Retablo de San Pedro y Santa Maria de Olite, Navarra.
Photo : T. Guinhut.
Existence, inexistence de Dieu,
voire nécessité de la religion.
Fénelon, Sébastien Faure, Alain Nadaud,
Rémi Brague, Hartmut Rosa,
Marc-Antoine Mathieu & Lambert Schlechter.
Fénelon : Traité de l’existence et des attributs de Dieu, Œuvres, I, Lebel, 1820, 472 p.
Sébastien Faure : Douze preuves de l’inexistence de Dieu, L’Herne, 2018, 72 p, 6,50 €.
Alain Nadaud : Dieu est une fiction, Serge Safran, 2014, 288 p, 19 €.
Rémi Brague : À chacun selon ses besoins, Flammarion, 2023, 224 p, 20 €.
Hartmut Rosa : Pourquoi la démocratie a besoin de la religion,
traduit de l’allemand par Isis von Plato, La Découverte, 2023, 80 p, 15 €.
Marc-Antoine Mathieu : Dieu en personne, Delcourt, 2009, 128 p, 17,95 €.
Lambert Schlechter : Fragments du journal intime de Dieu,
L’Herbe qui tremble, 2023, 82 p, 16 €.
Si le sentiment religieux est un phénomène universel, il existe des religions sans dieu, tel le bouddhisme, donc athées, sans compter celles polythéistes. Mieux - ou pire diront les détracteurs - l’agnosticisme évacue toute religiosité. Avons-nous cependant besoin de religion ? Depuis que tant d’autorités du monothéisme sont persuadées de l’existence de Dieu, selon Fénélon, ou de son inexistence, selon Sébastien Faure, la question n’est pas prête d’être tranchée, quoique Dieu puisse bien être une fiction, comme l’affirme Alain Nadaud. Pourtant, à rebours des naïfs qui ne croient que par habitude culturelle, voire conditionnement, à rebours des férus d’athéisme, deux philosophes prétendent combien Dieu permet la liberté humaine, pour Rémi Brague, et combien, pour Hartmut Rosa, elle est nécessaire dans le cadre de la démocratie ; mais à condition de ne pas se tromper de religion. Théologique et philosophique encore peuvent-être la bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu qui exhibe « Dieu en personne », et le journal intime, selon Lambert Schlechter, de cette créature qui n’a pas fini de défier notre imagination, sans compter les perles et les bourdes de l’argutie.
Malgré les efforts des Pères de l’Eglise accumulant les preuves de l’existence de Dieu, qu’elles soient tirées de la métaphysique, de l’imperfection de l’être humain, de l’idée que nous avons de l’être nécessaire et de l’infini, comme le postula au XVII° siècle Fénelon[1], alors que d’autres n’ont pas manqué de lister celles de son inexistence, comme en 1908 le libertaire Sébastien Faure[2], la question n’est guère tranchée.
Pourtant François Salignac de la Motte-Fénelon, fameux auteur des Aventures de Télémaque et théologien du XVII° siècle français, archevêque de Cambrai, accumule les preuves irréfutables, du moins le prétend-il, en son Traité de l’existence et des attributs de Dieu. « Ainsi vivent les hommes. Tout leur présente Dieu et ils ne le voient nulle part ». Or le spectacle de la nature et la présence splendide de l’univers suffisent à deviner son auteur. La structure du corps humain et de son intellect n’échappent pas à cette nécessité. Dieu se manifeste autant dans l’infini que dans l’idée. Bien entendu, Fénélon se pique de réfuter le spinozisme, au nom d’un immuable infini originel. Car selon Spinoza, si la Nature est Dieu, toute croyance en un Dieu surnaturel ou transcendant est exclue ; en ce sens cet athéisme oppose à la conception transcendante du divin une philosophie matérialisme de l’immanence. Faut-il y voir l’une des prémisses du « Dieu est mort » nietzschéen ?
