Sevilla, Andalucia. Photo : T. Guinhut.
Réquisitoire et plaidoyer pour le catholicisme,
suivis d’un éloge du polythéisme.
Jean Robin, Olivier Hanne, Maurizio Bettini.
Jean Robin : Le Livre noir du catholicisme, Tatamis, 360 p, 20 €.
Olivier Hanne : Le Génie historique du catholicisme, L’Homme Nouveau, 426 p, 23,50 €.
Maurizio Bettini : Eloge du polythéisme,
traduit de l’italien par Vinciane Pirenne-Delforge, Les Belles Lettres, 216 p, 14 €.
« Tu ne tueras point », ordonnent les tables de la Loi mosaïque. Pourtant le Décalogue est suivi du « Code de l’Alliance », dans lequel la peine de mort peut s’appliquer, par exemple : « Qui traite indignement son père ou sa mère devra être mis à mort[1] ». Et bien que le Christ ait dit « Aime ton prochain comme toi-même[2] », le catholicisme se rendra gravement coupable de mille et un meurtres au cours de son histoire. Il faut alors, à la suite du Livre noir du communisme, ouvrir Jean Robin : Le Livre noir du catholicisme, farouche réquisitoire exact, mais brouillon. Ce pourquoi il faut le confronter avec l’essai d’Olivier Hanne : Le Génie historique du catholicisme, plaidoyer plus indulgent en faveur de ce monothéisme. Or Maurizio Bettini trouve préférable de faire l’Eloge du polythéisme. Et, si nous ne sommes pas religieux[3], nous ne serons pas loin de préférer cette possibilité.
Notre intérêt et notre déception sont tout aussi grands alors que nous ouvrons Le Livre noir du catholicisme. Jean Robin liste d’abondance les plus et moins célèbres crimes et forfaits de cette institution religieuse. En cela il fait œuvre documentaire utile, ouvrant imparablement les yeux à qui n’aurait pas voulu le savoir ou le croire : l’histoire du catholicisme est jonchée de cadavres, d’enfants violés, de persécutions contre les Juifs et les hérétiques de tous poils, ad libitum.
On se rend cependant très vite compte que faute d’avoir écrit un essai, construit et argumenté, il nous livre un fatras de copié-collé, de citations, certes bien attribuées à leurs auteurs, dans un ordre pour le moins erratique. Ce serait une micro-encyclopédie, mais sans ordre alphabétique ; ce serait une Histoire, mais sans ordre chronologique. L'option thématique a prévalu, soit.
Commençons, pourquoi pas, par la « Persécution des scientifiques », avec Bruno, Bacon, Galilée, les premiers brûlés vifs en 1293 et 1600 (quoique eux aussi rangés en dépit de la chronologie). Continuons par les Protestants persécutés, puis par les Juifs, jusqu’à la Shoah, ensuite par les athées, les païens et les dissidents catholiques, les Cathares, en passant par l’Inquisition. Ainsi soit-il. Mais non sans que l’on ait bifurqué par le Congo belge et le Mexique contemporain. S’ensuit une énumération de la pléthore de prêtres pédophiles aux quatre coins de la planète ; on rétrocède par Jeanne d’Arc ; on bifurque par l’Enfer des bibliothèques ; on zigzague du « prêtre nazi » à l’Opus Dei. Nous voilà accablés par une énumération d’une quarantaine de « papes ignobles », qui s’achève par la « soumission à l’Islam », lorsque le Pape Jean-Paul II « embrasse le Coran ». Cette dernière notation pourrait paraître ici hors de propos, mais, si l’on sait combien le livre du prophète est farci d’injonctions meurtrières, en particulier dans la sourate « Le butin », on comprendra en quoi il s’agit bien d’ignominie papale…
Allons jusqu’au plus réjouissant « financement des bordels par l’église », avant de stigmatiser de manière discutable les croisades, mais de manière plus judicieuse les « collaborations avec les communistes », les conquistadores, pour enfin (ou presque) s’offrir deux nouvelles énumérations, entre « dictateurs catholiques du XX° siècle » et « Pire rois et reines catholiques ». Et terminons avec Jean-Marie Le Pen, sans qu’il soit très clairement établi ce qu’il fait là, faute de préciser explicitement que ses provocations haineuses viennent de qui se prétend catholique, à moins que l’on considère que sa présence en ce livre suffise pour le signifier. L’Abbé Pierre et son soutien au négationniste Jean Garaudy en prend pour son grade, alors que l’icône créatrice d’Emmaüs attribuait au peuple juif d’Israël une « vocation génocidaire » ! Il est à craindre que devant de tels catholiques les confessionnaux doivent se changer en bouches d’égout…
Pour prendre quelques significatifs exemples au hasard, savions-nous qu’en 1415, le pape Bénédicte XIII interdit l’étude du Talmud et impose les sermons chrétiens dans les synagogues ? Que le pape Clément XIII fit mettre à l’index l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ? Qu’environ un million de sorcières furent brûlées au cours du Moyen Âge ?
