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11 juin 2021 5 11 /06 /juin /2021 17:31

 

Abbaye de Saint-Benoît, Vienne. Photo : T. Guinhut.

 

De la photographie réaliste et street art
à la photographie platonicienne :
Raymond Depardon, Magnum, Joel Meyerowitz
et Robert Adams.

 

 

 

Raymond Depardon : La Solitude heureuse du voyageur

 précédé de Notes, Afrique(s), Le Tour du monde en 14 jours,

Coffret 3 volumes, Points, 2017, 24,30 €.

 

Stephen McLaren : Magnum et la street photography,

Actes Sud, 2021, 386 p, 45 €.

 

Joel Meyerowitz : Rétrospection, Textuel, 2018, 352 p, 59 €.

 

Robert Adams : Essais sur le beau en photographie,

Fanlac, 1996, 144 p, 120 F.

 

Michel Poivert : La Photographie contemporaine,

Flammarion, 2018, 264 p, 29,90 €.

 

 

 

L’on ne peut photographier que le réel. Sauf si au bout du compte l’on se livre aux trucages les plus surréalistes pour le subvertir. Et tout en sacrifiant au réalisme, l’on peut néanmoins s’attacher aux métaphores, voire à la plus pure esthétique. Quoique parcourant implicitement toute l’histoire de la photographie depuis 1839, cette problématique esthétique peut être synthétisée au travers d’un trio de photographes contemporains, de Raymond Depardon à Joel Meyerowitz, jusqu’à Robert Adams, mais aussi en passant par ceux de de la street photography, cheval de bataille de l’agence Magnum. Le paysage, souvent urbain, est leur inlassable objet d’étude, même si cet objet d’étude peut parfois les entrainer à en représenter le drame humain, voire son essence, peut-être platonicienne.

      Arpenteur du réel, Raymond Depardon l’est certainement. Il emporte avec lui sa Solitude heureuse du voyageur, en s’appliquant à traverser l’Afrique(s), jusqu’à déborder Jules Verne au moyen d’un Tour du monde en 14 jours. À ce triptyque réuni dans un seyant coffret pour des livres de poche, qui acquièrent ainsi une sorte de noblesse esthétique, il eût peut-être fallu joindre son parcours parmi la France…

      Sobrement intitulé Notes, le premier recueil (ou plus exactement portfolio ?) d’abord publié en 1979, est noirci par des guerriers en armes, parmi les plus sales zones de conflit, entre Beyrouth et l’Afghanistan, où celui qui deviendra le Commandant Massoud est son jeune guide. Là c’est le photoreporter né en 1942 qui pointe l’arme inoffensive et scopique de son appareil photo, enregistrant les convulsions du monde et de l’humanité, pour les enfermer dans la boite du témoignage, de la dénonciation, du souvenir et de la méditation. L’homme est alors un rebelle autant qu’un animal politique brutal, résistant alors contre l’invasion soviétique et le communisme. On sait ce qu’il en est advenu : la montée en puissance de l’Islam radical et un jeu de dominos de guerres… « Mon premier livre fondateur », juge Raymond Depardon, marqué par ces jours de danger, de risque, de fuite, par l’adrénaline de la photographie juste et parlante lorsque les armes obsèdent l’objectif. « Je vois des balles traçantes », commente-t-il. Si l’image ne les montre pas, la photographie n’est pas en reste pour exhiber les réalités du territoire, de la guerre et des hommes, d’autant que l’on n’y voit guère de femmes. Il y a quelque chose du « charognard », du « voyeur » dans le photographe de terrain au service de l’information et des médias.

      Plus paisible est La Solitude heureuse du voyageur. Paysages parfois ruraux et surtout urbains sont les sources d’inspiration de Raymond Depardon, mais le plus souvent animé par la présence humaine, ou, sinon, par ses traces. Si quelques chambres d’hôtel sont vides, mais d’un autre vide que celui des déserts du Niger et de Bolivie, les rues et les sentiers de montagne sont animées, soit par des passants à New-York ou en Ethiopie, soit par des voitures, comme la Trabant symbolique en Ex-RDA. La dimension graphique du noir et blanc est judicieusement soulignée par un velouté dramatique des nuances, mais aussi par un perpétuel cadre noir, « entre la douleur du cadrage et le bonheur de la lumière », comme il le dit dans un pertinent entretien avec le critique Jean-François Chevrier, inséré au centre du volume. Dans la perspective plus rigoureuse du géomètre,  Raymond Depardon colora cependant la France[1] au moyen de calmes vues plus proches du sociologique que du touristique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      L’Afrique(s) de Raymond Depardon se dit à la fois au singulier et au pluriel, non seulement pour des raisons géographiques, mais aussi parce qu’écartelée(s) entre violence et tendresse. Rien d’idéalisé, rien de pittoresque. La nudité du paysage et des peaux exhibent la sécheresse et la maigreur. Le visage d’une femme portant une charge sur la tête ruisselle de sueur : un cliché efface le cliché. Journal de voyage erratique, entre Angola et Ethiopie, Afrique(s) est à la fois photographique et textuel, alternant images et constats, non sans émotion et empathie, voire notations intimes. Le noir et blanc, excellemment imprimé avec un contraste et un brillant impeccables, devient ainsi sculptural. Il s’agit de figurer le réel avec objectivité, quoique avec une dimension symbolique : chacun de ceux qui sont devenus des personnages acquièrent une dignité humaine et portent une conscience, voire une réclamation, une indignation devant le tribunal de l’humanité. Lorsqu’il visite une prison à Kigali, Rwanda, où sont parqués en attente de jugement des auteurs du génocide, Raymond Depardon confirme sa vocation de photographe engagé.

      Après cinq mois africains, seulement quatorze jours ont été dévolus au Tour du monde. Le défi photographique va de Paris à Paris, ce sont sept escales, sept villes : Washington, Los Angeles, Honolulu, Tokyo, Hô Chiminh-Ville, Singapour, Le Cap. Tourisme à la va-vite ou empreintes singulières et symboliques ? Si bon photographe soit-on, l’on n’échappe guère en de telles conditions, ou contraintes délibérées, à l’instantané plus ou moins vain. Le mémorial aux 58 000 victimes de la guerre du Vietnam, les étoiles de Sunset Boulevard, les halls et chambres d’hôtel… Raymond Depardon s’est-il condamné au cliché, quoique toujours soigné ? Autre cliché, puisque nous sommes en 2008, le calcul final de « compensation en CO2 » d’un tel voyage. Un poil de culpabilisation ne nuit pas devant l’urgence climatique idéologique[2].

 

Partenaire de nombreuses aventures, Raymond Depardon, parcourant New-York en 1981, ne peut échapper à ce mouvement de la Street Photography, qui est magnifié par un album, somptueux et fourmillant de découvertes. C’est en fouillant dans les archives de l’agence Magnum que le commentateur et photographe Stephen McLaren a ouvert pour nous une boite aux trésors d’images, tant en noir et blanc qu’en couleurs. Fondée en 1947, Magnum se veut sensible à un monde lourd de conflits et surarmé. Aux côtés du photojournalisme et des terrains de guerre, s’ajoute une nouvelle quête urbaine de l’image que permet la miniaturisation de l’appareil, en particulier le Leica. À la suite d’Henri Cartier-Bresson, considéré comme le créateur de cette déferlante de photographie de rue, ils sont trente à traquer l’incongru, « l’instant décisif », au travers du monde, de l’Angleterre au Japon, des Etats-Unis à la France, de l’Inde au Maroc.

Comme sur la couverture de ce volume, par les soins de Christopher Anderson, la lumière est essentielle, quelques reflets rougeoyants suffisant à relever un espace de trottoir autrement insignifiant, le rouge étant sa couleur récurrente. Mais en une démarche empathique, « l’esprit de la rue » va également s’allumer de silhouettes insolites, de visages surprenants, associant réalisme obligé et pointe surréaliste. Jusqu’à Gueorgui Pinkhassov qui conjugue photographie et poésie : « La poésie advient lorsqu’il y a métaphore. Elle n’est pas programmable : elle apparaît au passage et soudain la rime est là ».

 

Photo : T. Guinhut

 

Au-delà du reportage de commande, parfois ici présent, l’observateur indiscret, et cependant furtif, capte les instantanées d’une ville avec un appétit renouvelé pour la vie intime et sociale, pour les comportements inaperçus, les poses insolites. Pour ce faire le noir et blanc a longtemps été prôné par Magnum, le pensant synonyme d’authenticité, à moins qu’il s’agisse de conservatisme ; alors que des photographes étaient taxés de « vulgarité » (selon Henri Cartier-Bresson) et de facilité commerciale lorsqu’ils utilisaient la couleur. Pourtant Harry Gruyaert, David Alan Harvey, Bruce Davidson, ou l’Iranienne Newsha Tavakolian, surent lui offrir ses lettres de noblesse en dopant leurs images de signaux esthétiques. 

Est-ce à dire que saisir au vol un instantané urbain interdit la beauté ? L’évidence réaliste d’Elliott Erwitt, dont le noir et blanc saisit ses personnages non sans humour, capte miraculeusement le visage grave d’un enfant au travers d’un véhicule dont la vitre est marqué d’un impact étoilé qui masque l’œil. L’esthétique compositionnelle permet l’irruption d’une émotion métaphysique. Cependant Léonard Freed professe : « Tout ce qu’on voit dans la cadre doit être essentiel. La perfection, ici, n’est pas de mise. Cela tuerait tout ». Entre réalisme du quotidien et expressionnisme frappant, entre engagement documentaire, voire social et politique, et esthétisme graphique et coloriste, les photographes construisent, croisent et créent, souvent à leur insu, une beauté inédite à qui sait regarder ces clichés.

Alternée avec des traversées thématiques, « Temps libre », « En chemin » (au sens des transports), « Faire son marché », et des « Regards sur Paris », Londres, New-York et Tokyo, cette généreuse énumération des photographes de Magnum est non seulement une aventure collective de plus d’un demi-siècle, marquée par maintes personnalités fortement individualisées, mais aussi une découverte planétaire, où les rues de la Street Photography débouchent sur des bouillonnements plastiques sans cesse renouvelés et un humanisme judicieux. N’oublions pas, avec Henri Cartier-Bresson, que « la réussite dépend de l’étendue de sa propre culture générale, des valeurs que l’on porte en soi, de sa clarté d’esprit et de sa vivacité ». Et si à cet égard il n’y a pas de culture générale sans bibliothèque photographique, ne doutons pas que ce beau livre y contribue.

      Comment le réaliste Joel Meyerowitz, né en 1938, est-il devenu platonicien ? C’est implicitement qu’il répond à la problématique, car publiant son album il l’appelle Rétrospection, commençant par ces plus récentes images, jusqu’aux plus anciennes. Mais plus exactement, pour reprendre le titre original : Where I Find Myself. Il affirme en quelque sorte avoir commencé par observer et reproduire le réel, jusqu’à, sans le quitter, en goûter la quintessence. De 1962 à 2016, il est allé photographier « dans la rue », pour aboutir enfin à la plus haute visibilité de l’objet.

      Du regard de son Leica, et sur les traces du photographe Robert Frank dont l’œuvre magistrale reste Les Américains[3], il fouille d’abord les artères et les recoins de New-York. La ville est un théâtre pour l’image, cocasse parfois, grandiose, dramatique… En couleurs, plus souvent en noir et blanc, les portraits saisis au vol abondent. Mais la couleur, « plus complète », a sa préférence, surtout lorsqu’il juxtapose dans une double page deux vues de la même scène, en noir et en couleurs. Qu’il s’agisse des Etats Unis « au temps du Vietnam », ou de l’Europe, une telle quête de scènes marquantes donne évidemment lieu à des résultats surprenants, sinon inégaux, des « incidents farfelus », comme la rencontre de la promenade d’un singe et d’un bébé.

      Se détachant de l’influence de Robert Frank et d’Henri Cartier-Bresson, il transcende l’espace au moyen d’une chambre photographique sur trépied. Capter des instants de lumière exceptionnelle, la grâce soudaine d’un paysage de bord de route ou d’une piscine de bord de mer au crépuscule, ou pointer une figure, une attitude, c’est, dit-il, voir « le moment atteindre son point d’élucidation, l’incontestable apogée de l’instant ». Comparant les arts et les techniques, il ose avec justesse : « La photographie de rue, c’est du jazz. La chambre, du fait de sa lenteur, est plus classique, plus méditative ». Dès lors les portraits deviennent plus pensés, profondément empathiques. Par la suite, ciel, mer et lumières vaporeuses glissent vers une abstraction épurée. Jusqu’à figurer poétiquement les quatre éléments.

      « Être artiste est affaire de conscience ». Or il est paradoxal de magnifiquement fixer et d’éprouver une jouissance esthétique devant une belle catastrophe meurtrière. L’effondrement des tours du World Trade Center est une « scène de crime », témoignant de la mort cruelle, de l’abjection terroriste. Cependant Joel Meyerowitz en offre une scénographie grandiose digne d’un Crépuscule des dieux wagnérien. L’immense ruine fumeuse est un corps écorché. Témoignage bien sûr d’un événement lourd d’arrière-plans civilisationnels et barbares, et prolixe en conséquences pour l’Histoire, catharsis (ou purgation des passions) certainement.

Joel Meyerowitz.

      Autre concept venu des grecs : l’essence des choses. D’après Platon, il y a deux aspects des étants, l’essence proprement dite, telle qu’elle s’offre au pur regard des esprits et se laisse concevoir par la seule cogitatio, et la réalité sensible qui n’en est que l’ombre et l’image. C’est ce que dit Socrate des choses dans le Phédon : « Or les unes, tu peux les percevoir à la fois par le toucher, la vue, et tous les autres sens ; mais les autres, celles qui restent mêmes qu’elles-mêmes, absolument impossible de les saisir autrement que par l’acte de raisonnement propre à la pensée ; car elles sont invisibles, les réalités de ce genre[4] ».

      Offrir au pur regard de l’esprit l’essence de l’objet, « le beau en soi[5] », c’est à quoi, dans une démarche platonicienne, s’attache Joel Meyerowitz, à partir de 2012, lorsqu’il pose devant une vulgaire bâche brune, et discrètement soutenue par un bout de bois, une feuille automnale que la lumière dore. Ou de vieux tubes en laiton, des flasques d’étain rouillé, des boites de fer-blanc, voire un crâne, qui deviennent les personnages d’un « Teatrino ». La brute matérialité de l’objet devient, par la vertu de la photographie et de l’art, pure intellection et parfaite esthétique. Et s’il fallait livrer le symbolisme mis en scène par Joel Meyerowitz, n’a-t-il pas pris soin de retrouver une « nature morte » de 1964, qui n’était qu’un « test », pour en relever les clés ? « Les objets sont : Photo de moi enfant, Toupie (jouet, joie), Graines (jeunesse, fertilité), Bulle de verre (bouteille / impermanence), Baromètre / horloge / boussole (trouver ma voie), Fruits séchés (vieillesse), Fleurs (fragilité), Montre (mesure du temps) ».

      Ainsi l’intelligente discrétion des textes, associée à des reproductions d’une qualité splendide, concourt à un album essentiel pour comprendre l’histoire de la photographie et en apprécier la théorie et la plastique esthétiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Robert Adams, que l'on ne confondra pas avec Ansel Adams (1902-1984), autre photographe américain et grand lyrique des majestueux paysages naturels des Rocheuses américaines, nous offre un bouquet de six Essais sur le beau en photographie, parmi lesquels Vérité et paysage, La Beauté en photographie, Photographier le mal et Réconciliations géographiques, titres qui reflètent un cheminement autant plastique que théorique.

      Né en 1937, Robert Adams fit en 1975 partie de la fameuse exposition New Topographics qui permit de reconnaître une génération de photographes attentifs aux paysages altérés par l'homme. Parmi ses images, ce sont arbres brisés comme des crayons, déboisements, nature rayée et empoussiérée par les aménagements périurbains, décharges en plein déserts, graphisme routiers, branches comme dessinées, ombres portées sur l’habitat pavillonnaire, contrastes époustouflants entre les traces humaines et les grands espaces américains... Cependant, toujours, il cherche à donner une qualité intemporelle à ses images. Ce qui passe souvent par un minimalisme proche de l'anorexie. Non sans « Beauté », mot qui n'est plus « obsolète, convenant aux urnes funéraires », mais « le but véritable de l'art », le « synonyme de la cohérence et de la structure sous-jacentes à la vie », formules que l’on ferait bien de méditer à une époque où, trop souvent, l’art contemporain[6] fait mine de décrier la beauté[7], par incapacité peut-être…

 

 

      Pour Robert Adams, chaque photographie doit être, au-delà de la banalité du prétendu reflet objectif de la réalité vraie, une « métaphore, apte à suggérer des ressemblances entre ce qui est connu et ce qui l'est à peine ». Une photo de paysage se doit d'être à la fois « géographique, autobiographique et métaphorique ». « Quel degré de proximité une photo devrait-elle entretenir avec les apparences, y compris dans la description d'un miracle ? » se demande-t-il. De même, il interroge les contradictions et leurs résolutions dans le mystère photographique: dévastation par une tornade et sensation d'ordre, de paix, dans une seule image de Franck Gohlke : « l'affirmation d'un sens au cœur de l'apocalypse ». On le voit, la quête de Robert Adams est autant celle de l'artiste esthète que celle du sage.

      Sans rien d'une mystique trop appuyée, ni idéologiquement engagée, voici un des plus fins et beaux essais jamais écrits sur la photographie, tout simplement. Faut-il se demander si Robert Adams, à la recherche de l'image soignée, idéale et signifiante, jusque dans le quotidien pourtant parfois trivial, naturel et artificiel de l'immense continent américain, est l’acmé de la photographe platonicienne aux côtés de Joel Meyerowitz ?

      Toute photographie est tiraillée entre le réalisme, d’occasion ou assumé, et une quête de cette essence qui n’est peut-être qu’une fiction, un désir de transcendance tentant de pallier à nos manques. Sans nul doute pourrons-nous le vérifier jusque lorsque nous jouons avec nos smartphones, entre l’instant aussitôt détruit de Snapchat et le fantasme d’immortalité de nos corps reproduits au cours d’un instant de notre fugacité. Entre temps et espace la photographie est cet art paradoxal qui voudrait les contenir et les dépasser. Qui voudrait être présence et acte, témoignage et engagement, refus ou grâce de l’esthétique. De ce débat d’art témoigne La Photographie contemporaine réunie par Michel Poivert, pérégrination en images, aussi soigneusement commentée qu’illustrée. Une centaine d’artistes sont réunis en cet indispensable volume documentaire et pensant, balayant le spectre depuis le photojournalisme jusqu’aux plus insolites défis contre l’institution de l’art comme concept historique, en passant par les curiosités esthétiques les plus insolites, par l’anecdotique et le dérisoire, sans omettre le militantisme, la narration suggérée et la rêverie. On ne fera pas l’économie d’une réflexion éthique lorsque la photographie est réanimée, truquée, détournée par le numérique. Quelle vérité parle-t-elle au travers d’une image capturée par la vitre et vitrine du photographe, amateur, professionnel, artiste dans l’âme, si cette dernière existe, si elle est capturable par le médium…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Robert Adams a été publiée

dans La République des Lettres, avril 1996.

 


[1] La France de Raymond Depardon, Points, 2012.

[3]  Robert Frank : Les Américains, Robert Delpire, 1958.

[4] Platon : Phédon, 79a, Œuvres complètes, Flammarion, p 2008, 1197.

[5] Platon : Phédon, 78d, ibidem.

 

Parador de Lerma, Burgos, Castilla y Léon. Photo : T. Guinhut.

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29 mai 2021 6 29 /05 /mai /2021 17:35

Valdovino, Galicia. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Pour l’amour des Sonnets à Orphée

& de Rainer Maria Rilke.

 

 

Rainer Maria Rilke : Les Sonnets à Orphée,

traduit de l’allemand et commenté par Jean Bollack,

Les Belles Lettres, 2021, 150 p, 29 €.

 

Rainer Maria Rilke : Les Elégies de Duino,

traduit de l’allemand par Rainer Biemel (Jean Rounault),

Allia, 2015, 80 p, 6,50 €.

 

Rainer Maria Rilke : Les Poésies d’amour,

choisies, traduites de l’allemand et présentées par Sybille Muller,

Circé, 2015, 144 p, 12 €.

 

 

« Qui est celui qui émeut l’abîme/ Par de si douces notes et par la cithare ornée ?[1] » Non seulement Ovide[2], dans ses Métamorphoses, mais Ange Politien, dans sa Fable d’Orphée de 1480, chantèrent le mythe du poète charmant les animaux et dieux des enfers pour y perdre l’ombre de son Eurydice. Or malgré son titre, Rainer Maria Rilke (1875-1926) n’est pas un aède mythologique, un récitant du mythe en ses Sonnets à Orphée. Si ce recueil, aux côtés des Elégies de Duino, également inspirées au-dessus des bouillonnantes eaux de l’Adriatique, est l’un des phares du poète allemand, il est le pur arbre qui cache la forêt des vers, qu’il sera permis de le lire en écharpe, grâce à une anthologie intitulée Les Poésies d’amour, choisies dans l’œuvre entière. Quoique l’esthétique rilkéenne se déprenne de la subjectivité pour accéder à une poétique essentielle.

La mythologie gréco-romaine est une constante inspiration pour le versificateur, qu’il soit venu de Ronsard et de la Pléiade, néo-classique ou parnassien. Outre l’imagerie édifiante, la dimension morale et philosophique accroit les pouvoir du dire poétique, sans devoir tomber dans la redite, dans le clinquant cliché. Rainer Maria Rilke le sait, se nourrissant également des dieux de l’Antiquité et des métamorphoses ovidiennes. Ainsi, dans « La naissance de Vénus », née de l’écume marine, « Surgit enfin dans l’aube obscure du corps / comme un vent du matin, le premier souffle[3] ». Ce souffle est à la fois érotisme et poétique. Or il n’est pas de poète sans le secours d’Orphée, qui à la fois assure la beauté persuasive de son chant, et tente de conjurer « le spectre de l’éphémère », de retenir ce qui est fugitif, en particulier l’Eurydice de l’amour. Il faut alors cristalliser ce qui est disparu ; et pour Rainer Maria Rilke, affectueusement et symboliquement, une jeune fille et danseuse, Wera Ouckama Knoop, fauchée à dix-neuf ans par la mort, telle qu’il la révèle en son avant-dernier sonnet :

« Ô viens et va ! Toi, une enfant presque, complète

pour un instant la figure de la danse,

fais-en la pure constellation de l’une de ces danses,

où, éphémères, nous l’emportons

 

sur l’ordonnance confuse de la nature. Car entièrement

auditive, elle ne s’est mue que lorsque Orphée chantait.

Encore toi, tu étais mue par cet autrefois,

et légèrement intriguée quand un arbre songea

 

longuement, avant d’aller avec toi, en suivant l’écoute.

Encore tu savais sur tes pas l’endroit où la

lyre sonna en s’élevant - le centre inouï.

 

Pour lui tu as tâté les pas les plus beaux

et espéré qu’une fois tu tournerai ta démarche et ta face

du côté de la fête vive de l’ami. »

Ecrits en peu de jours de février 1922, dans la tour de Muzot, où subsistait un orphique dessin daté d’environ 1500, et selon le flot soudain d’une inspiration rare et lacunaire, torrentielle, Les Sonnets à Orphée ont eu le bonheur de susciter plusieurs traductions françaises. Nous goûtions celle d’Armel Guerne, voici celle de Jean Bollack. Dès le quatrain inaugural le premier chantait ainsi : « Là s’élançait un arbre. O pur surpassement ! / Oh ! mais quel arbre dans l’oreille au chant d’Orphée ! / Et tout s’est tu. Cependant jusqu’en ce mutisme / nait un nouveau commencement, signe et métamorphose.[4] » Le second traduit de manière peut-être moins fluide et musicale, mais au plus près de la syntaxe et de la polysémie du sens originel allemand : « Un arbre s’éleva alors. Ô la pure surélévation ! / Ô Orphée qui chante ! Ô arbre haut dans l’oreille ! / Et tout était silence. Mais même dans ce silencement / Se produisit un nouveau commencement, une métamorphose. »

Accession à la parole poétique et à sa légitimité (parfois mise en doute) face à la mort, Les Sonnets à Orphée sont habités par la vie et les métamorphoses, comme celle de Daphné, changée sous l’œil chargé de désir d’Apollon en ce qui devient le laurier du poète. Sous l’œil vigilant d’Orphée, révélateur du visible et de l’au-delà, voici un bouillonnement de fruits et de jardins, de danse et de mort. L’arbre est l’allégorie de la poésie à la suite de laquelle se développe une esthétique du chant. La vie des sens et celle de l’esprit aspirent à l’harmonie. Saveurs et jouissance se heurtent autant à la valeur des mots qu’à la perspective de la mort. À la méditation sur les origines s’ajoute l’évocation des tombeaux de l’Antiquité d’où s’échappe « un essaim de papillons », le tout confronté au monde moderne, dont le machinisme est conspué.