Notre édition en 22 volumes des Œuvres de Fénelon orthographiant par erreur la pièce de titre du premier volume « Éxistance de Dieu », faut-il y voir ignorance crasse du doreur et du relieur, ou une dommageable ironie…
En contrepartie, l’implacable anarchiste Sébastien Faure liste en 1908 Douze preuves de l’inexistence de Dieu. Outre l’absence d’universalité du Dieu unique, face aux religions polythéistes ou sans dieu aucun comme le bouddhisme, aucune certitude scientifique ne vient appuyer son existence. Parmi les arguments probants, voici « le Geste créateur est inadmissible », tant on ne peut créer à partir de rien. En conséquence « le pur Esprit ne peut avoir déterminé l’univers ». Il faut alors chasser les contradictions : « le Parfait ne peut produire l’imparfait ». Sans oublier que les motifs de la Création sont indiscernables, que Dieu n’est pas infiniment bon, puisque « l’Enfer l’atteste », le problème du Mal étant incompatible avec un Dieu infiniment bon. Si affirmatif que soit Sébastien Faure, les théologiens lui répondent par la nécessité du libre arbitre et de la responsabilité humaine…
Dieu est bien une fiction, comme l’assure avec fermeté Alain Nadaud[3], qui sait parfaitement que les dieux de toutes obédiences sont autant d’illusions que les démons du bouddhisme. Cette critique du religieux trouve son acmé dans un essai rigoureusement ordonné : Dieu est une fiction. Le sous-titre est parlant : « Essai sur les origines littéraires de la croyance ». Autrement dit, les textes sacrés ne sont écrits que de main d’homme, il est nécessaire et pertinent de leur appliquer une méthode de lecture critique et historique. Lire la Torah, la Bible, Les Métamorphoses d’Ovide et le Coran n’est rien d’autre que lire des romans, des poèmes et des propositions juridiques. La Théogonie d’Hésiode et les Evangiles sont des « œuvres d’imagination ». La seule chose qui les sépare est qu’à la première personne ne croit plus. Inventer des dieux « pour ne pas se désespérer de son sort » reste une activité honorable, si elle ne devient pas une tyrannie contre autrui, « au coût exorbitant de son asservissement, de la confiscation de sa liberté de pensée et d’agir ».
De là à en inférer que « le culte de la littérature ne faisait aujourd’hui que participer à la perpétuation de la croyance », il y a peut-être un pas qu’il ne fallait franchir qu’avec précaution : aimer les textes ne signifie pas croire aveuglement en la réalité de leurs personnages et en l’autorité irréfragable de leurs maximes…
L’essai d’Alain Nadaud, Dieu est une fiction, dévêt les croyances de leurs voiles. Anthropomorphes, bouffis du besoin d’être adulés, capricieux et vengeurs sont trop souvent les dieux. Avec modestie, Alain Nadaud, qui ne prétend ni à la vérité, ni à l’exhaustivité, charge toutes, ou presque, les religions. L’animisme est conspué pour sa naïveté et son ridicule, malgré les qualités d’imagination et de fascination de ses conteurs inspirés. Les mythes n’ont plus qu’un statut littéraire, « projection splendide ou sordide des passions qui animent l’humanité ». Les prophéties bibliques sont des stratagèmes pour faire parler Dieu lui-même ; les prodiges d’un récit « à plusieurs mains », nourrissant l’exégèse juive, n’ont pas été retenus par les historiens, quoique flattant l’orgueil du « peuple élu », sans cesse frappé de déception. Le christianisme est plus universaliste, moins contraignant, il réussit à faire avaler une fiction risquée : Dieu s’incarne en un homme. Contribuant à la fin de l’esclavage et à la séparation des pouvoirs spirituel et temporel, le discours pacifiste des Evangiles ne sera pas toujours entendu, en tout cas pas à la hauteur du mystère de la Sainte-Trinité, « invention délirante et acrobatique », source de querelles, de schismes et d’hérésies. Quant au monothéisme de l’islam, il n’est qu’un outil politique et guerrier de conquête, assure-t-il, s’appuyant sur l’excellent historien Maxime Rodinson[4]. Le Coran n’a « aucun ordre logique », n’est qu’une incantation répétitive, obsessionnelle et autoritaire. Pillant la Torah dont Allah prétend être l’auteur, puis le personnage de Jésus, sans compter la bourde des « versets sataniques », il assure la tyrannie d’un dieu abstrait au moyen du « plagiat et de l’artifice littéraire ». Déçu par le recul des Juifs devant son chef-d’œuvre, Mahomet les vouera aux pires exécrations sanguinaires, tout en perpétuant une « brutale domination sexuelle » en moyen des vierges à disposition dans son paradis. Le Coran ne supporte guère la comparaison littéraire avec la Bible, Mahomet ne pouvant rivaliser avec une création d’un millénaire. La critique du style et de la composition du « texte acrimonieux et vindicatif » est sans indulgence. Pourtant sa persuasion presque planétaire est affolante, tant le besoin de haine et de meurtre anime le cœur de l’homme…
Quels que soient les dieux, ils n’apparaissent et ne s’imposent que dans et « par l’imaginaire des hommes » et au moyen de leurs clergés trop souvent impérialistes. Rendons cependant grâce à toutes ces religions pour les trésors d’art, de musique et de littérature, et aux Grecs de n’avoir été ni prosélytes ni fanatiques. Pourtant, le fanatisme et l’extrémisme sont des « raidissements » devant « la sourde perte de croyance ». Car comment comprendre que ces dieux ne se soient adressé qu’à quelques tribus, au lieu de la terre entière, sinon en démasquant leur fausseté. Ce qui surexciterait la susceptibilité des bras armé des dieux.
