entendu, outre leur valeur intrinsèque, ces nuanciers témoignent de l’évolution des techniques, des besoins, des désirs et des goûts, en un tableau sociétal où l’abondance des matières est le reflet de la pluralité des affects humains, qui ainsi savent découvrir et s’approprier de nouvelles nuances, d’inédites harmonies. Choisir, nuancer, classer, ordonner, nommer, n’est-ce pas apprendre à penser la couleur, donc la multiplicité du monde, et, partant, du moi...

Parmi un éblouissant défilé, ce ne sont pas moins de cent-cinquante exemples que nous propose Anne Varichon. Tous plus insolites et séduisants les uns que les autres, ils ont été puisés dans des collections publiques et privées, de surcroit le plus souvent inédits. Cahiers manuscrits et délicatement peints, rappelant les boites aux généreuses pastilles d’aquarelles, aux tubes de gouaches pléthoriques, ils révèlent au XIX° siècle « la nomenclature de Werner-Syme » (le premier nom étant celui du naturaliste et le second celui du peintre), véritable « poème chromatique ». Aussitôt l’industrie s’en empare, la chimie allemande par exemple avec BASF, au secours des colorants textiles. Bientôt, les fils de soie sont soigneusement et joliment attachés en rangs de jaunes et de violets, de bleutés et de verts… Non, il ne s’agit pas de pétales de roses, mais de pétales de soie, rangées comme à la parade, le tout du plus délicat effet. La peinture, du Ripolin d’ameublement aux loisirs de l’aquarelliste, s’empare du couvercle des bidons, les cuirs déplient leurs brillances, les papiers s’irisent, les rouges à lèvres et les fonds de teint pétillent,  en une sorte de chromogonie !

« Nuancier icône », « nuancier idole », tel apparait ce volume émouvant et encyclopédique, en quelque sorte proustien, tant il réveille les souvenirs des bleutés perdus, des rouges et des ocres oubliés, en une toujours nouvelle floraison. À qui sait voir, apprécier, aimer, cette progressive démocratisation des couleurs offre la « jubilation chromatique ». Au risque de devoir le conserver pieusement, si la numérisation et l’intelligence artificielle deviennent l’ultime réceptacle.

 

Ainsi pouvons-nous voir la vie non seulement en roses et en rose, mais en nuances intelligemment ordonnées, comme un accord entre les dons colorés de la nature et le système peut-être platonicien  qui saurait en expliciter le nuancier parfait…

 

Thierry Guinhut

Une d'écriture et de photographie


[1] Malherbe : Œuvres poétiques, Garnier, sans date, p 73.

[3] Alain Baraton : Le Jardinier de Versailles, Grasset 2006.

[5] Kévin Bideaux : Rose, une couleur en prise avec le genre, Amsterdam, 2023.

[6] Valerie Steele : Pink : The History of a Punk, Pretty, Powerfull, Color, Thames & Hudson, 2018.

 

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : thierry-guinhut-litteratures.com
  • : Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.
  • Contact

Index des auteurs et des thèmes traités

Les livres publiés, romans, albums, essais :
Une vie d'écriture et de photographie



 

 

 

 

 

 

 

Ackroyd

Londres la biographie, William, Trois frères

Queer-city, l'homosexualité à Londres

 

 

 

 

 

 

Adams

Essais sur le beau en photographie

 

 

 

 

 

 

 

Aira

Congrès de littérature et de magie

 

Ajvaz

Fantastique : L'Autre île, L'Autre ville

 

 

 

 

 

 

Akhmatova

Requiem pour Anna Akhmatova

 

 

 

 

 

 

 

Alberti

Momus le Prince, La Statue, Propos de table

 

 

 

 

 

 

Allemagne

Tellkamp : La Tour ; Seiler : Kruso

Les familles de Leo et Kaiser-Muhlecker

 

 

 

 

 

 

Amis

Inside Story, Flèche du temps, Zone d'intérêt

Réussir L'Information Martin Amis

Lionel Asbo, Chien jaune, Guerre au cliché

 

 

 

 

 

 

Amour, sexualité

A une jeune Aphrodite de marbre

Borges : Poèmes d’amour

Guarnieri : Brahms et Clara Schumann

Vigolo : La Virgilia

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Luc Ferry : De l'amour au XXI° siècle

Philosophie de l'amour : Ogien, Ackerman

Le lit de la poésie érotique

Erotisme, pornographie : Pauvert, Roszak, Lestrade

Une Histoire des sexualités ; Foucault : Les Aveux de la chair

 

 

 

 

 

 

Ampuero

Cuba quand nous étions révolutionnaires

 

 

 

 

 

 

 

Animaux

Elien Ursin : Personnalité et Prosopopée des animaux

Rencontre avec des animaux extraordinaires

Quand les chauve-souris chantent, les animaux ont-ils des droits ?

