Val de Cestrède, Gèdre, Hautes-Pyrénées, photo T. Guinhut
TROIS VIES DANS LA VIE D’HEINZ M.
Ein Jahr im Leben des Heinz M.
Au secret lecteur dans le temps
I Une année sabbatique
II Hölderlin à Tübingen
III Elégies à Liesel
I
Une année sabbatique 1.
Lire Hölderlin dans la nuit encore du matin, où ai-je laissé ma tête pour désaxer le cours du jour et le prendre à rebours, songer à la poésie, ayant depuis longtemps tiré la chasse d’eau sur elle, et me conduire en bouffon dans le désarroi du sans jour ?
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A sept heures du matin, fraîcheur des cris pour quoi faire d’oiseaux, sur le balcon Vénus froide, la tête enfin vide, un quotidien dévasté sur le sol, niais tranquille m’imaginant portraituré dans l’œil collé au parking d’un écureuil vu de lampadaire.
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Dans la ville, le jour sonne sur les cartes de crédit. Tous magasins bureaux ouverts, les portes des hommes sont fermées. Trottoir des solitudes de groupe, Voies rapides et sourdes des foules, bruit batteur de rock and disco standard. Sortir de la ville des fils de pères… Et dans la montagne, marcher le ciel terreux dans la bouche, le cri soudain bleu cherchant à exister, trouver un arbre à passion et semer, l’écorce aux lèvres, le poème qui ne fera pas de vertes feuilles, dans le temps des rocades post-industrielles, des machines à écrire anciennes éclatées sur les décharges.
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Les barres des banlieues répétées quinconces sales sans cases de sortie, la dingue seringue au caillot de néant craquant sous la sculpture du brodequin, le gravât défait de marelle pavillonnaire… Où écrabouiller d’encre la plume or d’une vie ?
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Derrière, comme écartant d’un geste de lâcher de tête, derrière, un au-delà ? Dans le no monde’s land happant l’air post-nucléaire, bouche à bouche avec l’échappement des fumées, comptant les bétons chus jusqu’à la poussière… Où vivre du compte-chèque de solitude, son talon d’Achille de sérénité déchiré de sa reliure de société ? Où vivre la drôle d’année sabbatique du poème ?
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Le bleu du moi dans la rage, dans les traînées de sans rencontre… Vieilleries semi-urbaines du paysage, cubes gris de dieux et d’hommes dans la pourrissure… La nuit en plein jour de pluie, la sortie de ville sans Massif central encore, sans hauteur d’alpe : dans le sang animé de rouge du voyageur, le vent de fureur, l’avalanche taurine, la plus légère montagne de mots.
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Entré, résolument, dans la lisière nivale du jour, ayant cru, on ne peut plus faussement, plus en deçà qu’hier, que le jour était une réponse métaphysique essentielle, je marche avec mon sac à dos de mondes ruinés, la vigueur rebelle au long du corps, celle des jambes et des pensées, sur l’espace aux déchets de plastique. Odeurs, volumes, couleurs et sons semi industriels, ne serait-ce qu’en abord de neige dure la buée du souffle…
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Ligne ivoire du soleil avant midi sur la perspective haute tension d’une plaine à pylônes, les bras animés du mouvement de la marche, un homme qui a avalé les hommes de travers, pour quelques minutes à l’unisson des planètes qui jouent avec lui d’un imprévisible flipper dans le temps cosmique des dieux gelés.
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Jour, près de la toute lumière et cendre anthracite, derrière les panneaux publicitaires éclairés de côté, je te parle comme un homme qui a foi dans l’ange du lyrisme, un homme qui a pourtant depuis longtemps avalé la poésie de travers, et joue des coudes au travers des épanchements convenus et mièvres, des métaphores désertiques, leurs vers muets, pour avancer dans son chemin terreux du poème.
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Dehors, Toujours en dehors de quelque chose, en désaccord avec des fragments naturels et humains du monde, avec les éclaboussures du banal tragique sur le monde… Bric et broc des champs et des villes, le médiocre sommet du moi monté à l’écart de la plate autoroute, les secondes inégales continues des véhicules sur la flèche de l’espace moi-temps… Un mouvement de bassin derrière le talus : ciel ouvert et bousculé de gris, terre de sentes et d’obstacles, en l’accord.
*** Matin, labourant des genoux la courbe terrestre comme si après trois siècles des Lumières l’homme avait allumé la mèche du globe, sur le roide plateau de Millevaches, le café bien loin, je veux casser la glace pour boire, pour exister à la proximité immédiate de la géologie, du gel, de l’eau et du boire.
