Photo : T. Guinhut.
Nuits debout et violences antipolicières :
Gilets jaunes et Nuit debout,
une inversion des valeurs ?
« La garde civique / a le fâcheux renom d’être fort pacifique ! / Aussi les malandrins, sûrs de l’impunité, / Opèrent à sa barbe avec sérénité[1] ». Ainsi Shakespeare prévenait les casseurs de leur impunité. En marge et au cœur du mouvement des Gilets jaunes de l’hiver 2018-2019, de « Nuit debout » et des « mobilisations » syndicales contre la « Loi travail » au printemps 2016, violences policières et violences antipolicières s’affrontent en un champ de bataille qui gangrène la cité démocratique et prétendument libérale. Tandis que jeunes et moins jeunes coagulés passaient des nuits debout, et donc des jours couchés, que les blessés policiers furent outrageusement plus nombreux que les manifestants blessés, ne faut-il pas lire en ces phénomènes une inversion des valeurs ? Tandis que le peuple assujetti à la tyrannie économique et fiscale tente un mouvement de libération qui s’affiche en jaune, se ravive une sanglante tyrannie policière, armée de violences dont elle n’oserait user contre l’extrême-gauche et les banlieues immigrées, elles-mêmes fers de lance d’une guerre anti bourgeoise, anti-occidentale et antipolicière.
Violences en pays de Gilets jaunes
À l’occasion d’un hiver vêtu de gilets jaunes, la répression policière devient indécente ; au point que si la Russie en faisait autant, un Poutine serait universellement vilipendé, que si les Etats-Unis en faisait un trentième, un Trump serait voué d’éternité aux gémonies, sans parler d’une victime palestinienne ! La police française est en Europe l’unique à user de « Lanceurs de Balle de Défense » et de grenades explosives parmi des manifestants, sans compter la stratégie de nasse qui vise piéger ces derniers afin de les matraquer à plaisir et sans vergogne. Certes nous n’avons pas souvent de vidéos qui permette de juger en tout état de cause, lorsqu’elle ne nous proposent que des fragments : que s’est-il passé quelques instants plus tôt et qui légitimerait une violence policière légale destinée à rétablir la paix et la sécurité ?
Les blessés sont fort nombreux, les mutilés, les éborgnés à vie. Des vidéos révèlent des tirs au hasard de la foule et de la fumée ambiante, mais à hauteur de visage ! Franck, 20 ans, a perdu son œil droit et porte une plaque de titane du front au menton suite à un tir de Lanceur de Balle de Défense le 1er décembre 2018. Jérôme Rodrigues, filmant une manifestation a reçu dans l’orbite un tir de Lanceur de Balle de Défense, a perdu son œil droit, comme une vingtaine d’éborgnés. Cinq autres ont vu leur main arrachée, y compris devant l’Assemblée nationale à Paris, en tentant de rejeter une grenade. L’on a vu des quidams aspergés de gaz lacrymogènes sans nécessité aucune. Une femme âgée mourut d'un arrêt cardiaque après avoir ainsi agressée en plein visage.
La France est le seul pays d’Europe à utiliser ces flash-balls et ces grenades explosives contre ses manifestants, de plus, répétons-le, en visant visage toute, donc avec une intention qui n’est pas loin de l’homicide volontaire. Alors que la police allemande privilégiant la prévention, la négociation et la psychologie des masses, isole les individus violents. La brutalité policière semble le plus souvent disproportionnée et arbitraire contre les Gilets jaunes, visant visiblement à dissuader les manifestants de récidiver : ce serait-ce une grave atteinte à la liberté de manifester ? Notons qu’un Gilet jaune interpellé, même par erreur, est aussitôt fiché, dans le cadre du Traitement des Antécédents Judicaires. Toutes ces atteintes aux libertés et à la sécurité affectent également des journalistes, insultés, humiliés, frappés.
