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28 octobre 2021 4 28 /10 /octobre /2021 11:13

 

St Katherina, Tiers / Tires, Trentino Alto-Adige / Südtirol.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Tyrannies totalitaires et quotidiennes,

par le Serbe Andrija Matic :

L’égout ; Burn-out.

 

 

Andrija Matic : L’Egout, traduit du serbe par Alain Cappon,

Serge Safran éditeur, 2018, 208 p, 21 €.

 

Andrija Matic : Burn-out, traduit du serbe par Alain Cappon,

Serge Safran éditeur, 2021, 226 p, 21 €.

 

 

Sous la hache du bourreau royaliste, sous la guillotine républicaine, sous la balle fasciste et communiste, reposent la nuque et le cerveau du libre-penseur, du rebelle, de l’individualiste. Car sur notre pauvre monde, la réalité sévère voit trop souvent le mal tyrannique terrasser l’innocent. À cet égard, George Orwell est un modèle. Indépassable, diront certains. Cependant il est loisible d’y amener maintes variations judicieuses. L’écrivain se veut alors le Bach des Variations Goldberg, le Beethoven des Variations Diabelli. L’un joue avec les armes dangereuses et affutées de 1984, l’autre avec les bêtes de La Ferme des animaux. Si la réécriture est une entreprise où l’on risque son talent, un auteur fort étonnant n’hésite pas à y fourbir ses plumes depuis la Serbie : Andrija Matic. À l'occasion de deux romans enlevés, deux apologues opprimés par la tyrannie, ce sont un homme traité comme un chien par le totalitarisme, dans L’Egout, un autre, dans Burn-out, traité comme un chien parmi une société quotidienne qui pourrait être la nôtre…

Abruptement, le « Gouvernement d’Unité Populaire » supprime l’usage de l’anglais et le jette à « l’égout ». À partir de cet oukase déclencheur, Andrija Matic conduit progressivement son personnage sur les pas d’une descente aux enfers.  Bojan,  professeur, tombe dans le chômage : pas même un brin d’emploi pour contribuer à édifier le « palais de la Concorde ». Il est inopinément contacté : va-t-il enseigner l’anglais aux deux enfants du « directeur du Service National de la Sécurité » ? Il s’agit pour eux de pouvoir percer à jour les visées de « l’ennemi ». Hélas, il lui faut également accompagner ses élèves pour assister aux « exécutions » à coups de masse. Malgré lui, et contre toute attente, il est gagné par l’enthousiasme de la foule : « Je me suis senti assujetti par une force inconcevable à laquelle il était vain de résister ». La mise en scène de la sujétion et de l’hypnose par les masses rejoint une sorte de syndrome de Stockholm qui permet à l’opprimé d’être gagné à son bourreau. Bientôt, la confiance du directeur permet à celui qui est devenu un homme nouveau un niveau de vie jamais atteint, lui promet « une belle promotion politique ».

Séduit par la mélancolique Vesna, l’ingénu Bojan doit déchanter : elle est « sidéenne », donc paria d’un système impitoyable. Emu par son suicide, il assiste à l’inhumation. Evidemment, tout se sait ; sa bêtise, le nimbant d’héroïsme minable, lui vaut sa disgrâce et le harcèlement du directeur. De surcroit, outré, il commet un meurtre à l’encontre d’un ecclésiastique pédophile. La fuite parmi les sans-abri, la prison, le procès stalinien le confrontent à la spirale du « mal lui-même »…

Grâce à une narration fluide, le romancier emporte son lecteur dans un univers étriqué, celui d’une anti-utopie pitoyable et cruelle, redoutablement coercitive tant la police est efficace, tant la population y adhère : la « Conciliation » est à la fois « communiste et nationaliste », de religion orthodoxe, pro-Russe et anti-occidentale. Une fois révolté, l’engrenage impeccable entraîne le malheureux héros vers « l’égout » du harcèlement, de la prison, des coups et de la mort infâmante…

Certes la Serbie de cet apologue impitoyable et affreusement tragique, publié en 2009, écrit dans le sillage assumé, voire un brin trop servile, du 1984 de George Orwell[1], est une allusion au temps de l’embargo de la Serbie de Milosevic décrété par les Nations Unies dans les années 90. Andrija Matic, qui enseigna dans une université d’Istanbul, y voit peut-être aujourd’hui une secrète métaphore de la tyrannie théocratique instaurée en Turquie par Erdogan…

 

 

Un autre professeur, que l’on n’espère pas être un alter ego d’Andrija Matic,  subit les feux du Burn out. Cette fois, nous sommes précisément à Belgrade, où il enseigne la littérature du XX° siècle dans une université privée prétentieusement nommée « Les Lumières ». Mais en une antithèse lourde de sens, Branimir Rihter est un spécialiste du sombre poète expressionniste austro-hongrois Georg Trakl, pour lequel il éprouve une dilection complice.

Très vite, l’on sait que l’homme, un matin de février 2014, s’est immolé par le feu sur l’esplanade de l’Assemblée nationale de Belgrade, comme un spectacle de rue, banal et incongru. Indubitablement il est inspiré par son modèle vénéré, Georg Trakl, dont la chronique dépression  nourrit la matière de son œuvre autant que son suicide par surdose de cocaïne en 1915. Branimir Rihter a résolu d’accomplir son destin en une mise en scène qu’il prétend être une impressionnante œuvre d’art publique. Pas de suspense à cet égard. Cependant, la construction par chapitres et narrateurs alternés, nous renseigne efficacement sur l’inéluctable montée de la tragédie.

De plus en plus dépressif, Branimir Rihter découvre le non-sens de sa vie professionnelle, irréductiblement décalée de son idéal d’excellence intellectuelle. La faculté des études philologiques, où il est censé délivrer quelques heures de cours, a été transférée dans une ancienne usine de production d’aliments pour bétail réhabilitée. Sans doute est-elle la métaphore de l’abaissement culturel. De plus le voilà coincé huit heures par jour dans un espace ouvert, où son bureau n’est séparé des autres que par de minces cloisons de verre, où l’on est sans cesse perturbé par les bavardages d’autrui. L’enfer transparent. Sans compter que la collectivité éducative souffre de bien d’autres maux : « l’essence même de ces réunions n’était pas la recherche de la solution la meilleure mais la justification de la fonction que quelqu’un occupait ou la satisfaction d’une passion pathologique pour la réunionite ».

 Un tel établissement est la propriété d’homme d’affaires véreux, corrompu et corrupteur, qui n’a pas la moindre volonté de faire de ses étudiants des humanistes cultivés. Sa seule préoccupation consiste à capitaliser des frais d’inscription parfois pléthoriques en admettant des fils et filles à papas fortunés, dont les accointances avec le pouvoir sont bien connues. Ces pseudos étudiants ne pensent qu’à papoter, tricher, pomper leurs travaux sur internet, jouer avec leurs portables. De quoi décourager un enseignant digne de ce nom. D’autant qu’il est monnaie courante, parmi les collègues de notre anti-héros, de « vendre les examens aux étudiants, rédiger les thèses des gros bonnets, décerner des doctorats honoris causa aux politiciens, promouvoir les livres de gangsters et autres criminels de guerre ». La corruption est monnaie courante.

Irrité par la nullité crasse et sûre d’elle de ses étudiants, le voici délivrant un cours sur le surréalisme qui est soudainement un morceau d’ironie brillant, pot-pourri plus surréaliste qu’André Breton lui-même : « Le Maître et Marguerite décrit vingt-quatre heures de la vie de Léopold Blum, un prédicateur musulman à l’époque des croisés ». Encouragé par l’absence totale de réaction, il enfle son hilarante improvisation. Mais lors d’une beuverie de week-end le voici photographié dans les toilettes d’un bar par un de ses étudiants, dans une posture que l’on peut deviner lorsque l’on a abusé de la bière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Entre harcèlement estudiantin et harcèlement hiérarchique, entre inanité des ronds de jambes et autres flatteries à l’approche d’un colloque aussi pompeux que creux où règne une « langue imbécile », et crise conjugale avec une épouse acariâtre, incapable tant de relations sexuelles que d’affection, le cas Branimir Rihter subit une dévaluation professionnelle et morale irréfragable. La chose étant aggravée par la lecture du Mythe de Sisyphe d’Albert Camus, à l’issue de laquelle ce dernier en déduit que le suicide est « l’apogée de la liberté individuelle », alors que notre professeur veut un « suicide qui fasse sens ». Et si Kafka n’est pas cité, l’on devine son autorité régnant sur l’université et sur un professeur menacé par l’effondrement métaphysique. Le « burn-out » n’est plus une vaine métaphore angliciste.

Certes une telle lecture est à déconseiller à un enseignant dont la condition devient de plus en plus inquiétante ; la noire tragédie d’Andrija Matic ouvre au scalpel quelques-unes des veines malheureuses de notre temps, voire de l’intemporelle condition humaine. Pour ce faire l’auteur enserre son personnage et son lecteur dans une stratégie romanesque redoutable. Comme en un puzzle conspirant inéluctablement à se clore et à achever son personnage, la narration est tour à tour assumée par un narrateur omniscient, par Branimir Rihter lui-même, par des courriels, des rapports administratifs et des témoignages aux pratiques langagières diverses passant par le prisme de la vision du monde de chacun, parfois bien mince, parfois grandiloquente. Sans oublier la veuve éplorée et joliment hypocrite. La dimension férocement satirique n’est pas sans humour. D’autant que les pitoyables commentaires entourant l’évènement médiatisé font du happening flamboyant un fait divers commis par un piètre déséquilibré, voire un attentat terroriste signé par quelque « secte sataniste ». Post mortem, notre anti-héros est dépossédé de son « acte artistique,  de son idéal d’ « artiste  ignorant toute compromission », pour n’être plus qu’une absurde marionnette avalée par l’oubli.

Homme révolté contre l’inanité sociale, contre un enseignement vaniteux et creux, contre les conventions conjugales, Branimir Rihter s’en tire par une pirouette désespérée, rejetant avec mépris le personnel de l’université. Mais sa quête d’authenticité n’en a fait qu’un Don Quichotte dépouillé de toute la gloire qu’il projetait. Entre roman postmoderne et pamphlet, entre tragédie et clownerie, Burn-out tire à boulets rouges. Et s’il ne reste pas même une cendre de son personnage, le lecteur en conserve néanmoins le feu qui anime la performance de son auteur.

Andrija Matic, né en 1978, a non seulement publié une poignée de romans dont on aimerait accueillir la traduction, mais aussi un essai sur le poète anglais Thomas Stearn Eliot. Il est, au travers de L’Egout et de Burn-out, un maître de l’apologue politique et existentiel. Depuis l’Antiquité, l’apologue est un récit à visée morale. Il vise ici à dénoncer le mal totalitaire et tyrannique. Fable en vers ou roman en prose, il n’est pas toujours animalier[2], ce dont témoignent les Romans et contes de Voltaire. « Je me sers d’animaux pour instruire les hommes », écrivait cependant La Fontaine[3] dans sa « Deuxième préface à Monseigneur le Dauphin ». Il suffit pourtant de terroriser les hommes comme des animaux nuisibles, ainsi que le fit Kafka dans sa Métamorphose puis dans Le Procès[4]. Ainsi Andrija Matic, dont les personnages aboient en vain dans le désert de la liberté, pourrait-il dire : « Je me sers d’hommes bafoués pour instruire ceux pour qui la dignité du nom d’homme n’est pas un vain mot »…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur L'Egout a été publié dans Le Matricule des anges, septembre 2018

 


La Villa, Alta Badia, Trentino Alto-Adige / Südtirol.

Photo : T. Guinhut.

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24 octobre 2021 7 24 /10 /octobre /2021 14:30

 

Iglesia de San Pedro, Cisneros, Palencia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

Fins mortelles de la littérature,

par Antoine Compagnon & Alain Finkielkraut.

La Vie derrière soi, L’Après littérature.

 

 

Antoine Compagnon : La Vie derrière soi. Fins de la littérature,

Equateurs, 2021, 384 p, 23 €.

 

Alain Finkielkraut : L’Après littérature,

Stock, 2021, 234 p, 19,50 €.

 

 

 

Science des fins dernières de l’homme et du monde, l’eschatologie n’est pas si loin de l’apocalypse, cette révélation du cataclysme. Plus modestement, deux auteurs dissemblables, qui eurent pourtant l’occasion d’échanger leurs analyses, s’intéressent à la fin dernière des créateurs, et à une « apocalypse cognitive, pour faire allusion au titre de Gérald Bronner[1]. En effet la concomitance thématique ne manque pas de faire sens, même s’ils envisagent la question au moyen de perspectives bien éloignées. Pour tous les deux la littérature a une fin. Le premier, Antoine Compagnon, envisage la finitude d’une vie d’écrivain, voire de peintre, et s’interroge sur les pouvoirs et les faiblesses d’une œuvre tardive, à la veille du trépas. Le second, Alain Finkielkraut, déplore la perte d’influence et d’aura de la littérature. Nos deux essayistes ne sont pas affectés par une identique mélancolie, sinon par un désespoir qui crierait dans un désert encombré des scories de l’époque.

 

Nous avions déjà célébré le travail colossal d’Antoine Compagnon, quoique d’une manière trop partielle, en présentant son versant historien avec Les Chiffonniers de Paris[2] puis d’analyste littéraire avec Baudelaire l’irréductible[3]. Sans compter des livres, tels que Le Démon de la théorie[4], La Littérature pour quoi faire ?[5] Ou encore ceux fréquentant l’amitié de Montaigne, Baudelaire et Proust, ceux qui « auront été mes Virgile », écrit-il… Une vie bien remplie donc. Mais à plus de 70 ans - il est né en 1950 -, alors qu’il doit prendre sa retraite du Collège de France et vient de perdre une amie très chère, il est un tantinet inquiet. Va-t-il pouvoir faire encore œuvre marquante, voire œuvre qui soit au-delà des précédentes, un rebond, un couronnement ? Aussi se tourne-t-il vers ses modèles et commensaux de toujours, écrivains dont les années de vieillesse ont vu poindre des réalisations inattendues, étonnantes, novatrices, leurs « chants du cygne » en somme, selon le mythe romantique.

Si les peintres en la demeure ont été considérablement étudiés, soit les dernières périodes créatrices de Poussin, de Rembrandt, de Degas, voire d’artistes que notre essayiste n’évoque pas, comme Matisse ou Picasso, les écrivains ont été à cet égard plutôt négligés. Or ces derniers ne sont pas sujets à « l’admirable tremblement du temps », selon les mots de Chateaubriand dans La Vie de Rancé, bel exemple de créativité tardive auquel notre essayiste revient de manière récurrente, comme en un leitmotiv, un fil rouge de son livre. Il s’émeut intensément à l’occasion de cette formule magnifique de l’auteur de René, alors que cet « admirable tremblement du temps » est en une hypallage celui de la main du vieux Poussin parvenant à se dépasser en peignant son « Déluge », avant de devoir abandonner les pinceaux.

L’on peut encore écrire si l’esprit est encore là, quoique l’on puisse, comme Roland Barthes, rêver d’arrêter d’écrire pour trouver le repos. Ainsi naissent des œuvres qui sont celles d’une sénescence sublime, lorsque que la liberté de créer se débarrasse des conventions. Les croulants magnifiques sont-ils alors des révolutionnaires, des précurseurs ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cet aiguillon de la mort prochaine sur le destin créatif est également examiné avec le secours de quelques derniers instants romanesques. Tout d’abord celui essentiel de la mort de l’écrivain Bergotte (qui ne connut pas « la grâce de la créativité tardive »), devant le « petit pan de mur jaune » de Vermeer dans La Recherche du temps perdu de Proust, alors qu’il se dit avec grand regret : « c’est ainsi que j’aurais dû écrire ». Ou ce vieux romancier qui n’obtiendra de la maladie aucune dernière chance dans Les Années médianes d’Henry James. Sans oublier le vieil Aschenbach mort à Venise sous la plume de Thomas Mann. Ainsi la littérature du deuil, depuis le mythe d’Orphée pleurant son Eurydice jusqu’aux enfers, est-elle une constante, comme à l’occasion de l’élégiaque roman d’Hermann Broch : La Mort de Virgile. Outre le récit d’une agonie, ce dernier roman conte la perte de confiance en son poème. À l’instar de Kafka qui crut vouloir brûler ses romans ; tout en les confiant à Max Brod, qu’il devinait probablement être le plus qualifié pour en assurer la publication. Plus profondément encore, Hofmannsthal témoigne d’une crise de l’élan et des valeurs portés par la littérature, dans sa Lettre à Lord Chandos, anti-héros « malade du langage ». Entre « chant du cygne » et désert du sens, l’écart est immense. Parfois, l’on se survit à soi-même, vieillard pathétique, dont la pensée et l’écriture s’effondrent en pleine gloire : c’est ainsi que Sartre, devenu aveugle, peut à peine se demander si les nouveaux philosophes ne l’oublient pas, ne le dépassent, en le rejetant sur la touche.

Autre fin, celle des romans dont les pages nous quittent à regret, dont les héros meurent ou sont trop vite expédiés, comme à l’issue de La Chartreuse de Parme de Stendhal. Et l’on devine qu’Antoine Compagnon ne peut que s’interroger sur les œuvres posthumes, qu’elles soient dues à un décès impromptu, ou, plus émouvantes encore, peaufinées par leurs auteurs qui ont connaissance de leur fin imminente. L’œuvre dernière l’est-elle « par accident » ou « par  intention, délibérément finale »…

Malgré des redites, la méditation d’Antoine Compagnon, entre vigueur et fatigue, entre espérance et mélancolie, est aussi émouvante que roborative. Car ni funèbre ni plaintive, elle est plutôt réconfortante : des beautés peuvent jaillir du grand âge, qu’il s’agisse de Goethe en son second Faust ou des derniers quatuors de Beethoven. Ce que confirme un généreux cahier d’illustrations, où s’ébattent Rembrandt, Titien, Poussin, Delacroix, mais aussi des manuscrits de Saint-Simon et de Nathalie Sarraute, sans oublier deux portraits photographiques de ce Baudelaire d’âge mûr qui sentit passer sur lui « le vent de l’aile de l’imbécillité ».  Il faudra bien, en un dernier accord de sagesse imparable, et qui sait avec un sursaut créatif ultime, « gagner la sortie ». L’on saura se consoler en sachant que de jeunes plus créateurs, voire encore à naître, relèveront brillamment le flambeau de l’art et de la littérature.

Platon : La République, Brocas & Humblot, 1767.

Photo : T. Guinhut.

 

Pourtant, ce qui est considérablement plus grave, selon Alain Finkielkraut, lui né en 1949, nous serions déjà dans L’Après littérature : « Le temps où la vision littéraire du monde avait une place dans le monde semble bel et bien révolu », affirme-t-il d’emblée. S’il y a des lecteurs, ils regardent du haut de leur immaturité et de leur suffisance, empreints qu’ils sont par de nouveaux préjugés qui ont nom « néoféminisme simplificateur, antiracisme délirant, oubli de la beauté par la technique triomphante comme par l’écologie officielle ». C’est ainsi qu’une adolescente suédoise, Greta Thunberg pour ne pas la nommer, s’érige en passionaria du climat en ordonnant une grève hebdomadaire des cours, au mépris de la culture historique et scientifique, au mépris de la complexité et de l’argumentation contradictoire[6], préférant avec une moutonnière jeunesse « le face à face des Justes et des Salauds »… La fin d’une littérature et d’une philosophie intelligemment  formatrices serait donc consommée ?

Pour Alain Finkielkraut, un personnage est symptomatique des maux de notre temps : c’est « Tante Céline », qui, dans Un Amour de Swann de Proust, s’irrite avec hauteur de ce que l’on souffre « cette folie de la classification et du cloisonnement des êtres », ainsi que le conceptualise notre auteur. Sur notre temps s’abattent les égalitaristes qui font fi de tout jugement argumenté et fouillé, les thuriféraires des mots d’ordre à la mode : « vaincre l’exclusion, célébrer l’hospitalité, effacer les frontières, abattre les murs de la forteresse », toutes vertus prétendues qui ne sont au service que de leurs proclamateurs, qui ne se gênent pas pour exclure tous ceux qui ne partageraient pas leur absolu.

L’on connait l’antienne : c’était mieux avant ; la bonne littérature se perd, et caetera. À toutes les époques, y compris depuis l’Antiquité, des voix s’élèvent pour déplorer la dégénérescence des mœurs et de l’art, ce dont ce dernier se moque allègrement. Car c’est probablement idéaliser le passé que de prétendre qu’il fut toujours le trône de la belle langue et de la belle littérature, même si des Lamartine, des Chateaubriand et des Victor Hugo, grands poètes s’il en fut, se montrèrent des géants politiques humanistes, honorables et honorés. Sans doute aujourd’hui sont-ils trop blancs, trop patriarcaux, trop chrétiens…

Certes l’art contemporain manque pour le moins de noblesse et n’est peut-être plus de l’art[7] ; certes nos nouvelles générations semblent souffrir d’un quotient intellectuel en baisse ; certes il ne semble pas que le roman et la poésie française les plus contemporaines s’élèvent à des hauteurs beaucoup plus honorables que le défaitisme d’un Houellebecq ; certes la cancel culture[8] veut balayer jusqu’à Shakespeare qui serait raciste et tous ceux qui ne seraient pas compatibles avec les diktats des Lesbiens, Gay, Bi, Trans et tutti quanti… Tout ce dont se plaint notre essayiste, que les uns traiteront sans courtoisie de vieux ronchon, de ringard patenté par l’Académie française. Reste qu’il vitupère non sans pertinence contre « les terribles simplificatrices », contre « le licenciement du vieux monde », contre « l’antiélitisme de l’élite », contre la perte de la transcendance, contre « l’empire de la laideur », quand « la beauté n’est plus aimée ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ainsi déplore-t-il à juste titre que l’on confonde les prestations musicales de Johnny Halliday avec la musique au sens noble du terme, lorsqu’une député - Aurore Bergé pour ne pas la nommer - « a comparé la ferveur autour de Johnny avec les funérailles de Victor Hugo ». Ainsi « le divertissement a fait main basse sur la grandeur ». De même il se rit amèrement que les musées soient devenus des « lieux de démocratisation inclusifs ». Pèle mêle, il brocarde le jargon post-culturel, le culte débile de la « diversité » et de la « parité », le délire des antispécistes[9] qui ne font plus de différence entre les humains et les animaux, les éoliennes défigurant le paysage français, les « vitupérations » du rap, « l’idéal égalitaire » et « la gauchitude », bien entendu tous ceux qui sacrifient l’autorité de la littérature et la dignité de l’humanité à leur plaisir vulgaire, à l’idéologie, qui est étique et non éthique. Car ils demandent à l’art de « défendre la bonne cause », « d’illustrer une vérité préalable », celle de leur doctrine, ils abolissent « la distinction entre la culture et l’inculture », en proclamant que « tout est culturel ».  En conséquence Alain Finkielkraut préfère la « nuance » et l’art de la discrimination judicieuse à la condamnation a priori, cette nuance qui est la marque de l’être cultivé. Soit tout ce qui peut conduire le récalcitrant finkieltrautien au pilori.

Inexorablement, la hauteur stylistique et morale de la littérature se voit dévastée par le règne du cliché, la vulgarité de la langue, la putréfaction de la bêtise. Le déclin français, voire au-delà, serait-il inéluctable ?

Malgré une construction passablement erratique qui est son péché mignon, comme dans son Identité malheureuse[10], car dénonçant les excès du politiquement correct, androphobe ou anti-blanc, il en perd parfois le lien avec la littérature, l’essai est cultivé à plaisir. Dernier gardien du temple, Alain Finkielkraut tient à ses héros littéraires, des romanciers encore contemporains, mais provisoirement, comme Philip Roth, dont La Tache[11] révéla d’une manière virtuose et fort prémonitoire la dictature antiraciste[12] dans les universités américaines, et Milan Kundera qui en connait un rayon en termes de totalitarisme communiste. Car si « l’Etat totalitaire est mort, l’esprit totalitaire demeure. Big Brother a changé d’adresse : il ne surplombe plus la société, il en est l’émanation ». En ce sens, pour cette clairvoyance, Alain Finkielkraut ne peut s’adresser qu’aux esprits libres.

 

Comme pour se consoler d’atteindre un âge respectable au-devant d’une mort prévisible, l’un, Antoine Compagnon, exalte les créations littéraires et picturales nées en fin de vie, tout en refusant « de croire que la littérature ait perdu le combat », tant elle a aujourd’hui de lecteurs, tant les livres sont accessibles. L’autre, Alain Finkielkraut, sonne au contraire le glas d’une littérature dont les nobles fonctions touchent à leur fin. Si nous avons joué sur les sens du mot « fin », c’est aussi pour rapprocher ce que ces deux auteurs ont en commun : outre leur affection pour Roland Barthes, les anime un goût réel pour la beauté de la langue et le sens civilisateur de la pensée.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Gérald Bronner : Apocalypse cognitive, PUF, 2021.

[4] Antoine Compagnon : Le Démon de la théorie, Seuil, 1998.

[5] Antoine Compagnon : La Littérature pour quoi faire ? Fayard, 2007.

[12] Voir : Métamorphoses du racisme et de l'antiracisme

 

Iglesia de Sante Eulalia, Paredes de Nava, Palencia.

Photo : T. Guinhut.

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13 octobre 2021 3 13 /10 /octobre /2021 15:17

 

Palacio de Soñanes , Villacarriedo, Cantabria. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Florina Ilis ou la Roumanie prise en écharpe :

 

  La Croisade des enfants, Les Vies parallèles,

 

Le Livre des nombres.