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Par la vallée de la Maulde, immersion dans le sans lumière rauque d’une fin d’après-midi, couleurs cuivres et rousseurs des bois chaotiques et interminés, un homme descend, un homme affamé de mondes, avec son feulement tranquille de loup, le long des strates animées du temps.
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Ecrire, une seule phrase libre, sous l’amorce d’une montagne, j’aimerais pour m’envoler en mots vivants… Cassant la larmoyante musiquette à remontoir du piteux poète, chantant faux dans la fureur hirsute, la douce inspirée, trouvant des nids de coléoptères prêts à l’envol doré sur le chantier de l’autoroute lyrique et bleutée.
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M’en allant, je cherche et crois toucher comme une narrativité orphique du poème, comme l’haleine aubépine des nuées, sous le ciel cocaïne : l’haleine imbuvable des dieux morts de terre ou ma seule respiration de sang et de cervelle ?
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Traînant ma viande sur la terre, au lieu de vivre sur écran télé reflété gris, le creux d’estomac chassant le restaurant de village qui ne sert pas du vent, à peine une trace de spirituelle nourriture sur le tranquille tablier de boucher de l’époque.
Sankt Gertraud / San Gertrude, Südtirol / Trentino Alto-Adige.
Photo : T. Guinhut.
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Une rue de crépi sans montagne au bout. Un quidam âgé d’humanité en veston, parfois, sur les chaos du Massif central. Qu’est-ce qu’on peut faire dans un bled pareil ? Est-ce vivant comme la poussière en feuilles dans une bibliothèque a goût de cerisier sauvage, de femme, de sa cuisse et de sa bouche, comme peut-être encore jeune le monde ?
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Sur un plateau violet (l’âge des bruyères) aucune définition autre qu’un court lointain, approche et mur de la pluie. Je pisse contre une saute d’humeur du vent, contre l’odeur des tanneries du bas-Limousin. le pantalon humide et plaqué sur la cuisse, j’avance, m’empoignant avec le souffle soleil qui fait aux nuées des jambes d’ange illusoire, pour scruter ce que je fais là.
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Quoi, dans la contemporain, j’irais flirter et me rouler dans le moi du poème, dans ses phrases-mots trop belles et sans réels, dans ses vieilles images à bousiller, dans sa quasi-narration délinquante ? J’irais me griser dans des boues de demi-montagnes et trouver un noisetier d’exode pour ma respiration sonore, sans fuir le contemporain ?
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Plus loin, une zone de montagnes basses en Creuse. Quand sentir la hauteur ? Quand sentir les chaos qui élèvent, les eaux qui rabotent, les vents qui secouent et lissent et neigent ? Quand sentir sur les pelouses arbustives le grondement des dieux écroulés en tas ?
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Un bureau d’esprit sur la montagne, des temps se télescopent, des mois de poème et de terre fermentent et pourrissent aussitôt pour l’éclair senti pensé du moi… Irais-je croire au poème, au puits de mine du rêve dans les cadavres secs des hommes et des dieux ? Un dépit de moi et du monde sur la montagne en Creuse, un dépit de l’esprit… Un reste sec de neige dans la buée de la vue…
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Mais cette angoisse dans le temps, trouvant sans cesse le cherchant, elle est dynamique… Marche de nuit sans voir le pourquoi de l’univers, Au-dessus de l’électrique tableau à vivre en Creuse , sentier de loin vers luisants, de lune étoiles entre les nuages, d’ici je ne vois pas l’empreinte de pied sur son cratère… Comme joyeux au rythme des pas sur le monde.
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Heinz M., tu écris de la poésie au lieu de vivre, au lieu de travailler au monde. Tu te retires dans des vieux coins de Corrèze et de Creuse sans pouvoir brancher ton traitement de texte. Tu écris de la poésie de défonce à la main comme du plain chant agité dans une retraite comme le vieux mort demain fait un jardin de légumes et de dahlias sous la pluie, de laurier sauce trempé avec son chapeau de toile sale, aussi sale qu’un homme d’hier à jeter.
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Une chenille crevée en Haute-Loire qui ne deviendra même pas papillon… Ou papillon de poème dans le moi, les ailes au soleil de l’illusion, entre deux noirs d’averse et de neige mouillée… Est-ce l’éclair humide du poème, son pétard mouillé ?
