Histoires et cicatrices pérennes de l’esclavage, entre Moyen Âge, Christianisme, Islam et Amériques.
Jean Jules Antoine Leconte de Nouÿ, L'Esclave blanche, 1888 ;
Jean-Baptiste Carpeaux, Pourquoi naître esclave ? 1868.
Musée des Arts, Nantes, Loire-Atlantique. Photo : T. Guinhut.
Histoires et cicatrices pérennes de l’esclavage,
entre Moyen Âge, Christianisme,
Islam & Amériques.
Sandrine Victor : Les Fils de Canaan. L’esclavage au Moyen Âge.
Vendémiaire, 2019, 216 p, 22 €.
Olivier Grenouilleau : Christianisme et esclavage,
Gallimard, 2021, 544 p, 28,50 €.
Tidiane N’Diaye : Le Génocide voilé,
Gallimard, 2008, 264 p, 21,90 € ; Folio, 2017, 7,80 €.
Catherine Coquery-Vidrovitch et Eric Mesnard :
Être esclave. Afrique-Amériques, XV°-XVI° siècle,
La Découverte, 2019, 336 p, 12 €.
Être esclave est une condition courante parmi les plus anciennes civilisations, voire jusqu’à aujourd’hui. Cependant, si les Grecs et les Romains pouvaient châtier sans pitié les rebellions, comme en témoignent les voies romaines semées de crucifixions suite à la révolte de Spartacus, la pratique de l’affranchissement était courante. Grâce à l’irruption du christianisme, l’emprise de l’esclavage sur l’Europe et la Méditerranée surgies des ruines de l’Empire romain, aurait disparu de ces contrées. C’est ce que croyait naïvement le modeste auteur de ces lignes - comme quoi il faut se méfier de ses convictions et avoir conscience des limites de son savoir - alors que l’ouvrage de Sandrine Victor, Les Fils de Canaan, vint le dessiller, puis celui d’Olivier Grenouilleau : Christianisme et esclavage. Cependant, sans avoir recours aux affranchis et non content d’imposer le jihad guerrier, l’Islam est un moteur de l’esclavage sur le continent noir et au-delà, comme le dévoile Tidiane N’Diaye, en son Génocide voilé. Alors que la littérature historique insiste à plaisir sur l’extension de cette pratique européenne dans ses colonies, Catherine Coquery-Vidrovitch et Eric Mesnard, mettent en perspective Afrique et Amériques. Cependant, comparaison n’est pas similitude.
Selon une lecture plus que partisane de la Genèse[1], Canaan, contemplant la nudité de son père Noé, fut condamné à être l’esclave de ses frères, ainsi que ses descendants noirs ; ce qui servit d’argument en faveur de l’esclavage pendant une bonne partie de l’ère médiévale. Or la traduction de la vulgate de Saint-Jérôme étant fautive, il faut lire « serviteur des serviteurs » et ajouter que Canaan n’avait rien d’Africain. C’est ainsi qu’il faut attendre la page 40 pour trouver la justification du titre de Sandrine Victor, Les Fils de Canaan. L’esclavage au Moyen Âge. Car ce fléau, même en constante diminution, ne disparut pas, alors que l’Eglise et les penseurs s’appuyaient à la fois sur Aristote qui soutient « l’utilité des animaux domestiques et des esclaves[2] », sur Saint-Paul qui prône « que celui qui a été appelé étant esclave est un affranchi du Seigneur[3] », et sur Saint-Augustin qui prétend que « la cause première de l’esclavage est le péché qui a soumis l’homme au joug de l’homme et cela n’a pas été fait sans la volonté de Dieu[4] ». En fait il s’agissait de préserver un ordre établi et de ne pas heurter les pouvoirs en place.
