Henry-David Thoreau : Walden, traduit par Nicole Mallet,
Les Mots et le reste, 384 p, 9,90 €.
Henry-David Thoreau : Le Paradis à reconquérir, traduit par Nicole Mallet,
Les Mots et le reste, 96 p, 3 €.
Henry-David Thoreau : Marcher,
traduit par Sophie Rochefort-Guillouet, L’Herne, 90 p, 7,50.
Henry-David Thoreau : Résistance au gouvernement civil,
traduit par Sophie Rochefort-Guillouet, L’Herne, 72 p, 7,50.
Une lecture superficielle, voire une réputation entendue, mais guère vérifiée, laisse entendre que Thoreau est un chantre enthousiaste de la nature. Certes, mais il apparait qu’il est également peu amène envers le progrès. Jusqu’où faut-il vivre dans la nature avec lui ? Laissons-nous cependant porter par son Journal, qui est l’œuvre de la vie d’Henry-David Thoreau (1817-1862). C’est un archipel d’une quinzaine de volumes, dont huit sont parus aux Etats-Unis. Grâce à la bonne volonté, à la patience des éditions Finitude et de Thierry Gillybœuf, qui traduit, annote avec tant de ferveur son auteur favori, nous pouvons en lire les quatre premières livraisons, entre 1837 et 1850. Nous supposerons qu’elles se dérouleront jusqu’en 1862, année de la mort de Thoreau, qui ne publia de son vivant que deux volumes, dont Walden ou la vie dans les bois et le fameux La désobéissance civile, manuel libéral, quoique peut-être trop facilement invoqué comme protestataire.
« Mon journal contient de moi tout ce qui, sinon, déborderait et serait perdu : des glanures du champ que je moissonne à travers mes actes », écrit-il en 1841. Cette éthique restera toujours sienne, au long des trente-neuf cahiers pour lesquelles il fabriqua une caisse en pin, simple écrin pour un immense trésor littéraire. D’abord bribes et notations, fragments d’essais et poèmes, le Journal évolue peu à peu vers sa plus pure expression : les évocations de la nature et la place modeste d’une sagesse humaine éphémère en son sein. Car ce marcheur des frontières naturelles et des espaces sauvages, cherchait les bouts du monde. Comme lorsqu’il escalade les 1605 mètres du Mont Ktaadn[1], ou Kathadin, dans le Maine, pour découvrir l’immensité d’un désert forestier, sans contrat aucun avec l’homme. Ou lorsqu’il atteint une extrémité terrienne devant la fureur des vagues, ce qu’il relate dans les tableaux puissamment colorés de Cap Cod[2]. Il connaît intimement et de longue expérience l’art de la Marche[3], son rythme, sa cadence et son regard ouvert ; et c’est ainsi que s’écrit son Journal, comme en témoigne une conférence donnée en 1851, et sobrement intitulée Marcher, à la recherche d’une « littérature qui permette à la Nature de s’exprimer », car, ajoute-t-il « Ma soif de savoir est intermittente, mais mon désir de baigner dans des atmosphères que mes pieds ne connaissent pas est permanent et constant ». Ainsi vont les pages du Journal parmi lesquelles « tout est sujet […] de la planète et du système solaire jusqu’au moindre crustacé et au moindre galet sur la plage » (12 mars 1842).
Philosophe transcendantaliste, dans la compagnie d’Emerson[4], Thoreau entretient avec la nature et la vie un lien quasi-mystique. Emporté par « la fièvre poétique », il compose « L’invitation de la brise », quand les auteurs de l’antiquité grecque veillent à son chevet. Sans jamais oublier sa devise du 26 juin 1840 : « L’état suprême de l’art est l’absence d’art ». Ainsi, « Une phrase parfaitement saine est extrêmement rare. Parfois j’en lis une qui a été écrite lorsque le monde tournait rond, quand l’herbe poussait et que l’eau coulait. » (10 janvier 1841). Des moments véritablement zen ravissent le lecteur, comme cette mise en abyme : il lit la piste d’un renard, « l’étang était son journal », où « la neige a fait tabula rasa » (30 janvier 1841).
