Casanova : Histoire de ma vie, Privilège, Club Français du livre, 1966.
Album Pléiade Casanova, Gallimard, 2015.
Photo : T. Guinhut.
Casanova, utopiste, érotomane, joueur,
occultiste & historien des mœurs :
de l’Icosaméron à l’Histoire de ma vie.
Casanova : Histoire de ma vie, Bibliothèque de la Pléiade,
Gallimard, 2015, trois volumes sous coffret, 4192 p, 195,50 €.
Casanova : Histoire de ma fuite des prisons de la République de Venise,
Allia, 2022, 192 p, 11 €.
Alain Boureau : Casanova. Un générateur de hasard,
Les Belles Lettres, 2222, 152 p, 21 €.
Casanova. La Passion de la liberté, BNF Seuil, 2011, 244 p, 49,70 €.
Pourquoi ne pas le considérer comme un écrivain français à part entière ? Certes il est né vénitien et fut plus cosmopolitique et européen qu’Italien. Certes encore sa réputation de joueur de casino et de coureur de jupons ne joua pas en sa faveur. Mais n’écrit-il pas si bellement en français ? Nous voulons parler bien sûr de Casanova (1725-1798). Faut-il comprendre qu’on ne l’ait pas pris au sérieux, lorsqu’un vaste roman utopique, l’Icosaméron, parut dans une indifférence feutrée, lorsque resta confidentielle l’édition de sa Fuite des plombs, dont le récit sut cependant ravir la cour et la ville… Quant à ce que l’on appelait du bout du bec ses Mémoires, les pages en furent si rabotées que l’on crût à peine devoir ne pas les lire sinon d’une seule main, aux côtés de répréhensibles curiosa condamnés au feu éternel. Redorons donc le blason littéraire de Giocomo Casanova de Seingalt, dont le manuscrit de l’Histoire de ma vie a rejoint à grand prix la Bibliothèque Nationale de France, dont un coffret de la Pléiade s’enorgueillit, et dont s’emparent les plus avisés critiques, à l’instar d’Alain Boureau qui le voit en « générateur de hasards ». Avec délectation, nous serons casanoviens.
Indécemment inconnu est son Icosaméron. Ou Histoire d'Edouard et d'Elisabeth qui passèrent 81 ans chez les Mégamicres, habitants aborigènes du Protocosme dans l'intérieur de notre globe. Le roman, paru à Prague en 1788 à 330 exemplaires, est d’importance, non seulement par la pagination - près de huit-cents pages - mais également par les ébouriffantes perspectives. L’œuvre, richement pourvue, érudite et vivante, ressortit à la lignée des voyages extraordinaires[1] et des utopies qui berçaient l’imaginaire du XVIII° siècle. Casanova était à cet égard un connaisseur : « Platon, Erasme, le chancelier Bacon, Thomas Morus, Campanella, et Nicolas Klimius aussi sont ceux qui me firent venir envie de publier cette histoire, ou ce roman[2] ». Un tel parcours initiatique est en effet particulièrement redevable du Voyage souterrain de Nicolas Klim[3], publié en 1741 par le baron Danois Holberg, ce qui n’ôte rien à sa curieuse originalité.
Edouard et Elisabeth sont les personnages, frère et sœur, de cette utopie des profondeurs terriennes. Car en août 1533 un maelstrom les a engloutis au large de la Norvège pour les projeter au sein de la terre, grâce à une ingénieuse caisse de plomb, chez les « Mégamicres », hauts de dix-huit pouces, androgynes et ovipares. Leurs mœurs sont étranges, au point que ces trente milliards d'individus se sustentent du lait écarlate de leur partenaire, nourrissent ainsi nos héros, ne connaissent ni sommeil, ni maladie, ni vieillesse : les couples « naissent pour s’aimer et meurent en s’aimant[4] ». Personne n’est privé d’amour : « Il n’y a point de Mégamicre qui soit sans inséparable[5] ». Et c’est philosophiquement que « les Mégamicres informés qu’ils doivent mourir, remercient Die[sic] qui ne les a pas condamnés à ignorer le moment de leur dissolution[6] ».
En une hiérogamie incestueuse obligée, Edouard et Elisabeth conçoivent quarante jumeaux à l’origine de quatre millions de descendants. Bientôt, entre autres péripéties nombreuses, Edouard devient le prince divinisé qui se charge de réformer et christianiser, le monde des « Mégamicres ». Rassurons-nous, une tellurique explosion expulse enfin le couple à la surface de notre globe ; leur retour devant présager une régénération de la civilisation.