Lors de la deuxième partie, le poète est miroir et créateur du monde :

 

« Vois les fleurs, elles fidèles au terrestre,

Auxquelles, du bord du destin, nous prêtons un destin, -

mais qui le sait ! Quand elles regrettent de se flétrir,

c’est à nous d’être leur regret. »

 Une licorne, une anémone, une rose permettent de méditer sur l’art, sur la recherche de la connaissance et de la perfection. Encore des jardins, des fruits (« Dansez l’orange »), une fontaine romaine, « masque de marbre posé sur le visage / fluide de l’eau », tentent de résister à la caducité des choses, alors que l’affirmation ultime du poète, « Je suis », se pare d’une confiance inaltérable et apollinienne, celle du « splendide superflu / de notre être-là. »

La dimension élégiaque (au sens de la plainte au sujet d’une personne disparue) s’inscrit dans une mythopoétique, dont l’aède Orphée, tant cultivé par la littérature et la peinture symbolistes, est le passeur : « Rien que le chant, au-dessus du pays, / Qui consacre et qui célèbre. » Malgré les ménades qui l’ont tué par jalousie, « Aucune d’entre elles n’était là, pour te détruire ta tête et la lyre » ; ainsi « nous sommes à présent les écoutants, et une bouche de la nature ». L’on se doute cependant que l’allusion mythologique aspire à une métaphysique et une poétique universelles :

« Respirer, toi, le poème invisible !

Incessamment autour de l’être

propre, l’espace du monde en pur échange. Contrepoids,

où j’adviens dans l’événement rythmique.

 

Unique vague, dont je suis

la mer progressive ;

toi ; la plus économe de toutes les mers possibles, -

gain d’espace.

 

Combien de ces endroits dans les espaces étaient déjà

intimement en moi. Plusieurs des vents,

c’est comme s’ils étaient mon fils.

 

Toi, l’air, me reconnais-tu, rempli encore de lieux autrefois miens ?

Toi, une fois l’écorce lisse,

la rondeur et la feuille de mes mots.

Dans la forme stable, équilibrée, contrainte du sonnet, aux vers rimés et cependant inégaux, séculaire depuis au moins Pétrarque en passant par Shakespeare, Rainer Maria Rilke s’offre paradoxalement une liberté de bouleverser sa syntaxe en désarticuler les phrases au cours de vers et des quatrains, d’ordonner ses thématiques, de les faire progresser de manière dynamique, comme dans le flux des variations pianistiques, et de les juxtaposer comme dans une mosaïque romaine, orphique justement. Il renouvelle le genre littéraire et musical des tombeaux en favorisant, aux dépens de la plainte, l’éloge de la fonction poétique et de son messager : « Dans l’espace de louange seulement, la plainte peut / aller ». Au limites de la langue, le message n’est alors « dicible seulement pour qui crie dans son chant / Audible seulement par ce qui est divin ». L’inatteignable être de la langue est caressé par la formulation poétique : « Mais n’existe-t-il pas à la fin un lieu, où ce qui serait / la langue des poissons serait parlée sans eux ? »

Cette édition bilingue et soignée bénéficie, outre la traduction au plus près du lexique et de la syntaxe rilkéens par Jean Bollack - qui par ailleurs ne craignit pas la difficulté de Paul Celan[5] - de commentaires philologiques, stylistiques et thématiques éclairants, non sans dégager la lecture de ces sonnets de toute tentation théologique. En l’espèce, Jean Bollack montre comment se fait un passage entre « deux mondes langagiers », langue ordinaire et langue poétique, au cours duquel un « paysage cathartique » permet d’accéder à un monde clair, ordonné par la langue rilkéenne. L’audace démiurgique du poème est en effet également linguistique, en sa cristallinité qui reste à décrypter indéfiniment, au cours patiente et aimante d’une initiation. C’est ainsi que l’audace démiurgique du poème est également linguistique, en sa cristallinité qui reste à décrypter. D’autant que le poète parvient à créer sa propre langue, dont la riche plasticité fascine, voire effraie, tant elle est aussi pure que la « bouche d’une fontaine ».

 

Photo : T. Guinhut.

 

Le poète comparait ainsi ses deux œuvres sommitales : « la petite voile couleur de rouille des Sonnets et la gigantesque voilure blanche des Elégies ». La surprise est d’abord un brin décevante, lorsqu’ouvrant cette plaquette des Elégies de Duino fournie par les éditions Allia, l’on constate qu’elles sont devenues prose. Où sont donc les vers libres qui naquirent sous la plume de Rainer Maria Rilke ? Il est vrai que cette traduction de Rainer Biemel, de son nom réel Jean Rounault, datant de 1949, les questions de droit n’ont plus à embarrasser l’éditeur. Elle est cependant aussi fluide que possible, face  aux obscurités redoutables du teste rilkéen. Et judicieusement habillée sur sa couverture par une encre impressionnante de Victor Hugo. Quoique là encore la traduction d’Armel Guerne[6] soit fort recommandable.

« Qui donc, si je criais, parmi les hiérarchies des anges, m’entendrait ? » Ce premier vers lui fut dicté dans le vent de l’Adriatique, sur les rochers de Duino, après de longues années vides d’inspiration. Aussitôt la première élégie fut écrite, un jour de janvier 1912. Peu après, la seconde fut composée, suivi de quelques fragments. Il fallut, au travers d’un long silence et de quelques compositions partielles, attendre 1922, à Muzot dans le Valais suisse, pour que les dix soient accomplies, conjointement aux cinquante-cinq Sonnets à Orphée.

Au-dessus de nos modestes destinées, la vie et la mort ne s’opposent pas, là où les anges (guère au sens chrétien) sont chez eux : « Tout ange est terrible », dit la seconde élégie. Développement existentiel de l’être, accession à la douleur et à la mort, vertigineuses sont les interrogations métaphysiques brassées par ces élégies torrentielles. La fragilité humaine est sur la corde raide entre l’animal et l’ange qui serait son parfait accomplissement, tandis que les « amants » sont sa réalité privilégiée, sensible et cependant inquiète : « les amants pourraient, s’ils le comprenaient, dans l’air nocturne parler étrangement ». Ne reste, face au tragique de la condition humaine, qu’à s’élever vers la mort, vers l’éternité, comme l’enfant « dans l’intervalle qui sépare le monde et le jouet », comme les saltimbanques, dont la pyramide des corps est un pont entre la terre et le ciel. Seule est réellement positive la vie du héros, dont « l’ascension est existence ».

 C’est à partir de la septième élégie que les vers s’allègent, découvrant l’allégresse face à la nature et au cosmos, s’offrant à une « vie ouverte », consentant à la force de la destinée, peut-être en un rappel de l’éternel retour nietzschéen. La dixième et ultime, au-delà d’un « morceau taillé de la douleur première », se veut transfigurer la mort : « Et nous qui pensons à la montée du bonheur, nous éprouverions ce mouvement du cœur qui nous bouleverse presque quand une chose heureuse tombe ». Ainsi la boucle se referme, en écho à la première élégie où « la beauté n’est que le premier degré du terrible ». Un lyrisme souverain et universel a trouvé son assomption.

Imperceptible est la fine membrane qui sépare érotisme et sentiments. Le poète allemand Rainer Maria Rilke en est bien conscient, lorsque ses vers oscillent entre une « cueilleuse de roses [qui] saisit le bourgeon dru du membre de vie » et « les pétales de paroles douces ». De 1896 à 1925, les mots de l’amour n’ont cessé de nourrir les vers de celui qui sut écrite les didactiques Lettres à un jeune poète. Ainsi le choix d’une soixantaine de poèmes opéré par Sybille Muller a le mérite de donner à lire une autre perspective que celle des recueils tutélaires, entre Les Elégies de Duino et les Sonnets à Orphée, ces grandes odes à l’amour métaphysique.

Qui sont, parmi ces Poésies d’amour, les aimées de Rainer Maria Rilke ? Klara Westhoff, Lulu Albert-Lazard, Baladine Klossowska, Lou-Andreas-Salomé, Marina Tsvétaïeva, dont seules ces deux dernières sont nommées ; « femmes de chair, femmes de papier », pour reprendre les mots de Sybille Muller, car elles sont également lointaines dans l’espace et le temps, comme Marina qu’il ne rencontra jamais, ou Louise Labé, Elizabeth Barrett Browning… Le poète dandy est un séducteur, un Don Juan, « un dragon qui attend endormi dans le vallon de la pudeur », alors que ses vers s’élèvent dans les sphères d’une métaphysique éthérée ; pourtant il n’y dédaigne pas un instant la sensualité. À qui dit-il : « toi seule, tu renais sans cesse » ?

Il ne s’agit guère, même ainsi chronologiquement ordonné, d’un journal amoureux. Mais des éclats de la sensibilité et de l’intellect : le substrat biographique est transmué en nécessité poétique. Etoiles, amantes, roses et fontaines émaillent le discours lyrique, comme autant d’images récurrentes et séminales. Parfois, la mythologie voile avec éclat le désir, comme avec « Léda », où « quand dans sa détresse il entra dans le cygne / le dieu s’effraya presque de le trouver si beau ».

C’est en 1915 que furent créés les « Sept poèmes », pure expression d’un éros exigeant et cependant raffiné. Le poète se fait « colonne en extase anéantie », et réclame harmonieusement son dû de bonheur partagé avec l’aimée :

 

« Flatte-moi, que j’aille alors vers le dôme :

pour projeter dans tes nuits douces,

avec la force de fusées aveuglant ton sein,

plus d’émotion que je ne suis moi-même. »

 

À l’aveu d’humilité devant la jouissance s’ajoute une projection de la parole poétique offerte à la complémentaire amante :

 

« Oh, nous sommes multiples, de mon corps

un nouvel arbre élève sa couronne foisonnante

et se dresse vers toi : car vois-tu, qu’est-il

sans l’été qui règne au-dedans de ton sein. »

 

Lors de la rencontre avec Lou Andréas-Salomé, dont la « non-présence même garde [la] chaleur », elle est une plus mûre initiatrice, l’équivalent de Diotime pour Platon, voire de Diotima pour Hölderlin ; c’est elle alors qui est le don, et qui insuffle l’apollinien don de poésie :

 

« Dans nos cœurs que nous gardons ouverts

passe le dieu aux pieds ailés,

c’est lui, tu le sais, qui prend les poètes. »

 

 

 

 

Cependant, crise et séparation, solitude et absence, sont aussi des leitmotivs à l’adresse de la « Bien-Aimée par avance perdue ». Peu avant sa mort, en juin 1926, une dernière « Elégie » s’adresse, comme dans une élection spirituelle, à Marina Tsvétaïeva, où il faut être « prodigues de louanges ». L’éloge s’adresse tout autant à la puissance de l’aile poétique qui emporte, comme sur les terrasses du château de Duino, l’altitude de l’inspiration.

Une traduction musicale et sensible nait sous les doigts de Sibylle Muller lorsqu’elle écrit (en cette édition nécessairement bilingue) au final d’ « Eros » :

 

« Soudaine est l’étreinte des divins.

une vie fut changée, un destin enfanté.

Et tout au-dedans pleure une source. »

 

Alors que Philippe Jaccottet, pourtant redoutable concurrent, proposait plus abruptement :

« L’étreinte divine est prompte.

vie convulsée, destin conçu.

Une source dedans sanglote.[7] »

C’est une idée tout à fait judicieuse qu’ont eu là Sibylle Muller et les éditions Circé ; même si nous aurions souhaité pour ce volume une couverture moins minimaliste. Réunir une telle anthologie, comme Maria Kodama le fit, avec plus d’arrière-pensées, pour Jorge Luis Borges[8], donne à voir un parcours intimiste, sans violation aucune des ardeurs charnelles et des sentiments de Rilke. Rarement comme avec l’auteur des Elégies de Duino, le prosateur des Cahiers de Malte Lauris Bridge, l’épistolier nombreux, qui culminait avec les Lettres à un jeune poète, la poésie venue des bouillonnements de l’amour, où « ces baisers ont un jour été des mots », s’exprime avec un tel lyrisme éclairé pour enfanter tant de bourgeons de sensibilité ; et de sens orphique : « ta façon de fuir m’appartient… Est-ce qu’elle disparaîtra dans ma mort ? » Non ! Elle est pour nous dans le poème.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Ange Politien : Fable d’Orphée, Les Belles Lettres, 2006, p 68.

[3] Rainer Maria Rilke : Œuvres II, Seuil, 1972, p 223.

[4] Rainer Maria Rilke : Les Sonnets à Orphée, Œuvres II, Seuil, 1972, p 379 et suivantes.

[6] Rainer Maria Rilke : Les Elégies de Duino, Œuvres II, Seuil, 1972, p 315 et suivantes.

[7] Rainer Maria Rilke : Œuvre II, Poésie, Seuil, 1972, p 443.

 

Photo : T. Guinhut.

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23 mai 2021 7 23 /05 /mai /2021 08:26

 

Basilica di San Marco, Venezia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

De l’origine des dieux, ou faire parler le ciel.

 

Roberto Calasso, Jean-Louis Poirier,

Pierre Bouretz, Peter Sloterdijk.

 

 

Roberto Calasso : Le Chasseur céleste,

traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro, Gallimard, 2020, 576 p, 24 €.

 

Jean-Louis Poirier :

Ainsi parlent les dieux. Comment les Grecs et les Romains pensaient leurs mythes,

Les Belles Lettres, 2021, 216 p, 21 €.

 

Pierre Bouretz : La Raison ou les dieux, Gallimard, 2021, 606 p, 30 €.

 

Peter Sloterdijk : Faire parler le ciel. De la théopoésie,

traduit de l’allemand par Olivier Mannoni,

Payot, 2021, 400 p, 24 €.

 

 

Et si les hommes avaient précédé l’orbe brillante des dieux ? Au lieu d’une genèse originelle descendue de l’omnisciente délibération d’un créateur biblique ou venu de la cosmogonie d’Hésiode, il devrait être évident que l’inventeur du geste divin est sa créature, qui a soin de la faire parler et de l’agiter comme une marionnette colorée en un ciel de gloire. Pour déplier comment l’animal humain devint un « Chasseur céleste », Roberto Calasso ne semble guère observer une démarche scientifique, plutôt mythique comme le conte, et pourtant… Plus près encore des textes antiques, Jean-Louis Poirier lit pour nous comment les Grecs et les Romains faisaient voleter les récits pour faire « parler les dieux », quand Pierre Bouretz s’avise de les faire philosopher. Plus largement et de manière plus caustique, le philosophe allemand Peter Sloterdijk pointe les procédés littéraires et rhétoriques qui sous-tendent les discours du ciel, aussi intéressés qu’enthousiastes.

Au commencement était la chasse. Celle des animaux se pourchassant sans cesse les uns les autres, puis, les imitant, celle des hominidés devenus à leur tours prédateurs, quoique ne sachant pas si le gibier était viande ou démon, aïeux ou dieux. C’est ainsi que l’être humain, selon Roberto Calasso, devint l’acteur et le rédacteur de son Chasseur céleste, du nom d’une constellation entre Sirius et Orion, en ce ciel où s’incarnent les mythes.

Animaux et humains formaient une vaste communauté. Ainsi le centaure Chiron, mi-homme mi-bête, put enseigner la sagesse, en particulier à Achille. Chamans sibériens, « Souverain des Animaux », peintres du paléolithique, tous vivent en un monde où communiquent les forces de la nature. C’est en quelque sorte « le divin avant les dieux ». Eros est un « chasseur prodigieux », Actéon un chasseur puni pour avoir voulu dévisager Artémis, les nymphes une troupe de chasseresses, Orion quant à lui chassé par Artémis et par erreur fut transporté avec son chien Sirius dans la voûte du ciel. Ainsi la trace de ces prédateurs divins essaime parmi les mythes que l’essayiste relit pour nous, comme celui de Céphale et Procris, celui de la Toison d’or, en d’éloquentes réécritures et au cours d’une perspective originale dépliant la filiation des dieux.

À son tour l’homme chasse l’animal. « Le passage à la prédation fut un saut éthogrammatique ». L’imitation et la métamorphose trouvent leur écho parmi celles d’Ovide, poète du « chasseur amoureux », pour qui « il convient que les dieux existent » ; également parmi l’ultérieure démarche scientifique, vers laquelle l’essayiste ose des percées un brin acrobatiques. Par ailleurs, dans la Bible, l’on observe un passage entre les créatures se nourrissant « de la verdure des plantes » au début de la Genèse, puis la possibilité offerte par Dieu à Noé de se nourrir de « tout ce qui se meut et vit ». L’évolution parait plus rapide. Et c’est bien après la fin de la « théologie du sacrifice » que se posera la question de la justice envers les animaux[1]. Mais à l’occasion de l’élevage et de l’agriculture une autre rupture se produit, alors que bientôt une autre chasse court à la poursuite des célestes. C’est alors à la philosophie de relever le défi pour comprendre « les dieux du cosmos », dont les Grecs cherchaient la source chez les Egyptiens.

Le récit aux multiples bras, dont certains sont passablement sinueux, voire erratiques, s’achève sur les mystères d’Eleusis, qui « ne firent jamais partie d’une religion d’Etat ». S’ils ne furent pas défaits par un Christianisme peu tolérant, ils se virent éradiqués par les invasions barbares du V° siècle après Jésus Christ. Les temps du mythe s’achèvent alors pour effacer les proies du « chasseur céleste » et y substituer un dieu céleste. « L’immense histoire de sapiens » est celle du détachement de la matrice animale et de ses dieux pour accéder à la philosophie.

Elégamment assis sur la crête des genres du récit et de l’essai, voire de la prose poétique, entre anthropologie et mythologie, le livre touffu, palpitant d’érudition, de Roberto Calosso puise aux racines des mythes, depuis Zeus descendant parmi les hommes de la terre en s’unissant à Niobé jusqu’à l’imaginaire de « l’âme plus vieille que le corps » chez Platon, qui se demande si le divin imprègne les lois des hommes. L’écrivain brasse de nombreuses allusions aux auteurs de l’Antiquité, entre Homère, Hérodote et Plotin, mais aussi à des esprits aussi divers qu’Henry James et Alan Turing, lançant des sondes jusque vers les Upanisad, vers Beatrix Potter habillant les animaux, ou vers Baudelaire auquel il a consacré un essai[2].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malgré notre incrédulité, les dieux des Grecs nous persuadent encore, leurs mythes nous font non seulement rêver mais penser. Voilà comment l’entend Jean-Louis Poirier dans son essai tant tourné vers le merveilleux que vers l’intelligible : Ainsi parlent les dieux. L’on y découvre une généalogie des dieux et leur descendance au travers d’autant de chapitres. L’essayiste part en quête des interprétations, « sédimentées depuis longtemps », d’une mythologie cependant toujours vivante dans l’esprit. Puisque « les peuples font leurs mythes comme nous faisons nos rêves », il nous faut en recouvrir l’origine. D’où viennent-ils ? Comment les comprendre, en extraire une vérité théologique, philosophique ? Depuis Hésiode jusqu’à Jamblique, dix siècles de pensée descendent du ciel et des tréfonds des mythes.

Si les épicuriens dédaignent les mythes, ils bénéficient de la « sympathie stoïcienne », par exemple au travers De la Nature des dieux de Cicéron. Au contraire, ce que l’on appelle « l’évhémérisme » est un ensemble d’approches qui considèrent que les récits fabuleux n’ont rien de divin, qu’ils ne sont que d’origine humaine. Evhémère en effet raconte dans L’Inscription sacrée un voyage dans une île merveilleuse où les dieux sont des hommes. De même Palaephatos, dans Sur les choses incroyables, s’appliquait à trouver aux mythes des explications rationnelles et réalistes.

Cette mythologie perdue au magasin des antiquités n’est-elle que « la catastrophe d’une civilisation qui s’effondre », comme l’observe en sa conclusion Jean-Louis Poirier ? Aussi la vérité perdue du divin, autrefois façonnée par des initiations et des mystères, qui sont des « mythologies dissidentes », et malgré les rationalistes, malgré les récusations chrétiennes, mérite d’être « retrouvée », « rallumée », pour y lire les mythes d’origines, à dimension cosmologique, les « fictions mythiques » et allégoriques, comme celles de la caverne ou de l’androgyne chez Platon, dont ensuite Plotin distille la vérité philosophique, par exemple en analysant la naissance d’Eros venu de Poros et Penia, l’abondance et le manque, qui sont ainsi les ressorts de l’amour. Des néoplatoniciens aux gnostiques, tous ces mythes, qui avaient des fonctions d’une théologie naturelle, civile ou morale, conservent leur vitalité allégorique et philosophique. Voilà comment, s’appuyant sur une réjouissante érudition, de Narcisse à Macrobe jusqu’à l’universalisme de Tatien, Jean-Louis Poirier rend au métal poussiéreux des mythes leur intacte lumière, comme lorsque Plotin et Marcile Ficin pensèrent une métaphysique de la lumière qui était censée ouvrir la voie du Christianisme.

 

Dans une démarche voisine, Pierre Bouretz à la fois s’interroge et pose la nécessité d’une association : « La Raison ou les dieux ». Car la première et les seconds ne sont peut-être pas aussi antinomiques que l’on voudrait nous le faire accroire. Il s’intéresse à l’antiquité tardive, plus précisément à la période hellénistique, lorsqu’au IV° siècle débattaient avec vigueur deux platoniciens, Porphyre (234-310) et Jamblique (250-330). Plus exactement des néoplatoniciens, quoique l’essayiste récuse ce terme tant ils sont parmi la « chaîne d’or » qui découle de Platon, à la suite de Plotin (205-270) et de Proclus (412-485), qui raisonnaient abondamment sans qu’ils s’empêchent de visiter les temples d’Isis avec ferveur. Car la philosophie n’est pas ennemie de la théologie païenne, comme lorsque que Plutarque (46-125) rédigea un Traité d’Isis et d’Osiris. Chercher l’inspiration parmi les voix des dieux n’est pas contradictoire avec l’aspiration des « artisans de la raison ». Pierre Bouretz avait d’ailleurs montré une telle association à l’occasion d’un précédent essai, dont le titre paraissait un oxymore : Lumières du Moyen Âge[3], lorsque l’on était philosophe en accord avec le Christianisme, le Judaïsme, voire l’Islam. Il en ressort que philosopher n’est en rien un brevet d’athéisme. Thomas d’Aquin, quoique par la suite sanctifié, le montra suffisamment. Et revenant à nos néoplatoniciens, l’on aura la preuve que le monothéisme n’est pas plus un prérequis philosophique tant ils étaient polythéistes. D’autant que ces philosophes ne se contentaient pas de leur ancrage grec, mais de leur fascination pour les cultes à mystères et en regardant vers l’Orient, vers les « sagesses barbares », faisant se rencontrer Hermès Trismégiste et Zoroastre, alors qu’ils se savaient menacés par la montée du Christianisme. N’oublions pas que ce courant néoplatonicien bénéficia d’une belle renaissance, à la Renaissance justement, sous la gouverne d’un Marcile Ficin par exemple. De surcroit l’idéalisme allemand, celui de Schelling, au XIX° siècle, lui dut une fière chandelle.

