Gummenalp, Engelbergrental, Suisse. Photo : T. Guinhut..
Petit traité d’hitlérienne uchronie :
Sinclair Lewis, Katharine Burdekin,
Philip K. Dick,
Philip Roth, Owen Sheers, Jo Walton.
Sinclair Lewis : Impossible ici, traduit de l’anglais (Etats-Unis)
par Raymond Queneau, La Différence, 384 p, 20 €.
Katharine Burdekin : Swastika night, traduit de l’anglais (Grande Bretagne)
par Anne-Sylvie Homassel, Piranha, 208 p, 17,90 €.
Philip K. Dick : Le Maître du Haut-château, traduit de l’anglais (Etats-Unis),
par Jacques Parsons, J’ai lu, 7,60 €.
Philip Roth : Le Complot contre l’Amérique,
traduit de l’anglais (Etats-Unis)par Josée Kamoun, Gallimard, 22 €.
Owen Sheers : Résistance, traduit de l’anglais (Royaume Uni)
par Bernard Hoepffner, Rivages, 416 p, 23€.
Jo Walton : Le Cercle de Farthing, traduit de l'anglais (Pays de Galles)
par Luc Carissimo, Denoël, 400 p, 22 €.
« Toutefois, à cause d’un homme qui réussit contre toute attente à être courageux, il n’y eut pas de christianisme. À l’exception de l’exil et du suicide de Pilate, aucun des événements présumés par Mardouk ne se produisit. L’Histoire, sauf sur ce point, se déroula autrement[1] ». Roger Caillois concluait ainsi son Ponce Pilate, en une audacieuse uchronie, un temps qui n’est nulle part, sauf dans les spéculations de l’écrivain filant sur un autre cours de l’Histoire. Faut-il penser qu’il eût été dommage qu’il n’y eut pas de christianisme ? Que l’on se fût privé d’une religion paisible, du moins dans son essence, mais pas toujours hélas dans son historicité. Et que l’on eût conservé une sorte de polythéisme ; à moins que le totalitaire Islam se fût engouffré dans la place vacante… Reste que les écrivains du XXème siècle ont préféré sublimer le traumatisme nazi (mais pas celui communiste !) en imaginant des romans où Hitler gagnait la seconde guerre mondiale. Manipuler ainsi l'Histoire a tenté d’étranges écrivains. Sinclair Lewis, avec Impossible ici, voit un histrion fascisant devenir Président des Etats-Unis. Katharine Burdekin, dans Swastika night, met en scène une hallucinante hitlérienne théocratie. Philip K Dick, dans Le Maître du Haut Château, fait envahir les Etats-Unis par le Japon et l’Allemagne. Philip Roth, dans Le Complot contre l'Amérique, imagine cette dernière pactiser avec le Troisième Reich. Owen Sheers fomente une étrange Résistance dans une Angleterre nazie. Jo Walton enfin a choisi une plus modeste uchronie, dans l'Angleterre d'après 1941, où il n'est pas bon d'être Juif sous le régime du Cercle de Farthing. Comment et pourquoi nos uchronistes sont-ils si fascinés par le nazisme, et à l’exclusion d’autre tyrannies ? Peut-on in fine leur fournir d’autres sources d’inspiration ?
Sinclair Lewis : Impossible ici, ou le devenir fasciste des Etats-Unis
Sinclair Lewis manie une sévère satire ; parfois hilarante, dans Impossible ici. Une brave Américaine clame : « je ne suis pas sûre que nous n’ayons pas besoin d’une nouvelle guerre pour apprendre la Discipline ! Nous en avons assez de tout cet intellectualisme, de cette culture livresque ». Le reste est à l’avenant, avec « Juifs », « financiers et communistes de mèche ». Caricatural préfascisme, mais ô combien plausible. « Impossible ici », répondent les démocrates libéraux devant les risibles clichés péremptoires. Pourtant, après la crise de 1929, bellicisme étudiant et « hystérie collective » aidant, le démagogue Berzelius Windrip, « un météore dans le ciel de la politique », un hâbleur « aux grands succès oratoires », devient Président des Etats-Unis, balayant Roosevelt, jetant l’opposition dans des camps de concentration… L'opiniâtre rébellion de Doremus Jessup viendra-t-elle à bout de ce régime totalitaire ?