Parmi les vingt journées de son Icosaméron, Casanova se paie le luxe d’inventer une théogonie et une religion solaire ordonnée par le « Grand Hélion », une langue des signes et chantée aux six voyelles - pour lui une langue originelle -, un urbanisme géométrique à « Poliarcopoli » la capitale, une hiérarchie sociale qui ne doit rien à l’égalitarisme utopique proposé par Thomas More[7], un système législatif et éducatif. Il y est également question d’ophtalmologie (l’opération de la cataracte), d’opéra et de feux d’artifice, en une dimension toute encyclopédique. Mais aussi, en une inventivité digne de la plus avancée des science-fictions, l’on découvre une aviation sous forme de chevaux volants, une télévision. Ainsi, souverain supérieurement éclairé, Edouard, qui maîtrise physique et mathématique, poésie et politique, est une allégorie du savoir universel, tel que serait Casanova lui-même.
De surcroit ne manque pas un repoussoir politique, la « République des Quatre-Vingts », dont l’organisation laisse pour le moins à désirer, dont les excès corrompent tout et chacun, ce qui ne manque pas d’être une satire allusive à l’égard de la Sérénissime Venise. Le favoritisme et le tirage au sort installent les membres du gouvernement au contraire d’une juste méritocratie. Les mœurs y sont outrageusement dépravés. La délation nourrit une pléthore d’espions. Un tribunal suprême fait immanquablement penser à l’Inquisition. L’ouvrage trouve son acmé au cours d’une vaste guerre contre les « géants », où il est question de stratégie et de justice : « Je suis persuadé d’être en agissant ainsi le ministre de la volonté du créateur qui ne m’a donné la force qu’afin que je l’emploie à l’extirpation des crimes qui offensent sa justice[8] ». Le maître de vérité se veut le parfait despote éclairé au service d’une action politique et théologique définitivement morale.
Probablement l’expérience maçonnique a-t-elle contribué à cette création littéraire visionnaire, hautement politique, au voyage initiatique des protagonistes vers « le monde intérieur [qui] est le Paradis Terrestre[9] » et vers la lumière de la Vérité. La fantaisie est autant un roman d’aventure qu’une vaste fable philosophique et une utopie considérable, ce qui donne une idée des qualités imaginatives et spéculatives prodigieuses de Casanova, alors qu’il sait être aussi réaliste que spirituel dans son Histoire de ma vie.
Hélas toutes les éditions de l’Icosaméron sont épuisées, qu’il s’agisse de la rarissime originale de 1788, de la plus modeste chez François Bourrin de 1994, ou encore celle en cinq volumes in octavo de 1928, publiée à Spoleto chez Claudio Argenteri et tirée à mille exemplaires, au confort de lecture plus qu’agréable…
Casanova : Icosaméron, Claudio Argenteri, Spoleto, 1928.
Photo : T. Guinhut.
Les avanies du manuscrit et du texte de l’Histoire de ma vie sont désormais bien connues. Après la mort de son auteur, en 1798, il est conservé plus de vingt ans au secret par sa famille. En 1822, l’éditeur Friedrich Arnold Brockhaus, le fait traduire en allemand. À partir de cette version, il est retraduit en français, piraté, caviardé, réécrit, expurgé des italianismes, de telles ou telles impudicités par un certain Jean Laforgue, qui n’omet pas un vernis chrétien, sous le titre fautif et pérenne des Mémoires de Casanova. L’ouvrage, considéré comme libertin, outrageusement scandaleux, se voit en 1834 inscrit à l'Index des livres interdits, en compagnie de toutes les œuvres du maître ès écriture. Passons sur diverses contrefaçons. En 1958, La Pléiade ne craignit pas de publier l’œuvre en cet état plus que discutable. C’est seulement en 1960 que Brockhaus engage une édition réellement conforme au manuscrit, sous le titre rétabli : Histoire de ma vie, en coédition avec Plon.
Enfin La Pléiade répara sa maladresse, offrant une édition scrupuleusement conforme au manuscrit original, trois volumes entre 2013 et 2015. Préfaces, notes et repentirs restent fidèles à la tradition d’une collection aussi agréable que savante. Au-delà du récit renouvelé d’aventures érotiques contées avec psychologie et alacrité, c’est à un prodigieux historien des mœurs que nous avons affaire.