Gageons que si, au lieu de cocus de la fiscalité, de ploucs blancs et franchouillards (on devine ici le mépris des édiles de l’Etat), les morts, les éborgnés et les mains arrachées avaient été des ultragauchistes, ou avaient été noirs, arabes et musulmans venus des cités islamisées et épargnées par la République, l’on eût droit à mille cris d’orfraies, cent procès, dix milles explosions des banlieues, semées d’émeutes et de vagues de pillages, comme pendant les trois semaines de l’automne 2005, sinon pire…
Cette police qui a pour mission de protéger les citoyens, y compris manifestants, glisse-t-elle vers la répression aveugle, aux ordres d’un pouvoir exténué ? Alors qu’elle joue avec la plus grande dignité son rôle en assurant la sécurité d’un Philippe Val, de Charlie Hebdo, face au terrorisme islamiste, n’est-elle pas la proie et le signe d’une inversion des valeurs, s’adjugeant un droit à la criminalité ?
Un mouvement passablement spontané s’est vêtu de la détresse des gilets jaunes, celui des oubliés du pouvoir d’achats, assommés par un Etat surtaxateur[2]. Le voilà débordé, vidé de l’intérieur par l’utragauchisme, par ses black-blocs, qui jouent les héros politiques d’une cause supérieure[3], mais aussi les pathétiques protagonistes de roman policier[4]. Le voilà également débordé par ses cégétistes anticapitalistes (dont l’un des militants enfonça au moyen d’un transpalette la porte d’un ministère), de surcroit par la racaille islamiste, casseurs de vitrines pillées et de flics. Des bandes anarchistes entraînées et équipées sèment la violence et le vandalisme dans les villes, quand des bandes ethniques et religieuses sèment la violence et le pillage, armés de casques, foulards, cocktails Molotov, bouteilles d'acides, barres de fer, jets de pierres et de boules de pétanque, armes de poings, violences dont les premières victimes sont les policiers et leurs véhicules matraqués et incendiés. Mais aussi les grilles de l’Assemblée Nationale, une vitrine de librairie, qui a le tort d’expose des ouvrages de droite traditionnaliste, voire fascisante. Alors que les idées se combattent d’idée contre idées, non à coup de barres de fer.
Ainsi dénombre-t-on 1.300 blessés parmi les forces de l'ordre et les pompiers, selon le ministère de l'Intérieur. Sans omettre les destructions diverses réalisées par des Gilets jaunes, ou du moins ceux qui s’emparent de ce commode uniforme et paravent, donc les casseurs, qui se montent à des dizaines et des dizaines de millions d'euros. Sans compter les salariés mis au chômage partiel ou total, et les commerçants ou artisans dont l'activité a pu se réduire au point de les décimer…
Les Gilets jaunes sont peu à peu vidés de leur substance. Bouc émissaires d’une violence qui n’est que parfois la leur, d’un antisémitisme qui n’est que rarement le leur, c’est ainsi qu’ils sont salis par une populace contestataire à l’encontre de la démocratie libérale, par le pouvoir politique et un pouvoir médiatique, de façon à légitimer violence policière et rehausser le blason pourri d’un pouvoir aux abois. Bien au-delà des jaunes revendications originelles contre la surtaxation étatiques, ce sont les rouges, les noirs et les verts[5], ultragauchistes, anarchistes et islamistes, qui ont pris la relève, comme des sangsues, zadistes et black-blocs, vegans et cégétistes, écolos radicaux, antisionistes et antisémites, propalestiniens et nazislamistes, tant de groupuscules exponentiels dont on connait les antécédents parmi les manifestations de Nuit debout et dont certains visent explicitement à l’assassinat parmi les forces de l’ordre.
Les paradoxes de Nuit debout
Replaçons dans son contexte idéologique le mouvement « Nuit debout[6] » qui s’assit sur les places de la République. Dans le sillage d’ « Occupy Wall Street », de Siryza en Grèce, de Podemos en Espagne, l’ultra gauche entend phagocyter les medias en même temps que crier sur les toits son opposition viscérale au libéralisme économique et au capitalisme financier international. Et remettre les manifestations anti Loi travail dans cette tradition mai-soixantehuitarde qui fit les beaux jours du mouvement anti Contrat Première Embauche en 2006. Ainsi, avec l’aval gourmand des partis, syndicats et mouvances de gauche, d’Attac et Sud, l’on manifeste contre une tentative avortée de libérer le travail, favorisant de fait le chômage, la précarité et la pauvreté.