Mais pour reprendre un fil historique plus cohérent, on apprend que la naissance du Christianisme ne se fit pas sans résistance. Et que dès que le pouvoir bascula de son côté, les résistances du paganisme et des cultes romains furent brutalement punies, peu à peu éradiquées sans le moindre remord. C’est bien le drame d’un monothéisme sûr de soi. Et si le catholicisme paraît aujourd’hui beaucoup plus apaisé, ayant perdu beaucoup de son influence, n’oublions pas que la certitude de la vérité révélée peut conduire, en passant par l’intolérance, aux pires exactions…
Si l’on réfléchit bien, en fait, tous les sept péchés capitaux que l’Eglise interdit sont ceux qu’elle pratique avec le plus de constance. L’Orgueil de prétendre être l’unique religion qui vaille, la Luxure avec viols et pédophilie, la Colère avec toutes ses exécutions de protestants, de cathares, Juifs et païens. On passera sur la Gourmandise qui est moins cruelle…
Un tel volume ne se lit guère, il se consulte avec profit. On ne doute pas qu’il eût recueilli l’assentiment du regretté Umberto Eco lorsqu’il concocta son Vertige de la liste[4], quoique la méthode eusse paru plus que discutable sous les yeux de l’auteur d’Ecrits sur la pensée au Moyen Âge[5]… En effet, ce Livre noir du catholicisme eût été bien plus efficace si le clavier de Jean Robin en avait fait un dictionnaire : son caractère indispensable et documenté en eût été bien renforcé. Plus ennuyeux encore, Jean Robin entretient une dommageable confusion entre chrétienté (c’est-à-dire les nations chrétiennes) et le pouvoir catholique de l'Eglise.
Le réquisitoire étant uniquement à charge -mais me direz-vous sans conteste, c’est le but recherché et avéré par les faits incontestables-, peut-on se tourner vers un essai un peu plus nuancé ?
Bien mieux construit se révèle l’essai de l’historien Olivier Hanne : Le Génie historique du catholicisme. Il y traite d’abord du rapport de l’Eglise avec la guerre, puis de la foi au risque de la raison, ensuite du refus des autres religions, avant d’aborder « adhésion monarchique et compromission politique », pour terminer avec l’Eglise en opposition aux libertés individuelles, en particulier celles sexuelles et féminines. Chacune de ces grandes parties étant organisées chronologiquement…
Si on ne le savait déjà, l’on y apprend que ce sont moins les religieux, les pères de l’Eglise et les papes qui se sont livrés aux exactions que les rois et les Etats. Les premiers suivent approximativement les principes de Saint-Augustin et de Saint-Thomas d’Aquin en faveur de la seule guerre juste, d’un pacifisme nécessaire et de la clémence envers la vie. Les seconds préfèrent jouir de l’exercice des armes au service de leur gloire, de leurs conquêtes territoriales et de leur pouvoir.
Ainsi les croisades ne peuvent être pensées comme une insulte à la prétendue légitimité islamique, mais « il s’agit pour tout le monde d’une libération et non d’une conquête ».
Ainsi les guerres de religion entre catholiques et protestants opposent tout autant deux façons d’envisager la foi chrétienne que des rivalités politiques, sans oublier, au-delà de la Saint-Barthélémy de 1572, la fureur partagée par les deux camps, même si ce furent les protestants qui en furent les plus nombreuses victimes, entre massacres, persécutions et exil : « le pouvoir monarchique doit prouver qu’il sait réprimer les contestations religieuses mieux que le faisait l’Eglise autrefois ». Le Léviathan, ainsi qualifié par Hobbes, sait en ce domaine se surpasser, de façon à « justifier la mainmise de la société politique sur la religion civile », affirme notre historien ; sans pourtant rien minimiser : « Bien des massacres ont eu lieu au nom de l’Eglise et du catholicisme, pourquoi le nier ? »
Une fois de plus, car nous l’avions montré à l’occasion d’une réflexion sur le blasphème[6], l’Etat, celui des rois et des princes, suit, outrepasse et contredit les injonctions de la hiérarchie catholique pour réduire ses opposants et dissidents...