Si la transposition de l’hitlérisme sur le sol américain est un peu facile et réductrice, le réalisme psychologique est doué d’une acuité qui fait mouche. Politiquement et économiquement, c’est une autre affaire, ceci n’étant pas le point fort du romancier à thèse.
Le lecteur vit une grandguignolesque uchronie : une fascistoïde Histoire des Etats-Unis, parallèle à celle que nous connaissons... Face à Philip K. Dick ou Philip Roth, plus célèbres que lui, malgré son Prix Nobel, Sinclair Lewis eut en 1935 l’avantage de la primeur. Cette réédition -Raymond Queneau donna ce roman en 1937 chez Gallimard- vient à point nommé, non sans un discutable opportunisme. Le préfacier, Thierry Gillybœuf, par ailleurs fort avisé, en particulier quant au contexte historique, s'aventure à comparer, suite aux commentateurs anglo-saxons qui remettent Sinclair Lewis à l’honneur, le personnage de Berzelius Windrip au populiste Donald Trump, quoiqu’il soit plus qu’excessif de le qualifier de fasciste. Il est vrai qu’ « aucun peuple n’a jamais reconnu son dictateur à l’avance » (selon la citation empruntée avec pertinence à Doroythy Thompson par le préfacier), sauf, notons-le, s’il souhaite l’élire en connaissance de cause.Espérons cependant que l’avenir des Etats-Unis, voire de la France, ne rendent pas le fascisme possible ici…
Katharine Burdekin : Swastika night ou la sainteté d’Hitler
Vous a-t-il échappé que « notre Saint Adolf Hitler » est le fils de Dieu ? Du moins selon l’incroyable roman d’une inconnue qui mérite de ne pas le rester : Swastika night. Katharine Burdekin construit une société hiérarchisée : les Chrétiens sont des « intouchables », les femmes à qui l’on enlève les fils à dix-huit mois « n’ont pas d’âme » et sont « similaires aux grands singes ». L’Histoire est réécrite ; on ne lit rien, « hormis la littérature technique et la Bible Hitler » ; ce jusqu’en Perse, quand le reste du monde est japonais.
Hermann est un Nazi, dont la trouble amitié avec un Anglais, Alfred, déroge avec la doctrine raciale et la religion de la guerre. D’autant que ce dernier, ô crime, ne croit pas « qu’Hitler soit Dieu ». Une brutale aventure permet à Alfred de converser avec un « Chevalier » : « Là où il n’y pas de liberté de jugement, il n’y a pas d’honneur ». Ce Von Hess montre la photo d’un Hitler qui n’est pas un « colosse blond », casse le mythe, rétabli la vérité historique avec le manuscrit de son ancêtre et révèle que, faute de naissances féminines suffisantes, l’humanité est condamnée à disparaître. En un vaste dialogue philosophique, Alfred imagine de rendre leur dignité aux femmes. Malgré la transmission du livre interdit, la rébellion contre l’hitlérienne théocratie restera mort-née, sanglante enfin…
Katharine Burdekin (1896-1963) est une écrivaine libérale et féministe dont l’uchronie, roman à thèse plus que d’action, est d’une rare puissance. C’est en 1937, sous le pseudonyme masculin de Murray Constantine, qu’elle publia Swastika night, cinq ans après Le Meilleur des mondes d’Huxley[2], douze ans avant 1984 d’Orwell, vingt-cinq ans avant Le Maître du Haut-château de Philip K. Dick. Grâce à dix chapitres redoutables, dénonçant avec une pertinence affutée la triade du machisme, du fascisme et de la religiosité, elle mérite de figurer au plus haut parmi ce panthéon de visionnaires.