La lecture d’Alain Nadaud est aussi savante et informé que fluide, son argumentation raisonnée parait ne souffrir aucune contradiction. Y compris lorsqu’il démonte l’argument de l’intraduisible texte sacré, en arguant des traductions de Don Quichotte qui n’empêchent pas le vent du chef-d’œuvre. En revanche il n’est pas sûr que l’exégèse soit toujours un « gaspillage d’intelligence », si l’on sait que l’étude du Talmud vivifie l’intellect des Juifs, quand la récitation coranique abrutit celui des Musulmans. Car « le croyant défend bec et ongles son désir de soumission à une autorité qui pense pour lui ». Nous sommes alors bien loin de la devise des Lumières selon Kant : « Ose savoir ! »
Au-delà de cette soif de croire, ne reste au bout du compte, selon Alain Nadaud, qu’à trouver « une mystique de l’athéisme », oxymore peut-être affabulateur. La « lucidité » de l’athée le conduit à savoir que « l’homme est l’ultime horizon de lui-même », qu’il doit « aménager le vivre ensemble » et repousser la question du mal, imputé à Satan, vers l’humanité elle-même. La sagesse critique d’Alain Nadaud est évidemment de l’ordre d’un humanisme, sans qu’il soit nécessaire d’y aménager une place pour des dieux dangereux. Polémiste il conclue : « la religion est le trou noir de l’intelligence », ce que l’on peut trouver bien excessif… Il en appelle à une « spiritualité » de l’athéisme, recentrée sur « les activités artistiques […] l’amour d’une femme ou d’autrui ». Et pourquoi ne pas penser aux activités économiques au service de l’humanité ?
Au sortir de cet essai, efficace, roboratif, la pensée du lecteur ne peut que s’élever par-delà les hauteurs des mensonges décryptés des dieux, humains, trop humains. Pourquoi accordons-nous tant de prix à ces fictions que sont les dieux du tonnerre et du vent, Aphrodite ou Bouddha (quoiqu’il fût selon la légende plus exactement un homme), Christ ou Allah, sinon pour nous illusionner… À moins qu’ils soient le soupçon, l’appel de cette transcendance qui nous est consubstantielle et consolatoire.
Est-ce à dire qu’il faut rejeter les textes religieux ? S’il y a parmi eux de la sagesse et de la beauté humaines, certes non. S’ils sont fanatisme, obscurantisme et intolérance, voire appel à l’esclavage des femmes et au meurtre, on gagnera bien sûr à les ranger dans les bas rayons des mauvais documents, aux côtés de Mein Kampf et du Manifeste communiste, ces fictions dangereuses aux montagnes de morts conséquentes et bien réelles, à seule fin des historiens des mœurs.
Fénelon : Œuvres complètes, Lebel, 1820-1824.
Photo : T. Guinhut.