Parfois, le Journal se fait recueil d’aphorismes : « Il existe deux sortes d’auteurs : les uns écrivent l’histoire de leur époque, les autres leur biographie » (18 avril 1841). Son impressionnante culture littéraire se heurte cependant à des jugements pour le moins rapides, voire démagogiques : « L’ensemble de la poésie anglaise depuis Gower réunie dans un même écrin parait bien médiocre comparé à la nature la plus ordinaire aperçue par la fenêtre de la bibliothèque ». Ce qui ne l’empêchait pas de tenir à ses livres, y compris aux trente-neuf volumes manuscrits de ce Journal qu’il protégeait jalousement !
L’éloge de l’espace naturel fait vibrer les pages. Le romantisme de Thoreau doit se lire dans la continuité des poètes lakistes anglais, mais aussi dans le cadre de l’exaltation du pionnier américain. La quête de la sagesse irrigue également le Journal. En effet le 27 juin 1840, au regard des bruits du labeur humain, il précise son éthique personnelle, inspirée par la pensée orientale de Manu et des Brâhmanes, aussi individualiste qu’hédoniste : « je ne veux rien avoir à faire ; je dirai à la fortune que je ne traite pas avec elle, et qu’elle vienne me chercher dans mon Asie de sérénité et d’indolence si elle peut ». Plus loin, le 27 mars 1841, il note : « Je ne dois pas perdre une once de liberté en devenant fermier et propriétaire terrien ». Heureusement pour lui qu’Emerson mit à sa disposition la pauvre cabane de Walden !
Si le ravissant Journal de Thoreau n’innove guère du point de vue générique, malgré l’éclatement des notations visuelles, sensibles, et la fluctuation des pensées, il faudra chercher en Walden ou la vie dans les bois, publié en 1854, l’horizon d’un nouveau genre au croisement du récit de voyage, de l’essai naturaliste et du traité d’éthique écologique ; à moins de penser dans une certaine mesure aux Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau. Nous trouvons l’occasion de le relire, avec le secours d’une récente traduction de Brice Matthieussent, peut-être plus agile que celle de G. André-Laugier, quoique cette dernière eût l’avantage d’être publiée dans le cadre d’une édition bilingue[5].
Voici le récit de deux années passées dans une fruste cabane au bord d’un étang forestier du Massachussetts, à partir de juillet 1845. Il commence cependant par un réquisitoire contre la civilisation moderne, et, en contrepartie, par une plaidoirie enthousiaste à l’égard de la vie naturelle. La dimension pamphlétaire de Walden ou la vie dans les bois, dont le Journal est une matrice, s’insurge contre la culture artisanale, industrielle et urbaine. Quoique gagnant sa vie en pratiquant le métier d’arpenteur, le voilà « arpenteur, sinon des grandes routes, du moins des sentiers forestiers et des chemins de traverse », « inspecteur autoproclamé des tempêtes de neige et des orages de pluie ». Récit d’une expérience, ce livre est aussi un recueil de petits essais à la Montaigne, c’est-à-dire « à sauts et à gambades », avec des parties intitulées « Economie », « Lire » ou « Des lois plus élevées », quand d’autres s’appellent plus humblement « Solitude », « Le champ de haricots » ou « Le lac en hiver ».
Son centre du monde est l’étang de Walden, auprès duquel il resta chaste et presque végétarien, vivant dans une relative autarcie, quoique bien proche de Concord et de ses amis, pour écrire dans une cabane aux poutres de pin taillées à la hache. Aussi s’agit-il dans une certaine mesure d’une réponse à l’expérience de George Ripley qui, dans le même temps, pensait améliorer l’homme et ses conditions d’existence au moyen de la collectivité agraire de Brook Farm. Thoreau choisit de vivre une expérience solitaire, comme, toutes proportions gardées, Robinson Crusoé. Or la seule vision mystique de la nature, telle que pouvaient la pratiquer certains romantiques comme Wordsworth, n’est pas son fait : il privilégie la vision du naturaliste.
