Il y a, décidément, au creux de la testostérone de l’humanité un goût pour la guerre et la tyrannie. Mais aussi, ce qui n’échappera pas au lecteur de ce mince article, une vanité pitoyable à vouloir raisonner de toute sa hauteur sur les destinées des guerres présentes et à venir. La lecture de Thucydide, de Sun Tzu, de Clausewitz et de milliers de pages d’actualités et d’opinions ne protègeront pas de la méconnaissance et de l’erreur, surtout prospectives. Il faut cependant tenter de penser l’art et les laideurs de la guerre, qu’elles soient simples rodomontades, ou actions et exactions sur le terrain ; pour l’heure syrien, moyen-oriental, sinon mondial. Honni soit qui Syrie pense ! Car à force d’y chercher le camp du bien, l’on risque fort de s’y lourdement tromper…
Quel bal des hypocrites ! La guerre ne serait sale que lorsqu’elle use d’armes non conventionnelles, interdites par la Convention de Genève. Pourquoi les gaz seraient-ils plus infâmes, moins nobles, que le fer et le feu ? Essentiellement parce que les vainqueurs, à moins de vouloir se parer d’une robe d’humanisme en tentant de protéger les femmes et les enfants qui ne sont pas censés demeurer sur le terrain de la guerre, quoiqu’ils y soient invariablement soumis, savent trop bien la volatilité de l’arme que le caprice des vents peut renvoyer vers l’émetteur, selon le principe de l’arroseur arrosé.
Certes, les guerres contemporaines, lorsqu’elles sont menées par quelques démocraties occidentales, ont vu en leur sein et leurs conséquences un réel progrès humanitaire : les frappes dites « chirurgicales », les drones ciblés, l’injonction au respect de l’ennemi, jusque dans une armée américaine capable de s’autoflageller, de condamner ses agents lorsqu’ils se conduisent en tortionnaires, épargnent une part croissante de la population. Mais seulement dans le cadre d’une conscience borgne. L’agent Orange versé sur les forêts du Vietnam par les Américains fit 400 000 morts, sans compter les malformations. Et pourtant ces guerriers ont failli dans leur mission impossible : rendre la liberté à ceux agressés par le communisme, comme ils étaient parvenus à le faire en Corée du Sud. Comme quoi un motif noble et juste ne préjuge pas de la sale laideur de la guerre ; et de son échec.
Une centaine de milliers de morts en Syrie dans le cadre d’une guerre civile ; et c’est seulement lorsque peu de milliers meurent sous les gaz qu’il faudrait se mobiliser ! L’indignation est bien sélective. Mais à moins de mettre un pur soldat de l’ONU derrière chaque paire de bras syrienne de plus de quinze ans et de sexe masculin (et encore…), sans compter les infiltrés jihadistes venus de nations voisines, voire lointaines, la cause est probablement perdue.