Au hasard des revendications de Nuit debout, l’on trouve : « Désinvestissement des énergies fossiles », « Dissolution des élites politiques », « Sortir du capitalisme par la démocratie radicale », « Instauration du revenu universel de resocialisation », « Abolition de la propriété privée », « Stop à la numérisation qui fait disparaître des emplois », « Occupation des logements et des bureaux vides », « Plafonnement des salaires », « Semaine de quatre jours, travaillons moins pour travailler tous », « Le RSA pour les 18-60 ans à 1500 € et le SMIC à 3000 € », « A bas la hiérarchie, Mort aux méritocrates », « Supprimer le lien entre travail et salaire »[7]. Sans oublier les panneaux et banderoles, fleurant bon mai 68 : « Rêve général », « Argent gratuit ». Mais aussi : « Sur le pont d’Avignon, on y pend tous les patrons » ! Lors des assemblées de Nuit debout, chacun peut prendre la parole cinq minutes durant. Ce qui parait aux crédules une bonne liberté et une respectueuse écoute. Mais un moment vient ou l’égalité de tous les discours, quelques soient leurs qualités ou leur introuvable pragmatisme, est à la fois contre-productive et désastreuse pour l’élévation intellectuelle, si tant est que l’on y laisse s’exprimer qui aurait l’audace de penser autrement...
S’y mêlent des utopies naïves, évidemment irréalisables, dont on pardonnerait la puérilité si tant de sérieux anticapitalisme ne s’y lisait, des professions de foi égalitaristes anti-hiérarchie et anti-mérite qui ne visent qu’à aligner la médiocrité générale d’une ochlocratie[8] de façon à rabaisser les puissants, les créatifs et les indépendants, aligner les individualistes sur les collectifs, en une tyrannie qui ne dit pas son nom, et dont on peut lire le tableau désastreux dans l’excellent roman d’Ayn Rand : La Grève[9]. Mais aussi de réels appels au meurtre des flics et des patrons en un autre racisme éhonté, sans penser que ceux qui rêvent de pendre le patronat, comme des Robespierre d’une nouvelle Terreur, handicapent ainsi non seulement leur salariat futur, à moins de devenir les esclaves de leur propre communisme égalitariste, mais également leur capacité de devenir leur propre patron grâce à leur capacité entrepreneuriale (s’il en en ont) et d’embaucher au service de leur entreprise et de la société toute entière. Une valeur meurtrière et in fine suicidaire remplace alors les valeurs de vie, de travail et de créativité.
Hélas, le pique-nique nocturne aux papiers gras spontanés est manipulé par de futurs hiérarques du Parti Socialiste et autres opuscules gauchistes, hélas le rêve jeune qui se prend en grand sérieux ne suce que l’illusion du « vivre ensemble » et d’ « une autre politique possible » ; en fait le lait ranci de vieilles idées fumeuses, anarchisantes et marxisantes, en une Nuit des boues. Le réalisme, le pragmatisme, les connaissances historiques, politiques, et surtout économiques, l’esprit des Lumières enfin, n’ont guère droit de cité.
Nuits et jours de la violence
De surcroit, en marge des Nuits debouts, sans que l'on sache si un paisible Nuit debout n'a pas l'instant d'avant caché ou jeté dans une poubelle son sac-à-dos rempli de blouson noir, lunettes, cagoule, boulons et cocktails Molotov, et en marge des manifestations contre la loi travail de la ministre El Khomri et du gouvernement Hollande, c'est la violence verbale et physique qui est à la fois militante, gratuite et festive. Notons d'ailleurs à cet égard que les manifestations contre le Mariage pour tous, en 2013, quoique bien plus nombreuses, ont fait preuve d'une constance abondamment paisible (à l'exception de heurts après la dispersion d'un cortège) ; question de culture des acteurs...
