Bibliothèque A. R. Photo : T. Guinhut.
Les Métamorphoses de Vivant
Roman. IV.
Deuxième métamorphose :
Francastel, frontnationaliste.
Je me lève. J'ai soif, suant toute eau. Soif de sang. Non... Plutôt grenadine, jus de cerise et de tomate. Mais où est passé le mini-bar ? Et cette porte de salle de bains bloquée dont le chambranle se secoue comme une ruine... Ou j'ouvre mon cahier sur cette table et sous mon nom de plume, « Vivant d’Iseye » artistement calligraphié, j'écris ce qui me vient au fil de la vidéo qui défile, ou j'ouvre une porte sur une aventure, à la recherche de ce qui pourrait étancher ma soif de sensations chaudes et de terreurs glacées…
Je serais un vampire que je me sentirais l'évidence d'aller ouvrir la première gorge de jeune fille venue dans le blanc d'une chambre, pour étancher de sang ma soif de vie. J'écrirais la fin de son histoire en entrefilets rouges sur la double page ouverte de ses seins blancs. Et c'est ainsi que je commencerais la mienne en votre serviteur à cravate rouge, gilet de peau et crâne rose.
Quelle potion de soif m'a-t-on fait boire pour que j'aie si soif ? Je ne reconnais pas cet escalier. Comme s'il avait subi des siècles de réparations et dégradations. Comme si des immigrés clandestins l'avaient squatté. D'ailleurs ça pue à outrance le couscous rance et le chevelu crépu, la coiffure rasta ensuiffée de shit...
Mais qu’est-ce que je raconte ? Que j’écris la main prise dans une autre main ? Des invectives contre l’humanité indignes d’un Vivant d’Iseye…
J'ai dû tomber sans m'en apercevoir sur un escalier de service. Voire un toboggan désaffecté entre deux cloisons oubliées. Est-il possible qu'on dégringole dans un tel merdier à l'Hôtel Royal Monceau ? De tels monceaux de planches, marches contremarches, gravats, poubelles déglinguées contre le béton nu et cloqué ? Un tas de couvertures pourries sur le palier ironise la forme humaine, ou de la chrysalide avec ses plis, manches et capuche dans un estuaire d'ordures, pelures, boites de conserves et leur jus répandu... Encore un de ces vieux juifs venus des Balkans et fuyant la guerre arabo-serbe. Sont-ce les bas-fonds qui supportent le luxe du Grand Hôtel ? Qu'est-ce que c'est que cette porte de tôle ? Il faut la brusquer à coup d'épaules, lui défoncer le cul pour la faire céder... Quoi ! Une rue pareille pour l’Hôtel Royal-Monceau ! Où suis-je ? Qui m'a versé au compte-goutte du LSD sur la pupille pour voir l'Hôtel Royal en monceaux se disloquer en gueule de bunker déchiqueté ? A moins que j'aie un casque vidéo sur les tempes pour me passer le film d'un arrière-quartier en béton sale et détritus... Mon Hôtel a disparu !
La lune commence à se fendiller dans la tranchée du territoire. C’est le signal de l'infiltration nocturne des foncés ! L'heure du nettoyage. Méticuleusement, j’enfile doigt par doigt les deux gants de cuir blanc. Quoi, encore une ampoule de réverbère pétée ! Et qu'est-ce que c'est que cet éclat lumineux, ce reflet fugitif ? Gaffe. Encore une saloperie de caméra-espion, un relais vidéo-surveillance de la police démocratique, un de leurs journalistes valets qui aimerait bien avoir vent de notre organisation...
Calme noir. La nuit est fétide. Ça sent le juif maghrébin et le bourgeois franc-maçon. Un coup de rangers dans leurs gueules, leurs caméras. Pour leur foutre la raie au beur noir. Ah, ah, ah... On y verra bientôt plus que des faces propres et nettes comme le cirage clair et poli de mes guêtres. On pourra enfin être fier de se regarder dans la pureté polie de mon crâne de parfait blanc occidental. Vêtements au carré, blazer bleu-marine sur la chemise brune, ceinturon blanc et cravate rouge sur un coffre de mangeur de viande ! Paré.
Qu'est-ce que c'est que ce costume de clown? Quand il respire comme ça j'ai comme les tuyaux d'une marche militaire dans les bronches. Pourquoi me fait-il cadencer et raidir tous les muscles? Comme sifflant par le nez une sonnerie aux morts pour la patrie. Non... Me voilà encre le mental dans la tête d'une espèce de monstre qui ne me laisse même pas penser. Seulement vivre à mon cœur défendant sa démarche, son déguisement et son théâtre vulgaire qui me censure la réflexion. Et une fois de plus je ne peux pas m'échapper d'entre ces bajoues qui battent la mesure.
J'espère qu'il ne va pas lui venir l'idée de nous regarder dans un miroir. J'en vois et j'en sais assez comme ça sans m'ajouter aux cinq sens la vision d'un faciès qui n'est pas le mien et dont me suffit amplement ce que je sens du cubique des mâchoires... C’est parce qu'il ne pense pas en se coltinant son pas militaire de bande dessinée que je peux...
