Monasterio de Villanova, Cangas de Onis, Asturias.
Photo : T. Guinhut.
William T. Vollmann,
écrivain monstrueux et ogresque :
La Famille royale,
Guerre et paix en Central Europe.
Le Grand partout, Les Fusils
& Les Dernières nouvelles.
William T.Vollmann : La Famille royale, traduit de l'anglais (États-Unis) par Claro,
Actes Sud, 2004, 944 p, 30 € ;
William T.Vollmann : Le Grand partout, traduit par Clément Baude,
Actes Sud, 256 p, 2011, 22 €.
William T. Vollmann : Les Fusils, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claro,
Le Cherche Midi, 2006, 416 p, 21 €.
William T. Vollmann : Central Europe, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claro,
Actes Sud, 2007, 928 p, 29,80 €.
William T.Vollmann : Décentrer la terre, traduit par Bernard Hoepffner et Catherine Goffaux,
Tristram, 2007, 320 p, 23 €.
William T. Vollmann : Dernières nouvelles et autres nouvelles,
traduit par Pierre Demarty, Actes Sud, 2021, 894 p, 28 €.
Dans le monstrueux : voilà le territoire où aime œuvrer l'Américain William T. Vollmann. Outre un monumental essai de 4000 pages sur la violence, inédit en français, son roman le plus remarqué, La Famille royale, faisait 940 grandes pages bien tassées. Ecrivant une épopée de la prostitution, La Famille royale, il dressait une fresque impressionnante des bas-fonds, de leurs horreurs et splendeurs méconnues. Devant une telle ambition, les esprits chagrins lui reprocheront sa propension à une ampleur pas toujours nécessaire, comme dans son omnivore Central Europe. Autre roman cette fois glacial, Les Fusils, quoique d’une taille plus supportable, n’échappera pas à ce reproche de longueurs parfois étirées… Mais force est de constater que le titanisme d'un tel écrivain ogresque, jusque dans ses nouvelles agitées de monstres, mérite le respect.
Car William T. Vollmann (né en 1959) fait Sept Rêves, « histoire symbolique du continent américain en sept volumes» dont quatre sont aujourd’hui publiés, parmi lesquels une Vraie histoire de Pocahontas et du Capitaine Smith, puis Les Fusils qui, quoique le sixième, est le seul à être soumis à la sagacité du lecteur français.
À travers deux explorateurs à un siècle et demi de distance, Vollmann écrit l’histoire du grand nord canadien au travers d’éprouvants voyages polaires. La dimension historique est certes ici présente, avec le récit de l’exploration du fameux « Passage du Nord-Ouest » entre glaces et îles du grand nord canadien par le capitaine sir John Franklin, qui, à partir de 1845, lui coûta la vie, avec tout son équipage. Comme vu de l’intérieur de l’expédition, c’est un roman dans le roman qui entretient une relation onirique avec l’odyssée de celui que l’on sent être l’alter ego de l’auteur. En effet, parallèlement, dans les dernières années du XX° siècle, Subzéro, « jumeau » du précédent, et dont le nom est bien sûr tout un programme, reparcourt ces territoires lacunaires et blancs, à la recherche de cette mémoire, et de celles des peuples épars sur ces terres arctiques. Comme son mentor, il rencontre Reepah, une amérindienne « au cœur magnifique » : s’unir à elle par amour, c’est pour lui s’unir totalement à ce territoire, à ses habitants.