Cette militance est extrême-gauchisme, post-trotskisme, toutes armures idéologiques qui n’ont pourtant pas passé le brevet de service rendu à l’humanité, mais plutôt d’appauvrissement égalitariste, de tyrannie patentée et de massacres communistes. Le recyclage ravit les niais, les démagogues, et plus exactement tous ceux dont que posture apparemment généreuse de partage et de communauté fait rêver. Pourtant on se goberge des bénéfices raflés sur le dos tondu des capitalistes de diverses dimensions, jusqu’au plus humble entrepreneur, qui leurs permettent encore, avant qu’ils soient éradiqués, de vivre dans un confort que l’humanité n’a jamais connu au cours de son histoire. Posture qui est plus sûrement celle d’une oligarchie auto-constituée visant à s’approprier un pouvoir sans partage sur ses ouailles bêlantes de slogans, comme « penser le monde autrement », doux euphémisme pour tyranniser le monde joyeusement. On voit que l’utopie, qui pourrait ne paraître que gentillette, potache et bienheureuse, frise l’imbécillité, voire cercle les cages de fer citoyennes de la tyrannie[10]. Sans compter que parmi ces Nuit debout, circulent des mots d’ordre anticolonialistes éculés, anti-israéliens puant d’antisémitisme refoulé voire exhibé, et d’anti-occidentalisme suicidaire devant l’infiltration idéologique et démographique de l’Islam.
Ce rassemblement apparemment citoyen, qui se targue d’accueillir toutes les bonnes volontés discoureuses, est caressé dans le sens du poil par la plupart des médias, en particulier pravdavistes et propagandistes, affligés par une débilitante démagogie jeuniste, qui par ailleurs ne se préoccupe guère des milliers de jeunes qui veulent travailler en paix et qui, faute de subir l’ostracisme des gauchistes et le despotisme du chômage, choisissent, s’ils le peuvent, d’émigrer pour aller travailler, voire faire fortune à l’étranger, toutes compétences et fortunes dont se prive malencontreusement la France, dont l’attractivité économique choit dangereusement. Nuit debout jette cependant bas le masque dès qu’une pensée réellement autre et contraire, et plus précisément libérale, aurait le front de s’y exprimer ; ce dont témoigne la visite du philosophe Alain Finkielkraut[11] rapidement soldée par des insultes, des bousculades et des crachats, ce dont il rend ainsi compte : « je souillais par ma seule présence la pureté idéologique de l’endroit. […] Sur cette prétendue agora, on célèbre l’Autre, mais on proscrit l’altérité. Ceux qui s’enorgueillissent de revitaliser la démocratie réinventent, dans l’innocence de l’oubli, le totalitarisme[12] ». Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le philosophe se vit insulter à l’occasion d’une sortie parmi des prétendus Gilets jaunes. Sait-on qu’il est permis de trouver ses analyses discutables, non de vomir à son encontre des diatribes antisémites et des professions de foi djihadistes ?
Voici à cet égard le diktat d’un des porte-paroles de Nuit debout, Frederic Lordon : « Les médias nous demandent d’accueillir démocratiquement Finkielkraut, eh bien non ! Nous ne sommes pas ici pour faire de l’animation citoyenne all inclusive. Nous ne sommes pas amis de tout le monde, nous sommes ici pour faire de la politique, et nous n’apportons pas la paix. Nous n’avons pas de projet d’unanimité démocratique ». De plus, pour ce gentilhomme, il est de son éthique de dénoncer et excommunier « la violence du capital et la violence identitaire et raciste dont Alain Finkielkraut est un des premiers propagateurs[13] ». Souvenons-nous qu’en 1965, lors d’une interview, Jean-Paul Sartre bramait : « Tout anticommuniste est un chien[14] ». Et contresignait : « Un régime révolutionnaire doit se débarrasser d’un certain nombre d’individus qui le menacent, et je ne vois pas d’autres moyens que la mort. On peut toujours sortir d’une prison. Les révolutionnaires de 1793 n’ont probablement pas assez tué[15] ».