Il n’est pas sans avoir cependant des convictions discutables, comme préférer à toute éducation celle des forêts et de la construction d’une cabane ou d’un canif. Plaçant l’expérience bien au-dessus de la théorie, il rétrécit pourtant le champ de l’évolution humaine et technique. Mais fidèle à son éthique, il cultive son terrain dans le cadre d’une simple économie de subsistance, « car le commerce corrompt tout ce qu’il touche », dédaignant les plus fiers monuments de l’architecture et de l’Histoire, ne nous laissant rien ignorer de ses travaux manuels intenses, de sa nourriture et de son budget, modestes au demeurant. Aussi ne cesse-t-il de faire l’éloge de la frugalité, voire de la pauvreté. Pourtant, plus loin, il se contredit : « Ce qui me plait dans le commerce, c’est l’esprit d’entreprise et le courage », tout en célébrant la régularité du chemin de fer qui passe non loin de son étang.
Le Thoreau de Walden est également un moraliste, par exemple en doutant de la philanthropie, qui « est presque la seule vertu qui soit appréciée à sa juste mesure par l’humanité. Mieux voudrait dire qu’elle est grandement surestimée ; et c’est notre égoïsme qui la surestime ». L’argumentation morale glisse parfois jusqu’à l’aphorisme : « Ne vous obstinez pas à surveiller les pauvres ; efforcez-vous plutôt à devenir un digne habitant de ce monde ».
Au bord de l’étang de Walden, il entend « le poème de la création ». La verve lyrique de l’écriture transporte le prosateur, qui découvre avec émotion que « sa maison se situait vraiment dans une partie de l’univers retirée mais toujours nouvelle et non profanée », même si l’on vient l’hiver scier et charrier la glace de son étang. Il accorde toute son attention aux « bruits », cloches lointaines, chant des engoulevents et des grenouilles-taureaux. Ainsi confie-t-il : « Je n’ai jamais trouvé compagnon d’aussi bonne compagnie que la solitude ». Ou encore : Ne suis-je pas en intelligence avec la terre ? »
Il n’est pas tendre, quoique réaliste, à l’égard des habitants de Concord, le village voisin, qui ne lisent ni les indispensables grands classiques, ni les écritures saintes : « Il est temps que nos écoles soient des universités, et leur ainés des chargés de cours […] pour continuer des études libérales pour le restant de leur vie ». Nous apprécions son éloge de l’éducation libérale[6], tout en relevant qu’il faudra pour cela s’abstraire un tant soit peu de la « vie dans les bois ». Néanmoins, entre contemplation et art de la description paysagère, entre sarclage du champ d’haricots, pêche aux tacauds et cueillette des myrtilles et des airelles, il reçoit volontiers quelques visiteurs, étonnés ou compréhensifs. Il est poète en prose certes, ce qui ne l’empêche en rien d’être doté d’un solide esprit pratique, lorsque, par exemple, il prend tant de soin à construire sa cheminée, précieuse quand gèle le lac, lui consacrant tout un chapitre (« Pendaison de crémaillère ») comme le fit son contemporain Herman Melville dans Moi et ma cheminée[7]. Au rythme des saisons, des observations devant de paisibles perdrix ou de batailleuses fourmis, et des méditations lyriques et philosophiques, ces pages ne peuvent manquer de nourrir leur lecteur : « Aimez votre vie, si pauvre soit-elle », conclue-t-il…
C’est dans Le Paradis à reconquérir (une réponse acide au projet d’utopie technique de John A Etzler) qu’il prononce des phrases dignes d’une conscience écologique d’aujourd’hui : « Nous nous comportons avec tant de mesquinerie et de grossièreté envers la nature ! Ne pourrions-nous pas la soumettre à un travail moins rude ? » Cependant l’utopie régressive de Thoreau, prophète rassis de la décroissance (quoiqu’il ne prétende pas l’imposer à autrui de manière autoritaire), ne vaut guère mieux, affirmant : « Les inventions les plus merveilleuses des temps modernes retiennent bien peu notre attention. Elles sont une insulte à la nature ». Il termine cette recension critique d’une manière emphatique et un brin ridicule, car l’amour est une force qui « peut créer un paradis intérieur qui permettra de se passer d’un paradis extérieur ». Il y a cependant un louable versant scientifique chez notre naturaliste, lorsque dans un petit essai, La Succession des arbres en forêt,[8] il montre que ce n’est pas par magie et génération spontanée que poussent les arbres loin de leur habitat, mais parce qu’écureuils et oiseaux transportent graines et semences. L’explication naturelle succède aux élucubrations surnaturelles et créationnistes de ses contemporains.