Philip K. Dick, une uchronie dans une uchronie
« Est-ce que ce n’est pas un de ces livres interdits » ? Un livre en effet controversé : La Sauterelle pèse lourd, d’un certain Abendsen. Ce dernier imagine que Roosevelt n’aurait pas été assassiné, aurait été réélu et aurait conduit avec succès la guerre contre l’Allemagne et le Japon. Il ne s’agit, comme chacun sait, que d’une fiction imaginée dans la fiction de Philip K. Dick : Le Maître du Haut Château. En une paradoxale et hardie mise en abyme, l’écrivain de science-fiction américain fait du réel (du moins une réalité historique biaisée puisque l’Angleterre y domine l’Europe) l’invention d’un hurluberlu perché dans les Montagnes Rocheuses restées libres, alors que les Etats-Unis sont partagés entre l’occupation nazie et l’occupation nipponne. Une uchronie dans une uchronie, tel est le tour de force de Philip K. Dick en 1962. « Ce livre traite d’un présent différent », commente un lecteur personnage qui découvre le procès mené contre Hitler. Ce livre est un objet conceptuel parmi d’autres, objets d’antiquités et bijoux américains, spiritualités extrême-orientale, tout ceci distribué à la manière habituellement déglinguée de Philip K. Dick, parmi des intrigues qui ne se rencontrent pas, entre des personnages de marchands, de représentants, que supervise un réseau de Japonais et d’Allemands plongés dans de fiévreuses intrigues politiques. Car les dignitaires à même de succéder à Hitler, sans oublier leurs séides, jouent une partie d’échecs, qui rivalise avec le livre chinois du Yi King où les Japonais puisent leur inspiration.
« Ce livre dégage une grande leçon de morale », dit-encore le personnage stupéfait de tant d’inqualifiable dissidence littéraire et politique, confirmant la perspective de l’apologue. Sauf que s’il en déduit la nécessité de construire de « grandes choses » sous la férule des Japonais, nous chercherons à nous demander pourquoi le traumatisme de l’expansion nazie continue à être une grande peur au point que l’on fantasme sur sa victoire intercontinentale.
Philip Roth : Le Complot contre l’Amérique, sympathie pour le nazisme
L’hypothèse mise en branle par Philip Roth n’est pas loin de celle de Sinclair Lewis. Selon l’auteur de Portnoy et son complexe, le charismatique aviateur Charles Lindbergh, adulé parmi tous les Etats-Unis, aurait battu Roosevelt lors des élections de 1940. Le nouveau Président confirme sa politique isolationniste et antisémite, son indulgence enfin pour l’expansionnisme nazi. Plutôt que de suivre étroitement les délires politiques de l’homme providentiel, à la manière de Sinclair Lewis, Philip Roth préfère se focaliser sur une typique famille américaine et juive à qui est dévolue la lourde responsabilité de vivre cette période honteuse au quotidien. Providentiellement, « le petit avion le plus célèbre de l’histoire de l’aviation, équivalent moderne de la Santa Maria de Christophe Colomb, et du Mayflower des Pères pèlerins » disparait en 1942, Lindbergh à son bord. Roosevelt du coup redevient Président et l’Amérique reprend le chemin glorieux de sa mission salvatrice et civilisatrice (qu’elle n’a d’ailleurs pas toujours pratiquée avec circonspection et succès).
Affirmant qu’en 2004 il n’avait pas conçu Le Complot contre l’Amérique comme un roman à clef permettant d’y deviner un George Bush qu’il ne faut pas confondre avec le fascisme, Philip Roth écrit cependant après l’attentat du 11 septembre. Non content de soupçonner un retour de l’antisémitisme, quand « le rabbin Lionel Bengelsdorf est emmené en garde à vue par le FBI qui le soupçonne de faire partie des « chefs de file du complot juif contre l’Amérique » », la peur est le mobile pérenne de son roman, imaginant des hypothèses effrayantes. En effet « Hitler aurait certes préféré s’appuyer sur un président américain au palmarès irréprochable pour mettre en œuvre la solution finale au problème juif en Amérique, ce qui l’aurait dispensé de recourir plus tard à des ressources humaines et logistiques allemandes pour le faire ». Comme un nouveau Kafka, quoique plus cimenté par le réalisme, Philip Roth cristallise les menaces contre l’humanisme et les libertés en étayant ses spéculations par une ossature et une chair romanesques profondément efficaces.