Même déni de la liberté d’expression, du dialogue démocratique et même condamnation morale, dont seule une fine membrane la sépare de la condamnation à mort, léniniste, guevariste, stalinienne, fasciste, islamiste, comme l’on préférera.
En 1879, John Stuart Mill, dans son clairvoyant essai Sur le socialisme, écrivait déjà : « la principale motivation d’un trop grand nombre de socialistes révolutionnaires, c’est la haine ; une haine très pardonnable des maux existants, qui trouverait pour s’exprimer la destruction de la société actuelle à tous prix, fut-ce aux dépens de ceux qui en sont les victimes, dans l’espoir que du chaos émergerait un monde meilleur, et dans l’impatience et la désespérance de voir se dessiner un progrès graduel[16] ». Ce progrès graduel, surtout depuis un demi-siècle s’est considérablement augmenté, ce qui fait de leur combat une cause d’autant plus violente et indue qu’elle est démentie par les faits.
En ce discours hallucinant, le pire est certainement la confusion entre la violence -plus exactement supposée telle - des discours philosophiques ostracisés et des soubresauts du capitalisme d’une part et la violence réelle et physique d’autre part qui permet en toute impunité morale, en toute sacralité jouissive, de briser des abribus, des vitrines, de blesser, parfois grièvement, de tuer des policiers, tout en paraissant s’en dédouaner et désolidariser si besoin est des « casseurs ».
Violences antipolicières
Les marges des manifestations contre la loi Travail au printemps 2016 donnent lieu à des scènes délirantes : un individu, masqué, donne une claque à une journaliste russe, le plus gratuitement du monde, en passant à côté d’elle. Un autre, sans honte, déclare : « on vient pour casser du flic, pour casser les Vélib, les autolib, les vitrines, les abribus, la loi c’est nous et la loi El connerie on s’en fout, on bosse pas, on casse. » Mehdi, certainement un doux représentant de la diversité, avoue : « Je sais pas pourquoi je casse. Mais c’est cool de casser. Puis parfois quand tu peux choper des trucs, c’est utile quoi. Une fois je suis reparti avec deux-trois polos, c’est pratique. Pendant qu’il y a de la casse, tu sais que les vigiles sont débordés, tu peux repartir avec des fringues gratis, c’est bien quoi ».
Voilà qui doit frapper par son immaturité politique, par sa puérilité de sauvageon, par l’insanité du langage et du raisonnement. Sans compter le grégarisme et la naïveté de la spontanéité, qui, comme chacun devrait le savoir, n’est en rien un gage de vérité. Pire, s’il en était besoin, l’aveu est parfaitement clair : le plaisir du coup de poing, de la guérilla, du pillage, est une motivation suffisante et première, grâce à laquelle le délicieux nerf de la guerre, humain trop humain, est bien frétillant.
À Nantes, à Rennes, aux alentours du terrain d’actions des zadistes opposés au non-sens économique du projet d’aéroport de Notre-Dame des Landes, mais aussi à Paris et ailleurs, de nouvelles journées de violences aboutissent au saccage de boutiques de sport (en une journée GO Sport subit 50 000 euros de dégâts et 25 000 euros de marchandises volées), d’une officine d’assurances (qui ne voudront bientôt plus assurer les établissements victimes), de vitrines diverses, de voitures éclatées ou incendiées, détruisant non seulement des biens mais handicapant lourdement des activités commerciales et de services, donc des emplois. Sans compter une intrusion hautement symbolique des vandales de gauche au Musée des Invalidse, heureusement interceptée par la soldatesque.