Il faut alors interroger des préjugés historiques. D’abord, affirme Olivier Hanne, « la justification de l’esclavage par les nations civilisées ne fut jamais catholique », ce dont témoigne le rôle de Las Casas[7] au XVI° siècle. Mais il ne faudrait pas qu’il oublie, comme le rappelle Jean Robin, les bulles de Nicolas V (en 1452 et 1455) encourageant le roi Alphonse V du Portugal à réduire en servitude (comprenez en esclavage) les populations païennes ! Cependant, contrairement à la légende noire du pape Pie XII, prétendu suppôt d’Hitler, quoiqu'il n'ait guère songé à l'excommunier, il contribua à sauver quelques centaines de milliers de Juifs. En 1943, il déclara sur Radio Vatican : « Quiconque établit une distinction entre les Juifs et les autres hommes est un infidèle et se trouve en contradiction avec les commandements de Dieu ». De plus, en France, bien des « intellectuels catholiques entrèrent en résistance contre l’occupation », comme Bernanos, Mauriac, Mounier... Rappelons cependant que l’Eglise française préférait Pétain à De Gaulle.
Quant à l’antijudaïsme, il est affirmé depuis Tertullien, au II° siècle. L’Eglise construit peu à peu une « image négative du Juif », même si Saint-Augustin proclame : « La nation des juifs impies ne connaîtra pas une mort corporelle. Car celui qui les détruira endurera sept fois plus le châtiment ». Mais au Moyen-Âge, les activités d’usure des banquiers juifs entraînèrent le ressentiment des Chrétiens, augmenté de la rumeur selon laquelle les Juifs auraient été complices de la destruction du Saint Sépulcre de Jérusalem par un calife. On connaît hélas la suite...
Si l’Eglise n’a « pas toujours la volonté ou les moyens de poursuivre les dissidents » hérétiques, le bras séculier pourra s’en charger. Contre les cathares, ce sont les populations et les princes qui massacrent à tour de bras, quand le pape Alexandre III réclame la clémence : « Mieux vaut absoudre les coupables, que s’attaquer, par une excessive sévérité aux vies d’innocents. L’indulgence sied mieux aux gens d’Eglise que la dureté ». Innocent III, désavouant son nom, fut bien moins tendre, en confiant à Simon de Montfort le soin de régler la chose dans le sang. L’Inquisition dominicaine nait en 1231. Et contrairement aux légendes, elle est plus prudente que la vindicte des foules : « Même l’Inquisition, dont le principe tranchait certes avec l’Evangile, offrait un cadre juridique plus équitable et plus serein que la plupart des tribunaux royaux ». Peu d’accusés sont remis au bras séculier qui, lui, se charge de la peine mortelle. Reste qu’il y eut des « inquisiteurs iniques », que le présupposé « était profondément brutal et incompatible ». Quant aux procès et bûchers de sorcières, ils concernent essentiellement les tribunaux civils.
L’on sera étonné d’apprendre que l’Islam, même hérétique et combattu, a pu être lu, en particulier au XV° siècle, par Nicolas de Cues comme « une voie légitime de connaissance de Dieu ». Aujourd’hui encore, nombre d’édiles catholiques partagent jusqu’au pape, cet irénisme, s’aveuglant sur la nature viscéralement violente du Coran[8] (ce que ne dit pas Olivier Hanne).