À l’instar du peuple prostitué de La Famille royale, ce sont ici des populations délaissées, souvent méprisées, qui tentent de survivre, malgré la dégradation de leur milieu à cause du réchauffement climatique, de l’exploitation des ressources et de la contamination par le mode de vie occidental : « Les crêtes des toundras étaient transmuées par l’agencement miraculeux des bulldozers en buttes de terre, et les animaux devenaient de la viande. » Vollmann, « s’interrogeant sur les qualités morales des fusils », voit en effet dans l’irruption des objets et des technologies la cause des évolutions, voire des bouleversements des cultures. C’est ainsi que les Inuits regardent les fusils « teindre la glace de sang ». L’auteur cependant a garde de ne pas accuser l’instrument de tous les maux, dans un monde où les déplacements de populations par le gouvernement canadien sont discutables, où il fait faim, dans un froid polaire, qui est aussi trop souvent celui du cœur. L’un des moments les plus impressionnants est peut-être le séjour solitaire dans une station abandonnée, par moins quarante. Le fusil ne peut rien contre le pouvoir de la glace…
Subzéro partant pour une quête du froid, une quête de soi et de l’autre, Vollmann a-t-il voulu écrire, quoique avec une modestie qu’on attendait peu de sa part, avec une langue sobre, des personnages pleins d’humilité, son Moby Dick bardé de citations? Roman historique, encyclopédique et d’aventure, déploration d’une culture menacée, Les Fusils est tout cela à la fois. Les Inuits en voie d’acculturation n’échappent ni à la plume investigatrice, ni à la sensibilité de Vollmann qui écrit par fragments, comme pour marquer les étapes d’un journal de navigation ou de marche parmi la toundra. Il laisse ainsi respirer l’espace entre réalité et imaginaire, entre constat politique engagé et fiction. Sans compter les croquis, personnages, cartes et paysages, comme saisis sur le vif du froid, qui ajoutent au livre une dimension plastique et poétique bienvenue.
En deux livres complémentaires, William T. Vollmann extrait des bas-fonds de San Francisco et des Etats-Unis une matière humaine aussi sordide que lumineuse, qu’il s’agisse de l’inframonde de la prostitution ou de celui des hobos. Un récit en forme de reportage côtoie un vaste et ambitieux massif romanesque.Tout écrivain des États-Unis qui se respecte doit un jour écrire son Grand Roman Américain. Prendre en écharpe son continent, ses générations, lorsque Franzen radiographie une famille dans Les Corrections et dans Freedom, ou pour prendre des exemples plus encore convaincants : JR de Gaddis et Contre-jour de Pynchon... Comme dans son grand roman européen, Central Europe où il aborda l’Histoire par la face cachée de ces dirigeants, de ses artistes et poètes, dans le millier de pages de La Famille royale Vollmann pervertit le genre en dénonçant un modèle social et familial, puis en explorant un sous-royaume inquiétant, revanche, geôle et refuge de ce « club des perdants » qui s'échine à l'ombre de la brillante machine économique.
John, financier en phase de réussite, a une femme d'origine coréenne qui fascine et attendrit celui qui porte« la Marque de Caïn » : Tyler, « vieil enfant » et détective privé miteux. Ne convoite-t-il pas, mais avec la complicité romantique requise, l'Irène de son frère, malheureuse en ménage et pure, opposée aux milles putains parmi lesquelles il poursuit une enquête sordide. Sa dantesque descente aux égouts et enfers de San Francisco prendra une direction inattendue, lorsque le mystérieux suicide de son « ange», signant l'échec de l'immigration et de l'adaptation, l'aura laissé sur la rive froide de la vie. Bientôt amoureux d'Africa, la « Reine des Putes », il choisira de rallier la « famille royale » et sa « colonie d'insectes ».
Mais c'est par Brady, caricature infâme du capitalisme, que Tyler est payé. Ce commanditaire, brutal et raciste, monte à Las Vegas un marché aux filles « virtuel », le « Feminine circus », où elles sont achetées, baisées, parfois torturées, tuées, et pour lequel il convoite la « Reine des Putes ». « Tout le monde fait comme si ce n'était pas réel » fait remarquer Tyler. Les handicapées mentales, fort prisées, sont-elles de cet avis ? C'est ainsi que le mal irrigue les rapports humains, qu'une Reine violente et outragée remplace l'autre. Comment s'opposer aux sbires du Roi Dollar ? Quant à savoir, selon la citation de Sade placée en épigraphe, si « c'est la multitude de lois qui est la cause de cette multitude de crimes », cela reste très discutable... D’autant que le manichéisme de Vollmann peut paraître fort simpliste : riches pourris contre pauvres radieux rejetés dans les bas-fonds.