 

Pierre Bouretz tend à prouver, au rebours de préjugés bien accrochés, que la pensée grecque ne s’est pas envasée dans les bras nilotiques du néoplatonisme, et qu’a contrario elle n’a pas faibli face à Saint Augustin, en dépit de la fermeture de l’Ecole d’Athènes par Justinien en 529. C’est plus la ruine des temples que l’agonie de leur vivacité intrinsèque qui a cassé les jambes de ce néoplatonisme.

La « théurgie » antique s’accommodait de rituels et de pratiques étonnantes, tentant de contraindre les dieux à la volonté de l’officiant, jouant avec les noms, mobilisant la magie. L’on espérait ainsi opérer dans le cadre d’un rapport direct avec le divin. Alors que Porphyre à la suite de Lucrèce prétend au lointain des dieux que la terre humaine ne concerne pas, Jamblique justifie le « culte sacré » par la proximité, la communauté de l’humain et du divin. Là encore il s’agit de parler aux dieux et de les faire parler.

 

Catedral de Roda de Isabena, Huesca, Aragon.

Photo : T. Guinhut.

 

À moins que tout cela ne soit que procédés rhétoriques et littéraires empruntant la bouche de dieux de fiction, donc des personnifications et des prosopopées des forces de la nature utilisées par des apprentis thaumaturges avides de pouvoir. Stratégies de communication et de manipulation, tels apparaissent, prospèrent et s’érodent les religions, selon la brillante analyse de Peter Sloterdijk, dans Faire parler le ciel. Ce dans une plus vaste perspective que nos précédents essayistes, puisqu’il prend en écharpe une Histoire qui va de l’Antiquité grecque à notre contemporain.

Au commencement était la poétique et la rhétorique, d’ailleurs théorisées par Aristote. « Deus ex machina, deus ex cathedra », les dieux bouillonnent dans les mythes et donnent leur représentation au théâtre d’Eschyle ou de Sophocle. Les scénographes athéniens avaient agencé une machine appelée « theologeion », une grue tournant autour de la scène, dont la plateforme abritait un comédien masqué figurant le dieu ou la déesse, autorité suprême permettant la résolution du nœud théâtral autant que des grandes énigmes de l’existence. Dans le Judaïsme, l’arche d’alliance et sa Torah aux cinq livres jouent un rôle voisin, alors que l’apparition de Jésus, « le Dieu parlant en soi », puis le « tombeau vide » consécutif à la résurrection, en est la réactivation. Ce dernier bénéficia des « évangélistes qui devinrent ses poètes ».

Cependant, avec Platon, « le divin s’est détaché du mythe, de l’épopée et du théâtre », soit une « sécession » entre la philosophie et la poésie. Il n’est pas impossible que ce détachement de la « société de corruption de l’Olympe », au-delà de laquelle Dieu doit être bon et parfait, soit l’un des prémices de « l’agonie des dieux » qui sera célébrée par Nietzsche. Sans compter qu’un acteur devient à l’occasion du Christianisme prégnant : le mal, le diable !

Ainsi, des épopées d’Homère aux « dieux poétisant » jusqu’aux mosaïques tables de la Loi, sans omettre les divinités égyptiennes, les dieux ont la langue fort bavarde : le « phénomène des dieux parlants » est de l’ordre d’une « théopoétique » (entendons poétique en son sens étymologique de création). Le ciel n’est en rien vide, il déborde de discours, dont le filet de mots protège, menace et régente l’humanité : « En lui, on pouvait penser le monstrueux, l’ouvert et l’ample en même temps que le protecteur et le domestique, dans un symbole d’intégrité cosmique et morale. » Voilà en quoi notre philosophe traite de l’art oratoire qui fit et défit les panthéons depuis l’Antiquité, du besoin anxieux d’injonctions et de textes religieux, tant narratifs, qu’explicatifs, argumentatifs et injonctifs. Ce sont en effet des productions littéraires à analyser en tant que telles, une « théopoésie [qui] ne quitte à aucun moment le domaine de l’inventé, du construit, de l’exacerbé », reflétant nos désirs et nos peurs, notre besoin de compréhension et de législation qui se sont sédimentés siècles après siècles. Ce qui est dit avec l’art stylistique ébouriffant que l’on connait à notre Peter Sloterdijk préféré : « De la même manière que se sont tout récemment formés sur les océans de gigantesques tourbillons de déchets en plastique dont la dégradation biologique prendra des siècles, sinon des millénaires, de gigantesques tourbillons composés de résidus de dieux pourraient apparaître sur les océans de l’âme, même si on les remarque plus rarement. Leur épuration et leur recyclage ne sont réglés ni sous l’angle théologique, ni du point de vue ethnologique, psychologique ou esthétique, ni sur le plan de l’histoire culturelle. »

La satire se glisse avec un malin plaisir dans l’essai, lorsqu’il s’agit du « front orageux » des guerres sous les bannières de la foi catholique et protestante ou des « virtuoses religieux et leurs excès ». « L’avalanche du masochisme ontologique » conduit à l’abandon à la souveraineté de l’autre absolu et à devenir la « marionnette de la volonté divine », ce que l’on constate chez les terroristes islamiques. De même c’est avec réalisme et cynisme que le philosophe perce à jour les martyrs, « apprentis sorciers qui ne reviennent pas de leur voyage dans l’au-delà » et les théologiens, « dramaturges qui traitent de la grammaire des fables ». Plus scientifiquement, « la sensibilité à la transcendance serait la dot de cerveaux androïdes » que leurs préprogrammations innées connecteraient à des « agences de l’au-delà », que l’on tenterait de corrompre par le culte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Faire parler le ciel », en tant que lecture théologique du divin, est un ressort qui réside bien plus au royaume de la représentation poétique qu’en celui de la connaissance philosophique. L’éventail religieux est agité par des opérations poétiques où les pouvoirs de la vision, de l’imagination et de la rédaction sont à l’œuvre, exactement comme dans le mouvement d’un souffle d’inspiration emportant le poète comme le prophète.

L’on se doute que les religions monothéistes, Judaïsme, Christianisme et Islam, sont toutes aussi « théopoétiques » que les autres. Toutes sont des machines fictionnelles, soit « des poésies secondes niant catégoriquement être des poésies ». Avec la Divine comédie de Dante[4], en particulier sa troisième partie sur le Paradis, « la poésie obtenait un droit d’entrée dans l’au-delà » par l’entremise du genre merveilleux. La tradition évangélique « dévoile la constitution théopsychiatrique du Christianisme comme celle d’une épidémie programmée de sentiment de culpabilité ». Quant à la fabrique du Coran, l’ange Gabriel qui parlait à l’oreille de Mohammed, « il ne semble exister aucune différence notable entre inspiration et compilation », tant il pratique l’emprunt aux textes bibliques, toit en fomentant une religion éthiquement fort différente, voire antagoniste, en pratiquant, comme nombre de ses concurrentes, des « extinctions théocidaires », même si bien des dieux disparaissent d’eux-mêmes, faute de locuteurs. L’on goûte alors des formules plus que piquantes : « dès qu’un dieu renonce à la médiation de voyantes sous l’emprise de la drogue ou à celle de prophètes aux lobes pariétaux hyperactifs », vient le temps de la Révélation.

L’on ne peut écarter, malgré des velléités judicieuses de « pilotage moral », que « les religions sont des systèmes de persuasions et des écoles d’obéissance qui donnent à l’esprit enfantin des indications sur ce qui est juste, mais ne sont plus dignes de l’esprit majeur qui réfléchit par lui-même ». De telles analyses, déjà classiques, mais dites avec une saine vigueur, sont alors joliment suractives. La critique de l’infaillibilité des fictions permet de montrer combien leurs certitudes peuvent être ubuesques, encerclant par exemple « les organes génitaux des croyants […] dans un anneau d’avertissements dissuasifs ».

« Crépuscule des dieux et sociophanie », soit « aube postrévolutionnaire du lien social », montrent que les Chrétiens deviennent une minorité, alors que l’utopie marxiste fomente une autre religion, ou « le passage de la religion au stade de la parodie ». Ces dieux, « stockés dans des conteneurs lexicaux », tendent à se taire ou à voir leurs nécessités transiter et transiger vers des formes politiques ou culturelles, qu’il s’agisse du peuple ou de la société, concepts qui pourraient paraitre manquer d’incarnation, à moins que ce manque ait pour conséquence une liberté… Or un nouveau theologeion apparait : « la presse ».

 

 

Déclinant l’offre théopoéthique, notre philosophe découvre pour nous la poésie de l’éloge, de la patience, de l’exagération, toutes stratégies, néanmoins sincères, cependant au service des dogmes et de leurs servants. Ces « virtuoses religieux » peuvent être à la source d’œuvres sacrées magnifiques, dont la dimension spirituelle et transcendante est à l’honneur de l’humanité. Bientôt le kérygme (ou partage de l'essentiel de la foi chrétienne) se change en propagande, lançant des « offensives de l’offre ». Mais leurs excès comprirent « le travail de la persuasion armée » ; ce plus encore dans l’Islam, « religion au pouvoir » dont les conquêtes se firent moins par la diffusion de la foi que par le fil du sabre. Bien au-delà du concept de « militia Christi » théorisé par Tertullien, la théopoétique devient théopolitique ; le drame islamique, enivré de ses succès, « propageait la terreur sur la base de la traduction de versets sacrés dans les effets des armes ». S’il faut le dire plus nettement, « il incarne l’unique variante du monothéisme à avoir été créée comme un mouvement élitaire déterminé à employer la violence », usant sans partage de la soumission, qui est le sens du mot « Islam » ainsi que de « sexisme cru ». « On ne plaisante pas avec la fiction », ironise Peter Sloterdijk.

Comme le conclue notre philosophe, en son dernier chapitre intitulé « Liberté religieuse », l’on peut espérer imaginer que libérées de leurs fonctions sociales et politiques, les religions pourraient se consacrer à l’interprétation de l’existence dans un contexte universel, en concurrence, voire en congruence avec la philosophie et les arts.

Même si parfois Peter Sloterdijk, immense philosophe des « Sphères[5] », jongle avec les concepts et les métaphores comme un cracheur de langue de feu, un prosateur pyrotechnique recyclant non sans humour les concepts dans un sabir outrageusement contemporain, dont certains esprits chagrins oseraient s’irriter (à l’occasion du « cloud solaire » par exemple ou du « pressing transcendant » du purgatoire), il sait avec un brio fou faire pétiller notre esprit, décapant la couche de poussière accumulée sur la pensée et ouvrant des perspective inédites à l’intellect gourmand de critiques avisées, autant abyssales que stratosphériques, de notre monde comme il va et ne va pas religieusement.

Il est évident que Roberto Calasso, Jean-Louis Poirier et Pierre Bouretz d’une part et Peter Sloterdijk d’autre part ne font pas parler les dieux de la même manière. Les essayistes recueillent et revitalisent leur parole incluse dans les mythes, quand le philosophe montre combien ces fictions religieuses sont les porte-voix des volontés de pouvoir de l’humanité. Si les religions pensent poétiquement le monde, elles le pensent un peu trop souvent politiquement. Lorsque des religions meurent, tombent en désuétude, elles deviennent des mythologies. Ne reste plus qu’à souhaiter que les religions marxistes puis écologistes rejoignent les cieux fictionnels d’où elles n’auraient jamais dû descendre tant elles sont également des amplificateurs de discours appelant à la prise de pouvoir.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[3] Pierre Bouretz : Lumières du Moyen Âge, Gallimard, 2015.

[5] Voir : Les Sphères de Peter Sloterdijk

 

Santa Maria Gloriosa dei Frari, Venezia. Photo : T. Guinhut.

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8 mai 2021 6 08 /05 /mai /2021 09:15

 

Bois de Saint-Benoit, Vienne. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Philippe Jaccottet

ou les derniers recueils de l’inquiète beauté :

Le Dernier livre de Madrigaux,

La Clarté Notre-Dame.

 

 

 

Philippe Jaccottet : Le Denier livre de Madrigaux,

Gallimard, 2021, 48 p, 9 €.

 

Philippe Jaccottet : La Clarté Notre-Dame,

Gallimard, 2021, 48 p, 10 €.

 

 

 

La disparition de l’homme est encore l’apparition du poème. D’abord parce que le 24 février dernier Philippe Jaccottet a rejoint la tombe, ensuite parce que deux recueils posthumes viennent nous enchanter, et surtout parce que la poésie garde sans cesse, à chaque fois qu’une page ouvre, son « cahier de verdure », et le pouvoir de vivre dans ses mots. De La Clarté Notre-Dame au Dernier livre des madrigaux, l’écriture conserve sa finesse translucide, non sans ombres orphiques.

Inactuelle, intemporelle, la poésie de Philippe Jaccottet trouve refuge dans la lecture, et son corollaire la traduction, dans la musique et dans une nature qui ne se range sous aucun drapeau, qu’il soit romantique ou écologiste. De modestes éblouissements, comme des aquarelles verbales, parcourent le Cahier de verdure ou Le Verger, ce depuis son premier recueil d’importance, L’Effraie, paru en 1953.

La conscience de l’impuissance de la littérature n’empêche pas son développement, comme celui d’un enfant destiné à grandir. Pourtant, dès son Requiem de 1947, dont il condamnait l’emphase et qu’il consentit néanmoins à voir publier en appendice du volume de La Pléiade[1], face à des photographies de maquisards abattus par les Nazis, il n’a pu que pleurer ceux qui n’ont pu atteindre la maturité, fauchés par la violence du monde, par les balles du totalitarisme.

Reste en dépit du mal une « lumière terrestre » à célébrer. Ainsi La Clarté Notre-Dame confronte une délicieuse promenade et l’évocation d’un journaliste emprisonné à Damas qui entend les cris des torturés : « J’ai pensé aussitôt que je ne pourrais jamais chasser cette scène de mon esprit, et qu’elle était de nature à saper tout ce que j’avais pu et pourrais encore essayer d’édifier à la gloire de cette lumière terrestre que j’avais eu la chance, indue, sûrement indue, de recevoir en partage ». L’écriture est alors une conjuration, un exorcisme, comme celle exercée par la « clarté » de l’école de Notre-Dame, cette esthétique musicale de la fin du XI° siècle, dans laquelle s’illustrèrent les voix religieuses et transcendantes et résonantes du « Viderunt omnes » de Perotin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si l’on ne sait dans quelle mesure Philippe Jaccottet fait allusion à cette dernière musique, c’est de toute évidence plus explicitement qu’il titre un recueil Le Dernier livre de Madrigaux, nommant en outre Monteverdi (1567-1643) en ces vers. Il fut en effet le génial madrigaliste qui inventa le « stilo concitato » (agité) en ces neuf livres de madrigaux, dont le célèbre « Combat de Tancrède et Clorinde », sans omettre les opéras, en particulier Orfeo, auquel notre poète fait écho, en évoquant l’inéluctable disparition d’Eurydice :

 

« On croirait, quand il chante, qu’il appelle une ombre

qu’il aurait entrevue un jour dans une forêt

et qu’il faudrait  fût-ce au prix de son âme, retenir :

c’est par urgence que sa voix prend feu ».

 

Tout prodige de la lyre est en effet un Orphée qui poursuit l’ombre de son Eurydice que les enfers retiennent. L’on devine également les reflets mouvants des lectures qui accompagnèrent longtemps Philippe Jaccottet : Ovide, Dante, mais surtout Hölderlin, révéré à la fin de La Clarté Notre-Dame

Une voix orphique chante « la lampe » des « cerisiers blancs », puis « le chariot » des étoiles. Le vin offert « À la beauté du monde » se voit couplé « À la douleur du monde ». Rêvant autour des jeunes filles de Dante et de Cavalcanti, il voit ses « mains tachées par l’âge », alors que menacent de sombres barques.

C’est alors qu’une mince trentaine de poèmes devient aussi vaste que les mythes et que le ciel aux constellations éparses. Le royaume des ombres est traversé en empruntant les traces d’Orphée, d’Ulysse et Pénélope, qui retisse « le tissu bleu du ciel » ; les saisons sont chargées de lumière, ce thème récurrent depuis des décennies. Tout cela illuminé par une intense musicalité, par l’afflux des couleurs : « vert cru, rose angélique et bleu d’iris ». Peut-être faut-il lire en cette esthétique une conception platonicienne : « Il est une beauté que les yeux et les mains touchent / et qui fait faire au cœur un premier degré dans le chant ». Elle s’élève dans le feu diurne des moissons, mais aussi dans l’immensité des nocturnes constellations. Elle est quelque sorte une transcendance sans dieu : « comme si / le Cygne insaisissable entrait enfin dans notre chambre / et qu’il nous eût frôlé de son regard ou de ses plumes… ».

 Il ne s’agit pas cependant d’une écriture néo-classique, mais plutôt d’effluves baroques, comme lorsque celui qui pourrait être Eros apparait en un « archer noir aux trop froides flèches ». C’est à la recherche de la beauté, la beauté poignante d’une écriture : « Mais la lumière de ma vie, oiseaux cruels, / laissez-la-moi pour éclairer novembre ».

 

Clocher de Saint-André, Niort, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.

Aux vers libres du Dernier livre de Madrigaux, répondent, comme en un miroir biaisé, les proses de La Clarté Notre-Dame, écrites entre 2015 et 2020. Lors d’une promenade, une mince cloche des vêpres « à la Clarté Notre-Dame », éveille l’affut des sens et de l’intellect. Quel est ce  signal précieux de l’existence qu’il faut « garder vivant comme un oiseau dans la paume de la main », en une rare synesthésie ? Est-ce « figurer le silence », une « sorte de parole » ?

Se remémorant son Requiem de 1946, c’est en son « grand âge » que « si peu de signes du monde » l’atteignent encore, comme une évidence dont il faudrait tirer, qui sait, une résolution salvatrice. Les souvenirs affluent, depuis les montagnes de Sils-Maria et la chambre de Rainer Maria Rilke à Soglio. Nature et poésie vont la main dans la main ; cependant, bien que cette cloche soit venue d’un couvent, elle est « sans résonnance religieuse ». Reste ce qui légitime l’éphémère existence : « beauté surnaturelle », « joie ». Quoiqu’en un mouvement pendulaire ces dernières soient toujours menacées par les « plus bas cercles de l’enfer ». De surcroit viendrait-on à composer le plus beau poème « pour écran à la mort […] rien n’y ferait »…

Poétiques, ces proses crépusculaires le sont sans nul doute, malgré la méfiance envers les comparaisons, les métaphores, « le recours au « comme », l’outil presque trop empressé et quelquefois machinal des poètes ». La difficile cristallisation de l’émotion au moyen des mots et de la syntaxe, sans aucune grandiloquence, trouve une fragile acmé face à une désolante métaphysique.

Si le premier recueil vient des années quatre-vingts, son jumeau est un nouveau-né. Voilà bien une volonté délibérée de la part du poète de les livrer au dernier soir de sa vie, voire de manière posthume, en guise de mélancolique et testamentaire poétique, à tout le moins une quintessence en héritage, soit « des essaims d’anges très frêles ».

Le moins que l’on puisse est que le sentiment de finitude inéluctable traverse l’œuvre entière, comme l’ombre des orages empêche la lumière du jour, dès le recueil L’Effraie[3], en quelque sorte inaugural :

 

« Sois tranquille, cela viendra!
Tu te rapproches, tu brûles!
Car le mot qui sera à la fin du poème, plus que le premier sera proche de ta mort, qui ne s'arrête pas en chemin.

Ne crois pas qu'elle aille s'endormir sous des branches ou reprendre souffle pendant que tu écris.
Même quand tu bois à la bouche qui étanche la pire soif, la douce bouche avec ses cris doux, même quand tu serres avec force le nœud de vos quatre bras pour être bien immobiles dans la brûlante obscurité de vos cheveux
elle vient,
Dieu sait par quels détours, vers vous deux, de très loin ou déjà tout près, mais sois tranquille, elle vient : d'un à l'autre mot tu es plus vieux
».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Repensons à ce bouquet de textes critiques consacrés à la poésie française du XX° siècle, L’Entretien des muses[2] : « Jamais un livre de poèmes n'aura été pour moi objet de connaissance pure : plutôt une porte ouverte, ou entrouverte, quelquefois trop vite refermée sur plus de réalité. Tout simplement, je n'ai commencé d'écrire des chroniques que pour avoir été attiré, éclairé, nourri, par certaines œuvres ; pour m'être attristé ou indigné de les voir méconnues ; pour avoir espéré leur gagner quelques lecteurs. Aussi s'agissait-il moins, pour moi, de bâtir une œuvre critique à leur propos, que d'essayer d'ouvrir un chemin dans leur direction ; en souhaitant que ce chemin, une fois l'œuvre atteinte, fût oublié ». Or, au-delà de cette ascèse qui sait se disposer au service d’autrui, ce « plus de réalité », si il a son plus grâce la parole poétique, ne peut plus se satisfaire, malgré la nostalgie qu’elle en a, des mythes orphiques, des consolations de l’au-delà. Ainsi écrivait-il dans cet incisif recueil, À la lumière d’hiver[4]:

 

« Longuement autrefois j’ai regardé ces barques des tombeaux

pareilles à la corne de la lune.

Aujourd’hui je ne crois plus que l’âme en ait l’usage,

ni d’aucun baume, ni d’aucune carte des Enfers ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Repensons également à la façon dont en 1990 Philippe Jaccottet évoque, dans les proses poétiques de son Cahier de verdure[5], les pivoines : « Non qu’elles soient farouches, ou moqueuses, ou coquettes ! Elles ne veulent pas qu’on parle à leur place. Ni qu’on les couvre d’éloges, ou les compare à tout et à rien. (…) Elles habitent un autre monde en même temps que celui d’ici ; c’est pourquoi justement elles vous échappent, vous obsèdent. Comme une porte qui serait à la fois, inexplicablement, entrouverte et verrouillée ». Et, ajouterons-nous, comme celle du « blason vert et blanc » d’un petit verger de cognassiers en fleurs. Au-delà de la dévoration du temps et de la contingence, il y a une nécessité inhérente à la condition de l’homme dans le monde : « j’en viens à me demander si la chose « la plus belle », ressentie instinctivement comme telle, n’est pas la chose la plus proche du secret de ce monde, la traduction la plus fidèle du message qu’on croirait parfois lancé dans l’air jusqu’à nous ; ou, si l’on veut, l’ouverture la plus juste sur ce qui ne peut être saisi autrement, sur cette sorte d’espace où l’on ne peut entrer mais qu’elle dévoile un instant ». Est-ce un écho du mythe de l’âge d’or ? De l’idylle et de la pastorale qui ont marqué l’histoire littéraire ? Ou plus exactement la responsabilité de toujours qui incombe au poète de dire l’ineffable beauté…

Peu après Yves Bonnefoy[6], décédé en 2016, un autre grand confiant en la tradition de la poésie nous quitte discrètement, alors qu’il semble avoir choisi pour ultimes recueils de livrer avec ceux-ci la clef labile de son esthétique, et ainsi entrouvrir une porte vers la clarté inquiète de son œuvre entière. « Ainsi ma vie, si près de s’achever, se découvrirait-elle enfin comme une apparence de sens », conclue-t-il dans La Clarté Notre-Dame, tout en observant un conditionnel. Né en 1925 en Suisse romande, vivant le plus souvent à Grignan dans la Drôme, à l’ombre séculaire de Madame de Sévigné, il avait traversé presque un siècle, dont les convulsions l’ont paradoxalement amené à l’essentiel. Il fut un traducteur scrupuleux et sensible, rien moins que du grec l’Odyssée d’Homère, en vers libres, de l’allemand L’Homme sans qualités de Robert Musil, ou La Mort à Venise de Thomas Mann, de l’italien Giuseppe Ungaretti, du russe Ossip Mandelstam[7]… Savait-il que pour bon nombre d’entre nous ses recueils ne nous quitteraient pas, qu’ils auraient un nid secret dans nos bibliothèques, qu’ils sauraient témoigner de la beauté métaphysiquement menacée du monde sensible ?