Jusqu'où faut-il respecter les animaux ? Animalisme et humanisme

L'incroyable bestiaire de l'émerveillement

Philosophie porcine du harcèlement

Philosophie animale, bestioles, musicanimales

Chats littéraires et philosophie féline

Apologues politiques, satiriques et familiers

Meshkov : Chien Lodok, l'humaine tyrannie

Le corbeau de Max Porter

 

 

 

 

 

 

Antiquité

Le sens de la mythologie et des Enfers

Métamorphoses d'Ovide et mythes grecs

Eloge des déesses grecques et de Vénus

Belles lettres grecques d'Homère à Lucien

Anthologies littéraires gréco-romaines

Imperator, Arma, Nuits antiques, Ex machina

Histoire auguste et historiens païens

Rome et l'effondrement de l'empire

Esthétique des ruines : Schnapp, Koudelka

De César à Fellini par la poésie latine

Les Amazones par Mayor et Testart

Le Pogge et Lucrèce par Greenblatt

Des romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

Antisémitisme

Histoire et rhétorique de l'antisémitisme

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Céline et les pamphlets antisémites

Wagner, Tristan und Isolde et antisémitisme

Kertesz : Sauvegarde

Eloge d'Israël

 

 

 

 

 

 

Appelfeld

Les Partisans, Histoire d'une vie

 

 

 

 

 

 

 

Arbres

Leur vie, leur plaidoirie : Wohlleben, Stone

Richard Powers : L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

Arendt

Banalité du mal, banalité de la culture

Liberté d'être libre et Cahier de L'Herne

Conscience morale, littérature, Benjamin

Anders : Molussie et Obsolescence

 

 

 

 

 

 

 

Argent

Veau d'or ou sagesse de l'argent : Aristote, Simmel, Friedman, Bruckner

 

 

 

 

 

 

Aristote

Aristote, père de la philosophie

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

Art contemporain

Que restera-t-il de l’art contemporain ?

L'art contemporain est-il encore de l'art ?

Décadence ou effervescence de la peinture

L'image de l'artiste de l'Antiquité à l'art conceptuel

Faillite et universalité de la beauté

Michel Guérin : Le Temps de l'art

Théories du portrait depuis la Renaissance

L'art brut, exclusion et couronnement

Hans Belting : Faces

Piss Christ, icone chrétienne par Serrano

 

 

 

 

 

 

Attar

Le Cantique des oiseaux

 

 

 

 

 

 

Atwood

De la Servante écarlate à Consilience

Contes réalistes et gothiques d'Alphinland

Graine de sorcière, réécriture de La Tempête

 

 

 

 

 

 

Bachmann

Celan Bachmann : Lettres amoureuses

Toute personne qui tombe a des ailes, poèmes

 

 

 

 

 

 

 

Bakounine

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

L'anarchisme : tyrannie ou liberté ?

 

 

 

 

 

 

Ballard

Le romancier philosophe de Crash et Millenium people

Nouvelles : un artiste de la science-fiction

 

 

 

 

 

 

 

Bande dessinée, Manga

Roman graphique et bande-dessinée

Mangas horrifiques et dystopiques

 

 

 

 

 

 

 

Barcelo

Cahiers d'Himalaya, Nuit sur le mont chauve

 

 

 

 

 

 

 

Barrett Browning

E. Barrett Browning et autres sonnettistes

 

 

 

 

 

 

 

Bashô

Bashô : L'intégrale des haikus

 

 

 

 

 

 

Basile

Le conte des contes, merveilleux rabelaisien

 

 

 

 

 

 

Bastiat

Le libéralisme contre l'illusion de l'Etat

 

 

 

 

 

 

Baudelaire

Baudelaire, charogne ou esthète moderne ?