Stop! Ça sent le complot... Affirmatif ! Il y a des yeux noirs de tiers monde qui photocopient la ville pour se la cloner à l'usage de leur pillage et ne nous laisser que la trame de nos papiers d'identités aux empreintes effacées. Au rapport avant la levée du secret ! Je ne veux avec moi et mes sbires que la caméra de l'Hawks. Uniquement cette démone. La seule qui laissera voir toute la vérité nécessaire de notre mouvement. Et l'Hawks l'aura dans l'os. C'est l'heure de grande écoute nocturne pour le Mouvement Uni de Libération de la Race Blanche. Et quand nous n'aurons plus besoin de son sens de l'information... Clic ! Permis de pellicule coupé, bande son noyée, internet dératisé, neurones au détergent, réseau câblé passé à la voix blanche. Défense de dépasser la ligne blanche.
Attention! Cachons nous dans la rencoignure de cette porte cochère, contre le tableau d'entrée à code digital de sécurité. Oui. C'est elle. L'Hawks entre dans le bar « Au Français ». L'épieuse épiée. Ce bar qu'entre initiés nous appelons « Le Bleu Blanc Rouge ». Le bleu pour l'uniforme horizon, le blanc pour la pureté de la race, et le rouge pour le sang répandu des envahisseurs. Bien drivée cette Hawks pourrait faire une excellente voix populaire. À condition de lui laver sévèrement le cerveau aussi blanc que le blanc bleu de ses yeux... Pas un bouton de guêtre ne me manque. J'y vais. Par la porte de côté et le cagibi aux deux placards. Changer rapidement mon uniforme d'action pour un vêtement politique. Costume bleu-France croisé, cravate passe-partout, souliers vernis noirs. Bien au chaud dans mes sous-vêtements bleu blanc rouge et noir invisibles contre mon cœur. En piste...
- Benoit-Adolphe Francostal, qui êtes-vous? Un obscur militant, l'éminence grise d'un parti non encore homologué, ou le leader absolu d'une force montante que la marée des urnes populaires plébiscite?
- Vous savez bien qui je suis, Mademoiselle Hawks. Vous devez savoir qui je suis. Vous saurez bientôt qui je suis.
- Mais encore...
- Je suis la France pure ! Le peuple national. La revanche des travailleurs. Des exclus du capitalisme mondialiste. Des victimes de l'immigration sauvage.
- D'abord, dites à nos showsectateurs si ce nom, Benoit-Adolphe Francostal, est votre nom en vertu de l'état civil ou si ce n'est qu'un grotesque pseudonyme?
- Pourquoi grotesque ? Alors que dans ce nom coule le sang de mon père, de nos pères et aïeux. De nos ancêtres les Gaulois. Alors que ces prénoms sont la langue de ma mère, le b a ba de mes initiales... Ce nom venu des Francs, porteur du sceptre de la pure lignée des Français. Enfin vous savez que l'écrivain français Henry de Montherlant appela Costals le fin héros d'un de ses meilleurs romans...
- Un héros misogyne. ..
- Car la femme n'est que le passé de l'homme. Dans le rôle sacré de la mère, la femme française se réalise pleinement et uniquement.
- Délicate perspective... Pourquoi toujours « Français » ? Qu'y a-t-il de plus à être né par hasard Basque, Breton ou salade niçoise, plutôt qu'Américain, Letton, Malien ou Coréen?
- Je suis Xénophobos le Grand, le viriloïde français, qui pue bon la France sous aisselles, Madame ! Moi et mes Français, nous aimons la France, la vraie, celle de race blanche et fraçouaise, nous détestons le négroïde et le jaunoïde, nous haïssons l’espingouin et le baragoin, le boche et l’italoche, l’english et le polish, le bicot et le noirpiot ! Et les valeurs, l'histoire, Mademoiselle Hawks! L'esprit français, cartésien et classique, Lully et Vauban, Louis XIV et Napoléon, Charles-Martel et Clémenceau, Pascal et Gobineau, Barrès et sa « colline inspirée »…
- Beurk et rebeurk, Monsieur Francostal ; même les meilleurs noms prennent dans votre bouche une odeur de crocs cariés. Voulez-vous ma liste ? Non... La voici : Goethe et Martin Luther King, Madonna et Mère Thérèsa, Rossini et Jim Morrison, Gandhi et Bashô ; Diderot comme encyclopédiste et érotique, Octavio Paz et Matisse...
- Je veux bien prendre ce déballage de métèques immoraux, Mademoiselle Hawks, pour une légère provocation à l'usage des quelques puérils intellectuels qu'il faut bien retenir parmi vos showspectateurs friands de linge sale. Napoléon, vous dis-je, et sa grande France absorbant l'Europe. Charles Martel repoussant ces arabes que nous laissons aujourd'hui entrer par la porte de la lâcheté. Mussolini et sa restauration de la grande Rome... Le peuple a besoin d'admirer. Non de mépriser ses élites, ses institutions et sa police. Le peuple est méprisable s'il vénère un tennisman, un chanteur de jerk, un présentateur de télé, au lieu d'être inspiré par le charisme et l'idéal d'un grand leader. ..