Quant à ceux qui sont censés protéger populations et commerces de toutes ces déprédations ils sont autant attaqués. Lorsque trois camions de CRS sont bloqués dans la circulation, une centaine de manifestants en profite pour les abreuver de jets de pierre et autres objets non identifiés. Ce sont en effet des boulons, des billes de plomb, des harpons de pêche, des rasoirs soudés à des boules de pétanques, des pavés, des barres de fer, des cocktails Molotov qui sont jetés sur les policiers qui contrôlent les cortèges, sur leurs voitures enflammées. Ce sont des hordes de guérilléros qui harcèlent et frappent tour à tour un fonctionnaire isolé, dont l’attirail défensif ne le protège plus. Au point que démunis ils ne puissent user de la légitime défense sous peine d’être accusés de violences policières, craignant le syndrome Malik Oussekine (du nom de cet étudiant Franco-Algérien assassiné en 1986, dont la mort contraignit le ministre délégué à la Sécurité à la démission) ou le traumatisme de la mort par jet de grenade d’un jeune zadiste de Sivens, Rémi Fraisse, en 2014, ce pourquoi ils seraient immédiatement honnis et embastillés. Ainsi, en une choquante inversion des valeurs, le policier sera récompensé pour son sang-froid, pour ne pas user de la violence légale, quand le champ de la violence illégale est ouvert à qui veut en user contre les citoyens et les représentants de l’ordre légal.
Et si environ 1300 vandales ont été interpellés en France ces derniers temps, dont 800 placés en garde à vue, une petite poignée étant convaincus de tentatives d’homicide sur des représentants de l’Etat, combien seront effectivement punis, faute de preuves, encagoulés qu’ils sont, effectivement incarcérés, alors que l’impéritie de nos gouvernement successifs a négligé de construire des prisons sûres et suffisantes, de former et nommer des personnels judiciaires et policiers en nombre suffisants ?
Ce sont, au printemps 2016, environ 350 policiers qui ont été blessés, parfois grièvement, la plupart issus de classes sociales modestes ; 9000 au cours d’opération dans l’année 2015. Contre quelques milliers de manifestants issus des bourgeois-bohèmes et des banlieues judéophobes et christianophobes. Sans souhaiter instant qu’aucun soit blessé, il faut se souvenir que si la liberté de manifester n’est pas à remettre en cause, tout citoyen qui manifeste le fait en conscience des risques, eût égard aux mouvements de foules et aux casseurs environnants, et a fortiori de ceux encourus par qui fait opposition aux forces de l’ordre.
Le monopole de la violence légale, encadré et proportionné à la violence qu’il est nécessaire de réprimer et de pacifier, sans vouloir un instant cautionner une violence policière abusive, a désormais changé de camp. Il appartient désormais à ceux que la loi ne contrôle plus : zadistes, ultragauchistes, anarcho-libertaires, islamistes… Mais aussi cégétistes, affichant un scandaleux « Stop à la violence » sur lequel l’écusson des CRS ne dissimule pas une flaque de sang, polluant les airs de leurs feux de pneus, bloquant les entreprises, les transports, les raffineries de pétroles, les dépôts de carburant, au mépris de la liberté d’entreprendre et de se déplacer, alors qu’ils sont outrageusement subventionnés par l’Etat et les collectivités locales, que leurs comptes ne sont soumis à aucune vérification, que le rapport Perruchot[17] a montré leurs corruptions, malversations, détournements et richesses paradoxales.
L’Etat impuissant n’a plus de force, quand la délinquance et le crime gagnent des forces, en une sinistre inversion des valeurs. Est-ce seulement mollesse, récurrente pleutrerie devant le chantage gaucho-cégétiste ? Ou stratégie méditée de façon à discréditer les opposants à la Loi travail ? Alors que cette dernière, bien trop timide, de surcroît aussi maladroite que trop complexe, prétendument écrite de façon à desserrer l’étau du Code du travail, s’est vidée de sa substance, s’est hérissée d’arguties suradministratives. On sait qu’il aurait fallu commencer par radicalement et uniment simplifier et diminuer la fiscalité sur les entreprises jusqu’à une flat tax. Mais à quel affreux « néolibéralisme » n’aurions-nous pas fait allégeance !