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Philippe Jaccottet : Œuvres, La Pléiade, Gallimard, 2014.

[2] Philippe Jaccottet : L’Entretien des muses, Poésie Gallimard, 2015.

[3] Philippe Jaccottet : L'Effraie. Poésie 1946-1967, Poésie Gallimard, 1971.

[4] Philippe Jaccottet : À la lumière d’hiver, Poésie Gallimard, 1994.

[5] Philippe Jaccottet : Cahier de verdure, suivi de Après beaucoup d’années, Poésie Gallimard, 1990.

[7] Voir : Pour Mandelstam ou de la poésie à Voronej

 

Bougon, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.

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5 mai 2021 3 05 /05 /mai /2021 14:58

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Eloge des éditions

Monsieur Toussaint Louverture.

 

Esthétique du déchet par Jonathan Miles :

Tu ne désireras pas.

Suivi par Watership down, La Rivière pourquoi,

Et quelquefois j’ai comme une grande idée,

Moi ce que j'aime c'est les monstres, etc.

 

Jonathan Miles : Tu ne désireras pas,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Charles Khalifa,

Monsieur Toussaint Louverture, 2021, 464 p, 24,50 €.

 

David James Duncan : La Rivière pourquoi,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Lederer,

Monsieur Toussaint Louverture, « Les grands animaux », 2021, 480 p, 12 €.

 

 

 

S’il existait des Victoires de l’édition, comme il en existe pour la musique, en particulier classique - cela va de soit -, nous prendrions résolument le risque de les décerner à Monsieur Toussaint Louverture. Tirant son étendard du libérateur d’une île caraïbe, qui la débarrassa de l’esclavage, une maison d’édition frappe par sa fantaisie, son ambition, son soin attaché aux maquettes et aux reliures, soin trop souvent absent d’officines patentées. Il a beau publier un titre programmatique, Tu ne désireras pas, nous désirons ardemment les livres de Monsieur Toussaint Louverture, dont Et quelquefois j’ai comme une grande idée, de Ken Kesey pourrait être une autre formule de la sérendipité de son entreprise. Qu’il publie des romans monstres, scandinave ou letton, américains et déjantés, ou encore des romans graphiques, nos pupilles et papilles glissent sur les couvertures illustrées et mordorées, voire merveilleusement luxueuses, à tout le moins purement graphiques en sa collection de poches, même si certains titres peuvent paraitre plus négligeables, avec la furieuse envie de les dévorer lentement.

Non, il ne s’agit ni d’un manuel bouddhiste ni d’une leçon d’ataraxie antique. Quoique… Car le romancier américain Jonathan Miles (né en 1971) commande : Tu ne désireras pas. Ainsi serait assurée la tranquillité de l’âme, tant le désir entraîne son insatisfaction et son éternel retour lancinant. Il s’agit plutôt de savoir combien ce même désir chevillé au corps entraîne de consommation et surtout de déchets. D’où des personnages triant le gaspillage contemporain, faisant profession de récupération, et d’autres, leurs contre-miroirs, qui ne cessent d’en vouloir toujours plus, et sont donc des fauteurs de restes et d’ordures, là où sociologie du présent et archéologie future se croisent.

Investissant un appartement vide en plein New York, Micah et Talmage sont des squatteurs qui vivent d’un peu d’amour et de « déchétarisme », mode de vie entre recyclage et écologisme, le second avalant « de pleines fourchetées d’idéologie » auprès de la première, « végan stricte », qui eut une enfance autarcique à la Robinson et « un rêve d’Eden » - ce qui est l’un des plus beaux récits d’aventure et d’éducation du roman.

Autour d’eux, Elwin, linguiste et « médecin légiste des langues mortes », dépouille une biche tuée par sa voiture et en récupère la chair dont il nourrit son obésité. Il est censé contribuer à prévenir du danger d’un dépotoir nucléaire, délivrer un message destiné à résister à l’entropie jusqu’à la fin des temps ; alors que son père est délabré par la maladie d’Alzheimer. Un « garde-meuble » encombré devient le « mausolée » d’une victime du 11 septembre, sous les yeux de Sara, sa veuve, flanquée d’Alexis, une adolescente dévorée d’angoisses et obsédée par les punaises, dont le bébé risque de finir à la poubelle, à moins qu’il soit une espérance…

Par chapitres alternés, l’on passe du « squat d’apocalypse » aux vieilles créances impayées et rachetées par Dave en vue d’un bénéfice fabuleux : « des Lazare financiers que l’on faisait lever de leur tombe ». Face au site de déchets nucléaires, Elwin épilogue sur la disparition des bibliothèques de l’Antiquité : « On a juste des tombes et des tas d’ordures », tant en récitant les derniers vers d’ « Ozymandias » de Shelley : « Autour de la ruine / De ce colossal débris, sans bornes et nus / Les sables solitaires et unis s’étendent au loin[1] ».

La fresque sociale est certes une satire de la société de consommation, néanmoins peu manichéenne ; mais les psychologies individuelles y sont passées au scalpel, le pathétique omniprésent suscite la pitié, mais aussi le rire lors de scènes épiques et picaresques, et l’on craint de finir son existaence dans un broyeur à ordures puant. Là où chaque forme de déchet est la métaphore d’une personnalité, d’une vie, une amère philosophie morale exsude de cette somme qui va croissant en beautés : que reste-t-il de nous sinon nos épaves ?

En dépit d’un vocabulaire courant, voire vulgaire, le roman s’honore de bien des métaphores qui jaillissent dès l’incipit. Ce qui ne s’épuise guère en cours de lecture, tellement l’on croise de belles bricoles : « un lustre pendouillant du plafond en ruines tel le corps desséché d’un alpiniste étranglé par sa corde de rappel ». Que faire de ce « capharnaüm du connu et de l’inconnu », sinon un roman ?

Tu ne désireras pas fait partie de ces romans ambitieux comme savent parfois en produire les Etats Unis d’Amérique. Il a su agréger son polyèdre de récits autour d’un concept générateur, soit la relation entre le désir et le déchet, comme le firent les plus grands : William Gaddis[2] autour des « reconnaissances », et, à une plus modeste hauteur, les « corrections » d’un autre Jonathan, Franzen[3] cette fois. En un volume somptueusement vêtu par son éditeur esthète, il faut fouiller les débris dérisoires et splendides d’une civilisation, où sans nul doute, l’on trouvera, en sa plus noble expression, la littérature.

 

Selon l’argumentaire facétieux de l’éditeur, « Les grands animaux » est une collection de poches « qui rassure Monsieur Toussaint Louverture, dans laquelle sont publiés des livres cultes, des grands romans et des chefs-d’œuvre de façon suffisamment belle pour que vous ayez envie de les voler, mais suffisamment accessible pour que vous n’ayez pas à le faire ». Au sein de ces poches en forme de discrets bijoux, les ouvrages s’abritent sous une jaquette qui est « du Pop’Set riviera Blue de 170 grammes sur laquelle a coulé la plus limpide des dorures ». La chose est aussi joliment dite pour les papiers et la police, à chaque fois soumises à variation ; ce qui autorise de lire tous les colophons comme de véritables poèmes.

La fantaisie de Monsieur Toussaint Louverture ne lui a pas permis d’ignorer un classique de la littérature britannique, soit un roman de fantasy animalière : Watership down de Richard Adams[4]. Les lapins aussi ont droit aussi à leur Iliade et à leur Enéide. Car ces gracieux mammifères, menacés par les activités humaines, doivent fuir leur  garenne natale, à la recherche d’une nouvelle Rome pour installer une colonie. C’est, à travers la campagne anglaise, le déploiement d'une aventure épique jalonnée de nombreux obstacles et péripéties, sans oublier plusieurs rencontres qui vont changer la manière de voir le monde de ces agiles quadrupèdes. Ces actives peluches - et néanmoins sauvages -, aux oreilles sensitives, ont leur langage, leur mythologie, organisent leur société et leurs mœurs, en une étonnante métaphore de l’humanité, à la fois poétique et satirique : « Je me sers d’animaux pour instruire les hommes », disait Jean de La Fontaine. Ce que Richard Adams n’a point oublié en son apologue passablement humoristique, et plus sérieux qu’il n’y parait.

Semblant dès son titre promettre de répondre à bien des questions existentielles, voici La Rivière pourquoi, signée David James Duncan. La chose pourrait paraître aussi anodine qu’une histoire de pêcheurs à la mouche du côté des monts de l’Oregon, quoique solidement trempée par l’humour. Or l’on n’échappera pas, et c’est heureux, aux allusions plus ou moins philosophiques qui tissent le récit : « Pêcher ? Pêcher quoi ? – Le bonheur, la consolation, la façon de comprendre la mort de quelqu’un comme Abe, le pourquoi de la Tamanawis, la beauté d’une Eddy […] la tradition éternelle qui, avec le soufi Attar[5], proclame que « Du dos du poisson à la lune, / chaque atome est témoin de son existence ».

Né d’un paternel, pêcheur à la mouche impénitent et écrivain volontiers ampoulé, surnommé « H20 », et d’une mère « cow girl » de la pêche au ver, simplement appelée « Ma », Gus Orviston, héritant des qualités et travers de ses deux parents, nous raconte sa vie qui, à peu de choses près, se résume à son irréfragable passion pour la pêche. Parmi des torrents bouillonnants, des gorges sauvages, des rapides et des cascades, le gugusse est à la recherche d’un graal, la rivière parfaite qui répondrait à ses désirs et rédimerait ses alternances de désespoir et d’euphorie. 

Que Gus Orviston, prodige de la pêche s’il en est, rencontre « adorable pêcheuse », perchée dans un arbre au-dessus de l’eau, un cadavre ou un chien philosophe nommé « Descartes », il mêle registre épique et burlesque. Oscillant entre désespoir et euphorie, enchainant prise de truite de mer ou de torrent, saumon aux couleurs rosées, il satisfait autant les inconditionnels de l’ichtyologie que les amateurs de récit enlevé, poudré de satire et d’enthousiasme, non sans autodérision. Car le saumon est ici un Moby Dick au petit pied. Au-delà des aventures aquatiques, La Rivière pourquoi se veut un hymne lyrique à la beauté de l’existence et à la liberté dans le cadre d’une nature sauvage. Le roman d’apprentissage associe le souci de l’écologie et un mysticisme un tant soit peu allumé : « Alors, j’ai su que la ligne de lumière ne menait pas à un royaume mais à un être, que la lumière et l’hameçon étaient à lui et qu’ils n’étaient faits que d’amour ».

Né en 1952 à Portland, dans l’Oregon, David James Duncan s’est fait un nom avec ses deux romans à succès The River Why (1983), d’abord traduit sous le titre La vie selon Gus Orviston en 1999, et The Brothers K [6] en 1992, qui ne sont pourtant guère kafkaïens. Les bottes de pêche aux pieds, la canne à la main, il n’en pas moins l’esprit affuté par la lecture d’écrivains et philosophes spiritualistes, d’Hermann Hesse à Gandhi. L’on se doute qu’il a bien des affinités avec le « nature writing » américain, de Thoreau[7] à Gary Snyder et Jim Harrisson, quoiqu’il ne dédaigne pas Ken Kensey.

 

Visiblement « la grande idée » de son roman pansu a rencontré ces lecteurs, au point qu’il bénéficie chez notre Monsieur Toussaint Louverture d’un triptyque éditorial : sa première édition, courante et bleutée, soignée à l’habitude, son poche et son luxueux écrin orné d’un cœur arbustif et doré (soit l’ « édition Wakonda », déjà épuisée). Les huit cents pages buissonnantes du deuxième roman de L'Américain Ken Kesey (1935-2001) se parent d’un titre à la fois modeste et hyperbolique, qui pourrait être chez notre éditeur une devise : Et quelquefois j'ai comme une grande idée.

C’est un drôle de loustic psychédélique que ce Ken Kesey, pratiquant l’écriture excitée par diverses substances hallucinogènes. Son premier roman, Vol au-dessus d'un nid de coucou[8], avait été remarqué pour son traitement psychiatrique halluciné, avant de se payer un trouble succès, dopé qu’il fut par le film de Milos Forman qui s’ensuivit et dans lequel l’acteur Jack Nicholson est joliment horrifique.

Nous sommes encore une fois dans l'Oregon, sur la côte pacifique des Etats-Unis, mais à « Wakonda », où pullulent et jaillissent des sapins géants, nous dédaignant du haut de leur cent mètres. Il faut bien en abattre pour vivre, mais les bûcherons se mettent en grève, avec le secours de leur syndicat dirigé par Jonathan Bailey Draeger. Sauf que dans le clan des Stamper, une famille un peu tête de cochon, l’on préfère braver le syndicat, suspendre un bras arraché devant sa maison en guise de déclaration de guerre, augmenter l’abattage et la production de grumes qui descendent la rivière en direction des scieries. Pérennisant le mythe du colon américain, le trentenaire et « illettré » Hank Stamper use de sa force physique à l’envie lorsqu’il lui vient l’idée d’appeler à la rescousse son demi-frère, Leland ou Lee, qui à vingt-quatre ans, revient de New York où il vivait avec sa mère. Ce dernier est à l’antithèse de Hank, car étudiant chétif, de surcroit nourri de rancune : n’aurait-il pas en tête quelque plan vengeur ? La confrontation aura lieu sous les yeux du patriarche octogénaire déclinant, Henry, focalisant le conflit des bûcherons sur ces deux acteurs bien opposés. Le duel entre la brute et le subtil jeunot ne sera pas aussi manichéen qu’on pourrait l’imaginer. Le premier est un franc gros bras, le second plus pervers qu’il n’y parait. Le suspense se double du trouble comportement de Viv, l’épouse de Hank, jolie à souhait. L’on n’oubliera pas maints personnages secondaires gravés avec autant d’acuité, alors que les retours au passé familial construisent le soubassement de la fresque, que s’échangent les voix au moyen de dialogues entrecroisés et animés, sans compter les italiques du monologue intérieur, en une polyphonie qui double la narration, comme si nous étions sur la scène d’un théâtre antique, alors que les rugissements des eaux et des vents jouent le rôle du chœur. Le combat final est un morceau d’anthologie : «  mon frère et moi sommes finalement, totalement, éperdument tombés dans les bras l’un de l’autre pour notre première, dernière et si longuement attendue danse de la Haine, de la Peine et de l’Amour ». Le conflit familial et social est devenu un chant épique, parmi une nature plus puissante que l’humanité : « Tout est vanité et poursuite du vent »…

 

Photo : T. Guinhut.

Sans vouloir ni pouvoir être exhaustifs, rendons justice à quelque titres phares de Monsieur Toussaint Louverture, que nous avons d’ailleurs déjà chroniqués dans les pages du Matricule des anges et sur celles de ce blog. Par exemple, Mariam Petrosyan avec La Maison dans laquelle, Jan Kjaerstad avec Le Séducteur, ou encore Vilnius poker, de Ricardas Gavelis, quoique nous omettions ici, Personne ne gagne, de Jack Black[9], ou Kairo de Steve Tesich[10]. Et tous ceux que notre appétit de lecture n’a pas eu la force de dévorer…

Où se trouve cette « Maison », dont Mariam Petrosyan ne précise pas « laquelle » ? Mystère. L’on sait bientôt qu’à dix-huit ans il faut la quitter, toujours à son plus grand regret. Mais au lecteur il faudra une patiente persévérance, au long cours de quelques centaines de pages, pour comprendre qu’il s’agit d’un « internat pour enfants handicapés », ou bien inadaptés, rejetés, parmi lesquels on distingue les « Roulants » et les autres. Elle est parfois surnommée la « Maison Grise » des « enfants-chiendents ». L’on pourrait croire que cette prison délicieusement consentie n’est que masculine, ignorante du sexe opposé, alors que les filles ne sont que des ombres de la bibliothèque, habitant un autre étage, plus lointain que la stratosphère ; quand, au milieu du livre, « la Nouvelle Loi » permet soudain de visiter les uns, les unes et les autres, de découvrir « Rousse », « Sirène », « Chimère », « Aiguille »...

L’on vit par dortoirs, par confréries, d’où l’on exclut l’un, où l’on accueille les autres. Là règnent des conventions, des rituels, des interdits, des conflits et des complicités. Les clans se surveillent, s’affrontent, chapeautés par des mâles dominants. Même si l’on n’y est jamais seul, en un chaud collectivisme, en une lourde et menaçante promiscuité, chacun peut se ménager des moments d’intériorité, sous ses couvertures, dans un coin de la cour, voire dans la punition de la « Cage ». Pour ses habitants, la « Maison » est l’espace d’une « enfance sauvage et libre », où ils peignent les murs, font de la musique, écrivent des poèmes, participent, en l’apothéose de la dernière nuit, à une « Nuit des Contes »[11]

 

Le Norvégien Jan Kjaerstad saute allègrement par-dessus la convention de la chronologie, écrivant en son Séducteur. À la manière d’une constellation, l’histoire de Jonas tourne autour de son point nodal : la mort de son épouse. Que l’on se rassure, il ne s’agit pas d’un énième policier, gonflant dangereusement les rayons d’un genre avide de clichés ; de plus la fin nous laissera au même plan cinématographique, non résolu. Outre le cadavre sanglant de l’épouse, c’est leur rencontre, lorsqu’enfants, leurs bicyclettes se heurtent, qui fait le « moyeu du récit », le lien entre école et maturité, et de la roue de l’existence. Le tableau familial est le biais par lequel passe une satire de la Norvège toute entière, aux nouveaux riches incultes et péremptoires, clinquants et affreusement conventionnels. Heureusement, l’enfance et l’adolescence du héros, racontées par facettes au moyen d’un narrateur omniscient, parfois critique, toujours mystérieux, sont entourées par divers initiateurs. Sa sœur dont l’exposé didactique exhibe son sexe à sa vue, son ami Gabriel aux bavardages infinis à bord d’un bateau qui faillit heurter un ferry, sa complice Néfertiti grâce à laquelle Jonas joue Duke Ellington à l’harmonica et « se transforma psychologiquement en homme du grenier ». De plus, autour de Jonas, de multiples figures de l’artiste éclairent sa mémoire et son espace : Ole Bull, le musicien virtuose du XIX° siècle, voyageant jusqu’au sommet des pyramides, le sculpteur Gustav Vigeland dont l’imagination gothique est « débridée », ou la peintre Dagny M., étrange et fascinante[12]...

 

Venu des tréfonds de l’Europe, voici un opus sombre, inquiétant, monstrueux. En un mot : fascinant : Vilnius poker, de Ricardas Gavelis. Il émane d’ « au-delà des barbelés » du goulag, ravivant le passé de la Lituanie, entre chape de plomb soviétique et indépendance rêvée. En autant de parties, quatre voix effectuent cette descente aux Enfers littéraire, se débattent à la recherche d’une liberté impossible : Vytautas, l’ex-prisonnier, au sexe de « bête couvert de cicatrices », Martynas, auteur d’un « Extrait des marmoires », la blonde Stefania, enfin la « Vox canina » d’un étrange chien philosophe.

Vytautas Vargalys, qui est peut-être le double de son auteur, n’est-il qu’un narrateur paranoïaque ? Dans un immense et labyrinthique monologue intérieur, seulement parfois coupé de dialogues, il exhibe sa personnalité trouble, ses errances dans Vilnius, la capitale lituanienne, sa brève passion pour une « Circé des carrefours ». Epié, pense-t-il, par une « organisation fantomatique », il se fait embaucher par la bibliothèque, parmi les « informaticiens sans ordinateurs », chargés d’un catalogue absurde et inaccessible, mais pour « mener [son] enquête clandestine ». Qui sont-ils ? Tous ceux qui, au cours de l’Histoire, ont incendié des livres. Ils ont pour « but de kanuk’er les gens, de les priver de leur cerveau et de leur résolution ». À moins qu’ils soient l’allégorie du communisme qui vampirise la Lituanie, « des suppôts de Satan -tous ces Staline, Hitler, Pol Pot »… Au cours de cette quête des entités malfaisantes menacent la raison de Vytautas, seule la jeune, séduisante - et presque nabokovienne - Lolita parait lumineuse (il aime « le jazz de ses paroles »), si elle n’est pas un leurre dangereux. Elle participe à la tension érotique, parfois obscène, en aimant ceux qui sont marqués « par les glyphes du malheur ». En effet, l’anti-héros ne poursuivra son errance que jusqu’à son arrestation, sa disparition, probablement dans les « caves du KGB [13]».

 

Emil Ferris : Moi ce que j'aime c'est les monstres.

Si soucieux de qualité graphique, un tel éditeur ne pouvait omettre le roman graphique. En effet, « Moi ce que j’aime, c’est les monstres »[14], en plus, cela va sans dire, des livres de Monsieur Toussaint Louverture. Roman familial et maelström de hachures et de couleurs, les monstres d’Emil Ferris envahissent la psyché d’une petite fille tourmentée. L’abondance du noir et blanc griffé, des bleuâtres, des rouges sanglants et du violacé, intrigue, inquiète. Les prestiges dangereux, dépressifs, du fantastique et de la peur saisissent l’imagination du lecteur, vigoureusement sollicitée. Car le cocktail détonnant Chicago, vampires, Allemagne nazie, déferle sur l’existence de la petite Karen Reyes, qui n’a que dix ans. La vulnérable héroïne, affublée d’un imperméable de détective, se rêve en loup garou pour transcender la violence familiale et urbaine. Sa belle voisine, Anka Silverberg, prétendument suicidée d’une balle dans le cœur, se révèle une revenante des camps nazis, ce qui donne lieu aux plages d’un récit emboité. Un monstruit pandémonium s'abat alors sur Chicago, prête à courir à feu et à sang, à l’occasion du meurtre de Martin Luther King, autant que dans le psychisme torturé du miroir déformant de la jeune narratrice. Elle lit des magazines d’horreur, dessine sans cesse, entre dans les tableaux de l’Art Institute, enquête au sujet d’Anka, côtoie le cancer de sa mère, rencontre des « filles-serrures »… Sous ses canines protubérantes imaginaires elle pense achever la « vie de non-morts » des vampires. En ce combat entre le bien et le mal qui l’assaille, sa quête lui permet-elle, au travers des peintres du musée, de trouver Victor, son frère monstrueux perdu ?

L’ouvrage, prétendant être en partie autobiographique, est sans nul doute fantastique, car menacé par le pire de notre monde et du surnaturel, magnifié par des crayons virtuoses. Les allusions à des œuvres d’art, à la littérature, fourmillent, sans compter la religion, le satanisme, Dracula et Frankenstein… Onirique et cauchemardesque, caricatural, parodique, souvent tendre, morbide et psychologique, voire psychanalytique, le baroque opus, que l’on se concentre sur les textes ou sur les images, inséparables, n’ennuie pas un instant, nous emportant dans un maelstrom visuel et intellectuel proliférant. Lors, nous pensons à l’expressionnisme allemand, à M le Maudit de Fritz Lang, par exemple. Art Spiegelman, l’auteur de Maus[15] (cette bande dessinée où des chats nazis persécutent des souris juives) ne tarit pas d’éloges sur les monstres trop humains qui sont les excroissances vénéneuses du cerveau d’Emil Ferris. La romancière et graphiste, née à Chicago en 1962, fut mère célibataire, longuement handicapée par un virus, consacra cinq années à son œuvre, sans se préoccuper des standards de la bande dessinée, bousculant l’espace des pages. Tel est l’univers unique de ce surgeon du romantisme noir et du gothique anglais surgi du stylo-bille de Dame Emil Ferris.

Nous n’aurons pas ici exploré tout le catalogue, encore en ébullition, de Monsieur Toussaint Louverture, seulement jeté des coups de sonde, aux hasards concertés de nos lectures. Ce qui gisait, oublié au tréfonds d’autres maisons d’éditions françaises, ignorés parmi les champs de pépites des éditeurs étrangers, méconnus et lointains, brille là d’un éclat noir et d’un pétillement d’arc-en-ciel vigoureusement esthétique. Certes l’esprit chagrin regretterait qu’un tel éditeur ne prenne guère le risque de découvrir des inédits, des auteurs imberbes ou chenus que l’édition traditionnelle ne sait que dédaigner, mais qui saurait lui tenir rigueur de ne pas y risquer sa chemise ?