Ainsi, pitoyables, parfois affreuses, bourrées de crack et de cicatrices, violées et victimes d'avortements, les prostituées, ces « travailleuses buccales ou vaginales » pourtant capables de générosité d'âme, sont décrites avec lyrisme, avec une incroyable tendresse et humanité, dans le cadre d’une fresque baroque. Y compris le répugnant pédophile affilié à ce FBI auquel il apporte son concours pour piéger bien pire que lui. Quant aux « Vigs », ces membres des comités de vigilance, leur intransigeance morale n'est-elle pas pire, leur violence plus intimement affiliée à ce mal qui est en fait le partage de l'homme ? Tous sont en effet « sortis déjà corrompus de la matrice ». Irène même est-elle indemne de cette contamination par le syndrome de Caïn ? La déréliction emporte tout dans son flot : « il devrait y avoir un sens » ou une « histoire », mais l'on ne trouve « que des crottes de rat. »
Le substrat mythique, biblique, la narration du voyage labyrinthique de cercle en cercle parmi l'enfer américain, l'étourdissante profondeur et richesse stylistique font de La Famille royale un roman picaresque et de mœurs incontournable. Même agaçant souvent la patience du lecteur, les longueurs (Vollmann dut consentir une ponction sur ses droits d'auteur pour les maintenir) n'obèrent pas la fascination de qui s'engage dans le parcours initiatique, dans l'odyssée brisée d'un Tyler finalement ravalé au rang des « hobos », ces vagabonds faméliques des « errances ferroviaires ».
Ces hobos sont pourtant les héros du plus modeste récit qu’est Le Grand partout, rafraichissante épopée des simples et clochards, des amoureux de la vastitude américaine qui voyagent gratis en se cachant dans les trains de marchandises. Dans le cadre de ses voyages, Vollmann, qui agrège ici reportage, confession et descriptions paysagères lyriques, n’est guère ami de la légalité : la « resquille » est le pain quotidien d’un sport, d’une éthique et d’une liberté, en-dehors de ceux des « citoyens ».
Dans la tradition de Thoreau, London et Kerouac, auteurs fétiches qu’il rappelle abondamment, Vollman n’est pas loin d’écrire le « conte de fées » des vagabonds transcontinentaux : « il se peut que j’aie transformé une sale réalité en un monde légendaire ». Même s’ils font profession de « ne jamais rien voler d’autre qu’un voyage », l’auteur et son ami et complice, Steve, qui se font hobos le temps d’une évasion, d’un reportage, tout en conservant le confort de pouvoir rentrer chez soi en avion, ne sont pas loin d’idéaliser leurs discrets compères, pourtant non à l’abri de la délinquance et de la violence. C’est néanmoins avec la plus grande humanité que l’essayiste et narrateur se penche sur ces « hommes qui sont du côté abimé de la vie », qui bourlinguent parmi les marges ingrates des réussites et des déboires de l’immense économie américaine.
Une dimension mystique et métaphysique imprègne ce petit livre, avec des interrogations telles que le « Qui suis-je ? », ou les allusions au poème Montagne froide du chinois Han Shan[1]… Ainsi, entre gare de triages et voies aléatoires, de la Californie aux Rocheuses, en passant par les grandes plaines, il s’agit de partir, qu’importe la destination, vers « le territoire du N’importe Où », avec pour viatique la « Vénus Diesel », graffiti récurent parmi les wagons, fantasme dont la réalisation est « aussi rare qu’une licorne, plus précieuse que la pierre philosophale ».
Rien de gratuit chez Vollmann, aucune fausse sentimentalité, son réalisme sans fard est cependant traversé d'impossibles aspirations lumineuses, comme lorsque le détective de La Famille royale, poursuivant la fibre du mal, tel Ismael cherchant Moby Dick, monte dans la librairie City Lights pour un moment d'ingénieuse contemplation des livres et des toits... À la hauteur de Pynchon, autre grand fondateur de quêtes postmodernes, les monstruosités littéraires et les plus humbles chroniques, séductrices, édifiantes et cruelles, mais aussi compatissantes de Vollmann plongent tête baissée autant sous le versant glauque de la réussite américaine que dans l'intimité de la nature humaine.