A contrario la sagacité du philosophe chrétien Rémi Brague s’exerce avec brio dans son essai intitulé À chacun selon ses besoins. Dieu a donné à chaque créature la capacité d’atteindre le bien et assurer sa survie, son développement, et aux hommes la capacité du jugement. La Providence devient ainsi intelligence et sagesse humaine. Or parmi sa « vie historique », l’homme semble parfois bien loin de Dieu. En fait, « la providence divine, quand elle a pour objet l’homme en tant que tel, doit culminer en une économie historique du salut par laquelle Dieu va chercher l’homme là où il est (p 203-204) ». En ce sens cette réflexion fouillée sur la providence se départit de la fatalité pour se consacrer à la liberté, pour affirmer me « libéralisme de Dieu » et la « finesse croissante du bien ». Est-ce un vœu pieux, une illusion, une téléologie nécessaire…
Reste que Rémi Brague ne se penche guère sur ceux que la nature n’a pas favorisés, handicapés mentaux et physiques, enfants cancéreux, et autres victimes de l’Histoire dont la liberté n’est pas avérée. Toutefois, notre philosophe chrétien fait preuve, non seulement de sa foi en Dieu, mais d’une revigorante foi en l’homme. Nourri de Saint-Thomas d’Aquin et d’une culture aussi précise qu’impressionnante, cet essai, sous-titré « Petit traité d’économie divine », mérite d’être considéré comme un stimulant pour l’humanité.
Le sociologue allemand Hartmut Rosa offre soudain un titre surprenant, voire paradoxal : Pourquoi la démocratie a besoin de la religion. Le christianisme ayant mauvaise presse pour son supposé obscurantisme, son archaïsme, voire la pédophilie de membres du clergé, il est étonnant de voir le penseur d’Aliénation et accélération[5] s’inquiéter de la perte de légitimité de la religion dans nos sociétés démocratiques.
Comme il est de mode et de cliché parmi nombre d’intellectuels, la critique du capitalisme consumériste et comptable de croissance effrénée sert de prémisse à l’argumentation. De même la crise des réfugiés devrait amener la civilisation occidentale à se remettre en question. C’est alors que, trésor culturel et moral, la religion doit, au travers de ses cathédrales par exemple, éveiller un émerveillement et une « résonance », pour reprendre l’un de ses précédents titres[6]. Elle « dispose d’éléments qui peuvent nous rappeler qu’un autre rapport au monde que celui visant la croissance et l’exploitation est possible ». La religiosité comme remède au capitalisme ! Ce capitalisme libéral qui rendit tant de service à l’humanité et auquel l’on ne sait pas rendre justice ! Certes dans une église « la disposition agressive disparait pour un moment ». Une « résonance verticale » avec le cosmos, une « communion » sont possibles au cœur de la pensée des trois monothéismes », ainsi que dans l’hindouisme et le bouddhisme.
La pensée d’Hartmut Rosa souffre de deux biais majeurs. Outre son anticapitalisme couplé avec des relents marxistes et une idéologie écologiste hyperbolique, il oublie, ou ne sait, combien l’islam est une religion politique antidémocratique et génocidaire. Rémi Brague a su, bien mieux, penser l’islam[7].
Tournons-nous - la chose étant assez rare pour être signalée - vers la bande dessinée philosophique. Car Marc-Antoine Mathieu prétend rencontrer « Dieu en personne », selon son titre à ne pas prendre trop au sérieux.
Tout commence par un recensement parmi une foule engoncée dans un couloir noir, dans on ne sait quelle société peu amène, voire sinistre. Quand un individu sans identité aucune se présente. Et s’il se prétend « Dieu », l’hilarité de la foule le conspue, bien qu’il consente à rire lui aussi. Le voilà interné, observé par un psychiatre, alors que le lecteur ne le voit que de dos. Brillantes, quoique « parfois si incongrues », sont ses réponses. Il se définit comme un « livre de sable », « le zéro », « le silence », « un nouveau-né ». Une intelligence hors-normes et « un savoir insondable » occupent plus de 99 pour cent des capacités de son cerveau, au point que ce Dieu puisse offrir le boson de Higgs aux physiciens, ce boson qui unifie la gravité et la mécanique quantique, ainsi que dénombrer instantanément les molécules d’une bibliothèque. Les prodiges se multipliant, une « disjonction métaphysique » conduit la cité à reconnaître Dieu ! Mais le monde restant inchangé, reproches et ressentiments s’accumulant, le gigantesque procès planétaire est inévitable. S’agira-t-il de « la victoire de la justice des hommes sur celle de Dieu » ?