- Que le peuple soit aussi méprisable qu'un match de foot sans arbitre, je suis payé pour le savoir. Et pour savoir qu'un Mozart, qu'un Fragonard y peuvent naître si vous ne les empêchez pas.
- Ôtez, Mademoiselle Hawks, votre pseudonyme digne du plus charognard impérialisme américain, et rejoignez-nous. Vous serez, Arielle, notre nouvelle liberté jaillissant des barricades de la France pour jeter à bas les complots de l'intérieur et la peste métissée des envahisseurs ! Vous écraserez l'hydre du cancer mondialiste et économique, à côté des pires impérialismes que sont et ont été l'Islam et le communisme.
- Joli fantasme ! Un : l'impérialisme américain n'est qu'un mythe, certes doué de surappétit. Deux: je ne suis pas à vendre. On ne me paie que libre. Trois : voulez-vous en prime time mes seconds prénoms? Kyoto et Parvati. J'ai une grand-tante née noire et esclave à New-Orléans et du sang hopi coule sous l'apparence de ma peau de White Anglo Saxon Protestant.
- Voilà ce qui vous empêche d'être naturelle, d'être authentiquement vous-même et spontanée, Mademoiselle Arielle. Ce sang cosmopolite, cette bâtardise transgénique. Qu'êtes-vous devenue? Une créature hybride. Une cybermétisse dont les identités originelles sont diluées, empoisonnées... Non, le vrai peuple, tout peuple, veut et doit garder ses racines, sinon il ne sait plus qui il est. Le vrai Français ne s'enracine que dans un sol non colonisé par les mauvaises herbes étrangères. Chaque peuple a droit à sa pureté ethnique. Chaque individu doit savoir dans quelle identité il a sa place, son nom, ses droits et ses devoirs !
- Alors, entre l'Occitan et le Tourangeau, entre le Tzigane et le Berbère, entre le Dogon et le Pygmée, il faut dresser des barbelés...
- Seulement entre le Français et l'étranger. Pour que chacun conserve son territoire et sa fierté.
- Et clouer sur ces barbelés de sang ceux qui s'aviseraient de les franchir?
- Bien gardés, ils ne les franchiraient pas.
- Et que ferez-vous de ceux qui sont nés d'une union interethnique?
- Ils sont innocents du crime de leurs parents. Ils seront éduqués et parqués d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée selon leurs facteurs raciaux dominants. Bien sûr, ils seront priés de ne pas se reproduire pour éviter de propager sur la planète ce drame qui scie en deux leur chair et leur sang. Tout cela bien sûr dans le respect de la personne morale.
- Et celui qui, hors son délit de faciès, aura assimilé la culture française et occidentale au point de ne pouvoir se reconnaître au royaume d'Allah?
- Ne compliquez pas les choses, Mademoiselle Hawks, Cela ne doit ni ne peut se produire. On n'acquiert une culture que si elle est drainée par le sang pur de l'origine.
- Vous avouez donc que certaines personnes n'ont pour vous pas droit à l’existence ? Je suis sûre que vos électeurs du Bâtiment Travaux Publics seront heureux d'apprendre qu'ils vont échapper au chômage grâce à vos chantiers d'Auschwitz sur Seine et de Goulag en Provence...
- Comment osez-vous ! Chienne télévisuelle ! Catin cosmopolite ! Insulter ainsi la mémoire de mon père qui, résistant contre l'oppression nazie, passa trois ans dans un camp de concentration allemand. .. Il n'y a donc aucune valeur que vous respectiez?
- On dit que votre père respecté, et communiste de surcroît, fut parmi les premiers volontaires du travail obligatoire dans une usine d'armement à Dusseldorf, en vertu du pacte germano-soviétique. Qu'il n'a rejoint la résistance à l’automne 44 qu'en vertu d'une permission exceptionnelle pour bons et loyaux services.
- Sale souris ! Bête à charniers ! Si je ne me retenais pas... Non. Raclure de médias, pure calomnie, vous dis-je...
- Regardez-le, chers showsectateurs ! Non, ce n'est pas l'écume de la bière qui s'éructe ainsi, mais la bave de la fureur blanche qui coule des crocs jaunes de Benoit-Adolphe Francostal, notre dogue des valeurs morales...
- Riez, riez, Miss Médias... Plus vous m'insultez, plus vous bafouez le flot montant du peuple. Plus vous me crucifiez sur l'autel des marchandises télévisuelles, plus je pérore, plus je gagne des voix. Et vous ne pouvez pas vous passer, personne ne peut se passer du spectacle de nos militants et de son chef charismatique jetés aux hyènes des médias. Ces médias vendus à l'idéologie socialo-immigrée.
- Monsieur Francostal. Vous êtes au centre d'un soupçon... Celui du meurtre d'un jeune Malien retrouvé dans la Loire. Un insigne métallique a profondément marqué sa nuque.
Bibliothèque A. R. Photo : T. Guinhut.
- Quel insigne ? Que pouvez-vous prouver, sinon la perfidie concertée du complot libéral ?