Constantinople est un marché d’esclaves, les Vikings sont experts en la pratique, l’Espagne et particulièrement Barcelone ne sont pas en reste. Les guerres de Reconquista contribuèrent à pérenniser la pratique consistant à jeter les vaincus sous les fers, qu’ils soient Chrétiens ou Sarrazins : « À la fin du XVI° siècle, la péninsule ibérique compte encore 3 à 4 % d’esclaves dans sa population ». Le trafic humain sillonne la Méditerranée, mer de conflits récurrents, de piraterie et de razzias aux fins esclavagistes, ce dont fut victime Cervantès, l’auteur de Don Quichotte, qui eut la chance d’être racheté.
Par ailleurs la loi talmudique encadre la pratique en interdisant de frapper son esclave, alors que l’Islam est « une société d’esclaves », employant massivement les captifs dans les plantations, sur les galères, y compris féminins, comme l’officialise la Sourate des femmes. Notre auteur ne fait à cet égard pas l’impasse sur « la traite subsaharienne et musulmane » qui draine des millions de noirs sous les fers. Alors que « le monde médiéval n’est pas une société que l’on peut être clairement qualifiée d’esclavagiste ».
Bientôt cependant l’Eglise ne vit guère la chose du meilleur œil : au VIII° siècle, Smaragde de Saint-Mihiel enjoint : « Il faut interdire la servitude, ô Roi très clément ». Ainsi, dans le cadre d’un « lent dépérissement de la servitude antique », l’esclavage fut définitivement aboli en France en l’an 1100 (quoiqu’il faille attendre 1848 pour l’abolition dans ses colonies), alors que, malgré la progressive raréfaction du phénomène, les pays voisins sont plus paresseux : l’on rencontre encore des esclaves à Venise au XVIII° siècle. Le vénitien « Quai des esclavons » en témoigne, portant la trace de la Slavonie (la Croatie actuelle) qui était une forte zone d’approvisionnement. Mais aux Amériques, malgré le plaidoyer de Las Casas[5] en faveur des indigènes qui leur évita l’esclavage, l’église ne sut résister aux exigences des grands propriétaires, au point qu’en 1454, le pape Innocent IV (qui porta si mal son nom) autorisa la soumission en esclavage les « nègres » de Guinée au moyen d’une bulle papale adressée au souverain du Portugal, Alphonse V.
Toute une économie repose peu ou prou sur ce système. On envoie les malheureux dans les mines, on les emploie dans les ateliers, aux champs, sans oublier les sévices divers. Désexualisé, l’esclave est cependant aussi un corps, d’où l’exploitation sexuelle des femmes. On n’en sortira rarement, sauf si l’on a la chance d’être affranchi, à moins de risquer la fuite ou de rares révoltes. Mais Saint-Eloi, au VII° siècle, et de nombreux autres religieux, avaient à cœur de racheter des bateaux entiers pour libérer les captifs, comme le fit encore Saint Vincent de Paul, rachetant au XVII° siècle leurs proies aux pirates arabes.
Malgré toutes ces nourrissantes informations, il est un peu dommage que cet essai, pourtant documenté avec précision, repose sur un plan et un déroulé confus, commençant par « Une impossible définition ? » qui tourne en rond. L’on pouvait penser que l’esclavage repose sur peu de faits : le pouvoir d’acheter et de vendre un être humain, de le faire travailler durement sans salaire, de lui nier tout droit de propriété et toute personnalité juridique, voire d’avoir sur lui droit de vie et de mort. Certes, la lisière avec le servage est peu commode à définir, mais nous voilà moins avancé qu’avant à l’issue de ce chapitre pourtant inaugural, hors les nombreux vocables latins avancés, de sclavus à servus en passant par le mancipium, ouvrier non libre et sans terre. Reste que l’érudition historique de Sandrine Victor est roborative, entre « Ethique, morale et religions », tableaux géographique et économique.
Olivier Grenouilleau, avec Christianisme et esclavage, vient à point pour confirmer l’impensable : la religion du « Aimez-vous les uns les autres » ne rechignait guère devant la condition d’esclave. La contradiction étant d’importance elle nécessite toute la sagacité de l’essayiste, qui s’appuie sur une documentation fouillée.