Et si nous sommes felliniens, tant avec Huit et demi que Roma, le film qu’en donna Federico Fellini réduisit, dans une scénographie splendide, l’homme à un vieux grincheux et à une mécanique copulatoire, plus macho et inhumain que possible. C’est lui faire un procès infondé. Erotomane impénitent, mais en toute vertu - ou presque. Loin de son antithèse, Dom Juan, qu’il s’agisse de celui de Molière ou de Zorilla, séducteur au sens de violeur, « épouseur à toute mains », comme le dit Sganarelle, prenant et jetant les donzelles dès que consommées, notre Vénitien sait lui aimer, parfois fort longuement, et ne pas abandonner, en dotant celles qu’il laisse, en leur trouvant si nécessaire un mari. Toutefois il avouait : « J’ai aimé les femmes à la folie, mais je leur ai toujours préféré ma liberté. »
Cependant la hardiesse de notre héros est parfois pour le moins discutable, affichant à plusieurs reprises la gloriole de ses abus, voire d’un viol, même si la fermière le pardonne ensuite, ce que les mœurs du temps n’excusent guère. À l’occasion de l’effroi d’un orage et de l’abri d’une calèche, il ne se gêne pas pour assaillir la belle : « Les chevaux se cambrent, et ma pauvre dame est prise par des convulsions spasmodiques. Elle se jette sur moi, me serrant étroitement entre ses bras. Je m’incline pour ramasser le manteau qui était tombé à nos pieds, et en le ramassant je prends ses jupes avec. Dans le moment qu’elle veut les rabaisser, une nouvelle foudre éclate, et la frayeur l’empêche de se mouvoir. Voulant remettre le manteau sur elle, je me l’approche, et elle tombe positivement sur moi qui rapidement la place à califourchon. Sa position ne pouvant pas être plus heureuse, je ne perds pas de temps, je m’y adapte dans un instant faisant semblant d’arranger dans la ceinture de mes culottes ma montre. Comprenant que si elle ne m’en empêchait pas bien vite, elle ne pouvait plus se défendre, elle fait un effort, mais je lui dis que si elle ne fait pas semblant d’être évanouie, le postillon se tournerait et verrait tout. En disant ces paroles, je laisse qu’elle m’appelle impie tant qu’elle veut, je la serre au croupion, et je remporte la plus complète victoire que jamais habile gladiateur ait remportée[10] ».
Mémoires de Jacques Casanova de Seingalt, Gibert Jeune, 1950,
illustré par Brunelleschi.
Photo : T. Guinhut.
Maître en autobiographie, notre Vénitien pourrait en remontrer à Jean-Jacques Rousseau. Certes ce dernier est considéré à juste titre comme le fondateur du « pacte autobiographique », selon la formule de Philippe Lejeune[11], mais nous le trouvons un brin péremptoire et sans la moindre modestie : « Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi[12] ». Si ce préambule fut écrit en 1765, il ne fut publié de manière posthume qu’en 1782. Casanova commençant en 1792, il n’est pas certain qu’il en connût la teneur, alors qu’il fait mention par ailleurs de La Nouvelle Héloïse. Affichant son déisme, sa préface affirme : « J’ai toujours aimé la vérité avec tant de passion ». À ses lecteurs il se livre en toute sincérité : « sans nul déguisement tel que je suis à leur jugement ». Son histoire a un caractère « qui convient à une confession générale ». Ainsi « pour captiver le suffrage de tout le monde j’ai cru de devoir me montrer avec toutes mes faiblesses, tel que je me suis trouvé moi-même, en parvenant par-là à me connaître ; j’ai reconnu dans mon épouvantable situation mes égarements, et j’ai trouvé des raisons pour me les pardonner ; ayant besoin de la même indulgence de la part de ceux qui me liront, je n’ai rien voulu leur cacher, car je préfère un jugement fondé sur la vérité, et qui me condamne, à un qui pourrait m’être favorable fondé sur le faux ». Là est donc un réel maillon de l’entreprise autobiographique.
« La Langue française est la sœur bien-aimée de la mienne», écrivit-il dans un projet de préface de 1791. Mais c’est aussi parce qu’elle est « plus répandue » qu’il choisit celle dont il a toutes les subtilités et « le haut degré de beauté[13] », malgré quelques italianismes. Indubitablement la maîtrise de la langue et l’élégance du style s’unissent à la réflexion morale dans la lignée des maximes d’un La Rochefoucauld : « Il se peut aussi que j’aie très bien fait en lui cachant ma flamme, car il est vraisemblable que quand une révélation l’aurait mise dans le cas de ne plus en douter, elle ne m’aurait plus laissé jouir de certains privilèges que les femmes bien élevées n’accordent qu’à la prétendue indifférence[14] ».