 

 

Florina Ilis : La Croisade des enfants,

traduit du roumain par Marily Le Nir, Syrtes, 2010, 512 p, 25€.

 

Florina Ilis : Les Vies parallèles,

traduit du roumain par Marily Le Nir, Syrtes, 2014, 664 p, 25 €.

 

Florina Ilis : Le Livre des nombres,

traduit du roumain par Marily le Nir, Syrtes, 2021, 544 p, 25€.

 

 

 

      Que pouvons-nous attendre d’un grand roman ? Que l’ampleur de son sujet s’accorde avec le soin dans les détails. Que la dynamique narrative permette à chaque page, voire chaque ligne, d’ouvrir à la pensée des perspectives, d’offrir une réelle et succulente richesse stylistique… « Toute œuvre littéraire qui aspire, si humblement soit-il, à s’élever à la hauteur de l’art, doit justifier son existence à chaque ligne », c’est ainsi que Joseph Conrad, dans sa préface au Nègre du Narcisse, formulait l’exigence esthétique du romancier. Sans nul doute, cette exigence est également celle de Florina Ilis, au vu de La Croisade des enfants, volume final d’une trilogie. Avec La descente de la croix et La Vocation  de Matthieu, qui sont moins des textes religieux qu’une réflexion sur la création artistique et les tentations du virtuel, ce vaste roman complète la Trilogie de la connaissance ou de la virgule. À l’œuvre abondante, il faut ajouter Les Vies parallèles, consacré au poète roumain Eminescu. Et Le Livre des nombres, une fresque rurale au temps du communisme collectiviste et au travers d’une vaste famille roumaine.

      Professeure de littérature japonaise née en 1968, amatrice de Kawabata, Tanizaki et de Bashô (elle a elle-même publié des haïkus), on devine que le goût de la langue, de ses pouvoirs de suggestion, n'est pas étranger à Florina Ilis. Admiratrice de Proust, on entend que ne lui font pas peur l’écriture au long cours et les réseaux de sens qu’une œuvre d’ambition réclame. Néanmoins, la rencontrant, sa modestie, sa discrétion peuvent ne pas laisser pas préjuger de la puissance de son souffle narratif et encyclopédique. Et pourtant !

      La Croisade des enfants commence de manière innocente pour un roman pas si innocent. Un chef de gare ordonne le départ d’un train. Il n’est qu’un des multiples personnages entourant le voyage d’une colonie de vacances vers sa maritime destination qu’elle n’atteindra jamais. Très vite, la succession des paragraphes qui s’achèvent par une virgule avant d’entrer dans la vie, la parole, la pensée d’un autre protagoniste -ce qui aurait pu n’être que le sec procédé postmoderniste de la multiplication des voix narratives et des focalisations internes- nous emporte sans heurt et bientôt avec un train d’enfer, dans l’aventure. Selon une succession aléatoire et récurrente, au rythme sans ennui, ou parfois par association d’idées, dans un flux qui paraît ne jamais devoir s’arrêter, les strates de la société roumaine (voire de toute société) sont visualisées, comme par une parfaite et immense coupe. Coupe également à travers chaque protagoniste en quelque sorte radiographié. On plonge dans la psyché de ceux qui amènent leur rejeton et quittent le quai de la gare, de ceux qui prennent ce train, enfants, professeurs accompagnateurs, croyants et athées, dont un clandestin de douze ans : Calman… Et ceux qui gravitent autour de l’action, depuis une sorcière tzigane en passant par un concepteur de sites web, un « Baron » de la pègre, un député corrompu, un chef de la police… Au point qu’ils paraissent nous livrer tous les secrets de leur passé, de leur vie, sinon de leur futur. Pavel, le journaliste et rédacteur en chef, peut-être la métaphore de l’auteure, s’est écartée de son père, parfait ouvrier du communisme, pour dénoncer les failles du régime de Ceausescu. Puis pour traquer les scandales politiques et les réseaux de la prostitution d’enfants abandonnés. Promesse  d’un avenir meilleur, pourtant confronté à la déliquescence générale de la Roumanie, il sera celui qui comprend le premier la portée de l’événement, le premier converti par cette croisade. Ne serait-ce que par cette plongée dans les composantes individuelles d’un pays grâce à un redoutable narrateur omniscient, ce roman engage, par un réalisme plus qu’efficace, une vision impressionnante de l’humanité et du monde.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Mieux encore, autour de l’incroyable événement qui voit les enfants s’engager dans « des stratégies de conquête du train », enfermer les professeurs dans leur compartiment, arrêter le train, chacun y va de sa participation à l’action, de son commentaire, de son angoisse ou de son enthousiasme. Ce sont les bambins eux-mêmes, leurs parents, des policiers et des militaires, un journaliste, des voisins, un truand qui planque une camionnette surarmée dans des bois jouxtant le train bloqué, ce qui permettra aux sales gosses de s’approvisionner. Sans compter la vieille tzigane passablement magicienne qui veille de loin, grâce à une amulette volée, sur Calman, le délinquant aguerri du haut de ses douze ans : celui qui est le déclencheur de la révolte, de l’incarcération des profs, du meurtre du chauffeur… S’ensuit une sorte de république des gamins, dont les wagons sont cernés par les bois et par une armée démunie devant cet adversaire inattendu, et surtout, grâce à la traînée de poudre de l’information, l’afflux incontrôlé de colonnes d’orphelins et autres délinquants abandonnés qui confluent vers le lieu du miracle pour en attendre une satisfaction de leurs besoins les plus élémentaires et les plus fous, de pain, de justice et d’affection, un improbable salut… Développant alors une vie en marge des règles adultes, ils changent la  colonie de vacances ordonnée en anarchie charmante, puis criminelle, aux dépens de ceux qui représentent l’autorité parentale, pédagogique et politique, mettant presque en déroute le pouvoir, y compris de l’armée. Peut-on croire à « la pureté des petits monstres qu’ils ont mis au monde » ? L’hypothèse terroriste, les armes trouvées par les mutins qui « jouent à la guerre », puis l’irruption des cohortes des enfants des rues affolent l’opinion publique et les médias, ébahis par les victimes et les revendications de ceux qui veulent « un parlement des enfants ». Dans le cadre du réalisme, le crescendo devient hallucinant, frôlé par l’aile du fantastique. Si tout cela reste bien plausible (nul pays n’est à l’abri de ce genre de déraillement sociétal), la prescience inquiète de la vieille magicienne, la jeune fille malade en quête de miracle, le délire mystique s’emparant de ceux qui confluent autour du site web « Order of innocence » font de cette « croisade des enfants » un double parodique et néanmoins illuminé de celle du XIII° siècle. On comprend alors que l’auteur soit également une aficionada du réalisme magique latino américain.

      Est-ce par ironie que ce roman étonnant est ainsi titré ? On sait l’échec que fut cette médiévale et insensée « croisade des enfants »; d’ailleurs largement un mythe, puisque les enfants n’étaient en fait que des pauvres qui moururent presque tous avant de ne jamais atteindre la Terre Sainte. En la Roumanie de l’aube du XXI° siècle, il s’agit bien d’enfants, mais on n’est pas sûr qu’elle soit inspirée par un quelconque Dieu des enfants… La naïve odyssée, réécriture de la révolution roumaine de 1989, autant propagée par quelques prédicateurs anonymes que par la rumeur, par internet et la presse, bascule dans l’imprévu dantesque, dans l’horreur. Autour de quelques dizaines, puis centaines de bambins et ados, la sympathique colonie de vacances qui devait ne rallier que la mer Noire, puis la prometteuse quête des enfants perdus pour la reconnaissance, entraînent la Roumanie entière dans leur sillage dévastateur. Pourtant, le désordre moral en sera à peine changé.  En ce sens, la dimension épique, comme dans un jeu vidéo qui multiplie ses combattants et ses possibilités, est patente. Sauf que la distribution entre le Bien et le Mal n’est pas si claire.

      Sans cesse, le roman se déploie selon une multiple spirale narrative : spirale temporelle qui ajoute les péripéties les unes aux autres en une vaste gradation ascendante ; spirale géographique le long du parcours ferroviaire, dans la région, dans le pays, voire le monde entier grâce à l’usage d’internet ; spirale politique, jusqu’à un baron de la mafia, jusqu’au Premier ministre... Car dans cette fresque intense et encyclopédique, hallucinante et cependant distanciée, Florina Ilis révèle la déliquescence de la Roumanie postcommuniste. Ce qui n’excuse évidemment en rien le régime tyrannique auquel ont succédé une démocratie et une économie plus que maladroitement libérales. Ce qui est en cause, autant que les bases d’une société qui n’a pas encore su digérer le régime communiste de Ceausescu, et qui de la liberté d’entreprendre connaît surtout celle de la criminalité et de la corruption, c’est la question de la destinée d’un pays en difficile mutation. Ses enfants souhaitent le bonheur, qu’ils soient privilégiés et choyés par leurs familles ou orphelins abandonnés à leur déréliction, mais ils n’ont évidemment pas, encore moins que les adultes, les moyens de leur utopique ambition.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Au-delà du constat autobiographique, lyrique et pathétique de Cartarescu qui narre dans une autre trilogie (Orbitor, L’œil en feu et L’Aile tatouée) ses années de formation dans la Roumanie de Ceausescu, l’intention dénonciatrice du roman de Florina Ilis est également porteuse d’une interrogation sur l’irruption des nouveaux médias et d’internet (nouvelle génération oblige) qui sont alors autant les moyens d’une connaissance aiguisée du réel que l’entonnoir d’une irrationalité que l’on croyait résolue.

      Il va sans dire qu’un tel roman intéressera les sociologues politiques autant que les spécialistes de l’éducation. En effet le bien fondé de l’innocence et de l’autorité sont au centre du débat induit par l’action. La dimension satirique, voire humoristique, est sans cesse présente sous la plume d’une écrivaine guère encline au messianisme puéril. Pensons à la liste grotesque des revendications enfantines : « davantage de vacances », « un balai marque Nimbus 2000 », jusqu’à un « parlement des enfants »…

      L’ironie, le sens de la narration et la culture aussi rayonnante qu’acérée de Florina Ilis font merveille, éveillant chez le lecteur mille étages de réflexion, au cours d’un texte aux complexités aussi nombreuses que miraculeusement aisées. Qu’est-ce qu’ « Order of innocence » : un virus informatique, un site polarisant les fantasmes, ou le génie du mal inhérent aux plus jeunes? Plus encore que dans Sa majesté des mouches de Golding, l’enfance est ici démythifiée, prodigue qu’elle est en sauvagerie, en barbarie menaçant toute civilisation. La limite entre les jeux vidéo, Harry Potter, Eminem (ces héros adulés) et la conquête du pouvoir réel est gaillardement franchie. S’emparant du train en « 3D », nos petits héros posent au lecteur la question de la responsabilité des jeux et des médias corrupteurs, à moins qu’il s’agisse de celle de leurs parents et maîtres défaillants, ou encore de celle de la nature humaine…  Ainsi, le roman-somme affirme ici sa vocation à figurer, interpréter et interroger le monde, en un examen à la fois sans concession, social, satirique et métaphysique, jusqu’au « mysticisme délirant ». Sans oublier la structure « autoreverse » du roman, comme le walkman final…

      Image du chaos postcommuniste et de la condition parfois exécrable des jeunes Roumains, de la dégringolade des utopies, ce vaste apologue est bourré de talents jusqu’à la gueule. L’acuité politique, la dissection des psychés autant que du contexte socioculturel contribuent à la réussite d’une fresque romanesque intense, encyclopédique et sans lourdeur, au point que notre conception de la nature humaine en soit ébranlée, que la remise en cause de nos préjugés soit initiée. Indubitablement, Florina Ilis entre dans la cour des grands du roman européen, comme le fit en 2006 Jonathan Littell avec Les Bienveillantes, rare roman de l’aube du XXI° siècle à avoir atteint cette qualité d’ampleur thématique et de richesse dans le détail (il est vrai qu’il est américain d’origine, ceci expliquant peut-être cela). « On appelle classique un livre qui, à l’instar des anciens talismans, se présente comme l’équivalent de l’univers. » disait Italo Calvino, dans Pourquoi lire les classiques. Considérons donc La Croisade des enfants comme un classique.

 

Plutarque : Vies des hommes illustres, Cussac, 1802.

Photo : T. Guinhut.

 

      Plutarque avait fait de ses Vies des hommes illustres des Vies parallèles, dans lesquelles il comparait les figures de l’antiquité grecques et romaines, au bénéfice des premières, sans cesse parées des grandes vertus. De même, un écrivain a plusieurs vies parallèles, celles de sa biographie, celles de ses œuvres et de ses personnages, celle enfin de sa postérité. Le nom de l’homme illustre Eminescu ne dira rien au lecteur français. Pourtant, il est encore considéré comme le poète national roumain, trop national probablement, au point de donner lieu à de nombreux avatars, mis au jour dans ces romanesques Vies parallèles. La romancière Florina Ilis propose à son sujet une hallucinante fiction documentaire.

      En juin 1883, Mihai Eminescu, le « jeune homme à crinière romantique », devient fou. Jusqu’à sa mort, en juin 1889, il est d’abord confiné dans un asile psychiatrique, où, atteint de « verbigération », il se prend pour un « Pharaon », avant de plus ou moins végéter, paraître en bonne santé, errer et délirer. Bien que le diagnostic, entre syphilis et psychose maniaco-dépressive, ne fit guère de doute, l’on se demanda s’il fut victime d’une conspiration politique. Le récit embrasse cette période agitée, mêlant réalisme des témoins et imaginaire du protagoniste, alternant rapports et « auditions », monologue intérieur et écrits du poète ébranlé en sa psyché. « Malgré son génie omniscient », il commit des articles antisémites et restait « un grand naïf pour ce qui est des problèmes de la vie ». Il fut « heureux pour un poète, malheureux pour un homme ». Sans oublier les intrigues et amours contrariées, les retours en arrière, les anticipations, le poète maudit est ranimé, diffracté, en cette vaste fresque chaotique et colorée. Car ce sont « soixante et onze pièces d’un puzzle tout en enfilade ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Il y a bien des lectures parallèles à envisager de ces Vies parallèles bavardes et torturées, peut-être exagérément touffues, terriblement encyclopédiques. Au-delà de notre curiosité pour la figure contrastée d’un conservateur, la récurrente « récupération des valeurs du passé » n’a pas manqué : il fut lu comme un tenant du racialisme de l’extrême droite des années trente, « annexé à la pensée légionnaire », lu comme un social prolétaire par le communisme de l’après-guerre, comme un parangon enfin du nationalisme choyé par Ceausescu. Ce dont le roman se fait le réquisitoire prolixe et documenté. Le mythe national est ainsi déconstruit avec le scalpel de la littérature elle-même, avec les moyens d’un immense orchestre symphonique générique et stylistique.

      L’un des plus étonnants chapitre de ce roman polyphonique emprunte en 1960 la voix, peut-être une réincarnation d’Eminescu, de la « muse ». Elle embouche un parfait morceau de bravoure, chantant les bienfaits du communisme, en un modèle d’ironie corrosive et enjouée : « Polymnie, celle du lyrisme et du mime, s’est vue attribuer des tâches dans le domaine de la censure (elle se tait, coupe, ajoute et intercale au besoin). Mes autres sœurs, dont le travail restait sans objet, Melpomène, Thalie, Terpsichore et Uranie, ont suivi une formation en vue d’une nouvelle qualification professionnelle et ont été dirigées vers divers secteurs artistiques où elles pourraient utiliser leurs compétences (théâtre, ballet, traduction, etc.). Nous quatre qui sommes restées, nous avons suivi des cours de marxisme-léninisme et avons assimilé consciencieusement les tendances esthétiques et les directives artistiques préconisées par le parti ». Les pouvoirs totalitaires ne visent qu’à s’approprier les écrivains, les poètes, pour les juguler ou pour en décorer leurs bannières…

      Le défi a été relevé avec un brio impressionnant par Florina Ilis : rendre son identité, son morcellement, au poète, inventorier les oripeaux de l’Histoire pour l'en débarasser. En ce roman de société biographique, ce roman-somme, cette satire idéologique, cette traversée des errements d’un pays, tout à la fois essai et enquête, le flot narratif séduit autant que l’invention stylistique, que le maelstrom politique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans l’Ancien testament, le « Livre des nombres » s’occupe de recenser les Israélites entre la sortie de l’esclavage égyptien et l’accession à la terre promise. Ses récits, prophéties, lois et généalogies auraient, selon une tradition légendaire, été rédigés par Moïse en personne. Comme en écho à cette autorité biblique, la romancière roumaine Florina Ilis fomente une Histoire de la Transylvanie, tenaillée entre Autriche-Hongrie, Roumanie et communisme. C’est un vaste demi-siècle qui est pris en écharpe en cette abondante et généreuse fresque, souvent dramatique, voire tragique.

Malgré le bal et le « premier amour d’Anna » qui sera la mère du narrateur, pour le grand-père Spiridon c’est en 1959 « le commencement de la fin ». Car des « brigades d’activistes » prennent bien du plaisir à la collectivisation forcée des terres. Le communisme commence avec la fin de la liberté. Ce qui n’était pas tout à fait le « jardin d’Eden » ne l’est décidément plus. La nationalisation fut un pillage, « la brutalité des temps nouveaux n’avait rien épargné, rien laissé au hasard ». Ainsi le grand-père Gherasim est emmené pour être jugé comme « chiabur », l’équivalent du koulak russe, soit un riche propriétaire, à qui l’on intime de céder ses terres à l’Etat. Hélas, il trimballe dans sa poche des « bouts de papier contre le Parti » et ne sachant pas bien lire il signe son hostilité au régime !

Il faut un témoin, un enquêteur, pour signer cette chronique ; c’est l’écrivain et narrateur omniscient, qui interroge les membres de sa famille, compulse les albums et les productions d’une lignée de photographes, y compris des documents falsifiés pour accabler les dissidents (« un écrivain connu rencontrant des agents étrangers »), puis fouille, lorsque c’est enfin possible, les archives de la police secrète, la « Securitate ». L’on se doute qu’en sa mise en abyme la romancière a fait de même, sans oublier le secours de son imagination.

La galerie de personnages devient toute une comédie humaine, entre gens chaleureux et hauts en couleurs, comme Zenobia, mais non dénués de rivalités diverses, et les prédateurs qui usent du vent politique, qu’ils soient nationalistes ou communistes, comme Marin, « membre du Conseil populaire » ; mais sans manichéisme : est-ce le courant de l’Histoire qui fait le bien et le mal ou la diversité des natures individuelles ? Au microcosme villageois répond le macrocosme de la Roumanie et des Pays de l’Est.

« Prose réaliste » et « poétiquement esquissée », selon le modus operandi de l’écrivain, la chronique familiale et rurale et le roman de mœurs ont quelque chose d’épique, tant la succession des générations est marquée par les régimes politiques, par l’abjecte lubie communiste, par les ruses de la liberté. Entre temps, la terre a été rendue aux habitants, pour clore le temps de la tyrannie de Ceaucescu. Reste le pouvoir de la mémoire et de l’écriture, restituant les vies et les psychologies. À tel point que la jeune Nora, admirant les livres de notre narrateur, qui veut « connaître la vie dans ce qu’elle a de plus beau, de plus pur, de plus exaltant », et poste des textes sur Facebook, veuille « devenir écrivaine » : il lui faut pour cela voir naître un « bébé souillé de sang », métaphore de l’avenir...

 

Les romans de Florina Ilis s’inscrivent autant dans une dimension historique que mythique. La Croisade des enfants - peut-être son chef-d’œuvre - narrait un voyage ferroviaire qui culminait en une avalanche du mal. Les Vies parallèles collectionnait les strates de la vie du poète roumain Eminescu et les errements du concept de poète national. Avec ce Livre des nombres, elle ajoute plus d'une corde politique à son entreprise profondément humaine et satirique. « Buvons à la littérature ! » s’exclame un personnage, que nous approuvons avec joie.

 

Thierry Guinhut

La partie sur La Croisade des enfants a été publiée dans L'Atelier du roman, décembre 2010,

celle sur Les Vies parallèles dans Le Matricule des anges, janvier 2014,

celle sur Le Livre des nombres dans Le Matricule des anges, mai 2021.

Une Vie d'écriture et de photographie

 

Cartonnage Hetzel, 1875. Photo : T. Guinhut.

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7 octobre 2021 4 07 /10 /octobre /2021 17:27

 

Monasterio San Zoilo, Carrion de los Condes, Palencia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Surveillances étatiques

& entrepreneuriales,

ou le citoyen de verre,

par Wolfgang Sofsky & Shoshana Zuboff.

 

 

Wolfgang Sofsky : Citoyens sous surveillance,
traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, L’Herne, 2021, 272 p, 16 €.


Shoshana Zuboff : L'Âge du capitalisme de surveillance,
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bee Formentelli et Anne-Sylvie Homassel,
Zulma, 2022, 864 p, 13,50 €.

 

 

 

Armés de tous leurs saints idéologues et de tous leurs anges policiers, ces dieux que sont devenus l’Etat complotent comme de sombres aigles aux regards aiguisés plantés dans les neurones des citoyens, des consommateurs et des individus que l’on eût cru libres. Wolfgang Sofsky, que nous connaissions pour ses vigoureux essais sur les vices et la violence[1], produit un pamphlet particulièrement affuté, Citoyens sous surveillance, d’abord publié en allemand en 2007, puis amendé jusqu’en 2021 ; car, n’en doutons pas, il y a sans cesse matière. Cependant, au-delà des tentacules de l’Etat radiographiées par notre essayiste, ne faut-il pas penser à celles de ces puissantes entreprises qui, bien plus que collectionneuses d’informations, entreprennent elles aussi de se faire conseillères, propagandistes, censeures…

 

Premièrement intitulé Le Citoyen de verre. Entre surveillance et exhibition[2], cet essai du sociologue et philosophe allemand d’aujourd’hui (peut-être le plus pertinent avec Peter Sloterdijk, qui d’ailleurs fit la critique de l’impôt[3]) devient en son édition augmentée Citoyens sous surveillance, en un titre plus ramassé, plus inquiétant. Comme en un apologue, notre essayiste allemand commence par rapporter la petite histoire de la « famille B », qui, ainsi nommée, parait anonyme. Sauf que tout conspire à ce que rien ne soit ignoré : consommations et horaires d’électricité, caméras urbaines, ponctions fiscales, achats en ligne, communications téléphoniques, courriels, comportement de l’enfant à l’école, tout concourt à notre sécurité et notre confort. Sauf que si « l’atmosphère est à la coercition tolérante », voici, pour reprendre le sous-titre : « la fin de la vie privée ». Les traces de nos pas, de nos désirs, de nos pensées même s’accumulent dans les boites noires du renseignement étatique et commercial. L’inventaire de l’espionnage plus ou moins consenti, par indifférence, complicité ou contrainte devient vite pour le moins problématique, voire terrifiant.

Les totalitarismes du XX° siècle ne nous auraient donc pas servi de leçon ? Aussi est-il urgemment nécessaire, avec Wolfgang Sofsky, de mettre en œuvre des « retours sur le passé ». Depuis les Romains qui opéraient « une distinction claire et nette entre le public et le privé », en passant par la Renaissance beaucoup moins libérale avec le concours des religieux, puis la Révolution française très intrusive, hors l’éphémère liberté du divorce. De longtemps, « être socialement intégré c’est porter des chaines sociales ». L’Histoire de la vie privée, pour reprendre le titre de Philippe Ariès et Georges Duby[4] n’est pas un champ de roses mais plutôt une couronne d’épines. Ce fut anonymat des villes qui permit l’irruption d’une vie détaché du groupe obligé, ainsi que la possibilité de trouver un espace propre à chacun. Et seul le vingtième siècle, malgré ses Léviathans nazis et communistes aux yeux meurtriers, permit à chaque individu ou presque de disposer d’une « chambre à soi », pour reprendre le titre de Virginia Woolf[5].

Il s’agissait d’échapper aux tyrannies, familiale, professionnelle, confessionnelle,  et caetera. Au-delà pourtant « tout pouvoir qu’il soit de nature démocratique ou autocratique, menace la liberté de l’individu ». Or l’Etat, « institution destinée à dominer les citoyens », « n’est ni un havre de moralité ni une institution morale ». Cependant il réclame de plus en plus de lois, d’agents de la fonction publique, d’argent du contribuable, au détriment de « l’unique mission qui lui revient : garantir la liberté ». En ce sens, Wolfgang Sofsky a toute sa place dans la tradition du libéralisme politique.

S’interrogeant sur la peau et le corps, sur le sexe et ses penchants, voire sur la honte, espaces intimes du sentiment de privauté, notre essayiste montre combien ils exigent d’être protégés, alors que, ajouterons-nous, ils peuvent être les objets favoris de l’exhibition glorieuse et de la victimisation revendicatrice. Cependant, lorsque le coupable cèle crimes et délits, « le droit à la vie privé atteint sa limite là où la liberté de l’individu est menacée ». Reste « l’espace enténébré de la vie privée », celui de l’agonie et de la mort, plus encore du suicide.