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Un instant de trouée, Sous le plein branchu d’un plateau… Le vent vif de solitude jouant des cordes sur la falaise, la rivière couleur de lait des mères vers la source, le soleil blessure rouge blessure caillée vers l’aval, tranquille.
*** A peine des montagnes, des forêts sans besoin d’homme au lieu du monde, au lieu du contemporain. Et tu joues sur le monde ton petit clavier bien intempéré, l’artiste d’une autre regard sur l’harmonie à tête de cochon. La mousse humide et verte sur un tronc de sous-bois noir au lieu de l’humide et vif regard de la joue, lèvre et cheveux du féminin.
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Ce dos neigeux de bois de Cantal, ce moi éclatant de givre et le sang d’une mésange frais tuée… Que faire du bavard qui comprend les crimes de la gent ailée (anges et rapaces) et pas ceux des hommes, entre eux et sur leur terre ?
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Qui es-tu monde ? Quand pas un dieu n’a planté ce carré de forêt tombé au cri des tronçonneuses quand le contreplaqué gémit sous les télés aphones. Poète efflanqué loup solitaire, pas une miette de pain dur totalitaire pour ta gueule inutile pour ta langue tempête et passion. D’une pousse de noisetier libre Ferais-je ma sérénité haydnienne, Ma paix classique ?
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Sans doute, dans le contemporain, Orphée s’est tué en quittant la route du poème… On écrase les corps imaginaires des Muses sous les pneus à sculptures du réalisme… Et je croirais les ressusciter avec des mots ? Sous mes yeux et leurs ailes, l’avalancheuse banlieue de Clermont. Le volcan éteint des pentes qui ne s’éveillerait que pour la mort.
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Soudain, chaman de fiction, homme à la baguette en bois de poème, je suscite ce qui n’a jamais été, ce qui est par la langue : l’arbre insoupçonné du printemps, le coup d’aile opalin du ramier dans l’air, le bonheur échangé de mot en mot, l’œil aux couleurs du monde, le monde aux couleurs d’Aphrodite… Ces boues fermentées splendides, ces boues de l’idéalisation, ce réel auparavant invisible…
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Comme entrevue dans une rue d’Aurillac, la déesse aux fesses grecques, l’onde des cheveux dans le dos, l’essence de narcisse du plaisir qui a chair de sexe et duvet d’esprit… Comme le rêve à mains réelles par le poète, la rue vide, une montagne au bout.
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Avec ton lourd sac à dos de mythologies, sais-tu voir, Heinz M., l’écrou tombé sur la route, et qui ferait tenir le contemporain, le vélo déglingué poussé à la main du grand père dans la côte, ou le blanc montagneux dont une eau brille encore dans un fossé d’herbe drue ?
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Faut-il rentrer chez les hommes pour exister ? Ou s’éreinter sur les chemins désertés du monde comme au détour d’un puy boisé du Forez, sous le vent boueux, le ciel nu aiguisant la tête, les flaques en train de geler, les pieds de s’échauffer sous la laine et le cuir, la poitrine raboteuse et vide de présences aimées…
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Quand l’inquiétude du poème cessera-t-elle ? De ta vieille eau polluée de vers je ne veux plus pour croupir, sinon pour m’abattre comme la queue humide de truite dans le splash de l’eau-rivière. Voulant écrire pourtant le poème du contemporain, le déconnecté poème rêveur, le décohérent poème… Marquer un instant d’air et de moi, matière et couleur volatile, comme sous la baguette d’or d’un portrait de jeune femme ancien.
(...)
Ein Jahr im Leben des Heinz M.
Einmal mehr kotz ich das Gedicht aus, dem ich widerwillig nachgegeben hatte… Sirenen der Anmut Nutten der Anmut, (lyrisch-elegisches Schnarchen der Verse), ich dreh euch langsam denn Hals um. Und dennoch, könnte ich, Heinz M., den leben ohne das Gedicht, im Zeitgeist…
*** Scheiße und sonstwas aufs Gedicht, Gedicht von süßem süßem Klang… Sich ernähren und entleeren, ist das Gedicht? Unterm Wind stehend scheien, auf dem Lande ums fetttriefende Hoch-Wien und sich zuletzt ein deutsches Bier reinsaugen in eine Granitdorf schafft mir das Sinn genug, Licht genug?
*** Ich muss mit dir brechen, zu junger, zu alter Hölderlin, die auf die Frese spucken, wenn’s sein muss, und andernort, wo du nicht sein kannst, mein Sprache sprechen.
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.