traduit du grec par Paul Mazon, Les Belles lettres, 96 p, 15 €.
Apollonius de Rhodes : Les Argonautiques, traduit du grec par Francis Vian et Emile Delage,
Les Belles lettres, 360 p, 21 €.
Xénophon : Cyropédie, traduit du grec par Marcel Bizos et Edouard Delebecque,
Les Belles lettres, 464 p, 23,50 €.
Epictète : Entretiens. Manuel, traduit du grec par Joseph Souilhé et Armand Jagu,
Les Belles lettres, 488 p, 23 €.
Lucien : Vies à vendre, traduit du grec par Anne-Marie Ozanam,
Les Belles lettres, 208 p, 17 €.
Esope : Fables, traduit du grec par Emile Chambry, Les Belles lettres, 208 p, 19 €.
Esope : Fables, traduit du grec par Julien Bardot, Folio classique, 448 p, 8,40 €.
Homère : Odyssée, illustrée par Mimmo Paladino,
traduit du grec par Victor Bérard, Diane de Selliers, 300 p, 49 €.
Une aurore de l’humanité s’est levée au bord de la mer Egée : elle s’appelait Eos. Elle rime avec Eros, Ouranos, ces dieux qui sont à l’origine du monde chez Hésiode. La Grèce est également à l’origine des littératures, du moins occidentales, avec Homère pour la poésie épique, Sappho pour le lyrisme, Esope pour la fable, Eschyle et Sophocle pour la tragédie, Aristophane pour la comédie, Xénophon pour l’Histoire. Et, cela va sans dire, de la philosophie, avec Héraclite, Aristote et Platon, plaisamment moqués par Lucien. Quelques-uns de ceux que les Muses ont favorisés, infiniment célèbres ou méconnus, s’égrènent soudain dans une nouvelle collection, aussi splendide que nécessaire, au service des Belles lettres grecques.
Pourquoi ces œuvres sont-elles essentielles ? La création de l’univers et la formulation des dieux est un invariant d’une bonne partie de l’humanité, affirmées en beauté et en vers dans la Théogonie d’Hésiode. En vers également, conjointement à l’Iliade, cet archétype de la guerre et des héros combattants, l’Odyssée d’Homère est la figuration, encore une fois épique, du voyage aux multiples aventures et du retour au pays natal. Mythologie encore avec Les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes. La Cyropédie de Xénophon dresse le tableau de l’éducation d’un prince, quand, avec ses Entretiens et son Manuel, Epictète est le parangon de la philosophie stoïcienne ; alors que Lucien préfère la parodie du dialogue philosophique en ses Vies à vendre. Esope apparait comme le fabuliste originel.
Tous ces textes, préludes d’un vaste programme de publication, dans le cadre de la « Série du centenaire », puisque la maison d’édition des Belles lettres aujourd’hui a cent ans, sont présentés sous d’élégantes couvertures diversement colorées et ornés d’un graphisme d’or, aiguisant l’appétit du lecteur soudain ravigoté devant un monde qu’il aurait faussement pu croire désuet, réservé à une poignée d’érudits cacochymes et poussiéreux.
Probablement un contemporain d’Homère, au VIII° siècle avant Jésus Christ, Hésiode, dont le nom signifie « Celui qui se fait la voie », Béotien d’Asie Mineure, composa Les Travaux et les jours, devenant ainsi le créateur de la poésie didactique. A-t-il entendu parler de mythes babyloniens lorsqu’il composa sa Théogonie ?
Avant tout, il célèbre les Muses, qui sont les neuf filles de Zeus et de Mnémosyne, la déesse de la mémoire, ce pourquoi il n’y pas d’inspiration sans travail ; notons à cet égard que la mythologie fait, au-delà du fantasme pittoresque, sens philosophique[1]. Elles sont : « Neuf filles, aux cœurs pareils, qui n’ont en leur poitrine souci que de chants et gardent leur âme libre de chagrin, près de la plus haute cime de l’Olympe neigeux ». Elles savent « conter des mensonges », mais aussi « proclamer des vérités » ; soit, depuis « Abîme », puis « Terre », l’enfantement du monde par « Erêbe » et « Lumière », puis « Cronos », le premier dieu, qui sera le père cruel de Zeus. Une immense énumération relevant de la généalogie des dieux s’ensuit, en passant par les monstrueux Titans, par le récit de la naissance d’« Aphrodite d’or », jusqu’à Circé, Calypso… Hélas, le texte est inachevé ; ou perdu. Le traducteur, Paul Mazon, nous offre cependant une introduction aussi longue que l’œuvre, et néanmoins fructueuse.