Comment choisir entre un dictateur socialiste criminel contre sa propre humanité et un peuple de rares révoltés démocrates et libéraux (cette dernière catégorie étant encore plus rares), de nombreux idéologues, plus ou moins fondamentalistes, salafistes et Frères musulmans, sans compter les pléthoriques jeunes désœuvrés que le goût de la poudre et du sang surexcite, le doigt en érection sur la kalachnikov… Pire, qu’espérer de l’immémoriale détestation entre Chiites et Sunnites, venue d’une pitoyable querelle de succession dans la famille du prophète coranique ? Que penser alors du sort des Chrétiens, coincés entre l’enclume d’Assad et la faux du croissant, victimes expiatoires du jihadisme et du ressentiment, victimes outrageusement oubliées de l’aire arabe entière…
S’il pouvait paraître loisible, sinon judicieux, d’éradiquer un dictateur de la face de la terre, un Saddam Hussein, un Kadhafi, donc un Bachar Al-Assad, on n’est certainement pas confiant en la capacité de peuples que la culture de la démocratie libérale n’a guère irrigués à les remplacer par de plus humanistes régimes. Hélas, la tyrannie, plus ou moins torride, d’un seul homme, d’un seul parti, d’un seul clan, risque de n’être que petit lait devant celle d’un peuple entier contre lui-même, en particulier contre ses femmes, y compris consentantes, peuple agité par les ataviques structures claniques éprises de conflits et par le démon de l’islam politique,
Faut-il alors à l’Occident s’en mêler ? Incarner le bien contre l’Assad du mal ? Surtout, faites la guerre, mais avec un couteau propre ! Si chef suprême syrien a bien utilisé un gaz mortel contres ses rebelles, il est probable que ces derniers aient pu l’utilisé de même, contre lui, contre leur propre population, pour pouvoir mieux l’en accuser. Aurait-on là d’ailleurs retrouvé ces « armes de destruction massive » que Washington feignit de ne pas trouver en Irak, alors que Saddam en avait généreusement usé contre ses propres Kurdes ? Ainsi choisir un camp relève-t-il de la gageure, de l’idéalisme niais, à moins qu’il s’agisse d’un calcul politique…
Comment comprendre en effet que Paris, après avoir chassé les djihadistes du Mali, aille leur prêter main forte en Syrie ? La figure du dictateur meurtrier est-elle si haïssable, les yeux grands fermés sur l’abomination de ceux qui œuvrent à le renverser ? Mais, dans le cas malien, il s’agissait moins d’aider un pauvre pays en déliquescence, pas trop tyrannique, de trop facilement chasser une pincée de terroristes abjects, que de protéger les intérêts africains de la France, en particulier la proximité des mines d’uranium d’Areva au Niger. Ne vaudrait-il pas mieux d’ailleurs, pour un hexagone qui n’en a plus les moyens, abandonner toute présence en Afrique, son relent de néocolonialisme, vendre ces mines aux Chinois et acheter l’uranium au prix du marché…
Quant à rétablir la démocratie, la paix et la liberté en Syrie, on sait combien l’occident y a échoué en Afghanistan, en Irak, en Lybie. Il y échouera donc en Syrie ; sacrifiant des soldats (qu’heureusement il n’est guère question d’envoyer), des matériels militaires et des aides humanitaires détournées par des mafias locales, quoique l’envoi de tenues de protections, d’antidotes au gaz sarin soient d’excellentes initiatives. Pensons combien Le palais de l’Elysée est incapable de rétablir cette même paix, sécurité et liberté à Marseille, dans nos banlieues délinquantes et chariaisées, et il voudrait apparaître en chevalier blanc lavant le linge sale d’une poudrière enclavée dans les rets de conflits d’intérêts et d’idéologies du Moyen-Orient, voire du monde entier !
En effet, entre le scorpion chiite iranien et la vipère saoudienne d’une part, la menace russe qui bénéficie d’une base navale sur la côte syrienne et les velléités américaines de mettre un terme aux exactions du maître de Damas d’autre part, sans compter la poudrière libanaise et le coin israélien, cette seule démocratie réelle au succès économiques avérés, qui blesse en majesté la susceptibilité arabe, il faut craindre la réaction en chaîne. En conséquence, un égoïsme nécessaire, et peut-être une sagesse olympienne, devraient nous ordonner ne pas mettre la main, pas si propre, guère immunisée, dans le panier de crabes syrien et moyen-oriental. Il ne nous restera plus qu’une pieuse et laïque pensée pour tous les innocents sacrifiés que nous ne pouvons aider à leur juste mesure. En particulier, puisqu’il faut user d’une judicieuse discrimination, tous ces chrétiens que nous pourrions être inspirés de recueillir, en une immigration bien moins dangereuse que d’autres, comme ces Coptes d’Egypte, hélas si maltraités, quoiqu’il faudrait s’assurer que chez nous ils abandonnent cette coutume d’une barbarie inouïe : l’excision.
