Voulons-nous que nos enfants deviennent des idéologues violents du communisme ou de divers fascismes, noirs, bruns ou verts, nos garçons des fanatiques islamistes, nos filles des portemanteaux à burqas, que notre progéniture s’abîme dans la délinquance, la corruption et la misère, que nos descendants descendent les degrés de la civilisation jusqu’à la barbarie crasse? Il n’est cependant pas douteux que la clef du monde de demain soit l’éducation. Et plus précisément l’éducation aux libertés, bien qu’il reste à définir par quels moyens…
Certes notre service public français forme passablement bien un nombre considérable de nos futurs citoyens, grâce à des programmes pluralistes, à l’accès à une culture d’élite, mais aussi des formations professionnelles diverses et aussi utiles qu’honorables… Mais outre que le dit service public a trop souvent une propension à se servir sans discernement du public et de l’argent du contribuable plutôt que de servir le public, il reste l’épouvantail de ces milliers de jeunes qui sortent de l’Education Nationale sans le moindre diplôme. Et l’on ne parle pas de ceux qui s’évacuent avec un bac général sans valeur ou quelque paperasserie honorifique de sociologie ou de psychologie… Nombre de ces derniers, floués par des qualifications aussi prestigieuses que trop souvent inutilisables sur le marché du travail, iront grossir les rangs des chômeurs, sinon des grévistes bloqueurs d’Universités (au mépris de la liberté d’enseigner et d’apprendre) et des semi-professionnels du ressentiment anti-capitaliste. Qui sait si ses jeunes dévoyés par l’Education Nationale ne seraient pas mieux traités grâce à une sélection plus exigeante, par une éjection de ces classes qu’ils ne fréquentent que par paresse, total désintérêt, rejet violent du système, sinon plaisir de la contestation, du chahut… Ceux qui resteraient bénéficieraient d’un climat plus propice à l’étude et à l’ouverture d’esprit. Mais, me direz-vous, que faire des exclus ? Peut-être ne seraient-ils pas plus nombreux que ceux qui s’excluent d’eux-mêmes ou par carence du système. Sans compter que cet apprentissage décrié pourrait-être remis à l’honneur, dès quatorze ans, grâce à la clémence qu’espèrent en vain les entrepreneurs, de notre enfer fiscal et de notre maquis réglementaire… Ce qui n’empêcherait pas d’accueillir de nouveau les repentis pour leur offrir une deuxième chance.
Que pouvons changer à notre éducation ? Il n’est pas douteux que les syndicats se trompent de cible quand ils se mobilisent (curieuse antiphrase lorsqu’il s’agit de faire grève et de démobiliser -sinon au service de leur idéologie- nos élèves) contre les suppressions de postes, liées pourtant à la démographie et aux économies nécessaires. Notons qu’ils pensent surtout à grossir les rangs de leur clientèle. Quid de la violence scolaire où l’on n’ose appeler à une indispensable présence policière pour voler au secours du jeune enseignant parachuté sans formation dans une banlieue ghettoïsée ? Quid de ces cours de Lettres ou d’Histoire où l’on ne peut aborder Le Fanatisme ou Mahomet le prophète[1] de Voltaire ou les conflits du Moyen Orient sans se faire (au mieux) insulter de pro-Américain, de Juif sioniste, d’islamophobe (et encore nous utilisons là un vocabulaire soutenu)…
N’allons pas croire que cette éducation aux libertés ne se fasse que par le petit vécu de chacun, que par la rue et les potes… Se défaire des préjugés, des œillères idéologiques héritées, que ce soit au moyen de la famille ou de tout autre environnement, nécessite d’une part des enseignants divers et pluralistes, mais aussi une ouverture à l’histoire, aux sciences, aux littératures et philosophies, aux langues et à l’économie, grâce à laquelle la formation d’une personnalité, d’une culture et des compétences pourra atteindre le maximum des potentialités de chacunet contribuer à la création de richesses, de bonheurs dans le cadre d’une nécessaire démocratie libérale partagée. A condition d’enseigner l’économie sans haine