Diariste, conférencier et philosophe politique se liguent en lui au cœur d’une conscience américaine en gestation. Bientôt, il sera reconnu parmi les grands, entre Herman Melville, Walt Whitman et Emily Dickinson. Quoique caché sur le bord de son étang, il rayonne comme le chantre d’un espace et d’une conscience à préserver. Evidemment, toute la tradition du « nature writing », voire une bonne part de la pensée écologiste, découlent de notre poète-prosateur et philosophe des sentes forestières. La sensation intérieure et la conscience environnementale se fondent en un seul leitmotiv.
Certes l’on aime Thoreau ; mais il faudra prendre garde à ne pas l’idéaliser, surtout en l’effleurant comme l’on révère une rumeur, faute de le lire. L’on est bien content que la révolution industrielle qu’il rejetait en préférant les bois de Walden, nous ait apporté un appréciable confort de vie. Lorsqu’il vitupère dans Marcher, « Je rêve d’un peuple qui commencerait par brûler les clôtures et laisserait croître les forêts », il ne s’embarrasse guère de la propriété, dans une rousseauiste nostalgie, et des investissements de la civilisation. Il n’aime guère non plus ni les beaux-arts, ni la technique, ni la division du travail, dans une optique passéiste accordée à une nature édénique. Pas tout à fait fou cependant il reconnait dans Walden qu’il vaut « certainement mieux accepter les avantages, aussi chèrement payés soient-ils, proposés par l’invention et l’industrie des hommes ». Bien que nous nous gardions de faire de sa pensée un système, encore moins une dictature écologiste, nous aimons Thoreau comme une pause fondamentale hors du bruit de la cité, comme un rêve de grandes vacances rustiques et éternelles parmi les forêts, comme une conscience nécessaire de l’homme dans la nature, et surtout comme un chantre farouche de la liberté : « je suis un citoyen libre de l’univers, qui n’est condamné à appartenir à aucune caste », écrit-il en 1842.
La désobéissance civile, publiée en 1849, et aujourd’hui sous le titre Résistance au gouvernement civil, est-il un mythe pour adolescent frondeur ou une réelle philosophie politique ? Les libéraux classiques peuvent à juste titre revendiquer ce fulgurant essai. Notons qu’il fut publié dans la collection « Libertés » chez Jean-Jacques Pauvert, où il voisina avec le regretté Jean-François Revel[9]. De plus, si nous ouvrons la fabuleuse anthologie des Penseurs libéraux[10], nous en trouvons un bel extrait, titré « Désobéir aux lois ». Libéral, certes, mais anarchisant : « Il y a quelque chose de servile dans l’habitude que nous avons de chercher une loi à la quelle obéir », écrit-il dans Marcher. En ce sens, le concept de désobéissance civile peut être brandi aussi bien par l’anarcho-capitaliste que par le plus fruste libertaire, par le philosophe issu des Lumières et en butte à l’injustice et au despotisme, que par une gauche révolutionnaire. Cette remise en cause de l’Etat, certes à l’époque de Thoreau encore esclavagiste, mais absorbant moins dans les bras de sa pieuvre la vie économique qu’aujourd’hui, reste en butte contre les principes libéraux classiques de l’Etat régalien gardien de la liberté.
« Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins ». Voici la phrase inaugurale et trop peu célèbre de cet essai vigoureux, souvent suivi du « Plaidoyer pour John Brown », autant au service « des droits des plus pauvres et des plus faibles parmi les gens de couleur opprimés par l’esclavage, que ceux des riches et des puissants ». Le réquisitoire contre l’Etat, dans le cadre d’une protestation contre la guerre menée par les Etats-Unis au Mexique, est d’une puissance éthique et rhétorique remarquable. Décrivant un fusilier marin, « debout vivant dans son suaire », il proteste : « La masse des hommes sert ainsi l’Etat, non point en humains, mais en machines avec leur corps ». Plus loin : « Pas un instant, je ne saurais reconnaître pour mon gouvernement cette organisation politique qui est aussi le gouvernement de l’esclave ».