Si Aristote ne remet jamais en question l’esclavage, les pères de l’Eglise, du IV° au V° siècle, tels Saint-Paul et Saint-Augustin, justifient le statut de l’esclave par une nécessité divine et par une théologie du rachat du péché originel. Les autorités ecclésiastiques ne se gênaient pas d’en tirer parfois profit, car il existait des « esclaves de l’Eglise ». Tous les hommes sont enfants de Dieu, or certains sont des enfants enchaînés. Car l’homme étant esclave de Dieu il n’y a rien d’inquiétant à ce que certains soient esclaves des hommes. Leur salut viendra de leur obéissance, tant les desseins de Dieu sont impénétrables. Le temps de Saint-Thomas d’Aquin, au XIII° siècle, quoiqu’il fût un apôtre du libre arbitre, reste celui du dogmatisme, pour un sujet considéré comme secondaire puisqu’à l’esclavage s’est substitué le servage.
Il aura fallu une lente maturation pour que l’essence du christianisme trouve sa réalisation dans un abolitionnisme nécessaire. D’un côté une acceptation pérenne et fataliste, de l’autre de courageux théologiens dont la dénonciation d’un phénomène scandaleux s’affichait avec vigueur. Aussi faut-il que notre historien lise avec soin le Nouveau Testament et bien des Pères de l’Eglise.
L’on considère à la fin du Moyen Age qu’un chrétien ne peut en aucun cas réduire en esclavage un autre chrétien, y compris un Slave hérétique (d’où vient le mot esclave). Ensuite, lors de la colonisation des Amériques, le Pape interdit de rendre les Amérindiens esclaves, car ils ont une âme et peuvent être évangélisés, ce qui est « une première dans l’Histoire ». Voilà hélas qui n’est pas le cas des païens d’Afrique. Et s’ils se convertissent ils n’en restent pas moins la possession de leurs maîtres tant ils ont été acquis légalement. La traite et la servitude sont donc légitimes. La malédiction des fils de Cham, considérés au contraire du texte de la Bible (qui parlent de « serviteurs ») comme des Africains et des esclaves sert encore longtemps d’argument théologique, jusqu’au XVIII° siècle. De toute évidence un tel raisonnement nous parait aujourd’hui attentatoire au droit naturel et, de plus, une subversion du message du Christ. Pourtant, et même si « l’abolitionnisme n’est pas entièrement soluble dans le religieux », force est de reconnaître combien l’éthique chrétienne a concouru à un abolitionnisme qui réalisera ses promesses grâce à l’esprit des Lumières puis des libéraux du XIX° siècle…
Le sérieux et le talent d’Olivier Grenouilleau dépassent toute perspective manichéenne et « l’insoutenabilité des interprétations linéaires ». Des éclairages pertinents ouvrent bien des portes temporelles et géographiques ; l’on apprend par exemple que, par rapport à ses voisins européens, la France n’a compté que pour 14% des esclaves transportés, ce qui ne la dédouane évidemment pas. Il manquait à la continuité de son travail remarquable, parmi lesquels Les traites négrières en 2004, Qu’est-ce que l’esclavage ? en 2014, puis La révolution abolitionniste en 2017, un sommet historique, théologique et philosophique : c’est chose faite avec Christianisme et esclavage.
