Fenêtre de ciel paisible, lieu retiré du monde, une retraite est un espace de repos, de sérénité, oisif après et hors du travail, otium après le negotium. Avant l’ultime retrait du monde dans la mort et en Dieu, le religieux se faisait ermite, quand seule d’abord l’amélioration de la vie occidentale et de son espérance de vie, grâce au capitalisme, a pu permettre d’espérer une retraite laïque - hors pour celui dont l’aisance avait pu dégager un capital offert à sa vieillesse - celle durement gagnée par une vie de labeur et grâce à une capitalisation corporatiste ou étatique. Bismarck n’avait-il pas demandé quand fixer l’âge de la retraite pour ne pas avoir à la payer ? Soixante ans, lui répondit-on à la fin du XIX° siècle. Or l’évolution de la démographie et de l’espérance de vie est telle qu’aujourd’hui l’on doive en France retarder l’âge de départ, sans compter l’éradication de régimes spécieux indus. Mais devant la cacophonie, les clameurs des grèves, l’oreille et l’esprit en sont si fatigués que l’on se prend à rêver d’une calme retraite cistercienne. Quoique très vite le risque soit que son régime communautaire éborgne la liberté. Comme le fait ce régime étatique des retraites, finalement communiste, donc tyrannique et forcément en échec. Envisagerions-nous, hors de toute politique circonstancielle et partisane, une retraite éthique et raisonnée ?
Le calme cistercien, son cloître aux pas tranquilles, ses chants grégoriens, ses repas frugaux en entendant quelques pages de la Genèse ou du Livre d’Esther, ses messes aux mains de prières éclairées par les vitraux, sa cellule au frais sommeil, seraient parfait, si la bibliothèque y permettait de lire, en compagnie de studieux et silencieux lecteurs, les chefs-d’œuvre de l’Antiquité, des Pères de l’Eglise (pas toujours sympathiques) et des Lumières. N’idéalisons cependant pas la chose : il faudrait bien payer son écot, en une vacance d’un autre travail et grâce à des revenus précédents, ou jardiner au potager de manière vite harassante, ou autre tâche répétitive et méditative artisanale, le métier de copiste de manuscrits médiévaux n’étant plus guère à la mode, destruction créatrice aidant, pour reprendre le concept de Joseph Schumpeter[1]… Sans compter que le régime communautaire laisserait peu de place à la solitude, à l’athéisme, aucune à la mixité, à la liberté individuelle. Une telle retraite, quoiqu’au premier regard séduisante, est à peu près impraticable.
Bien que la révolution communiste rêvée n’ait pu se dresser depuis des conditions qui n’étaient pas en France réunies - que la démocratie libérale soit louée – au moins deux coups de force ont été engagés et réussis par le communisme : la nationalisation des chemins de fers en 1937 et la création conjointe de la Sécurité Sociale nationale en 1945 et des caisses de retraites par répartition, également nationales en 1941 (sous le bien aimé Pétain), venues du modèle bismarckien et sous l’égide d’anciens responsables de la CGT comme René Belin (ministre du Travail sous Pétain et signataire du statut des Juifs en 1940) tout ceci au dépend de la liberté de choix et de la libre concurrence. Ce fut l’édification d’un bastion communiste dans l’Etat et la société, alors qu’il s’agit aujourd’hui pour ses affidés d’« une unité communiste d’urgence qui doit leur donner un sentiment aigu de l’identité née de la menace commune », pour reprendre l’expression de Peter Sloterdijk qui enfonce le clou : « Ce qui est dans l’air, ici, c’est la communication circulaire totalitaire qui l’y place : l’air est empli des rêves de victoire de masses vexées et de leurs autocélébrations enivrées et coupées du monde empirique, masses que le désir d’humilier les autres suit comme une ombre[2] ». Ainsi la petite masse syndicale revendicatrice et tyrannique serre-t-elle les rangs devant ce qui menace de la stériliser.
Soixante-cinq ans pour entrer en retraite n’était déjà pas si mal, mais les années Mitterrand ont abaissé le départ à soixante, ce qui fut à la fois une démagogique erreur et un cadeau empoisonné. Devant les contraintes démographiques - papy-boom, baisse des naissances, allongement de l’espérance de vie - la réforme Fillon le fit reculer à soixante-deux ans. Si l’on songe que l’espérance de vie ne cesse de progresser (trente ans depuis un siècle), un tel régime par répartition ne peut qu’être déficitaire et réclame de repousser l’âge de départ à soixante-cinq ans, voire soixante-sept, comme en Allemagne, et chez la plupart de nos voisins. Restent les quarante-deux régimes de retraite, dont certains, dits spéciaux, sont des héritiers de corporatismes le plus souvent abusifs. Si se justifiait un départ précoce des chauffeurs de locomotives qui bouffaient de la poussière de charbon jusqu’aux maladies pulmonaires et autres cancers, il est aujourd’hui plus qu’obsolète.