- Eh bien, la chair a été visiblement massacrée à cet endroit pour en rendre la lecture impossible. Mais sûrement savez-vous quelque chose...
- Pas le moins du monde. Il y a bien des groupuscules, des sectes, sinon des psychopathes solitaires que la police devrait inquiéter au lieu de notre mouvement des valeurs nationales. Et nettoyer ainsi la France de ses dégénérés sexuels.
- Allons... Les extrémités sont lisiblement celles de la svastika nazie, Mais le centre de l'objet, lui, reste, dans le torturé, incompréhensible.
- À nous également, cet objet reste inconnu, soyez-en persuadée, Mademoiselle Hawks.
- Revenons à votre mouvement politique et à ses valeurs morales.
- Voilà qui vous honore, Mademoiselle Hawks. Notre parti sera le seul à pouvoir poser sur la pureté de la France un préservatif étanche contre le sida de l'immigration. Pour que les couples français puissent retrouver une saine monogamie fondée sur la virginité, la fidélité, la reproduction. Vous connaissez déjà notre ligne sur l'immigration. Voici notre second point de programme. Création d'une ligue anti-pornographique d'intérêt national. Epuration des librairies, des cinémas, des télévisions, des vidéos et d'internet. Traque de la prostitution, professionnelles et des clients, par des comités de santé publique. L'amour sera sous le voile de la pudeur ou ne sera pas. C'est la pornographie, le sexe facile dans la publicité, dans les kiosques et les mœurs, qui est responsable de la dépression économique et de la généralisation des crimes sexuels sur les enfants.
- Ne devenez pas tout rouge comme ça. On dirait à vous voir que vous succombez à cette lubricité que vous dénoncez. Que le seul rempart à votre sang chaud de brute est cette armure morale qu'en bon sadomasochiste vous désirez imposer.
- De telles insinuations sont aussi perverses que cette pseudo science juive et dégénérée connue sous le nom de « psychanalyse ». Et votre entregorge, Mademoiselle Hawks, si palpitante qu'elle soit, dans la soie de votre soutien-gorge demi-découvert, ne m'impressionne pas.
- « Cachez ce sein que je ne saurais voir » !
- Seul l'enfant saurait voir la mamelle de sa mère sans danger. Chaque objet sexuel, chaque image lubrique entrevus contribuent à faire avorter les valeurs de Travail, Famille, Patrie.
- Refrain connu. Allons, Monsieur le Censeur, savez-vous qu'il y avait bien plus encore de cuissage, viols et meurtres sadiques aux époques où ni l'imprimerie ni le cinéma ne pouvaient encore divulguer la moindre imagerie et pensée coupables ? Savez-vous que sous l'ancien régime le viol n'avait même pas d'existence légale à moins que la victime ne fût une personne de condition? Les rapports de pouvoir phallocrates tenaient lieu de morale sexuelle. La femme n'avait qu'à être vierge, mère ou femme perdue. Sans compter les enfants qui n'avaient pas droit à la parole.
- Auriez-vous l'audace, vous, l'apatride égérie des ondes versatiles, l'audace de me faire un cours d'Histoire de France? Et tendancieux, qui plus est! Que faites-vous des barrières de la religion ? Cette religion aujourd'hui bafouée par le scandale de ce livre dans lequel Jésus est traité d'homosexuel ! Et par ce film où Marie-Madeleine copule avec le Christ ! La santé morale publique exige qu'on pilonne ce livre, qu'on éventre au soleil ces bobines de pellicules, qu'on en brûle les ulcères maudits !
- Il me semble que le livre et le film dont vous parlez ne sont qu'à peine de légères provocations, pour reprendre votre expression. Ils ne visent qu'à donner à l'amour du Christ pour ses créatures une visibilité sensuelle supplémentaire. De plus, ces œuvres, que personne n'est obligé de lire ou d'aller voir, et dont les affiches urbaines ne peuvent choquer aucune sensibilité, restent du domaine de la liberté privé du lecteur et du spectateur. Le cardinal Sanzini lui-même, qui pourrait être le prochain Pape, a dit à ce propos que Dieu appartenait tout autant à la Bible qu'à la conscience de chacun et que les poèmes érotiques du Cantique des cantiques étaient une image de l'amour universel.
- Mais la pornographie, sœur infâme de l’avortement ! Sale, vulgaire ! Vous qui êtes une femme, ne vous sentez vous pas insultée par cet exposition de vos parties, par l'étalage de vos fonctions organiques conspuées?
- Que savez-vous de la pudeur, Monsieur Francostal ? Chacun choisit la pornographie qui lui convient. Vous avez la vôtre. La mienne peut être belle, délicate, raffinée, extatique.
- Malgré tout le respect que je dois à une femme, vous êtes aussi pernicieuse que satanique...
- Dans votre bouche, Monsieur Francostal, je prendrais cela comme une flatterie. Ou comme un geste de concupiscence…
- Ne perdons pas de vue, je vous prie, notre programme. C'est ce qui intéresse d'abord les Français. Après l'immigration et la pornographie, mon troisième point : l'Insécurité! Et dans insécurité, il y a « jeunesse »...
- Et en quoi ces enfants innocents...