marxiste de l’entreprise et du libéralisme…Une aussi banale question humaine et de société que l’amour, sur laquelle chacun possède une vision aussi personnelle que péremptoire (« chacun sa vision », « toutes les opinions se valent », n’est-ce pas ?) ne nécessite-t-elle pas, outre notre petit et parcellaire vécu, d’interroger Shakespeare, Racine et Marivaux, la sociologie du divorce, l’Indice de Développement Humain et le niveau d’éducation des femmes, le féminisme, les hormones et les phéromones, l’évolution de la réception de la contraception, de l’avortement, du mariage homosexuel, que savons-nous encore…
En ce sens, le relativisme, s’il permet à chaque individu et culture d’exprimer sa voix, est un frein considérable à l’éducation aux libertés. Toutes les religions, tous les systèmes politiques, toutes les cultures -aztèques, nippones ou gréco-latines- sont-elles égales ? Non, si l’on doit considérer quelles valeurs les innervent, non si l’on doit considérer les résultats : quelles sont les cultures qui ont permis à la femme et à l’homme le plus de libertés individuelles, de confort matériel et de richesses intellectuelles. La culture mafieuse est-elle préférable ? La culture des Frères musulmans, qui censure jusqu’à cette merveille que sont les Mille et une nuits, est-elle souhaitable ? Les cultures ne sont donc pas égales. De plus, si sympathique soit-il, Dave chantant avec bonheur « Du côté de chez Swann » n’approche pas Marcel Proust lui-même, quoiqu’il puisse être un passeur. Ne parlons pas de ce rap qui incite à coup de rythmes sordides, de textes aux clichés navrants, à la haine et la baston, sinon aux meurtres de flics… Nous avons la charge difficile et exaltante de faire toucher du doigt ces questions par nos chers bambins, nos adolescents rebelles, nos étudiants studieux et passionnés…
Pire encore, on croise trop souvent l’anti-culture plus ou moins militante. Que ce soit dans des banlieues tribales, mafieuses et violentes (elles ne le sont certes pas toutes), que ce soit dans des classes d’élite des meilleurs lycées de centre-ville, la honte suprême serait de passer pour un « intello ». Pourtant, quoi de plus beau et juste que d’user avec discernement de son intellect ? Il n’est d’ailleurs pas indifférent de signaler que le rejet de la culture de classe, de la culture bourgeoise, voire aristocratique, que le diktat de la reproduction sociale à la Bourdieu[2] (même s’il use d’une constatation qui a sa part de vérité) venu d’un gauchisme revanchard et pré-totalitaire, a contribué fortement à nourrir cette infamie suicidaire.
Autre vice inhérent, le pédagogisme. Au-delà d’une didactique indispensable, d’une richesse des contenus des formations des enseignants, un peu de pédagogie ne nuit pas, surtout lorsqu’elle est couplée avec les qualités humaines du maître, de l’autorité à la souplesse, de la fermeté à l’indulgence sans laxisme, de l’amour de ses disciples à l’écoute… Mais l’idéologie démagogique de l’apprenant qui construit ses savoirs en autonomie a fait long feu. Certes, les ateliers divers, d’écriture, ou les exposés et entretiens, comme les Travaux Personnels Encadrés, qui permettent aux élèves de réaliser des productions variées et stimulantes dans bien des champs du savoir, sont à encourager. Mais rien ne remplacera le cours magistral, dans son engagement à l’écoute et à la concentration, néanmoins mêlé de débats argumentés. L’art d’entendre, l’art du discours et d’écrire en sont les résultats et les buts. Enfin, depuis les histoires abondamment racontées, l’apprentissage de la lecture, de la richesse du vocabulaire et de la syntaxe, dès la maternelle, jusqu’au Collège de France, la fréquentation des grandes œuvres doit irriguer nos jeunes gens, des contes aux comptines, de Darwin à Nabokov, d’Orwell à Nietzsche, de Plutarque à Sloterdijk… Et ce dans la tradition du siècle de Périclès, de la séparation des pouvoirs (depuis le « Rendez à César ce qui est à César » énoncé par le Christ), de l’humanisme et des Lumières.