La résistance anti-nazie d'Owen Sheers
Le premier roman d’un Gallois inconnu vient nous rappeler à point nommé cette évidence : la résistance, pourtant bien à la mode aujourd’hui, n’est guère confortable. Il met, lui, en scène des résistants qui risquent leurs familles, leurs vies et leurs patries. Qu’advient-il donc lors de la rencontre entre les envahisseurs et les envahis dans une Angleterre devenue nazie? Mais si nous sommes en 1944, en pleine seconde guerre mondiale, nous avons la surprise de constater qu’Owen Sheers réécrit l’histoire. En effet, les Allemands ont envahi avec succès l’Angleterre, jusqu’à établir un gouvernement de collaboration, jusqu’à traquer les espions, les francs tireurs et autres rebelles. Le procédé de l'uchronie n’a rien ici de gratuit et Owen Sheers peut figurer sans honte parmi ses prestigieux confrères.
Il ne se contente pas de constater les effets attendus de l’invasion nazie sur l’Angleterre, dans une sorte de reflet plus ou moins inexact de l’occupation en France. La résistance de quelques patriotes, parfois mortelle, se double de la disparition de tous les hommes d’une vallée reculée des sauvages montagnes du Pays de Galles. Où sont-ils allés ? Dans des caches aménagées parmi les falaises d’altitude, d’ailleurs parfois découvertes par l’occupant, puis sans doute parmi les déserts gallois. Sont-ils morts ? On ne le saura jamais. Les femmes, ignorantes des stratégies masculines, sont restées, avec le lourd travail de la ferme sur les bras. Dans ce qui devient un ilot géographique et temporel, une poignée de soldats allemands voit s’installer un lourd hiver. Coupés de leurs supérieurs, ils nouent des relations fondées sur l’entraide avec les paysannes esseulées, mais aussi, parfois, sur de plus tendres sentiments. C’est ainsi que l’officier Albert Wolfram pactise avec Sarah. C’est sa résistance à lui. Sans risque, le temps que la neige bloque les routes, mais une fois les contacts rétablis, beaucoup plus dangereuse, aussi bien pour elle, mal vue par les locaux, que pour lui, devenu traître. La résistance des Anglais et des Gallois, se double donc de celle de l’Allemand qui pactise avec l’ennemi au point de préférer la paix à la guerre, l’amour à la haine, en s’enfuyant avec une fermière galloise sans qu’on sache finalement où leur destin de parias les conduira…
Malgré une première partie parfois un peu laborieuse, la sureté de l’action et la pertinence de la psychologie sont bientôt au rendez-vous dans ce roman troublant. Qu’importe si les surprises stylistiques ne sont guère époustouflantes ; si l’on n’éprouve pas le régal d’un très grand roman où l’écriture serait un feu d’artifice à légal de l’illumination du récit. Récit qui cependant n’a rien de terne. C’est avec pudeur et intimisme que la relation du couple naissant, toute de tact, s’installe, mais en se gardant de l’idéalisme. La réflexion politique et humaine se double d’une judicieuse plongée dans le sens de l’Histoire, grâce à cette carte ancienne venue d’un musée, cachée dans les montagnes, que les protagonistes détruiront pour ne pas la laisser devenir un trésor de guerre symbolique aux mains de l’envahisseur. Devant l’anti-utopie du nazisme, l’utopie du recours aux montagnes et à la liberté du couple se fait plus nécessaire. A l’issue d’un tel roman, dont la dimension onirique et politique est remarquable, chacun ne peut que se demander ce qu’il aurait fait à la place des personnages. Et si finalement le résistant était celui qui oubliait la guerre ainsi que les haines nationales et de toutes sortes pour retourner aux gestes simples de la vie quotidienne et de l’amour ?
Jo Walton : Le Cercle de Farthing, policier et uchronie complices
Il n'est pas bon d'être Juif sous le régime du Cercle de Farthing, dans une Angleterre d'après 1941 qui glisse vers la tyrannie imaginée par Jo Walton. Lucie Eversley, fille de cette famille qui chapeaute la vie politique, revient au domaine campagnard de Farthing avec son époux juif : David Kahn. Soudain, l'on trouve le cadavre de Sir James Thikie, affublé d'une étoile jaune. Ce dernier, artisan de la paix avec le Reich, a-t-il été tué par un anarchiste, par David Kahn, par un membre de la famille Eversley, sur fond d'adultères et de liaisons homosexuelles ? Quel complot politique sordide arrive-t-il à maturité pour pourrir les libertés anglaises...