L’on devine les commissions d’experts, théologiens, scientifiques, obscurantistes, cosmologues, et caetera. Existence, inexistence de Dieu, causalité, libre arbitre s’invitent inévitablement. Ce Dieu créateur et omniscient a-t-il laissé faire la nature et le monde des hommes ? En ce cas pourquoi ne change-t-il pas les choses ? Lui faut-il un logo, est-il libre de droits ? Celui « dont le facteur d’entropie est quasiment nul » voit sa côte de popularité menacée. Pourtant ses livres explosent les meilleures ventes, alors que le théâtre grandiose du procès prend la forme d’une subtile dispute philosophique. En contrepartie, un investisseur crée un parc à thème : « Le royaume de Dieu », dans lequel le visiteur se fait âme.
Peu à peu son visage se dévoile, vieilli, fait de particules en mouvement, ce en contraste avec la raideur hiératiques des lieux et des innombrables protagonistes interchangeables. L’on soupçonne un instant qu’il puisse se réincarner en enfant, avant qu’il disparaisse en avouant n’avoir jamais existé, n’avoir été qu’un acteur, dont l’omniscience n’était qu’un puissant « moteur de recherche »…
En ce génial canular - quoique - la satire de la crédulité ne cesse de gagner des points. L’ironie pointe de plus en plus le bout de son nez. Et si Dieu est mort, pour reprendre la formule nietzschéenne, l’on se sent projeté, lors de la fin du récit, au retour au point de départ, à l’éternel retour du même.
Le graphisme sec, la noirceur austère et intense, tout concourt à une ambiance angoissante, voire menaçante, en quelque sorte kafkaïenne, si l’on pense à l’auteur du Procès.
À quoi bon ajouter quelque page au déluge théologique ? Sinon pour s’en amuser, voire le réfuter d’un mot ? Poète singulier, Lambert Schlechter, dont nous avions fort apprécié l’opus monumental[8], est au plus près de Dieu, puisqu’il sait livrer quelques Fragments du journal intime de Dieu, roboratifs à plaisir.
Triste sort que celui qui ne connait pas la mort ! Que fait-il alors de son éternité ? Il lit les écrivains et les philosophes à une vitesse sidérale, vitupère contre « les exécrables athées », confie que pour façonner le sexe d’Adam ce fut un jeu d’enfant, mais que pour la vulve d’Eve il lui fallut « mille esquisses et brouillons, pour arriver finalement à ce chef-d’œuvre de raffinement ». Par la vertu du péché originel, il se sait « innocenté du mal ». Un brin d’auto-ironie ne nuit pas.
Voilà un Dieu, et un écrivain, que la naïveté devant l’islam n’aveugle pas : « Si la secte nazaréno-paulinienne m’avait énervé, la secte médino-mecquoise m’a exaspéré : déjà le monothéisme n’était pas si facile à gérer, avec ses ardeurs, sa terreur et sa combativité, - mais là il fut imprégné d’une ferveur nouvelle qui s’exprimait dans la vocifération, les discours d’exclusion et les menaces de mort, et que je te maudisse, et que je te flagelle, et que je t’ampute les mains, et que je te décapite ».
Ce n’est là qu’une poignée de « fragments » d’omniscience. Comment pourrait-il en être autrement face à l’infini ? Lambert Shlechter n’est-il pas une fois de plus un poète fort talentueux, voire génial…
Imposteur, simulacre, illusion consolatoire, Dieu peut paraître aux yeux de Rémi Brague absolument nécessaire, voire utile pour Hartmut Rosa. Cependant l’athéisme peut très bien s’en passer, car au regard d’Helvetius, philosophe des Lumières, plutôt qu’au moyen d’une religion susceptible de voir le fanatisme s’emparer d’elle, c’est « uniquement par de bonnes lois qu’on peut former des hommes vertueux[9] ».
Thierry Guinhut
Une vie d'écriture et de photographie
[1] Fénélon : Traité de l’existence et des attributs de Dieu, Œuvres, t I, J. A. Lebel, 1820.
[2] Sébastien Faure : Douze preuves de l’inexistence de Dieu, L’Herne, 2018.
[4] Maxime Rodinson : Mahomet, Points, 2013.
[5] Hartmut Rosa : Aliénation et accélération, La Découverte, 2014.
[6] Hartmut Rosa : Résonance. Une sociologie de la relation au monde, La Découverte, 2018.
[7] Voir : Eloge paradoxal du christianisme. Robert Redeker : L'Abolition de l'âme. Rémi Brague : Sur l'islam
[9] Helvétius : De l’esprit, Œuvres, I, 1781, p 261-262.
Retablo de San Pedro y Santa Maria de Olite, Navarra.
Photo : T. Guinhut.