La propriété privée risque elle aussi d’être l’objet d’une surveillance orwellienne : « pour bloquer toute nouvelle inégalité dès son apparition, il faudrait en permanence surveiller la propriété de tous ». En conséquence, extirpant la liberté économique, « la manie de l’inégalité mène tout droit à la tyrannie ». En conséquence encore, l’impôt pour lequel nous travaillons la moitié de notre vie, est à la fois le fait d’un voleur légal, l’Etat, et l’objet d’une utilisation inconsidérée, bien au-delà des bornes régaliennes de ce même Etat. En authentique libéral classique, notre essayiste professe avec justesse : «  ce n’est pas l’assistance qui justifie l’existence d’un Etat, mais la garantie de ces droits à la protection et à la liberté qui évitent à l’individu d’être victime d’agressions extérieures ». Hélas, non seulement le citoyen n’obtient pas la contrepartie attendue de l’avalanche fiscale qui se glisse dans tous les interstices de l’activité publique et privée, avec les yeux d’Argus et les serres de rapace du pouvoir bureaucratique, mais de surcroît sa sécurité est plus que faillible, la misère matérielle l’attend au tournant, la prospérité économique et les systèmes d’éducation se délabrent. Tout cela au prix d’un « travail forcé camouflé » et d’une régulière ponction des informations afférentes. Entre saisie et redistribution, l’Etat est une hydre aux cent bras de plus en plus lourds. Et encore Wolfgang Sosfky parait d’abord s’adresser à son pays, l’Allemagne. Que dirait-il s’il fixait sa perspicacité sur la France…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’espionnage certes est un mal nécessaire aux mains d’un Etat garant de la sécurité de ses citoyens, à condition de ne pas épier l’innocent au détriment du coupable, ce qui est un art pour le moins délicat, de ne pas préférer certains coupables à d’autres, là pour des raisons idéologiques. Le Léviathan est capable du pire s’il n’est pas lui-même surveillé. Par exemple de vouloir être le « gardien de la moralité », armé d’une légion toujours croissante de surveillants. Le Surveiller et punir de Michel Foucault[6] trouvant ici une nouvelle métastase.

Loin de rester une politesse indispensable la discrétion protectrice se voit battue en brèche : « l’indiscrétion est pratiquement considérée comme une vertu démocratique ». C’est une forme moderne du commérage, du voyeurisme graveleux, dans laquelle le harcèlement pointe le bout insistant de son museau fétide.

Nous sommes tous des « citoyens de verre », fragiles et au travers desquels tout est de notre moi lisible, mais aussi livrés aux écrans qui, télévisuels, veulent nous hypnotiser, ou depuis Internet qui nous piste et nous balise, tout en nous permettant de déposer les témoignages du narcissisme et de la peur, tout autant que de capter et influencer ceux d’autrui. Or « la culture médiatique de l’indiscrétion » chamboule le terrain de la propriété de soi. En même temps, l’apparente bonne volonté de la transparence se change en imposition de l’impudeur et en inquisition.

Les malheureux citoyens de verre pourraient se voir brisés menu, car la destruction de la vie privée va la main dans la main avec l’érosion de la liberté politique. Quand il s’agit de « leur inculquer ce qu’ils ont le droit de penser », ne leur reste-t-il que « la possibilité de se retirer dans son monde intérieur » ? De fait « la politique de l’esprit […] fait tomber les hommes dans les cages de la captivité intérieure ». Il en est de même pour « la politique de la mémoire » qui trimballe sa cargaison d’idéologie historique, dans laquelle le dogmatisme et le conformisme, y compris religieux, ne tolèrent pas la subversion de la pensée libre. C’est ainsi que « certains partisans d’un relativisme culturel sont pourtant disposés à renoncer à la liberté et à la vérité », note avec pénétration notre essayiste. Alors que « Sans la liberté de blâmer, il n’est pas d’éloge flatteur », disait Figaro[7].

La biopolitique dispose de sa propre « supervision morale », y compris lors de la récente pandémie, dénie le droit à une mort supportable. Le droit de léguer à ses enfants est bafoué par des limitations et autres taxations. De même les modes de procréation font l’objet de contrôles, voire d’interdictions, qui sait si bientôt elle fera « du patrimoine génétique le critère de répartition des droits civiques et des droits aux prestations »… Au point que, pour reprendre Wolfgang Sofsky, « héritier du clergé, l’Etat moderne s’est donné pour mission de veiller sur les bonnes mœurs et d’assurer la production d’individus vertueux ». Vertu d’ailleurs hypocrite, si l’on songe combien la délinquance, la criminalité, le prosélytisme du terrorisme ont les coudées franches.

Gardons-nous d’être naïf et confiant ; ce pourquoi il faut lire Wolfgang Sofsky. Et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ce n’est pas seulement la Chine qui est à même d’épier de manière panoptique nos rues et nos reins, mais tout pays pour lequel « liberté » est un mot gênant, un vain mot. Certes la criminalité et la délinquance méritent d’être scannées, à condition de savoir délimiter clairement leur cercle, qui doit être celui des atteintes aux personnes et aux biens ; et non celle du crime par la pensée, exprimée ou non.

La réflexion de Wolfgang Sofsky est incisive, rude, la charge contre l’impôt et l’Etat décapante et revigorante, la satire morale contre les vices publics, contre la « mise en réseau » des information fiscales, sociales, médicales, judiciaires, scolaires (etc.) qui s’exercent au dépend de l’individu est éclairante, sans oublier la suite logique : l’endoctrinement et son corollaire, la censure. Ce qui n’empêche en rien cet essai d’être d’une clarté sans mélange.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ne serait-ce pas l’orwellien Ministère de la vérité du gouvernement français qui étend un tentacule de plus en installant une commission pour lutter contre les fake news et le complotisme, au doux nom de « Les Lumières à l’ère numérique » ? Ainsi la liberté du scepticisme, de se tromper, d’une analyse divergente et efficace se voit menacée, rognée, bientôt arasée par une surveillance insidieuse, glissant par tous les canaux d’Internet et des réseaux sociaux, de la sécurité policière et du biopouvoir. Car si le passe sanitaire peut être défendu au travers d’une non-prolifération du virus, il n’en porte pas moins le risque d’une extension du domaine du traçage des individus.  

Certes, l’on pourrait imaginer que les caméras équipés de la reconnaissance faciale ne s’appliquent qu’aux récidivistes de la délinquance et qu’à ceux pour lesquels on a de bonnes raisons de penser qu’ils fomentent un acte terroriste. Mais rien ne prouverait que l’Etat résisterait à la tentation chinoise, c’est à dire la surveillance omnisciente de chaque citoyen, doté de points de citoyenneté menacés d’être effacés au moindre écart, au gré des doxas et autres lubies politiques et morales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malgré les qualités intrinsèques de son essai, Wolfgang Sofsky s’aventure trop peu au-delà du rayon d’action de l’Etat. Pourtant d’autres prérogatives et menaces d’une proliférante surveillance viennent d’entreprises privées. En particuliers des GAFA, soit Google, Apple, Facebook et Amazon, sans compter leurs imitateurs qui nous courent sur le râble comme chasseurs sur le gibier. Alors que de l’Etat nous sommes les proies trop inconscientes et à notre corps défendant, nous nous précipitons volontairement et naïvement à bras ouverts dans la nasse de ces entreprises de communication et de consommation. Nous y disséminons nos goûts, nos choix, nos opinions. Car à chaque fois que l’on use des smartphones et d’Internet, des algorithmes nous conduisent par concaténation vers les domaines, les produits, les opinions déjà enregistrés, nous enfermant dans ce que l’on appelle des bulles de filtres, qui ont l’inconvénient de nous clouer dans le préconçu, sans compter des directions induites par une doxa économique et politique, au risque de nous couper de découvertes, d’analyses divergentes, salutaires peut-être, désastreuses, voire incorrectes, émondant notre libre arbitre. Le libre marché concurrentiel est écorné dans sa capacité à concourir à la liberté, d’autant plus que des entreprises spécialisées font commerce de nos informations qui devraient être confidentielles. Et si l’on commet l’erreur de financer la Chine au travers de l’achat de l’une de leurs technologies numériques, ne doit-on pas craindre de lui livrer notre capital informationnel, qui serait ainsi fichable, flicable…

Tout cela peut être abondamment vérifié dans l'essai, la somme, de plus de huit cent pages, sous la surveillance de Shoshana Zuboff : L'Âge du capitalisme de surveillance. La documentation est considérable, l'acuité redoutable, comme si l'essayiste allait concurrencer Google lui-même, ce « pionnier du capitalisme de surveillance ». Enquêtes, notes, index, tout concourt à radiographier notre « futur numérique ». Capter nos informations, notre intimité, nos opinions politiques est leur credo, de façon à les exploiter dans un vaste marché publicitaire, dont les géants et les nains du web revendent les données que nous ne leur avons pas données. Ce ne serait presque rien s'il ne s'agissait pas d'orienter, voire de censurer notre expression, notre pensée, faisant fi d'un libre arbitre presque impossible. Voyez comment Facebook par exemple vous somme de lire des informations climatiquement correctes, traque les complotismes et autres scepticismes, qui sont pourtant, du moins pour ces derniers, la condition sine qua non de la démarche scientifique et philosophique.

Les réseaux sociaux sont une caméra perpétuellement braquée sur qui veut l’endurer, et Facebook au premier chef. Ce dernier, non content de bombarder ses affidés de publicités ciblées en fonction de leurs centres d’intérêts affichés et induits, réels ou imaginaires, traque la moindre nudité, le moindre bout de sein ou galbe fessier, fût-il celui d’une statue de marbre de Canova photographié par votre modeste critique. De plus il se prétend juge sanitaire, politique et moral, in fine juge des enfers, en prévenant des dérives discutables contre la doxa vaccinale, en bannissant tel homme politique (Donald Trump par exemple), en favorisant ce qui est nanti d’un potentiel d’intérêt populaire et de « buzz », donc en orientant la pensée, ou du moins le ressenti et la capacité d’action d’un public, comme lorsque l’on apprend qu’il aurait donné plus de voix qu’il n’en n’aura fallu aux envahisseur du Capitole de Washington. Même si, se prenant pour un Léviathan étatique et ivre d’hubris, Facebook conserve encore un potentiel considérable d’informations et d’interactions, mieux vaut alors partir en quête de réseaux sociaux neutres et soucieux de la liberté d’expression, non intrusifs et sans publicité, comme le semble être MeWe. L’ère de la propagande et du prosélytisme au moyen de la galaxie Internet, qui a succédé à celle de Gutenberg, n’en est peut-être qu’à ses balbutiements : filtrer l’information, celer les unes, grossir les autres, vise bien autant à générer un consommateur captif qu’à faire advenir une conscience politique engagée dans les objurgations d’une messe écologiste, communautariste, non genrée, religieuse, ou encore d’une tolérance à l’intolérable, en fonction des éoliennes de la persuasion. En ce sens, si l’Etat est un « Big Brother » orwellien, nombre de Little Brother risquent de devenir grands.

 

Ainsi Etat et entreprises économiques, surtout si elles frisent la dimension monopolistique, s’affairent sans trêve d’appétit pour rogner les libertés économiques, de pensée et d’expression, finalement les plus infimes recoins de la vie privée et de la vie intellectuelle. Car au duo à la fois ennemi et complice de l’Etat post-hégélien et des entreprises en cette affaire de surveillance omnisciente s’ajoute le citoyen lui-même - est-il en ce sens citoyen ? - qui, s’érigeant en procureur et juge, seul derrière son écran, ou sous le blanc-seing d’associations, de partis politiques, s’indigne, dénonce, avec la vigueur vengeresse du délateur et fournisseur de piloris, les incorrects, les non-écologistes, les mécréants, les fascistes vrais ou faux, les capitalistes, les racistes vrais ou faux[8], ad nauseam. En un bric-à-brac pléthorique de l’orwellisation sociétale[9], ils sont les hérauts de la cancel culture[10], de la ségrégation des propos plus ou moins haineux[11], de la chape de plomb idéologique sous laquelle s’écharpent les idéologies entre elles, aux fins de broyer l’individu. Ce qui prouve bien que l’humanité a son lot perpétuel, se renouvelant sous le masque de telle ou telle mode et fureur idéologiques au gré des vents, de tyrans individuels et collectifs, autant que de ceux qui n’ont de cesse de se soumettre à leurs propres diktats, ou à ceux d’autrui, en une servitude volontaire digne de celle de La Boétie.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Wolfgang Sofsky : Le Livre des vices, Circé, 2012 ; Traité de la violence, Gallimard, 1998.

[2] Wolfgang Sofsky : Le Citoyen de verre. Entre surveillance et exhibition, L’Herne, 2010.

[4] Philippe Ariès et Georges Duby : Histoire de la vie privée, Seuil, 1985.

[5] Virginia Woolf : Une chambre à soi, Le Livre de poche, 2020.

[7] Beaumarchais : La Folle journée ou le mariage de Figaro, Acte I, scène 3, Club français du Livre, 1959, p 294.

[11] Voir : Le procès contre la haine : du juste réquisitoire à la culpabilisation abusive

 

Paredes de Nava, Palencia. Photo : T. Guinhut.

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28 septembre 2021 2 28 /09 /septembre /2021 16:38

 

Masques du Golfe de Guinée.

Museum d'Histoire naturelle, La Rochelle, Charente-Maritime.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Philippe Descola,

une anthropologie des mondes

& des Formes du visible.

 

 

Philippe Descola : La Composition des mondes,

Champs Flammarion, 2017, 382 p, 11 €.

 

Philippe Descola : Les Formes du visible,

Seuil, 2021, 766 p, 35 €.

 

 

 

Bois frustes ou finement sculptés, ils sont des objets, des masques, mais surtout des signes, des totems, des âmes. Nul doute que pour l’anthropologue une telle multiplicité de visions relève de sociétés lointaines dignes d'investigations. Un autre regard qu’occidental est donc nécessaire sur les ethnies lointaines et leurs artefacts ; c’est celui dont tentent d’user inlassablement les chercheurs. Toutefois y-a-t-il une anthropologie après Claude Lévi-Strauss[1] ? Son ombre tutélaire et structuraliste semble s’étendre définitivement sur le territoire des études consacrées aux peuples des confins de la planète. Pourtant il fut le maître de Philippe Descola (né en 1949) - qui lui consacra un volume d’analyses et d’hommage[2] - en une transmission de la vocation et de l’énergie. Cependant, plutôt qu’en une énumération des coutumes et des mythes, ce dernier va s’intéresser, outre La Composition des mondes à l'occasion de son entretien avec Pierre Charbonnier, aux Formes du visible. Que va nous dire de notre monde la profuse ethnologie comparée de Philippe Descola, mais au risque de choir dans l’alarmisme écologiste ?

Empruntant le cheminement autobiographique, cet entretien commence par une enfance choyée, curieuse de tout, puis une jeunesse éprise de révolution, ainsi que les vives querelles de chapelles qui embrasaient sa discipline, « goût de l’enquête » et formation dont l’aboutissement est moins la composition de soi que « la composition des mondes ». Reçu avec la plus grande cordialité par Claude Lévi-Strauss, il peut aller en Amérique du Sud, à la rencontre des Jivaros Achuars en Equateur, « de l’ampleur et de l’ingéniosité des savoirs écologiques et des techniques d’usage de l’environnement en vigueur chez les peuples de la forêt », en toute conscience des enjeux, ce dont témoigne alors la création du concept d’ « ethnocide ». S’il n’est pas dupe du romantisme du bon sauvage, la prise de risque est intense : là, « il était à peu près impossible en Amazonie de ne pas vivre comme ses hôtes ». Ce sont des communautés sans Etat, ni dieux, mais « avec un goût prononcé pour la guerre et la vendetta ». Peu à peu il en vient à montrer « comment les dimensions techniques et les dimensions symboliques de la praxis rétroagissent les unes sur les autres ». En particulier dans le cadre de son enseignement à l’Ecole des hautes études en sciences sociales. Ses travaux parviennent à maturité dans une thèse d’Etat, La Nature domestique[3], une monographie de terrain, puis dans un livre paru dans la prestigieuse collection « Terre humaine » : Les Lances du crépuscule[4], récit ethnographique profus et parfois burlesque consacré aux Achuars. Sa complicité avec Françoise Héritier lui permet d’entrer au Collège de France en l’an 2000, dont les cours nourrissent peu à peu Par-delà nature et culture[5], essai comparatif en quête d’un « principe d’ordonnancement des interfaces entre sociétés et environnements ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chez les « Achuars du haut Kapawi », Philippe Descola et son épouse Anne Christine Taylor fabriquent de la bière de manioc et participent à la chasse, selon la division sexuelle du travail, collectent des plantes, font mille relevés. Bien qu’apparemment paisibles, ces indigènes peuvent être belliqueux et vengeurs. Or ils ne sont « pas déterminés dans leur existence sociale par des contraintes environnementales ou des limitations techniques mais par un idéal d’existence culturellement défini, ce que l’on appelle dans leur langue shiir waras, le bien vivre », ce dans une forêt « plantée par un esprit », et qu’ils jardinent ensuite. Leurs rêves, leurs incantations tissent des liens avec les âmes, humaines, animales et végétales qui sont des « partenaires sociaux », au sein d’une « écologie symbolique ».

L’un des aspects les plus prégnants de cet entretien est la manière dont Philippe Descola conçoit « le monde contemporain à la lumière de l’anthropologie ». Ainsi réhabilite-t-il les « non-humains », animaux, végétaux, minéraux, glaciers, gaz, jusqu’aux virus. Certes, mais n’est-ce pas prendre le risque dangereux de l’indistinction, voire d’un retour à un animisme finalement superstitieux… Cela dit le concept d’« anthropologie politique » mérite attention en tant qu’il entend préserver la liberté des peuples en leurs territoires.

Si cette Composition des mondes peut sembler parfois ardue en sa progression théorique, en particulier en termes d’autobiographie intellectuelle, le genre de la conversation permet de rendre le livre passionnant de bout en bout. À l’érudition accumulée répond une théorisation judicieuse, entre récit littéraire et démonstration scientifique, non sans le secours d’une personnalité pleine d’humanité, en particulier dans son attention à l’égard de la défense des peuples indigènes qui peuvent être affectés par des spoliations et autres oppressions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les recherches de terrain de cette sommité américaniste de l'anthropologie le contraignirent à remettre en question le dogme conventionnel du dualisme nature / culture, humain / non-humain, et à classer les schèmes de la relation avec la nature : identification, relation et figuration. Car la nature est elle-même une production sociale, par le filtre de l’ethnie qui la vit. Or les quatre modes d’identifications, ou ontologiques, qu’il tint à définir ne sont pas forcément anthropocentriques, en leurs incarnations dissemblables : totémisme, animisme, analogisme et naturalisme. Ainsi, notre anthropologue ouvre le chemin d’une « écologie des relations ». Ces prémices, centrales dans Par-delà nature et culture[6], sont également dépliées dans l’entretien, d’une manière plus aisée, et reprises au seuil des Formes du visible.

Naturaliste, la société occidentale trace une frontière entre soi et autrui, une dichotomie entre nature et culture. Si la première est fondamentalement universelle en tant que monde physique et biologique, la seconde fait une différence nette entre humain et non humain, mais aussi entre les sociétés humaines entre elles. Une telle distinction, historiquement datée, depuis Platon et Aristote, ne s’est pas produite parmi les autres sociétés, ce qui pour nous les rend difficile à appréhender et fonde ainsi la tâche adaptative dévolue à l’anthropologie. En ce sens faut-il dépasser ce point de vue qui structure la pensée, du sens commun jusqu’à nos principes scientifiques, pour aborder les modèles animistes, totémistes et analogiques.

Animistes sont les sociétés pour lesquelles tout est âme, un arbre, un roc, un animal. De sorte que les attributs sociaux des non-humains permettent des relations de l’ordre de l’identité entre ces derniers et les êtres humains. Totémistes sont celles où le clan s’assimile à un totem, et où l’identité, intérieure et physique, est façonnée par leurs correspondants animaux, dont la variété est également le signe de celle de l’humanité. Analogistes enfin sont celles où l’on se heurte à une discontinuité des intériorités et des physicalités des humains et non-humains.

 

Un essai profus vient couronner l’édifice : Les Formes du visible. Ce sont celles des artefacts et de l’art confectionnés par les populations qui ont essaimé parmi le monde. L’on pourra s’étonner, en parcourant les quelques cent-cinquante illustrations en couleurs, de la diversité, voire de l’éclectisme, de ces productions. Outre leurs époques parfois fort éloignées, ce sont des masques africains qui voisinent avec des tableaux de maîtres hollandais du XV° au XVII°, une massue u’u des îles Marquises avec des enluminures médiévales, un masque du Shri Lanka avec un tapis de laine iranien, une photographie contemporaine avec des peintures rupestres et sur écorce venues des aborigènes australiens. Il est évident qu’il ne s’agit pas là d’un fourre-tout pittoresque, mais d’un examen des figurations mises en œuvre par l’humanité, là encore en fonction des « quatre régions de l’archipel ontologique » : totémisme, animisme, analogisme et naturalisme. Ainsi chaque groupe figure la condition humaine dans le monde qui l’entoure au moyen d’un vocabulaire plastique particulier révélant « l’ossature et le mobilier du monde ».

Etudiant l’image et ses fonctions, Philippe Descola explose la grammaire du visible tel que nous aurions dû la concevoir et rompt avec l’occidentalocentrisme. Au long d’un voyage en forme d’archipel, il parcourt les systèmes de pensée gouvernant la figuration sur la surface du globe, multipliant les chambres secrètes et les allusions à une théorie de l’art. Jusque-là notre Occident avait pensée l’art comme un travail de  représentation et d’imitation, soit la mimesis, l’artiste prenant place face à la nature. En revanche bien des sociétés exotiques ont de longtemps choisi, au service de leurs productions d’images, la fonction rituelle plutôt qu’esthétique ; au point, peut-on penser, que cette dernière n’ait aucune existence dans bien des sociétés.

À cet égard Philippe Descola reconnait sa dette envers l’anthropologue américain Alfred Gell, qui, en 1998, dans L’Art et ses agents[7], pensait les images non plus comme des représentations des objets du monde, mais comme « des agents autonomes » qui « interviennent dans la vie sociale et affective des humains », soit en tant que puissance d’agir. En ce sens, pour notre essayiste, qu’il s’agisse de masques, de peintures, voire de tatouages, d’armes et de mobiliers, non seulement l’œuvre signifie un rapport au monde, mais un pouvoir circulant de l’homme vers la nature, et vice-versa, de façon à intéragir et à concilier l’un avec l’autre.

Ainsi ce sont des « masque amazoniens, des effigies inuits en ivoire de morse ou des tambours sibériens pour l’animisme, des peintures aborigènes sur écorce et sur toile pour les « êtres du Rêve » du totémisme, des tableaux européens et des photographies pour le naturalisme et, dans le cas de l’analogisme, des assemblages de pièces provenant de sources hétérogènes, parfois dans une extrême profusion, soit une foule disparate de figurations en provenance d’Afrique, d’Asie, des Amériques, depuis les tableaux de fils colorés des Huichols du Mexique jusqu’aux rouleaux de paysages chinois en passant par des tabliers d’amulettes de Côte d’Ivoire. Une particularité du naturalisme étant « l’institution du sujet individuel », ce qui est exceptionnel au regard du reste du monde. Voici donc « une anthropologie comparative de la figuration », dont la preuve par l’exposition fut donnée au Musée du Quai Branly à Paris, en 2010-2011, sous le titre La Fabrique des images. Vision du monde et formes de la représentation [8]. Un examen des statuts de cette figuration qui est universelle, alors que l’art ne l’est pas.

Des pierres, comme les bétyles, sont des « présences divines », des montagnes sont des divinités chtoniennes. Non iconiques, elles sont pourtant l’expression d’une puissance. Ailleurs, idoles et icones s’opposent, la figuration est contraire à l’abstraction, ne participant de la même ontologie. Loin de l’idée selon laquelle la « figuration mimétique » (afin de rappeler les morts) serait l’origine de l’art, les codes figuratifs divers obéissent à des « cadres ontologiques ». Par exemple, au contraire de la perspective linéaire albertienne de la Renaissance, les Indiens de l’Amérique du Nord-ouest préfèrent la représentation au moyen de points de vues multiples par exemple sur le visage d’un ours, comme lorsque les cubistes ouvriront plusieurs profils.

L’on s’aperçoit alors que les modes de figuration véhiculent « outre le Dieu des monothéismes devenu Nature sur le tard, trois grandes classes d’invisibles, parfois mêlés, le plus souvent distribués dans des collectifs séparés : les esprits, les divinités et ce que l’on pourrait appeler les antécédents », soit les ancêtres. Sauf, pourrait-on ajouter, que l’Islam ne pratique pas la figuration, hors pour les Persans, lui préférant la calligraphie, souffle de la parole divine.

Nous parcourons en ce fort volume, passablement intimidant il faut l’avouer, une connaissance de l’homme qui résiste à un universalisme réducteur. C’est une somme encyclopédique, à la rencontre de l’anthropologie et de l’histoire de l’art, qui n’ignore pas des théoriciens comme Erwin Panofsky ou Hans Belting[9]. Si les passages théoriques manquent parfois de concision, l’analyse des ouvrages figuratifs jaillis de la main de l’homme rayonne en tant de directions que c’en est merveille. De la figuration tribale à la peinture surréaliste, d’un retable du « Couronnement de la Vierge » pullulant de personnages aux tailles hiérarchiquement ordonnées, en passant par une statue de maître zen, jusqu’aux « cosmogrammes mystiques » de Gonkar Gyatso représentant en 2009 une tête de Bouddha entourée d’un halo de singularités modernes (textes logos, photos, pictogrammes et personnages), l’œuvre rituelle et d’art gagne en cosmopolitisme et en dimensions spirituelles. Grâce à Philippe Descola, une révolution copernicienne multiplie les perspectives du musée universel.