Lorsque 80 % des actifs dépendent du régime général des salariés du privé, le régime de la fonction publique d’État, territoriale et hospitalière côtoie 11 régimes des indépendants et 20 régimes spéciaux indûment avantageux. Quelques-uns ne concernent que peu de gens : les sénateurs, dont un euro cotisé entraîne 6 euros de prestation, contre 1,5 euro dans le régime général, ou l’Opéra de Paris et la Comédie française, ou encore quelques résiduels et provisoires individus relevant du régime des mineurs ; la dimension minuscule de la chose n’autorisant cependant pas d’exception.
Evidemment ces derniers voient le déficit qu’ils entraînent compensé par l’Etat, donc les impôts de tous les contribuables. Mais les plus outrageux sont trois : industries électriques et gazières (avec 158 entreprises, dont EDF et Engie) et enfin la SNCF et la RATP. Non seulement le gain de prestation peut aller jusqu’à 25 % par rapport aux salariés du privé, mais l’âge de départ est autour de 56 ans, et sous certaines conditions à partir de 52 ans pour les conducteurs de trains. Ce qui coûte environ 3 milliards d’euros par an à la société toute entière, donc à chacun de nous, sans parler de l’injustice flagrante, de la rupture du contrat d’égalité inscrit au fronton de la République. Sans qu’aucune pénibilité réelle ne soit en cause, alors que l’on pourrait arguer que ceux qui peuvent voir leur vie menacée dans le cadre de leurs profession, policiers, gendarmes, militaires, voire pompiers, puisse bénéficier d’un régime plus clément.
Comme d’injuste, les syndicats, CGT en tête (de tradition communiste), mais aussi Sud Rail et FO, sont vent debout contre une réforme qui les priverait de leurs régimes spéciaux, de leur poule aux œufs d’or. Sous prétexte de service public, de défense des droits de tous, ils s’arc-boutent sur leurs privilèges éhontés que leur communisme a permis d’annexer en faveur d’un corporatisme et d’une prise de pouvoir oligarchique. En communisme syndical, tous les hommes sont égaux, « mais certains sont plus égaux que d’autres », pour parodier George Orwell[3].
L’on ne sait pas assez que seulement 7,7 % des salariés sont syndiqués, que 50 000 salariés de la fonction publique (en équivalent temps plein) sont mis à disposition de leurs syndicats. Ceux-ci gèrent des budgets dits sociaux, pour un total de 130 milliards d’euros par an, soit 6% du PIB, venus des retraites complémentaires, de l’assurance chômage, de la formation professionnelle, sans compter la manne des comités d’entreprises. Si 90 % de leurs ressources proviennent des employeurs, publics et privés, seuls 3 à 4% viennent des syndiqués eux-mêmes, alors que la taxe syndicale prélève 82 millions d’euros sur les salaires bruts (nous voilà syndiqués de force) ; de surcroît, au moins 175 millions d’euros par an sont des subventions publiques (étatique et territoriales). Tout cela pour financer et encourager les 3 millions de journées de grève qui ont été comptées en 2016, selon Contribuables associés[4]. L’on consultera également le Rapport Perruchot[5], rapport soigneusement tu et cependant parfaitement lisible, pour se convaincre que l’argent des syndicats est le résultat d’une exaction : ces derniers puisent à l’envi dans les fonds des organismes paritaires (Sécurité Sociale, Unedic, Formation professionnelle, etc.), se servent des comités d’entreprises comme pompe aspirante, tout cela d’une manière délictueuse. La Cour des Comptes dénonça en 2011 la gestion pour le moins opaque d’un château XVIII° de l’Essonne, aux mains de la CGT et du comité d’entreprise de la RATP. Ce dont il ressort qu’impérativement les syndicats ne devraient se financer que par les seules cotisations de leurs adhérents. Ce qui aurait pour heureuse conséquence de rogner leur pouvoir de nuisance et de devoir les recentrer sur la défense de l’employé.
Et aujourd’hui des trains de grèves rognent, voire éradiquent, la liberté de circuler, de travailler et de commercer, imposant de dures et longues journées à des travailleurs sans train, ni bus, ni métro, contribuant à la faillite de nombreux commerces et entreprises, qui crachent au bassinet des syndicats et syndiqués au moyen des impôts et autres taxes qui leur sont extorquées.