Le rigoureux esclavage antique savait aussi récompenser et affranchir, ce que manifeste l’usage du bonnet phrygien. Et malgré les tenaces pratiques résiduelles médiévale et byzantine, il fut peu à peu effacé du monde chrétien (pour hélas se réaffirmer plus tard aux Amériques), alors que « les horreurs de la traite arabo-musulmane » durent depuis quatorze siècles ; jusqu’en Lybie, Mauritanie, Soudan, et au Moyen-Orient aujourd’hui ; et les actuels esclaves sont exploités sur les mêmes routes de cette traite ancestrale... C’est qu’affirme l’anthropologue franco-sénégalais Tidiane N’Diaye en son livre trop pudiquement voilé : Le Génocide voilé. « Les versets du Coran encouragent l’esclavage des non-Musulmans par les Musulmans », argue-t-il avec pertinence. De fait, suivant, depuis la naissance des Mahométans, un tel commandement, la traite arabo-musulmane est sans commune mesure avec celle transatlantique : elle est plus pérenne, plus meurtrière, ne laissant pas même la possibilité d’une descendance, car les hommes noirs méprisés, avilis, étaient castrés, les femmes noires servaient d’esclaves sexuelles dont les enfants furent élevés selon l’Islam s’ils n’étaient pas tués à cause de leur noirceur ! Le génocide physique se doublant d’un génocide culturel, y compris parmi ces Noirs dont les populations s’étaient converties à l’Islam. De plus, tout intellectuel musulman, Ibn Khaldûn en tête, ne voyait que des animaux dans les Noirs. Ces derniers furent vendus jusqu’en Inde, en Chine ; y compris lorsqu’ils étaient vendus par des Noirs devenus Musulmans ou entre diverses ethnies excitées par le goût de la guerre, par le plaisir de la tyrannie et de l’humiliation, par l’appât du gain enfin.
Il va sans dire que, malgré ses exactions avérées, la colonisation européenne n’atteint pas à la cheville du monstre, ne serait-ce que parce que la France abolit l’esclavage là où elle le pouvait, même si l’administration anglaise fermait les yeux en Afrique de l’est devant l’ampleur de la tâche. Reste que « la colonisation européenne mit entièrement fin à la traite arabo-musulmane ». Ainsi Tidiane N’Diaye, s’appuyant sur maints chercheurs, dont Ralph Austen[6]) estime à 42 millions le nombre d’esclaves déportés à travers l’Afrique, sans compter « l’esclavage interne » aux ethnies africaines elles-mêmes, quoique un peu moins brutal. Et encore l’essayiste ne fait qu’une brève allusion à ces « slaves » (d’où leur nom) européens esclavagisés par les Turcs et autres Arabo-musulmans et à ces « Barbaresques » qui « asservirent pendant des siècles de nombreux captifs chrétiens », d’ailleurs rachetés à tour de bras par l’église catholique. « C’est cette piraterie enragée qui sera un des motifs essentiels de la colonisation de l’Algérie par la France », dès le siège d’Alger en 1830, rappelle avec pertinence notre essayiste. Ce qui est d’ailleurs l’objet de l’ouvrage de Robert C. Davis : Esclaves chrétiens, Maîtres musulmans ou l’Esclavage blanc en méditerranée (1500-1800)[7].
Aussi l’Afrique est « ce continent et ces vieilles civilisations que la conquête arabe devait plonger dans les ténèbres », où « l’industrie la plus fructueuse deviendra la guerre sainte et la chasse à l’homme ». Or on ne taxera pas le réquisitoire de Tidiane N’Diaye d’exagération ou de parti pris, ne serait-ce que parce qu’un historien comme Olivier Pétré-Grenouilleau[8], dans un plus vaste essai (certes moins détaillé sur notre sujet), corrobore ses dires. Reste que l’ouvrage, très documenté, citant Ibn Battûta ou Livingstone (mais sans notes référencées), fera dresser les cheveux sur la tête du lecteur bienveillant. Ce ne sont que « bestialisation, razzias et chasse à l’homme » ou encore « extinction ethnique programmée par castration massive », sans omettre la cerise putride sur le gâteau : le « syndrome de Stockholm à l’africaine ou l’amnésie par solidarité religieuse » ; religion guerrière, conquérante et tyrannique, rappelons-le, à tel point que depuis quatorze siècles le Maghreb et l’Afrique, courbés sous le joug, pratiquent également et sans guère de vergogne la « servitude volontaire », pour reprendre le titre de La Boétie. De surcroît l’on ne décèle, dans le monde arabo-musulman, pas la moindre « repentance ».