"L'homme et la mer", romantisme noir

Vanité et génie du dandysme

Baudelaire de Walter Benjamin

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

Beauté, laideur

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai, La Mouette de Minerve éditeur

Art et bauté, de Platon à l’art contemporain

Laideur et mocheté

Peintures et paysages sublimes

 

 

 

 

 

 

Beckett 

En attendant Godot : le dénouement

 

 

 

 

 

 

Benjamin

Baudelaire par Walter Benjamin

Conscience morale et littérature

Critique de la violence et vices politiques

Flâneurs et voyageurs

Walter Benjamin : les soixante-treize sonnets

Paris capitale des chiffonniers du XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

Benni

Toutes les richesses, Grammaire de Dieu

 

 

 

 

 

 

Bernhard

Goethe se mheurt et autres vérités

 

 

 

 

 

 

 

Bibliothèques

Histoire de l'écriture & Histoire du livre

Bibliophilie : Nodier, Eco, Apollinaire

Eloges des librairies, libraires et lecteurs

Babel des routes de la traduction

Des jardins & des livres, Fondation Bodmer

De l'incendie des livres et des bibliothèques

Bibliothèques pillées sous l'Occupation

Bibliothèques vaticane et militaires

Masques et théâtre en éditions rares

De Saint-Jérôme au contemporain

Haine de la littérature et de la culture

Rabie : La Bibliothèque enchantée

Bibliothèques du monde, or des manuscrits

Du papyrus à Google-books : Darnton, Eco

Bibliothèques perdues et fictionnelles

Livres perdus : Straten,  Schlanger, Olender

Bibliophilie rare : Géants et nains

Manguel ; Uniques fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

 

Blake

Chesterton, Jordis : William Blake ou l’infini

Le Mariage du ciel et de l’enfer

 

 

 

 

 

 

 

Blasphème

Eloge du blasphème : Thomas-d'Aquin, Rushdie, Cabantous, Beccaria

 

 

 

 

 

 

Blog, critique

Du Blog comme œuvre d’art

Pour une éthique de la critique littéraire

Du temps des livres aux vérités du roman

 

 

 

 

 

 

 

Bloom

Amour, amitié et culture générale

 

 

 

 

 

 

 

Bloy

Le désespéré enlumineur de haines

 

 

 

 

 

 

 

Bolaño

L’artiste et le mal : 2666, Nocturne du Chili

Les parenthèses du chien romantique

Poète métaphysique et romancier politique

 

 

 

 

 

 

 

Bonnefoy

La poésie du legs : Ensemble encore

 

Borel

Pétrus Borel lycanthrope du romantisme noir

 

 

 

 

 

 

 

Borges

Un Borges idéal, équivalent de l'univers

Géographies des bibliothèques enchantées

Poèmes d’amour, une anthologie

 

 

 

 

 

 

 

Brague

Légitimité de l'humanisme et de l'Histoire

Eloge paradoxal du christianisme, sur l'islam

 

 

 

 

 

 

Brésil

Poésie, arts primitifs et populaires du Brésil

 

 

 

 

 

 

Bruckner

La Sagesse de l'argent

Pour l'annulation de la Cancel-culture

 

Brume et brouillard

Science, littérature et art du brouillard

 

 

 

 

 

 

Burgess

Folle semence de L'Orange mécanique

 

 

 

 

 

 

 

Burnside

De la maison muette à l'Eté des noyés

 

 

 

 

 

 

Butor

Butor poète et imagier du Temps qui court

Butor Barcelo : Une nuit sur le mont chauve

 

 

 

 

 

 

Cabré

Confiteor : devant le mystère du mal

 

 

 

 

 

 

 

Canetti

La Langue sauvée de l'autobiographie

 

 

 

 

 

 

Capek

La Guerre totalitaire des salamandres

 

 

 

 

 

 

Capitalisme

Eloge des péchés capitaux du capitalisme

De l'argument spécieux des inégalités

La sagesse de l'argent : Pascal Bruckner

Vers le paradis fiscal français ?

 

 

 

 

 

 

Carrion

Les orphelins du futur post-nucléaire

Eloges des librairies et des libraires

 

 

 

 

 

 

 

Cartarescu

La trilogie roumaine d'Orbitor, Solénoïde ; Manea : La Tanière

 

 

 

 

 

 

 

Cartographie

Atlas des mondes réels et imaginaires

 

 

 

 

 

 

 

Casanova

Icosameron et Histoire de ma vie

 

 

 

 

 

 

Catton

La Répétition, Les Luminaires

 

 

 

 

 

 

 

Cavazzoni

Les Géants imbéciles et autres Idiots

 

 

 

 

 

 

 

Celan

Paul Celan minotaure de la poésie

Celan et Bachmann : Lettres amoureuses

 

 

 

 

 

 

Céline

Voyage au bout des pamphlets antisémites

Guerre : l'expressionnisme vainqueur

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

 

Censure et autodafé

Requiem pour la liberté d’expression : entre Milton et Darnton, Charlie et Zemmour

Livres censurés et colères morales

Incendie des livres et des bibliothèques : Polastron, Baez, Steiner, Canetti, Bradbury