- Mais que vous, forces de l'argent et des médias, corrompez sans cesse! L'enfant est naturellement bon. Seuls votre société et vos télés le corrompent.
- Comment, nous qui étions ces purs enfants, serions-nous devenus des corrupteurs sans que notre enfance possède les germes de la violence?
- Si nos enfants volent, pillent et brûlent, si leurs bandes rivales s'estropient, s'ils vont jusqu'au meurtre de policiers, c'est parce que la répression parentale ne les a pas saisi dès la première incartade. Dès qu'un parent se révèlera incapable d'assurer l'exercice de son autorité, il sera privé de sa progéniture, privé de ses allocations nourricières, privé de son droit de vote. Un impôt-amende de solidarité nationale sera exigé pour toute désertion parentale. Quant au fruit de ses entrailles, il sera rééduqué aux frais de l'Etat dans des internats pénitentiaires, au moyen du travail manuel, de la prière et des châtiments corporels réguliers. Moi-même, pour l'exemple, je me chargerais d'élever le jonc sur leurs fesses délinquantes...
- Comment votre bouche, Monsieur le Président Francostal, peut-elle contenir sans dégorger tant de salive au moment d'exalter vos vertus pédagogiques ?
- Laissez-moi ignorer vos sarcasmes misérables. Parlons justement de pédagogie. Pour retrouver une jeunesse saine, il faut nettoyer leur environnement. Plus un bruit de rock, de rap, de techno. Plus une musique nègre ou beur. A la place, un austère et viril chant grégorien. Le retour aux folklores régionaux, aux danses du terroir. Accordéon, Harmonie Municipale, Orchestre Militaire. Plus de cheveux savonnés, punks, iroquois, plus de tresses africaines qui sentent le suint et le cannabis. Plus un seul vêtement grunge, mini ou maxi, plus un seul jean importé, plus un seul déguisement d'origine étrangère. Boule à zéro pour les garçons, front haut, oreilles dégagées... Uniforme scout couleur sable et chaussures de marche. Coupe au carré, nœud rose pour les filles. Uniforme bleu-nuit, souliers noirs. Une guerre absolue contre les drogues et le tabagisme sera déclarée. Chaque jeune sera fouillé jusqu'à la peau nue à l’entrée de tous les centres d'apprentissage et de travail. Pas de lectures malsaines. Censure et mise à l'index scrupuleux. Une télévision d'Etat exclusivement. Education idéologique, formation aux métiers traditionnels et divertissement collectif dans des créneaux horaires adaptés aux rythmes naturels. C'est ainsi que les hooligans, les voyous, les dealers, les coupe-bourses, les traîne-savates, sans compter les homosexuels, seront éradiqués. La liberté, dans ses cadres préétablis, ne sera accordée que sur preuve de comportement idéologiquement correct. Le monde occidental décadent, fade et putrescent retrouvera enfin ses héros de grand style, ses croisés, ses chevaliers teutoniques, ses condottières. Vous riez, Mademoiselle Hawks?
- Vous n'aurez jamais assez de miliciens pour ça, Monsieur Francostal. Vos frontières seront aussi poreuses que les esprits.
- Vous ignorez que le Réveil a partout commencé. En Allemagne: le Furherarium. En Italie, la Ligue Mussovaticane. En Espagne : l'Opus Castillan. Aux Etats-Unis : le Ku Klux Kan. En Russie: la Tsarléninia... Il est évident que, l'Union Européenne dénoncée, l'étanchéité de nos frontières sera renforcée par les mouvements alliés des pays limitrophes. Ce qui nous permettra, dans un second temps, de viser l'autarcie économique et culturelle grâce à un contrôle strict des moyens et des objectifs par des entreprises et des associations nationalisées.
- Je crains que nos showsectateurs se lassent, Monsieur Francostal... Qu'ils quittent notre chaîne pour une autre.
- Veuillez, m'excuser, Mademoiselle Arielle et chers showsectateurs, mon attaché de corps me…
- Showsectateurs aimés, pendant que notre invité se laisse susurrer des messages par son lieutenant en âme damnée, nous avons le plaisir, sans quitter l'antenne, ni vous priver du visage concentré de Maître Francostal, de vous proposer en incrustation sur votre écran Sony Very large Visual, des publicités dont les espaces sont achetables et programmables démocratiquement et en temps réel par Immediat Internet Respons Televisor System Data. Espaces vendus au plus offrant qui assurera l'efficacité de son message grâce à son adéquation avec le masssacrentretien diffusé en direct. Comme vous pouvez le voir, défilent, quoique privées de leur son optionnel, des gemmes à mobilité visuelle avancée consacrées à des sites de militaria, collections d'insignes, médailles, objets et armes de toutes guerres, produits artisanaux, gastronomiques et culturels nationaux et régionaux, livre et vidéos révisionnistes rétablissant la vérité sur le suicide de six millions de juifs apatrides qui ont choisi, comme chacun sait, de rejoindre le royaume de leur Dieu par la voie du gaz et de la fumée, en maquillant leur sacrifice rituel en crime aryen pour salir les peuples germain, celte, slave et latin, ourdissant le plus satanique complot de toute l'histoire de l'humanité, toutes productions récompensées par le Prix Vérité fondé par Benoit-AdoIphe Francostal. Leur succède aussitôt le défilé du célèbre couturier Musso Phalangio, de Milan, dont les modèles d'uniformes aux couleurs terres et marines, aux lignes aussi strictes pour la rectitude morale qu'élastiss pour l'aisance de tout exercice corporel, font déjà un malheur parmi la jeunesse dorée des banlieues délinquantes de Londres et de Strasbourg.