Sachons que « l’Eglise n’a jamais contrôlé le pouvoir politique » (sauf bien entendu, les Etats pontificaux en Italie). Ses collusions avec le pouvoir en firent le plus souvent une subordonnée. Hélas, elle « admit longtemps l’infériorité sociale de la femme » ; mais en attribuant le même libre arbitre aux deux sexes, en offrant une place éminente à la Vierge, en nommant deux femmes « Docteur de l’Eglise » (Hildegarde de Bingen et Sainte Thérèse), elle lui conférait une dignité qu’elle n’avait guère dans l’Antiquité. Cependant, l’Eglise a toujours, et aujourd’hui encore, cantonné la sexualité au mariage et à la procréation, et l’on n’ignore pas que ses positions sur l’avortement (même s’il faut souhaiter que la contraception le rende presque inutile) ou l’homosexualité ne sont guère empreintes d’humanisme et de libertés consenties…
Avec un sens de la justice qui l’honore, Olivier Hanne ne masque en rien les abominations du catholicisme, tout en lui rendant sa dignité. On restera néanmoins passablement sceptique devant la thèse de l’essayiste, à la fin de sa partie « La foi sans raison » : L’Eglise « seule a pu alerter les peuples européens des risques que faisaient peser sur l’humanité les philosophies matérialistes et les doctrines totalitaires, en vain ». C’est faire bon marché de bien des compromissions et de tous ces athées et agnostiques qui se sont élevé contre les phénomènes totalitaires…
Ne boudons cependant pas notre plaisir : l’essai d’Olivier Hanne est d’une admirable richesse et clarté, sans dogmatisme. Mais s’il fouille avec nuance la mémoire du catholicisme, sans l’absoudre de ses nombreux et réels péchés, il pèche par une once de tendre indulgence qu’il sera permis de discuter, voire de remettre en cause. Ce pourquoi il faudra naviguer entre son ouvrage et celui de Jean Robin pour lire les plis complexes de la vérité…
Est-ce le monothéisme qui est la cause de la tyrannie religieuse, même si, on l’a vu, elle est plus souvent politique ? Les violences et les guerres au nom du drapeau religieux, quoique masque des pulsions populaires et des Etats, seraient-elles moins torrides, voire éliminées, si nous revenions au polythéisme, selon l’Antiquité ? C’est la thèse que défend, non sans pertinence, Maurizio Bettini, dans son Eloge du polythéisme. Si l’on se doute qu’elle se heurte au jusqu’auboutisme des monothéistes arcboutés sur leur foi et leur idéologie, l’idée selon laquelle plusieurs dieux peuvent coexister est bien séduisante.
Il faut se souvenir en effet que les cultes antiques, grecs et romains, acceptaient l’existence de dieux exotiques, allant jusqu’à les intégrer à leurs panthéons (ce qui est la définition originelle de ce dernier mot). En ce sens, le polythéisme, pensé de manière erronée comme un stade primaire de l’évolution religieuse, n’a rien, au-delà de la métaphore esthétique et de sa dimension cognitive, de dépassé, au contraire.
Nietzsche lui-même (cité par Bettini) arguait de « la plus grande utilité du polythéisme », car « il était permis d’imaginer une pluralité de normes : tel dieu ne niait ni ne blasphémait tel autre dieu ! C’était là que l’on osait imaginer des existences individuelles[9] ». Le lien de conséquence entre polythéisme est individualisme est ici intéressant.
Il est dommage qu’à propos de polémiques italiennes sur les crèches qui heurtent la sensibilité musulmane et d’une mosquée « au pays de Giotto », Maurizio Bettini n’y voit que conflits entre ceux qui pensent qu’il ne peut y avoir « qu’un Dieu ». La crèche n’est plus seulement une foi, mais une tolérance folklorique, ce que ne sont pas les exigences musulmanes. Le Catholicisme et l’Islam sont trop différents pour les confondre, comme le montre avec brio François Jourdan[10]. Sans compter qu’attribuer à la polémiste italienne Oriana Fallaci, l’auteure de La Rage et l’orgueil[11], son combat contre le jihad et le Coran à une « intolérance religieuse » (tout aussi monothéiste) est aussi stupide qu’insultant ! Cependant Maurizio Bettini n’est pas tout à fait niais en la demeure puisqu’il évoque Tarik Ramadan et sa défense de la lapidation…
Cela dit, notre auteur fait preuve de rigueur intellectuelle en notant que le récent Catéchisme de l’Eglise catholique propose une section intitulée : « Le devoir social de la religion et le droit à la liberté religieuse » (certes le catholicisme se présente toujours comme « la vérité »), courtoisie que ne partage pas l’Islam, sinon par taqiya (dissimulation). Qui d’ailleurs ne supporte pas que le nom de Dieu soit accordé à celui des Chrétiens…
L’analyse est fort souvent palpitante, comme lorsque l’essayiste rappelle combien en sa crèche l’enfant Jésus veillé par le bœuf et l’âne est redevable du jeune Zeus nourri par une chèvre ou de Remus et Romulus allaités par une louve ; combien les figures de la crèche rappellent les sigilla romaines ; combien la fête de Noël a des origines antiques… De plus, les statuettes du laraire romain honoraient des dieux, des ancêtres, voire des philosophes, mais de son choix : ainsi Alexandre Sévère y juxtapose « Apollonius et le Christ, Abraham et Orphée, […] Virgile et Cicéron ». En fait un petit équivalent de la bibliothèque de l’auteur de ces lignes, de facto polythéiste…
Pour en revenir à la thèse centrale de Maurizio Bettini, ce dernier note avec justesse que Grecs et Romains n’ont jamais guerroyé « pour des motifs de nature religieuse ou pour affirmer la vérité d’un dieu unique ». Que les Anciens établissaient « des correspondances entre des divinités appartenant à des peuples différents ». Ainsi, à Rome, l’on incorpore des dieux étrusques, gaulois ; quand Wotan est identifié à Mercure, Isis à Déméter… Tout le contraire donc de « l’exclusion mosaïque », de l’atavisme monothéiste : « les dieux d’autrui ont été perçus, non comme une menace à l’encontre de la vérité unique de son dieu spécifique, mais comme une possibilité, ou même comme une ressource ». Hélas, cette curiosité romaine n’a pas rencontré un dieu chrétien qui permettait son intégration, ce pourquoi il s’est résolu à parfois le martyriser. Pourtant le Christianisme n’est-il pas un « polythéisme masqué », entre Trinité, culte de la Vierge et des Saints ?