C’est dans cette même langue française que Casanova aimait raconter à qui brûlait de l’entendre sa « fuite des plombs », soit des prisons de la République de Venise. Sauf qu’il ne bradait pas son récit, prévenant qu’il lui fallait au moins deux heures. Le succès était immanquablement au rendez-vous. Mais l’âge venant, ayant perdu des dents, comme il le confie dans son avant-propos, il se résout à prendre la plume, pour le publier à Leipzig en 1787.
C’est le 26 juillet 1755 que les inquisiteurs d’État le font arrêter pour libertinage, athéisme, occultisme, appartenance maçonnique. Enfermé quinze mois sous le toit de plomb de la prison vénitienne, il n’en sortira qu’à la seule force de son audace et de son courage, trouant ce même toit, le chevauchant au péril de sa vie, puis fuyant la Sérénissime. Outre le sens du suspense, ce récit autobiographique est une ode à l’ingéniosité humaine et à la liberté, ce qui n’est pas loin de l’esprit des Lumières. Il est heureux que les amateurs puissent, pour un prix modique, s’ils ne veulent ou ne peuvent acquérir les volumes de l’Histoire de ma vie, lire cet entraînant ouvrage grâce au soin des éditions Allia, dont le catalogue, malgré ses couvertures parfois trop austères, fourmille de titre curieux, parfois ailleurs inaccessibles.
Au seuil de son essai, Alain Boureau, que nous connaissions pour son Feu des manuscrits[15], use du « biribi », un jeu de hasard qui fit la fortune de Giacomo, pour en faire la pertinente métaphore de l’existence de notre de Seingalt. Casanova. Un générateur de hasard déploie les marques du destin d’un homme qui fut au siècle de Louis XV ce que fut Saint-Simon à celui de Louis XIV. Car en détenant « son talent principal, l’entregent », il pouvait avoir la faveur de nombreux milieux, des cours et des salons. Or le récit de la fuite de la prison vénitienne des Plombs devient un sauf-conduit à Paris, là où, en financier visionnaire, il inventa le principe de la loterie d’Etat.
Si Alain Boureau néglige l’Icosaméron, il y fait tout de même allusion pour pointer le motif de l’inceste qui parcourt par deux fois l’Histoire de ma vie. Car depuis l’inceste parental il voit sa répétition filiale lorsque Giacomo faillit épouser Leonilda avant de reconnaître sa mère, Lucrezia, dont il fut l’amant, donc le géniteur de la belle. L’acte fut cependant à Naples consommé vers 1770 : « Nous nous arrangeâmes, et ma fille assise près de moi m’appela son mari en même temps que l’ai appelée ma femme. Nous confirmâmes par de doux baisers ce que nous venions de faire, et un ange même qui serait alors venu nous dire que nous avions monstrueusement outragé la nature nous aurait fait rire[16] ».
Quoique de manière passablement erratique, Alain Boureau mène une enquête à la recherche des carrefours, des nœuds, voire des leitmotivs décisifs, parmi l’architecture de l’entreprise autobiographique de Casanova. Il étudie le sens du discours de la dialectique de son modèle, soit « une pensée de la parole ». Il lève le rideau sur le sens de la mise en scène et du spectacle de son héros, lui-même fils d’acteur, sur les « jeux de l’occulte et du hasard », paraphrasant Marivaux. Casanova n’est pas dupe de ses « pyramides » cabalistiques avec les lesquelles il abuse ceux qui en sont friands, tel Monsieur de Bragadin. Plus tard, la Marquise d’Urfé, qui « prétendait posséder la pierre philosophale », sera sa dupe plus que consentante : « Je me suis rendu ce jour-là l’arbitre de son âme ; et j’ai abusé de mon pouvoir[17] ».
Notre essayiste confirme bien que parler de donjuanisme pour Casanova est une contradiction dans les termes. Celui qui a connu Lorenzo da Ponte et contribué à son livret pour le Don Giovanni de Mozart, « repoussait le miroir donjuanesque qu’on lui tendait », même s’il avait parfaitement conscience que « la nouveauté est le tyran de notre âme[18] ». Reste qu’avec humour Alain Bourreau applique à son Casanova le fameux « Copulo ergo sum ».
Cependant l’esprit universel de Casanova ne réside pas que dans la fiction de son Isocaméron. Alain Boureau nous apprend qu’il écrivit un essai sur le suicide, un autre sur le duel, qu’il usa du mot « spleen » bien avant Baudelaire, qu’il se livrait « à une fougue industrielle », ce dont témoigne son voyage en Courlande où non seulement il visita des mines mais de plus proposa des améliorations techniques fort utiles. Après cette « réforme minière », il « élabora en Russie un plan pour améliorer les cultures ». Loin de l’imagerie du léger séducteur, voici un homme des Lumières dans toute son acception, sans compter son déisme et son anticléricalisme dignes de Voltaire, qu’il connut d’ailleurs.