Plus trivialement, si l’on consent à parler ainsi de l’engagement politique, « l’anthropologie a joué un rôle moteur dans la relance récente d’une exigence écologique plus radicale », confie Philippe Descola à qui veut l’entendre, parmi les pages de La Composition des mondes. Malgré tout le respect que nous pouvons professer à l’égard de notre anthropologue, d’ailleurs resté dans le sillage du marxisme, son tournant vers un écologisme[10] discutable nous laisse un brin dubitatif. Alors qu’il affirme dans La Composition des mondes qu’il « est faux de dire que l’homme est en soi une maladie pour la planète » (il se réfère au rapport à leur environnement des Achuars),  il est plus sévère envers la civilisation industrielle : « Nous sommes devenus des virus pour la planète », dit-il dans un entretien au journal Le Monde[11]. Certes des milieux naturels ont été détruits, mais de là à se changer en thuriféraire des prédictions apocalyptiques du GIEC il y a un pas à franchir.  L’on y découvre de surcroit que le capitalisme serait bien plus responsable de la pandémie de coronavirus que tout autre cause plus rationnelle, chasses ancestrales d’animaux sauvages ou fuite d’une manipulation virale d’un laboratoire chinois. Le voilà rêvant, avant d’imaginer l’imposer, d’un monde dans lequel l'on « ne sépare plus de manière radicale les humains et les non-humains ». Nous serons donc ravis de côtoyer vipères, tarentules et autres prédateurs dans un proche jardin d’Eden… Un tel irénisme est confondant. L’on aurait pu penser qu’un anthropologue rompu aux modes d’existence tribales dans les forêts amazoniennes soit au fait de la violence de la nature et de la faible espérance de vie de ses habitants, ce qu’il n’ignore pourtant pas. Le rousseauisme béat, qu’il récuse par ailleurs, s’érige en vérité d’autorité, alors qu’il n’est qu’un poncif politique démagogique aux mains de postmarxistes affamés de pouvoir totalitaire, ce qui est peut-être le cas de son ami le philosophe écopolitique Bruno Latour. En dépit de justes inquiétudes sur l’état de notre environnement, l’intelligence ne protège pas de l’idéologie devenue folle[12].

Si le projet de l’anthropologie est de « s’attaquer sur des bases scientifiques à la compréhension des grands principes régissant l’existence communes des humains », ses découvertes ne permettent pas de les unifier en un seul théorème. La clef unique qui ouvrirait la boite de Pandore de l’humanité n’ayant peut-être jamais été forgée par la nature. Reste qu’au voyage dans l’espace et dans le temps chez les Achuars raconté avec entrain, notre anthropologue sait ajouter une pensée classificatrice féconde qui éclaire d’une lumière nouvelle la pulsion figurative de l’humanité.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Philippe Descola (sous la direction de) : Claude Lévi-Strauss, un parcours dans le siècle, Odile Jacob, 2012.

[3] Philipe Descola : La Nature domestique. Symbolique et praxis dans l’écologie des Achuars, Editions de la Maison des sciences de l’homme, 2019.

[4] Philipe Descola : Les Lances du crépuscule, Terre humaine, Plon, 1993.

[5] Philipe Descola : Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005.

[6] Philipe Descola : Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005.

[7] Alfred Gell : L’Art et ses agents, Fabula, 2009.

[8] Philippe Descola : La Fabrique des images. Vision du monde et formes de la représentation, Somogy-Musée du Quai Branly, 2010.

[11] Le Monde, 20 mai 2020.

[12] Voir : Ravages de l'obscurantisme vert

 

Figurine Yoruba, Bénin-Nigéria.

Museum d'Histoire naturelle, La Rochelle, Charente-Maritime.

Photo : T. Guinhut.

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22 septembre 2021 3 22 /09 /septembre /2021 15:29

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Mal et Bonté, Troll et Stupidité,

par le Finlandais Eirikur Örn Norddahl :

de surVeillance à l’hermaphrodisme,

en passant par l’obsession de l’Holocauste.

 

 

Eirikur Örn Norddahl :  Illiska, Le mal,

traduit de l’islandais par Eric Boury, Métailié, 2015,

608 p, 24 €, Points, 2017, 696 p, 8,80 €.

 

Eirikur Örn Norddahl : Heimska, La Stupidité,

traduit de l’islandais par Eric Boury, Métailié, 2017, 160 p, 17 €.

 

Eirikur Örn Norddahl : Gaeska, La Bonté,

traduit de l’islandais par Eric Boury, Métailié, 2019, 272 p, 20 €.

 

Eirikur Örn Norddahl : Troll,

traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaün, Métailié, 2021, 368 p, 22,60 €.

 

 

 

 

Air boudeur, parfois rieur, et chapeau  rond, quel est donc cet étrange Islandais qui aime ainsi se faire photographier sur ses quatrièmes de couverture et dont les titres, pour nous presque imprononçables, accolés à des concepts dignes du catalogue des vices et vertus, semblent annoncer quelque traité philosophique définitif ? La prégnance toujours vive de l’Holocauste dans Illiska, Le Mal, la spirale des réseaux sociaux et des médias dans Heimska, La Stupidité, catastrophe et charité dans Gaeska, La Bonté, tels sont les thèmes que manie, avec un facétieux, grinçant et tragique brio Eirikur Örn Norddahl (né en 1978), entre frasques contemporaines et fresques historiques. Non sans récidiver avec son Troll hermaphrodite…

Sans surprise, voire sans crainte du truisme, le « mal » d’Illska est celui de l’Holocauste et de ses six millions de Juifs assassinés par le totalitarisme nazi. Un chassé-croisé de rencontres noue peu à peu l’intrigue : la jeune Agnes est juive et rédige une thèse sur l’extrême droite qui nous est contemporaine, ingurgitant « sa dose quotidienne de génocides et de charniers ». Sans le connaître, elle couche avec Omar. Un amour réciproque s’installe. Ils emménagent ensemble, font un enfant, se querellent. Sauf qu’après avoir joué les sans-abris, Omar incendie leur maison en « Une catharsis. Un holocauste ». Il abandonne l’Islande, une fois de plus déraciné, affublé d’un tee-shirt à l’effigie d’Hitler. Sauf qu’Omar aime aussi Arnor, dont la qualité de néonazi néanmoins cultivé va pimenter le tout, alors qu’Agnes est fascinée par Arnor. Mais il ne s’agit là que du présent. En effet, en 1941, les grands parents d’Agnes s’entretuent à l’occasion du massacre de tous les Juifs de la petite ville lituanienne de Jurbarkas, massacre commis par les Einsatzgruppen nazis, avec le concours zélé de la population. Le trio amoureux est évidemment affecté par ce passé qui ne cesse d’installer ses métastases jusque dans l’Islande d’aujourd’hui.

Rien d’apparemment transcendant après bien des romans sur le sujet, au tout premier chef desquels Les Bienveillantes de Jonathan Littell[1]. Visiblement pourtant, même si l’on est en droit de trouver la recette un peu artificielle, Eirikur Örn Norddahl domine son sujet, glisse avec aisance, voir humour et ironie, entre Histoire, lisières de l’essai et intrigue romanesque, sans omettre d’user d’une polyphonique construction, y compris jusque dans la voix du bébé nommé Snorri qui se parle à lui-même en se tutoyant, commentant son évolution. De plus, l’on apprend que le romancier a construit son livre de manière mathématique, alternant cinquante parties de narration et cent cinquante parties pour chaque personnage. Le procédé virtuose peut sembler excitant, ou fatigant…

 Si pour Adolf Hitler, « la politique est un art », pour l’écrivain l’écriture est un art aux tenants et aboutissants d’une rare puissance où les temps se télescopent avec brutalité. Cependant, parfois pesamment didactique (« Le poids du récit. Le poids de l’Histoire »), la contribution un peu convenue au devoir de mémoire est-elle assez efficace, y compris lorsque le lecteur est personnellement interpelé, quand le néonazisme qui sévit en « Nazistan » peut être une mode et irrésistiblement attirer des jeunes gens, jusque dans les lointaines contrées de Scandinavie et d'Islande ?

Entre roman historique et roman sentimental, la dimension politique fend en deux les catégories. Le « mal » d’Illska n’est pas seulement un patrimoine historique à faire fructifier pour avertir et dissuader les générations futures, mais un nerf tendu dans les muscles, une décoction de neurones dans la tragédie de l’humanité, et jusque dans le couple…

 

 

 

L’on devinera sans doute que cette « stupidité » au cœur d’Heimska est l’occasion d’une satire aiguisée qui s’insère entre deux nerfs du lecteur, ainsi qu’entre Aki et Lenita, tous deux écrivains, d’abord complices, ensuite amèrement concurrents : « à la fois nouveaux Vikings à l’assaut du monde et mendiants ». Leur couple idyllique et strident se fait et se défait entre deux périodes de « surVeillance » forcenées. S’ils s’isolent brièvement de toute caméra et de tout écran, de Facebook et d’Instagram, ils parviennent à être heureux, mais très vite malheureux de leur isolement. Ainsi, sans répit, ils replongent dans leur dépendance crasse : il faut sans cesse s’exhiber, s’épier, se surveiller, y compris bien sûr dans une vie sexuelle débridée, très vite sordide, violente et trash, entre acte « in flagrante delicto » et « revenge porn »…

En instance de divorce et de haine, Lenita voulait « exposer sa chair, exposer son cœur, montrer qu’elle était un être humain blessé », surtout lorsque les deux écrivains ne savent plus qui s’est inspiré de l’autre, qui a plagié l’autre. Son roman Ahmed est « un hymne à l’image de soi ». Celui d’Aki portant le même titre (il s’agit de départs pour la Syrie et l’Etat islamique), l’on se bat et s’esquive par médias, journaux et interviews interposés. De surcroit, leurs vidéos porno, ineffaçables sur le net, « se multipliaient comme les têtes de l’hydre ».

La déréliction psychologique et scopique de nos deux facettes ennemies ne serait presque rien si elle n’était qu’isolée au creux de quelques individus vite pathétiques et pitoyables. Mais la société qui les entoure érige l’hyperconnexion en mode de vie : « Le monde est un réseau touffu de webcams, de caméras de surveillance, de drones et d’images satellites, l’atmosphère est saturée de transparence et la vie privée a été sacrifiée à des fins de sécurité et distraction ». Ainsi une agression parait moins probable, quoique plus excitante pour les voyeurs…

 Il ne semble pas qu’une tyrannie politique ait ordonnancé une telle pléthore d’activité vidéo, mais que seuls le consentement et la précipitation des citoyens en soient responsables, en une « servitude volontaire », pour reprendre le titre d’Etienne de La Boétie, écrit en 1576.

Mais que signifient ses pannes de courant, irritantes pour le commun des mortels, ces déconnexions récurrentes et subies avec la plus grande frustration ? Le « Manifeste terroriste » de quatre étudiants en art, sévissant dans une conserverie de crevettes désaffectée, qui s’attribue l’extinction, n’est-il qu’un jeu ? Il s’agit alors, d’une puérile manière, « du pouvoir d’arrêter la machine qui rendait insupportables les rapports entre l’homme et le monde ». Car qui est responsable, sinon l’homme lui-même ? L’on se demandera également si cet activisme, aux conséquences tragiques pour Aki, est bien de l’art…

D’ailleurs quand sommes-nous, lorsque « la stupidité » est érigée en loi ? S’agit-il d’un aujourd’hui à peine fictionnel, où les traits torves de la satire trahissent la laideur de notre monde contemporain, grillagé de réseaux sociaux, ou d’une anti-utopie panoptique prête à surgir de quelque futur ?

Est-ce un roman fondamental ? Peut-être pas, car il oscille entre vies privées bafouées et vie publique d’une « nation abusée », sans complétement aller jusqu’à la dimension politique attendue. À moins qu’il s’agisse là de son efficace talent allusif, laissant le lecteur déduire la substantifique moelle de ce miroir tendu à ses propres comportements…

 

 

 

Gaeska. La bonté fut le premier roman de notre Islandais. Gageons qu’au vu des précédents le titre en est ironique. En effet la trilogie aux titres en miroir ne peut qu’être, en ses trois volets, entièrement satirique.

Que s’est-il passé dans la nuit ? Un député du parti conservateur, Halldor Gardar, se réveille dans un monde radicalement opposé à ce qu’il laissé en s’étendant parmi les bras d’Hypnos. Le mont Esja brûle, un immense panache de fumée se déploie sur la capitale, Reykjavík. La place du Parlement est de plus assaillie par des manifestants que la police na parvient pas à expulser. Pire encore, des tempêtes de sable ravageuses s’abattent sur l’Islande, des femmes tombent des hauteurs des immeubles et constellent les trottoirs. Que faire ? Sinon s’isoler dans une chambre d’hôtel, comme lorsqu’Halldor Gardar fuit les séances parlementaires, où ses confrères se livrent au pugilat. À moins d’accéder à la demande  d’une petite fille marocaine qui lui demande de l’aider. Ne veut-elle pas arracher ses parents des pressions du gouvernement islandais qui veut à tout prix les intégrer ? C’est alors que son destin s’infléchit, qu’il se sent investi d’une mission qu’en sa « bonté » il imagine salvatrice. La déflagration générale ne s’arrête pas là : le pouvoir tombe aux mains des femmes qui se mettent en tête de renégocier la dette et d’ouvrir l’Islande à 80 millions d’émigrants. Autant dire que l’Islande et ses 362 000 habitants se verrait balayée, annihilée dans sa culture. L’on devine que cette « bonté », qui n’est pas sans faire penser à un l’accueil, quoique moins abondant, consenti par Angela Merkel en Allemagne, équivaut à un suicide général.

À la fois roman du présent et dystopie, Gaeska pousse au bout de leur logique destructrice les revendications féministes les plus radicales et la pression de l’immigration, avec ce qu’il faut de caricature. Construit de protagoniste en protagoniste, la narration alterne des voix différentes, voire opposées, comme en un chaudron d’interrogations, d’exigences, d’excès et d’angoisses. Le roman bouscule sans ménagements les idées reçues sur le féminisme, sur l’humaniste vertu ici nantie de conséquences vicieuses, sur l’explosion des extrémismes politiques, contraignant le lecteur de prendre en pleine face les nœuds de l'actualité et les enjeux civilisationnels. Avec une réelle conscience politique et morale l’écrivain nous montre bien que la responsabilité de la catastrophe aux multiples bras incombe d’abord à nos propres gouvernements : « Les membres du gouvernement étaient plus ou moins affalés, inconscients, ivres et bedonnants. Le concert de rots et de flatulences qu’interprétaient leurs gosiers et leurs anus rappelait les teufs-teufs d’un moteur épuisé, leur peau rougissait, leur corps en surchauffe était incapable de digérer les délices dont ils s’étaient empiffrés et les liquides qu’ils avaient éclusé, et une sueur grasse mêlée de vin et de café jaillissait à flots des serveurs adipeux de la République ». Si la satire est amusante, la morale en est grinçante.

« Iel est trans et troll », ainsi commence le dernier roman d’Eirikur Örn Norddahl. Quoique né hermaphrodite[2], Hans Blaer « est une œuvre », façonnée à son image, coiffure » type Pompadour », ongles roses, seins et torse velu, changeant de genre sans cesse… Mais, plus dérangeant, le trentenaire cocaïnomane est honni par le public, les médias, pour cause de « trollage ». Depuis qu’il s’est jeté « dans la fosse aux lions médiatique », pour les uns iel est un phare de la liberté d’expression, une « royauté trans », pour les autres un « fasciste light ». A-t-iel abusé de jeunes filles dans « le Refuge pour les victimes de viol » qu’iel a créé, ce en les droguant au propofol ? Poursuivi par quelques vengeurs, sans compter la police, il s’enfuit pour trouver l’hospitalité de son amie Karo et prétendre de son innocence et de sa bonne foi…

Conçu sous la forme de chapitres alternés, le roman passe de notre controversé héros à sa mère, dès l’accouchement, découvrant l’objet du délit, soit le « vaginopénis » ou « phalloclitoris » ; son histoire est narrée au passé simple, avec des « vous suivîtes », « vous vous évanouîtes ». L’enfance d’Hans, d’abord appelé Ilmur, est ponctuée par les tortures infligées à son petit frère, puis par l’effroi et les plaisirs liés au « sphinx » entre les cuisses, avant d’accepter son intersexualité. Bientôt, outre ses lectures aventureuses et branchées, iel passe par toutes sortes de procédés médicamenteux et chirurgicaux pour changer de sexe à son gré, alternant œstrogènes et testostérone, respectivement douceur et agressivité, quoique l’agressivité féminine soit « plus cérébrale » : « Un peu comme s’iel avait un pénis dès qu’iel prenait de la testostérone, et un vagin lorsqu’iel passait aux œstrogènes ».

Mais son activité la plus courue est la publication sur divers réseaux sociaux d’histoires pornographiques, de manifestes et autres agressions verbales. Ce sont des parodies de revendications et de plaintes féministes, une émission de radio intitulée « Facéties », des entretiens vidéo au vitriol : « un champ de tir rhétorique, un camp de bataille des idées », évidemment « toujours en dessous de la ceinture ». Il doit « scandaliser même les plus ouverts d’esprit ». Accumulant les contestations, les provocations, Iel a sa ligne de risque : « Nous avons des causes à défendre et nous trollons dans le vide, nous marquons le Net avec la précision du chirurgien, et nous faisons éclater les consciences comme des cerises entre nos doigts ». Ce qui n’empêche pas le personnage de subodorer qu’il est parcouru par une « haine de soi transphobe ». Au point que le retournement de situation final et tragique laissera le lecteur pantois…

Animé par une écriture fantasque et baroque, Troll séduit et révulse à la fois. La crudité, la vulgarité burlesque et l’ironie la plus fine s’y disputent le terrain. Moralité, être hermaphrodite, transgenre et autres variétés sexuelles n’empêche en rien d’être malfaisant. Ainsi Eirikur Örn Norddahl n’épargne personne, et l’on se doute que ce que l’on appelle la communauté queer[3] puisse être furieuse d’un tel incendiaire roman, qui tient autant de la fantaisie méphistophélétique que du pamphlet. La satire grinçante des mœurs s’adresse à « l’époque contemporaine - cet océan de morale que vous prenez en intraveineuse depuis l’internet des bien-pensants ».

Né en 1978 à Reykjavik, l’Islandais Eirikur Örn Norddahl, qui commença par écrire de la poésie expérimentale, a quelque chose d’un moraliste. Cinglant l’exhibitionnisme et le voyeurisme à l’œuvre dans les réseaux sociaux, il a évité la facilité inhérente à la satire branchée en y ajoutant la dimension d’une littérature également exhibitionniste et voyeuriste. Non sans peut-être une petite dose d’auto-ironie, quoique l’on ne sache pas combien il a puisé dans sa propre vie et celle de ses proches pour écrire son pas si stupide Heimska La stupidité. Probablement l’écrivain, sûr de sa vocation, s’est-il donné pour tâche suprême de traquer les péchés plus ou moins capitaux de notre temps et d’un passé dans lequel l’Holocauste[4] n’en finit pas de faire sentir son nerf douloureux et sa déflagration. Qu’il s’agisse des thuriféraires de la disphorie de genre, de la transsexualité ou des problématiques inhérentes à l’immigration béatement désirée ou honnie, Eirikur Örn Norddahl brasse sans concessions les inquiétudes du monde contemporain, tout en montrant que les concessionnaires du Bien hébergent en leur sein les racines du Mal. Ainsi le romancier plante-t-il le couteau de son écriture dans les plaies du monde qui l’entourent pour en faire jaillir le sang de la pensée. N’est-ce pas la vocation de l’écrivain ?

 

 

Photo : T. Guinhut.

 
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13 septembre 2021 1 13 /09 /septembre /2021 12:21

 

Dante Alighieri, Piazza dei Signori, Verona, Italia. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Fabrique et traduction de Dante

au service de l’ébouriffante Divine comédie :

Fondation Martin Bodmer,

René de Ceccatty & Enrico Malato.

 

La Fabrique de Dante,

MétisPresses, Fondation Martin Bodmer, 2021, 352 p, 48 €.

Dante : La Divine comédie,

traduit de l’italien par René de Cecatty, Points Seuil, 2017, 704 p, 13,90 €.

Enrico Malato : Dante,

Les Belles Lettres, traduit de l’italien par Marilène Raïola, 2017, 384 p, 29,50 €.

Jamais ne se sera autant vérifiée l’excitante formule de Jorge Luis Borges : « La métaphysique est une branche de la littérature fantastique[1] ». Car avec Dante les fictions nées de l’angoisse enclenchée par notre mortelle condition trouvent leur acmé. Mieux que le Livre des morts égyptiens, mieux que les enfers romains d’Ovide, La Divine comédie nous offre une fresque fabuleuse, tour à tour démoniaque et angélique, de l’au-delà. Comment lire cet ouvrage canonique, récit d’aventures, poème lyrique et amoureux, traité théologique et allégorique ? Comment le traduire ? C’est à l’occasion du septième centenaire de la mort du poète (1265-1321) que la Fondation Martin Bodmer nous révèle comment le voyageur infernal et paradisiaque s’est formé, avec force manuscrits et éditions rares, sous le titre à la fois d’une exposition[2] et d’un beau livre : La Fabrique de Dante. Ecrite au début du XIVème siècle par un poète érudit maniant avec virtuosité le dialecte florentin au point de devenir la langue phare de l’Italie, l’œuvre fascine lecteurs, peintres et traducteurs, qui sont des dizaines à s’être penché sur leur établi, de façon à sculpter et polir un écrin français digne du nom du Dante. S’il n’est probablement pas l’ultime poète, car il faut l’être pour oser se mesurer au sublime, René de Ceccatty n’en apparait pas moins un talentueux recréateur, avec une version qui a le mérite d’une fluide lisibilité. L’occasion est trop bonne pour ne pas y associer un essai biographique exégétique sur le Florentin exilé, là encore qui n’a pas la primeur du genre, mais dont il sera bon de se munir, celui d’Enrico Malato, ou encore la biographie au tempérament plus historique d'Alessandro Barbero ; afin de vivre au plus intime et au plus cosmique La Divine comédie.

Comprendre « la fortune de Dante », connaître sa bibliothèque, les éditions qui lui rendirent justice, jusqu’à des portraits - qui ne lui sont jamais contemporains -, tels sont les buts poursuivis par La Fabrique de Dante, somptueux volume né au sein de la Fondation Martin Bodmer, sous l’égide de Paola Allegretti et de Michael Jakob, et grâce à l’active collaboration de Jacques Berchtold et Nicolas Ducimetière. Il ne s’agit pas de lustrer la statue toujours recommencée du génie national italien, mais de creuser au plus près le connaisseur des classiques et des intellectuels médiévaux, le politique affligé par les vicissitudes de son temps, pour découvrir de quelle peau est faite le poète infini, qui ne négligea pas les allusions à ses contemporains, avec lesquels il règle ses comptes ; voire d’interroger des domaines plus obscurs, comme celui de la nécromancie qui l’occupa longtemps et fit l’objet en 1320 d’un procès en Avignon où incidemment son nom apparaît : il y est question de maléfice et d’envoûtement…

Ainsi, en ce bel objet didactique, l’on lit Dante en bonne compagnie, entre Walter Benjamin, Charles Baudelaire et José Lezama Lima, celle d’Ezra Pound[3] bâtissant ses Cantos comme un palimpseste, d’Ossip Mandelstam[4] conversant avec le Florentin pour lui rendre sa poésie étouffée par les analyses rhétoriques et mystiques, de Primo Levi le récitant dans l’enfer des camps, de Jorge Luis Borges[5] parodiant la Comédie dans « L’Aleph » ; tous en éclairent des versants insoupçonnés. De surcroît l’on lit en quelque sorte par-dessus l’épaule de notre excavateur d’enfer, escaladeur du purgatoire et ascensionniste du paradis, en consultant et admirant les manuscrits que lui-même aurait pu étudier, puisqu’ils proviennent de l’époque médiévale. Ainsi Homère, Lucain, Stace, Cicéron, et Virgile cela va sans dire, côtoient La Bible, Thomas d’Aquin, Isidore de Séville, Bernard de Clairvaux, dont les citations ou les évocations fourmillent parmi les cercles du texte, qui est « un livre-bibliothèque », jusqu’au sommet du ciel. Les pages exposées et reproduites avec clarté sont prodigieuses, parfois incroyablement enluminées ou comblées de gravures, montrant combien la Fondation Martin Bodmer aux 150 000 références est une bibliothèque d’une richesse inouïe. Plus subtil encore, la dynamique trinitaire de la Divine comédie se retrouve en ce volume animé par la numérologie : les éditions rares de Dante sont vingt-quatre, comme les heures du jour, ceux lus par ses yeux et de commentateurs ensuite sont chacun trente-trois, comme les trente-trois chants de chaque partie… Ainsi, pour reprendre les mots de Michael Jacob, l’œuvre dantesque est « un gigantesque laboratoire » dont la « fabrication continue à travers les siècles », alors que sa réception fut prolifique chez les anglophones, en Allemagne, mais en forme de « rencontre manquée ? » chez les Français, selon l’interrogation de Nicolas Ducimetière.