Son refus de l’impôt, donc de l’Etat auquel il ne voulut pas souscrire, lorsqu’il sert à mener une guerre qu’il désapprouve, est à la source de ce bref et néanmoins vigoureux discours. L’actualité de ce texte reste considérable à l’heure d’une fiscalité confiscatoire et d’une économie plombée, sachant que Thoreau passa une journée en prison pour ne pas vouloir payer l’impôt (on le paya pour lui) : « quand […] l’oppression et le vol sont organisés, je dis : débarrassons-nous de cette machine ». Plus loin : « Il existe des lois injustes, consentirons-nous à y obéir ? » Ou encore : « Il faut que je veille, en tous cas, à ne pas me prêter au mal que je condamne », ce qui conduisit aux mouvements de résistance passive, et à la détermination de Martin Luther King. La conclusion reste mémorable : « Jamais il n’y aura d’Etat vraiment libre et éclairé, tant que l’Etat n’en viendra pas à reconnaître à l’individu un pouvoir supérieur et indépendant d’où découlerait tout le pouvoir et l’autorité d’un gouvernement prêt à traiter l’individu en conséquence ».
Le principe de désobéissance civile, si héroïque soit-il, ne délivre pas du jugement sur le bien et le mal, entre le bon choix et le mauvais choix, en faveur du droit naturel et non du droit positif déterminé par les législateurs et les tribunaux, pour reprendre la distinction de Léo Strauss[11]. Désobéir contre la tyrannie, et au service de la vertu, de l’égalité devant le droit, de la liberté économique, des mœurs et d’expression, soit. Mais pas au prix du divorce d’avec une loi, une doxa, une courtoisie, une justice bonnes. Pas dans le but conscient ou inconscient d’installer une tyrannie pire que la présente…
La désobéissance civile devient alors un sur-romantisme, dans laquelle l’indigné, le révolté contre le pouvoir, quelque soit sa représentativité et sa légitimité, devient une sorte de messie des temps nouveaux, démocratiques et libertaires, ou prétendument. Trop souvent d’ailleurs les médias ont tendance à sacraliser les révoltés contre un pouvoir inique ou non, qu’il s’agisse des printemps arabes, cairotes ou syrien, des places de Kiev ou de Nantes, d’un José Bové, s’appuyant indûment sur l’opuscule de Thoreau pour saccager de forts utiles champs de Plantes Génétiquement Modifiées.
Sans compter que l’obéissant fait moins spectacle que le désobéissant, que les désobéissantes et pacifiques foules familiales de la Manif pour tous sont moins spectaculaires et dignes d’images que les pillages des casseurs fascistes, des anarchistes en noir, des écologistes en vert et autres jeunes racailles diverses. Quoique le traitement policier soit moins tendre pour les premiers que pour les seconds, parce qu’ils sont plus faciles à circonscrire, et considérés comme réactionnaires (ils n’ont pas la bonne désobéissance idéologique), parce le diktat de gauche sur le pouvoir qui compte s’allier les seconds le paralyse.
Entendons-nous : par les temps qui courent, la désobéissance civile est bien mieux acceptée si elle obéit à la bonne conscience de gauche. Il faut craindre que ce concept phare soit mangé à toutes les idéologies. Au point de plus les servir que de servir celui à laquelle s’adressait l’auteur de Walden : l’individu et ses libertés. Si tous ceux qui invoquent le fantôme de Thoreau sur des barricades civiles et mentales avaient la modestie, l’intériorité et la capacité créatrice d’écrire un tel essai, un tel Journal, peut-être ne démériteraient-ils pas d’Henry-David Thoreau. Comme lui, le 26 février 1841, pouvons-nous dire aujourd’hui : « Ce bon livre aide le soleil à briller dans ma chambre » ?
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.