Environ 13 millions d’individus furent les victimes de la traite transatlantique pour alimenter les travaux agricoles des Amériques entre le XVI° et le XIX° siècle. Mais, répétons-le, au bas mot 42 millions du côté de la traite arabo-musulmane, sans oublier les sociétés africaines partenaires et profiteuses de ces deux systèmes d’abjection. Ce sont ces événements et ses acteurs « mésestimés » de l’Histoire que mettent en relief et en perspective Catherine Coquery-Vidrovitch et Eric Mesnard dans Être esclave. Afrique-Amériques, XV°-XIX° siècle, tout en se proposant d’en rendre compte « à parts égales ». L’un des intérêts de cet ouvrage - et non des moindres - est de s’aventurer au-delà de la connaissance du commerce triangulaire, qui est un peu l’arbre qui cache la forêt, pour s’intéresser aux liaisons directes entre le continent africain et celui américain du sud, et en particulier le Brésil. Une éthique est ci à l’œuvre, car, selon le judicieux préfacier Ibrahima Tioub, « L’écriture de l’histoire critique bien comprise n’a ni sexe ni nationalité, encore moins une couleur de peau ».
Mis à part des chiffres discutés, cet essai corrobore l’analyse de Tidiane N’Diaye, à l’égard de « l’Islam et la traite des noirs », aussi bien transsaharienne que vers l’Océan Indien, émaillant son propose de « Récits de vies » trimballées au travers des déserts et des forêts pour alimenter les marchés arabes de bras humains, y compris féminins. Les témoignages, rares au demeurant, sont évidemment poignants, lacérés de souffrances, quoique un peu plus nombreux du côté transatlantique. De la capture aux conditions de travail dans les propriétés négrières et les « îles à sucre », en passant par la terrible, étouffante traversée (si l’on en réchappait), tout est « crime contre l’humanité ». Face à de telles abominations, il est permis d’imaginer que des révoltes, mêmes désespérées, se produisirent ; en effet, y compris des évasions, rarement couronnées de succès. Et qui ne nuirent en rien à ce que nos historiens appellent « la mondialisation des traites africaines aux XVIII° et XIX° siècle ». Néanmoins l’on conserve la mémoire de « la grande insurrection des esclaves musulmans de Salvador de Bahia en 1835 » qui revinrent en masse au Dahomey en tant qu’ « Afro-Brésiliens ». Notons que le bisaïeul noir du poète russe Pouchkine fut enlevé dans le Nord-Cameroun, pour aboutir, via l’Egypte et Constantinople, à la cours du Tsar où il raconta son histoire. L’on découvre également les tribulations d’Ali ben Saïd, razzié vers le lac Tchad, vendu de Tripoli à La Mecque et Constantinople, cédé à un prince russe, pour aboutir aux Etats-Unis, où il publia une étonnante autobiographie en 1867.
Cependant, grâce à l’évolution des mentalités européennes, l’Angleterre interdisant en 1807 la traite, et à l’action des abolitionnistes, en particulier aux Etats-Unis, le chemin allait s’ouvrir vers la libération des esclaves, quoique que cette traite n’eût cessé définitivement que dans les années 1860. En dépit de « négriers africains qui continuèrent d’imposer le trafic des esclaves, aussi bien, interne qu’externe, même si les négriers clandestins occidentaux ne manquaient pas non plus ». Notons que « la grande poussée de conversions à l’Islam, consécutive à des djihads », au XIX° siècle », fut en grande partie une réponse à l’abandon occidental de l’esclavage, né « de la conjonction entre des intérêts économiques nouveaux et l’humanisme libéral ». L’Afrique ne vit poindre la débandade de l’esclavage, aux dépens des « royaumes négriers », qu’avec la colonisation européenne, pourtant si décriée, quoiqu’elle ne se gênât pas d’abuser de pratique tortionnaires au Congo et que la puissance Anglaise se heurtât à une âpre résistance des mentalités et des pratiques, en particulier dans une Afrique de l’Est résolument esclavagiste. Au-delà, l’on devine que l’attente de l’égalité réelle entre Noirs et Blancs fait encore long feu, en particulier au Brésil.