Le chèque éducation, préconisé par Milton Friedman[3], permettrait de mieux choisir la qualité des maîtres et des établissements, de rendre aux chefs d'établissement responsables souplesse, rigueur et liberté dans leur recrutement; à condition que cette nécessaire concurrence et émulation ne débouche pas sur des officines confessionnelles étroites, partisanes ou inféodées à une réductrice culture d'entreprise... Que l'on permette également la bivalence des enseignants, la possibilité de travailler plus, en particulier pour les agrégés qui pourraient dépasser leurs 15 heures; sans compter que l’ancienneté est plus valorisée que le mérite dans la grille des salaires. Vous avez beau par ailleurs avoir publié x articles, livres, avoir des expériences professionnelles ou associatives diverses, on n’en tient pas compte ; pire, on ne les utilise en rien au profit des élèves…Le mérite individuel doit rester pour tous, élèves et enseignants, le critère d’évaluation premier.
On imagine que pour réaliser cette éducation aux libertés, qui n’est pas sans avoir, concédons-le, un parfum d’utopie (tout en se gardant des dangers de l’anti-utopie) elle ne puisse se faire qu’avec des maîtres aux qualités intellectuelles et morales, au charisme et à la théâtralité passablement supérieurs à la moyenne. Gare à l’orgueil donc. Mais la confiance et la curiosité d’esprit du disciple sont à ce prix, dans une démocratie « qui est censée être une aristocratie qui s’est élargie au point de devenir une aristocratie universelle[4] », comme le disait Leo Strauss.
Leo Strauss, dans « Qu’est-ce que l’éducation libérale ? » disait de cette dernière qu’elle « est libération de la vulgarité. Les Grecs avaient un mot merveilleux pour vulgarité ; ils la nommaient apeirokalia, manque d’expérience des belles choses. L’éducation libérale nous donne l’expérience des belles choses[5]. » Les libertés d’entreprendre, les libertés des sciences, de la justice, de la tolérance et de l’art ne sont-elles pas les plus belles choses ?
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Votre article est excellent.<br />
J'ajoute à votre approche mon point de vue.<br />
Les élèves sont parfois violents notamment dans leurs contestations répétées remettant jusqu'à la qualité de vos cours afin de justifier soit leur désintérêt de la discipline enseignée, soit leur<br />
paresse à toute concentration, soit encore leur manque de curiosité. Il est facile pour un enseignant de se décharger de toute responsabilité quant à cette violence : il fait suffisamment preuve<br />
d'autorité dans son cours (il parle fort, pousse parfois une bonne gueulante, il sanctionne, il exclut) et si les élèves sont ainsi c'est aussi à cause de la mauvaise éducation qu'ils ont reçue.<br />
Mais cette violence n'est-elle pas plutôt le reflet d'un enseignement lui-même agressif dans son contenu, dans sa pratique, dans son évaluation ? Je le pense.<br />
Les programmes suppriment petit-à-petit toute générosité, toute curiosité, toute possibilité de mutualisation des savoirs (non seulement entre élèves, mais aussi entre élèves et enseignants, entre<br />
enseignants). La suppression de toute formation des professeurs n'autorise plus la réflexion pédagogique. Or est-il bien sérieux de vouloir dispenser des savoirs sans que les élèves sachent en quoi<br />
consiste leur métier d'élèves, sans leur fournir la boîte à outils indispensable en cas d'échec, d'obstacle scolaire ?<br />
Enfin une réflexion sur l'évaluation, que vous n'abordez pas dans votre article me paraît être incontournable et notamment avec l'arrivée dans les établissements scolaires des nouvelles<br />
technologies (qui d'ailleurs modifient déjà la relation à l'apprentissage).<br />
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Merci de votre enrichissant commentaire. Je n'ai pas prétendu tout dire. Il est vrai que la violence de l'enseignement doive être contrée par un plus d'empathie de la part des enseignants.<br />
Combien de fois ai-je vu un élève se transformer grâce à des gestes simples: lui offrir un mouchoir en papier s'il renifle, au lieu de crier. Apprécier l'erreur orale à sa juste valeur en<br />
considérant l'effort et la confiance fournis, en montrant que toute ereur est un pas vers la vérité si l'on veut bien la corriger avec complicité, etc. La fermeté ne doit pas empêcher<br />
l'indulgence. Nous sommes avec eux (nos partenaires) pour les conduire, y compris au moyen des nouvelles technologies, non les entraver... Cordialement<br />