Ainsi, en son poème moins théologique que poétique, que l’on aimerait voir traduit en vers, Hésiode ordonne le chaos du monde et donne sens à nos pulsions, éblouit le lecteur, inspire à son tour cent peintres et poètes ; jusqu’à la plus scientifique Petite cosmogonie portative de Raymond Queneau[2], en 1950…
Gravure de Méaulle pour Apollonios de Rhodes : Jason et Médée, Quentin, 1882.
Photo : T. Guinhut.
Autre grand classique de la mythologie, en quatre chants, lumineux malgré l’immense ombre portée d’Homère : Les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes, un alexandrin né en 295 avant Jésus-Christ. « Allons, Eratô, viens m’assister et conte-moi comment, de là-bas, Jason rapporta à Iôlcos la toison grâce à l’amour de Médée. » Voici l’une des invocations à la Muse qui ponctuent le vaste poème amoureux et épique. C’est de la « nef Argo » qu’il tire son titre, sur la proue de laquelle la déesse Athéna veille au destin du héros, Jason, qui est dangereusement aimée par la sorcière de Colchide, Médée aux poisons étranges. Celle-ci lui permet de conquérir cette introuvable toison d’or ; l’on sait que dans le théâtre d’Euripide sa funeste passion enflamme sa jalousie au point de tuer les enfants qu’elle eut de Jason. Par l’entremise d’Aphrodite, l’amour est le deus ex machina de l’intrigue, lorsque, grâce à ses talents de magicienne, Médée conduit le jeune homme, nanti d’un « philtre d’invincibilité », à vaincre l’impossible, dompter les taureaux d’Aiétès, battre les soldats d’Arès. Mieux, grâce à ses « incantations », elle endort « le dragon vigilant [aux] monstrueux sifflements », permettant à Jason d’emporter cette « toison, pareille à un nuage qu’empourprent les rayons enflammés du soleil levant ».
Le poète mêle le savoir mythologique, le savoir philologique (il connait sur le bout des doigts la langue homérique), les connaissances géographiques sur les contrées du Pont-Euxin, soit la Mer noire, et la Méditerranée. Parmi les aventures étonnantes, comptons un monstrueux et fatal sanglier, la rencontre des Amazones, ces « filles belliqueuses », qui sont loin de n’être que mythiques[3].
Attendons avec impatience de voir naître en cette collection les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis, autre bouquet de chants aux mythes fabuleux. Hélas, nombre d’épopées antiques ont disparu. Qui sait si les rouleaux de papyrus calcinés de Pompéi et d’Herculanum nous les révèleront…
La Cyropédie, ou Education de Cyrus, n’est qu’une partie de l’œuvre de Xénophon (428- 354), qu’il faudra compléter avec son Anabase. Instruire un prince est essentiel, « car c’est une tâche difficile de gouverner les hommes ». Aussi, ce qui est à la fois essai didactique et roman historique, peut être considéré comme une somme des valeurs antiques et universelles. L’éducation politique ne va pas sans celle du chasseur et du guerrier, l’art militaire ne va pas sans morale.