Qui vit réellement et par devoir des « Nuits debout » ? Sans aucun doute les balayeurs qui ramassent les débris des rassemblements, qu’ils s’agissent des déchets venus de ces agapes, ou de ceux du vandalisme. Sans aucun doute les médecins, chirurgiens et infirmiers qui soignent les policiers (sans compter à Paris une proviseure agressée par un lycéen bloqueur). Et tandis que lorsque les jeunes et moins jeunes bobos désœuvrés vont se coucher au matin, ce sont tous ceux dont le travail et le capital nourrissent les prolifiques et confiscatoires impôts, de façon à payer les dégâts (500 000 euros de réfection des lycées d’Ile de France), rétablir la salubrité, l’esthétique et l’état de marche de nos villes, opérer et panser les blessés. Voilà bien une scandaleuse inversion des valeurs entre les nuits couchées et les jours debout !
La nietzschéenne inversion des valeurs appliquée à notre Etat
Selon Friedrich Nietzsche, dans Par-delà le bien et le mal, le Christianisme a su mettre en œuvre un renversement des valeurs en valorisant et sanctifiant tout ce qui va à l’encontre des forces de vie. Pour ce faire, cette religion postule une vérité qui est celle d’un arrière monde céleste, au mépris du réel le plus terrestre et le plus corporel, suivant en cela conception platonicienne qui préfère l’essence à l’existence, préférant donc l’idéal au dépens du sensible. Les valeurs mortifères de culpabilité, de honte, condamnant la sexualité, l’obéissance veule, la pitié, la faiblesse, l'égalité, sont des morales du renoncement devant la vie, contraignant la volonté de puissance humaine à sa propre castration. Ainsi la morale des faibles, esclaves et chrétiens, par le levier du ressentiment, s’insurge et vainc les valeurs des forts, des vivants, des créateurs, des maîtres et de toute velléité aristocratique : « Mettre sens dessus dessous toutes les valeurs, voilà ce qu’ils durent faire ! Et brider les forts, débiliter les grandes espérances, calomnier le bonheur qui vient de la beauté, pervertir tout ce qui est orgueilleux, viril conquérant, dominateur, tous les instincts qui appartiennent au type humain le plus élevé et le plus accompli en y introduisant l’incertitude, les tourments de la conscience, le goût de se détruire, muer même tout attachement à la terre et à la domination de la terre en haine de la terre et des choses terrestres. Voilà la tâche que l’Eglise s’est prescrite et qu’elle devait se prescrire, jusqu’à ce que s’imposât enfin son ordre des valeurs[18] ».
En une semblable inversion des valeurs, le faible - ou du moins prétendu tel - musèle le fort, le salarié met à genou le patron, les organisations syndicales défient et tyrannisent le patronat et tous les citoyens. Ainsi le manifestant déborde les forces de l’ordre, le casseur lynche la police. La violence policière, certes toujours possible et parfois avérée, devient une violence antipolicière, une déferlante de haine orchestrée comme une corrida où le matador ne laisse guère de chance au taureau, où le policier, au lieu de déployer sa force au service du bien public, doit faire montre de sang-froid, d’empathie devant le mal des collectifs autoproclamés antifascistes, alors qu’ils sont de fait les fascistes révolutionnaires résolus à faire de la chair à pâté des gardiens de la paix. Nourris de contradictions, de fanatisme antiflic, tendus vers leur despotisme haineux, les casseurs et combattants révolutionnaires oublient pourtant combien ils appelaient le « CRS SS » à leur secours, lorsqu’au concert du Bataclan, les islamistes les dézinguaient !
Dira-t-on que l’Etat et son gouvernement sont aux ordres des manifestants, casseurs et bloqueurs, qui ne représentent qu’une très faible minorité aux dépends d’une société toute entière ? Quand l’Etat aura-t-il le courage nécessaire et attendu de faire prévaloir la loi juste, la liberté et la sécurité, en débloquant les barrages, en arrêtant et incarcérant les casseurs et les harceleurs tueurs de flics ? Comme si nous n’avions pas déjà assez du terrorisme islamique, pour lequel le moins que l’on puisse dire est que la réponse de l’Etat n’est guère à la hauteur des enjeux.
Autre inversion des valeurs, non moins inquiétante, la violence symbolique et sociale, effectivement ou prétendument subie, est prétendue moralement pire que les violences physiques et guerrières commises contre des patrons séquestrés aux chemises arrachées, contre des représentants des forces de l’ordre, blessés grièvement, incendiés, ces dernières violences étant excusées, légitimées par une rhétorique postmarxiste, anarcho-libertaire. On se souvient que la « violence symbolique » d’une Porsche fut incendiée. Vandalisme scandaleux en soi, ne serait-ce que contre les créateurs et ouvriers qui l’ont conçue et construite, contre son propriétaire, d’autant plus grotesque que, par une triste ironie, cette voiture de luxe appartenait à un homme des plus modestes et passionné qui consacrait toutes ses économies à la dite « violence symbolique » du luxe !
Patente au cœur des mouvements des Gilets jaunes et de Nuit debout, cette inversion des valeurs (aux résultats bien moins moraux que celle exécutée avec brio par le christianisme à l’occasion de l’analyse nietzschéenne) est bien la tâche que la fort minoritaire chienlit poisseuse de romantisme révolutionnaire et de haine des entrepreneurs et des policiers, qui assurent la richesse de leur niveau de vie de bourgeois, s’est prescrite pour assurer sa tyrannie anarchisto-fasciste. Qu’ils soient cégétistes ou zadistes, anarchistes ou ultragauchistes, démocrates révolutionnaires ou antifascistes, ce sont les fascistes réels de notre temps. Ils inversent les valeurs au profit de leur intolérance, de leur libido guerrière, de leur libido dominandi. Aussi à leur égard, il faut savoir, avec Marcel Proust, que « le pacifisme multiplie quelquefois les guerres et l’indulgence, la criminalité[19] ». Jusqu’à quel retour à la raison, quelle implosion ? Autre inversion des valeurs, celle d’une police qui réprime la liberté sans pouvoir réprimer la tyrannie. Mais aussi celle de ceux qui préfèrent la guerre contre l’Occident et ses valeurs, à la paix et à cette liberté qui est un droit naturel. Et parce que, sans oser le dire, l’on a peur de l’hydre islamique, l’on préfère se livrer à des compromissions dommageables. « En politique, ce qui commence dans la peur, s’achève souvent dans la folie[20] », disait en 1830 le poète Coleridge.
Thierry Guinhut
Une vie d'écriture et de photographie
[1] William Shakespeare : Beaucoup de bruit pour rien, traduit par Louis Legendre, Alphonse Lemerre, 1888, p 113.
[2] Voir : Patrick Farbiaz : Gilets jaunes. Documents et textes, Editions du Croquant, 2019.
[3] Voir : Francis Dupuis-Déri : Black blocs, Lux, 2009.
[4] Voir : Elsa Marpeau : Blacks blocs, Folio policier, 2018.
[5] Voir : Couleurs des monstres politiques : Gilets jaunes, drapeaux rouges et noirs, religions vertes
[6] Voir : Gaël Brustier : Nuit debout. Que penser ? Cerf, 2016.
[7] Voir : Nuitdebout.fr
[8] Gouvernement par la populace.
[12] Le Figaro, 19 avril 2016.
[13] http://www.fakirpresse.info/frederic-lordon-nous-n-apportons-pas-la-paix
[14] Jean-Paul Sartre : Les Temps modernes, juillet 1952.
[15] Jean-Paul Sartre : Actuel, 28 février 1973.
[16] John Stuart Mill : Sur le socialisme, Les Belles Lettres, 2016, p 136.
[17] Lisible sur : Le Point.fr
[18] Friedrich Nietzsche : Par-delà le bien et le mal, 62, Œuvres philosophiques complètes VII, Gallimard, 1992, p 77-78.
[19] Marcel Proust : À l’ombre des jeunes filles en fleurs, À la recherche du temps perdu II, Gallimard Pléiade, 1988, p 116.
[20] Samuel Taylor Coleridge : Propos de table, Allia, 2018, p 37.
Photo : T. Guinhut.