L’on sait, mais pas assez, que les gouvernements aux abois, incapables d’assurer l’équilibre économique et libéral de leur pays, se rabattent sur les faits d’armes, qu’ils espèrent devenir des hauts faits, pour racheter leur impéritie. Ainsi le fascisme argentin envoya ses troupes sur les Malouines, heureusement taclé par Madame Thatcher, ce qui contribua d’ailleurs à assurer la chute des militaires de Buenos Aires. Ainsi, la France, à demie ruinée, agita l’étendard du mirage en envoyant les Rafales bombarder Kadhafi. L’affaire, pour des raisons géostratégiques (il n’y avait pas grand monde pour soutenir le Richard III des sables) était certes moins risquée qu’aujourd’hui. Le Président Sarkozy réglait ainsi une vieille rancune, lorsque pour des raisons économiques il avait été forcé de recevoir les tentes luxueuses du dictateur, par ailleurs complice actif du terrorisme, sur les jardins de l’Elysée. Un infâme tyran est tombé, soit ; mais l’on ne sache pas que la Lybie s’en soit relevée, infiltrée qu’elle est par le fondamentalisme, les guérillas claniques, et les jihadistes qui ont essaimé au Mali et ailleurs. Mali provisoirement débarrassé par la geste du Président Hollande (qui voudrait dépasser Sarkozy en ses hauts faits d’armes) de ses derniers, mais sans la moindre assurance de pérennité et de paix, à moins de placer un soldat français derrière chaque grain de sable saharien, derrière chaque motte de terre sahélienne. Sans que l’on sache encore si, à long terme, le ressentiment terroriste ne frappera pas la France. Non qu’il ne faille pas lutter contre ce dernier. Mais, encore une fois, assainissons notre territoire avant de prétendre gendarmer la planète aux côtés des Américains, pas toujours mieux armés que nous en ce domaine. Et dont certains inclinent à penser que le Moyen-Orient et ses conflagrations barbares, ses printemps arabes qui courent vers des étés à quarante degrés, ne sont plus qu’une zone sale et perfide, qu’il vaudrait mieux abandonner à ses démons, en lui préférant les économies émergentes, d’autres marchés pétroliers, son propre développement, y compris de gaz de schistes.
En combattant Assad, la France voudrait-elle faire allégeance à l’Islam, pour s’assurer son indulgence, bien illusoire ? Graisser la patte de l’Arabie Saoudite et du Qatar, alliés et instigateurs de la rébellion djihadiste en Syrie, qui n’accorderont aucune clémence aux infidèles, laïcs et athées, et préféreront le couteau déterminé de l’Islam conquérant ? Se positionner dans le cadre des géostratégies énergétiques en cours, lorsque des gazoducs venus de la péninsule arabique seront en concurrence avec les immenses champs pétrolifères et gaziers sous-marins, entre Syrie, Chypre et Israël, ce dans le contexte de l’affrontement des intérêts russes et américains ? Ou encourager cette industrie de l’armement qui est un pilier économique français, en graissant la patte des pétromonarchies elles-mêmes clientes ? Il ne faudrait pas mécontenter le Qatar, aux investissements pharaoniques et religieusement prosélytes en notre hexagone…
En effet, hors la vanité d’incarner la splendeur du bien, les mobiles, y compris peu ragoutants, sont nombreux, y compris lorsqu’il s’agit de lécher le talon d’islam qui en France vote à gauche avant de vous écraser. C’est ainsi qu’honni soit qui Syrie pense… N’y pas penser serait peu charitable, quoique la pensée n’ait aucun effet sur ceux à qui l’on pense. Penser en gesticulant sans rien y faire ne servirait qu’une abjecte bonne conscience, à peine repentante. Penser et agir serait-il assuré d’autre chose que de la satisfaction morale sans effets, voire aux effets discordants et pire que les maux à curer ? Des frappes ciblées (sans pouvoir annihiler les armes chimiques) et symboliques sur le régime, les matériels et les sbires d’Assad, pour