Certes Xénophon n’est pas exactement un historien, comme Hérodote, qui est d’ailleurs sa principale source en la matière. Cyrus, dit-on, arracha la puissance aux Mèdes pour la confier aux Perses, en conquérant Babylone au VI° siècle avant notre ère. Il atteint ici la dimension d’un héros légendaire, dont l’éducation a quelque chose de grec autant que de perse. La mort de Cyrus, lors d’une bataille contre les Massagètes, par le soin de la reine Thomyris, dont il a tué le fils, se voit couronnée par le sang dans lequel elle plonge sa tête, alors que notre Xénophon le fait mourir à un âge vénérable, dans son lit, veillant à adresser un noble discours à ses fils, dont Cambyse, qui lui succéda. Cela dit, Xénophon ne se trompe pas lorsqu’il fait de son héros un roi juste, ce qui lui permet de l’élever au rang du modèle de l’homme d’Etat. Si les méthodes éducatives perses ne sont pas tout à fait ici à l’ordre du jour, élever les enfants en commun, apprendre le tir à l’arc, accéder aux vertus, en particulier la tempérance et la justice, tout cela relève d’un idéal grec, qui cependant peut nous paraitre encore un tant soit peu fruste. Les campagnes militaires du roi permettent de préciser les devoirs d’un général, l’art du commandement, de la gestion des troupes et de l’armement. Loin de n’être qu’un sévère exposé, néanmoins éloquent, de l’Etat idéal, en parent de La République de Platon, le récit de Xénophon est d’un rare conteur : songeons à l’histoire du couple héroïque formé par le roi de Suse, Adrabate, et de sa femme Panthée, qui se poignarde pour être enveloppée « dans un même manteau » avec son époux, ou à l’épisode burlesque du combat des « gourdins contre mottes », qui est précurseur de Rabelais…
Cette Cyropédie n’est-elle pas le premier chainon des traités d’éducation, qui vont de L’Emile de Rousseau, aux Propos sur l’éducation d’Alain ?
Une fois de plus armée d’une sagace introduction, qui plus est d’un utile index, cette édition mérite notre éloge, comme le vade-mecum qu’elle mérite d’être, même si nous ne deviendrons que le souverain de nous-même, ce qui est déjà un bel exercice, digne du stoïcien.
Stoïcien, Epictète l’est au plus haut point : « Montrez-moi un homme malade et heureux, en danger et heureux, mourant et heureux, exilé et heureux, discrédité et heureux ». Voilà ce qu’est « le vrai stoïcien ». Ainsi le philosophe est « le seul possesseur des vrais biens ». Il est vrai qu’Epictète (environ 50-130) était un esclave qui cependant ouvrit deux écoles de philosophie, à Rome, puis en Epire où il fut exilé. Aussi curieux que cela puisse paraître, il n’a rien écrit, seul Arrien, son disciple, a consigné ses propos. Et tant païens que chrétiens aimèrent et propagèrent ces Entretiens et ce Manuel.
Sa doctrine philosophique associe l’humilité et la patience, prise par-dessus tout la liberté, d’abord intérieure, lorsque l’âme sait penser avec droiture la qualité de soi et de Dieu. Car richesse et honneurs ne sont rien, passagers, trompeurs, et rien ne vaut cette règle morale : « Ne demande pas que les événements arrivent comme tu le veux ; mais contente toi de les vouloir comme ils arrivent et tu couleras une vie heureuse ». C’est seulement ainsi que le sage accèdera au bonheur, non loin d’ailleurs de l’amor fati nietzschéen. Cependant sa conviction a quelque chose de vigoureusement religieux, tout en étant farouchement anti-épicurien. Heureusement, parfois, ses Entretiens ne sont pas que sérieux ; il use des apologues, des prosopopées, des apostrophes en de véritables scènes de comédie : « s’il en est ainsi, va t’étendre et dormir et mène la vie d’un ver, celle dont tu t’es jugé digne toi-même : mange et bois, accouple-toi, va à la selle, ronfle ». Voilà qui est tout à fait opposé à la grandeur d’âme, à l’ascèse, à l’ataraxie, à ce service divin en quoi consiste la vie selon Epictète.
Moquons nous cependant de telles certitudes avec les Vies à vendre de Lucien, qu’un autre éditeur a préféré traduire en Philosophes aux enchères[4], quoique ce dernier se contente de ce texte et de l’excellent « Contre un ignorant bibliomane ». En effet on y vend, comme sur un burlesque marché aux esclaves, Diogène, Pythagore et Socrate, dont l’inutilité n’est pas loin d’être avérée. Alors que le dialogue platonicien est parodié dans « Le parasite » où il est démontré « qu’être parasite est un métier », voire un art, un point de vue aussi décapant entraîne celui de « Jupiter tragique » qui s’inquiète fort - et il n’a pas tort - : « Allons-nous continuer à être vénérés et conserver les honneurs qu’on nous rend sur la terre, ou être complètement négligés et compter pour rien ? »
La satire de Lucien de Samosate (car il était de cette cité syrienne natif vers 120, vivant peut-être jusque vers 200 en Egypte où il fut rhétoricien et haut fonctionnaire) est gouleyante, divertissante à souhait. C’est celle du moraliste sceptique, en particulier à l’égard des stoïciens. Il est un redoutable maître du dialogue philosophique, en particulier à l’occasion de son « Les ressuscités ou le pêcheur », dans lequel, aux côtés de « Philosophie », « Examen », « Vertu » et « Syllogisme », Parrhésiadès joue à pécher une foule de philosophes qui se jettent sur l’or accroché à l’hameçon ; Platon et Aristote n’échappent pas au ridicule.