Souvenons-nous que dans la nuit du 2 au 3 décembre 1947, des militants de la CGT Pas-de-Calais ont saboté la ligne Paris-Tourcoing en déboulonnant deux rails : un train dérailla près d'Arras, tuant 20 voyageurs et blessant 50 autres. Si nous n’en sommes pas là aujourd’hui, des syndicats révolutionnaires ne sont pas loin d’être des organisations terroristes bloquant le pays en toute impunité, coupant l'électricité, y compris d’entreprises et de cliniques, et parfois comptables d’intimidations et de voies de faits sur des employés non-grévistes, ce en assumant leur délinquance et leur illégalité. Comme le brame un Anasse Kazib, délégué syndical SUD Rail à la SNCF, associant en un beau ramassis d’abomination marxisme révolutionnaire et islam politique !
Tout cela au nom du sacro-saint Service Public. Dont il faut dénoncer le mythe, grâce auquel il masque un sévice public. Qu’est-ce qu’un mythe ? Sans conteste, une fable, un récit fabuleux, qui aurait pour vocation autant de charmer que d’expliquer et de solutionner l’inexplicable. Il est également « une représentation passée de l’histoire de l’humanité », « une construction de l’esprit sans relation avec la réalité[6] ». De fait, il joue un rôle considérable dans l’appréciation et le comportement des individus et des collectivités. N’est-ce pas la définition même du service public ? Sauf qu’imposé, communautaire et délivré du souci de la concurrence, donc de l’efficacité réelle, il est un Léviathan, un Moloch, dans la gueule duquel les citoyens sont enfournés bon gré mal gré. Prétendument il serait indispensable, au service des besoins de tous.
Revenons à nos besoins primaires : se nourrir, se vêtir. Aucun service public ne se préoccupe en France d’être le grand pourvoyeur de pains et de croissants, de vastes manteaux et de petites culottes. Heureusement d’ailleurs. Ce qui nous assure d’être abondamment fournis, que ce soit tant au moyen des entreprises privées que des associations caritatives, de la grande distribution à Emmaüs, en produits divers, sans cesse renouvelés, améliorés, et variés par l’invention des individus que protègent encore les lambeaux du capitalisme libéral étranglé par les milliers de pages du Code du travail et une fiscalité punitive, confiscatoire, suicidaire et championne du monde. Faut-il à cet égard se souvenir de l’économie entière aux mains de l’Etat, ce Service Public géant, lors des sept décennies soviétiques : au temps bienheureux du communisme les queues s’allongeaient devant les magasins aux trois-quarts vides, sinon de quelques produits aussi uniformes que médiocres… C’est alors que le Service Public paradait sous la forme du Sévice Public auquel nul n’échappait. Ainsi la SNCF, la RATP, la Sécurité sociale, sans oublier le RSI, cette Sécurité sociale des Indépendants, sont des monopoles, aux mains d’une mafia étatique et syndicale (quand aux Etats-Unis « mafia » et « syndicate » sont des synonymes).
Personne n’est jamais contraint de devenir le client d’une société privée, forcément soumise à la concurrence ; en revanche tous sont obligés par l’Etat à consommer et subir ses services publics monopolistiques : qu’il s’agisse de la SNCF, de la RATP, de la Sécurité sociale, dont le nom sonne comme une maison de sécurité (entendez une prison), voire de la Police et de la Justice. Heureusement, en cette affaire, le Parlement européen, pourtant pas toujours pertinent, voudrait imposer le respect de la concurrence à des organismes comme la SNCF et la Sécurité sociale, quoique l’on puisse aisément imaginer combien l’Etat, nos chers, trop chers élus et nos syndicats freinent des quatre fers, enferrés qu’ils sont dans leurs privilèges, la puissance de leur tyrannie. Sans compter l’impéritie de leur gestion, si l’on pense que la SNCF, sans cesse déficitaire (comme d’ailleurs la Sécurité sociale), pour la valeur de la moitié de son chiffre d’affaire, voit son abîme financier sans cesse comblé par l’Etat, encore une fois le contribuable, à hauteur de 13 millions d’euros par an en y incluant ses retraites, soit depuis des décennies plus de 28 milliards d’euros de subventions pour une société en faillite constante…
Quelle est la solution ? Privatiser ! L’Allemagne et le Royaume Uni ont vu leurs compagnies ferroviaires devenir non seulement bénéficiaires après leur privatisation, quoique partielles, mais gagner en sécurité. Les trains régionaux suisses fonctionnent parfaitement bien. Depuis le 1er janvier 2020 la SNCF est une société anonyme qui n'embauchera plus ses nouvelles recrues au statut de cheminot. C’est une étape clef de la réforme ferroviaire de 2018 qui passe presque inaperçue, en pleine grève, à peu près autant que l’entrée dans la concurrence européenne, qui permet à des compagnies étrangères d’exploiter les lignes françaises - et réciproquement- , à l’instar de Trenitalia qui circule dès 2020 entre Milan et Paris.