s’attirer l’ire de Poutine et la détermination réactive farouche des Alaouites et des Chiites qui s’estiment incompris par un Occident honni ? Une zone d’exclusion aérienne ? Des livraisons militaires ? Tout ce trop et ce presque rien pour que l’explosion civile qui tente de balayer le régime y substitue une collection de guérillas entre factions rebelles, exponentielles et contagieuses hors des frontières syriennes ; mieux, un djihadisme vainqueur ? Précipiter la Syrie de Charybde en Scylla ? Serait-ce réellement protéger les civils, lorsque s’efface la distinction entre civils et militaires ? Tout cela, qui plus est, sans l’aval de L’ONU et de son conseil de sécurité qui autorisa les frappes de l’OTAN sur la Lybie en 2011, mais qui saura se prémunir du véto russe et chinois ; pire encore, sans l’aval de la Ligue arabe ? Et pour que l’Occident, qu’il vaudra mieux taxer d’indifférence, de pusillanimité, apparaisse comme un chien dans un jeu de quilles, un agresseur indu…
Il faut hélas avec réalisme s’en accommoder et s’en prémunir : l’homme, voire la femme, aime la guerre. Pour le plaisir de la sueur et du sang, pour la satisfaction d’une volonté de puissance, d’une libido dominandi, d’une exacerbation virile de l’honneur. Et s’il ne la fait pas lui-même, comme les chefs d’état et leurs parlements abrités par les ors de leurs palais, ces derniers y envoient leurs soldats sacrifiés ; ou, tout du moins, si l’opinion consent à renâcler, ils se contentent d’une gesticulation oratoire viriloïde, idéaliste et autosatisfaite, aux frais du contribuable qui n’en peut mais.
Certes le personnage de Poutine, dangereux sécateur des libertés, devient de plus en plus autocratique et postsovétique, allant jusqu’à réhabiliter Staline. Certes, il a lui-même utilisé les armes chimiques contre les Tchétchènes ; et livré des stocks au régime syrien. A ce triste personnage, allié intéressé d’Assad, auquel il n’a pas su conseiller le dialogue au début du conflit syrien, à ce complice d’un écrasement, il faut pourtant reconnaître une salutaire absence totale de naïveté envers l’islam politique et ses séides, dont il connait trop l’activisme sur ses marches caucasiennes. Un cynique dirait qu’il vaut mieux lui laisser la manipulation des braises, plutôt que de tenter d’éteindre ce foyer dont les doses létales parcourent à des degrés divers tous les pays arabes, sans compter l’Occident qui en accueille l’immigration…
La guerre est-elle un art ? Il faut alors se demander, dans une démarche également éthique, si l’art peut être cruel. Comme une belle partie d’échec, mais, de plus, avec une conjonction de la stratégie et de la nécessité humaniste. N’y résistent que les guerres nécessaires et moralement justifiables : se défendre contre les tyrannies, comme lorsque La Fayette vint contribuer à l’indépendance et à la justesse de la constitution des Etats-Unis. Service d’ailleurs rendu lorsque les Nazis ne furent chassés d’Europe qu’avec l’aide américaine. Art éthique en ce cas et cependant forcément laid, contraignant la liberté individuelle à abdiquer devant le dilemme discutable entre raison d’état et raison politique juste. Art laid de dommages collatéraux et de bombardements iniques sur Dresde et Hiroshima, dont les conséquences vont jusqu’à Guantanamo, jusqu’aux cercueils drapés de tricolore au retour d’une veille perdue contre le terrorisme taliban dont il faut se désengager. Veille pourtant peut-être nécessaire comme l’est la veille de la civilisation contre la barbarie. Comme la neutralité suisse, armée autant d’une saine économie que des moyens d’une guerre de défense, comme la force d’Israël, malgré d’inévitables et lourdes maladresses… Art à réinventer pour que le seul ennemi de la guerre soit la guerre elle-même.
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.