Raynal : Histoire philosophique et politique
des établissements et du commerce européen dans les deux Indes,
Gosse Fils, La Haye, 1774, t IV.
Photo : T. Guinhut.
N’oublions pas un autre intérêt de l’ouvrage qui ne cesse d’élargir les perspectives. Il montre qu’au contraire de cette abomination que fut la castratrice traite arabo-musulmane, les transferts de populations africaines sur les deux parties du continent américain ont été, outre l’accroissement de la population asservie, un réel apport culturel, contribuant à un métissage plus ou moins ouvert, à l’émergence du blues et du jazz par exemple, en ce qui concerne les Etats-Unis. L’on parle ainsi de « créolisation », aussi bien en Afrique avec les « Luso-Africains », où des villes comme Luanda deviennent particulièrement métissées, qu’avec la tardive fin de la ségrégation aux Etats-Unis dans la seconde moitié du XX° siècle.
Une bibliographie et des notes prolixes contribuent à ce que cet essai soit une référence, y compris en y adjoignant de précieux extraits de la Constitution d’Haïti, le premier pays d’Amérique centrale à se libérer de l’esclavage, publiée en 1805 ; ce qui ne suffit pourtant pas à la prospérité de ses habitants, faute de libéralisme politique et économique… Mais également une brève histoire de « la genèse du racisme anti-noir », qui, dans un ouvrage aussi documenté, surprend en attribuant faussement la théorie de « la supériorité aryenne, donc de l’antisémitisme » à Arthur Gobineau, qui « s’en prit quasiment autant aux Noirs qu’aux Juifs », dans son Essai sur l’inégalité des races humaines, alors que s’il était peu amène envers les Noirs, il était élogieux envers les Juifs…
Si la repentance est obligatoire pour l’Occident et l’Amérique, et si, en une absurde concaténation, ses séides aiment culpabiliser les enfants des esclavagistes jusqu’à la douzième génération, non seulement elle n’existe pas le moins du monde dans la sphère arabo-africaine, mais de surcroit cette dernière tolère, voire encourage l’esclavage contemporain. Ne serait-ce que parce que le Coran avalise et encourage l’esclavage comme une indiscutable institution. Selon The Guardian[9], au moins 21 millions de personnes sont sous les fers de l’esclavage dans le monde d’aujourd’hui. Ce chiffre pourrait être porté à 46 millions, selon le globalslaveryindex[10]. Trafic et vente d’individus, travail et prostitution forcés, enfants soldats, esclavage sexuel… L’Afrique, les pays arabes, jusqu’à la Corée du nord sont parmi les vainqueurs d’un tel triste palmarès. L’on a vu la Libye, la Syrie et l’Irak réactiver la traite d’êtres humains à l’occasion de la naissance de l’Etat islamique et de ses avatars. Pourtant l’Amérique latine n’est pas en reste, comme le Mexique, l’un parmi les Etats du monde les plus dévastés par la criminalité. Le droit naturel à la liberté politique et économique n’est pas encore, hélas, acquis par l’humanité…
Thierry Guinhut
Une vie d'écriture et de photographie
[1] Genèse, 9, 18-27.
[2] Aristote : Politique, I, 4, 7.
[3] Saint Paul : Epître aux Corinthiens, 7, 20-24.
[4] Saint-Augustin : La Cité de Dieu, XIX, 15.
[6] Ralph Austen : The Trans-Saharan Slave Trade : A Tentative Census, The Uncommun Market, 1979.
[7] Robert C. Davis : Esclaves chrétiens, Maîtres musulmans ou l’Esclavage blanc en méditerranée (1500-1800), Babel, Actes Sud, 2007.
[8] Olivier Pétré-Grenouilleau : Les Traites négrières. Essai d’histoire globale, Gallimard, 2004.
[9] The Guardian, août 2017.
[10] https://www.globalslaveryindex.org/findings/
Henry Stanley : Terre de servitude, Hachette, 1875.
Henry Stanley : Comment j'ai retrouvé Livingstone, Hachette, 1874.
Photo : T. Guinhut.