Voulez-vous que les dividendes du CAC 40 financent vos retraites ? Il suffirait de pratiquer une retraite par capitalisation, en essayant soin de choisir les bons chevaux de la Bourse et de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, d’appeler de ses vœux des fonds de pension français.
La CGT et autres syndicats comme FSU, FO et Solidaires prétendent haïr les retraites par capitalisation ou par points. Cependant ils gèrent des fonds de pension alimentés par le contribuable en faveur des fonctionnaires. Depuis 2005, l’ERAFP, l’Etablissement pour la Retraite Additionnelle de la Fonction Publique, reçoit en effet près d’un milliard par an pour capitaliser la retraite complémentaire des fonctionnaires. Ces syndicats siègent également aux conseils d’administration de l’AGIRC et de l’ARRCO, régimes de retraite par répartition et par points. De même, pour la Préfon-retraite, soit la Caisse de prévoyance de la fonction publique, qui détient 17 milliards placés sur les marchés financiers… Alors qu’avec un cynisme et une hypocrisie sans nom ces mêmes acteurs dénoncent la retraite par capitalisation. Or cette dernière viendrait au secours d’une économie française mal en point, permettant de développer des fonds d’investissements, finançant les créations d’emplois, augmentant via la TVA les revenus de l’Etat qui pourrait imaginer (s’il en est capable) de diminuer les charges sociales et cette fiscalité confiscatoire qui nous étrangle. Citons une étude Natixis du 2 janvier 2020[7] : un euro investi en 1982 en France fournit en 2019 une richesse de retraite de 1,9 € dans le système de répartition plébiscité par l'Etat. Mais 21,9 € dans un fond de pension avec 50 % en obligations et 50 % en actions sur le marché français. Le capitalisme libéral fait dix fois mieux qu’un Etat essoufflé.Comme le montre Black Rock, une société multinationale spécialisée dans la gestion d'actifs, dont l’action a été introduite à 14 dollars en 1999. Elle est aujourd'hui à 509 dollars, et a donc été multipliée par 36 (soit +20% par an), ce au service de retraités fort aisés aussi bien que modestes. Si les Français avaient investi dans Black-Rock, leurs retraites seraient plus que financées et plus généreuses…
Nous ne prétendrons pas juger de manière assurée un projet de réforme des retraites qui n’est ni réellement publié, ni finalisé, sans compter que le voilà déjà écorné par les coups de boutoir des syndicats qui s’assurent de jolies concessions, ou plus exactement des « partenaires sociaux », joyeux euphémismes pour dissimuler des prédateurs asociaux. Reste qu’un Etat notoirement si incompétent pour gérer son budget, sa dette, le chômage, et cependant fort en gueule, ne nous laisse aucune illusion sur l’équité d’une réforme des retraites cependant nécessaire. Tout juste, avec des moyens communistes, si nous pourrons nous payer une retraite cistercienne. Nous ferions bien plus confiance (quoique jamais complètement) à des régimes privés. Au-delà du monopole étatique et de sa servitude volontaire, du capitalisme de connivence avec l’Etat, un capitalisme réellement libéral saurait faire profiter les adhérents exigeants de fonds de pensions concurrentiels. Car, pour lire Milton Friedman, « le citoyen […] que la loi contraint à consacrer quelque 10% de son revenu au financement de tel type particulier de système de retraite administré par le gouvernement est frustré d’une partie correspondante de sa liberté politique[8] ». Reste qu’une telle conclusion ferait vomir d’horreur tout syndicaliste, tout étatiste, tout socialiste, voire tout Français culturellement ignorant en libéralisme[9], et qui auraient eu le masochisme d’aller jusqu’au bout d’une telle lecture. Il est à craindre en effet, si l’on écoute le pessimisme de Joseph Schumpeter, que « le capitalisme (le système de libre entreprise), en tant que système de valeurs, de mode d’existence et de civilisation, pourrait bien sembler ne plus peser assez lourd pour que l’on se préoccupe de son sort[10] »…
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.