En fait, Lucien est un pamphlétaire, un ironiste, un sérieux humoriste qui aimait pratiquer l’éloge paradoxal, par exemple « l’éloge de la mouche » ou de « la calvitie », que notre éditeur a omis - et c’est dommage - de publier ici. Il « fait métier de haïr la forfanterie, le charlatanisme, le mensonge, l’orgueil », et surtout de réjouir les banquets. Une bibliothèque serait bien triste sans lui !
Réunir l’art du récit et la sagesse de la morale est du ressort du fabuliste en ses apologues. Esope le Phrygien en est le premier maître au sixième siècle avant notre ère. Du moins celui qui rassemble ces 358 Fables populaires avec soin. Hérodote témoigne que le fabuliste originel, prétendument difforme, fut mis à mort à Delphes ; selon Héraclide, pour le vol sacrilège d’une coupe d’or, à moins que ce fût, selon Plutarque, un coup monté.
Si la fable est au moins connue depuis Hésiode, deux siècles plus tôt, avec « Le rossignol et l’épervier », si conter une histoire animalière et morale a surgi dans toute l’humanité, en Egypte, en Inde avec Le Livre de Kalila et Dimna[5], Esope est l’accoucheur du genre en tant que ce dernier acquiert noblesse littéraire, ce en associant le pittoresque de l’anecdote et le précepte moral appliqué aux vertus sociales. Les trois quart de ces fables ont pour personnages des animaux auxquels le narrateur et moraliste attribue des qualités et défauts humains, comme le rusé renard ; puis des hommes, voire, comme « L’esclave laide et Aphrodite », des dieux (elles sont dans ce cas souvent étiologiques) ou des plantes. Leur simplicité et leur concision n’exclut pas l’ingéniosité et l’humour, même si quelques-unes sont plus fades, sinon puériles. Quant aux morales, elles prêchent la fidélité, le travail ou la modération : « Cette fable montre que, si vous trahissez l’amitié, vous pourrez peut-être vous soustraire à la vengeance de vos dupes, si elles sont faibles ; mais qu’en tous cas vous n’échapperez pas à la punition du ciel ». Quoiqu’elles frisent parfois franchement l’immoralité, lorsqu’il s’agit de profiter de la bêtise des autres. Plus allégorique est « Les Biens et les Maux », pour élever le débat à la lisière de la philosophie.
La préface rigoureuse de ce volume, nanti de sa délicieuse couverture azur et ornée d’un renard d’or, est riche d’enseignements historiques et génériques sous la plume d’Emile Chambry. Il est, n’en doutons pas, un fleuron de la collection.
Les Fables ne sont que 273 dans le recueil Augustana, choisi par la collection Folio, mais précédées par la « Vie d’Esope », soit le « Livre du philosophe Xanthos et de son esclave Esope, au sujet des mœurs d’Esope », récit plus que romancé. Et complétées par d’abondantes et précises notes. La préface d’Antoine Biscéré s’interroge : « Comment expliquer, malgré l’absence de souci esthétique […] leur séduction aussi pérenne qu’universelle ? » Il répond avec pertinence en prônant cette « fable qui conjoint le merveilleux au prosaïque et marie l’ordinaire à l’onirique ». Et si ces brèves fables en prose nous paraissent, quoique le plus souvent judicieuses, un peu pâles, c’est qu’elles souffrent de la comparaison avec le futur prince du genre. Après le Romain Phèdre, mais aussi Avianus, qui en reprirent de nombreuses en vers latins, La Fontaine les sublima au moyen de ses vers élégants, les animant par d’expressives prosopopées, associant la vivacité, l’humour et la satire politique[6].
Tous ces textes ont d’abord été publiés aux Belles lettres, constituant son impressionnant fonds antique, en éditions bilingue, soit en une flopée de volumes finalement onéreux. Les voici, dans des écrins soignés, illustrés par des artistes contemporains, à la portée d’un budget somme toute modeste. Alors que l’on annonce des œuvres célèbres, comme La Guerre du Péloponnèse de Thucydide et le Serment d’Hippocrate, ou plus rares : de Procope La Guerre contre les Vandales, impatiemment attendue.