L’analyse fouillée d’Alain Boureau ne prétend pas à l’exhaustivité. Plutôt qu’édifier un portrait académique, il préfère, non sans pertinence, lire en Casanova un jeu de hasard, qui, par incidence, est d’autant plus émoustillé que le sexe d’un castrat est indécis. Ou qui se trouve excité par la ressemblance trompeuse d’une religieuse qui lui rappelle sa chère M. M. Le romanesque, comme à l’occasion des rencontres d’Henriette, femme aussi philosophe que lui, est le moteur de la sensibilité et de l’action. Et si le hasard est le lot de la vie de Casanova, l’Histoire de ma vie en est la nécessité.
Si le dernier épisode raconté remonte à 1776, pendant six ans, de 1792 jusqu’à sa mort en 1798, il œuvra sans relâche sur son manuscrit dont il ne vit jamais la publication. Puissent ses cendres en connaître la fortune tardive…
Au-delà de la jaquette superbement illustrée de l’essai d’Alain Boureau avec un portrait en pied de Casanova par Pietro Longhi, voici un ouvrage plus que somptueux, même si le géométrisme de la couverture est discutable. C’est pour marquer un évènement considérable que parut Casanova. La Passion de la liberté : l’acquisition par la Bibliothèque Nationale de France, grâce à un généreux mécène, du manuscrit original de l’Histoire de ma vie. Ses trois mille sept-cents pages ont surnagé par-dessus plus de deux siècles. Pour accompagner, au cœur du volume au format généreux, un fac-simile de 57 pages restituant la vivante plume et bien lisible de Casanova, des essais dûs aux meilleurs casanovistes (Chantal Thomas ou Michel Delon) brossent le portrait du maître en séduction et en écriture, dont on connait les talents discutables de joueur professionnel, voire d’escroc, et ceux plus honorables de conseiller des princes. Et désormais d’écrivain et de styliste de la langue française. Il y est question de musique et de festins, de « voyage au Levant » et de Paris, d’aventuriers et d’homme d’affaire, voire d’« Assommer Voltaire ? », ce « premier des écrivains » et « dernier des philosophes », non sans une rivalité d’une certaine mauvaise foi. Une somptueuse iconographie accompagne le parcours, depuis le jeune et ardent vénitien jusqu’au vieux bibliothécaire du comte de Waldstein, remisé dans le château de Dux, en Bohême, là où la rage patiente de la rédaction de l’Histoire de ma vie ne s’arrêta qu’avec le verdict de la mort, alors qu’il manquait encore des décennies à l’immense et palpitante fresque, sans cesse animée par une primesautière liberté de pensée, une sensualité allègre, une piquante profondeur d’analyse, toutes qualités qui en font un fleuron du XVIII° siècle et des Lumières, mais aussi du présent éternel du vécu et de la littérature.
Thierry Guinhut
Une vie d'écriture et de photographie
[1] Voyages imaginaires, songes, visions et romans cabalistiques, Rue et Hôtel Serpente, Paris, 1787.
[2] Casanova : Icosaméron, Claudio Argenteri, Spoleto, 1928, T II, p IX.
[3] Baron Holberg : Voyage souterrain de Nicolas Klim, Ides et Calendes, Neufchatel, 1944.
[4] Casanova : Icosaméron, ibidem, T I, p XIX.
[5] Casanova : Icosaméron, ibidem, T II, p 136.
[6] Casanova : Icosaméron, ibidem, T II, p 104.
[8] Casanova : Icosaméron, ibidem, T V, p 200.
[9] Casanova : Icosaméron, ibidem, T I, p XI.
[10] Casanova : Histoire de ma vie, La Pléiade, Gallimard, 2015, Œuvres, t I, p 110.
[11] Philippe Lejeune : Le Pacte autobiographique, Seuil, 1996.
[12] Jean-Jacques Rousseau : Les Confessions, La Pléiade, Gallimard, Œuvres, T I, 2001, p 5.
[13] Casanova : Histoire de ma vie, ibidem, t I, p 1120, 11, 13.
[14] Casanova : Histoire de ma vie, ibidem, t I, p 668.
[16] Casanova : Histoire de ma vie, ibidem, t III, p 709.
[17] Casanova : Histoire de ma vie, ibidem, t II, p 85.
[18] Casanova : Histoire de ma vie, ibidem, t I, p 882.
Sestiere Cannaregio, Venezia. Photo : T. Guinhut.