Totalitarisme et Renseignement

Pour l'annulation de la cancel culture

 

 

 

 

 

 

Cervantès

Don Quichotte peint par Gérard Garouste

Don Quichotte par Pietro Citati et Avellaneda

 

 

 

 

 

 

Cheng

Francois Cheng, Longue route et poésie

 

 

 

 

 

 

Chesterton

William Blake ou l'infini

Le fantaisiste du roman policier catholique

 

Chevalier

La Dernière fugitive, À l'orée du verger

Le Nouveau, rééecriture d'Othello

Chevalier-la-derniere-fugitive

 

Chine

Chen Ming : Les Nuages noirs de Mao

Du Gène du garde rouge aux Confessions d'un traître à la patrie

Anthologie de la poésie chinoise en Pléiade

 

 

 

 

 

 

Civilisation

Petit précis de civilisations comparées

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

 

 

 

 

 

 

 

Climat

Histoire du climat et idéologie écologiste

Tyrannie écologiste et suicide économique

 

 

 

 

 

 

Coe

Peines politiques anglaises perdues

 

 

 

 

 

 

 

Colonialisme

De Bartolomé de Las Casas à Jules Verne

Métamorphoses du colonialisme

Mario Vargas Llosa : Le rêve du Celte

Histoire amérindienne

 

 

 

 

 

 

Communisme

"Hommage à la culture communiste"

Karl Marx théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

 

 

 

 

 

 

Constant Benjamin

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Corbin

Fraicheur de l'herbe et de la pluie

Histoire du silence et des odeurs

Histoire du repos, lenteur, loisir, paresse

 

 

 

 

 

 

 

Cosmos

Cosmos de littérature, de science, d'art et de philosophie

 

 

 

 

 

 

Couleurs
Couleurs de l'Occident : Fischer, Alberti

Couleurs, cochenille, rayures : Pastoureau

Nuanciers de la rose et du rose

Profondeurs, lumières du noir et du blanc

Couleurs des monstres politiques

 

 

 

 

 


Crime et délinquance

Jonas T. Bengtsson et Jack Black

 

 

 

 

 

 

 

Cronenberg

Science-fiction biotechnologique : de Consumés à Existenz

 

 

 

 

 

 

 

Dandysme

Brummell, Barbey d'Aurevilly, Baudelaire

 

 

 

 

 

 

Danielewski

La Maison des feuilles, labyrinthe psychique

 

 

 

 

 

 

Dante

Traduire et vivre La Divine comédie

Enfer et Purgatoire de la traduction idéale

De la Vita nuova à la sagesse du Banquet

Manguel : la curiosité dantesque

 

 

 

 

 

 

Daoud

Meursault contre-enquête, Zabor

Le Peintre dévorant la femme

 

 

 

 

 

 

 

Darger

Les Fillettes-papillons de l'art brut

 

 

 

 

 

 

Darnton

Requiem pour la liberté d’expression

Destins du livre et des bibliothèques

Un Tour de France littéraire au XVIII°

 

 

 

 

 

 

 

Daumal

Mont analogue et esprit de l'alpinisme

 

 

 

 

 

 

Defoe

Robinson Crusoé et romans picaresques

 

 

 

 

 

 

 

De Luca

Impossible, La Nature exposée

 

 

 

 

 

 

 

Démocratie

Démocratie libérale versus constructivisme

De l'humiliation électorale

 

 

 

 

 

 

 

Derrida

Faut-il pardonner Derrida ?

Bestiaire de Derrida et Musicanimale

Déconstruire Derrida et les arts du visible

 

 

 

 

 

 

Descola

Anthropologie des mondes et du visible

 

 

 

 

 

 

Dick

Philip K. Dick : Nouvelles et science-fiction

Hitlérienne uchronie par Philip K. Dick

 

 

 

 

 

 

 

Dickinson

Devrais-je être amoureux d’Emily Dickinson ?

Emily Dickinson de Diane de Selliers à Charyn

 

 

 

 

 

 

 

Dillard

Eloge de la nature : Une enfance américaine, Pèlerinage à Tinker Creek

 

 

 

 

 

 

 

Diogène

Chien cynique et animaux philosophiques

 

 

 

 

 

 

 

Dostoïevski

Dostoïevski par le biographe Joseph Frank

 

 

 

 

 

 

Eco

Umberto Eco, surhomme des bibliothèques

Construire l’ennemi et autres embryons

Numéro zéro, pamphlet des médias

Société liquide et questions morales

Baudolino ou les merveilles du Moyen Âge

Eco, Darnton : Du livre à Google Books

 

 

 

 

 

 

 

Ecologie, Ecologismes

Greenbomber, écoterroriste

Archéologie de l’écologie politique

Monstrum oecologicum, éolien et nucléaire

Ravages de l'obscurantisme vert

Wohlleben, Stone : La Vie secrète des arbres, peuvent-il plaider ?