Un seul regret - que l’on oubliera volontiers parmi une telle somme d’érudition - peut-être eût-il été préférable d’observer un classement plus chronologique, en commençant par la bibliothèque de Dante, puis en terminant par les lecteurs, eux-mêmes distribués comme aléatoirement, de Zanzotto notre contemporain à Chaucer, en zigzaguant parmi Voltaire et des romantiques, en passant par Joyce ou Rimbaud ; tout en admettant qu’ainsi les surprises fourmillent. Comme ces pages dorées ou azurées intermédiaires aux chapitres, nourries d’orbes et d’étoiles, si dantesques, au sens paradisiaque du terme. Ce volume, qui fut l’objet de tant de soins, tant de la part des concepteurs que des rédacteurs, de l’éditeur que de l’imprimeur, est aussi délicieux que somptueux, au service de ce « couronnement du Moyen Âge finissant ».

Pour reprendre les mots de René de Ceccatty en sa généreuse introduction, « La particularité de ce chef-d’œuvre est d’être à la fois un voyage chez les morts, une chronique politique, un traité de géographie et de cosmogonie et un ouvrage de réflexion théologique et philosophique ». L’aventureuse traversée de l’Enfer, du Purgatoire et du Paradis est successivement la descente, puis l’ascension d’un marcheur de montagnes parmi les affres, les épreuves et les suavités ; mais aussi l’initiation spirituelle, qui va de la connaissance du mal à la divinité rédemptrice.

L’œuvre, tout à tour monstrueuse, eschatologique, effrayante et délicieuse, changeante et chatoyante, en ses immenses perspectives, en ses multiples récits emboités et infinis détails, traverse et insémine l’histoire des littératures. Victor Hugo, dans sa Légende des siècles, lui est redevable, Primo Levi la résume et la récite comme un talisman au sein du camp d’Auschwitz, dans son autobiographique Si c’est un homme, Giorgio Pressburger[6] en conçoit une réécriture hallucinée aux dépens du XXème siècle. Jorge Luis Borges en fait, au-delà du seul christianisme qui parait en être la justification unique, une « estampe de portée universelle ». Si selon ce dernier « l’astronomie ptolémaïque et la théologie décrivent l’univers de Dante[7] », sans omettre les enfers gréco-romains, de tous temps et de toutes cultures peuvent être ceux qui s’y reconnaitront pour y lire les figures d’une possible transcendance et de l’imaginaire eschatologique, sans omettre la question de la rétribution du bien et du mal.

La catabase, ou descente au séjour des morts, reprend la tradition de Virgile, dans l’Enéide et d’Ovide, pour l’histoire d’Orphée, dans Les Métamorphoses. Prenant en charge la hiérarchie divine de l’après-vie autant que celle de l’humanité, Dante se fait chroniqueur de son temps, envoyant allégrement tel ou tel en Enfer, en Purgatoire ou en Paradis, dont les méfaits ou bienfaits sont rappelés. Mais au-delà de cette connaissance temporelle et spirituelle, une charge encyclopédique éclaire -ou parfois obscurci- le texte, fourmillant d’allusions, mythologiques, bibliques, géographiques, zodiacales, botaniques…

S’il est une traduction de La Divine comédie à proscrire, c’est celle - nous tairons le nom de son auteur - anciennement parue dans la collection de La Pléiade. Il s’agissait de donner le texte de Dante dans le français du XIVème siècle pour en respecter l’historicité. Hélas, outre la lisibilité ardue de la chose, l’erreur de perspective était manifeste : l’Italien médiéval étant bien plus proche de celui d’aujourd’hui que l’idiome de l’ère gothique de notre langue. En conséquence, l’on devine que l’archaïsme est à proscrire au service d’une utile et soyeuse lisibilité.

Nombre de traductions de La Divine comédie sont hélas en prose : Artaud de Montor[8], Alexandre Masseron[9], même si ce dernier affecte la forme des versets pour chaque tercet dantesque. L. Espinasse-Mongenet[10] choisit de jouer de strophes en vers libres. De même pour une redoutable et estimée concurrente, nous avons nommé la talentueuse Jacqueline Risset[11], de surcroit poète, tant en français qu’en italien. Malgré une quinzaine de traductions versifiées depuis les années trente, seul, René de Ceccatty a tenté, et réussi, une traduction intégrale qui renouvelle et réveille la scansion poétique de l’original, la terza rima, car en vers et, ô gageure ! en octosyllabes non rimés…

Certes, Danièle Robert[12] vient de produire une belle version, en décasyllabes, elle rimée avec soin, quoique provisoirement limitée à L’Enfer. Qui, une fois achevée le triptyque, méritera peut-être les lauriers du traducteur-poète.

Baudelaire, juge et poète sévère, préférait celle de Pier Angelo Fiorentino[13], publiée en 1846, dans une édition heureusement bilingue, en effet fort lisible et colorée, quoique en prose. La vivacité colorée de celle de René de Ceccatty réveillerait-elle La Divine comédie de son sommeil ?

Dès le chant I, René de Ceccatty ose un « « Clopin-clopant sur la plage » qui répond au « Si chel ’l piè fermo sempre era ’l pui basso », c’est-à-dire « Si bien que le pied ferme était toujours le plus bas » (Fiorentino). Une fois de plus l’adage, « Traduttore, traditore » se révèle vrai ; mais au littéralisme peut-être vaut-il mieux préférer la surprise de l’image expressive.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quand Danièle Robert nous donne, au chant III, lors de la traversée de l’Achéron, où Charon était pour Jacqueline Risset, « un vieillard blanc, d’antique poil », les vers suivants :

Et voici que survient une embarcation

d’où un vieillard à barbe blanche nous hèle :

malheur à vous, âmes en perdition !

 

N’espérez pas de voir jamais le ciel :

je viens pour vous mener sur l’autre rive,

dans le noir éternel, chaleur et gel.

René de Ceccatty préfère proposer :

Et voici que vers nous en barque

Venait un vieux chenu criant :

Malheur sur vous, âmes perdues !

 

N’espérez plus revoir le ciel.

Je vous conduis sur l’autre rive

Dans l’éternel, noir, froid brûlant. »

Il est évident que du point de vue rythmique ce dernier y gagne ; de surcroît la concision réclamée par l’octosyllabe rend l’expressivité plus vive et répond en toute agilité à l’hendécasyllabe dantesque.

Avec modestie, en son introduction soigneusement informée et argumentée, notre traducteur a bien conscience de devoir priser l’ellipse, de « sacrifier » du sens en choisissant l’agréable légèreté du lisible ; ce qui n’est pas une mince affaire, surtout si l’on surprend chez Dante autant l’aisance du parler populaire que la subtilité du raisonnement théologique et philosophique. Ainsi, appeler Saint-Paul « Popol » au chant XVII du Paradis parait culotté, mais songeons que « Polo » en italien est familier et insultant, ce qui conspue comme de juste l’insolence blasphématoire de Jean XXII. Sans oublier que le flux métaphorique de ce prodigieux rhétoricien rend le texte infiniment imagé, volubile, évocateur, ailé, que les périphrases, parfois pour nous obscures, sont des mines d’allusions bibliques, antiques ou médiévales.

Comparant avec justesse et goût une traduction nouvelle avec une nouvelle interprétation de Bach ou de Schubert, notre traducteur ne se fait pas faute d’oublier de rendre hommage à Jacqueline Risset, comparée à la Callas, dont les qualités de lisibilité et de sensualité le ravissent.

Il est permis de regretter l’absence de notes au bas des vers de René de Ceccatty chantant Dante ; mais c’eût été alourdir le volume, et à cet égard, il est loisible de se tourner vers les trois tomes fournis par Jacqueline Risset, que l’on retrouvera bientôt en Pléiade, et que cependant les amateurs esthètes préféreront dans les grands volumes soignés, imprimés sur des pages de plusieurs couleurs, et illustrés par les folles aquarelles de Miquel Barcelo[14]. Quoique l’on attende encore une ambitieuse édition bilingue munie d’un indispensable index…

L’on sait que le voyage de Dante commence lorsqu’il se voit menacé par trois animaux : un lion pour l’orgueil, une louve pour l’avarice, une once (léopard femelle) pour la luxure. Traduisant cette « lonza » par « lynx », René de Ceccatty ne perd-il pas une dimension à la fois érotique et allégorique, puisqu’il s’agit de la séduisante animalité de la luxure ?

Aussi, notre poète n’aura d’autre issue que de suivre son guide, le maître poète latin de l’Enéide, Virgile, qui selon la tradition chrétienne passait pour avoir annoncé la venue du Christ, et de traverser la fosse spiralée de l’Enfer, la montagne du Purgatoire, puis guidé par son ancien amour, Béatrice, à  laquelle succède Saint Bernard, de découvrir le Paradis, « Enrôlé par l’amour qui meut / Le soleil et les autres astres », selon les ultimes vers. Le voyage bien concret du marcheur est également une leçon morale : les auteurs de péchés capitaux sont punis de manière pittoresque, qui dans la flamme, qui dans la glace, et croissante jusqu’aux pires abominations, non sans raconter leur histoire, comme celles de Paolo et Francesca goûtant une allusive luxure, ou Ugolin qui dut au chant XXXIII dévorer ses enfants morts de faim. Ce qui est dit d’une belle et fameuse manière elliptique : « La faim l’emporta sur le deuil ». Enfin, au plus près du diable au « triple visage », est châtiée la traîtrise contre son bienfaiteur. En effet, lors du chant XXXIV, Judas (accompagné de Bruts et Cassius) broyé dans l’une des trois diaboliques gueules, « gigote la tête gobée », ce qui est une trouvaille d’une frappante concision, à l’humour grinçant, alors que Jacqueline Risset propose : « Sa tête est dans la gueule ; dehors il rue des jambes ». Nos deux arpenteurs de l’au-delà doivent s’accrocher au corps de Satan : « De poil en poil, on descendit / Entre toison et plaies gelées », et s’y retourner pour jaillir aux antipodes, au pied de la montagne du Purgatoire.

Quittant la cavité de l’Enfer, qui fit la plus grande gloire de Dante, éclipsant les deux autres parties du triptyque sacré, le chant se fait peu à peu moins âpre. Avant d’accéder au sommet du Purgatoire, où fleurit le Paradis terrestre, le chemin croise l’humilité, l’amour et la liberté en Dieu, sans oublier les nécessaires purgations des pécheurs, comme ce Sordello embrassant son compatriote mantouan Virgile, ce qui donne l’occasion à Dante de conspuer l’esclavage politique italien. Là, chaque péché capital est étrillé, corrigé, lavé, par la vertu qui lui est opposée, comme l’orgueil à l’humilité ou la luxure à la pureté. Une fois de plus, Dante règle ses comptes : l’envieuse Sapia côtoie le pape Adrien V qui se récure de son avarice. Mais au chant XXX, « Dame Béatrice », qui passa « de chair à ombre », apparaît, morigénant le pauvre Dante, un tantinet infidèle, qui n’a pas su « suivre [son] vol désincarné », avant de prendre le relais de Virgile pour le guider parmi les sphères du Paradis.

Ciel de la lune, de Mercure, de Vénus et du Soleil sont autant d’étapes spirituelles, comme les cieux de Mars, Jupiter, Saturne, ceux-ci sièges des vertus théologales : Foi, Espérance et Charité. Après le ciel cristallin, Béatrice doit céder la main à Saint-Bernard, pour permettre à son amant d’accéder à l’Empyrée, siège de la lumière divine aux rivières de couleurs et à la rose éclatante. Non loin de la Vierge Marie, Béatrice réapparait en gloire, les chants se font de plus en plus musicaux, comme si l’on entendait la Selva morale et spirituale de Monteverdi. Et si penser, comme René de Ceccatty, que le paradis dantesque est un espace totalitaire, avec une Béatrice imbue d’un prosélytisme autoritaire, est de l’ordre de l’anachronisme, il n’en reste pas moins que l’univers religieux de la perfection divine se présente comme un monde prédestiné, clos, où l’inutile liberté n’a plus lieu d’être. Reste que Dante y a réalisé des prouesses poétiques incomparables, donnant au Bien et au Beau (devant lequel il « déclare forfait ») des vitesses et des couleurs enchanteresses :

« En verre, en ambre ou en cristal,

Le rayon brille sans délai

Entre impact et efflorescence »

Roman d’aventure et somme théologique, clavier poétique et creuset de culture de l’Antiquité, La Divine comédie brasse le temps médiéval de son auteur et l’intemporalité la plus profuse ; ce pourquoi, depuis le XIV° siècle, et jusque dans l’éternité, il y aura toujours un lecteur, ne serait-ce que la poussière des étoiles, pour le dantesque poème, auquel contribue avec talent René de Ceccatty. Egalement romancier, ce dernier, notons-le, n’est pas un débutant au royaume de la traduction. Outre celles du japonais, conjointement avec Ryôji Nakamura, il a tâté avec ardeur de Pasolini ou de Leopardi, sur lequel il a écrit d’ailleurs une sorte de biofiction[15]. S’il y un paradis des traducteurs, il reste à souhaiter qu’il y soit accueilli.

Avant de relire une fois de plus ce qui est peut-être le poème le plus frappant de l’humanité, la curiosité ne peut que nous titiller au sujet de son auteur. Si, après celle de son contemporain Boccace[16], les biographies sont légion, d’Artaud de Montor[17], à Jacqueline Risset[18], celle d’Enrico Malato vient à point pour, au-delà de la seule vie du poète, présenter les plus récentes et perspicaces recherches exégétiques sur le texte, ses enjeux politiques, théologiques et poétiques.

Notre Florentin, né en 1265, sera frappé par une sentence d’exil en 1302 pour aller séjourner à Vérone et mourir à Ravenne en 1321 ; ce pour avoir pris part au combat entre la ligue des Gibelins toscans  et les Guelfes Noirs et Blancs (auxquels il appartient). Fin rhétoricien, il connaît sur le bout des doigts Virgile et Ovide, la Bible et les Pères de l’Eglise. En philosophie, il allie Boèce et Saint Thomas d’Aquin.

Mieux que ses Rimes[19], sa Vita nuova est une sorte d’autobiographie fictive, dans laquelle l’ami du poète Cavalcanti, bien qu’il épousât Gemma, parait ne se vouer qu’à sa Béatrice, rencontrée en toute chasteté à dix-neuf ans alors qu’elle en avait neuf. Il ne la reverra que neuf ans plus tard, avant de la savoir mourir à vingt-quatre ans, le laissant inconsolable. En toute courtoisie, il est un des créateurs du dolce stil nuovo, dont il dénoncera pourtant le trop de sensualité amoureuse, y compris chez Cavalcanti. Alors qu’il avait rédigé son traité La Monarchie universelle en latin, la décision d’écrire en toscan le conduisit à rédiger son Traité de l’éloquence vulgaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

    Pour introduire son héros, Enrico Malato brosse le portrait de la prospère Florence aux cent-cinquante tours au XIII° siècle. Il ne se départit jamais de sa clarté et de sa rigueur pour évoquer les années de formation du poète, militaires, diplomatiques, au cœur des tourmentes entre Gibelins et Guelfes Blancs et Noirs, mais aussi philosophiques, du poète. De nombreuses allusions aux événements d’un contemporain guerrier, vengeur et injuste, sont lisibles dans le Banquet, et bien sûr La Divine comédie, où sont jetés, entre Enfer et Paradis, divers protagonistes. Hélas Florence n’est plus dans les Rimes que « ma ville qui hors de ses murs m’enferme ». Dès 1315, les deux premiers chants de La Divine comédie publiés, la renommée du poète enfle. À Vérone, il jouit de l’hospitalité de Cangrande della Stella, qui bénéficie en retour de la primeur des chants composés, puis d’une place dans le Paradis (XVII, 76). Heureusement le trépas sera clément au point d’attendre qu’il ait achevé et révisé son œuvre-maîtresse.

Or Enrico Malato s’attache, en ce qui devient très vite un essai, à l’activité littéraire de Dante et d’abord à son « noviciat poétique ». Ainsi notre essayiste développe-t-il une heureuse analyse de la « casuistique » amoureuse, tiraillée entre célébration et péché. Jusqu’à ce que, dans La Vita nuova, les tourments amoureux et l’idéalisation de Béatrice, trop tôt emportée dans un au-delà qu’il reste à lui consacrer, permettent au poète de réconcilier amour de Dieu et d’une Dame, dans le cadre d’un amour de vertu et de raison, puis l’amènent à annoncer un « jour où je parlerai plus dignement d’elle », ce qui est considéré comme une prémisse de La Divine comédie. De l’éloignement qu’il éprouve pour son trop sensuel maître Cavalcanti à la paraphrase en 232 sonnets allégoriques du Roman de la rose qu’est le Fiore, tout semble gammes virtuoses avant le grand-œuvre. De même Le Banquet, « projet d’une somme du savoir médiéval en langue vulgaire », reste inachevé devant l’urgence de La Divine comédie, probablement rédigée entre 1304 et 1321. Hélas le problème des sources manuscrites, des copies successives, reste parfois criant : le texte fut souvent altéré. Il fallut à la philologie moderne de durs travaux pour aboutir à l’édition de Petrocchi qui fait autorité. Quant au mystérieux titre originel, Commedia, il fait probablement allusion à une fin heureuse, en opposition avec la tragédie, selon les termes d’Aristote.

Aisément didactique, Enrico Malato ne peut se passer d’étudier le « symbolisme des nombres », le rôle du trinitaire chiffre trois, pour les tercets et les trente-trois chants de chaque partie ; soit cent chants, chiffre parfait, si l’on ajoute celui introductif. Puis de préciser la cosmologie de Dante, « inspirée du système aristotélicien et ptolémaïque », et l’architecture des trois royaumes de l’eschatologie ; d’étudier « l’ordonnancement juridique et moral des royaumes de la peine, de l’expiation et de la béatitude », sans omettre les figurations littérales et allégorique, grâce auxquelles la fable devient poésie fulgurante et didactique. Notre essayiste a su sans bavardage excessif nous fournir un indispensable vade-mecum dantesque…

La biographie au tempérament nettement historique d'Alessandro Barbero[20] est plus profuse à cet égard, se lisant comme un roman d'aventures. Dante ayant mille facettes, il est tour à tour un enfant privilégié, dans la plus riche ville d’Europe, Florence  à l’époque où l’on bâtit le Duomo et le Palazzo vecchio, un chevalier dans une bataille, un érudit voué à l’étude, un époux et un père, un politicien engagé et bientôt exilé, enfin le créateur incomparable que nous connaissons. L’ouvrage dresse un tableau profus de la politique du temps, en même temps qu’il inscrit le poète dans le cadre d’une société complexe, dont il saura extraire le miel et l’amertume pour édifier sa Divine comédie.

Nous sommes tous ce voyageur qui descend tour à tour l’excavation de l’Enfer et gravit la montagne du Purgatoire, toutes deux spiralées, avant de rêver les orbes du Paradis. Or, ce que nous appelons aujourd’hui la fantasy aurait bien de la peine à nous offrir autant de merveilleux, saisissant les leviers horrifiques de la peur et ceux délicieux du ravissement, animant les fils soyeux de l’amour et du divin dans une quête fourmillante d’épreuves avec un tel sens de la poésie et de la spéculation philosophique. Aussi le pittoresque échevelé de la vision peut-être appréhendé avec un rare bonheur par l’athée, l’agnostique le plus rigoureux, comme un vaste et inégalable récit fantastique, comme une histoire d’amour, comme une vibration polymorphe de la poésie, comme une changeante allégorie de notre condition et des potentialités du sens de la vie. Ce qu’ont bien ressenti les dessinateurs, comme Sandro Boticelli, les peintres, comme Lucas Signorelli (sur la couverture de la traduction de René de Ceccatty), William Blake[21], ou plus contemporain, l’ébouriffant Miquel Barcelo, dont nous ne cesserons de faire l’éloge : qui eût cru qu’avec les seules et minces ressources de l’aquarelle un illustrateur, aux prises avec l’immense massif de La Divine comédie, puisse parvenir à un tel degré d’assomption picturale ?

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Jorge Luis Borges : « Tlon Uqbar orbis tertius », Fictions, Gallimard, 1951, p 31.

[2] La Fabrique de Dante, du 24 septembre 2021 au 28 août 2022, Fondation Martin Bodmer, Genève.

[7] Jorge Luis Borges : Neuf essais sur Dante, Œuvres complètes II, La Pléiade Gallimard, p 827, 827.

[8] Dante Alighieri : La Divine comédie, Au Bon Marché, 1906.

[9] Dante Alighieri : La Divine comédie, Le Livre Club du Libraire, 1958.

[10] Dante Alighieri : La Divine comédie, Les Libraires Associés, 1965.

[11] Dante Alighieri : La Divine comédie, Flammarion, 1985, 1988, 1990.

[12] Dante Alighieri : La Divine comédie, L’Enfer, Actes Sud, 2016.

[13] Dante Alighieri : La Divine comédie, Paris, 1846.

[14] Dante Alighieri : La Divine comédie. Illustrée par Miquel Barcelo, France Loisirs, 2003.

[16] Boccace : Vie de Dante Alighieri, Léo Scheer, 2002.

[17] Artaud de Montor : Histoire de Dante Alighieri, Adrien Le Clere et cie, 1841.

[18] Jacqueline Rsset : Dante. Une vie, Flammarion, 1999.

[19] Dante : Rimes, Flammarion, 2014.

[20] Alessandro Barbero : Dante, Flammarion, 2021.

[21] Voir : William Blake, peintre et poète mystique

 

Dante Alighieri, Jacqueline Risset, Miquel Barcelo. Photo : T. Guinhut.

 

 

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11 septembre 2021 6 11 /09 /septembre /2021 17:52

 

Vide-greniers de Chef-Boutonne, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Erotisme, pornographie :

misère sexuelle ou péché mignon ?

 

De Jean-Jacques Pauvert à Romain Roszak,

Didier Lestrade & Mario Vargas Llosa.

 

 

Jean-Jacques Pauvert :

Anthologie historique des lectures érotiques,

Stock Spengler, 1995, cinq volumes sous coffret, 4200 p.

Jean-Jacques Pauvert :

De l’infini au zéro. Anthologie des lectures érotiques, 1985-2000,

Stock, 2001, 720 p, 190 F.

Romain Roszak : La Séduction pornographique, L’Echappée, 2021, 320 p, 20 €.

Didier Lestrade : I Love Porn, Editions du Détour, 2021, 334 p, 21,90 €.

 

 

 

         Un code moral, tel que le déroula Michel Foucault dans Les Aveux de la chair[1], a longtemps vilipendé l’érotisme et la pornographie, cette suggestion de plaisirs intimes et raffinés, cette écriture de la prostitution, de la chair vendue, de la viande exclusivement sexuelle. L’on sait que la distinction entre les deux est bien floue, que l’érotisme des uns est la pornographie des autres et vice versa, sinon vice et vertu… Au risque de poursuites, de livres voire d’auteurs brûlés en place publique, la plupart des œuvres érotiques furent publiées sous le manteau, faisant cependant le délice des amateurs et des collectionneurs, les plus rares et somptueux ayant été conservés dans la bibliothèque Gérard Nordmann, divulguée sous le titre Eros invaincu[2]. Plus modestement, mais de manière plus exhaustive, Jean-Pauvert édifia une Anthologie des lectures érotiques en quatre forts volumes, dévoilant les péchés mignons et épicés de centaines d’auteurs, de la plus haute antiquité à nos jours, de 2000 avant Jésus Christ à 1985, de Gilgamesh à Emmanuelle. L’éditeur et anthologiste dut se résoudre, passablement amer, à proposer un addendum : De l’infini au zéro. Anthologie des lectures érotiques, 1985-2000, témoin d’une misère sexuelle contemporaine. Sans doute faudra-t-il revenir sur des valeurs sûres, par exemple Mirabeau au XVIII° siècle, pour retrouver le chemin de l’érotisme comme un art littéraire à part entière. Cependant vingt ans plus tard, de plus jeunes essayistes remontent au créneau pour investiguer La Séduction pornographique, selon le titre de Romain Roszak, et clamer avec joie : I love porn, sous la plume de Didier Lestrade, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est fort désinhibé. Mais c’est peut-être avec Mario Varga Llosa que l’on trouvera plus fine distinction entre érotisme et pornographie…

Fallait-il publier cette déception post-coïtum? À moins d’être riche d’enseignements sur notre contemporain… Jean-Jacques Pauvert, fabuleux propagandiste des aventures de la sexualité, à travers cette somme, cet aboutissement de toute une carrière d’éditeur, l’Anthologie historique des lectures érotiques, quatre tomes sous coffret, 4200 pages, de 2000 avant notre ère à 1985, de Gilgamesh à Emmanuelle, avait dressé une stèle splendide au triomphe de l’Eros. Bientôt cependant il persiste et signe la fin de l’érotisme : « Il n’y a pour ainsi dire plus de lectures érotiques. De la même manière que la sono des boites atteint des décibels assourdissants, empêchant d’écouter ce qui est diffusé, le registre des textes « sexuels » naturalistes est aujourd’hui tel qu’il est impossible de lire ce qui est proposé », argue Jean-Jacques Pauvert en son  De l’infini au zéro. Anthologie des lectures érotiques, 1985-2000.