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F
Fabrice Descamps
06/02/2011 12:28
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Mon cher Thierry,<br />
Tu me permettras d'ajouter quelques commentaires à un article dont je partage largement le fond.<br />
On dit les enseignants français mal payés. Ce n'est pas inexact, à ceci près que, si un agrégé français faisait autant d'heures que son homologue allemand, il serait payé tout autant. Je me suis<br />
amusé à faire le calcul en comparant ma fiche de paie avec celle de notre ami commun Matthias Benz, de Coburg, qui a exactement le même âge et la même carrière que moi. Nous gagnons sensiblement la<br />
même chose à l'heure, toute la différence entre nos paies, qui n'est pas mince, tenant au nombre d'heures qu'il passe dans son lycée. Claude Allègre avait osé le dire en son temps : "si les<br />
enseignants veulent être mieux payés, qu'ils fassent plus d'heures". Las, ce n'est pas le choix du SNES qui préfère se battre pour le nombre de postes car il sait que tout son pouvoir lui vient du<br />
nombre d'enseignants qui mutent tous les ans.<br />
Sur le fond du problème maintenant : la sociologie de M. Pierre Bourdieu a convaincu des générations d'enseignants de gauche qu'ils étaient des instruments de sélection sociale. On constate par<br />
exemple que le pourcentage de fils d'ouvriers polytechniciens, énarques ou normaliens reste désespérément faibles. On a donc opté pour un collège et un lycée moins sélectifs avec des programmes<br />
simplifiés et allégés. Or qu'a-t-on constaté à la génération suivante ? Que loin d'augmenter, le nombre d'enfants d'origines modestes parmi les lauréats des diplômes les plus prestigieux du pays<br />
diminuait encore. N'importe quel individu de bon sens en aurait donc conclu qu'il fallait faire machine arrière toute puisque le remède était pire que le mal. Mais non, dans l'Education nationale,<br />
ce vaste Titanic soviétique en route vers l'iceberg fatal en mer de Sibérie, on en a conclu qu'il fallait encore plus simplifier et raboter les programmes et les exigences. Or il aurait fallu dès<br />
le départ réfléchir un peu plus et comprendre que cette politique scolaire démagogue était d'avance vouée à l'échec car :<br />
a) si le poids des exigences scolaires dans la distribution des diplômes diminue le poids du carnet d'adresse des parents des lauréats desdits diplômes augmentera mécaniquement, ce qui ne manqua<br />
pas d'arriver. Dans la course à l'échalotte pour inscrire ses enfants en classes prépas et leur éviter ainsi les affres de la fac classique, les enfants d'ouvriers furent les dindons de la farce<br />
sociale, si tu me permets toutes ces métaphores culinaires.<br />
b)Que voulait-on au fond et dès le départ? Augmenter le nombre d'enfants d'ouvriers détenteurs de diplômes prestigieux coûte que coûte ou donner ces mêmes diplômes à ceux dont les résultats<br />
scolaires attestaient qu'ils les méritaient vraiment? Je me moque de l'origine sociales de mon cardiologue; tout ce que je veux, c'est qu'il ait les compétences requises pour me soigner. Les<br />
politiques éducatives à la Bourdieu présentaient dès leur conception les mêmes tares que les politiques d'affirmative action mises en place aux USA et en Inde. Sans surprise, elles ont eu les mêmes<br />
effets et connu les mêmes échecs.<br />
Je conclurai donc en soulignant quelque chose qui, pour le coup, n'abondera peut-être pas dans ton sens : si l'on veut que le nombre d'enfants d'ouvrier chez les polytechniciens augmente, il vaut<br />
mieux miser sur une politique fiscale réellement redistributive que sur une politique scolaire absolument stupide. C'est le sens du dernier ouvrage de Thomas Piketty, "Pour une révolution fiscale",<br />
dont je recommande à tous la lecture.<br />
Amitiés,<br />
Fabrice<br />
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Merci Fabrice de ces précisions aussi judicieuses qu'instructives. Ton commentaire sera pieusement conservé ici.<br />
Une seule remarque: je doute de l'efficacité socialisante de la révolution fiscale de Piketty et dans le fond fort peu libérale. Par ailleurs, c'est en diminuant la fiscalité sur les<br />
contribuables et les entreprises que le rendement de l'impôt augmentera, et non le contraire: voir l'après Roosevelt en 1945...<br />
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Présentation
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.