Naomi Klein : anticapitalisme et climat

Biophilia : Wilson, Bartram, Sjöberg

John Muir, Nam Shepherd, Bernd Heinrich

Emerson : Travaux ; Lane : Vie dans les bois

Révolutions vertes et libérales : Manier

Kervasdoué : Ils ont perdu la raison

Powers écoromancier de L'Arbre-monde

Ernest Callenbach : Ecotopia

 

 

 

 

 

 

Editeurs

Eloge de L'Atelier contemporain

Diane de Selliers : Dit du Genji, Shakespeare

Monsieur Toussaint Louverture

Mnémos ou la mémoire du futur

 

 

 

 

 

 

Education

Pour une éducation libérale

Allan Bloom : Déclin de la culture générale

Déséducation et rééducation idéologique

Haine de la littérature et de la culture

De l'avenir des Anciens

 

 

 

 

 

 

Eluard

« Courage », l'engagement en question

 

 

 

 

 

 

 

Emerson

Les Travaux et les jours de l'écologisme

 

 

 

 

 

 

 

Enfers

L'Enfer, mythologie des lieux

Enfers d'Asie, Pu Songling, Hearn

 

 

 

 

 

 

 

Erasme

Erasme, Manuzio : Adages et humanisme

Eloge de vos folies contemporaines

 

 

 

 

 

 

 

Esclavage

Esclavage en Moyen âge, Islam, Amériques

 

 

 

 

 

 

Espagne

Histoire romanesque du franquisme

Benito Pérez Galdos, romancier espagnol

 

 

 

 

 

 

Etat

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Constructivisme versus démocratie libérale

Amendements libéraux à la Constitution

Couleurs des monstres politiques

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Socialisme et connaissance inutile

Patriotisme et patriotisme économique

La pandémie des postures idéologiques

Agonie scientifique et sophisme français

Impéritie de l'Etat, atteinte aux libertés

Retraite communiste ou raisonnée

 

 

 

 

 

 

 

Etats-Unis romans

Dérives post-américaines

Rana Dasgupta : Solo, destin américain

Bret Easton Ellis : Eclats, American psycho

Eugenides : Middlesex, Roman du mariage

Bernardine Evaristo : Fille, femme, autre

La Muse de Jonathan Galassi

Gardner : La Symphonie des spectres

Lauren Groff : Les Furies

Hallberg, Franzen : City on fire, Freedom

Jonathan Lethem : Chronic-city

Luiselli : Les Dents, Archives des enfants

Rick Moody : Démonologies

De la Pava, Marissa Pessl : les agents du mal

Penn Warren : Grande forêt, Hommes du roi

Shteyngart : Super triste histoire d'amour

Tartt : Chardonneret, Maître des illusions

Wright, Ellison, Baldwin, Scott-Heron

 

 

 

 

 

 

 

Europe

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

Fables politiques

Le bouffon interdit, L'animal mariage, 2025 l'animale utopie, L'ânesse et la sangsue

Les chats menacés par la religion des rats, L'Etat-providence à l'assaut des lions, De l'alternance en Démocratie animale, Des porcs et de la dette

 

 

 

 

 

 

 

Fabre

Jean-Henri Fabre, prince de l'entomologie

 

 

 

 

 

 

 

Facebook

Facebook, IPhone : tyrannie ou libertés ?

 

 

 

 

 

 

Fallada

Seul dans Berlin : résistance antinazie

 

 

 

 

 

 

Fantastique

Dracula et autres vampires

Lectures du mythe de Frankenstein

Montgomery Bird : Sheppard Lee

Karlsson : La Pièce ; Jääskeläinen : Lumikko

Michal Ajvaz : de l'Autre île à l'Autre ville

Morselli Dissipatio, Longo L'Homme vertical

Présences & absences fantastiques : Karlsson, Pépin, Trias de Bes, Epsmark, Beydoun

 

 

 

 

 

 

Fascisme

Histoire du fascisme et de Mussolini

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Haushofer : Sonnets de Moabit

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets des paysages

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com.

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme et Aldo Manuzio

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Maladie et métaphore : Wagner, Maï, Zorn

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Sonnets pour Hélène LXVIII Commentaire

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Sonnets autobiographiques

Sonnets de l'Art poétique

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

Recherche