Une fois de plus Vollmann est prolixe avec son Central Europe. Hamburger un peu lourd aux cent couches de viande et de pain, ce roman destiné aux appétits pantagruéliques est cependant l’un des aliments littéraires les plus roboratifs qui soient. Le massif alpin allait-il accoucher d’une demie souris ? En effet, proposer du même coup Hitler et Staline, les plus grands totalitarismes du vingtième siècle et de surcroît la question de l’art pouvait paraître risqué. Car au cœur des totalitarismes du XX° siècle, les caresses symphoniques et amoureuses se répondent autour du compositeur Chostakovitch.
Central Europe est à la fois une histoire de la violence européenne et d’un parcours d’une des plus grandes aventures artistiques du siècle : celle du compositeur soviétique Dimitri Chostakovitch, mais aussi de ses femmes, de celles de Staline, de Fanny Kaplan, qui tenta d’assassiner Lénine, d’Akhmatova la poétesse… On rencontre également un cinéaste, Roman Karmen, qui filma la libération du camp de concentration de Majdanek, les généraux Vasslov et Paulus, tous chapeautés par le « somnambule » (Hitler) et le « réaliste » (Staline). Malgré le foisonnement d’acteurs et de figurants, cet immense opus est basé sur « l’équation morale entre le stalinisme et l’hitlérisme » et sur « un triangle amoureux imaginaire » : la bisexuelle Elena, son mari Karmen et son amant Chostakovitch, ce « béni-oui-oui », qui est peut-être le personnage le plus fouillé. On devine que la fresque est agitée de main de maître par un grand orchestrateur : Vollmann lui-même, qui fait de Chostakovitch son double en proie à la nécessité de construire et conduire son œuvre parmi les écueils politiques et meurtriers du stalinisme, sans déchoir devant lui-même. C’est en quelque sorte ce perpétuel débat éthique entre l’art et la collaboration avec les puissances totalitaires, rouges ou brunes. Le « monde sous les touches du piano » contre le monde où les hommes sont broyés… Des symphonies à « la dimension épique et panoramique » peuvent-elles racheter l’Histoire ?
Qui est le narrateur omniscient? Officier du régime stalinien, il est lui aussi sensible à la beauté d’Elena, qu’il a pourtant arrêtée. Ce digne espion communiste, ce manipulateur et tueur expéditif, sans doute ni remord, n’ignore rien des individus, de leurs talents politiques, militaires, scientifiques et artistiques, y compris leurs amours, peurs et dissidences plus ou moins assumées. Mais il est de surcroît un officier allemand qui jette avec Heidegger les livres de Freud dans le brasier, puis assiste aux premiers vols à réaction préparant les V2. Cette bicéphalie, qui est une trouvaille, fait du narrateur doué d’ubiquité un monstre terrible et fascinant, comme une sorte d’entité secrète et partout répandue du totalitarisme.
Rejetons nos appréhensions. On ne s’ennuie pas un instant dans cette immense polyphonie. Entre le choc des armes et des idéologies, les caresses des notes et des corps amoureux nous offrent les superbes pages lyriques que sont ces correspondances musicales et érotiques lorsqu’Elena est à l’origine de l’opus 40 de Chostakovitch.
Outre un monumental essai de 4000 pages sur la violence[1], William T. Vollmann (né en 1959) continue la production de Sept Rêves, « histoire symbolique du continent américain en sept volumes », dont nous connaissons Les Fusils[2], sans compter les 940 pages de La Famille royale, deux beaux livres, quoique pas aussi continuellement passionnants que ce Central Europe… Touche à tout, il ne crée pas seulement un monde, mais un cosmos littéraire, atouur duquel gravitent les Others stories, pas encore traduites. On n’en aura pour preuve que sa contribution à l’histoire des sciences lorsqu’il produit son Décentrer la terre, sur « Copernic et les révolutions des sphères célestes ». On comprendra qu’il s’agit là d’un véritable démiurge littéraire, d’une encyclopédiste faustien en ordre de bataille romanesque qui a su écrire son Guerre et paix, dans lequel les temps de paix sont plus brefs et plus menacés que ceux de Tolstoï : ce sont ceux de l’art et de l’amour.
