Pustertal, Sillian, Östirol, Osterreich. Photo : T. Guinhut.
Nietzsche, poète et philosophe
à l’innocence controversée.
Poèmes complets,
Domenico Losurdo, Rüdiger Safranski.
Friedrich Nietzsche : Poèmes complets,
traduit de l’allemand par Guillaume Métayer, Les Belles lettres, 944 p, 45 €.
Domenico Losurdo : Nietzsche. Le rebelle aristocratique,
traduit de l’italien par Jean-Michel Buée, Delga, 1088 p, 39 €.
Rüdiger Safranski : Nietzsche. Biographie d’une pensée,
traduit de l’allemand par Nicole Casanova, Babel, Actes Sud, 526 p, 10,70 €.
Poète, et beaucoup plus poète que l’on est enclin à le penser, se révèle le flamboyant philosophe de Zarathoustra, dont la somme complète des vers, depuis l’adolescence à l’orée de la folie, peut se lire comme une autobiographie intellectuelle. Cependant notre auteur n’est pas sans zones d’ombres, parfois profondes, cruelles. S’il y a un plaisir infini, un défi intellectuel constant à lire un Nietzsche à la pensée polymorphe, on n’en découvre pas moins de déplaisantes facettes. Rendre à la beauté son écriture, en particulier poétique, soudain révélée en majesté par ses Poèmes complets, impose cependant de rester méfiant envers des aspects dignes de controverses accusées. Ce pourquoi Domenico Losurdo dresse avec méticulosité un « bilan critique », dans son Nietzsche. Le rebelle aristocratique. Quand sa « biographie intellectuelle », aux éclairages bien peu flatteurs, est décapante, une vision plus apaisée parcourt les pages de Rüdiger Safranski en sa « biographie d’une pensée ».
Qui eût cru que celui qui annonça la mort de Dieu ait pu écrire tant de louanges et prières religieuses ? Ce sont des vers de circonstance, lors d’un anniversaire : « Louons Dieu le père des mortels humains / Car en ce jour il nous prépare une joie tous les ans renouvelée ». Il n’était qu’un adolescent allemand plongé dans la culture du milieu du XIX° siècle. Poèmes patriotiques et mythologiques, tels « L’enlèvement de Proserpine » et « Persée et Andromède », sujets guerriers, célébrations de la nature ; rien là de tourneboulant et qui puisse annoncer le philosophe de Sils-Maria. Cependant, en ce qui est une sorte de journal de l’émotion et de la curiosité, l’on mesure combien la formation d’un intellectuel soudain brillant à l’occasion de son premier livre, La Naissance de la tragédie, emprunte de chemins au cours de sa maturation. Aussi cette publication absolument intégrale des Poèmes complets, de surcroit bilingue, est-elle un événement, y compris en langue allemande, où les recueils ont été jusque-là, comme en France, de bric et de broc. Voici enfin, de l’adolescence au solaire philosophe de Zarathoustra, l’événement des poèmes enfin complets de Friedrich Nietzsche, « le fou, le poète ».
Il est bon qu’au rebours d’une certaine tradition française le traducteur, Guillaume Métayer, use le plus souvent possible de vers rimés avec soin : une « esquisse de fidélité musicale », dit-il avec modestie. L’auteur du Gai savoir le confirme :
« Rythme au début, rime pour finir,
Et pour âme la musique :
Ce gazouillement angélique
S’appelle un chant, ce qui veut dire :
Les mots comme musique. »
Le recueil, aussi généreux qu’exhaustif, s’ouvre sur les « poèmes publiés par Nietzsche », reprend avec les « poèmes de jeunesse » (1854-1870), ceux de 1871-1882, puis propose ceux de « l’époque de Zarathoustra », pour se fermer sur les « derniers poèmes » jusqu’en 1889, à la veille de la folie de Turin. Du romantisme au symbolisme, en passant par un farouche anti-romantisme, le lyrisme se déploie en accord avec la pensée, car cette poésie est loin d’être marginale au regard de la philosophie. Dès l’abord l’on ne peut qu’être étonné de l’absence quasi totale de l’amour. Nietzsche y préfère l’amitié et la solitude. Les paysages, souvent tempétueux, les oiseaux sont également prisés. Alors qu’à l’occasion de son premier essai sur le théâtre apollinien et dionysiaque, philologie et philosophie l’éloignent de l’écriture poétique, il y revient lors des versets d’Ainsi parlait Zarathoustra et lors des vers libres des Dithyrambes de Dionysos. Dans lesquels il célèbre la figure du poète :
« aquilines, panthérines
sont les ardeurs du poète,
sont tes ardeurs, sous mille masques,
toi le fou ! toi le poète ! »
À côté de strophes légères et facétieuses, comme « À tout kilo d’amour, joins / Un grain d’autodérision ! », nombre de vers des dernières années ont l’intensité de l’aphorisme : « veux-tu être simplement / le singe de ton dieu ? » Ou encore : « Notre chasse à la vérité - / est-elle une chasse au bonheur ? » Le philosophe de la « transmutation des valeurs » et de Par-delà le bien et le mal transparait avec piquant : « Bien et mal sont les préjugés / De Dieu, dit le serpent avant de détaler ». Il s’agit bien de poésie philosophique, dans la tradition de Schiller, lorsque dans une ode « À la mélancolie », il dénonce la trop humaine humanité : « Partout, la pulsion de meurtre aux dents grinçantes / Siffle, cruel désir de s’adjuger la vie ! »
Selon une profession de foi de 1877, « L’artiste doit avoir l’art pour seul aliment ». Artiste controversé de la philosophie, pour s’être fait indûment dérober son concept du surhomme par le nazisme, et victime de l’antisémitisme de sa sœur Elisabeth, qui fabriqua une Volonté de puissance qui n’existe pas - pour reprendre le titre de Mazzino Montinari[1] - Nietzsche devient un authentique poète, à une altitude qui dépasse toutes les réductions politiques.
Reste l’irréductibilité de cette philosophie à une doctrine univoque, à une cohérence encore moins définitive ; voire à une vertu morale sans tâche. C’est ce qui n’échappe pas à Domenico Losurdo, dont le volumineux, sinon pesant, Nietzsche, le rebelle aristocratique tente avec précision et mordant le « bilan critique ».
Jeune homme, et y compris pendant la période de La Naissance de la tragédie, Nietzsche est redoutablement nationaliste, appréciant vivement Bismarck, se veut thuriféraire de « l’essence allemande », y compris pendant la guerre franco-prussienne de 1870, au cours de laquelle il s’engage comme infirmier. En accord avec son admiration de Wagner, par ailleurs auteur d’un essai à charge, Du Judaïsme dans la musique, sa judéophobie[2] juvénile est acharnée, au point que la laideur de Socrate soit une caricature judaïque, car le « socratisme est un judaïsme », tous deux inaccessibles à la vision tragique de la vie. Or, selon l’analyse de l’essayiste, La Naissance de la tragédie, qui fait la louange tant des Grecs que de l’art allemand, ne peut se comprendre sans le substrat antisémite, de même plus tard le Zarathoustra. Ce qui contraste en tous points avec l’anti-antisémitisme et l’anti-nationalisme qui seront plus tard ceux du philosophe, qui dénonce vigoureusement l’antisémitisme anticapitaliste, associe parmi les pages de La Généalogie de la morale socialisme et antisémitisme dans leur « soif de devenir bourreaux », deux mouvements qui « ont toujours à la bouche le mot « justice » comme une bave vénéneuse ». Un anti-antisémitisme dont témoigne par ailleurs la rigoureuse analyse de Jean-Pierre Faye dans Le Vrai Nietzsche[3]…
Eminemment aristocratique, quoique peu convaincu par l’individualisme, le maître du Gai savoir lutte contre le mouvement socialiste, dénonce « l’hybris de la raison dont on accuse le projet révolutionnaire des Lumières », se gausse des Droits de l’homme et de l’égalité, adhère au « mythe généalogique christiano-germanique », pour passer à « l’aryano-germanisme ».
Mais, bientôt, tout cela s’érode. Vient le temps où le rebelle solitaire, détaché de Wagner, se fait un critique acéré du christianisme et du nationalisme, devenant partisan des Lumières, et préférant Voltaire à Rousseau. Il fait preuve de « suspicion à l’égard des sentiments moraux » et œuvre à la « délégitimation de l’appel à la justice sociale », selon les termes de Domenico Losurdo, ce qui pour le second point ne nous chagrine pas le moins du monde, le concept de justice sociale étant un « mirage », de surcroit dangereux, pour reprendre l’argumentaire de Friedrich Hayek[4]. Dans Humain trop humain, Nietzsche se rapproche des conceptions des libéraux français tels que Benjamin Constant[5] et Alexis de Tocqueville[6] (quoique qu’il rejette la condamnation moderne de l’esclavage antique) en toute méfiance de l’instinct étatique : « Le socialisme désire (et dans certaines circonstances favorise) l’Etat dictatorial césarien […] qui vise à anéantir l’individu ». L’on devine ici que le discret réquisitoire de Domenico Losurdo contre un philosophe qui récuse le renversement révolutionnaire et cette « maladie du peuple » qu’est le socialisme fait sourire le lecteur que nous sommes…
Certes le « radicalisme aristocratique » de Nietzsche s’accoquine avec un antiféminisme, au point que le mouvement féministe soit pour lui un « abrutissement universel ». La médiocrité du monde moderne et le mépris du commerce répondent à l’éloge de la guerre. Le mépris de la plèbe et de la « racaille » (dans Ainsi parlait Zarathoustra) est pour notre essayiste un brin caricatural, un « apartheid social ». Quant à l’esclavage, Nietzsche soutient une position antiabolitionniste : la « race blonde dominante » est opposée aux « habitants originaires aux cheveux sombres » dans La Généalogie de la morale, ce en quoi est déterminante l’influence de l’Essai sur l’inégalité des races humaines d’Arthur Gobineau. En conséquence de quoi le ressentiment des opprimés et la pitié pour les esclaves sont le terreau du christianisme…
Le contre-révolutionnaire propose un eugénisme sélectif contre la surpopulation. Zarathoustra lui-même professe : « Ils sont trop nombreux à vivre et ils restent longtemps sur leur branche. Que vienne une tempête qui fasse tomber de l’arbre toute cette pourriture bonne pour les vers ! » Il y a bien des déclarations « résolument abjectes », pour réitérer l’indignation de Domenico Losurdo. Se débarrasser de « l’oppression moraliste » voisine à la fin de la vie de Nietzsche, aux berges de la folie, avec une prophétique aspiration aux guerres et une obsession au service de « l’anéantissement des races décadentes » et des « barbares » parmi les pages de la correspondance et des fragments posthumes. L’utopie se fait dystopie… La Généalogie de la morale met en avant des accents alarmants : « Qui nous garantit […] que la race des conquérants et des maîtres, la race des aryens ne soit pas en train de succomber, même sur le plan physiologique ? » Quant à L’Antéchrist, il proclame une « guerre mortelle » contre le « vice » et la « contre-nature » représentés par le christianisme et son clergé…
Aussi le copieux essai, s’appuyant sur un examen minutieux des œuvres, y compris les plus mineures, jusqu’aux fragments posthumes et à la correspondance, et au moyen d’une sourcilleuse lecture, et sur un vaste contexte culturel, se lit comme une passionnante enquête, dont l’ambition est de mettre fin à une « herméneutique de l’innocence ». En effet, souligne Domenico Losurdo, « l’édition Colli-Montinari[7] devait elle-même confirmer la présence, chez un philosophe par ailleurs extraordinairement riche et stimulant, de motifs, qui, aujourd’hui, ne peuvent pas ne pas évoquer de sinistres échos : éloge de l’eugénisme et de la « sur-espèce », apologie de l’esclavage d’une part, de l’« élevage » de l’« espèce supérieure des esprits dominateurs et césariens » d’autre part, appel à l’« anéantissement des races décadentes » et de « millions de ratés », invocation d’un « marteau destiné à briser les races décadentes et mourantes, à les éradiquer afin d’ouvrir la voie à un nouvel ordre vital » ». On ne s’étonnera pas qu’un certain nazisme, se servant d’une Volonté de puissance, fabriquée de bric et de broc par la sœurette, Elizabeth Forster-Nietzsche, fasse son miel de telles phrases ; aux dépens cependant de tout ce que les œuvres charrient de résolument opposés à de tels mouvements totalitaires et au socialisme, au nationalisme, deux prémisses constitutives du nazisme[8]. Le philosophe, féru d’aphorismes plutôt que de traités, en dépit de sa critique du judaïsme et du christianisme, saura se départir d’un antisémitisme de jeunesse, comme d’un nationalisme aveugle. On ne saurait en dire autant d’un Heidegger qui ne s’est jamais expliqué, et encore moins repenti, de son adhésion au nazisme.
Ne nous leurrons pas. Domenico Losurdo s’attache à mettre l’accent sur un Nietzsche réactionnaire, y compris avec tout ce que ce dernier mot comprend de rhétorique marxiste. Rappelons-nous que l'érudit prétendit disculper rien mois que Staline[9]. Pour lui, « l’unité de la pensée de Nietzsche », « le fil conducteur de la lecture » se trouvent dans « la dénonciation et la critique de la révolution », ce qui est bien évidemment plus qu’abusif, réducteur. Sans doute relève-t-il « de la réaction antidémocratique de la fin du XIXème siècle », ce qui n’autorise en rien à lui attribuer une responsabilité posthume dans les génocides de l’espace vital nazi, ni ne permet de le rendre responsable de la lecture qu’en fit un Hitler délirant, quoique la nietzschéenne opposition des termes « Übermensch » et « Untermensch », surhomme et soushomme, soit à cet égard lourde d’échos effrayants - qu’il n’eût certainement pas cautionnés -, même si l’on sait que le surhomme du philosophe n’a rien d’un fier et brutal soldat nazi, mais au contraire a tout d’un intellect supérieur et libre…
Plus tempérée est la lecture de Rüdiger Safranski, également auteur de biographies philosophiques de Schopenhauer et Heidegger. C’est justement par la découverte de Schopenhauer puis de la musique de Wagner que commence selon le critique la maturité intellectuelle de Nietzsche, qui, dès sa prime jeunesse se veut autobiographe, et « le poète de sa vie ». L’on retrouve parmi les pages de La Naissance de la tragédie, la fonction cathartique de la musique chez les Grecs, ainsi que la cruauté dionysiaque, en l’espèce « la guerre comme puissance vitale », y compris au service de la haute culture, aussi bien qu’une « classe servile », celle de l’institution de l’esclavage.
Effaré par l’incendie des Tuileries causé par les insurgés de la Commune, le jeune philologue tient de cet attentat contre la culture une méfiance rédhibitoire contre les masses et les révolutions. Ainsi devient-il un « esprit libre » des idéologies, y compris à l’encontre d’une coterie mystico-esthétique chez les Wagner. Bientôt, celui qui n’est plus le philologue de Bâle, et qui devient le philosophe errant de Sils-Maria, va de la critique de la métaphysique à l’examen des fondements immoraux de la morale.
Des pulsions « homophiles » aux amours enthousiastes, déçues et éphémères pour la stupéfiante Lou-Andrea Salomé, jusqu’aux altitudes solitaires de Par-delà le bien et le mal et d’Ainsi parlait Zarathoustra, la biographie d’un homme et d’une pensée vont de pair. Plus économe que l’indépassable biographe Curt Paul Janz[10], Rüdiger Safranski, ne négligeant en rien les étapes d’une philosophie critique et prophétique erratique, écrit d’une manière plus aimablement narrative que Domenico Losurdo. Cependant, comme ce dernier, il termine son essai par les interprètes posthumes du nietzschéisme, dont Hitler, Goebbels ou Rosenberg, qui ne lisaient évidemment que ce qui pouvait servir leur but, au risque de la citation tronquée, biaisée, donc d’une malhonnêteté intellectuelle inqualifiable.
La « pourriture noble d’Europe » (pour reprendre un vers de Gottfried Benn) s’empara de celui qui embrassa un cheval à Turin, et que la syphilis - et la négation de Dieu disait-il - rendit fou et invalide. L’emballement des lecteurs rencontra en partie le but explicite de la sœurette abusive, Elizabeth Forster-Nietzsche, qui voulait « faire de lui un chauvin, un nationaliste allemand, raciste et militariste, et cela a réussi auprès d’une partie du public, en particulier auprès des marxistes orthodoxes, jusqu’à aujourd’hui ». Les concepts fumeux d’instinct et de vie, néoromantiques, furent préférés au rationalisme issu des Lumières. Le dionysiaque l’emporta sur la vérité, Zarathoustra enchanta Gustav Mahler et Richard, quoiqu’il laissât Thomas Mann mettre ses lecteurs en garde contre la proximité de l’esthétique et de la barbarie. Un « nietzschéisme belliciste » encombra les sacs des soldats du front de 1914 avec un exemplaire d’Ainsi parlait Zarathoustra. L’on scandait : « Vous dites que c’est la bonne cause qui sanctifie aussi la guerre ? Je vous dis : c’est la bonne guerre qui sanctifie toute cause ». Pourtant, Nietzsche n’est-il pas un ennemi de toute mentalité de « bête de troupeau » ? Ernst Bertram, en son Nietzsche. Essai de mythologie[11]paru en 1918, voulut voir dans le philosophe un miroir de l’âme allemande, en lui associant la figure du Chevalier escorté de la Mort et du Diable, gravé par Dürer, dont les Nazis firent le symbole de l’Aryen de pure race. Au regard du National-Socialisme, et de la surévaluation partisane du concept de « volonté de puissance » par un idéologue comme Baeumler, « la falsification réside dans son unilatéralisme », résume avec perspicacité Rüdiger Safranski. Car dès Humain trop humain, Nietzsche s’élève contre l’aveuglement des nationalistes qui prétende « mener les Juifs à l’abattoir, en boucs émissaires de tout ce qui peut aller mal dans les affaires publiques et intérieures ». Goûtons de plus ce trait d’esprit de notre essayiste : « Chez des philosophes à l’esprit académique particulièrement limité, Nietzsche n’obtint de satisfecit que grâce à Heidegger ». Mieux vaut Michel Foucault[12] qui lui emprunte de manière nourrissante le concept de généalogie.
En sa postface, Rüdiger Safranski justifie sa « biographie d’une pensée » en parlant d’une « philosophie fluide », qui « ne cherche pas une demeure stable de la pensée ». L’on ne peut donc la statufier en idéologie abrupte, à laquelle, à la suite du philosophe dont la velléité du titre, La Volonté de puissance, éphémère de surcroit, fut sabrée dès l’envol par la folie, on ne peut opposer une cohésion définitive. Pour le paraphraser, face à la vérité de Nietzsche, ne nous reste-t-il que des interprétations ?
Se livrant à un réquisitoire appuyé, Domenico Losurdo est loin de manquer d’une pointilleuse perspicacité, mais au détriment d’aspects plus ouverts et libéraux du poète et philosophe, que nous avons développés ailleurs[13]. Même si la consultation des indications bibliographiques est rendue malaisée par les acronymes en allemand, son volume reste néanmoins digne de figurer parmi une bibliothèque nietzschéenne, aux côtés du Dictionnaire Nietzsche[14], ou de l’étude, désormais classique de Deleuze[15]. Reste que le philosophe de Sils-Maria, présenté de façon plus amène par Rüdiger Safranski au risque de polir les angles abrupts du philosophe parfois plus fou que le « fou » poète, qu’il est hors de question de considérer comme apolitique, et qui décevra toujours qui voudrait y lire une pensée univoque, réclame, en choisissant chez lui les aspects les plus séduisants, une éthique rigoureuse de la part de son lecteur. Car s’il n’y a guère, n’en déplaise à Jean-Pierre Faye, de « vrai Nietzsche », tant il est complexe, voire contradictoire, l’on peut espérer de vrais lecteurs…
[7] Friedrich Nietzsche : Œuvres philosophiques complètes, sous la direction de Giorgio Colli et Mazzino Montinari, Gallimard, 42 volumes parus, depuis 1968.
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.