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Jonathan Miles a été publiée dans Le Matricule des anges, février 2021

 

[1] Percy Bysshe Shelley : « Ozymandias », Poèmes, p 147, Imprimerie Nationale, 2007.

[4] Richard Adams : Watership down, Monsieur Toussaint Louverture, 2016.

[6] David James Duncan : Les Frères K, Monsieur Toussaint Louverture, 2018.

[8] Ken Kesey : Vol au-dessus d'un nid de coucou, Stock, 2013.

[11] Voir la suite de cette critique : La maison

[12] Voir la suite de cette critique : Jan Kjaerstad : Le Séducteur, Aléa

[13] Voir la suite de cette critique : Ricardas Gavelis : Vilnius poker

[14] Emil Ferris : Moi ce que j’aime, c’est les monstres, Monsieur Toussaint Louverture, 2017.

[15] Art Spiegelman : Maus, Flammarion, 2019.

 

Ken Kesey : Et quelquefois j'ai comme une grande idée, édition Wakonda.

Photo : T. Guinhut.

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1 mai 2021 6 01 /05 /mai /2021 08:25

 

Krimmler wasserfälle, Salzburg, Österreich.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Familles et descendances

d’Allemagne et d’Autriche,

par Maxim Leo & Reinhard Kaiser-Mühlecker.

Là où nous sommes chez nous,

Lilas rouge.

 

 

Maxim Leo : Là où nous sommes chez nous. L’histoire de ma famille éparpillée,

traduit de l’allemand par Olivier Mannoni,

Actes Sud, 2021, 368 p, 22,80 €.

 

Reinhard Kaiser-Mühlecker : Lilas rouge,

traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Le Lay,

Verdier, 2021, 704 p, 30,50 €.

 

 

 

Le temps roule en cascade au travers de l’Histoire, qu’elle soit des peuples ou plus modestement familiale. Ancêtres, pères et mères, descendances enfin, ils vivent et meurent en Allemagne et en Autriche, et animent les fresques d'écrivains, qui se font historiens de l’humaine condition. D’une famille berlinoise, il ne reste que quatre personnes, du moins dans la ville de Berlin, car les autres, depuis les tourmentes des années trente, ont essaimé au loin : c’est « L’histoire de ma famille éparpillée » contée par Maxim Leo. Au contraire, ils sont tous restés, ces spectres autrichiens du nazisme, ces vivants se succédant tour à tour,  plantés par Reinhard Kaiser-Mühlecker entre leurs montagnes nourricières. Chroniqueur et romancier, ils radiographient les familles et l'Histoire du XX° siècle. C’est alors que la fonction de la littérature, chronique ou roman méticuleux, est celle de faire vivre, évoluer tout un monde, avec ses ombres brunes et ses lumières, non sans l’interpréter.

Un arbre généalogique préside à la lecture de Là où nous sommes chez nous de Maxim Leo. Or il est autant géographique que chronologique, car les branches originaires de Berlin se séparent vers Vienne, Londres et jusqu’à Haïfa, en Israël. L’auteur est avec Marion, Nina et Clara, l’un des seuls résidents de la capitale allemande au moment où il écrit. Autobiographique, le récit ne semble en rien entreprendre quelque chose de romancé.

Pour reconstituer, en une enquête à la fois mémorielle et d’un nouveau présent, les branches familiales éloignées, il faut à Maxim Leo voyager sur trois continents. En quelque sorte les trois grands-tantes sont les symboles de potentialités contraintes et offertes par l’époque : Hilde devient à Londres une actrice fêtée et richissime ; Irmgard étudie le droit pour en conclure qu’il lui faut se convertir au Judaïsme et aller participer à l’expansion d’Israël en fondant un kibboutz ; Ilse, enfin, a dû se cacher en France pour survivre et rejoindre ensuite Vienne en Autriche. Ainsi chaque personnage se voit avec soin portraituré, suivi dans son aventure au cours des différents chapitres, comme lorsqu’un puzzle se met en place. L’on découvre à travers eux « les bûchers de livres sur la Place de l’Opéra », un accouchement caché dans la France de Pétain, un tableau de Kandinsky conservé en dépit des circonstances tragiques, un voyage avec Walter Benjamin pour tenter de franchir les Pyrénées, une cachette dans la forêt française, « en mangeant des champignons et des baies sauvages et en buvant l’eau des torrents ». Ou l’immense capacité de rebondir de l’entreprenante Hilde, qui au moyen de son Leica photographie les enfants des écoles londoniennes pour contribuer au moral des soldats. Gagnant ainsi bien de l’argent, elle investit dans un immobilier déprécié en temps de guerre et fait ensuite fortune. Entre dimension sociale et dimension psychologique, au récit s’ajoutent des réflexions sur la judaïté, sur la nécessité de cacher ou de révéler les souffrances  des persécutés. L’on notera quelques coups de griffes politiques, dénonçant avec pertinence « la loi d’airain de la communauté » des kibboutz où « certains sont plus égaux que d’autres »…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si certains conservent leur appartenance durement conquise à la « terre promise », la plupart des descendants de ces personnages fondateurs cultivent cependant une nostalgie qui les pousse à revisiter, voire à s’installer à nouveau dans le nid berlinois : « L’histoire de ma famille ressemble à la lente course d’un pendule revenant à son point de départ ».

Le tableau est également celui d’une société diverse, entre Juifs qui croyaient ne rien devoir à leur judaïté, un fondateur du parti communiste allemand expulsé, et bien des figures auxquelles l’Histoire n’a pas toujours rendu justice. Ce « musée Grévin peuplé de personnages historiques », mais aussi de quelques photographies en noir et blanc, est cependant chaleureux, ponctué de péripéties, de drames, d’angoisses et de fins heureuses, parmi le chaos des tragédies de l’Europe. Même si l’on peut regretter que la qualité de l’écriture n’aille guère au de-là de celle d’une chronique, le récit aux multiples bras est riches d’enseignements. Il se termine sur une sorte de morale : « Lors de ce voyage familial, j’ai perdu quelques illusions, et en particulier celle que je suis le seul à décider de mon existence ».

Après avoir publié son Histoire d’un Allemand de l’Est[1], le journaliste au Berliner Zeitung Maxim Leo, né en 1970, tisse un récit à la fois personnel, intime, et une variation sur la quête des origines, sur les déchirures causées par le nazisme au travers d’un pays et d’une lignée, qui eut cependant l’à-propos et la chance de fuir dans les années trente pour construire leurs foyers sous d’autres cieux, plus cléments. Comme quoi l’Histoire, avec « sa grande hache », comme disait Georges Pérec, dans W ou le souvenir d’enfance[2], ne peut trouver sa rédemption qu’avec la littérature.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Qui est ce personnage à l’uniforme encore nazi qui doit troquer un vaste domaine pour un bien plus modeste, abandonné ? Quel lourd secret le hante ? La guerre tonne toujours autour de l’ancien forestier Goldberger et de la grande Allemagne. Alors que son fils Ferdinand est sur le front. C’est sur ces lourdes interrogations que s’enclenche le fil romanesque de Lilas rouge, tramé par Reinhard Kaiser-Mühlecker.

L’on comprend peu à peu que le trouble bonhomme est l’antenne locale du parti nazi, et qu’il avait « dénoncé les gens de son propre village ». Le Gauleiter l’a tiré de cette « affaire délicate, au fond désespérée », où il faillit laisser sa peau, en l’envoyant au « plat pays », cependant dans une montagneuse région. De longtemps l’on n’en sait guère plus sur ce crime contre l’humanité, alors que de de récurrentes visions, voire hallucinations, viennent troubler l’homme : « le précipice c’était lui ».

La guerre finie, il est pour lui question de se changer en agriculteur, d’épouser une veuve. Sauf si ses crimes le rattrapent. Car des inconnus viennent le rosser sévèrement. Une vie nouvelle semble s’amorcer avec le retour du fils, « Ferdinand junior ». Qui cependant s’approprie le domaine du père en l’évinçant. C’est sa fille, Martha, qui aime le lilas du titre : « elle tenait le bouquet comme on tient un cierge ». Cette fleur récurrente est la métaphore d’un bonheur impossible à rattraper. Car traumatisée par cet exil, il ne lui reste que ce souvenir, alors qu’elle se racornit dans les travaux et la solitude. Pourtant le cours de la vie reprend : elle se marie avec un marchand de bestiaux, tandis que Ferdinand épouse une brune qui ressemble à sa sœur. Martha finit sa vie mutique, répondant peut-être au silence où gît la faute originelle. Tous sont plus ou moins des butors, quoique matois, au point que Goldberger puisse amasser une fortune en achetant une carrière avec un sens des affaires pour le moins perfide, puis en la revendant. Quant au fils, il mène sa ferme avec succès.

Le roman familial, animé par un narrateur omniscient, par le temps cyclique des saisons et des générations, va de personnage en personnage, surtout lors de la troisième partie, après la mort du vieux Goldberger. S’agit-il d’un alter ego lorsque survient, venu du patriarche, un héritier impromptu, également nommé Ferdinand ? Est-il celui par qui le scandale arrive, ou celui qui assure la continuité… Un chevreuil à « la robe intégralement noire » en est peut-être la métaphore.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le personnage fondateur, son fils, voire la plupart des autres, n’attirent guère la sympathie du lecteur. Ce dernier y cherche la « banalité du mal », pour reprendre la célèbre formule d’Hannah Arendt[3]. Sans pitié, le romancier fouille la personnalité de chacun des protagonistes : le « métal lourd du passé » pèse sur toute la famille à des degrés divers. Comme le dieu vengeur de l’Ancien testament, dont la « malédiction vous frappe jusqu’à la septième génération ». Une sourde atmosphère entache les destinées, malgré la prospérité familiale. Il n’est cependant pas impossible que le temps efface cette vieille histoire pour permettre une lumineuse sérénité rurale, ce qui serait la morale de ce roman.

Patient, méticuleux, ce tableau d’une société traditionnelle, qui se modernise au cours de la seconde moitié du XX° siècle, prend lentement le lecteur dans ses filets, l’emmenant dans l’illusion de toucher par tous ses sens cet espace, ce temps, ces personnages rustiques. L’on y trouve par instants des descriptions paysagères à la Stifter[4], l’immense romantique autrichien, mais sans son lyrisme. L’opus de Reinhard Kaiser-Mühlecker, né en 1982, est cependant plus marqué par l’Histoire que son devancier. Il faut aimer les écritures lentes, l’attention aux détails et le mystère des âmes pour goûter ce rude roman aux intensités peu à peu révélées. En cette fresque réaliste où couvent les démons de l’Autriche, faut-il lire un roman psychologique, un roman historique, voire métaphysique ? Tout le talent de l’auteur est de faire affleurer parmi des personnages simples, voire frustres, toutes ces dimensions. Il ne manque plus qu’un autre romancier autrichien, Thomas Bernhardt[5], pour renverser le jeu de quilles et dénoncer avec virulence la pesanteur et les compromissions populaires…

Ce duo contrasté d’une chronique et d’un roman se rattache à la tradition allemande des romans d’une famille, dont le plus marquant fut peut-être, en 1901, Les Buddenbrook de Thomas Mann[6], dont le sous-titre révélateur est « Décadence d’une famille ». En effet cette lignée bourgeoise de Lubeck subit une lente déperdition de ses forces, en suscitant parmi ses derniers rejetons un univers artistique, poétique et sentimental, rendant leur vie intérieure plus riche et raffinée, Tout en minant leur volonté créatrice et leur capacité d’action pratique, jusqu’aux déliquescences morbides. La complicité avec l’art suppose un changement de civilisation, mais au risque de sa prospérité.

 

Thierry Guinhut

La partie sur Lilas rouge a été publiée dans Le Matricule des anges, avril 2021

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Maxim Leo : Histoire d’un Allemand de l’Est, Actes Sud, 2010.

[2] Georges Pérec : W ou le souvenir d’enfance, Denoël, 1975.

[6] Thomas Mann : Les Buddenbrook, Fayard, 1932.

 

Krimmler wasserfälle, Salzburg, Österreich.

Photo : T. Guinhut.

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24 avril 2021 6 24 /04 /avril /2021 09:42

 

Notre-Dame-la-Grande, Poitiers, Vienne.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

De Stefan George à Walter Benjamin :

les soixante-treize Sonnets,

hommage à l’ami défunt.

 

 

Stefan George : Choix de poèmes,

traduit de l’allemand par Maurice Boucher, 1941, Aubier Montaigne, 208 et 214 p.

 

Stefan George : Effigies, Maximin,

traduits de l’allemand par Eryck de Rubercy et Dominique Le Buhan,

Fata Morgana, 2006, 104 et 112 pages, 14,25 € chaque.

 

Walter Benjamin : Sonnets, traduit de l’allemand par Michel Métayer,

Walden n / Les Presses du réel, 2021, 208 p, 15 €.

 

 

 

Au-delà de la mort, y-a-t-il une pure éternité par la poésie ? Se regarder soi-même dans le miroir de l’autre semble être le dessein du poème de l’hommage, tels que ceux impubliés, celés, et cependant précieusement confiés à un ami, ces Sonnets de Walter Benjamin (1892-1940), qui ressurgissent enfin. Non comme une œuvre mineure, car il accordait bien plus d’importance à ses traductions de Charles Baudelaire, en particulier des « Tableaux parisiens ». Trop modeste à l’évidence, l’auteur de Paris capitale du XIX° siècle[1], consacra, entre 1914 et 1924, rien moins que soixante-treize sonnets à un ami défunt. S’ils sont bien assez solides et beaux pour honorer la bibliographie de notre philosophe, désormais poète à part entière, il serait aventureux de les lire sans considérer un moment la poésie de son contemporain du point de vue historique et prédécesseur du point de vue esthétique : Stefan George.

Walter Benjamin connaissait fort bien la poésie de Stefan George. La preuve, cette recension d’une étude de K. A. Stempflinger, intitulée Retour sur Stefan George. Pour notre philosophe, « le symbolisme de cette œuvre est ce qu’elle a de plus caduc», de la part d’un auteur qui avait cependant « la prescience de la catastrophe », soit la Première guerre mondiale. « Idole biologique [et]  idole cosmique […] la figure de l’accomplissement mystique, Maximin », certes splendide, est ramenée à celle d’une « momie ». Car « la génération à laquelle les poèmes les plus épurées et les plus achevés de George ont donné asile était prédestinée à la mort[2] ». Le jugement est sévère. Il n’empêche que les sonnets de Walter Benjamin se glissent dans la filiation des poèmes de Stefan George, ne serait-ce qu’à cause de la complicité thématique. Le premier consacrant à son personnage de Maximin tout un recueil et à ce même jeune homme mort son Etoile de l’alliance, le second élevant ses soixante-treize sonnets à la mémoire de son ami Heinle disparu au moment de la déclaration de guerre.

Photo : T. Guinhut.

 

Balayé par la modernité et l’humilité d’un Rainer Maria Rilke, Stefan George (1868-1933) est un poète un peu oublié, quoiqu’il sût reléguer le sentimentalisme de la poésie allemande au grenier des souvenirs. Grand connaisseur, outre de Goethe, de la culture française, traducteur des Fleurs du mal de Baudelaire (hors les « Tableaux parisiens »), il écrit dans le cadre de l’esthétique symboliste et surtout de la tradition aristocratique et parnassienne de l’art pour l’art. Les Effigies sont splendides, mais comme leur titre l’indique elles sont un peu figées. Ce sont autant d’ « éloges » de Mallarmé, Verlaine, Jean-Paul Richter, Goethe, Hölderlin, Nietzsche et Dante, autrement dit une soumission hautaine aux plus grands artistes de la langue et de la pensée, mais aussi une poésie soignée, ciselée, tournée vers le passé, ou plus exactement vers l’éternité. Il chante l’auteur d’Ainsi parlait Zarathoustra, sa « voix sévère et tourmentée », lui qui ne « créa des dieux que pour les renverser », à l’encontre de « la faune qui le souille de son éloge ». Le prophétisme de Stefan George, qui écrit dans les premières années du XXe siècle, est une nostalgie de la beauté, de l’hellénisme et des héros poétiques, dans un monde moderne qui ne les reconnaît plus. Le poète voyant édifie le rêve d’un monde de culture et de paix. Hélas « la roue du temps dévale / Que nulle main désormais n’empêchera plus d’aller au vide. » L’idéal héroïque et mystique de George fut « saisi par l’avilissement / De la cité et de l’Etat ravagés par de faux guides ». Son attente du héros allait être dévoyée par un « guide » allemand de sinistre mémoire…

« L’union sacrée » avec la culture grecque génère le mythe d’un enfant divin, à partir de Maximilian Kronberger, qui l’avait fasciné par sa beauté et ses précoces dons poétiques. Il devint « Maximin », donnant son titre au recueil publié en 1905. La mort à 16 ans du bel « éphèbe germano-grec » est l’occasion d’un chant de ferveur et de deuil, non sans un érotisme discret, mais porté au rang de mythe spirituel par le maître : « Je vois en toi le Dieu / Que frémissant j’ai connu / À qui va ma dévotion ». Etonnamment, ce culte du demi-dieu fut perpétué par des jeunes gens qui emmenèrent les recueils du maître sur les fronts de 1914. Quoique ce fût un malentendu : il ne s’agissait guère de sanctifier un brutal guerrier. Certes, il célébra l’idéal du poète-guide dans Le Nouveau Règne (1928), mais aussi l’Allemagne, selon lui seule héritière légitime de la Grèce.

Esthète austère et antimoderne, hostile à la guerre de 1914, autant qu’ensuite à Hitler, Stefan George refusa la proposition de Goebbels de présider une nouvelle Académie allemande, fuit la participation à la célébration pompeusement mise en scène pour son 65e anniversaire. Malgré les honneurs offerts, il s'installa en Suisse, pour mourir à Locarno en 1933. Saluons le soin des éditions Fata Morgana à nous révéler ces vers hautains et néanmoins émouvants, des textes rares, dans leurs vêtures élégantes.

Peut-être est-ce de L’Etoile de l’alliance[3] que Walter Benjamin fut le plus proche, moins l’idéalisme absolu de Stefan George. Car Maximin, l’ami vivant, puis mort, y est encore célébré tel le dieu de la jeunesse et de la beauté, gladiateur parfait et sage poète, messie et modèle : « Plus beau que nulle image, réel comme aucun rêve / Dans l’éclatante nudité d’un dieu, tu vins à nous », ce dans le premier sonnet, dans un recueil qui abandonne assez vite cette forme, pour plus de liberté et de concision. Il est homme et emblème platonicien : « Tu nous délivré du tourment des brisures / Nous donna l’Unité faite chair l’Autre et l’Un / Dans le même ». Jusqu’à la qualité d’homme d’Etat, « Ayant précisé lois, langages, étalons », quoiqu’élitiste au point de mépriser le peuple : « Je ne poserai pas mes regards sur ce peuple… / Infirme est son esprit ! Et morts en sont les actes ! » Publié en 1913, le recueil put paraître prophétique : « Des milliers sont voués à la sainte démence / Des milliers périront par une fièvre sainte / Des milliers par la sainte guerre ». Une éthique élevée et cependant inquiète s’allie à une irréprochable esthétique.

Prenant toutes ses distances avec cette ardeur passablement grandiloquente de Stefan George, et n’en conservant pas moins un certain goût du symbolisme et « le nom sacré comme un amen infini », Walter Benjamin retranscrit dans l’hommage ému et fidèlement entretenu de ses sonnets autant l’image du disparu que le visage de son esthétique. Car selon l’épigraphe, « Fritz Heinle était poète, et le seul de tous avec qui je n’eus pas de rencontre « dans la vie », mais dans sa poésie ». Entre le suicide de l’aimé, avec son amie Rika Seligson, en 1914, par désespoir intime ou face à la Grande guerre, et l’écriture qui s’étira sur vingt ans, comme s’il fallait faire parler par procuration la vocation poétique du défunt, le poète joue sur deux temps : un présent ravivé, une nostalgie tragique. Bien que le deuil soit rédimé par l’intemporel, la parole poétique est considérablement plus humaine que celle adressée à Maximin. Une amicale aura, ou un amour plus érotique (« Dans ton corps mon amour est sculpté »), empreignent les vers inspirés, en écho peut-être avec les Sonnets de Shakespeare[4] :

« Que cherches-tu toujours mon âme le bel ami ?

Depuis longtemps il est mort et le monde qui roule

A suivi sa course que pas un ne mesure le héros

Que cherches-tu mon âme toujours le bel ami ?

 

Pourquoi m'éveilles- tu Seigneur avec pleurs et soupirs ?

Ah je cherchais le sommeil et de plaintes est défiguré

Mon abandon dont tu es l'abandonné compagnon

Pourquoi m'éveilles-tu Seigneur avec pleurs et soupirs ?

 

Une nuit donc je tins dialogue en mon cœur

Et m'arrêtai honteux décidé à me taire

A ne plus montrer mon chagrin à mon âme

 

A ne plus l'éveiller pour me consoler dans ma douleur

Mais vois de la bouche endormie elle laissait couler aussi

Nombre de chants tristes Leurs larmes s'allumaient comme bougies. »

 

L’âme et le chant restent pour Walter Benjamin des concepts vivants. En effet, « À l’heure où glissait ton habit de corps […] Il était écrit que plus jamais ne prendrait son envol / Ma bouche si d’elle ne s’élevait son chant ». Si la raison semble innerver le déroulé des sonnets, le poète a néanmoins conscience de sa déraison : « Le timide chant  l’amour très délaissé / Déversé doucement de la bouche des fous ». La fiction assumée vole au secours de la douleur : « Des anges le ravirent vers de lointains confins ». L’inactuel lyrisme hérité des troubadours s’associe aux souvenirs de la culture grecque (d’Orphée à Eros et Olympos) et de l’eschatologie chrétienne : « Il voit la balance du jugement  sans vaciller ». Et pourtant « N’est point de baume hors de ce chant », par exemple  lors du sonnet 12 :

« Un jour du souvenir et de l'oubli

Rien ne restera qu'un chant à son berceau

Qui ne trahirait rien et qui ne tairait rien

Un chant sans mot  que les mots ne mesurent

 

Un chant qui monterait des tréfonds de l'âme

Tels de la terre liserons et cressons

Telles les voix dans les orgues des messes

En ce chant se blottirait notre espoir

 

N'est point de baume hors de ce chant

Point de tristesse loin de ce chant

En lui sont comme tissés l'étoile et l'animal

 

Et mort et amis sans différence

En ce chant vit toute chose

Tandis que le pas du plus beau en lui marchait ».

 

Le lyrisme est particulièrement poignant dans le sonnet 30 : « Si ta main une dernière fois remontait /De la tombe et se penchait sur mes mots / Vois  fleurirait alors ce qui est déjà sec / Mes chants et pleurs briseraient leur coupe ». Pourtant il a parfois quelque chose de mallarméen : « Par son art s’éveille le grand cygne ». Voire de shakespearien, lorsqu’en écho à la dame brune « Là était le corps d’une sublime femme / Et sculptée dans le marbre noir », allégorie funèbre et mélancolique.

Par-delà « noble nom, raide linceul », en dépliant son élégie, de loin en loin, au cours de dix années, Walter Benjamin file les métaphores du sommeil et de la renaissance imaginaire, pour sans cesse raviver la nécessité et la beauté de la création poétique : « Sa parole changea ma poitrine en un luth ». Au point qu’au-delà du secret de ces poèmes, l’auteur leur imagine un vaste destin : « Le transmettre au monde entier par les rimes ».

Le traducteur, Michel Métayer, n’ose guère infléchir le sens des rimes originelles en se forçant à la rime française, usant cependant parfois de l’alexandrin : « Ton regard m’arracha le souffle de ma bouche ». Cependant sa réflexion sur la traduction s’appuie en sa postface sur celle que fit notre poète des « tableaux parisiens » de ce Baudelaire longtemps poursuivi[5], tandis que la préfacière, Antonia Birnbaum analyse La Tâche du traducteur, cet essai pertinent que commit en 1923 Walter Benjamin.