Emporté par son enthousiasme, Maurizio Bettini oublie un peu que la souplesse des Grecs à accueillir d’autres dieux avait des limites. Il précise bien cependant qu’à Rome « le dieu étranger devait en passer par une procédure d’acceptation officielle, délibérée par le Sénat », que des répressions contre les Bacchanales ou le culte d’Isis eurent lieu, s’ils mettaient en danger la paix de la cité. Certes, rien d’équivalent au « Dieu jaloux » de l’Ancien Testament, ni au dieu assassin du prophète. Il n’en reste pas moins que son vœu pieux (« que les grandes religions monothéistes assument les cadres mentaux du polythéisme »), c’est à dire favoriser la coexistence paisible des cultes, est particulièrement rafraîchissant. Qu’attend-on pour s’en inspirer ? Reprenons le premier Père de l’Eglise, Tertullien : « Il est contraire à la religion de contraindre à la religion »…
Malgré son peu de détails discutables, cet Eloge du polythéisme mérite un éloge vibrant : clair et précisément documenté, suscitant notre curiosité pour un monde trop peu connu, il est en même temps profondément humaniste et digne d’une société ouverte (pour reprendre le concept de Karl Popper[12]), tolérante et libérale…
Reprenons la thèse parfaitement justifiée de Jacques Ellul, selon laquelle les noirceurs du catholicisme sont une « subversion » : « on a accusé le christianisme de tout un ensemble de fautes, de crimes, de mensonges, qui ne sont en rien contenus, nulle part, dans le texte et l’inspiration d’origine », c’est-à-dire dans le Nouveau testament. Mais, si cela peut nous rassurer, malgré « l’adultération avec le pouvoir politique », « le christianisme ne l’emporte jamais décisivement sur Christ[13] ». Jean Robin reprenant le mot du Christ -« On juge un arbre à ses fruits »- jette-t-il le bébé avec l’eau sale du bain ? Coutumier du genre qu’est devenu « Le livre noir », puisqu’il en a publié plusieurs, dont Le Livre noir de la gauche, aux éditions Tatamis qu’il dirige (on n’est jamais mieux servi que par soi-même), qu’attend-il pour livrer un autrement plus effroyable consacré à l’Islam ? Pour revenir au catholicisme, ne doit-il pas porter le poids de sa croix, tout en sachant assurer sa résurrection vers bien plus de vertu ? Cela dit, la pureté du message originel christique ne peut-elle s’incarner en laissant place à une réelle tolérance ? On peut supposer qu’avec des penseurs de la classe d’Olivier Hanne (qui a consacré plusieurs livres à l’Islam et au jihad) plaidant -avec une excessive indulgence- pour le « génie » du catholicisme, après celui du christianisme par Chateaubriand, et malgré l’hyperbole, la chose soit possible. Même si l’on juge préférable de n’être pas le moins du monde religieux, et de préférer ces spiritualités sans Dieu que sont les arts…
Thierry Guinhut
Une vie d'écriture et de photographie
[1] Exode, 20-13 et 21-15.
[2] Matthieu, 22-39.
[4] Umberto Eco : Vertige de la liste, Flammarion, 2009.
[5] Umberto Eco : Ecrits sur la pensée au Moyen Âge, Grasset, 2016.
[9] Friedrich Nietzsche : Le Gai savoir, traduit de l’allemand par Pierre Klossowski, Gallimard, 1982, p 158.
[10] François Jourdan : Islam et Christianisme, comprendre les différences de fond, L’Artilleur, 2016.
[11] Oriana Fallaci : La Rage et l’orgueil, Plon, 2002.
[12] Karl Popper : La Société ouverte et ses ennemis, Seuil, 1979.
[13] Jacques Ellul : La Subversion du christianisme, Seuil, 1984, p 9, 157, 246.
Bacchus, Villa Borghese, Rome. Photo : T. Guinhut.