Mécaniquement, les « nouveaux auteurs » de l’aube du troisième millénaire (femmes, homosexuels, bisexuels, hétéros) dévident comme en faisant du tricot (un coup à l’envers, un coup à l’endroit) des relations de sexes toujours les mêmes - sauf la surenchère - dans un style toujours le même. Nous succombons sous le nombre de « lectures érotiques » dont l’abondance, souvent la violence, font qu’elles n’en sont plus guère ». Ainsi conclut l’anthologiste. Serait-il las, trouvant au bout du rouleau le zéro,  ou plus lucide que jamais, alors que né en 1926 il allait mourir en 2014. À moins qu’il s’agisse d’une allusion alarmante au Zéro et l’infini d’Arthur Koestler[3], roman de la victoire du totalitarisme…

Comment ? Notre civilisation n’aurait plus d’érotisme? Jean-Jacques Pauvert deviendrait-il sénile ? Partout, dans nos rues, nos défilés de couturiers, nos publicités, nos expositions, notre internet, nos romans et confessions, pas un atome de la peau du monde n’apparaît sans être affligé d’une acné galopante de fessiers moulés, de seins nus, de baiseurs et de baisé(e)s, de perversions hard… Tout est visible. Au point de devoir avertir notre malheureux lecteur qu’il entre ici en territoire souvent choquant. L’eau de rose de Love story est évacuée par la chasse d’eau de Loft story. Toutes ces générations qui ont souffert dans leur âme et leur chair de ne pas voir comment un cul était fait, ni comment une copulation se jouait, sont enfin rédimées par une libération sexuelle sans précédent…

Pourtant, un voile de pudeur - et sa transgression - une aura de secret, sinon de sacré, un frisson de beauté, tout ce qui dans cette émotion du dénudement est à la frange du sentiment, lient amour et sexe pour accéder à l’érotisme. Eros, fils de Mars et Vénus, ou de Poros et Pénia (le manque et la surabondance chez Platon[4]) paraît être définitivement castré par son frère, l’obscène Priape. S’agit-il d’éros, s’il ne reste qu’une viande génitale? Depuis que le cœur est un abat, on ne le consomme guère. Symptomatique est le livre d’Alina Reyes à avoir lancé la mode du récit postérotique féminin : Le Boucher. Encore avait-elle un élan et une écriture que n’ont plus Claire Legendre avec Viande « J’ai forcé son trou pour y installer ma bite », Catherine Millet avec La Vie sexuelle de Catherine M. : « J’attrapai des queues pour sucer » ou Catherine Cusset avec Jouir : « A quatre pattes sur la moquette de ma chambre, une brosse à dents par devant et un pinceau par derrière, je me vois le cul en l’air et rond comme une pelote de laine piquée de deux longues épingles à tricoter. » Pourquoi pas. Tant que cela lui fait du bien et ne fait de mal à personne… Nous n’avons pas fouillé les poubelles d’un sex-shop ; c’est chez Gallimard. Seule Virginie Despentes dans Baise Moi avait le sens des formules chocs, des métaphores, des coups de griffe contre les mentalités, talent qu’elle a perdu depuis. Seule Catherine Millet, parmi une litanie, répétition, variations de copulations aussi échangistes qu’anonymes, parvient à évacuer tout lyrisme, toute jouissance apparente au point de réaliser un tour de force : le degré zéro de l’émotion et du plaisir, sans morale, sans éthique, sans sida ni joie. La nymphomanie, l’andromanie, l’accumulation des corps et des expériences sont grosses d’une absence, celle de l’être. Ennuyeux, clinique, peut-être ; mais vrai, jamais auparavant écrit ainsi.

Dans une anthologie épaisse (trop pour quinze ans ?) où les commentaires de Pauvert et ses emprunts aux médias pour observer une évolution des mentalités sont plus riches que les auteurs, seuls émergent des exhumations d’auteurs plus anciens (Baffo, Henri Miller, Musset) ou nos contemporains Michel Houellebecq[5], ce miséreux sexuel sans cesse en quête de réalisation impossible, Nicholson Baker, un américain qui, dans Vox, met en scène le diapason de deux désirs au téléphone, et la Confession sexuelle d’un anonyme russe. On aurait cependant souhaité y lire Mario Vargas Llosa et ses merveilleux Cahiers de Don Rigoberto[6]. La faiblesse générale vient moins d’un trop de permissivité que du manque de qualité d’auteurs qui, sur un court laps de temps, et sans compter le manque de nécessaire recul, font mode et non œuvre. Et Philippe Sollers[7] d’ajouter: « le texte écrit avec le projet d’exercer une fascination, un entraînement au désir, tend à disparaître au profit de l’image »…

 

 

Nous sommes ravis que ces dames aient atteint la parité. Qu’elles assument et représentent leur sexualité, bien. Qu’elles deviennent par le truchement de narratrices des serial-killers and fuckers, l’on s’interroge. On sait d’ailleurs qu’il y a des femmes incestueuses et pédophiles actives ; heureusement bien moins que chez les mâles, mais voilà qui porte un coup de plus au cliché de la tendresse féminine. Nos écrivaines françaises écrivent aussi mal que les hommes, sont aussi machistes, ou gynéchistes, si l’on pardonne ce néologisme. Foin du style, de la construction romanesque et de la mise en abyme d’une société, le couple exhibition voyeurisme prime, le « c’est mon choix » fait loi. Et le public, le vulgaire se jette sur les pages, les écrans pour surprendre qui baise avec qui, dans quel trou… Modernes jeux dont la devise de mauvais goût serait : pinem et circenses !

L’étalage proposé par Jean-Jacques Pauvert a cependant pour vertu de nous interroger sur notre contemporain. Quand Catherine Cusset écrit : « Un homme abuse de moi, se moque, me torture. (…) De temps à autre il enverra ses sbires me tricoter. Ma jouissance est explosive… », qu’importe le divertissement de son personnage qui s’aime victime, lors de saynètes entre adultes consentants que personne n’est obligé de lire… Mais à le rapprocher des avalanches de violences pornographiques dans les revues, films et sites spécialisés, ou d’une publicité pour on ne dira pas quelle marque de luxe dans laquelle un pied gainé de cuir vient s’imprimer sous le sourire d’une demi dénudée en une métaphore d’une terrifiante agression génitale, les questions se font pressantes. Si l’on considère que la pornographie explicite n’est accessible qu’à celui ou celle qui va vers elle, que dire, sans réclamer un instant la censure, lorsqu’une telle publicité s’exhibe dans un magazine féminin destiné au salon familial ?

L’érotisme peut à bon droit offrir à la publicité et au produit convoité une dimension sensuelle qui rejaillira sur l’ego d’un acheteur narcisse qui devrait savoir résister au mensonge des sirènes. Le sadomasochisme quant à lui joue des coudes pour faire parler d’une marque en choquant le spectateur, en laissant entendre qu’il s’agit d’un respectable mode d’être minoritaire qu’il serait ringard de réprouver. De tendres anorexiques ont les pommettes maquillées d’ecchymoses. Sont conspuées de cambouis sur fond de tags. Offrent au molosse une posture d’invitation zoophile… Qu’il existe de rares femmes consentant à de telles perversions, probable et grand bien leur fasse. Mais de quel droit les érige-t-on en modèle de consommation ? Est-ce pour dire : « Vous êtes battues, instrumentalisées, vous êtes des sexes corvéables à merci, actifs ou passifs, votre vie quotidienne est une somme de stress, de malaises psychoaffectifs, portez notre produit de luxe et vous deviendrez une légende… » Ou « Vos douleurs sont une pratique sexuelle reconnue qu’il faut afficher avec le sac Machin pour la sacraliser et vous impulser une aura »… Toutes postures attentatoires à la dignité de la femme, de l’être humain que les plus récentes évolutions des mœurs relèguent dans l’inavouable et l’autocensure. Sans compter les publicités offrant des mâles dévirilisés comme des jouets aux mains de déesses, ce que légitiment pourtant l’humour et un juste retour des choses. Avilir est-il plus érotique que magnifier ? Faire du mal plus amoureux que faire du bien ? Certes, la pornographie est l’érotisme des autres, et c’est sortir de son préjugé que d’accepter que l’autre ait des pratiques répugnantes, pourvu qu’il soit discret et complice de ses partenaires. Reste qu’il est fort difficile de trancher entre respect des sensibilités et une dangereuse censure réactionnaire ou féministe.

Que retiennent ces jeunes qui surfant sur internet trébuchent sur des pornographies trash, à la sodomie redondante, voire ouvertement pédophiles, ou proposant à l’amateur ces « snuff movies » montrant la mort par tortures sexuelles, vendus au mépris des lois et à prix d’or ? Que retiennent les adolescents délinquants en manque de repères moraux lorsqu’ils feuillettent ces films où les filles qui disent non veulant dire oui et sont assaillies par une douzaine de mâles à l’homosexualité refoulée lors de « gang bang » ? Est-ce dans cette pornographie violente ou dans la seule nature humaine qu’il faut voir la source de ces viols tournants infligés dans des caves de banlieues à celles dont le corps et la psyché sont plus souillés que les participants relativement consentants et protégés de ce Loft story qui sema tant d’émoi médiatique ?

Visiblement, l’érotisme, le sexe, les sexualités, la violence sont à la mode, et pas seulement dans la mode. Jadis (à partir de 1912) il fallait lire Havelock Ellis[8] pour explorer des perversions confinées et réprimées. Aujourd’hui, c’est sans étonnement que nous voyons pulluler les groupuscules militants, magazines et sites vantant, esthétisant ou sursalissant des pratiques avides de reconnaissance. Fétichistes de tous poils et de tous cuirs, adeptes du piercing, sadomasochistes extrêmes, échangistes qui ont Paris pour capitale, féministes pornographes, ils sont tous dans le livre instructif, effarant, de Christophe  Bourseiller[9] avec cyber-bibliographie. Nombreux en France, ils ont leurs performances, leurs galeries où s’exhibent corps et copulations, leur body art, où l’on découpe sa langue et son sexe, se change en  cobaye de chirurgie esthétique, jusqu’à la « sainte castration »… Qui aurait imaginé que le « vampyrisme » a ses amateurs sanglants, que le « barebacking » consiste à pratiquer la roulette russe en multipliant les rapports sexuels sans préservatif…

Crudité sans complexe, violence militante, c’est la face terrible du dieu Eros, celui qui bande sans cesse l’arc de ses exigences prédatrices et consuméristes. Art, littérature, mode, publicité enregistrent tour à tour ces convulsions. Faut-il rêver de réintroduire une castratrice censure ? Certes non ! Reste un devoir moral : respecter une étanchéité entre sphères privées et publiques, entre consentement et violence.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour nous rafraichir, courons relire un fleuron de la littérature libertine du XVIII° siècle : nous aurons plus de plaisir et affaire à bien plus d’amour de la vie, bien plus de joie. Brillant orateur révolutionnaire, Mirabeau (1749-1791) avait des dons littéraires. Lors de son emprisonnement à Vincennes, il commit de galantes traductions du poète latin Tibulle. Et des romans érotiques sous le manteau qui animèrent ses fantasmes, firent les délices des libertins et nous ravissent par leur écriture sensuelle et enlevée, comme cette Conversion ou le Libertin de qualité[10].

Il ne faudrait pas déduire de cette « lecture amoureuse », pour reprendre le titre de la collection dirigée par Jean-Jacques Pauvert, qu'il ne s'agit que d'exercice de style et d'échauffement sanguin, mérite par ailleurs estimable. On ne s'étonnera pas que cette « conversion » soit moins dédiée au christianisme qu'à la liberté de l'éros. Plus et mieux que l'honnête homme du XVIIe siècle, voici l'aristocratique « libertin de qualité » : « La pudeur est grimace, la décence hypocrisie, mais la mode, les grâces embellissent tout »... Dédié à « Monsieur Satan » par « Con-Desiros », ce récit frappe par sa vivacité, par un narrateur sans vergogne qui apprend aux « femmes sur le retour » à « jouer du cul à tant par mois », mais n’oublie que rarement «  le dieu du goût » : ici l’on sait « foutre » avec « esprit ».

Non sans ironie anticléricale, c'est un leste tableau de mœurs, une écriture effrénée, un clin d'œil aux Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, une pique à Jean-Jacques Rousseau, des copulations forcenées et pittoresques (ne ratons ni « l'Américaine » ni la « douairière », ni la grosse « Cul-Gratulos »), un amour peut-être sincère, un « art de foutre » plus rapide que Casanova. Ainsi les Lumières écartent « le fanatisme et la superstition » ; mais le drame guette, le romantisme s'annonce... Ne boudons cependant pas ce plaisir du boudoir.

 

Photo : T. Guinhut.

Les plaisirs ont changé de vecteur depuis le siècle des Lumières, alors que l’Antiquité aimait les fresques ithyphalliques. S’il fallait passer par des livres à ne lire que d’une main, de surcroit en cachette et pour de rares privilégiés, le cinéma, puis sa déclinaison par Internet offrent à portée de tout œil pléthore d’images animées tombées des mains de nos modernes Eros pornographes. Quelle liberté ! Mais pour quelle éthique ?  Romain Roszak, avec La Séduction pornographique, pose une réflexion étendue, visant à remettre en question ce qu’il appelle « le totem » de la banalisation heureuse de ce déferlement pornographique. Pornophobes et pornophiles se disputent le terrain de la pensée, quand des universités américaines ne rougissent pas de s’intéresser aux « Porn Studies », voire françaises depuis que le philosophe Ruwen Ogien se permit de battre en brèche les préjugés avec son Penser la pornographie[11]. Puisqu’il faut la définir, il s’agit d’une « représentation du corps humain ou de la sexualité pourvue d’une fonction excitative ». Dévoilement des sexes, en particulier l’érection, « réification » des acteurs, voire violence, absence de beauté, marchandisation, telle est la définition finalement toujours un peu floue de la pornographie convoquée par Romain Roszak avec le secours de divers auteurs, dont Roland Barthes qui parle de « désir lourd[12] ». L’on peut cependant arguer que la beauté de la chair, fusse-t-elle sexuelle, des couples, la joie et la jouissance partagées ne sont pas absentes de certaines production, la distinction avec l’érotisme, même s’il se veut plus suggestif qu’exhibitionniste, restant discutable.

Est-elle passion perverse ou voie vers la concorde sexuelle ? Est-elle bénéfique ou nocive, en particulier si elle touche des enfants ? Coupable d’addiction ou pourvoyeuse de détente, affreusement violente ou délicieusement sensuelle ? Autant de questions disputées, souvent de manière peu apaisée, sans que l’on puisse s’appuyer sur des études fiables. L’on se plait à l’accuser de conduire à l’imitation du machisme et de l’agression, ou à la disculper en arguant qu’elle décharge sur les images des violences qu’ainsi l’on ne commettra pas dans la vie réelle, en une catharsis utile. D’autant qu’elle peut être un « outil d’émancipation pour les femmes et les minorités sexuelles », une invitation à la libre disposition de son corps. Il n’en reste pas moins que sa consommation n’est plus « un mal envers soi-même », ni même envers les autres, tant que les acteurs sont consentants.

Parcourant un inventaire des arguments et contre-arguments sur « l’essence » de la chose, sur les « nuisances sociales », sur la reproduction sadique, en particulier par les adolescents, mais aussi sur la pacification des rapports humains et sexuels induits, Romain Roszak procède de manière dialectique, tout en pacifiant lui aussi les esprits, en montrant que viols et délits sexuels ont plutôt diminué avec la généralisation de l’accès à la pornographie. Que plutôt que pousse-au-crime elle est « aphrodisiaque ».

Plus loin, notre essayiste convoque une histoire du genre, en particulier cinématographique, entre expansion depuis les années soixante et contrôle plus ou moins lâche aux mains de l’Etat et de la loi, « la pornographie étant bannie du cercle de la culture ». Bientôt cependant sa consommation faramineuse en fait une « marchandise globale ». La dimension libertaire de la chose, devenant de moins en moins transgressive, s’entend dans le cadre d’une « nouvelle société hédoniste ». Pourtant il n’y a guère de consensus sur la qualité de telle ou telle production, sur la consommation normale et la dérive pathologique. « Idéologie de la jouissance », elle veut faire oublier le travail des acteurs et des producteurs, entre merveilleux et rapports de force, entre réalisme et fiction, tout en s’adressant à des publics bien divers : hétérosexuel, homosexuel, bisexuel, brutaux ou romantiques, voire queer et trans. Il parait possible de « jouir sans conséquences sociales ni culpabilité », à moins que l’absence d’effort pour obtenir ce plaisir, et la disparition du jugement moral n’en fasse « une anti-leçon d’éducation civique », ce qui reste à démonter tant les spectateurs masturbateurs ne sont guère dupes de la dimension fictionnelle et commerciale.

Ainsi Romain Roszak fait œuvre utile et documentée tous azimuts ; quoique ce qui le meuve en dernier recours soit moins le péché mignon de l’éros que le péché capital du capitalisme. « La phase néolibérale du capitalisme » et « l’extension indéfinie de la sphère du marché » sont ses bornes idéologiques, au point de faire dangereusement bifurquer l’objet du livre vers un autre procès, s’appuyant sur des présupposés marxistes ô combien rances. À tel point que Ruwen Ogien se voit disqualifié pour ignorance « de l’infrastructure qui permet cette domination », soit le grand méchant capitalisme, qui, en l’occurrence, est moins une entité mondiale qu’une juxtaposition concurrentielle d’individus entreprenants auprès desquels il est loisible d’acheter, voire de consommer gratuitement, leurs produits. De surcroit, Sade et la psychanalyse viennent au secours de l’analyse qui dénonce « la politisation du discours sadique ». La conclusion est assez radicale, en un retour du bâton moralisateur : « la pornographie participe d’un façonnage anthropologique décisif, socialement dangereux, socialement risqué ». Aussi faut-il envisager, malgré les objections prises en compte, certes une éducation sexuelle dès l’enfance, « l’apprentissage d’un bon goût pornographique, », mais aussi « financer publiquement une pornographie de qualité ». L’on reconnaît là l’ombre de la censure et de l’étatisme interventionnisme antilibéral.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Devons-nous clamer avec joie, I love porn, comme le fait la plume de Didier Lestrade ? Ce dernier n’est pas un inconnu, mais le fondateur d’Act Up-Paris et du magazine gay Têtu. Visiblement il cède aux sirènes des titres farcis d’anglicisme, alors que « J’aime la pornographique d’amour » eût été plus fin (mais moins vendeur ?).

Le souci d’argumentation de Didier Lestrade est réel ; la thèse est moins chantournée que celle de Romain Roszak. Même s’il est dès l’abord un poil décrédibilisé par une couverture au graphisme certes cohérent avec le propos, mais aux couleurs et aux rondeurs infantilisantes, non sans emprunter un style semblable à la couverture de La Séduction pornographique, comme s’ils venaient du même atelier de graphisme à la mode. Deux facettes s’entrelacent en ce livre, en quelque sorte bigenré en terme littéraire : un parcours de la pornographie depuis les années 1970 et le récit autobiographique, déroulant une quête du plaisir qui ne craint pas de mettre au même rang musique, nature, militantisme gay et pornographie, dans laquelle il voit la vie en rose. Découvrant à 22 ans le film Muscle Beach, il y voit un « classique », une « genèse de l’amour gay masculin, respectueux, solaire, amical ».

« Genre thérapeutique », le « porno » (puisqu’il faut utiliser l’apocope familière) qui a sauvé des vies lors de l’épidémie de sida, trouvait encore plus sa raison d’être dans le confinement coronaviral. Sans cesse ce « media aussi important que la musique ou le sport », et qui est « générosité humaine », s’augmente des niches sexuelles (handicapés, transsexuels et minorités ethniques). Or, pour Didier Lestrade, « le bon porno est éthique », tant il a horreur des violences sexuelles, ce que l’on peut partager, sans choir dans l’excès moralisateur. Malgré l’opprobre partagé par la classe politique, il s’agit d’un « mouvement culturel », mais aussi « l’ultime outil contre le racisme ». Le porno est « politique, mais aussi poétique ».

S’en suit une « histoire rapide du porno », y compris aux temps tragiques du sida, quoique les moyens de s’en protéger deviennent si performants que l’on puisse rêver à un nouvel âge d’or du plaisir, et à l’occasion de laquelle on apprend combien, après le triomphe des professionnels, le porno amateur multiplie les participants, leur spontanéité, la beauté factuelle et non fictionnelle, que bientôt la frontière entre hétéro et gay devient « volatile », et on l’on trouve bien des remarques pertinentes. Car l’on dit que les femmes y sont fragilisées ; pourtant lorsque les hommes sont « réduits à leur bite ou à leur fonction de baiseur », voire sans visage, elles sont « privilégiées par leur mise en avant ». Autant les adolescents d’il y a un demi-siècle pouvaient être affligés par « la disette sexuelle », autant ceux d’aujourd’hui sont abreuvés, malgré le déni et la méconnaissance du corps de certains, laissant aux oubliettes la fidélité. Y aurait-il là les prémices d’une révolution anthropologique ? À moins qu’une réaction romantique survienne. Le livre s’achève, en toute modestie, par « mes délires perso ». Le futur de ce péché mignon pouvant être déjà l’animation où tous les fantasmes sont permis avec innocuité, voire le transhumanisme[13] avec le développement des avantages du corps et des organes actifs…

Ne nous semble-t-il pas que la seule limite à la pornographie devrait être le non-consentement des acteurs ? Et s’ils consentent à des agressions sexuelles, qui sont hélas monnaie courante en une telle filmographie ? La réponse reste celle de l’éducation pornographique, non sans avertir contre le revenge porn, partagé sur les réseaux sociaux sans le consentement du partenaire. Didier Lestrade a ses interdits : la pédérastie (avec des enfants), les traitements violents et dégradants, les « contaminations volontaires », le sadomasochiste hard et scatologique, la toxicomanie du « chemical sex », sans oublier les snuff movies, toutes ces « esthétiques de la mort ». Lecteurs pudiques s’abstenir…

Véritable déclaration d’amour à son objet d’étude, le livre de Didier Lestrade est revigorant, balayant sainement les préjugés courants. Nanti de plus d’un glossaire des termes anglais usités et d’un abondant index, il se veut une petite encyclopédie de la matière, ce qu’avec alacrité il n’est pas loin d’être. S’il ne peut concerner qu’un lectorat de niche, il devrait pourtant permettre à nombre de nos contemporains de faire considérablement évoluer leur pensée…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les libertins de qualité, Jean-Jacques Pauvert le sait mieux que personne, ont plus d’infini que les zéros dont il déplore les piètres qualités d’écriture, de vision, voire morales, parmi nos écrivains contemporains. Sans doute est-il partial, injuste, en comparant trois millénaires de création érotique aux quinze ans de son addendum, d’une nécessité somme toute un peu discutable, quoiqu’utilement satirique. La misère sexuelle des écrivains qu’il rassemble est à l’antithèse de Pierre Lestrade.  Cependant, s’il fallait, avec plus de recul bien sûr, envisager une nouvelle anthologie de notre contemporain qui voudrait se mesurer avec le magnifique coffret des Romanciers libertins du XVIII° siècle[14] en Pléiade - qui accueille notre Mirabeau - ne faudrait-il pas compter les pages de Mario Vargas Llosa, venues de ses Cahiers de Don Rigoberto, publiés en 1997 ? « La pornographie dépouille l’érotisme de contenu artistique, privilégie l’organique sur le spirituel et le mental, comme si le désir et le plaisir avaient pour protagonistes des phallus et des vulves et que ces appendices n’étaient pas de purs serviteurs des fantasmes qui gouvernent notre âme, et elle sépare l’amour physique des autres expériences humaines. L’érotisme, en revanche, intègre tout ce que nous sommes et avons. Tandis que pour vous, pornographe, la seule chose qui compte, à l’heure de faire l’amour est, comme pour un chien, un singe et un cheval, éjaculer, Lucrezia et moi - enviez-nous - faisions l’amour aussi en déjeunant, en nous habillant, en écoutant du Mahler, en bavardant avec des amis et en contemplant les nuages ou la mer[15]. » Reste, pour nuancer la judicieuse discrimination du romancier péruvien, à savoir apprécier, sans dommageable étanchéité, la porte de communication entre pornographie et érotisme, et concevoir qu’il puisse exister une pornographie de bon goût et de bon art…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Eros invaincu. Bibliothèque Gérard Nordmann, Cercle d’art, 2004.

[3] Arthur Koestler : Le Zéro et l’infini, Calmann-Lévy, 1945.

[4] Platon : Le Banquet, 203d, Œuvres complètes, Flammarion, 2008, p 137.

[8] Havelock Ellis : Etudes de psychologie sexuelle, Tchou, 2010.

[9] Christophe  Bourseiller : Les Forcenés du désir, Denoël, 2000.

[10] Mirabeau : Ma Conversion ou le libertin de qualité, La Musardine, 2005.

[11] Ruwen Ogien : Penser la pornographie, PUF, 2008.

[12] Roland Barthes : La Chambre claire, Œuvres complètes, III, Seuil, 1994, p 1148.

[14] Romanciers libertins du XVIII° siècle, La Pléiade, Gallimard, 2005.

[15] Mario Vargas Llosa : Les Cahiers de Don Rigoberto, traduit de l’espagnol par Albert Bensoussan, Gallimard, 1998, p 303.

 

Photo : T. Guinhut.

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6 septembre 2021 1 06 /09 /septembre /2021 11:55

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Histoire des livres censurés et des colères morales.

 

Avec le secours d’Emmanuel Pierrat

Bruno Nassim Aboudrar & Michel Onfray.

 

 

 

Emmanuel Pierrat : 100 livres censurés, Chêne, 2010, 192 p, 39,90 €.

 

Emmanuel Pierrat : Censurés, IMEC, 2021, 160 p, 28 €.

 

Emmanuel Pierrat : Nouvelles morales, nouvelles censures,

Gallimard, 2018, 176 p, 15 €.