Bien loin désormais de Stefan George, Walter Benjamin présente son art poétique, en marchant côte à côte avec le déroulement du sonnet rimé, sans ponctuation :

« Sobre est la mesure des plaintes amassées

Inflexible le sonnet qui me lie

Comment l’âme vers lui chemine

Je veux de tout cela donner l’image

 

Les deux strophes qui m’emportent

Sont cette marche serpentant sur la roche

Où la quête d’Orphée s’aveugle peu à peu

C’est la clairière où séjourne Hadès

 

Avec quelle instance il demandait Eurydice

L’avertissant bien Pluton la lui confia

De cela ne rend compte le court sentier

 

Mais ces tercets en sont en secret les témoins

Reste la manière dont elle suivait invisible

Avant que son regard la dissipe rime de fin.

Ainsi, dans une démarche orphique, Walter Benjamin opère un subtil dialogue avec Rainer Maria Rilke, dont les Sonnets à Orphée parurent en 1922, et qu’il ne connaissait probablement pas au moment de l’écriture, alors qu’il s’agit pour l’auteur des Elégies du Duino de rendre hommage à une jeune danseuse disparue. Soudain, grâce à cette découverte, le magnifique recueil des Sonnets de Walter Benjamin, poésie philosophique de celui qui avait une conscience morale de la littérature[6], et dont nous remue la beauté aussi poignante qu’intelligente, s’inscrit dans une filiation qui va de Pétrarque à Shakespeare, de Baudelaire à Rilke, où il ne déparait pas le moins du monde.

Thierry Guinhut

La partie sur Effigies et Maximin a été publiée dans Le Matricule des anges, avril 2005

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Walter Benjamin : Critiques et recensions, Klincksieck2018, t I, p 421-428. 

[3] Stefan George : Choix de poèmes, Aubier Montaigne, 1941, T II, p 113-163.

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20 avril 2021 2 20 /04 /avril /2021 18:47

 

Marché de La Couarde-sur-mer, Île de Ré. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Trivialisme romanesque

& autobiographie scandinaves :

Miki Liukkonen : O ;

Karl Ove Knausgaard : Mon Combat.

 

 

Miki Liukkonen : O, traduit du finlandais par Sébastien Cagnoli,

Le Castor astral, 2021, 962 p, 24 €.

 

Karl Ove Knausgaard : La Mort d’un père, traduit du norvégien

par Marie-Pierre Fiquet, Folio, 2020, 546 p, 9,70 €.

 

Karl Ove Knausgaard : Fin de Combat, traduit du norvégien

par Christine Berlioz, Jean-Baptiste Coursaud, Marie-Pierre Fiquet et Laila Flink Thullesen,

Denoël, 2020, 1408 p, 32 €.

 

Karl Ove Knausgaard : En automne, traduit du norvégien

par Loup-Maëlle Besançon, Denoël, 2021, 272 p, 22 €.

 

 

Pour être fidèle à une vie probablement faudrait-il en établir une carte aussi vaste que le territoire, soit un fleuve d’autant de secondes que de feuillets. Sous les traits gonflés du pavé romanesque de près de mille pages, O du Finlandais Miki Liukkonen interroge, effraie, risque d’être négligé ; à tort. Certes nous ne le lirons pas comme un absolu chef-d’œuvre, mais comme un symptôme éclairant d’une démarche et d’un état de la littérature contemporaine, soit un pandémonium de psychoses au service du trivialisme finlandais. Alors qu’un autre Scandinave, le Norvégien Karl Ove Knausgaard, propulse sa gigantesque autobiographie intitulée Mon Combat jusqu’à son final de 1408 pages et au sommet, sinon au dépotoir, des containers de trivialités que peut receler une vie, non sans tendresse envers sa famille, malgré le risque inhérent à l'exercice. Quoique chacun d’entre eux tentent de prétendre à un cosmos, du moins étroitement personnel et relationnel, voire sociétal.

 

S’il fallait résumer en quelques mots cet opus de Miki Liukkonen, boursouflé de notes, où « l’angoisse trouve toujours ses voies », O serait un catalogue de névroses et psychoses entrelacées. Elles cohabitent, s’ignorent et se croisent pendant les sept jours peu symboliques d’une semaine et parmi un puzzle géant de cent personnages, aux abords tous plus banals les uns que les autres, et cependant confrontés à de peu ordinaires incidents et  accidents. Quand le narrateur central étudie la physique et la cosmologie, pratique la natation presque en professionnel, l’un de ses camarades d’université vomit son horreur d’avoir vu le suicide d’une jeune fille s’écrabouiller à ses pieds ; ce qui est peut-être l’épisode générateur et l’effet multiplicateur du récit. Plus loin Bengt trouve un corps, « celui d’un bel adolescent, d’un ange blond tombé du ciel dont le crâne fendu à la verticale forait une grimace cramoisie » ; recueillant le séraphin, « il pouvait jouir enfin librement des fruits enivrants de sa sexualité ». Pire peut-être, un médecin annonce, constatant la « déshistorisation » de ses patients : « il se pourrait que vous n’existiez plus ».

Gribouillé de digressions, de bavardages, d’effrois et de peur, de « cas d’évanouissements » récurrents, le roman apparait comme un gigantesque portrait sociétal, comme si un seul individu réunissait tous ces masques grimaçants pour se définir en tant qu’humanité, incapable de sursoir à ses réactions dépressives, incapable de résilience, de catharsis et d’action réellement créatrice. Il s’orne cependant d’une belle mise en abyme : « Et il y aura aussi un cirque de névrosés, le Kirkos Neurosis, ainsi qu’une compagnie théâtrale qui doit toute sa créativité à ses membres compulsifs ». Ou encore, entre autres bizarreries plus ou moins loufoques, un « Livre de cuisine pour névrosés » où « incorporer la cause de tous vos traumatismes, les lambeaux de votre victime ». Des personnages rivalisent de pauvre étrangeté, comme ce professeur entiché de certaines variétés d’aubergines, ce quidam qui fait retraite dans un cabanon du fond du jardin. Un autre est légèrement plus remarquable, car il fut un siècle plus tôt l’un des assistants de Nikola Tesla, inventeur génial, en particulier dans le domaine de l’électricité, et que nous découvrons au travers de son petit-fils, professeur de musique au Conservatoire d’Helsinki, comme pour signifier les noces de science et de l’art. Les technologies de la transmission de l’énergie et de la lumière, de la transmission des ondes, semblent d’ailleurs innerver le roman, alors que les « antennes des humaines » croissent en hypersensibilité.

 L’on a compris que l’écriture privilégie le langage courant et parlé, « si c’est pas le scénario le plus foireux possible », voire la vulgarité, ponctuée de métaphores percutantes : « le café qui a un goût d’anus de martre », ou lors de l’ultime page qui est au contraire un festival de lyrisme musical. Car les notes venues des aubergines, rangées comme des touches de piano, provoquent une virtuosité inouïe, suscitent des dizaines d’instruments curieux, « et voici qu’on évolue vers une vaste fugue bachienne, en avant, vers la lumière »…

Dans le cercle du titre, O, qui est une bouche bée sur le réel, une totalité circulairement tracée autour du narrateur, ce sont près de mille pages qui se subdivisent en cent personnages, comme en une boite à compartiments complémentaires, ou comme une bobine de girations planétaires autour de leur soleil : le moi perceptif de ce fichu narrateur. Plus qu’en une juxtaposition, il s’agit d’une composition en réseau, tissée de fils neuronaux plus ou moins liés ou détissés. Il n’est pas impossible que les sept jours où s’enclot la totalité des drames soient l’équivalent d’une dé-création passablement nihiliste. À moins que O soit le signe du trou laissé dans la trame du monde par le suicide d’Emilie, alors que l’on met quelques jours à prévenir ses parents, alors que maints personnages semblent de près ou de loin contaminés par cette absence originelle, cette béance métaphysique épidémique.

Il est alors possible de lire cette somme comme un équivalent dérisoire du cours dispensé par un physicien : « L’augmentation des connaissances s’accompagne d’une grande responsabilité […] L’entropie est une grandeur physique qui exprime le désordre dans un système ». Et lorsque le lyrisme cosmique s’emporte, nous ne sommes pas loin de penser à l’écriture de Contrejour de Thomas Pynchon[1], qui est d’ailleurs l’un des écrivains, scientifiques et philosophes cités dans l’ultime référentiel.

Le roman monstre de Miki Liukkonen (né en 1989), poète et musicien dont les finlandais connaissent également un précédent roman, Les Enfants sous le soleil, et un recueil intitulé Poèmes blancs, semble un représentant de ce que l’on pourrait appeler le trivialisme. Cette inesthétique, ne nous épargnant rien des moindres banalités, bizarreries dérisoires et laideurs du quotidien et de ses contemporains, affleurait chez Michel Houellebecq[2], quoique avec une inquiétude métaphysique prégnante. L’Américain David Forster Wallace[3] déployait son Infinie comédie suicidaire en égrenant ses millimétriques névroses et ses drogues. Ce dernier partageait l’addiction compulsive pour un sport, le tennis, avec notre Miki Liukkonen dont la natation est la discipline chlorée. La truffe collée au réel trivial, ces écrivains nous renvoient à la déréliction d’une époque et d’une vision du monde narcissique qui se prive de toute transcendance, de toute passion pour la beauté, pour la richesse de l’art et des cultures, ignorant toute perspective historique ou philosophique, même si  Miki Liukkonen n’est pas sans brillant, ni respectable ambition. C’est cependant grâce à l’art du romancier aux velléités cosmologiques que notre Finlandais parvient à élever son monument fragile au-dessus des trivialités de ses personnages et de ses obsessionnelles tranches de vies blessées, ce qui n’est pas forcément le cas de son collègue venu de Norvège.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’on sait que Jean-Jacques Rousseau, dans le préambule de ses Confessions tenait à dire toute la vérité sur sa vie. « Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi. […] Que la trompette du jugement dernier sonne quand elle voudra ; je viendrai, ce livre à la main, me présenter devant le souverain juge. Je dirai hautement : voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus. J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon, et s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire ; j'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus, méprisable et vil quand je l'ai été, bon, généreux, sublime, quand je l'ai été : j'ai dévoilé mon intérieur tel que tu l'as vu toi-même[4]. » Or Jean-Jacques Rousseau n’ayant point manqué » d’imitateurs, il en trouve un de plus en la personne de Karl Ove Knausgaard, qui a l’impudence de le dépasser en terme de pagination, mais guère en terme d’esthétique.

L’inesthétique de la confession trivialiste est criante chez le Norvégien Karl Ove Knausgaard, dont la gigantesque autobiographie intitulée Mon Combat livre au lecteur toute la litanie de ses soucis, agissements, beuveries et liaisons passablement sexuelles, jusqu’à confondre sa littérature et sa vie, depuis la mort de son père jusqu’à la satisfaction de s’être déversé dans un chapelet de livres. Fleuve, marée, océan, Mon combat, le grand-œuvre autobiographique de Karl Ove Knausgaard, paraît en français après une décennie de purgatoire acharné aux mains des traducteurs. Ce sont plus de 4 800 pages, étalées parmi 6 tomes de plus en plus prolixes, jusqu’aux 1 400 pages de l’ultime volume. Qui sait si l’auteur toujours vivant saura résister à une apostille tout aussi bavarde, de façon à donner à son opus une apparence d’infini, un ersatz de totalité cosmique, bien qu’elle ne se consacre qu’à un moi omniprésent au centre de la carrière d’autrui et voué aux accidents et aux banales initiations de la vie.

Il est de tradition d’ouvrir une autobiographie par son enfance. Or c’est ici La Mort d’un père qui en est le déclencheur et en forme le premier volet. Après un préambule sur le phénomène de la mort et ses corps rendus invisibles, le père apparaît comme un homme « dont la vie subissait les rafales du temps qui passe, entraînant avec lui des pans de sens ». Mais, très vite, les banalités rattrapent le clavier, des tartines du repas familial il fait des tartines. Il se découvre avec surprise : « ma bite était de travers quand j’avais la trique ».

Trente ans plus tard, l’homme qui a trois enfants, écrit qu’il « ne retire aucun bénéfice du contact avec les autres. Je ne dis jamais ce que je pense vraiment ». Probablement est-ce par compensation que les lignes du moi s’accumulent. Ses yeux, ceux de Rembrandt, ceux de sa fille… La trivialité du quotidien, des devoirs parentaux, de ses gestes et de ses non-événements reprend le dessus de la manière la plus soutenue, malgré « l’ambition d’écrire un jour une œuvre unique ». Il faut pourtant admettre que la chose se laisse avaler sans peine ; à moins de lassitude devant tant de frustration, de vanité. Et pourtant l’intérêt rebondit devant des poèmes parfois insérés : « tes livres sont poison ». Hélas, dès quinze ans, « boire était quelque chose de fantastique ». Entre une mère lointaine, un père peu commode et démesurément alcoolique, il devient intarissable sur ses congénères lycéens, leurs mœurs, et c’est à peine si s’en dégage une teneur sociologique, quoique un lectorat post-adolescent puisse sans peine s’identifier avec l’anti-héros et son auto-apitoiement, tant nous avons vécu des choses peu ou prou semblables, sans portée élevée. Ce sont (et à partir du second volume elles seront interminablement développées) des parties de drague, des filles et de la bière, des potes et des groupes de rock écoutés, des frustrations récurrentes. Seulement parfois une réflexion sur « la vague de puissance et de beauté » qui le soulève devant la peinture. Et bien sûr la visite mortuaire, la maison qu’il faut débarrasser de sa puanteur et des cadavres de bouteilles…

Or dans La Mort d’un père, le déroulé ne restant pas chronologique, le narrateur saute les années pour nous parler de la grossesse de Linda. Le découpage en parties semble à cet égard erratique. D’énormes digressions décrivent son bureau, les livres, ses « métaréflexions », s’interrogent sur le déchiffrement du monde, citent Nietzsche, glosent sur « l’impénétrable » et les « anges », sur l’art qui est « maintenant un lit défait », à la recherche à la fois du moi et du tout : « En écrivant, je voulais ouvrir le monde et, en même temps, c’était pour ça que j’échouais ».

Il est difficile de garder une juste opinion devant ce fleuve autobiographique charriant une foule de gens, de détails, de réflexions et de circonstances, sur un esprit « bombardé de souvenirs » qui ne font pas toujours un monde. Le manque de  concision est le dernier souci de l’auteur, nécessaire peut-être en cohérence avec la démarche, mais rapidement fort dommageable. L’on criera au génie, ou se laissera gagner par l’ennui, alors que l’écrivain en herbe, d’abord accablé de déboires, réalise pêle-mêle son « espoir permanent, des illusions ridicules qu’on a à vingt ans sur les femmes et l’amour, les amis et la joie, le talent caché et le succès »…

Ce furent, parmi les volumes intermédiaires, des histoires du néant de la vie d’un jeune homme, égaré par sa naissance en Norvège, qui cherche à s’affirmer, trouver sa place parmi ses contemporains. Le narrateur personnage, Karl Ove Knausgaard tel qu’en lui-même, sans fard, et de tome en tome, cherche désespérément à coucher avec quelque fille, erre de ci-delà, va de beuverie en beuverie avec des potes, intercalant les épisodes amoureux et ceux de la fondation d’une famille.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fin de combat est composé comme un triptyque, où s’encadre un essai entre deux volets autobiographiques. Et malgré un incipit qui prend les apparences de la gaité, l’on ne peut s’empêcher de remâcher, si l’on a eu l’abnégation de tout avaler, un sentiment de désolation, tant la culpabilité ronge le narrateur personnage qui, forcément, a mis en cause, outre lui-même, ses amis, sa famille. Car le récit commence en 2009, à la veille de la sortie de l’ouvrage inaugural, La Mort d’un père. Au milieu du bain des enfants, « doute, culpabilité et angoisse » le consument, car Linda ne sait rien du livre à paraître sinon qu’il « parle de nous », qu’il serait « vrai », ce qu’elle approuve. Mais, « romantique » et possessive, elle ne connait pas les « fossiles de sentiments » de son mari, par ailleurs « violeur verbal » d’après l’oncle Gunnar qui pense être diffamé, quand d’autres sont bien plus compréhensifs. L’autobiographe est-il si fiable ? Tout cela étant, comme d’habitude, entouré des mille détails oiseux inhérents à la vie domestique et aux enfants. Reste que son éditeur l’encourage : « C’est un projet lié à la liberté, et la liberté ça se prend ». Voilà qui contribue à faire de Mon Combat plus qu’un récit, une réflexion sur ce dernier, un objet métalittéraire longuement développé, souvent avec une finesse inattendue, entremêlant des réflexions sociétales parfois judicieuses, par exemple sur « la tyrannie des bonnes intentions » et sur l’effacement de « sa propre culture », face à l’immigration musulmane et à son « comportement machiste ». Le voici réaliste : « une tendance saute aux yeux : les élèves les plus forts viennent d’un milieu suédois, et les plus médiocres de l’immigration ».

La réaction de ses proches est parfois bienveillante, parfois explosive : se livrer tel qu’il est et les livrer tels qu’ils sont n’est pas sans risque auprès de tous ceux qui ont droit au respect, voire au silence, de leur histoire, de leur intimité, pas forcément brillante. À partir de là Karl Ove Knausgaard oscille entre remord et nécessité organique d’aller jusqu’au bout de son entreprise devenue pour lui essentielle, voire existentielle, d’autant plus qu’alors il rédige déjà le troisième volume. Son oncle Gunnar, outré de lire les déboires et la déchéance de son frère, exige des coupes, menace de procès, recrute des témoins ; en conséquence les développements du cheminement autobiographique frôlent bientôt la chronique judiciaire. À la lecture, son épouse, l'écrivaine Linda Boström Knausgård (de 2007 à 2016), avec qui il a eu quatre enfants, découvrant combien il lui reprochait « de ne pas en faire assez et de [lui] faire porter ses propres limites », est ébranlée, tout en admettant qu’il s’agisse d’un « bon livre ». Plus tard, elle sombre dans une dépression profonde, en prise à des troubles bipolaires, au point de devoir être hospitalisée ; ce que l’on lit à la fin de l’entreprise, affectant parfois la forme du journal. L’on devine que notre auteur culpabilise, alors que ses livres, dirons-nous, n’ont guère à voir avec un terrain dépressif chez un individu. La noirceur psychologique a cependant tendu un miroir au texte.

Aussi a-t-il consenti à modifier quelques noms, dès La Mort d’un père, néanmoins sans renoncer de publier un volume qui apparut comme un casus belli : « Si j’acceptais cette perspective, je m’anéantissais moi-même. Pas une seule fois, je n’avais pensé que j’avais exagéré, en racontant ce qui s’était passé ». La discrétion et la pudeur n’étant pas son fort, il mesure - voire exagère - le mal ainsi infligé à sa famille, livrant au public ses tripes et celles de ses proches, dans un festival de trivialités. En ce sens le couronnement de l’édifice intitulé Fin de combat est une victoire autant qu’une défaite : en achevant son opus magnus il a en quelque sorte achevé quelques-uns de ses proches, quoique la responsabilité de leur réaction leur reste entière, en une entreprise de vérité et de trahison inextricablement mêlés. Ce qui n’empêche pas notre autobiographe norvégien, aux dernières pages du monstrueux opus, d’offrir platement à sa famille son mea culpa : « Je ne pardonnerai jamais ce que leur ai fait subir, mais je l’ai fait et je dois vivre avec ». Et de faire preuve d’une paradoxale autosatisfaction : « je savourerai vraiment l’idée que je ne suis plus être écrivain ». Est-ce parce qu’à cause des tracasseries des avocats relisant les manuscrits « le roman était devenu l’otage de la réalité » ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que le titre Mon Combat puisse faire penser à celui d’Hitler, nous n’y voyions pas malice, mais pour le moins une maladresse. Cependant une digression démesurée, plus de 500 pages, intitulée « Le nom et le nombre », qu’il aurait fallu publier à part, s’envase en ce que l’auteur prend visiblement pour exégèse à prétention philosophique de Mein Kampf d’Adolph Hitler en s’entourant de maintes références, d’Hannah Arendt au poète Paul Celan, longuement commenté. Provocation ? Inconscience ? Revanche personnelle ?

L’association d’un tel ouvrage et son antipode, À la recherche du temps perdu, dans le cadre de l’interrogation autobiographique laisse le lecteur passablement pantois. Toutes proportions gardées, le lecteur indulgent, trop indulgent, ou plutôt totalement  incompétent, y lira une démarche organisatrice voisine de la somme proustienne, à laquelle Karl Ove Knausgaard fait souvent allusion dans le premier tome et qu’il avait plus que lue : « bue » dit-il ; dimension romanesque et beauté subtile de l’écriture en moins, sans compter un usage de la chronologie pour le moins errant, voire répétitif. Reste que si l’écriture autobiographique devait permettre un soulagement, un apaisement, voire une catharsis, ce « combat » fracture soi et autrui : « Ce roman a fait du mal à tous ceux qui me sont proches, il m’a fait du mal à moi ». Il n’a rien d’un Temps retrouvé. Et l’on ne sait pourquoi l’auteur appelle ceci un « roman ». Est-ce parce que la confession se double de pans de fiction, volontaires ou involontaires ? Il y a en effet une altération de la vérité, lorsqu’amoureux d’une jeune fille de treize ans il ne s’en suit aucune séduction dans la vraie vie, alors que le récit permet qu’Henrik Vankel couche avec son élève, soit « une réalité fictionnelle »…

Né à Oslo en 1968, Kar Ove Knausgaard publia deux romans bien accueilli par la critique norvégienne avant de virer de bord avec le premier volet de Mon combat. Il n’est pas impossible que la figure du père, à la fois imposante et décevante, puis fauchée par la mort abjecte, ait été à l’origine de la rédaction de cette fresque de l’identité qui se déploit sur six tomes, faute d’infini. Comme une revanche à prendre, il allait devenir le père indigne de son œuvre, dont la spontanéité, la crudité et la fidélité au quotidien ont assuré un succès insolent : un demi-million d'exemplaires se sont vendus en Norvège, puis ont été traduits en plusieurs langues. Ce qui en un sens est un peu inquiétant : la logorrhée du moi ininterrompu serait donc le miroir de tant de lecteurs ? Qui ne sauraient goûter à leur juste valeur les vertus d’une concision qui aurait permis à Mon combat de frôler la qualité du chef-d’œuvre, sans compter la finesse stylistique lacunaire…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Croyez-vous qu’après la fin de son combat Karl Ove Knausgaard puisse arrêter d’écrire ? Si tant est qu’il en eût la velléité, le graphomane impénitent n’en peut mais. Désormais c’est à sa fille, avant même sa naissance, qu’il offre un quatuor saisonnier. En automne d’abord. Il raconte le monde à sa nouvelle créature, en empruntant la forme du journal, et presque celle du dictionnaire d’Histoire naturelle. Ordonnés en trois parties comme autant de mois automnaux, ses chapitres s’appellent « Les sacs plastiques », « Les grenouilles », « L’apiculture », « Les lèvres vaginales » ou « La cuvette des toilettes », « Le vomi », ou encore « Le pardon », jusqu’à « Van Gogh »… L’on devine que cela lui vient à la va-comme-je-te-pousse, tout en spontanéité : « Je veux te montrer le monde tel qu’il est, autour de nous, à chaque instant […] Qu’est-ce qui rend la vie digne d’être vécue ? » Ainsi Anne reçoit un riche manuel d’éducation. Certes le lecteur peut trouver cela un brin infantilisant ; mais une réelle fraîcheur se dégage de la promenade dans l’univers de l’écrivain et de sa famille, parmi la nature scandinave. Cette attachante encyclopédie à l’adresse de l’enfance est joliment illustrées par quelques peintures d’une artiste norvégienne, Vanessa Baird, quoique trop peu nombreuses.