Tour à tour la narratrice est cette jeune femme attachante, entreprenante, et un narrateur interne qui suit les investigations de l'Inspecteur Carmichael. L'intrigue navigue entre satire familiale et sociétale, tendres amours de jeunes mariés et filière secrète d'évacuation des Juifs vers le Canada… Les amateurs d'investigations policières, dans la tradition anglaise de Wilkie Collins et de Sherlock Holmes, seront ravis par les écheveaux de l'enquête, quand les lecteurs d'Orwell y trouveront matière à réflexion.
Jo Walton avait agréablement surpris avec l'irruption du merveilleux dans la vie d'une adolescente, Morwenna[3]. Le registre est beaucoup plus grave avec cet uchroniste roman, qui rend justice à la palette de ses qualités, en associant avec une surprenante cohérence genre policier et satire politique, voire métaphysique : là où la mort est « la plus monumentale erreur de Dieu ». Le Cercle de Farthing est en fait le premier volet d’une trilogie publiée entre 2006 et 2008, intitulée Subtil changement : suivent Hamlet au paradis et Une Demie couronne, toujours dans cette collusion du polar à l’anglaise et de l’uchronie fasciste. Après avoir déjoué un attentat contre Hitler, le valeureux héros -nous avons nommé l’inspecteur Carmichael- dirige une radicale police secrète appelée « le Guet ». Que faire si sa fille adoptive prend conscience de la tyrannie ?
Cependant, malgré l’efficacité dramatique, Jo Walton n’a ni la vertigineuse grandeur de Philip K. Dick, ni le sens exacerbé de la dimension politique de Philip Roth. Sans nul doute, nos deux Philip, si éloignés romanciers soient-ils par ailleurs, sont les deux maîtres indépassés de l’hitlérienne uchronie.
L’utopie, étymologiquement ce lieu qui est nulle part, sinon dans la perfection politique prétendue, a de longtemps (dès Platon et Thomas More) précédé l’uchronie, ce temps qui n’est nulle part. Cependant l’uchronie est bien du même siècle que l’anti-utopie d’Huxley et d’Orwell. Les parfaits projets idéologiques ne font plus guère rêver, du moins parmi les lecteurs avertis par l’Histoire. Les cités idéales de Marx, d’Hitler et de Mahomet se sont immanquablement révélé des prisons à ciel ouvert. Si ce dernier tyran a fait l’objet d’anti-utopies, comme 2084 de Boualem Sansal[4], il n’a fait à notre connaissance pas encore fait l’objet d’uchronies, à l’instar du communisme. Il faut croire que nos intellectuels sont suffisamment avertis des dangers du nazisme, par ailleurs vaincu par l’Histoire, devenu à peu près inoffensif, ce en quoi il ranime une peur rassurante. Cependant, pour n’avoir régné que douze ans, ce régime abject n’a été qu’un amateur confirmé devant les succès de soixante-dix ans du communisme[5] soviétique, barbelé de balles et de goulags, sans compter ses épigones sur tous les continents. Quoique ce dernier soit bien insuffisamment concurrentiel face à l’Islam. Communisme et Islam restant des moribonds et ressuscités aux dents encore trop agressives…
Fournissons à point nommé, et au profit de nos uchronistes, de possibles pistes d’inspiration pour réécrire l’Histoire avec une dangereuse efficacité. Et si la Guerre froide s’était embrasée au bénéfice planétaire du communisme ? Et si la réunification allemande s’était faite à l’initiative de l’Allemagne de l’Est ? Et si Charles Martel avait été vaincu à Poitiers, les Turcs vainqueurs à Lépante et Vienne ? Une marée de boue et de haine déferlerait sur notre civilisation. Ou mieux, pour offrir un écho à Roger Caillois, si Mahomet avait échoué dans son entreprise prophétique, si les peaux de chèvre et autres omoplates de chameau qui ont recueilli sa prétendue révélation s’étaient effritées sans lendemain parmi les sables…
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.