- Quoi... Adolphe-Benoit Francostal s'éclipse ! Nous quitte avant la fin du massacrentretien... Et dix huit gros bras me barrent la porte qui l'a aspiré ! Pas d'autre issue pour notre Hawks chérie, chers showsectateurs, que d'user de son don d'ubiquité bien connu. Paraître par corporéité rester dans ce fauteuil, à cette table ronde, provisoirement veuve de son mentor - on me confirme son retour imminent d'un signe ganté - et filer par cristaux numériques photonisés à travers les culs de bouteille de cette vitre, dans la rue, poursuivant l'objet désiré de notre adhésion médiatique, seul dans son nouvel imperméable brique pour se confondre avec les murs, intimement suivi par le don de visualisation nécessaire à la pure et distincte transmission des images...
- Que fait-il, s'aventurant dans les ruelles fétides et vides, sauf de leurs ordures, du quartier Franc ! Ce quartier malfamé d'immigrés indo-européens qui souillent de leur barbaritude le pur terroir de la civilisation celto-romaine dont l'architecture s'enorgueillit de découvertes aussi avancées que le menhir à tête corinthienne... Masqué d'un sévère incognito, le Conductor Francostal rase les murs lépreux, louvoie parmi les décombres de plastiques, de parpaings et d’huiles usagées, jusqu'à surprendre un camp retranché :
- Tudieu, le magnifique trou de cul à rats ! Une tente en polycarbonate de poubellium au-dessus d'un feu de braises volées. La famille Chienlit fait son camping urbain. Le chef de tribu a garé sa caravane de chameaux carrossés Porsche et motorisés Rolls Royce. Les domestiques dorment d'un sommeil de bêtes abruties au qat. Les sept, huit, treize enfants grandissent dans leurs berceaux avant d'être assez forts pour enculer la France en pleine face de leurs utérus populeux et de leur sperme colonisateur. Le voilà enfin, ce Farid Al Mékouil, couché sur sa parcelle de trottoir public généreusement allouée par l'Etat démocratique, sur son grabat de faux chômeur, qui se réchauffe les testicules avec un sac de couchage gracieusement fourni par les associations de secours caritatif aux sans-papiers. Regardez-le qui prépare son regroupement familial pour ses cinq femmes, ses dix-huit chamelles enceintes, sans compter sa horde de bougnouls enjuivés, cachant entre ses doigts de pieds qui puent le bouc sa carte platine American Express. Ce Farid Al Mekouil qui s'est vanté sur TévéArabTroisSatellite.com, d'être le fer de lance de l'humanité polyraciale et polygame... Chien ! Réveille-toi ! Bâtard de fils de pute. Sale juif éthiopien converti à l'Islam. Sale bourgeois nomade. Accapareur planétaire infiltré. Réveille-toi, te dis-je, pour que tu me voies te crever les couilles. Pour que tu t'imprimes dans la carte à puces de ta sale barbe la vision de tes spermatozoïdes agonisant dans le caniveau. Je vais te saigner l'enflure de ta race ! Toi le chantre de l'antiracisme républicain, je vais te châtrer le chancre qui te pend entre les pattes !
- Arrêtez ! Vous êtes dingue ! Je ne sais pas qui vous êtes. Mais je vous ai vu à la télé ! Au secours! Non... Argh…
- Ah, charogne! Bête à génocide ! Lâche-moi, desserre tes griffes de furet... Te débat pas comme ça. Arrête-moi ces convulsions... Vipère! Tuerie... Ough…
- Quelle douleur... Qu'est-ce que j'ai dans le haut de la nuque ? Qui résonne comme un gong ? Je ne peux pas relever mon corps... Ce corps écroulé contre un fauteuil-poubelle en tôle et toile de tente. Mais... Qu'est-ce que c'est que ce type cassé par terre, dans son duvet crasseux, la tête ébouillée contre un braséro à marrons ? Un coup de chance si dans son drôle de sommeil il ne prend pas feu par les cheveux et le pardessus. Il regarde vers la nuit comme aucun être humain ne peut le faire. Il y a quelque chose de saillant dans la viande rouge de son cou... Non... C'est moi qui l'ai dévissé comme ça ? Moi, Vivant d'Iseye, si doux, si discret, si pleutre... C'est insoutenable... J'ai des grosses mains sales de sang... C'est moi.