Les immenses proportions sont une marque de fabrique de William T. Vollmann. Huit volumes pour une Histoire de la violence en 4000 pages, un roman de 944 pages au service de La Famille royale, un autre légèrement plus ramassé, avec ses 928 pages : Central Europe. Les destins des déclassés et des continents y sont balayés avec une puissance redoutable. Nouvelliste torrentiel, William T. Vollmann glisse du réalisme à la déferlante du surnaturel. Ogresque toujours, malgré le format plus modeste de la nouvelle, il ne peut moins faire qu’offrir trente-trois d’entre elles, dont certaines feraient office pour des auteurs plus anorexiques de brefs romans.
Que l’on ne se décourage pas ; au contraire ! Mais à condition d’aimer frémir, d’adorer la peur et ses monstres effroyables. Car, en ce « mur de souffrance », tombes et fantômes sont les motifs récurrents et les accélérateurs de fictions fantastiques. Pourtant les premières nouvelles restent assez platement réalistes, comme la mort de deux amants sur un pont de Sarajevo et des personnages « à l’affut des obus ». L’on glisse vers le roman historique avec « Le trésor de Jovo Cirtovich », commerçant et navigateur de Trieste au XVIII° siècle. Bientôt l’interrogation fantastique vient hanter un enfant « haïsseur de madones » : ce dernier lui ayant jeté une brique l’a fait pleurer du sang, aussi l’homme qu’il est devenu la craint toujours, lui doit, en fonction de son comportement, sa guérison ou son mal. À Trieste encore, où apparait la peintre Léonor Fini, où les statues bondissent de leur bloc de marbre, y compris celle de James Joyce, Rosseti rencontre une « Déesse chatte ». Le monde du réel est de plus en plus subverti par l’irruption du surnaturel. Ainsi le nouvelliste observe une progression calculée, non seulement thématique mais dans la beauté stylistique.
Les choses empirent avec « Le Fantôme des Tranchées » qui ambitionne de « devenir général », en un conte guerrier, morbide et baroque, entre archéologie romaine et « conquête du mal » ! Plus loin, une « Epouse fidèle » connut la boue du sépulcre, cette « salle de torture ou tuer les morts ». Or la « défunte et sensuelle » vampiresse que « la tombe a vomie », continue à rendre son mari fort amoureux, quoique bien vite aux prises avec l’Inquisition. En réchapper, fuir, une boite funèbre pour bagage, permettent au couple nocturne de prospérer à Trieste : elle confectionnant des robes divines, lui la protégeant du monde et du jour qui risquent de la pourrir…
Le goût amer des amours maléfiques parcourt le monde, y compris au Mexique, entre fantôme de la Malinche et « main de squelette », jusqu’en Norvège, où s’agitent les « trollesses, dévoreuses de cadavres à la pelisse de boue ». Morbidité et sorcellerie sont en effet universelles. Au Japon, d’où viennent les « esprits-renards », le « fantôme du cerisier » fait affreusement merveille. Le superbe et élégiaque « fantôme photographique » laisse le lecteur perplexe face à la disparition d’appareils obsolètes et de leurs pellicules : un spectre les ranime afin que les êtres soient « sauvés pour l’éternité », malgré l’emprise de démons jumeaux. Ailleurs l’on succombe au « Banquet de la mort », en imaginant de condamner cette dernière à disparaître pour toujours.
L’exercice de style, renouvelant les thématiques et les géographies du fantastique, est brillant. La prose du nouvelliste sait rendre suaves les créatures maladives et répugnantes, brûlantes d’érotisme celles qui fricotent avec un au-delà morbide. Dans la tradition du roman gothique et du romantisme noir, qui va du Moine de Lewis, en passant par Frankenstein de Mary Shelley, les contes d’Edgar Poe et de Lovecraft, jusqu’aux terreurs de Stephen King, William T. Vollmann, qui prétend à son acmé littéraire publier ici son « dernier livre », fait ses gammes avec un sens affuté de l’horreur succulente.
Thierry Guinhut
À partir d'articles publiés dans Le Matricule des Anges,
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.