 

De Liukonnen à Knausgaard, le narcissisme s’allie au trivialisme. Le premier trace autour de lui un cercle romanesque qui affecte une dimension cosmique, quand le second fait du cercle de la famille et des proches un omnivore aspirateur à mots, pour tenter de « fuir l’invasion de [son] moi par la vie triviale », avec « l’impression que [sa] banalité devenait extraordinaire ». Le critique ne peut que rester perplexe devant des objets passablement dépressifs, comme le « sujet » de David Forster Wallace[5], qui hésitent entre littérature presque morte et valeur éclatante d’un syndrome.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Liukkonen a été publiée dans Le Matricule des anges, janvier 2021

 

[4] Jean-Jacques Rousseau : Les Confessions, Gallimard, La Pléiade, 2001, p 5.

[5] David Forster Wallace : Le Sujet dépressif, Au Diable vauvert, 2005.

 

Marché de La Couarde-sur-mer, Île de Ré. Photo : T. Guinhut.

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18 avril 2021 7 18 /04 /avril /2021 16:31

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Le Dictionnaire Khazar,

une œuvre ouverte sortie de La Boîte à écriture

de Milorad Pavic.

Suivi par un roman aux cent fins.

 

 

 

Milorad Pavic : Le Dictionnaire Khazar,

traduit du serbe par Maria Bejanovska, Le Nouvel Attila, 2015, 288 p, 24 €.

 

Milorad Pavic : La Boîte à écriture,

traduit par Maria Bejanovska, Le Nouvel Attila, 2020, 176 p, 24 €.

 

Milorad Pavic : Exemplaire unique. Roman aux cent fins,

traduit par Maria Bejanovska, Monts Métallifères, 2021, 360 p, 27 €.

 

 

 

 

De quelle boîte mentale sortit en 1984 le Dictionnaire Khazar ? Le moins que l’on puisse dire est que le Serbe Milorad Pavic maîtrise un sens du rangement passablement hétérodoxe. Car jaillissent de sa Boîte à écriture autant les suggestions de l’imaginaire que celles d’un passé incertain. Histoire des Balkans et géographie des steppes, depuis les confins de l’Eurasie, confluent dans des histoires d’amour et de guerre, dans des mises en forme insolites autant que dans la grâce rugueuse et inoubliable du mythe. Boite encore et œuvre ouverte, que cet Exemplaire unique. Roman aux cent fins, où le lecteur est appelé à jouer un rôle déterminant…

N’espérez pas entrer ici dans une narration confortable, dans un essai navigable : ce dictionnaire se lit comme un polyèdre, un Rubik’s Cube. Faut-il alors déchiffrer ce « roman lexique » en respectant l’ordre alphabétique, ou de manière palindrome, en l’ouvrant au hasard, comme le divinatoire Yi Jing chinois, en tentant d’y repérer des priorités, des axes de lecture souverains ? Faut-il disposer de deux exemplaires, l’un « féminin », l’autre « masculin », de ce Dictionnaire Khazar,  pour les faire dormir côte à côte, voire copuler pour enfanter notre imaginaire… À l’abrupt de cette avalanche de questions, il faut enfin se résoudre à plonger avec bonheur dans cette œuvre ouverte, dans ce puzzle chatoyant consacré à un peuple disparu, peut-être tout simplement mythique, surgi tout armé ou presque de la tête d’un écrivain serbe, dont une mère accoucha en 1928 et que la Faux cueillit en 2009 : Milorad Pavic.

Comment lire Le Dictionnaire Khazar ? Devons-nous scrupuleusement tenter de suivre le « mode d’emploi » liminaire ou se jeter dans les flux narratifs, explicatifs et descriptifs « qui ont pour but de recréer un monde »… Il est en effet acrobatique de lire de front les trois colonnes, selon les trois confessions - chrétienne, islamique et hébraïque - présentant l’histoire et le portrait de la princesse Ateh, du souverain Kaghan, du « peuple belliqueux » Khazar et enfin la « polémique khazar », imprimées sur un fond grisé. Disposition que d’ailleurs ne présentait pas la première édition française[1].

La présence des sources selon les trois religions du Livre vient de ce que les Khazars, en passe d’être balayés par les Orthodoxes et les Musulmans au cours du VIIIème siècle, firent appel à trois dignitaires, un moine, un derviche et un rabbin, pour défendre leurs doctrines, et, par suite envisager la conversion du peuple entier. Ce qui permet à l’opus de Milorad Pavic d’offrir successivement un « Livre rouge », puis un « Livre vert », enfin un « Livre jaune », également alphabétiques, consacrés aux prosélytes des trois religions, nantis chacun d’une typographie différente : Didot, Archer, Avenir, sans compter l’Univers pour le paratexte, ce qui n’est pas sans intention de la part de l’éditeur, qui, en « Nouvel Attila », s’intéresse à ces anciens barbares des steppes, quoique pas si barbares.

De plus, un sous-texte, plus ou moins mythique, voire totalement farfelu, serait à découvrir dans le Lexicon cosri, publié par un certain Daubmannus en 1691, dont la page de titre est ici reconstituée. Mais, en 1692, l’Inquisition fit détruire les 500 exemplaires, « sauf l’exemplaire empoisonné et celui à la serrure d’argent qui l’accompagnait ». Ces derniers livres, sans négliger « l’exemplaire d’or », écrit dans les trois alphabets, grec, hébraïque et arabe, furent détruits, ou « condamné à ne pas être lu pendant huit cents ans »… Notre écrivain joue avec un réel brio de la thématique du livre interdit, maudit, empoisonné, comme le fit, dans son Nom de la rose[2], Umberto Eco, avec le deuxième livre de La Poétique d’Aristote sur la comédie et le rire[3].

Imaginez une princesse qui « portait, accroché à sa ceinture, le crâne de son amant », et « possédait sept visages ». Ateh entreprit, « sous la forme d’un cycle de poèmes », une encyclopédie khazar, qu’un « démon musulman » lui fit oublier. Selon une des trois sources juxtaposées, elle « n’a jamais réussi à mourir » ; selon une autre elle fut « tuée en même temps par les lettres du passé et celles de l’avenir »… Imaginez encore un chef militaire, Avram Brankovitch, qui apprend « d’un perroquet la langue khazare », et dont le double est un « kouros », qui contribue à la tâche de ses vieux jours : écrire « un glossaire, un abécédaire », qui est un double de celui que nous lisons.

Parmi les « chasseurs de rêves », l’un savait « apprivoiser les poisons dans les rêves d’autrui ». Cyrille, lui, fit « un alphabet aux lettres grillagées enfermant ainsi comme un oiseau cette langue insoumise ». Quant au peintre Sévast Nikon, qui ne fait « que feuilleter un dictionnaire de couleurs », ce sont ses icônes qui multiplient son talent. Rien d’impossible quand un œuf peut « sauver une journée d’un objet, par exemple d’un livre »… Entre la prolifération du surnaturel et des métaphores, un univers parallèle, à la fêlure de l’Histoire et du mythe, prolifère.

Quittons alors Cyrille et Méthode, le monde chrétien orthodoxe donc, pour, au « Livre vert », découvrir les prodiges fabulés de l’Islam, où l’on joue du luth, et dont les tenants affirment que les Khazars l’ont choisi en premier et en dernier. L’on se doute que la mauvaise fois inspire tous les chroniqueurs, de quelque religion qu’ils soient, comme Al Bekri, qui « écrivait avec ses dents qu’il enfonçait dans la carapace du crabe ou de la tortue ». Quant au poète Al Mazroubani, il était réputé pour avoir composé « un livre de poésie démoniaque ». Les trois cultes ont en effet leurs démons : Asmodée, Ahriman et Satan…

Restent les chroniques juives, parmi lesquelles le fameux Daubmannus, imprimeur de l’originel Dictionnaire khazar en 1691, se suicida en lisant dans l’encre empoisonnée. Halevi préfère, lui, étudier « l’allitération du nom de Dieu », puis écrire son Livre des arguments et des preuves pour la défense de la religion juive. Délégué juif à la polémique khazar, le rabbin Sangari Isaac affirmait que « toutes les langues, sauf celle de Dieu, seraient des langues de souffrances, des dictionnaires de douleurs ». Cependant, en tout cela, le merveilleux omniprésent est bien loin d’une controverse théologico-rationnelle. Il y a tout lieu de s’étonner lorsqu’une aristocrate de Raguse croise au XVIIème siècle rien moins que le comte Dracula ! Sans compter que les généalogies de la controverse khazare ressurgissent jusqu’au XX° siècle, quand un colloque est l’occasion d’un meurtre au Smith & Wesson.

L’on aurait dû s’en douter : chacune des confessions postule, ou plutôt affirme, qu’après la controverse mémorable les Khazars se sont convertis à son bénéfice. S’il fallait tirer une morale, ce serait celle de la forfanterie, de l’orgueil et de la vanité de toutes les religions…

 

Un tel objet littéraire non identifié, abécédaire de récits emboités et pandémonium de légendes, à la croisée du roman, de l’essai et de la mythographie, autorisant plusieurs modes de lectures, aléatoires ou programmées, n’est pas sans mériter de figurer parmi les « œuvres ouvertes », telles que les théorise Umberto Eco, en s’appuyant sur des compositions musicales de Karlheinz Stockhausen ou de Pierre Boulez. Il est alors permis de qualifier le livre de Pavic de postmoderne, dans la mesure où il défie le rationnel au moyen des prestiges douteux de la magie, où il réinvestit le passé avec les instruments de la critique textuelle, de l’intertextualité, de l’ironie et du ludique. Ce dont témoigne le livret associé, « Lexique des lecteurs du Dictionnaire Khazar », qui vous permet de choisir votre entrée, selon que vous êtes, entre autres, « bibliomane », « interprète des rêves », « qui s’en remet aux listes de best-sellers », ou « syndicaliste du déchiffrage »…

En fait, n’en déplaise à l’imaginaire de Milorad Pavic, le peuple Khazar a bien existé. Son royaume s’étendait au nord de la Mer Noire, de la Mer Caspienne, autant qu’autour du X° siècle, ce qu’atteste le livre d’une poignée d’historiens dirigés par Jacques Piatigorski et Jacques Sapir : L’Empire Khazar, VII-XI° siècle. L’énigme d’un peuple cavalier[4]. Reste la question de savoir quel choix religieux ces populations ont fait au moment d’abjurer le polythéisme, alors qu’elles ont fait barrage contre l’invasion islamique. Probablement ont-ils élu le Judaïsme, sans que grand-chose puisse en attester. Qui sait si les Ashkénazes sont leurs descendants, comme l’imagina Arthur Koestler[5] ? Les querelles d’érudits peuvent faire rage, dès lors que les sources font défaut, sinon de manière adjacente, grâce à des chroniqueurs byzantins ou islamiques d’une fiabilité discutable, les passions identitaires et religieuses s’exacerber alors que l’objet de la connaissance glisse entre les doigts comme le vent des steppes éternellement parcourues par ces désormais fameux et fumeux Khazars. Au point que d’autres romanciers, comme Marek Halter[6], se soient emparés de ces irrattrapables cavaliers. Qui doivent avant tout leur postérité légendaire et splendide au roman éminemment borgésien de Milorad Pavik.

Jouant sur les typographies, la mise en page, colonnes ou fac simile, les éditeurs du Nouvel Attila ont sans nulle équivoque réussi une belle et nécessaire réédition de cette traduction de Maria Bejanovska, dont on connait les talents, pour avoir traduit la Sorcière d’Andonovski[7]. Tout juste pourrait-on craindre pour la fragilité de la couverture à fenêtre et interroger le bien-fondé de la reliure à l’orientale, sans dos. Mais à un tel fringant cheval des steppes on ne regarde pas les dents…

En une narration « non linéaire », que l’ordre alphabétique induit à terminer différemment en fonction de la langue choisie par le traducteur, se rencontrent « versions masculine et féminines » (il faut alors consulter la page 235) : « la raison tient au fait qu’un homme vit le monde hors de son corps, alors que la femme porte l’univers en elle ». Nous laisserons à Milorad Pavic la responsabilité d’une telle dichotomie. À moins d’acquérir l’anglaise édition hermaphrodite. Qu’importe, le roman-jeu, l’encyclopédie khazares ainsi construite comme un dessin d’Escher, se glisse parmi des pages surnuméraires de l’encyclopédie universelle. Comme dans l’Encyclopaedia Britannica, existait et n’existait pas la possibilité stupéfiante d’une nouvelle de Jorge Luis Borges : « Tlon Uqbar orbis tertius[8] ».

 

Photo : T. Guinhut.

 

Livre-objet infiniment séduisant, à l’image de son sujet, cette Boîte à écriture, originairement publiée en 1999, déploie ses tiroirs, comme le cerveau de l’écrivain offre ses couloirs, ses salles et ses jardins au lecteur. Le bel objet bibliophilique semble disposer trois couvertures, successivement marron glacé, pêche et grisée, puis de cahiers orange et blanc, rose et vert, en autant de récits, sans oublier un encart dépliant vert, qui ne permettra pas de dévoiler le nom interdit, quoiqu’il soit coupable de la mort de Timothée. Le volume est soigné, plus encore qu’à l’habitude de l’éditeur, Le Nouvel Attila, après le passage duquel l’herbe littéraire repousse mieux que jamais. La maquette est signée Gabrielle Coze, qui habilla également Le Dictionnaire khazar ; ce qui lui permit de recevoir le grand prix de « La nuit du Livre 2016 ». Il est à craindre que l'éditeur ait ici oublié de citer ici son nom.

Une fois les yeux pris par la lecture, l’ouvrage s’ouvre sur une boîte marine, judicieusement agencée, dans un bois d’acajou et sertie de cuivre, aux serrures et casiers parfois secrets. Outre les parfums salés et de tabac qui en émanent, elle sert à classer des histoires.

D’abord celle des « quarante-huit cartes postales », jamais envoyées, qui content les amours d’une femme libre, gourmande d’un riche manteau de fourrure que son amant lui offre, peut-être au service d’un autre amant. Elle est experte en odeurs corporelles et parfums, et l’érotisme s’élève à fleur de peau, en une ébullition presque surréaliste, non sans faire penser à André-Pierre de Mandiargues. Labyrinthique comme celle des maris et des amants pris et jetés, cette escapade parisienne trouve à la librairie « Shakespeare and company » une petite annonce où un exemplaire masculin du Dictionnaire Khazar cherche un exemplaire féminin, en un clin d’œil complice à un autre opus de Milorad Pavic.

Avec « les petits compartiments noirs et blancs », la découverte de la boîte devient de plus en plus une ekphrasis, ce terme rhétorique désignant la description d’une œuvre d’art. L’on y trouve un sifflet « en forme de phallus [...] pour appeler l’esprit des morts ». Quant au « tiroir en bois de rose », sur papier adéquatement coloré, son secret révèle une boîte à musique aux sept mélodies, en une mise en abyme attendue. Celui en noyer contient un manuscrit, en réponse à la petite annonce, qui permet à deux étudiants d’étudier plus les mathématiques que l’amour. Il est question de « regard à briser les miroirs », d’un voyage de Paris à Salonique pour retrouver un amant qui n’en peut-être pas un, d’une « horloge d’amour » (plus loin décrite), d’union sexuelle à la lisière de la mythologie, de « décalculer » l’avenir. Laissons le lecteur découvrir la chute de cet étrange et beau récit…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À l’usage des gourmets, le « compartiment en soie verte » offre le journal de bord d’un bateau grec, avec les « mets qu’il avait goûtés en rêve ». Celui destiné aux objets précieux ne contient qu’une bande magnétique à la voix venue de la guerre de Bosnie : d’un soldat voulant oublier la langue serbe. Sa fuite, sa traversée de l’Italie, son retour à Paris, tout cela s’emboîte dans le précédent récit, comme tenon et mortaise. Timothée, « l’amant du taureau blanc », croise de nouveau l’existence de l’ingénieure Lili qui devient « Europe », alterne la guitare, les vêtements féminins et masculins, la froideur et l’amour. Alors que les tragédies amoureuses sont les légendes du passé, la maison de Timothée revit ses ombres et ses lumières, avec « l’histoire de la servante Selena », avec un duel entre sœurs…

Ainsi, en cet ouvrage onirique de plus en plus enivrant, se démultiplient les histoires, nourries d’échos et de leitmotivs, les appels poétiques, les secrets de la psyché, où la finesse intellectuelle, l’art des drames et de l’imaginaire s’allient à la fantaisie.

Les récits emboîtés, comme l’entend le titre, distribuent une constellation d’histoires d'amour qui progresse par tiroirs successifs et par zones géographiques, entre Salonique et Paris, la Serbie et Kotor, alors que les Balkans sont le pôle magnétique de l’ouvrage voyageur. Ce à quoi nous dispose notre auteur en son épigraphe : « Chaque fois que l'Europe tombe malade, elle cherche à soigner les Balkans ». Même si nous ne connaissons pas un traitre mot de serbe, l’on devine que la traductrice, Maria Bejanovska, n’a pas manqué de soigner la beauté du phrasé pavicquien…

 

Féru de boites, de boites dans des boites, Milorad Pavic joue avec son lecteur en l’invitant à jouer avec son Exemplaire unique. Roman aux cent fins. Au-delà de se contenter de nous prendre dans les filets convenus de l’amour et du policier, le voici ajoutant à son intrigue toute personnelle un curieux et réjouissant dispositif, originellement paru en 2004. Une fois de plus notre fantaisiste romancier mérite sa réputation de faiseur de « littérature non linéaire ». Car à un roman de bon aloi intitulé Exemplaire unique s’ajoute « Le Cahier bleu », avec lequel le lecteur est sommé de se dépatouiller, de choisir l’une de ses fins, ou pourquoi pas l’une d’entre cent pour chacune des cents journées que l’on pourrait pavicquer à l’aide de cent feuillets séparés et jetés comme une poignée de fétus divinatoires, eux-mêmes venus de « cent notes de feu l’inspecteur supérieur Eugène Stross ». Mais au risque d’accumuler « cent morts au lieu d’une »…

Si l’on se rend chez un commerçant c’est pour acheter un produit, un service. Mais chez AlexSandra Klozevitz, androgyne de son état, oscillant entre Alex et Sandra, il s’agit  de consulter « un.e chasseur.se de rêve » et d’acquérir l’un de ses rêves futurs. L’on devine que les fantasmes y sont légion, moins qu’ils se mâtinent de mythe, moins encore que leur qualité prémonitoire, donc dangereuse, est avérée. Il n’en reste pas moins que la créature aux deux visages doit payer ses dettes, ce en liquidant deux comparses. Aussi croisons-nous Isaï Kruz, et bientôt la banquière Livia Heht. Ils sont entourés, l’un par un chanteur d'opéra et sa femme, Lempicka la superbe, son lévrier, l’autre par un amant aux parfums révélateurs. La basse opératique perd sa voix, rêve de sa mort, achète ses rêves pour en fractionner la douleur. L’on ne sait plus qui use du « révolver de luxe dans un foulard mauve »…

Mais une fois le chanteur décédé naturellement, il faut à Lampicka prendre un nouvel amant, voyager, revenir pour calmer ses inquiétudes et acheter un rêve posthume, soit « une petite cuillère d’éternité » puisque venu de sa mort à trente-sept ans, à condition de tuer quelqu’un. Sa jalousie, armée du Magnum, trouve bientôt sa cible, à ses  risques et périls.

L’on constatera ensuite que le tribunal tient compte des rêves, celui « sur la mort de Pouchkine », celui « sur les pas » étant fournis en supplément, qu’il se satisfait de condamner Monsieur Erlangen pour avoir tué Lempicka en outrepassant la légitime défense et notre vendeur de rêves à une amende. Soit. Mais l’inspecteur Stross reste titillé par le meurtre inexpliqué d’Isaï Kruz et le cas Lempicka. Il lui en coûtera la vie.

Reste à choisir, sans risque de dévoiler la fin, une carte au hasard parmi le « Cahier bleu » de l’inspecteur dont la démarche intellectuelle s’associe au champ des possibles : à la fois une image du fonctionnement du cerveau humain et une esthétique littéraire. La n°78 se penche sur un « corpus delicti », le foulard mauve resté seul dans le coffre de la banque. La cent-unième invite le lecteur à inscrire sa propre fin sur sa virginité…

Dans un cadre réaliste, la dimension fantastique efface les frontières du féminin et du masculin, du rêve et de la réalité, de la vie et de la mort, du passé et de l’avenir, explosant la rationalité de la justice, avec le brio époustouflant que l’on ne peut méconnaître chez notre cher Milorad Pavic, écrivain ludique et vertigineux.

Le Serbe Milorad Pavic, en quelque sorte docteur en érudition imaginaire, mériterait en France d’être mieux connu : il faudrait alors se souvenir de son roman de Héro et Léandre, ou de Léandre et Héro, selon que l’on lit une première partie jumelle de la seconde, qu’il faut aborder en retournant le volume, jusqu’à ce qu’elles se rejoignent au centre des pages : L’Envers du vent[9]. Ou son « roman-tarot », Le Dernier amour à Constantinople, qui attend encore sa traduction. Il est enfin résolument permis d’agréger les romans « boîte » et « dictionnaire » de Milorad Pavic à ce qu’Umberto Eco appelait « l’œuvre ouverte » : « Nous ne sommes plus devant des œuvres qui demandent à être repensées et revécues dans une direction structurale donnée, mais bien devant des œuvres ouvertes que l’interprète accomplit au moment même où il en accomplit la médiation ». Ce dernier étant ici le lecteur, l’on dira, conjointement avec l’auteur du Nom de la rose : « une forme est esthétiquement valable justement dans la mesure où elle peut être envisagée et comprise selon des perspectives multiples, où elle manifeste une grande variété d’aspects et de résonnances sans jamais cesser d’être elle-même[10] ».

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Milorad Pavic : le Dictionnaire khazar, Belfond, 1988.

[2] Umberto Eco : Le Nom de la rose, Grasset, 1982.

[4] Jacques Piatigorski et Jacques Sapir : L’Empire Khazar, VII-XI° siècle. L’énigme d’un peuple cavalier, Autrement, 2005.

[5] Arthur Koestler : La Treizième tribu, Tallandier, 2008.

[6] Marek Halter : Le Vent des Khazars, Robert Laffont, 2001.

[8] Jorge Luis Borges : Fictions, Gallimard, 1951, p 19-46.

[9] Milorad Pavic : L’Envers du vent, Belfond, 1996.  

[10] Umberto Eco : L’œuvre ouverte, Seuil, 1965, p 17.

 

Parador San Marcos, Leon, Castilla la vieja. Photo : T. Guinhut.

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14 avril 2021 3 14 /04 /avril /2021 09:22

 

Salon des collectionneurs, Poitiers, Vienne.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

À la recherche du Proust perdu :

 

du Mystérieux correspondant

 

aux soixante quinze feuillets.

 

 

 

Marcel Proust : Le Mystérieux Correspondant et autres nouvelles,

Editions de Fallois, 2019, 176 p, 18,50 € ; Folio, 2021, 208 p, 7,50 €.

 

Marcel Proust : Les Soixante-quinze feuillets et autres manuscrits inédits,

Gallimard, 2021,  386 p, 21 €.

 

 

 

      Comme un parfum dont la rémanence interroge, la mystérieuse source de La Recherche reste à identifier. Est-elle dans l’éphémère bouillon génétique et biochimique de l’homme qui l’écrivit, dans le terreau culturel du Paris de la fin du XIX° siècle, dans les figures et les amours qui croisèrent la destinée de l’écrivain ? Sans résoudre définitivement bien sûr de telles problématiques inhérentes à toute création artistique, la publication d’un bouquet d’inédits vient à propos. Le jeune Marcel Proust (1871-1922) écrivit de tragiques bluettes qu’il ne daigna pas publier dans Les Plaisirs et les jours, à moins qu’elles fussent trop révélatrices : Le Mystérieux Correspondant et autres nouvelles, aujourd’hui révélées. Si elles ne sont qu’un jeu de gammes pianistique, cependant fort troublant, du futur orchestrateur de sa cathédrale romanesque, elles voisinent avec des documents afférents aux sources de ce qui faillit s’appeler Les Intermittences du cœur pour accéder à la dignité d’À la recherche du temps perdu. Mieux encore, l’apparition des Soixante-quinze feuillets, presque miraculeuse, est une marche essentielle pour comprendre comment va s’édifier la singularité d’une cathédrale romanesque en gestation.