- Qu'est-ce ? Un éclair de lune ? Ou de flash ? Le clin d'œil d'une caméra impossible... Non, je me souviens ! Me voilà complètement secoué par un drôle de sbire qui veut me ranimer, alors que je suis réveillé au dedans de l'inconscience de... Non! L'infect Francostal, je suis dans sa peau, annihilé dans sa volonté… Si je déraisonne aussi clairement, c'est qu'il est out, complètement groggy. Sûrement s'est-il, et moi avec lui, cogné contre le bras ébréché de ce fauteuil de camping zonard. Et si je suis pris devant cet éclat de vertèbres cervicales d'un pauvre homme vêtu de chiffons, est-ce que je suis responsable ? Coupable par omission ou par intention? Comment ai-je pu ne pas retenir la force démente qu'il a fallu à ce Francostal qui m'emprisonne pour démonter la bobine de ce Malien, ce Sahélien, ce Maghrébin, sûrement sans papiers, je ne sais pas avec la nuit. Comme le coup du lapin sur une tortue. Beurk, j'en vomirais le bleu de mes intestins dans mes genoux si je n'étais pas Francostal... Attention, il se ranime et je perds conscience, non, à mesure qu'il…
- Monsieur Francostal, Maître, venez... Vite, partons, levez-vous, je vous aide...
- Ah, la saloperie... Ouh, ma tête... Il a failli me tuer sur son fichu mobilier de nomade en se débattant. Marque-lui la nuque à ma place. Tiens, je ne peux pas... Non, la nuque de cette raclure est inutilisable. Fais lui sur le front. Voilà. Démonte le manche et donne-moi la broche. Bien. Décampons. Aide-moi... La voirie passera au petit jour pour nettoyer tout ça. Dire que nos frontières sont poreuses de ces petites frappes illégales... Cest tout des bougnouls aux poubelles. Ils feront la part dégueulasse du nettoyage. Ça ira dans l'incinérateur à ordures collectives. Décampons... Ça va? Je suis propre sur moi ? Merci, Numéro 2. Décampons. La petite Hawks n'a pas eu le temps de s'impatienter. Bien gardée comme elle est. Retournons sous sa caméra peaufiner notre moralité. Elle a été bien sage, l'Hawks. Ni vu ni connu. Tu jetteras mes gants rougis dans les égouts. Dire que ce cloporte était à deux rues de notre bistro. Le sang dans mes cheveux ne se voit pas? Bien. Laisse-moi maintenant. J'y revais.
- Ah, notre héros du soir... Nous allons pouvoir terminer cette mise en lumière qui passionne notre fan-club et soulève un délicieux maelstrom de controverses. Cette entrée dans le cortex langagier de Francostal, sera-t-elle assez édifiante? Attention! Notre applaudimètre à correction en temps réel ne vous donne que 51 pour cent d'encore...
- Excusez-moi. Un message finalement sans importance. Je vois que vous filmez nos bérets rouges et notre décor. Souvenirs d'Indochine, d'Algérie et de mai 68. Carte des opérations, pavés. Je vois que vous commencez à vous passionner, Mademoiselle Hawks...
- Revenons à votre mouvement politique, à sa structure. Vous êtes un groupuscule d'extrême droite et...
- Pas d'extrême droite. La vraie droite. L'extrême droiture du collectif.
- Vous déviez donc de toute droite officielle. Pourquoi?
- Nous récusons leur défense de l'individualisme, du corporatisme, pour une vision globale de la politique et du parti dans la communauté de la société. Nous récusons également leurs actes de violence sporadiques et désordonnées contre les minorités ethniques immigrées, qui, dans le cadre d'une solution globale, doivent être traités...
- Comme du bétail pour abattoir de cordon sanitaire.
- Vous tenez décidément, Mademoiselle Hawks, à nous coller une étiquette de bourreau…
- Non. Doivent être traités avec tout le respect dû à leurs racines éthniques dévoyées dont ils doivent retrouver la pureté sur leur sol originel. Notre programme rétromigratoire est un devoir humanitaire sacré.
- Qu'avez-vous derrière la tête, Monsieur Francostal ? Dans les cheveux...
- Oh... Rien. Ce n'est rien... J'ai dû me cogner. Oui, je me suis heurté sous l'escalier de la cave.
- Cave, caveau, tombeau... C'est là que le Barbe Bleue de la politique suspend ses victimes ?
- Je ne vous permets pas!
- Je vous permets de vous laver les mains sous le flot de mes caméras, Monsieur Francostal. Voyons si vos mains sont malades du complexe de Lady Macbeth, si vos mains se séparent des marques indélébiles du sang.
- Vous déraisonnez. Vous ne me ferez pas avoir honte de mon sang, du sang de la France, Mademoiselle l'Apatride.
- Notre caméra numéro deux nous confirme par analyse à cristal photonnique ADN que c'est bien votre sang qui tache le haut de votre nuque. Revenons à votre profil intellectuel et psychologique. On vous a surnommé l'Interdicteur. Vous avez en effet déclaré vouloir prohiber les danses rock et techno, les drogues, le tabac, le préservatif, la pilule, l'alcool, internet...
- Vous oubliez l'apparence génitale qui doit être évincée des feuilles et des écrans. Seule a droit de cité la pilosité du torse mâle dans l'effort public. Le sexe n'existe pas dans un corps et un esprit sain.