 

Bruno Nassim Aboudrar :

Les Dessins de la colère, Flammarion, 2021, 192 p, 18 €.

 

Michel Onfray : Autodafés. L’art de détruire les livres,

Les Presses de la Cité, 2021, 208 p, 19 €.

 

 

 

         « Ce petit livre se trouve rempli de termes indiscrets et malhonnêtes et dont la lecture ne peut avoir d’autre effet que celui de corrompre les bonnes mœurs et d’inspirer le libertinage[1] », fulminait Nicolas de la Reynie, Lieutenant de Police de Louis XIV à propos des Contes de La Fontaine. Il n’était qu’un de ces trop nombreux avatars du procureur Pinard attaquant Baudelaire, Flaubert, et qui s’enchaînèrent en un filet visqueux depuis les contempteurs bibliques du blasphème[2] jusqu’à notre contemporain et notre demain. Sexe, religion et politique sont la trinité de la censure, qui alla trop souvent de pair avec le cachot et le bûcher, voire la décapitation. Si nous l’avions déjà abordée sous l’angle philosophique du requiem pour la liberté d’expression[3], croisons le chemin d’Emmanuel Pierrat, grand amateur de censure, mais pour en dire les ridicules, en énumérer les victimes, finalement juchées sur un piédestal plutôt que sur le brasier qui aimait à se nourrir de livres interdits. Et si l’on croyait naïvement la censure reléguée au magasin des indignes vieilleries, il suffirait pour se détromper d’observer combien au détour de « nouvelles morales », elle se multiplie, comme elle voit ses remugles resurgir de religions bilieuses entichées de ces « dessins de la colère » dont Bruno Nassim Aboudar tente d’analyser les causes. Sans compter que cette censure a l’habileté de dissimuler ses couteaux et ses bûchers en manœuvrant de manière détournée, en passant sous silence, en calomniant un livre, comme le montre avec un talent inédit Michel Onfray, contempteur des colères idéologiques. Le feuilleton de la censure ne s'arrête jamais : une chaine de télévision russe, jusqu'aux œuvres de Dostoïevski et de Soljenitsyne, comme si les spectateurs et les lecteurs n'étaient pas capables d'exercer leur libre arbitre, face aux exactions guerrières  commises par un autocrate russe...

 

Sous la main experte d’Emmanuel Pierrat, une énumération commentée et illustrée de près de quatre-vingts auteurs parcourt le manuel didactique 100 livres censurés. D’Aristote à Simone Beauvoir, si l’on imagine l’ordre chronologique, alors que l’auteur a préféré, pour une commodité discutable, celui alphabétique, d’Henri Alleg, dont La Question, en 1958, relate son emprisonnement et sa torture à Alger pour avoir milité contre la colonisation algérienne, à Oscar Wilde, dont la danse de Salomé parut plus sensuelle que biblique.

À moins que l’on puisse imaginer un classement thématique, en défaveur des pudeurs religieuses, puis des pudibonderies sexuelles, des violences politiques, enfin des mauvaises volontés scientifiques, voire afférentes aux drogues et au suicide, puisque Suicide mode d’emploi, de Claude Guillon et Yves Le Bonniec, fut définitivement interdit en 1995.

Hérésie et non-conformité avec la doctrine de l’Eglise ou du judaïsme envoient les fauteurs de trouble dans les bouges de la relégation morale et physique, de Descartes à Voltaire, en passant par l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ; tel Spinoza, dont la liberté de pensée lui valut d’être excommunié de sa communauté juive, sans compter qu’en 1670, son Traité théologico-politique fut jugé blasphématoire par les autorités hollandaises.

L’on devine que le marquis de Sade, quoique goûtant le sacrifice de ses victimes, fut régulièrement chassé, réprouvé depuis la fin du XVIII° siècle. Légions sont les opuscules libres et licencieux, publiés sous le manteau, sous l'égide d'éditeurs et de villes fantaisistes, qui bénéficièrent des foudres du ministère public, comme Le Trophée des vulves légendaires que Pierre Louys fit paraître sous couvert d’anonymat, comme Les Couilles enragées de Benjamin Péret en 1928, dont les épreuves furent saisies par la police. Et la si jeune Lolita de Vladimir Nabokov outragea également les mœurs dans les années cinquante au point d’être fermement interdite en France en 1956 pour être ensuite pardonnée, Violette Leduc dut attendre l’an 2000 pour rendre public le saphisme épicé et surtout intégral de Thérèse et Isabelle.

Pour la raison politique, les contrevenants à l’absolutisme furent nombreux : Helvétius, avec De l’esprit en 1758, prônant le matérialisme et dénonçant le despotisme, Chateaubriand, avec Les Aventures du dernier Abencerage écrit en 1811, en faveur des insurgés espagnols, sans compter sa contemporaine Madame de Staël réfugiée en Suisse pour avoir elle aussi déplu à Napoléon Ier. Hier encore, Alexandre Soljénitsyne, publiant en 1973 et en France L’Archipel du goulag, se vit destitué de sa nationalité russe et banni, sa notoriété le protégeant du pire.

Quant à Copernic et son héliocentrisme daté de 1543, et surtout Galilée, dont le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde le corroborait, les voici se heurtant au géocentrisme établi depuis au moins Aristote. La science n’est exacte que pour ceux qui lui imposent une exactitude d’habitude ou d’idéologie. Charles Darwin n’échappa pas en 1859 à l’opprobre qui jaillit sur son Origine des espèces du fait des théologiens anglicans outrés par sa théorie de l’évolution. Aujourd’hui encore, en Turquie, une « offensive anti-darwinienne » émane de l’action conjuguée du pouvoir nationaliste conservateur et des groupes islamistes.

Même si l’on occulte, oublie, ignore et efface l’immense masse de tous ceux qui ont été censurés au cours de l’Histoire des idées, ce sont, pour reprendre les mots d’Emmanuel Pierrat, « des chefs-d’œuvre romanesques, des essais de génie, des théories novatrices » qui ont fait l’objet de condamnations et d’anathèmes, d’autodafés et de mises à l’index. Le fond de l’humanité est hélas bien rétif au changement, peu décidé à quitter, fût-il de plomb, l’habit de la doxa.

De surprise en surprise et concoctant d’incongrus voisinages au travers des siècles et des genres jetés les jambes en l’air, l’on y découvre des ouvrages aussi sérieux et humanistes que les Adages d’Erasme voisinant avec des coquineries affriolantes, telle À la feuille de rose, maison turque de Maupassant. Généreusement illustré de couvertures, gravures et dessins aux cuisses lestes, l’album d’Emmanuel Pierrat, gage de bibliophilie précieuse, est-il à précieusement conserver, même si sa triste et sage jaquette ne risque guère d’allécher les papilles, de peur de le voir un jour lui-même tomber sous le couperet de la censure ?

Plus contemporain est son recueil lapidairement intitulé Censurés. Face à la radicalité médiévale du feu et des cendres, plus discrète parait la censure, pouvoir occulte qui veut empêcher les livres de paraître et tient à biffer leurs paragraphes indus, comme parmi les pages du Sexus d’Henry Miller, caviardées de blancs ridicules. Les gouvernements en usent à l’envi au cours de l’Histoire, y compris lors de notre dernier siècle.

Paradoxalement, ce qui devait disparaître se voit conservé, consulté dans un lieu solennel : l’Institut Mémoire de l’Edition Contemporaine, sis en Normandie, dans l’abbaye d’Ardenne, réhabilitée de façon que les bâtiments conventuels du XII° siècle deviennent une bibliothèque de recherche. L’on y découvre, né en 1968, l’avocat spécialisé dans le droit d’auteur Emmanuel Pierrat, qui défendit entre autres l’écrivain Michel Houellebecq lors d’une insane convocation pour islamophobie. Essayiste, on le connait grâce à ses ouvrages sur les procès qui assaillirent Charles Baudelaire, Gustave Flaubert et Eugène Sue. Aussi était-il justifié que l’IMEC ouvre ses archives à un tel expert sommé d’y exercer sa sagacité. La cave aux trésors de la censure y est dévoilée par un juriste et collectionneur. Nul doute qu’il dût se trouver face à des choix cornéliens en privilégiant ou non tel auteur, tel événement.

Dès le seuil de ce titre lapidaire, Censurés, il confronte les nouvelles braises inquisitoriales qui se jettent sur les livres, les films et les musées à des œuvres anciennes qui valurent bien des avanies à leur auteur, comme le baroque Théophile de Viau écrivant des sonnets sur la vérole et la sodomie. Mais au cours du XX° siècle cette française censure eut autant d’appétit pour l’érotisme que pour la politique, au travers d’épisodes tragiques et controversés, tels que guerres et colonisation.

Les documents ici présentés et commentés vont de la correspondance échangée entre deux érotomanes distingués, Georges Bataille et Hans Bellmer, aux couvertures envisagées pour Les Versets sataniques de Salman Rushdie[4], poursuivi par une abjecte fatwa. L’on ne s’étonnera pas d’y trouver Sade, à la croisée de Jean-Jacques Pauvert et de son avocat Maurice Garçon, en 1956. D’autres sulfureux éditeurs, Claude Tchou et Eric Losfeld, eurent affaire aux tracasseries de la police des mœurs, alors que planait encore le spectre ecclésiastique de l’Index librorum prohibitorum, où le bibliophile trouve paradoxalement bien des titres alléchants. Le « droit au blasphème » est évoqué au travers d’Arrabal qui « chie sur Dieu, la patrie et tout le reste », et faillit en 1960 moisir dans les prisons franquistes, mais gracié avec le concours de bien des écrivains. Plus près de nous encore, Jacques Laurent eut maille à partir avec le Général de Gaulle pour « Offenses au chef de l’Etat », délit qui ne fut abrogé qu’en 2013.

Volontiers misogyne, la censure, à force d’exercice, se change insidieusement en autocensure, chez Violette Leduc ou Christine Angot, adepte de l’homosexualité pour l’une et d’une autofiction impliquant autrui pour l’autre. Elle devient hélas la règle avec les services juridiques des éditeurs qui se font scrupule d’éviter toute offense, au risque d’émasculer la littérature.

Les pages « caviardées » de « placards blancs » parmi les pages paraissent si risibles ; pourtant Henry Miller vit son Sexus couvert de feuilles de vigne. En sorte que « le censeur est à son insu un incitateur à la publication de livres séditieux ». C’est ainsi qu’avec une délicieuse malice, Emmanuel Pierrat poursuit les attentats contre la liberté d’expression, tout en étant depuis 2019 président du PEN International, tentant de contribuer à la libération d’écrivains et de journalistes sur toutes les faces du monde.

À l’heure où de nouveaux censeurs, au nom d’une religion aussi politique que théocratique et d’une racialiste cancel culture assistée par l’autocensure, exercent leurs ciseaux acérés, un tel ouvrage est un précieux avertisseur, au secours de la liberté d’expression et de la création littéraire ouverte sur le monde, non fermée par une clé définitive, comme sur la couverture ces livres libertins qui rougissent d’être encagés.

 

Hancarville : Monumens de la vie privée des douze Césars, À Rome, 1785.

Index librorum prohibitorum, Romae, 1841.

Photo : T. Guinhut.

 

« Couvrez ce sein que je ne saurais voir ;

Par de pareils objets les âmes sont blessées »

Et cela fait venir de coupables pensées.[5] »

Ainsi vitupérait le Tartuffe de Molière en 1667, pièce d’ailleurs interdite dès le lendemain de sa première représentation. Ce à quoi, par la bouche d’Elmire, répond le dramaturge :

« Est-ce qu’au simple aveu d’un amoureux transport

Il faut que notre honneur se gendarme si fort ?

Et ne peut-on répondre à tout ce qui le touche

Que le feu dans les yeux et l’injure à la bouche ?[6] »

Collectionneur de tartufferies et de cache-sexes, Emmanuel Pierrat égrène une quinzaine de « Cachez » en autant de chapitres, parmi son essai Nouvelles morales, nouvelles censures. Cédons, en pensant à Umberto Eco, au Vertige de la liste[7]de ces injonctions venues de moralités hautaines et imbéciles. « Ligues de vertus » soudaines, elles s’alignent sur un antiracisme sélectif, sur la souffrance animale, la pudeur féministe et les ardeurs du genre, sur un antifascisme orienté, sur un antiesclavagisme borgne pour prôner une « cancel culture[8] » et prétendre annuler toutes sortes de statues, de films, de livres et de tableaux qui leur déplairaient à force d’exhiber des réalités indignes d’être vues.

Ainsi faudrait-il cacher ces cinéastes et ces artistes coupables ou prétendus coupables d’agressions sexuelles, Roman Polannski ou Woody Allen, sans plus tenir compte de la valeur de leurs œuvres. Cacher la couleur, si elle n’est pas celle des Noirs qu’il s’agisse de peinture ou traduction, interdisant à tout Blanc de représenter tout ce qui serait noir, au motif que celui-là méconnaitrait le « racisme systémique » qui lui est génétique, en un racisme inversé. « C’est donc un mécanisme opposé aux principes mêmes de tolérance et de liberté d’expression qui est mis en œuvre », quand seul les gays, lesbiennes, handicapés, gros, etc. peuvent se représenter eux-mêmes, invalidant les principes de l’art, de la littérature et de l’éthique politique qui sont échanges et compréhensions des identités et des histoires d’autrui.

Quant aux « personnages immoraux », les voici priés de dégager. L’on ne peut plus tuer en scène Carmen, la malheureuse héroïne de l’opéra de Bizet, sans être complice d’un féminicide. Ni poser clope au bec, Lucky Luke et André Malraux ayant perdu leur cigarette, en un retour au petit pied (pour l’instant ?) des personnalités politiques effacées des photographies et de l’Histoire par le totalitarisme soviétique. « Même fictifs, les personnages doivent respecter la loi et la morale » ! Les mots eux-mêmes méritent le bâillon : « nègre » ou « négresse » semblent le sommet de l’opprobre au côté du « blackface », grimant les blancs au cirage. Aussi faudrait-il réécrire toute l’Histoire, abattre les statues incorrectes[9] effacer Mein Kampf[10] et passer au lustre anti-haine la littérature universelle, de Shakespeare à La Case de l’oncle Tom, et au premier chef les livres pour enfants.

Le retour des seins que l’on ne saurait voir effraie le pudibond Facebook ; y compris s’il s’agit de La liberté guidant le peuple de Delacroix. Quelques musées décrochent des nudités trop soyeuses, n’en vendent plus les cartes postales, à la Manchester Art Gallery par exemple. Et si l’on peut concevoir que des œuvres volées puissent être rendues à leurs pays d’origine, les musées devraient peut-être se garder de risquer de devenir exclusivement des dépôts d’œuvres nationales, au risque de voir d’autres œuvres dilapidées, voire détruite dans leurs contrées sans sécurité ; et au risque de l’agonie de la curiosité du monde pour le monde entier.

En forme d’énumération conceptuelle, bienvenue et précisément documentée, l’essai est à lire comme un bréviaire des iniquités, une satire d’un torrent de bêtises contemporaines et une déclaration d’amour à la liberté d’expression. Alors que l’édition, sous le regard armé des « Sensitivity Readers » et de ses juristes tend à veiller à ce qu’aucune minorité soit offensée par le moindre passage allusif. Une littérature émasculée, où la réalité aurait disparue, serait-elle la seule à perdurer ? D’autant que « les nouveaux censeurs » ont pour nom Google et Facebook, plus globalisants qu’un Etat.

Efficace censeur des censeurs, Emmanuel Pierrat dispose d’une bibliographie impressionnante : une bonne centaine de titres s’aligne sur son palmarès. L’on se demande comment il peut concilier toutes ses activités, voire des dizaines bras, de plumes et de claviers. Osons dire avec un humour dont il ne se fâchera pas qu’il vaudrait mieux qu’il ne fasse pas travailler de nègre, car il se trouverait bien une ligue sans humour pour lui reprocher de faire noircir du papier à une petite main néanmoins talentueuse…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Non seulement les plumes en leurs livres, mais les coups de crayon sont les victimes désignés par la vindicte fanatique, au travers de ce qu’appelle justement Bruno Nassim Aboudar en son titre Les Dessins de la colère. Maître mondial du jeu, « l’iconoclasme musulman » érige le moindre croquis, le moindre crabouillis, la caricature et l’image en insulte suprême réservée au plus irascible des prophètes, au plus totalitaire des dieux imaginés par la soif de soumission sadomasochiste de l’humanité.

Car l’on tue pour des images. Pour tenter de mieux comprendre une telle aberration, Bruno Nassim Aboudar va un peu plus loin qu’opposer un Islam iconoclaste et les libertés de l’Occident laïque. Mais, comme trop souvent, l’on pense ici que « le fanatisme c’est l’oubli de Dieu », alors que son prophète ne commande pas grand-chose d’autre que ce fanatisme même[11]. Il est vrai que le Christianisme est une religion qui s’est faite image, alors que la chose est impensable en Islam. Notre essayiste rapproche ces exactions contre les caricatures du prophète, leurs auteurs, leurs propagandistes et leurs relayeurs (tel le malheureux Samuel Paty, professeur d’Histoire-Géographie égorgé pour les avoir montrées) des destructions de sites historiques, tels que ceux des Bouddhas sculptés de Bamiyan et de la cité antique de Palmyre. Pourtant en ce dernier cas il ne s’agit pas d’images, mais de civilisations païennes trop honorées. Car, au-delà des destructions barbares dont l’Histoire antique fut coutumière, l’Islam rigoriste n’honore rien d’autre que soi-même. La censure est au centuple, par rapport à celles qui ont marqué l’Histoire de l’Occident. Mais s’il s’agit encore d’iconoclasme, Bruno Nassim Aboudar, qui avoue être « athée », insiste avec raison sur sa dimension non théologique et plus exactement sur un « vandalisme » qui s’en donne à cœur joie.

Le prophète sans image est-il une invention occidentale ? De fait, il y a bien des représentations dans les manuscrits enluminés, en Perse et dans l’Empire ottoman, du XIII° au XVIII° siècle. En cet essai, une brève histoire de la caricature enseigne par ailleurs que Jésus fut bien portraituré à charge, surtout au XIX° siècle. Alors qu’il fut de tradition de décrire de manière idéale et conventionnelle le prophète au travers des textes de la tradition, mais aussi de substituer à toute représentation la parole, par le biais de la calligraphie omniprésente. S’il n’existe pas de portrait réaliste de Mahomet, toute caricature en est impossible. Ainsi les dessins de Charlie Hebdo sont de pures fictions, quoiqu’il y ait bien une intention de représentation en nommant Mahomet dans la légende, et surtout de raillerie, ce qu’interdit le prophète dans le Coran : « Les criminels se moquaient des croyants. Quand ils passaient auprès d’eux, ils se faisaient avec les yeux des signes ironiques. De retour dans leurs maisons, ils les prenaient pour l’objet de leurs rires[12] ». C’est ce que ne dit guère notre essayiste qui préfère user de l’argutie de « l’iconographie caricaturale raciste », en guise de « thèse ». En fait, la susceptibilité musulmane est constitutive de la sacralité absolue de son dieu à vocation totalitaire, terrain sur lequel ne s’aventure pas Bruno Nassim Aboudrar, qui titrant Les Dessins de la colère, traite plus largement des iconoclasmes comparés. Les iconoclastes byzantins perdirent rapidement la partie, les commandements d’Islam (inspirés par l’aniconisme hébraïque) récusent dans le Coran les idoles et prétendent dans les hadiths châtier « les fabricateurs d’images ». Reste que les autodafés de Daech (à la bibliothèque de Mossoul ou à Tombouctou) relèvent d’une « scénographie directement inspirée des autodafés nazis de 1933 » moins qu’à une habitude musulmane ; même si notre trop prudent essayiste oublie les musulmanes destructions de la bibliothèque d’Alexandrie et celles des manuscrits lors de la prise de Constantinople, qui fut d’ailleurs auparavant mise à sac par les Croisés et les Vénitiens.

Au-delà de la plus que suffisante censure universelle prétendue les armes à la main par les islamistes, l’indignation morale des censeurs autoproclamés balaie à géométrie variable les sales poussières pour laver plus noir en laissant briller bien des auras discutables. La Commune de Paris, en 1871, se voit parée d’éloges, en omettant la dimension communiste de la chose, que Karl Marx qualifiait de « répétition générale pour les révolutions à venir ». Les écrivains de droite traditionaliste sinon fascisants, tel Charles Maurras ou Louis-Ferdinand Céline, ne peuvent imaginer la moindre commémoration ; ceux de l’extrême-gauche sont pain béni. Les modes politiques et le goût de la tyrannie ont la vie dure, tant elles s’arment du couperet de la censure. La si jeune Lolita aux petits pieds de douze ans, dansant sous la plume de Vladimir Nabokov, serait aujourd’hui, n’en doutons hélas pas un instant, prohibée pour pédophilie, alors que bien évidemment l’intention de l’auteur n’est pas d’en faire l’apologie. Seule l’histoire littéraire la protège encore, peut-être provisoirement.

 

Faut-il penser Michel Onfray ? nous demandions-nous en apportant une réponse dubitative[13]. Quoiqu’encore une fois avec bien de la prudence, il faut se résoudre à penser avec lui et son essai Autodafés. L’art de détruire les livres. Eliminons d’emblée le problème du titre. Il ne s’agit en rien d’autodafés, de livres brûlés en place publique, mais de livres qui ont réussi à trouver un éditeur (ce qui n’est pas gagné si l’on frise l’incorrection idéologique), mais ont subi la conspiration du silence ou les foudres de la critique de mauvaise foi, de la calomnie la plus répugnante afin de les enterrer symboliquement, de les effacer du paysage intellectuel. Certes l’on peut penser que ce titre est une hyperbole nécessaire, mais elle semble plus ronflante qu’efficace. Passons de plus une préface conceptuellement confuse au cours de laquelle il s’agit pourtant de dénoncer ceux dont le fascisme rouge fait profession de conspuer la « fachosphère ». Il est vrai qu’il s’agit, en un juste retour du bâton, de « la fachosphère de gauche ».

En six volets, Michel Onfray ranime des essais qui n’ont cessé de subir les foudres du gauchisme culturel (sans doute un oxymore). Rangés chronologiquement, ils peuvent être classés en deux catégories, l’une a trait au communisme, l’autre au couple immigration Islam. À l’exception d’un seul, Le Livre noir de la psychanalyse[14], affirmant à qui mieux mieux et le plus raisonnablement du monde que cette discipline n’est qu’une grande fiction, sans aucune réalité thérapeutique ni qualité scientifique. Evidemment ceux qui vivent de ce commerce et de sa chaire intellectuelle n’ont pas manqué de s’étrangler et de déconsidérer les auteurs qui ont osé abattre la forteresse d’une psychanalyse institutionnelle.

Mais revenons aux axes essentiels de l’ouvrage. Dénoncer ceux qui œuvrent au service du communisme et de l’immigration islamique. Car l’on a défendu « la révolution culturelle maoïste que Simon Leys démontait dans Les habits neufs du président Mao (1971) ; le marxisme-léninisme inspirateur du communisme occidental qu’effondrait pourtant L’Archipel du goulag (1973) de Soljenitsyne ; le retour du racisme sous couvert de l’antiracisme qu’analysait le sociologie Paul Yonnet dans son Voyage au centre du malaise français. L’antiracisme et le roman national (1993) ; le bellicisme islamiste dont Samuel Huntington racontait la puissance dans Le Choc des civilisations (1996) ; […] et le mythe d’un Islam civilisateur que décomposait Aristote au Mont Saint-Michel (2008) de Sylvain Gouguenheim ».

L’essai polémique en diable est imparablement documenté : outre la lecture des livres controversés, Michel Onfray convoque les thuriféraires du maoïsme et du communisme pour dévoiler leurs attaques et leurs bassesses. Les massacres innombrables et la religiosité adressée à Mao sont pointés par Simon Leys, qui se voit vilipendé par les universitaires et les intellectuels médiatiques. Autre totalitarisme, celui révélé dans toute son ampleur par Soljenitsyne dans les mille cinq cents pages de son « investigation littéraire » : l’Union soviétique n’est qu’un enfer, un « système concentrationnaire » où « point n’est besoin d’être coupable pour être une victime ». Le Trio Lénine, Staline, Trotski est tout autant responsable de cette extermination par le travail et le froid. Et pourtant Sollers, Barthes, Bernard-Henri Lévy font les dégoûtés devant l’auteur de L’Archipel du goulag. Paul Yonnet montre comment l’antiracisme « en célébrant la préférence ethnique, la discrimination racialiste, l’essentialisation des races - la blanche toujours du côté du crime », proclame sa vertu, tout en prétendant que l’immigration est une chance pour la France, que cette dernière est traditionnellement une terre d’immigration. Et si l’on conteste ces positions, l’on est « pétainisé », « nazifié », ce qui fut bien le sort de Paul Yonnet. Quant à l’huntingtonnien « choc des civilisations », qui n’est pas sans réalisme, il est vu comme un crime de lèse-majesté par ceux qui ne veulent pas voir le choc entre le bloc chrétien et le bloc musulman (dont « l’inassimilabilité » repose sur ses sourates belliqueuses), sans oublier la puissance chinoise. La géopolitique s’en trouve bouleversée après la chute de l’URSS, déniant ainsi la possibilité d’un gouvernement mondial. Vingt-cinq ans plus tard, Samuel Huntington voit sa thèse hélas confortée par les faits. Dernier crime par la pensée (pour employer un vocabulaire orwellien) : montrer que l’islam n’a guère transmis les textes des scientifiques et philosophes grecs et n’a donc pas été à la source de l’Occident, qui possédait bien mieux ces textes à Byzance et jusque dans le monastère du Mont Saint-Michel où à peu de choses près tout Aristote fut traduit du grec en latin, bien mieux que De l’Âme approximativement traduit d’une traduction en arabe et qui pouvait ne pas contredire la religion musulmane. Ce sont en fait des Arabes chrétiens, des Syriaques qui ont traduit quelques textes de références pour Haroun al Rachid, rare parenthèse peu islamique, alors que l’on fait d’al Andalous le mythe de la coexistence pacifique des cultures. L’Occident et son développement scientifique et philosophique ne doivent donc à peu près rien au monde islamique qui n’aimait rien tant que brûler les livres impies, c’est même le contraire si l’on sait que l’écriture coufique arabe fut créée au VI° siècle par des missionnaires chrétiens, que tous les mots philosophiques de la langue arabe viennent du grec. La thèse du prétendu islamophobe Sylvain Gouguenheim a le tort de contrevenir au vivre ensemble et se voit accueillie à boulets rouges et verts…

 

Malgré quelques approximations conceptuelles, malgré sa nostalgie du socialisme, l’essai de Michel Onfray est d’une efficace concision (une fois n’est pas coutume). Voici une lecture salubre, hautement nécessaire, d’une verve stimulante, face à ce qu’il appelle « la matrice nihiliste », tant il dévoile combien une intelligentsia use de son magistère pour protéger les mythes, soit la pureté d’intention du communisme, l’irénisme de l’immigration et l’innocuité de l’Islam. Victimes de la colère idéologique venue de la gauche post-communiste et de l’islamogauchisme (concept analysé par Pierre-André Taguieff[15]), les penseurs politiques et civilisationnels attachés à la liberté et à la recherche de la vérité ont décidément fort à faire face aux masques de la censure, et doivent se barder de détermination.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Amélie Sourget : Livres et manuscrits, Printemps 2016, p 76.

[5] Molière : Le Tartuffe, Théâtre II, Club des Libraires de France,  p 450.

[6] Molière : Le Tartuffe, ibidem, p 473.

[7] Umberto Eco : Vertige de la liste, Flammarion, 2009.

[12] Coran, LXXXIII "La fausse mesure, 29-31.

[14] Collectif : Le Livre noir de la psychanalyse, Les Arènes, 2005.

[15] Pierre-André Taguieff : La Nouvelle judéophobie, Mille et une nuits, 2002.

 

Autodafé des livres de Iean Wiclef.

Jaques Lenfant : Histoire du concile de Constance, Pierre Humbert, 1714.

Photo : T. Guinhut.

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4 septembre 2021 6 04 /09 /septembre /2021 14:26

 

Vêtement sacerdotal, Monasterio de San Martin de Castañeda, Zamora.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Couleurs, cochenille et rayures par

Michel Pastoureau, Georges Roque

& Derek Jarman.

 

 

Michel Pastoureau : Noir. Histoire d’une couleur, Points, 2014, 288 p, 8,80 €.

Michel Pastoureau : Bleu. Histoire d’une couleur, Points, 2020, 240 p, 9,90 €.

Michel Pastoureau : Jaune. Histoire d’une couleur, Seuil, 2019, 240 p, 39 €.

Michel Pastoureau : Rouge. Histoire d’une couleur, Seuil, 2016, 216 p, 39 €.

 

Georges Roque :

La Cochenille, de la teinture à la peinture. Une histoire matérielle de la couleur,

Gallimard, 2021, 336 p, 24 €.

 

Michel Pastoureau : Rayures, Seuil, 2021, 160 p, 29 €.

 

Derek Jarman : Chroma. Un livre de couleurs,

traduit de l’anglais par Jean-Baptiste Mellet,

L’Eclat Poche, 2019, 224 p, 8 €.

 

 

 

Que serait un monde incolore ? Supposons qu’il ne serait même pas blanc, sans lumière ni ombre, pas même noir, d’une fadeur innommable… Source de sensualités, d’enchantements et de mélancolies, la couleur est naturelle, puis artificielle, utilitaire, symbolique et picturale, sans compter sans usage politique. C’est ce que narre, à chaque fois de manière chronologique, Michel Pastoureau, parmi ses cinq « histoires d’une couleur », depuis Bleu, en 2000, en passant successivement par Noir, Vert, Rouge et Jaune. Comment allait-il, au-delà de ces couleurs primaires - et de leurs variations – se renouveler ? Qui aurait pensé qu’il allait ensuite se consacrer aux Rayures… Cependant, pour revenir à cet incendie des sens, le rouge, savions-nous qu’une de ses incarnations fut celle de la cochenille, fort prisée, comme nous le révèle Georges Roque. Pas le moins du monde historien, Derek Jarman, vit la disparition de ces couleurs dont il nourrit, dans Chroma, son autobiographie. Si le sens populaire peut associer à chaque couleur une émotion, l’on verra combien leurs usages et significations sont créateurs et ambivalents.

Chaque couleur s’inscrit dans le temps historique, en fonction des matériaux utilisés pour la montrer et la produire, terre, plante, minéral, animal… Mais aussi en fonction de l’apparat du pouvoir et des exigences de la spiritualité, sans oublier les dimensions symboliques qui s’attachent à leurs ostentations. Ainsi Michel Pastoureau indique sa méthode au seuil de chacun de ses essais, tant la couleur est moins un phénomène naturel qu’une « construction culturelle complexe », « un fait de société », procédure ainsi déployée de l’Antiquité à nos jours, quoiqu’en se limitant au domaine occidental, à l’instar d’Hervé Fischer[1]. Ses aspects matériels, théoriques, techniques, iconographiques,  idéologiques et politiques[2] sont dépliés en un caléidoscope qui n’est pas loin d’être encyclopédique. La chimie des pigments, les codes vestimentaires, « les règlements émanant des autorités », laïques et religieuses, les créations des artistes, tout cela fait évoluer, voire exploser la présence et le sens des couleurs.

 

Longtemps ni le noir ni le blanc n’eurent les honneurs du paradis du nuancier. Ténèbres, deuil et enfer recouvrent le premier, qui est à la fois anti-couleur et son absence puisque antérieur à la création, au moment où le dieu biblique sépare les ténèbres de la lumière. Non loin de là, les Grecs connaissent Nyx, déesse de la Nuit et fille du Chaos. Quand seule l’Egypte pense au noir fertile du limon et des lourds nuages, la vision de cette obscure entité ne retrouve à l’ère médiévale une faveur paradoxale, car associée à la salissure, qu’auprès des laboureurs et artisans ainsi vêtus, alors que les guerriers ont le rouge, les prêtres le blanc divin. Pourtant certains ordres monastiques se couvrent de noir par humilité. S’il existe un noir brillant à côté de celui terne et repoussant, il se trouve dans les profondeurs de l’Enfer, de Satan, du péché et de la mort, alors que le blanc est céleste, aux côtés de la sagesse et de la vertu. Reste l’énigme du chevalier noir qui cache son identité tout en étant positif, sa couleur symbolisant sa force. À la « palette du diable », succède une mode nouvelle, du XIV° au XVI° siècle, à l’occasion de laquelle le noir est austère et digne. La figuration de la peau noire - jusque-là horrifiante - pour la reine de Saba ou le roi mage Balthazar participant de cette accession à la grâce. Est-ce après la grande peste de 1346-1350 qu’apparut un « noir moral et rédempteur » ? Bientôt les juristes et gens de robe l’affectionnent, puis les plus grands personnages. Aux siècles suivants, la mode et en noir et blanc, voire jusqu’à la guerre faite aux couleurs, ce que notre historien appelle un « chromoclasme », ce qui correspond à l’essor de l’encre d’imprimerie, qui a remplacé l’enluminure, et à la morale protestante. L’austérité du XVII° siècle réprouve l’ostentation colorée, attitude cependant bien adoucie par un siècle des Lumières qui est « une sorte d’oasis colorée », alors que les peintres n’ont cédé que rarement à une omniprésente noirceur, qui sera en revanche celle du romantisme noir, celui de ses romanciers et de ses peintres. Le XIX°, « temps du charbon et des usines », voit coexister noir ouvrier et noir élégant du bourgeois, imposant une orthodoxie et préparant celui qui se change en une « couleur moderne », malgré la dangerosité à venir des blousons noirs, du rock et du punk. Au cours du précédent siècle, il est la soutane et le curé, les « chemises noires » fascistes et des SS nazis, il est rebelle et anarchiste, il est de longtemps la norme de la photographie et du cinéma, il est transgressif jusque dans l’érotisme du sous-vêtement féminin, il est le nouveau chic : le voici en fait de plus en plus plurivoque, à n’y plus retrouver ses codes…

 

 

 

Une démarche semblable est mise en œuvre à l’occasion de Bleu. Rare dans l’Antiquité grecque et romaine, il est bien plus prisé par les Germains et les Celtes qui pour ce faire exploitent une plante : « la guède ». L’indigo oriental, fort cher, le lapis, l’azurite sont peu utilisés, voire dépréciés, comme lorsqu’à Rome les yeux bleus passent pour disgracieux ! Après un long purgatoire médiéval, il se fait soudain précieux, dans la cadre d’une théologie des lumières initiée au XII° siècle par l’abbé Suger, et malgré les cisterciens « chromophobes », lorsqu’il est attribué au manteau de la Vierge. Une mutation culturelle considérable en somme. À partir de là une fortune considérable lui échoit, entre bleu royal et azur des armoiries, parures avivées par le pastel. Il est du XV° au XVII° siècle « une couleur morale ». Mieux il acquiert le rang de « couleur préférée » jusqu’à nos jours, au pastel s’ajoutant l’indigo puis le bleu de Prusse. En témoignent l’habit bleu du Werther de Goethe, la romantique « fleur bleue » de Novalis, le drapeau tricolore, le rythme du « blues », l’universalisation du jean… Symbole de paix - pensons aux « casques bleus » -, de ciel de beau temps et de vacances maritimes, bien que froid, le bleu a quelque chose de populaire autant que de magique.

Une ambivalence étonnante échoit au jaune. Positif, brillant, il est or, blé et blondeur, donc pouvoir et joie. Négatif, il est souffre diabolique et bile amère, mais aussi avarice et folie. Son rapport avec la richesse agricole et avec le métal doré des monnaies en fait depuis les origines une couleur bénéfique. Pommes d’or du jardin des Hespérides ou toison d’or de Jason, or du Rhin, cultes solaires, en particulier d’Apollon, et peintures pompéiennes suffisent à signifier combien la mythologie s’empare de la fascination véhiculée par les pigments dorés et citronnés, tirés de la gaude, du genêt et du safran. Chez les Romains, c’est la couleur des femmes. Jusqu’à la fin de l’ère médiévale il est fort estimé, pour être ensuite déprécié, surtout s’il tire au verdâtre maladif ; alors que s’il s’éclaire d’une nuance orangé, le voilà fruité, bienfaisant. Son « histoire tourmentée » est peut-être la plus curieuse.

Hélas, dans la Bible, le mythe du veau d’or, symbole d’idolâtrie, concourt à placer le jaune aux côtés des richesses trop terrestres. L’or est bien entendu divin, quand le jaune est sa dégradation. Cependant, lors de la période médiévale, ces deux nuances sont synonymes en héraldique et prolifèrent sur les blasons. Le « prestige des cheveux blonds » enchante les portraits et la poésie de Pétrarque, dont Laure est un modèle de blondeur. De l’autre côté du corps, la bile et l’urine, examinée par les médecins, répondent à la symbolique qui attribue au jaune l’envie, le mensonge et la trahison. Là est peut-être l’origine de l’étoile imposée aux Juifs, le jaune étant l’attribut de Judas et de la synagogue. À partir de la Renaissance, cette couleur devient « mal aimée », même si elle reste indispensable en peinture, jusqu’au « petit pan de mur jaune », chez Vermeer, tel qu’il devint un emblème de la quête de l’écrivain et de l’artiste chez Marcel Proust. Les soleils couchants embrasent ainsi Le Lorrain et Turner. Mais le jaune ne peut échapper au nuancier de l’histoire naturelle et des natures mortes, alors qu’il devient, conjointement avec le rouge, signal de prostitution. La complexe ambivalence continue aujourd’hui si l’on songe au maillot jaune du vainqueur du Tour de France, à la poste et aux taxis, à la révolte des « gilets jaunes », à ce lieu emblématique de la civilisation des loisirs : la plage.

 

Photo : T. Guinhut.

Mais à tout seigneur tout honneur : rouge ! Couleur « première, contestée, préférée, dangereuse », elle excite, fascine, elle est la rutilance et l’orgueil, la colère et l’éros, la peur et la beauté. Sur les parois des grottes préhistoriques l’animal est ocre. Alors que Prométhée vole le feu, le sang des taureaux de Mithra est répandu en sacrifice. Dionysos, dieu du vin en goûte l’écarlate. La céramique grecque et la peinture romaine en usent avec autorité et splendeur, la pourpre revêtant et signifiant le pouvoir. L’époque médiévale aime « la rose, fleur d’amour et de beauté », tout en abreuvant de rouge les martyrs et le sang vénéré du Christ, sans oublier la gueule du diable et les feux de l’enfer, alors que Judas, outre sa robe jaune, a les cheveux roux. Pouvoir encore, le rouge est papal, impérial, royal ; sur les blasons il est de « gueules ». Qui ne connait en peinture les somptueux rouges de Titien ? Partout fourmillent les allusions et les symboles autour de ces variantes de l’écarlate et du vermillon, comme les « talons rouges de l’aristocratie », l’uniforme militaire sous l’ancien régime, ou, parmi les contes, « Le petit chaperon rouge » de Charles Perrault. S’il est le fard féminin et son gage de séduction, il se fait repaire de prostitution. Mais il devient avec la Révolution, puis le marxisme, une couleur éminemment politique, coléreuse, revendicatrice, sanglante, le drapeau clignant de l’œil vers le petit livre de Mao Zedong. Aujourd’hui l’interdit l’utilise dans la cadre de la circulation routière, et la viande rouge a cessé d’être positive, chassée par le vert végétarien, peut-être provisoirement. Et à l’autre bout du spectre du bonheur, c’est le Père Noël qui s’en gargarise. Sans oublier que le bibliophile a tendance à préférer et choyer les reliures grenat…

Toujours passionnante, intrigante, cette série de l’historien Michel Pastoureau (dont nous passons sous silence Vert, notre bibliothèque n’étant pas à cet égard complète) est un tour de force, qui jamais ne frôle la lourdeur. Littérature, enluminure, peinture, archéologie, étymologie, chimie, tout est miel pour l’écrivain. Son érudition est une joie, les illustrations choisies un musée d’art et un cabinet de curiosités, le tout consacré à ces divinités polymorphes que sont les couleurs.

 

L’on ne pense pas assez que du pinceau au tableau, en passant par la palette, les couleurs ne tombent pas du ciel. Il faut en découvrir la source, puis les fabriquer. Sur leurs parois, les hommes de la Préhistoire usaient de terres ocrées ou rougeâtres, de noir charbon de bois. Pline l’Ancien témoigne que depuis l’Antiquité l’on broyait des minéraux, des plantes, des mollusques, en particulier le murex, un coquillage qui permit la diffusion de l’impériale pourpre de Tyr, fort chère et prestigieuse. Mais à l’aube de la Renaissance un minuscule insecte a su révolutionner l’histoire de l’Art, au service de la peinture : la cochenille, à laquelle Georges Roque consacre un essai à la solide pertinence.

Un autre rouge allait concurrencer celui du gastéropode, à la suite de la rencontre de l’Amérique. Car dès l’époque précolombienne, les Aztèques connaissaient le pouvoir de ces grappes d’insectes fixées sur les feuilles du « nopal », ou figuier de Barbarie. Quoique mesurant moins de deux millimètres, la cochenille a un fort « taux d’acide carminique » permettant de nombreux usages textiles (car elle ne se délave pas) comme sur des codex ; mais au prix de 140 000 insectes séchés pour produire un kilo !

Ses « qualités tinctoriales » furent très vite reconnues par les Espagnols : ce pigment d’origine mexicaine et péruvienne allait faire le tour du monde, irriguer tout un marché, entre Séville, Venise, Florence et Amsterdam, jusqu’en Chine. Au-delà des utilisations textiles par les teinturiers et des laques pour le mobilier, et supplantant le kermès et la garance, cette « marchandise égale à l’or et l’argent », dont le secret était bien gardé, fut une aubaine financière pour la couronne espagnole.

L’esthétique chromatique en fut bouleversée. La symbolique des couleurs, qui attribuait le bleu outremer à la Vierge Marie à l’époque médiévale, offrit à ce nouveau rouge une autorité brillante et flatteuse. Mieux encore, la cochenille écarlate allait vivifier en conséquence l’inspiration des plus grands peintres, du XVI° au XIX° siècle, entre Titien, le premier à en tirer un profit visuel somptueux à Venise (il fit d’ailleurs le portrait d’un marchand de couleurs), Véronèse et Le Tintoret, qui profitèrent d’une vaste gamme de coloris disponibles, alors que Florence fut plus timorée. Anvers et Amsterdam permirent à Bruegel le Jeune et Rubens d’enflammer leurs toiles. Bien entendu, en Espagne, ce furent Vélasquez, Le Greco, Zurbaran et Murillo, qui donnèrent ses ibériques lettres de noblesse à notre insecte aux rouges saveurs. La France, d’abord timide, ne fut pas en reste, à l’occasion des tapisseries des Gobelins, mais aussi de Nicolas Poussin et Georges de la Tour. L’un des éléments remarquables étant l’incroyable capacité des peintres de rendre la splendeur irisée de tissus eux-mêmes teints à l’aide de la cochenille. L’on s’en doute, la sculpture polychrome fut également rehaussée au moyen de cette « couleur du pouvoir » et du sacré.

Malgré le puritanisme du XIX° siècle, ce sont les romantiques qui tireront un fier parti de la cochenille, en particulier Delacroix, puis un symboliste flamboyant : Gustave Moreau. Jusqu’aux impressionnistes Renoir et Van Gogh qui virent leurs toiles rougir de plaisir.

Philip Ball avait livré une passionnante Histoire vivante des couleurs : 5000 ans de peinture racontée par les pigments[3]. Georges Roque affine considérablement le propos en glissant la loupe de son investigation sur une créature lilliputienne dont les conséquences furent gigantesques. Loin de n’être qu’un traité sévère et spécialisé, cet essai original, illustré avec justesse, balaie l’Histoire et la géographie, exotique et européenne, balise les dimensions économiques, scientifiques, sémiotiques et sociologiques, et surtout fait une lecture de l’histoire de l’art inattendue, dans laquelle la matériau coloré modifie l’esthétique et suscite la créativité nouvelle des artistes.

 

 

Ayant épuisé toutes les couleurs les plus franches et primaires et leurs acolytes nuancés, Michel Pastoureau se heurte à une difficulté : quel mélange, plutôt que de se répéter, serait assez parlant et signifiant ? L’idée est alors originale, sans risquer de brouiller sa palette où d’en décliner l’infini des nuances : se tourner vers les Rayures. En ce sens le projet, qui connut plusieurs éditions à chaque fois enrichies, est encore plus original.

Du bouffon au bourreau, du chevalier félon à l’étoffe du diable, tous, ou presque, sont des personnages négatifs, que les rayures stigmatisent, car trop ambivalentes. Il y a transgression vestimentaire, sociale et morale, scandale et « manteau d’infamie » à arborer un tel défi aux bons usages, particulièrement sensible à « l’œil médiéval », lorsque serfs, bourreaux, lépreux et condamnés sont pour ainsi dire rayés de la carte, lorsque bêtes sauvages et diable arborent peaux et fourrures tachetées et rayées. En sont pourvus, en particulier parmi les enluminures, Caïn, Dalila, Salomé, Judas encore une fois, mais aussi la folie. Néanmoins la Renaissance découvre de « bonnes rayures », les utilisant au gré du décor intérieur, toujours verticales, en bichromie et polychromie. Elles accèdent à la dignité aristocratique, se font festives, exotiques, élégantes. Quant au costume d’Arlequin, notre historien le lit comme « une forme superlative de la rayure ». La politique ne les écarte pas, le drapeau américain étant celui de la liberté, les révolutionnaires français en usant en en abusant. Romantiques sont les robes et les tentures, plus précisément blanches et bleues.  Plus tard, le gilet du domestique, la cravate du dandy sont du dernier chic, alors qu’Obélix arbore des braies ainsi sympathiques. Et même si elles marquent les déportés des camps de la mort, elles ornent jusqu’à aujourd’hui les uniformes, les marins et les champs de courses, les tenues de loisir, la mode. Elles intriguent les photographes, qui en tirent des effets curieux, et paraissent rendre plus rapides les chaussures rayées sur le terrain de sport. Une fois de plus, derrière ces rayures, « se posent souvent des questions de société ». Et derrière les rayures uniformes et démesurément monotones de Buren, faut-il deviner les barreaux d’une prison de l’art contemporain ?

Autant l’esthète pouvait pardonner l’abstraite sobriété des couvertures des volumes rouges et vert et tutti quanti, et celui plus austère à l’occasion des rééditions en collection de poche[4] publiées sans illustrations, autant la combinaison d’un Mondrian et d’un Buren rend celle de Rayures minimaliste jusqu’à l’insultante maigreur. Le manque d’imagination est flagrant, alors qu’il y avait tant à choisir parmi les pages intérieures, comme cette tunique d’un joueur de cartes peint par Théodore Rombouts en 1630…

L’aveugle n’a pas connaissance d’un monde coloré : imaginez si sa vue s’ouvre ! Au contraire, Derek Jarman perd chaque matin un peu plus la vue. En conséquence, ce cinéaste et peintre, cet écrivain et jardinier anglais (1942-1994), doit-il recomposer, à la veille de sa mort du sida, son autobiographie sous forme de kaléidoscope. S’il ne lui reste que le langage, les mots, ils sont encore pourvus de la polychromie des souvenirs. Un peu à la manière du peintre Richard Texier, dans son Codex[5], il égrène les couleurs de chapitre en chapitre : du blanc jusqu’à l’or et argent, en passant par le rouge, le gris, le vert et cætera. Dédiant son livre « à Arlequin », il mêle habilement les teintes de ses vêtements, de la campagne anglaise, de la peinture, aux citations livresques, entre Pline l’ancien et son Histoire naturelle, Goethe et son Traité des couleurs, sans méconnaître ni le néoplatonicien Marcile Ficin, ni Les remarques sur la couleur de Wittgenstein.

Enfant, il collectionnait « les petites pastilles d’aquarelle », à l’époque où l’on « se débarrassait de la patine de suie du dix-neuvième siècle ». Sa formation de peintre l’amène à abandonner l’impressionnisme pour se précipiter dans le cubisme, le surréalisme, « jusqu’au tachisme et à l’action painting ». Le blanc des fleurs, des falaises de Douvres, s’oppose à ce « virus qui détruit [ses] globules blancs ». L’on peut également voir plus loin une réponse à cet effacement : « Iris, l’arc-en-ciel, a donné naissance à Eros, le cœur du sujet. L’amour, comme le cœur, est rouge. Non pas comme la viande rouge, mais le pur écarlate des fleurs ». Lui succèdent « la romance de la rose », la « Main Verte », qui va de l’Eden aux jardins en passant par le vert de chrome. Il accorde toute son attention au brun tout en prévenant des « périls du jaune ». Hélas il ne peut oublier son état d’ « homme-lesbien », son « âme noire », qui l’ont mené là où il en est, en un ressassement tragique, quand « l’horloge de la mort branle ».

Cette vaste énumération poétique se clôt sur un poème en vers libres : « Et lorsqu’elle disparaît / Je trinque à la santé de mon fantôme / Avec l’eau de vie / Présence lumineuse / Ici, puis est partie »…

Pathétique, mais sans auto-apitoiement, le récit est à la fois intime et plus largement culturel. Il jongle allègrement à la lisière de l’essai, de l’anthologie, du carnet de notes et du journal, puisant aux meilleurs auteurs, et du poème tant en prose qu’en vers, entretenant, sujet oblige, de subtiles correspondances avec les livres de l’historien Michel Pastoureau. Elégiaque, c’est un adieu aux couleurs, qui, une fois de plus aurait mérité (quoiqu’il s’agisse là du graphisme de la collection « L’éclat/poche ») une couverture plus éloquemment colorée, comme celle humoristique d’une édition anglaise. Pour nous qui bénéficions encore de la vue, la couleur doit être une ode à la joie.

Thierry Guinhut

La partie sur La Cochenille a été publiée dans Le Matricule des anges, juillet 2021.

 

[3] Philip Ball : Histoire vivante des couleurs : 5000 ans de peinture racontée par les pigments, Hazan, 2010.

[4] Aux éditions Points.

[5] Voir : Le Codex de Richard Texier

 

Photo : T. Guinhut.

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Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

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Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

V bis Le fantôme du CouloirdelaVie.com

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De Natura rerum. Montée vers l’Empyrée

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets des paysages

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V L'Hôtel-Monastère Santa Cristina

VI Le Club des tee-shirts politiques

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme et Aldo Manuzio

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder ; Un été sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Seiobo est-descendue sur terre

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Maladie et métaphore : Wagner, Maï, Zorn

Pandémies historiques et idéologiques

Histoire des pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Sonnets pour Hélène LXVIII Commentaire

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

 

 

 

 

 

 

Science fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Sonnets autobiographiques

Sonnets de l'Art poétique

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

Steiner

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arri&eg