Certes l’Iliade d’Homère fait déjà partie de cette « Série du centenaire », mais nous préférons pour une fois nous pencher vers un autre éditeur aux soins exquis : Diane de Selliers, qui nous propose en sa « Petite collection », non plus brochée mais solidement et élégamment cartonnée, du même auteur, l’Odyssée. La traduction est classique, de Victor Bérard, et venue des Belles Lettres, mais l’illustration moins. Au-delà de l’accord d’Ovide avec la peinture baroque[7], de Pétrarque avec un vitrail de l’Aube[8], ou de Dante avec Botticelli[9], voici un choix pour le moins étonnant, car contemporain.
Au premier regard, le travail de Mimmo Paladino, peintre venu de la Trans-avant-garde italienne et né en 1948 près de Naples, peut sembler enfantin, simpliste. Peu à peu, et surtout au regard du texte, ces graphismes puérils, ces barbouillis de stylo, d’aquarelle, de gouache, ces grattages et collages, parfois rehaussés de feuilles d’or, acquièrent une qualité symbolique réelle, une résonnance profonde. À partir d’éléments archétypaux, des silhouettes de soldats et de tours, des ciels menaçants et des yeux en larmes, une dimension iconique universelle s’affirme parmi les 92 dessins et peintures, qui ne sont pas sans faire songer aux vases grecs peints. Non sans un certain humour, comme ces sirènes qui semblent couchées dans une boite de sardines.
Le souci d’une lecture élégante et claire, parmi la souple prose aux alexandrins blancs du traducteur, anime l’éditrice autant que l’illustrateur. Outre le bleuté des têtes de chants et d’unités narratives, à chaque peinture ponctuant l’épopée, pas forcément d’une manière littérale, mais allusive, poétique, voire ironique, correspond une phrase-clef d’Homère : « Pallas Athéna, cette fille de Zeus, avait autour d’Ulysse versé une nuée, afin que, de ces lieux, il ne reconnût rien » ; ou encore : « C’est ainsi qu’en la salle, assaillis de partout, tombaient les prétendants, avec un bruit affreux de crânes fracassés, dans les ruisseaux du sang qui coulaient sur le sol ». Le défi est relevé par des lavis colorés, des graphismes aigus, des encrages pastels et insolites qui, par instants, font penser aux travaux de Miquel Barcelo[10].
Voilà comment s’attacher avec plaisir aux dix ans du périple d’Ulysse, après les dix ans de guerre et de cheval de Troie, parmi des mers chargées d’écueils, entre apparitions monstrueuses, de Polyphème au Cyclope, ou séductrices, des sirènes à Circé, que seule la ruse native du héros saura déjouer, même s’il est le jouet des dieux, donc du destin, afin de retrouver sa chère Pénélope. Gageons que le poète nous offre une métaphore de notre condition humaine à la recherche de son Ithaque…
Voulez-vous une bibliothèque délicieuse, savante, impressionnante, parfois amusante, qui fera l’indispensable éducation du Prince autant que de l’honnête homme, autrement dit de l’esprit de l’humanité, à l’affut de la connaissance de l’âme humaine, sinon des dieux. C’est chose faite, même si elle reste à compléter, avec la « Série du centenaire » des Belles lettres. Vous saurez comment les combats sanglants d’Achille et d’Ulysse enseignent le destin, comment les Anciens pensaient la naissance du cosmos[11], la responsabilité et l’amour, comment la quête de Jason, tributaire d’un amour vénéneux, est la nôtre au sens moral, comment être stoïcien, et probablement bientôt épicurien avec de nouvelles éditions, comment éduquer à l’époque des guerres grecques et médique avec Xénophon, comment vendre des philosophes avec Lucien, et, bien entendu, écrire des fables avec Esope, toutes activités dont notre contemporain ne doit pas être privé, tant il manque de morale, tant il regorge de philosophes qui méritent à peine d’être vendus à vil prix. La panoplie du bibliophile tient ici entre ses mains les premiers secrets de l’éducation à la guerre et à la paix, aux vertus politiques et morales, et à celles de l’ironie.
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.