- Que vous a fait votre zizi pour que vous le…
- Question nulle et non avenue.
- Et les livres ? Pourquoi les condamnez-vous tous ?
- Pour isolement schizophrénique.
- On a dit que vous étiez un délirant obsessionnel. Comme Mussolini le syphilitique.
- Je veux bien vous absoudre, Mademoiselle Hawks, de vos allégations téléguidées et calomnieuses. Justement, voilà un de ceux que nous admirons : ces hommes à poigne. J'ai nommé: Mussolini, Castro, Hitler, Staline, Franco, Pol Pot… Je réussirai où ils ont échoué. J'orienterais le sens de l'histoire vers plus d'efficacité et de pureté, vers plus de splendeur collective et de vérité. Seul un destin fort peut sortir le pays de la crise identitaire, économique et morale. Seul un homme déterminé peut sortir nos concitoyens de l'ornière des délinquances urbaines. Seul un garant de la solidarité collective peut nous libérer de l'exploitation par un patronat qui secrète l'exclusion au lieu de rassembler.
- Benoit-Adolphe Francostal, il est bientôt l'instant de rendre l'antenne à nos concurrents. Il vous faut conclure, Maintenez-vous votre programme économique aberrant ?
- Protectionnisme national. Collectivisation des terres, des ressources, des moyens de production sous l'autorité d'un Etat fort. Nationalistes de tous les pays, unissez-vous ! Nettoyez et déplacez de toutes parts les minorités ethniques et les sangs mêlés. Otez leurs richesses indues des poches des bourgeois juifs mondialistes. Coupez les ailes de ces libéraux qui prostituent le peuple dans leurs temples d'une consommation à l'américaine. Une politique fiscale d’effort national et de confiscation des richesses capitalistes prendra en charge les couches paupérisées de la population de souche et leur rendra leur dignité outragée. Voilà mon mot d'ordre final: rendez chaque étranger à son état national, planifiez les économies au service des purs travailleurs nationaux !
- Allez- vous enfin, Monsieur Francostal, nous révéler - vous m'aviez promis ce scoop - le nom de votre parti?
- Le Front Communiste National !
- Merci. Sur cette bienfaisante révélation qui fera couler beaucoup de pixels, nous allons d'un coup fondre au noir toutes nos caméras. Vous aurez bientôt, Monsieur Francostal, le plaisir de recevoir - et la surprise de visionner - la vidéo montée de notre charmant entretien.
- Bisous et suçons de sang à tous nos nombreux showsectateurs que nous bordons dans la bonne conscience de leurs lits bien chauds...
- Quoi... La minuterie s'éteint dans ce couloir... Je tâtonne, groggy. En pyjama rayé glacial dans un escalier désaffecté du côté du local à poubelles. Ah, c'est une porte enfin... Je reconnais mon couloir du Royal Monceau avec ses veilleuses et son tapis sous mes pieds nus. Je ferais des crises de somnambulisme? C’est du jamais vu dans ma vie sans histoires. Tranquillisons-nous. C’est anodin, en fait. La porte de ma chambre s'ouvre comme un lit. Et mes draps n'y sont pas plus ouverts que si j'y dormais encore. Oh, qu'est-ce que c'est ce truc contre mon téton droit ? Dans une poche de pyjama. C’est métallique. Rond. Légèrement bombé. Aï! La saloperie. C’est truffé d'arêtes coupantes. Mon pouce ; je vais saigner dans les draps comme une femme qu'on viole. J'espère que personne ne verra ça. Allumons. Nom de Dieu! C'est quoi cette quincaillerie? D'où je tiens ça? Une sorte de broche comme en avait mon arrière-grand-mère pour attacher ses châles... Avec son aiguille. Mais jamais avec un motif pareil en laques de couleur. C'est pas dicible un machin pareil. Immonde : c'est une croix gammée noire dans laquelle sont incrustés une faucille et son marteau. Tout ça dans un cercle blanc. Quelle horreur ! C'est même pas propre. Crasseux de particules élémentaires brunâtres. Avec une odeur de viande fade... Ça pue comme l'inconscient de Sade, de Trotski et de Goebbels réunis ! Francostal ! J'y suis. Ou plutôt je n'y suis plus. Le pauvre immigré. Il faudra regarder les informations à la télé au matin. Je dois me débarrasser de cet objet compromettant. Un Francostal, ça ne peut pas exister. Mais un désaxé mental qui fait des crises de somnambulisme à travers la ville, pourquoi pas. Et qui va tuer un homme? Est-ce possible? Vite. Dans les wécés. J'espère qu'une fois la chasse d’eau tirée, la lunette ne viendra pas à déborder de sang et d'intestins maigres et longs comme d'ici au Sahel. Ouf. Retournons au lit. Je suppose que ça traînait dans le pyjama fourni par l'hôtel. Voilà ce que c'est d'être un écrivain. On rêve qu'on est n'importe quoi. Sommeil calme et cathartique. Surtout le vide du repos. La page blanche.
Thierry Guinhut
Une vie d'écriture et photographie
Voir : Les Métamorphoses de Vivant, roman
Bibliothèque A. R. Photo : T. Guinhut.