 

      Comment est-ce possible ? Retrouver après plus d’un siècle des nouvelles d’un écrivain si convoité, si unanimement salué ! De plus souvent des inédits… Ces manuscrits brouillons (parfois ici photographiés), ces bribes encore mal raboutées, contemporains de l’élaboration des Plaisirs et les jours, recueil publié en 1896, viennent des archives de Bernard de Fallois, décédé en 2018, ce pourquoi elles peuvent aujourd’hui nous être livrées. Non sans peut-être un parfum de vieux scandale craint tant par l’auteur que par ses héritiers.

      Car l’intimité s’y dévoile au moyen d’une homosexualité transposée, néanmoins avouée. Certes rien d’obscène, mais un questionnement psychologique, une dimension morale affleurent sans cesse. Cette homosexualité induit une souffrance psychologique, voire le sentiment d’une malédiction sociale et biblique, ce dont le futur volume titré Sodome et Gomorrhe accuse la trace. L’on est ici bien loin du Corydon de Gide, dont l’objet est un dialogue philosophique sans fard sur ce sujet. Pourtant Les Plaisirs et les jours n’évite pas complètement l’objet du délit. Si Marcel Proust n’y a pas inclus ces pages, c’est que, bourgeons malhabiles, elles n’étaient pas tout à fait des fleurs.

      Publié en 1896, Les Plaisirs et les jours fut rien moins que préfacé par le célèbre Anatole France et accompagné de quatre pièces pour piano de Reynaldo Hahn. Les joies enfantines et les beautés de la nature y perdent leurs saveurs en passant par le dessèchement de la vie mondaine. Cet arasement de la sensibilité s’accompagne d’une délectation mélancolique qui brise le personnage de « Violante ou la mondanité », et condamne un dilettante dans « La mort de Baladassare Silvando, vicomte de Sylvanie ». La satire des plaisirs mondains, conspués pour leur vanité, s’efface devant des nouvelles plus nettement psychologiques, comme « Confession d’une jeune fille » et « La fin de la jalousie », où l’imagination amoureuse n’est pas sans danger mortel, ce en lien avec les thématiques abordées dans ce Mystérieux correspondant et autres nouvelles. Ces dernières rejoignent en quelque sorte, dans l’édition de la Pléiade, quatre petits « Textes non publiés par Proust », évoquant deux beaux jeunes hommes et deux jardins, répondant ainsi aux proses des « rêveries couleur du temps ».

 

      Nous sommes avant Jean Santeuil, qui se veut « l’essence de ma vie », premier jet et immense brouillon de La Recherche, qui se dote d’un narrateur externe au récit et conte la vie et les émois de son personnage à la troisième personne, et bien avant l’invention géniale d’un narrateur interne qui efface toutes (ou presque) les traces de Marcel, dans le cadre d’un roman autobiographique, d’initiation, psychologique, de société, soit un roman-somme.

      Les stratégies narratives de ces proses sont à chaque fois différentes, comme si l’écrivain encore en herbe s’essayait sur plusieurs cordes d’un instrument encore immature. Le statut du narrateur ici est varié, homme, femme, il dit parfois « je », comme celui qui raconte sa visite à « Pauline de S » bientôt mourante. Cependant le « souvenir » du capitaine qui nous offre en une nouvelle épistolaire le récit à la première personne de son émoi pour un brigadier, nanti « d’exquis yeux calmes », quoiqu’il reste dans l’ignorance de la nature de son penchant, peut être lu comme l’émanation d’une sorte d’alter ego de l’écrivain.

      C’est de la main d’un « mystérieux correspondant » que Françoise reçoit une lettre en forme de déclaration d’amour. Cependant l’intérêt se déplace vers son amie Christiane qui, possédée par un « douloureux secret », meurt d’une « maladie de langueur », en fait son amour passionné pour Françoise, sans que son confesseur lui accorde le droit de contenter son amie, ce qui pourtant est conseillé par le médecin, qui croit à un amour hétérosexuel. Le lecteur perspicace, et bouleversé, devine que ce « mystérieux correspondant » n’est autre que Christiane : qui d’autre en effet aurait pu laisser messages et réponses ? La transposition est une pudeur, mais aussi un exorcisme.

      Le désespoir amoureux trouve une consolation lorsque son allégorie, sous forme de « bel écureuil-chat blanc », apparait près d’un homme. Ce beau poème en prose, titré « La conscience de l’aimer », est une rare occurrence du fantastique dans l’œuvre de Proust, non loin du « Corbeau » d’Edgar Allan Poe. Une telle souffrance fait également partie du « Don des fées », outre la fatalité d’être « perpétuellement méconnu », et de ne pouvoir aller aux « Champs Elysées où tu joueras avec une petite fille », comme plus tard l’une des « jeunes filles en fleurs », Gilberte. Une fée supplémentaire le console : « la maladie a sa grâce dont tu jouiras profondément ». Ne devine-ton pas là cette capacité de perception du monde qui permettra la longue création d’une œuvre d’art…

      En effet, plus loin, nous espérons en la « Grâce ». Elle se déploie « Après la 8° symphonie de Beethoven » : « C’est l’âme vêtue de son, ou plutôt la migration de l’âme à travers les sons,  c’est la musique ». Les derniers quatuors du même, et les œuvres de Vinteuil, sonate et septuor, sauront plus tard amplifier cette réflexion.  

       « Aux Enfers » appartient au genre du dialogue des morts, là un peu scolaire, dans la tradition grecque et classique de Fénelon et de Fontenelle, qui ne saurait effacer la perspective de l’enfer chrétien. Mais n’en retrouve-t-on pas un écho, lorsqu’Albertine devra écrire une consolation de Sophocle à Racine à l’occasion de l’insuccès d’Athalie ?

      Ce n’est plus la charmante mélancolie fin de siècle des Plaisirs et les jours ; aussi Proust a bien eu conscience qu’il risquait de déséquilibrer le recueil en y intégrant ces nouvelles parfois mortuaires, parfois morcelées, dont l’écriture encore inassurée trahit le manuscrit en chantier, sans compter le parfum trop insistant des amours maudites.

Marcel Proust : À la Recherche du temps perdu,

illustré par Van Dongen, Gallimard, 1947.

Photo : T. Guinhut.

 

      Jean-Yves Tadié, maître d’œuvre de l’édition d’À la Recherche du temps perdu  en Pléiade, et perspicace auteur de Proust et le roman[1], pointe « l’intérêt littéraire bien faible » de ces nouvelles abandonnées en leur chantier, et de surcroit un auteur « mou et sentimental[2] ». Certes ce n’est que rétrospectivement que l’on peut se pencher avec un réel intérêt sur les gammes avortées de celui qui n’est pas un enfant prodige, comme le fut Rimbaud, mais qui dut atteindre la maturité pour déployer son génie. Cependant elles ne sont ni sans grâce, ni sans puissance séminale.

      Car en soi, malgré leur finesse, ces nouvelles n’auraient qu’un intérêt modeste, si elles ne contenaient pas in nucleo quelques-unes des intuitions de La Recherche. En n’abusant pas un instant de la critique biographique à la Sainte-Beuve, ni de la trop facile interprétation oraculaire, l’on préférera voir comment le romancier y prépare des filigranes qui veinent La Recherche ; où la transposition est encore plus vaste, puisque le narrateur, seul à ne pas être affecté par le virus, découvre peu à peu l’homosexualité de bien des personnages, de Charlus à Saint-Loup, sans oublier Albertine. La culpabilité au sens catholique du terme sera rejetée dans les limbes au profit d’une sorte de religion de l’art, même si l’on peut considérer que les figures luxurieuses de Charlus et de Saint-Loup s’exaspèrent en contrepoint de la Première guerre mondiale. De plus l’écoute consolatrice de la « 8° symphonie de Beethoven » préfigure le rôle dévolu aux œuvres de Vinteuil, « hymne national » de l’amour de Swann et Odette, comme le rôle de passeur de Botticelli qui auréole la perception du beau militaire aimé préfigure Swann aimant Odette la cocotte par l’entremise de l’art du peintre, seule réalité essentielle, lorsque « la vraie vie c’est la littérature ». Les moments emblématiques exploités par les nouvelles se multiplieront pour devenir un vaste roman d’apprentissage, depuis l’enfant qui attend le baiser de sa mère jusqu’à l’homme qui voit vieillir tous les protagonistes de son univers qu’il faudra d’urgence se résoudre à cristalliser en beauté dans Le Temps retrouvé de l’œuvre. Le microcosme social mondain dans lequel évoluent ces quelques personnages deviendra une véritable galaxie romanesque, incluant satire et vanité, médecins et militaires, écrivains, peintres et musiciens… Enfin le travail du capitaine repassant son souvenir peut être considéré comme un embryon de celui de la mémoire volontaire secourue par celle involontaire. Quoiqu’au rebours de tout cela, nous l’avons dit, il faille concéder que le narrateur que nous attendons est loin d’être ici conçu.

      Les motifs précoces proliférants, qui ne trouveront leur pleine expression que dans sa future somme romanesque, attestent que le jeune Proust est loin d’être un mondain superficiel, mais déjà un écrivain à part entière, qui joue avec presque sûreté des genres qu’il abandonnera cependant ensuite : le dialogue des morts, le récit à suspense ou fantastique. Seul le portrait psychologique est au travail. D’autant que la subtile et profonde phrase proustienne est déjà là par éclats : « Les méditations sur la vie et sur l’âme, les profondeurs d’émotion où nous nous sentons descendre au cœur même de notre être, la bonté, le pardon, la pitié, la charité, le repentir au premier plan, seuls réels ». Ou encore : « La face de nos âmes change aussi souvent que la face du ciel. Nos pauvres vies flottent désemparées entre les courants de la volupté où elles n’osent pas rester et le port de la vertu qu’elles n’ont pas la force d’attendre ».

 

Marcel Proust : À la Recherche du temps perdu,

illustré par Van Dongen, Gallimard, 1947.

Photo : T. Guinhut.

 

      En fin de volume, Luc Fraisse nous offre quelques clefs afin d’accéder « Aux sources de la Recherche du temps perdu ». L’œuvre serait-elle moins grande avec les béquilles de ces éléments documentaires ? Certes non, mais s’interroger sur l’alchimie de la création n’a rien de vain. La géographie de Balbec, les « jeunes filles en fleurs[3] » ne sont pas nées ex nihilo.

      L’on sait maintenant que les essais du sociologue Gabriel Tarde, Les Lois de l’imitation et La Logique sociale (1890 et 1895) ont contribué à la conception de l’évolution du noyau Verdurin vers une influence considérable dans le Faubourg Saint-Germain, que celui de Joseph Baruzzi, La Volonté de la métamorphose (1909), qui montre que la création artistique est essentiellement un effort individuel et qui préfigure la proustienne mémoire involontaire ont été des leviers pour l’écrivain. Il n’en reste pas moins que la transmutation intellectuelle qui conduisit à l’ampleur romanesque n’appartient qu’à Proust.

      Les personnages trouvent aussi leurs sources. La reprise de passages de lettres à Reynaldo Hahn trouve sa pleine expression dans la jalousie de Swann à l’égard d’Odette. Gilberte était probablement un garçon aux Champs Elysées, et emprunte plus tard des traits au chauffeur de Proust, Agostinelli : elle révèle au narrateur l’étonnante proximité des côtés de chez Swann et de Combray, quand celui-là connaissait si bien les routes d’Illiers et de Cabourg, devenus Combray et Balbec. À Cabourg, ce furent des « jeunes gens en fleurs » qui donnèrent l’occasion d’esquisser une « ode » à des « golfeurs », dont un certain Marcel Plantevignes, qui, en 1966, publia un recueil de souvenirs sur l’écrivain. L’on n’en déduira évidemment pas que tous les personnages féminins ont une source masculine. L’on sait, par exemple, qu’il y a beaucoup de Madeleine Lemaire, peintre de roses, dans Madame Verdurin, de Marie Bénardaky dans Gilberte, que la bicyclette d’Albertine est celle de Marie Nordlinger, que la duchesse de Guermantes est un condensé des comtesse Greffulhe, de Chevigné, et caetera. Reste qu’au-delà du matériau autobiographique et social seul le moi profond de l’artiste anime la création : « un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices[4] », affirme l'auteur de La Recherche dans son Contre Sainte-Beuve. Seule la cristallisation dans la fiction donne leur pleine dimension, au-delà de modèles épars et partiels agrégés, aux personnages qui animent l’œuvre d’art.

      Présenté avec soin et sagacité par Luc Fraisse, ce mince recueil n’est en rien indigne d’être glissé auprès des volumes de la Pléiade sacralisant À la Recherche du temps perdu. Une intense mélancolie sans affèterie transporte ses textes injustement oubliés, ourdis qu’ils sont par les fils rouges de la mort, des amours impossibles et de l’homosexualité, qui chacun à leurs façons seront transcendés dans le fleuve romanesque à plusieurs bras, qui nous affirme que ni Proust, ni son art, ni nous-même, n’avons vécus en vain. Et même les dissertations du jeune Marcel, au lycée Condorcet, n’auront pas été écrites en vain : outre leur utilité formatrice, elles seront bientôt publiées avec diverses pages de jeunesse en compagnie d’un carnet de citations composé par maman Jeanne Proust. C’est en miroir de La Recherche que l’on peut lire également la Correspondance avec sa mère[5], dans laquelle cent-cinquante-neuf lettres, de 1897 à 1905, se croisent entre deux êtres qui s’aimaient d’amour tendre : elle aussi était bien inquiète de ce baiser retardé au début de Combray

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Baiser cependant soigneusement et longtemps préparé par l’écrivain. Car le voici parmi Les Soixante-quinze feuillets, exhumés là encore des « archives Fallois », cette fois-ci préfacés avec enthousiasme par Jean-Yves Tadié, quoique soigneusement édités par Nathalie Mauriac Dyer et nantis d’un impressionnant appareil critique. Le baiser de Combray est déjà fondateur, mais l’on ne sait pas encore de quoi, même s’il est déjà bellement développé : « et qu’enfin ce baiser précieux, unique, car on ne me laissait pas l’embrasser plusieurs fois, trouvant que c’était ridicule, je puisse bien en garder le souvenir entier, mieux la présence prolongée en mon esprit, de façon à pouvoir dans ma chambre, quand je commencerais à haleter de me sentir seul et séparé d’elle, en ouvrir le souvenir intact et gardé par mon intelligence à sa portée comme une hostie où je trouverais sa chair et son sang »…

Depuis l’impasse de Jean Santeuil, le futur maître du temps avait abandonné en 1899 le genre romanesque. C’est à la fin de 1908 et au début de 1909 qu’il rédige ces Soixante-quinze feuillets. Comme les blocs errants des soubassements préromans de sa future cathédrale gothique, sinon baroque, le compositeur en herbe de La Recherche ne sait pas encore où il s’engage, convoquant et pétrissant les matériaux bruts de l’autobiographie et de la chronique sociale. Car la grand-mère s’appelle toujours Adèle, sa mère Jeanne, lui-même Marcel et l’imaginaire et synthétique Balbec se cache sous un « C » qui est celui de Cabourg ; de plus la fameuse madeleine n’est qu’une inoffensive biscotte. Pas encore d’intrigue pour relier ces fragments dans une dimension romanesque, pas encore le phénomène dynamique et démiurgique de la mémoire involontaire, mais des brouillons thématiques et générateurs, tels « Une soirée à la campagne », « Séjour au bord de la mer », « Jeunes filles », « Noms nobles », « Venise » enfin. Si les lieux iconiques de l’opus proustien sont présents in nucleo, Combray, Balbec, Venise,  « Le côté de Villebon et le côté de Meséglise » n’ont pas encore revêtu la magie des noms, qui seront ceux de Swann et de Guermantes.

Parfaites briques de l’édifice à venir, elles ne sont cependant pas le moins du moins du monde ouvragées comme les pierres de Venise[6], pour reprendre le titre de John Ruskin que Marcel Proust goûtait fort et auquel il a consacré un article. Car ces feuillets ont indubitablement des phrases, mais pas encore la phrase, où à peine, par éclats soudains. Cette phrase proustienne soyeuse et enveloppante qui se déploie par métaphores filées et envolées vers les dimensions cosmiques du temps et de l’art, comparant par exemple les joues d’Albertine à des figures de Michel-Ange. Prenons par exemple le début de « Jeunes filles » : Un jour, comme deux oiseaux de mer marchant sur le sable et prêts à s’envoler, j’aperçus sur la plage deux fillettes, plus tout à fait des petites filles, pas encore des jeunes filles, dont l’aspect inconnu, l’aspect étrange pour moi, me les firent prendre pour des étrangères de passage et que je ne reverrai pas ». Retrouvons-les dans la seconde partie d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs : « presque encore à l’extrémité de la digne où elles faisaient mouvoir une tache singulière, je vis s’avancer cinq ou six fillettes, aussi différentes, par l’aspect et par les façons, de toutes les personnes auxquelles on était accoutumé à Balbec, qu’aurait pu l’être, débarquée on ne sait d’où, une bande de mouettes qui exécute à pas comptés sur la plage - les retardataires rattrapant les autres en voletant - une promenade dont le but semble aussi obscur aux baigneurs qu’elles ne paraissent pas voir , que clairement déterminée pour leur esprit d’oiseau ». L’on découvre ainsi combien le romancier a gagné non seulement en ampleur, mais en lissé poétique, en projection vers le sens indispensable de la beauté. Ces fillettes sont cependant un peu plus loin, comparées à « des statues exposées au soleil sur un rivage de la Grèce[7] ».

 

Nouvelles intimes, trop intimes, moments de confessions, tous ces feuillets jusque-là inédits ne métamorphosent pas le bonheur que nous avons à lire La Recherche. Encore englués dans la terre nourricière de l’autobiographie, sans prendre leur envol vers la puissance et la grâce romanesque, ils en sont cependant les émouvantes prémices, avec l’immense utilité de montrer comment un homme peut devenir l’artiste qui est enclos en lui, à condition de travailler longuement le marbre de la langue et de la vaste forme, comme Michel-Ange fit éclore du marbre brut la vie de ses statues. Songeons que Françoise, allait au marché choisir sa viande comme Michel-Ange choisissait ses marbres, et qu’elle opère, dans À l’ombre des jeunes filles en fleurs, une plus modeste, et pourtant signifiante transsubstantiation : « Le bœuf froid aux carottes fit son apparition, couché par le Michel-Ange de notre cuisine sur d'énormes cristaux de gelée pareils à des blocs de quartz transparent[8] ».

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Jean-Yves Tadié : Proust et le roman, Gallimard, 1971.

[2] Le Monde des livres, 18 octobre 2019.

[4] Marcel Proust : Correspondance avec sa mère, 10/18, 2019.

[5] Marcel Proust : Contre Sainte-Beuve, La Pléiade, Gallimard, 200, p 221-222.

[6] John Ruskin : Les Pierres de Venise, Hermann, 2005.

[7] Marcel Proust : À la recherche du temps perdu, t II, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, Gallimard, La Pléiade, 1988, p 146 et 148.

[8] Marcel Proust : À la recherche du temps perdu, t I, À l’ombre des jeunes filles en fleurs, Gallimard, La Pléiade, 1988, p 449.

 

 

Marcel Proust : À la Recherche du temps perdu,

illustré par Van Dongen, Gallimard, 1947.

Photo : T. Guinhut

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Archéologie de l’écologie politique

Monstrum oecologicum, éolien et nucléaire

Ravages de l'obscurantisme vert

Wohlleben, Stone : La Vie secrète des arbres, peuvent-il plaider ?

Naomi Klein : anticapitalisme et climat

Biophilia : Wilson, Bartram, Sjöberg

John Muir, Nam Shepherd, Bernd Heinrich

Emerson : Travaux ; Lane : Vie dans les bois

Révolutions vertes et libérales : Manier

Kervasdoué : Ils ont perdu la raison

Powers écoromancier de L'Arbre-monde

Ernest Callenbach : Ecotopia

 

 

 

 

 

 

Editeurs

Eloge de L'Atelier contemporain

Diane de Selliers : Dit du Genji, Shakespeare

Monsieur Toussaint Louverture

Mnémos ou la mémoire du futur

 

 

 

 

 

 

Education

Pour une éducation libérale

Allan Bloom : Déclin de la culture générale

Déséducation et rééducation idéologique

Haine de la littérature et de la culture

De l'avenir des Anciens

 

 

 

 

 

 

Eluard

« Courage », l'engagement en question

 

 

 

 

 

 

Emerson

Les Travaux et les jours de l'écologisme

 

 

 

 

 

 

 

Enfers

L'Enfer, mythologie des lieux

Enfers d'Asie, Pu Songling, Hearn

 

 

 

 

 

 

Erasme

Erasme, Manuzio : Adages et humanisme

Eloge de vos folies contemporaines

 

 

 

 

 

 

Esclavage

Esclavage en Moyen âge, Islam, Amériques

 

 

 

 

 

 

Espagne

Histoire romanesque du franquisme

Benito Pérez Galdos, romancier espagnol

 

 

 

 

 

 

Etat

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Constructivisme versus démocratie libérale

Amendements libéraux à la Constitution

Couleurs des monstres politiques

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Socialisme et connaissance inutile

Patriotisme et patriotisme économique

La pandémie des postures idéologiques

Agonie scientifique et sophisme français

Impéritie de l'Etat, atteinte aux libertés

Retraite communiste ou raisonnée

 

 

 

 

 

 

Etats-Unis romans

Dérives post-américaines

Rana Dasgupta : Solo, destin américain

Eugenides : Middlesex, Roman du mariage

Bernardine Evaristo : Fille, femme, autre

La Muse de Jonathan Galassi

Gardner : La Symphonie des spectres

Lauren Groff : Les Furies

Hallberg, Franzen : City on fire, Freedom

Jonathan Lethem : Chronic-city

Luiselli : Les Dents, Archives des enfants

Rick Moody : Démonologies

De la Pava, Marissa Pessl : les agents du mal

Penn Warren : Grande forêt, Hommes du roi

Shteyngart : Super triste histoire d'amour

Tartt : Chardonneret, Maître des illusions

Wright, Ellison, Baldwin, Scott-Heron

 

 

 

 

 

 

Europe

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

Fables politiques

Le bouffon interdit, L'animal mariage, 2025 l'animale utopie, L'ânesse et la sangsue

Les chats menacés par la religion des rats, L'Etat-providence à l'assaut des lions, De l'alternance en Démocratie animale, Des porcs et de la dette

 

 

 

 

 

 

Fabre

Jean-Henri Fabre, prince de l'entomologie

 

 

 

 

 

 

Facebook

Facebook, IPhone : tyrannie ou libertés ?

 

 

 

 

 

 

Fallada

Seul dans Berlin : résistance antinazie

 

 

 

 

 

 

Fantastique

Dracula et autres vampires

Lectures du mythe de Frankenstein

Montgomery Bird : Sheppard Lee

Karlsson : La Pièce ; Jääskeläinen : Lumikko

Michal Ajvaz : de l'Autre île à l'Autre ville

Morselli Dissipatio, Longo L'Homme vertical

 

 

 

 

 

 

Fascisme

Histoire du fascisme et de Mussolini

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Haushofer : Sonnets de Moabit

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

V bis Le fantôme du CouloirdelaVie.com

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De Natura rerum. Montée vers l’Empyrée

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets des paysages

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V L'Hôtel-Monastère Santa Cristina

VI Le Club des tee-shirts politiques

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme et Aldo Manuzio

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder ; Un été sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Seiobo est-descendue sur terre

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Maladie et métaphore : Wagner, Maï, Zorn

Pandémies historiques et idéologiques

Histoire des pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Sonnets pour Hélène LXVIII Commentaire

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

 

 

 

 

 

 

Science fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Sonnets autobiographiques

Sonnets de l'Art poétique

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

Steiner

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique