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28 décembre 2023 4 28 /12 /décembre /2023 11:00

 

Retablo de San Pedro y Santa Maria de Olite, Navarra.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Existence, inexistence de Dieu,

voire nécessité de la religion.

 

Fénelon, Sébastien Faure, Alain Nadaud,

Rémi Brague, Hartmut Rosa,

Marc-Antoine Mathieu & Lambert Schlechter.

 

 

Fénelon : Traité de l’existence et des attributs de Dieu, Œuvres, I, Lebel, 1820, 472 p.

 

Sébastien Faure : Douze preuves de l’inexistence de Dieu, L’Herne, 2018, 72 p, 6,50 €.

 

Alain Nadaud : Dieu est une fiction, Serge Safran, 2014, 288 p, 19 €.

 

Rémi Brague : À chacun selon ses besoins, Flammarion, 2023, 224 p, 20 €.

 

Hartmut Rosa : Pourquoi la démocratie a besoin de la religion,

traduit de l’allemand par Isis von Plato, La Découverte, 2023, 80 p, 15 €.

 

Marc-Antoine Mathieu : Dieu en personne, Delcourt, 2009, 128 p, 17,95 €.

 

Lambert Schlechter : Fragments du journal intime de Dieu,

L’Herbe qui tremble, 2023, 82 p, 16 €.

 

 

Si le sentiment religieux est un phénomène universel, il existe des religions sans dieu, tel le bouddhisme, donc athées, sans compter celles polythéistes. Mieux - ou pire diront les détracteurs - l’agnosticisme évacue toute religiosité. Avons-nous cependant besoin de religion ? Depuis que tant d’autorités du monothéisme sont persuadées de l’existence de Dieu, selon Fénélon, ou de son inexistence, selon Sébastien Faure, la question n’est pas prête d’être tranchée, quoique Dieu puisse bien être une fiction, comme l’affirme Alain Nadaud. Pourtant, à rebours des naïfs qui ne croient que par habitude culturelle, voire conditionnement, à rebours des férus d’athéisme, deux philosophes prétendent combien Dieu permet la liberté humaine, pour Rémi Brague, et combien, pour Hartmut Rosa, elle est nécessaire dans le cadre de la démocratie ; mais à condition de ne pas se tromper de religion. Théologique et philosophique encore peuvent-être la bande dessinée de Marc-Antoine Mathieu qui exhibe « Dieu en personne », et le journal intime, selon Lambert Schlechter, de cette créature qui n’a pas fini de défier notre imagination, sans compter les perles et les bourdes de l’argutie.

 

 

Malgré les efforts des Pères de l’Eglise accumulant les preuves de l’existence de Dieu, qu’elles soient tirées de la métaphysique, de l’imperfection de l’être humain, de l’idée que nous avons de l’être nécessaire et de l’infini, comme le postula au XVII° siècle Fénelon[1], alors que d’autres n’ont pas manqué de lister celles de son inexistence, comme en 1908 le libertaire Sébastien Faure[2], la question n’est guère tranchée.

Pourtant François Salignac de la Motte-Fénelon, fameux auteur des Aventures de Télémaque et théologien du XVII° siècle français, archevêque de Cambrai, accumule les preuves irréfutables, du moins le prétend-il, en son Traité de l’existence et des attributs de Dieu. « Ainsi vivent les hommes. Tout leur présente Dieu et ils ne le voient nulle part ». Or le spectacle de la nature et la présence splendide de l’univers suffisent à deviner son auteur. La structure du corps humain et de son intellect n’échappent pas à cette nécessité. Dieu se manifeste autant dans l’infini que dans l’idée. Bien entendu, Fénélon se pique de réfuter le spinozisme, au nom d’un immuable infini originel. Car selon Spinoza, si la Nature est Dieu, toute croyance en un Dieu surnaturel ou transcendant est exclue ; en ce sens cet athéisme oppose à la conception transcendante du divin une philosophie matérialisme de l’immanence. Faut-il y voir l’une des prémisses du « Dieu est mort » nietzschéen ?

Notre édition en 22 volumes des Œuvres de Fénelon orthographiant par erreur la pièce de titre du premier volume « Éxistance de Dieu », faut-il y voir ignorance crasse du doreur et du relieur, ou une dommageable ironie…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En contrepartie, l’implacable anarchiste Sébastien Faure liste en 1908 Douze preuves de l’inexistence de Dieu. Outre l’absence d’universalité du Dieu unique, face aux religions polythéistes ou sans dieu aucun comme le bouddhisme, aucune certitude scientifique ne vient appuyer son existence. Parmi les arguments probants, voici « le Geste créateur est inadmissible », tant on ne peut créer à partir de rien. En conséquence « le pur Esprit ne peut avoir déterminé l’univers ». Il faut alors chasser les contradictions : « le Parfait ne peut produire l’imparfait ». Sans oublier que les motifs de la Création sont indiscernables, que Dieu n’est pas infiniment bon, puisque « l’Enfer l’atteste », le problème du Mal étant incompatible avec un Dieu infiniment bon. Si affirmatif que soit Sébastien Faure, les théologiens lui répondent par la nécessité du libre arbitre et de la responsabilité humaine…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dieu est bien une fiction, comme l’assure avec fermeté Alain Nadaud[3], qui sait parfaitement que les dieux de toutes obédiences sont  autant d’illusions que les démons du bouddhisme. Cette critique du religieux trouve son acmé dans un essai rigoureusement ordonné : Dieu est une fiction. Le sous-titre est parlant : « Essai sur les origines littéraires de la croyance ». Autrement dit, les textes sacrés ne sont écrits que de main d’homme, il est nécessaire et pertinent de leur appliquer une méthode de lecture critique et historique. Lire la Torah, la Bible, Les Métamorphoses d’Ovide et le Coran n’est rien d’autre que lire des romans, des poèmes et des propositions juridiques. La Théogonie d’Hésiode et les Evangiles sont des « œuvres d’imagination ». La seule chose qui les sépare est qu’à la première personne ne croit plus. Inventer des dieux « pour ne pas se désespérer de son sort » reste une activité honorable, si elle ne devient pas une tyrannie contre autrui, « au coût exorbitant de son asservissement, de la confiscation de sa liberté de pensée et d’agir ».

De là à en inférer que « le culte de la littérature ne faisait aujourd’hui que participer à la perpétuation de la croyance », il y a peut-être un pas qu’il ne fallait franchir qu’avec précaution : aimer les textes ne signifie pas croire aveuglement en la réalité de leurs personnages et en l’autorité irréfragable de leurs maximes…

L’essai d’Alain Nadaud, Dieu est une fiction, dévêt les croyances de leurs voiles. Anthropomorphes, bouffis du besoin d’être adulés, capricieux et vengeurs sont trop souvent les dieux. Avec modestie, Alain Nadaud, qui ne prétend ni à la vérité, ni à l’exhaustivité, charge toutes, ou presque, les religions. L’animisme est conspué pour sa naïveté et son ridicule, malgré les qualités d’imagination et de fascination de ses conteurs inspirés. Les mythes n’ont plus qu’un statut littéraire, « projection splendide ou sordide des passions qui animent l’humanité ». Les prophéties bibliques sont des stratagèmes pour faire parler Dieu lui-même ; les prodiges d’un récit « à plusieurs mains », nourrissant l’exégèse juive, n’ont pas été retenus par les historiens, quoique flattant l’orgueil du « peuple élu », sans cesse frappé de déception. Le christianisme est plus universaliste, moins contraignant, il réussit à faire avaler une fiction risquée : Dieu s’incarne en un homme. Contribuant à la fin de l’esclavage et à la séparation des pouvoirs spirituel et temporel, le discours pacifiste des Evangiles ne sera pas toujours entendu, en tout cas pas à la hauteur du mystère de la Sainte-Trinité, « invention délirante et acrobatique », source de querelles, de schismes et d’hérésies. Quant au monothéisme de l’islam, il n’est qu’un outil politique et guerrier de conquête, assure-t-il, s’appuyant sur l’excellent historien Maxime Rodinson[4]. Le Coran n’a « aucun ordre logique », n’est qu’une incantation répétitive, obsessionnelle et autoritaire. Pillant la Torah dont Allah prétend être l’auteur, puis le personnage de Jésus, sans compter la bourde des « versets sataniques », il assure la tyrannie d’un dieu abstrait au moyen du « plagiat et de l’artifice littéraire ». Déçu par le recul des Juifs devant son chef-d’œuvre, Mahomet les vouera aux pires exécrations sanguinaires, tout en perpétuant une « brutale domination sexuelle » en moyen des vierges à disposition dans son paradis. Le Coran ne supporte guère la comparaison littéraire avec la Bible, Mahomet ne pouvant rivaliser avec une création d’un millénaire. La critique du style et de la composition du « texte acrimonieux et vindicatif » est sans indulgence. Pourtant sa persuasion presque planétaire est affolante, tant le besoin de haine et de meurtre anime le cœur de l’homme…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quels que soient les dieux, ils n’apparaissent et ne s’imposent que dans et « par l’imaginaire des hommes » et au moyen de leurs clergés trop souvent impérialistes. Rendons cependant grâce à toutes ces religions pour les trésors d’art, de musique et de littérature, et aux Grecs de n’avoir été ni prosélytes ni fanatiques. Pourtant, le fanatisme et l’extrémisme sont des « raidissements » devant « la sourde perte de croyance ». Car comment comprendre que ces dieux ne se soient adressé qu’à quelques tribus, au lieu de la terre entière, sinon en démasquant leur fausseté. Ce qui surexciterait la susceptibilité des bras armé des dieux.

La lecture d’Alain Nadaud est aussi savante et informé que fluide, son argumentation raisonnée parait ne souffrir aucune contradiction. Y compris lorsqu’il démonte l’argument de l’intraduisible texte sacré, en arguant des traductions de Don Quichotte qui n’empêchent pas le vent du chef-d’œuvre. En revanche il n’est pas sûr que l’exégèse soit toujours un « gaspillage d’intelligence », si l’on sait que l’étude du Talmud vivifie l’intellect des Juifs, quand la récitation coranique abrutit celui des Musulmans. Car « le croyant défend bec et ongles son désir de soumission à une autorité qui pense pour lui ». Nous sommes alors bien loin de la devise des Lumières selon Kant : « Ose savoir ! »

Au-delà de cette soif de croire, ne reste au bout du compte, selon Alain Nadaud, qu’à trouver « une mystique de l’athéisme », oxymore peut-être affabulateur. La « lucidité » de l’athée le conduit à savoir que « l’homme est l’ultime horizon de lui-même », qu’il doit « aménager le vivre ensemble » et repousser la question du mal, imputé à Satan, vers l’humanité elle-même. La sagesse critique d’Alain Nadaud est évidemment de l’ordre d’un humanisme, sans qu’il soit nécessaire d’y aménager une place pour des dieux dangereux. Polémiste il conclue : « la religion est le trou noir de l’intelligence », ce que l’on peut trouver bien excessif… Il en appelle à une « spiritualité » de l’athéisme, recentrée sur « les activités artistiques […] l’amour d’une femme ou d’autrui ». Et pourquoi ne pas penser aux activités économiques au service de l’humanité ?

 Au sortir de cet essai, efficace, roboratif, la pensée du lecteur ne peut que s’élever par-delà les hauteurs des mensonges décryptés des dieux, humains, trop humains. Pourquoi accordons-nous tant de prix à ces fictions que sont les dieux du tonnerre et du vent, Aphrodite ou Bouddha (quoiqu’il fût selon la légende plus exactement un homme), Christ ou Allah, sinon pour nous illusionner… À moins qu’ils soient le soupçon, l’appel de cette transcendance qui nous est consubstantielle et consolatoire.

Est-ce à dire qu’il faut rejeter les textes religieux ? S’il y a parmi eux de la sagesse et de la beauté humaines, certes non. S’ils sont fanatisme, obscurantisme et intolérance, voire appel à l’esclavage des femmes et au meurtre, on gagnera bien sûr à les ranger dans les bas rayons des mauvais documents, aux côtés de Mein Kampf et du Manifeste communiste, ces fictions dangereuses aux montagnes de morts conséquentes et bien réelles, à seule fin des historiens des mœurs.

 

Fénelon : Œuvres complètes, Lebel, 1820-1824.

Photo : T. Guinhut.

 

A contrario la sagacité du philosophe chrétien Rémi Brague s’exerce avec brio dans son essai intitulé À chacun selon ses besoins. Dieu a donné à chaque créature la capacité d’atteindre le bien et assurer sa survie, son développement, et aux hommes la capacité du jugement. La Providence devient ainsi intelligence et sagesse humaine. Or parmi sa « vie historique », l’homme semble parfois bien loin de Dieu. En fait, « la providence divine, quand elle a pour objet l’homme en tant que tel, doit culminer en une économie historique du salut par laquelle Dieu va chercher l’homme là où il est (p 203-204) ». En ce sens cette réflexion fouillée sur la providence se départit de la fatalité pour se consacrer à la liberté, pour affirmer me « libéralisme de Dieu » et la « finesse croissante du bien ». Est-ce un vœu pieux, une illusion, une téléologie nécessaire…

Reste que Rémi Brague ne se penche guère sur ceux que la nature n’a pas favorisés, handicapés mentaux et physiques, enfants cancéreux, et autres victimes de l’Histoire  dont la liberté n’est pas avérée. Toutefois, notre philosophe chrétien fait preuve, non seulement de sa foi en Dieu, mais d’une revigorante foi en l’homme. Nourri de Saint-Thomas d’Aquin et d’une culture aussi précise qu’impressionnante, cet essai, sous-titré « Petit traité d’économie divine », mérite d’être considéré comme un stimulant pour l’humanité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le sociologue allemand Hartmut Rosa offre soudain un titre surprenant, voire paradoxal : Pourquoi la démocratie a besoin de la religion. Le christianisme ayant mauvaise presse pour son supposé obscurantisme, son archaïsme, voire la pédophilie de membres du clergé, il est étonnant de voir le penseur d’Aliénation et accélération[5] s’inquiéter de la perte de légitimité de la religion dans nos sociétés démocratiques.

Comme il est de mode et de cliché parmi nombre d’intellectuels, la critique du capitalisme consumériste et comptable de croissance effrénée sert de prémisse à l’argumentation. De même la crise des réfugiés devrait amener la civilisation  occidentale à se remettre en question. C’est alors que, trésor culturel et moral, la religion doit, au travers de ses cathédrales par exemple, éveiller un émerveillement et une « résonance », pour reprendre l’un de ses précédents titres[6]. Elle « dispose d’éléments qui peuvent nous rappeler qu’un autre rapport au monde que celui visant la croissance et l’exploitation est possible ». La religiosité comme remède au capitalisme ! Ce capitalisme libéral qui rendit tant de service à l’humanité et auquel l’on ne sait pas rendre justice ! Certes dans une église « la disposition agressive disparait pour un moment ». Une « résonance verticale » avec le cosmos, une « communion » sont possibles au cœur de la pensée des trois monothéismes », ainsi que dans l’hindouisme et le bouddhisme.

La pensée d’Hartmut Rosa souffre de deux biais majeurs. Outre son anticapitalisme couplé avec des relents marxistes et une idéologie écologiste hyperbolique, il oublie, ou ne sait, combien l’islam est une religion politique antidémocratique et génocidaire. Rémi Brague a su, bien mieux, penser l’islam[7].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tournons-nous - la chose étant assez rare pour être signalée - vers la bande dessinée philosophique. Car Marc-Antoine Mathieu prétend rencontrer « Dieu en personne », selon son titre à ne pas prendre trop au sérieux.

Tout commence par un recensement parmi une foule engoncée dans un couloir noir, dans on ne sait quelle société peu amène, voire sinistre. Quand un individu sans identité aucune se présente. Et s’il se prétend « Dieu », l’hilarité de la foule le conspue, bien qu’il consente à rire lui aussi. Le voilà interné, observé par un psychiatre, alors que le lecteur ne le voit que de dos. Brillantes, quoique « parfois si incongrues », sont ses réponses. Il se définit comme un « livre de sable », « le zéro », « le silence », « un nouveau-né ». Une intelligence hors-normes et « un savoir insondable » occupent plus de 99 pour cent des capacités de son cerveau, au point que ce Dieu puisse offrir le boson de Higgs aux physiciens, ce boson qui unifie la gravité et la mécanique quantique, ainsi que dénombrer instantanément les molécules d’une bibliothèque. Les prodiges se multipliant, une « disjonction métaphysique » conduit la cité à reconnaître Dieu ! Mais le monde restant inchangé, reproches et ressentiments s’accumulant, le gigantesque procès planétaire est inévitable. S’agira-t-il de « la victoire de la justice des hommes sur celle de Dieu » ?

L’on devine les commissions d’experts, théologiens, scientifiques, obscurantistes, cosmologues, et caetera. Existence, inexistence de Dieu, causalité, libre arbitre s’invitent inévitablement. Ce Dieu créateur et omniscient a-t-il laissé faire la nature et le monde des hommes ? En ce cas pourquoi ne change-t-il pas les choses ? Lui faut-il un logo, est-il libre de droits ? Celui « dont le facteur d’entropie est quasiment nul » voit sa côte de popularité menacée. Pourtant ses livres explosent les meilleures ventes, alors que le théâtre grandiose du procès prend la forme d’une subtile dispute philosophique. En contrepartie, un investisseur crée un parc à thème : « Le royaume de Dieu », dans lequel le visiteur se fait âme.

Peu à peu son visage se dévoile, vieilli, fait de particules en mouvement, ce en contraste avec la raideur hiératiques des lieux et des innombrables protagonistes interchangeables. L’on soupçonne un instant qu’il puisse se réincarner en enfant, avant qu’il disparaisse en avouant n’avoir jamais existé, n’avoir été qu’un acteur, dont l’omniscience n’était qu’un puissant « moteur de recherche »…

En ce génial canular - quoique - la satire de la crédulité ne cesse de gagner des points. L’ironie pointe de plus en plus le bout de son nez. Et si Dieu est mort, pour reprendre la formule nietzschéenne, l’on se sent projeté, lors de la fin du récit, au retour au point de départ, à l’éternel retour du même.

Le graphisme sec, la noirceur austère et intense, tout concourt à une ambiance angoissante, voire menaçante, en quelque sorte kafkaïenne, si l’on pense à l’auteur du Procès.

À quoi bon ajouter quelque page au déluge théologique ? Sinon pour s’en amuser, voire le réfuter d’un mot ? Poète singulier, Lambert Schlechter, dont nous avions fort apprécié l’opus monumental[8], est au plus près de Dieu, puisqu’il sait livrer quelques Fragments du journal intime de Dieu, roboratifs à plaisir.

Triste sort que celui qui ne connait pas la mort ! Que fait-il alors de son éternité ? Il lit les écrivains et les philosophes à une vitesse sidérale, vitupère contre « les exécrables athées », confie que pour façonner le sexe d’Adam ce fut un jeu d’enfant, mais que pour la vulve d’Eve il lui fallut « mille esquisses et brouillons, pour arriver finalement à ce chef-d’œuvre de raffinement ». Par la vertu du péché originel, il se sait « innocenté  du mal ». Un brin d’auto-ironie ne nuit pas.

Voilà un Dieu, et un écrivain, que la naïveté devant l’islam n’aveugle pas : « Si la secte nazaréno-paulinienne m’avait énervé, la secte médino-mecquoise m’a exaspéré : déjà le monothéisme n’était pas si facile à gérer, avec ses ardeurs, sa terreur et sa combativité, - mais là il fut imprégné d’une ferveur nouvelle qui s’exprimait dans la vocifération, les discours d’exclusion et les menaces de mort, et que je te maudisse, et que je te flagelle, et que je t’ampute les mains, et que je te décapite ».

Ce n’est là qu’une poignée de « fragments » d’omniscience. Comment pourrait-il en être autrement face à l’infini ? Lambert Shlechter n’est-il pas une fois de plus un poète fort talentueux, voire génial…

 

Imposteur, simulacre, illusion consolatoire, Dieu peut paraître aux yeux de Rémi Brague absolument nécessaire, voire utile pour Hartmut Rosa. Cependant l’athéisme peut très bien s’en passer, car au regard d’Helvetius, philosophe des Lumières, plutôt qu’au moyen d’une religion susceptible de voir le fanatisme s’emparer d’elle, c’est « uniquement par de bonnes lois qu’on peut former des hommes vertueux[9] ».

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Fénélon : Traité de l’existence et des attributs de Dieu, Œuvres, t I, J. A. Lebel, 1820.

[2] Sébastien Faure : Douze preuves de l’inexistence de Dieu, L’Herne, 2018.

[4] Maxime Rodinson : Mahomet, Points, 2013.

[5] Hartmut Rosa : Aliénation et accélération, La Découverte, 2014.

[6] Hartmut Rosa : Résonance. Une sociologie de la relation au monde, La Découverte, 2018.

[9] Helvétius : De l’esprit, Œuvres, I, 1781, p 261-262.

 

Retablo de San Pedro y Santa Maria de Olite, Navarra.

Photo : T. Guinhut.

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13 avril 2023 4 13 /04 /avril /2023 18:20

 

Catedral de Sigüenza, Guadalajara. Castilla la Mancha.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Eloge paradoxal du Christianisme.

Robert Redeker : L’Abolition de l’âme ;

Rémi Brague : Après l’humanisme & Sur l’islam.

 

 

Robert Redeker : L’Abolition de l’âme,

Cerf, 2023,  354 p, 24 €.

 

Rémi Brague : Après l’humanisme. L’image chrétienne de l’homme,

Salvator, 2022, 210 p, 20 €.

 

Rémi Brague : Sur l’islam, Gallimard, 2023, 400 p, 24 €.

 

 

Si l’on sait que toutes les religions déistes sont des fictions, sans écarter à cet égard le système bouddhiste des réincarnations, il peut paraître insensé de faire l’éloge de quelqu’une, d’autant plus que passablement pure en son originel noyau elle a vu son histoire marquée de maintes iniquités et conflits. Même si l’hindouisme, dont la multiplicité des dieux permet de faire son propre choix, peut mériter un mince compliment, de même le polythéisme[1] des dieux gréco-romains qui peuvent être indifférent envers les hommes, si l’on en croit Lucrèce, une seule paraît devoir garder sa dignité : nous avons nommé le christianisme, spiritualité en perte de vitesse, du moins en Europe occidentale. Aussi nous est-il permis d’envisager son éloge paradoxal, au sens du philosophe grec Lucien qui s’exerçait à l’éloge de ce qui mérite le blâme, par exemple la mouche[2]. En conséquence, devons-nous déplorer « l’abolition de l’âme », pour reprendre le titre de Robert Redeker, devons-nous restaurer « l’image chrétienne de l’homme », pour faire écho au sous-titre de Rémi Brague ? Qui se charge en Sur l’islam de faire l’inventaire d’un redoutable concurrent sur le marché des absolus. Tout ceci n’empêchant pas de savoir pourquoi nous ne sommes pas religieux[3], nous voici au croisement non seulement des religions, mais des civilisations.

 

L’on sait et l’on répète ad nauseam que la chrétienté n’est pas exactement sans péché. Entre Saint-Paul et Tertullien, être misogyne passa de la tradition à l’institution. Les guerres fratricides entre les catholiques et les protestants ensanglantèrent la Renaissance, qui en l’occurrence ne mérita guère son nom. L’inquisition, orchestrée par les Dominicains, ne fut pas des plus glorieuses, quoique le politique y eût la main plus lourde que le religieux. Ce pourquoi l’on ne confondra pas le christianisme, doctrine du Dieu fait homme et des Evangiles, avec la Chrétienté qui en est la succession historique et infidèle.

Mais le tour de passe-passe qui tenta de faire du dieu chrétien un dieu laïc fut loin d’être une réussite à l’occasion du culte révolutionnaire de l’Être suprême. C’est ce que dénonça le pourtant anarchiste et anticlérical Jules Vallès : « Drôle de Dieu que ce Dieu du XVIII° siècle ! Pourquoi donc avoir tué l’ancien, s’ils le remplacent par un autre ? Celui des catholiques vaut autant, j’avoue qu’il me parait meilleur. C’était changer d’eau bénite tout simplement… avec le sang des hommes dans le calice, au lieu du sang d’un dieu ![4] »

Liberticide le christianisme ? Rien dans le message des Evangiles n’interdit au Romain ou au Juif sa religion, même si l’encouragement à rejoindre le Christ est aussi prosélyte que vigoureux. L’on devine pourtant que le pouvoir de la masse chrétienne, quoique venue de principes christiques de tolérance et de pardon, préfère exercer sa libido dominandi à l’encontre des païens, imposer son « ordo virtutum » pour reprendre le titre d’Hildegarde de Bingen, quoique avec bien plus d’humaine violence au secours d’un ordre des vertus peu amène, dont la morale chrétienne fit un diktat par la suite bien décrié. Cependant François Cassingena-Trévedy, moine bénédictin et érudit fameux, ne manque pas de célébrer à cet égard sa religion : « Quelque soit son autorité, ce Livre que nous magnifions […] n’est pas un livre totalitaire, un livre que l’on pourrait brandir, un livre dont on pourrait s’autoriser pour terroriser qui que ce soit, pour quelque motif que ce soit, religieux, politique, idéologique[5] ». C’est exactement l’antithèse d’un livre qu’une autre religion refuse d’imaginer voir comme un sujet de rire[6] et de blasphème[7], au risque de l’égorgement, ce qu’il commande en maints versets.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Faut-il rappeler le constat fait par Jacques Ellul : « Comment se fait-il que le développement de la société chrétienne et de l’Eglise ait donné naissance à une société, à une culture en tout inverses de ce que nous lisons dans la Bible, de ce qui est le texte indiscutable à la fois de la Torah, des prophètes, de Jésus et de Paul ? […] on a accusé le Christianisme de tout un ensemble de fautes, de crimes, de mensonges, qui ne sont en rien contenus, nulle part, dans le texte et l’inspiration d’origine […] Ce n’est pas du tout le même phénomène qu’entre les écrits de Marx et la Russie des goulags ni entre le Coran et les pratiques fanatiques de l’Islam. Ce n’est pas le même phénomène parce que dans ces deux derniers cas on peut certes trouver la racine de la déviation dans le texte même[8] ».

        Cette « folie de Dieu » est le masque d’une libido dominandi, d’une pulsion de violence et de mort, voire d’une déception : « Sous la fureur des zélateurs actuels de la fin des temps, qu’ils soient chrétiens, juifs ou musulmans, se dissimule aussi certainement une lassitude, camouflée par le voile de la religion, à l’égard du monde et  de la vie », analyse Peter Sloterdijk[9].

Ajoutons cependant qu’en dépit de récurrentes crispations, c’est en chrétienté - et en judaïsme - que sont nés le libre arbitre (du jardin d’Eden à Saint Thomas d’Aquin), la séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’individualisme, l’athéisme et un développement scientifique tel que nulle-part ailleurs.

Mais, au moyen de sa coutumière pertinence, Peter Slotedjik[10] fait un constat peut-être salvateur, peut-être navrant : « D’un seul coup après le tournant copernicien, le système immunitaire qu’était le ciel n’était plus bon à rien […]  Désormais les réseaux et les polices d’assurances doivent remplacer les écorces célestes[11] ». L’ère cosmologique gouvernée par les mythes et le dieu du christianisme prend fin nous nos yeux, remplacée par celle l’Etat-providence, celle des entrepreneurs du confort scientifique et du divertissement médiatique. En tout état de cause, c’est ce que chacun à leur manière, Robert Redeker et Rémi Brague diagnostiquent sous l’égide de L’Abolition de l’âme et d’un Après l’humanisme.

 

Iglesia de Bagüés, Museo de Jaca, Huesca, Aragon.

Photo : T. Guinhut.

 

Comme sur sa couverture, où une silhouette disparait dans l’indifférencié avec un dernier appel de la main, l’âme est en cours d’abolition. À moins que cet appel soit un rappel, la nécessité d’un retour selon Robert Redeker. Notre essayiste aux livres nombreux, né en 1954, qui fut menacé de mort à l’occasion des polémiques déclenchées par l'une de ses tribunes consacrée à l’islam et à la liberté d'expression parue dans Le Figaro en  2006, est un philosophe volontiers vigoureux en ses satires, lorsqu’il dénonce les errements de notre société à l’occasion du Sport contre les peuples[12] ou de L’Ecole fantôme[13]. Cette fois, il réfléchit autant qu’il se révolte en déplorant ce qu’il appelle « l’abolition de l’âme ». C’est ce dernier mot que l’on ne prononce plus guère, dont le sens devient inconnu, sinon persona non grata. En historien de la théologie, de la philosophie et de la sociologie, voire de la psychologie, l’essayiste décline le lent effacement de ce concept, de cette espérance, quoiqu’il s’attache à postuler sa nécessité spirituelle, voire imaginer son retour. Car, dans une perspective chrétienne, la prière et la poésie, « la gratitude devant la beauté de la nature […] conduisant au sentiment de la Création », la vie intérieure, « reconduisent l’être au supplément perdu, à la source dont la culture, suivant en cela servilement la philosophie, a laissé le sang partir en hémorragie, l’âme ». À la richesse de la pensée s’unit en ces derniers mots de l’ouvrage, la beauté expressive de l’écriture…

En l’occurrence il s’agit également d’un pamphlet. Sont ici pointées les responsabilités de la technique, le désarroi « quand le meurtrier de Dieu perd son smartphone », le refoulement du spirituel et de l’âme de Descartes à Rousseau, le grand remplacement par l’inconscient des psychanalystes, par le moi et par l’ego, la biologisation neuronale, la « spectacularisation de la vie privée », le « sujet déglingué de l’âge des revendications infinies », le « pétrole psychique » de la consommation, la censure de Platon et la fin de la vérité[14] dans le sillage de Nietzsche et de Derrida…

En son essai fouillis et fouillé, Robert Redeker emporte un impressionnant fleuve de pensée où la fin de l’âme est aussi la fin de l’homme ; et bien entendu où la fin de l’âme est également celle du Christianisme. Il est permis de le lire de deux manières également enrichissantes : comme une généalogie progressive d’une longue descente de l’âme, depuis ses hauteurs platoniciennes, célestes et adamiques jusqu’à notre contemporain despiritualisé, mais aussi comme un plaidoyer pour le retour une incarnation de l’âme qui serait une incarnation véritable de l’homme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette crise de l’âme trouve son pendant à l’occasion de celle de l’humanisme, dont Rémi Brague[15], philosophe chrétien, né en 1947, dresse la substance devenue vide. Car cette dignité de l’homme, inspirée de la culture antique et chrétienne, se voit érodée sur bien des fronts. La déconstruction postmoderne et son cortège d’écologisme[16] dénient à l’humanité le droit d’exploiter la création, ses ressources et vies naturelles. L’homme n’est plus qu’une espèce parmi d’autres au service de laquelle le langage et la culture n’autorisent aucune spécificité. Ne parlons même pas de son étincelle divine, renvoyée au magasin des antiquités, des fictions et de la présomption.

Pourtant, pour Platon, dans le Premier Alcibiade[17], l’homme se ramène à son âme. Et si l’Ancien Testament semble le tenir pour bien peu aux mains de Dieu, comme le pauvre Job, il est réhabilité par l’incarnation christique destinée à en éprouver les joies et les douleurs et à le sauver. Le philosophe cherche alors une définition, entre bipède au pouce opposable, à la gorge adaptée aux cordes vocales, et les couples mythologie et rationalité, rire et mélancolie, sage et fou, déterminisme biologique et liberté, élan vers le bien et le mal, bestialité démoniaque et angélisme. Faut-il encore « s’appuyer métaphysiquement sur Dieu », en tant qu’il fut créé à son image, et en déduire qu’il est inconnaissable et laissé à sa propre responsabilité ?

Que l’humanité en l’homme soit bien rare, cela n’empêche pas d’y associer une perspective humaniste. Mais à cette souveraineté du moi qui est probablement une fiction, faut-il associer un parfait libre arbitre ? Faut-il penser « l’anthropologie comme christologie » ? Le Christ comme notre modèle, malgré son échec sur la croix, à moins que ce soit une réussite au sens où il prend sur ses épaules nos souffrances pour les rédimer…

Définir l’homme en rejetant l’image de Dieu, donc seulement par lui-même, aboutirait à l’inhumain. Au risque de décréter surhommes et sous-hommes, de valoriser un transhumanisme dystopique vers un corps métallique et un esprit numérique. En complément ce sont relativisme et « absolutisme effréné du sujet individuel » qui menacent celui sommé de devenir l’homme nouveau. En conséquence le voici modelable à souhait, y compris par autrui sans son consentement, au profit d’entreprises financières, idéologiques, voire périssable, éjectable. L’homme nazi, communiste et mahométiste, peuvent en toute autorité éliminer des hommes. Que fera l’homme augmenté par les biotechnologies et autres avatars numériques de celui resté diminué ? Au contraire, « le christianisme cherche à compléter le politique et non à le supplanter », ose espérer Rémi Brague. D’autant qu’historiquement il faut reconnaître combien le christianisme a contribué à l’éradication de l’esclavage, combien il s’est consacré à la charité, avant que l’Etat confisque cette dernière au nom de l’action sociale…

Reste à apprécier « la mortalité comme propriété positive ». C’est ainsi que la destinée éternelle de l’âme se révèle, si l’on en croit le dogme, et au regard d’une exigence morale, telle que « l’histoire est le lieu du salut ». Toutefois, au contraire de l’islam, le christianisme se caractérise heureusement par « une absence d’indications sur la façon d’agencer la vie quotidienne », quoique les morales catholique et protestante aient voulu corseter, mais aussi par le fait que chacun, y compris l’hérétique, est son prochain, au contraire du judaïsme et a fortiori de l’islam. Car ce dernier considère l’Umma comme la meilleure communauté qui soit, excluant, exploitant et tuant les mécréants.

Associant vaste érudition et perspective immense, sens des citations pertinentes, ainsi qu’écriture aisément accessible, Rémi Brague enchante son lecteur, l’accompagnant vers un réel chemin d’humanisme. Si l’on n’est pas religieusement converti, l’on reste cependant convaincu d’une rigueur éthique du christianisme et de sa nécessité si le besoin d’espérance se fait sentir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce sera bien moins le cas à l’occasion de Sur l’islam, du même Rémi Brague. Qui va jusqu’à affirmer que l’islam n’est pas une religion. Ce qui peut paraître surprenant ; or nous ne l’apprécions que d’une manière biaisée, au regard d’un point de vue occidentalocentré, plus exactement venu de notre culture chrétienne. Il s’agit plus exactement d’une loi. Le concept affiché des trois religions du livre ne repose sur aucune analyse sérieuse, tant l’islam diffère des traditions bibliques ; ce que montre d’ailleurs avec patience et pertinence François Jourdan, parmi les pages de son essai Islam et christianisme, comprendre les différences de fond[18].

Notre spécialiste de l’ère médiévale réfute l’accusation d’« islamophobe savant », et l’apparente irrationalité de la chose en tant que phobie, tant il différencie le dogme coranique qu’il sait analyser, la civilisation islamique (l’Islam avec une majuscule) et la nébuleuse diverse des musulmans. « Donnez-nous des raisons de l’aimer », lance-t-il. Car la loi islamique, coranique et charia, requiert la subordination intégrale et l’emploi effectif de la violence, qu’il préfère appeler, peut-être par euphémisme, « la force », ainsi que la conquête guerrière, mais aussi pacifique par le moyen démographique. Aussi s’attache-t-il à déplier les malentendus, sans éviter de « mettre le doigt où ça fait mal », même s’il ne se résout pas totalement à admettre que « l’authentique islam » est également celui des versets sanguinaires originaires du Coran[19]. Pourtant, comme la polygamie, l’excision, même si pratiquées sans être généralisées, ils sont, de par le terrorisme, prêts à être réactivés. L’on peut en dire autant de l’imposition et de l’humiliation des Juifs et des Chrétiens en terre d’Islam, du voile, de la conquête et du butin.

Sans naïveté, Rémi Brague réfute avec justesse, en scrutant faits et textes, les affabulations qui prétendent en l’islam percevoir la source vive de toutes les avancées culturelles, philosophiques et scientifiques, de la Renaissance et des Lumières, dont se flatte l’Occident, le rapport déficitaire de l’islam à la science l’ayant assez montré[20], à l’exception de l’apogée du IX° au XII° siècle, lui-même largement inspiré des Grecs, et dont il ne reste qu’une longue « ankylose ». Il n’omet cependant pas de rendre justice aux talents scientifiques des Arabes médiévaux, parmi les mathématiques, l’astronomie, l’optique, la médecine.

En un tel monde théocratique, le non-croyant n’a pas sa place, ce en quoi il se distingue radicalement des religions bibliques. En conséquence, ce n’est pas par affection christianocentriste que le philosophe prend des distances nécessaires avec l’islam, mais en s’appuyant sur les textes, l’Histoire, la raison et la nécessité humaniste, par exemple en démystifiant la prétendue tolérance soufie. Tout en ne cachant pas la dimension quasi-obligatoire du jihad, cette guerre sainte contre les mécréants : « Le tour de force de l’islam apparaît ici : faire dépendre du bien le plus élevé, à savoir Dieu, le mal le plus bas, le meurtre ».

Ainsi notre essayiste ne parait rien ignorer, hadiths et tradition, abrogation des versets plus anciens et plus tolérants par ceux derniers et impitoyables, Histoire et théologie. Ainsi nous propose-t-il un - voire le - livre de référence, posément encyclopédique, sur un sujet complexe et préoccupant. Une fois de plus prodigieusement érudit, Rémi Brague fait preuve d’un sens de l’analyse aussi clair que nuancé. Son ouvrage, nanti d’impressionnantes notes et d’un index profus, montre bien que sa prudente dévotion va d’abord au savoir et à la recherche. Encore une fois ce n’est pas par atavisme et christianocentrisme que Rémi Brague reste un homme chrétien, mais parce qu’il est avant tout philosophe raisonnable.

 

Qu’est-ce que l’homme ? S’il n’est pas le même en islam et en chrétienté, risquons-nous à avancer : un au-delà de l’animal. Ce qui ferait grincer des dents véganes les antispécistes. Pourtant cette définition respecterait à la fois l’animalité et la possibilité de l’âme en son originaire divin, même s’il ne s’agit là que d’une fiction. Faut-il réhabiliter les momeries des génuflexions grégaires lors de la messe et autres processions ? Du christianisme, nous ne voudrons que retenir l’incarnation paradoxale du Dieu en homme, unique parmi les religions qui ne condescendent jamais à mettre Dieu à l’épreuve de la condition humaine, que cette séparation entre sacré et profane qui doit laisser à l’être suffisamment de liberté politique et individuelle, que l’élan qui anima les flèches et les vitraux des cathédrales, les cantates de Jean-Sébastien Bach et l’orgue d’Olivier Messiaen, donc l’art et l’écriture, et surtout cette possibilité en rien obligatoire de concevoir la transcendance, d’associer à la finitude mortelle de l’homme l’espérance d’un au-delà qui le légitimerait, dans une dimension éthique et spirituelle, dans le cadre d’une religion ni totalitaire ni meurtrière, hors les abus et crispations de quelques rares thuriféraires trop zélés, religion de réelle paix et d’amour s’il tel est le pouvoir de l’homme et de son libre arbitre.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Lucien : Lucien : Œuvres II, Eloge de la mouche, Hachette, 1874, p 267.

[4] Jules Vallès : Les Francs parleurs, Jean-Jacques Pauvert, 1965, p 74.

[5] François Cassingena-Trévedy : Nazareth, maison du livre, Ad Solem, 2004, p 41.

[8] Jacques Ellul : La Subversion du Christianisme, Seuil, 1984, p 9.

[9] Peter Sloterdijk : La Folie de Dieu, Libella Maren Sell, 2008, p 186.

[11] Peter Sloterdijk : Bulles. Sphères I, Hachette Pluriel, 2003, p 28.

[12] Robert Redeker : Le Sport contre les peuples, Berg International, 2002.

[13] Robert Redeker : L’Ecole fantôme, Desclée de Brouwer, 2016.

[17] Platon : Premier Alcibiade, 129e9 et 130c3.

[18] François Jourdan : Islam et christianisme, comprendre les différences de fond, L’Artilleur, 2016.

[20] Voir : L'Eglise et l'islam sont-ils contre-la-science ?

 

Monts, Haute-Garonne. Photo : T. Guinhut.

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23 mai 2021 7 23 /05 /mai /2021 08:26

 

Basilica di San Marco, Venezia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

De l’origine des dieux, ou faire parler le ciel.

 

Roberto Calasso, Jean-Louis Poirier,

Pierre Bouretz, Peter Sloterdijk.

 

 

Roberto Calasso : Le Chasseur céleste,

traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro, Gallimard, 2020, 576 p, 24 €.

 

Jean-Louis Poirier :

Ainsi parlent les dieux. Comment les Grecs et les Romains pensaient leurs mythes,

Les Belles Lettres, 2021, 216 p, 21 €.

 

Pierre Bouretz : La Raison ou les dieux, Gallimard, 2021, 606 p, 30 €.

 

Peter Sloterdijk : Faire parler le ciel. De la théopoésie,

traduit de l’allemand par Olivier Mannoni,

Payot, 2021, 400 p, 24 €.

 

 

Et si les hommes avaient précédé l’orbe brillante des dieux ? Au lieu d’une genèse originelle descendue de l’omnisciente délibération d’un créateur biblique ou venu de la cosmogonie d’Hésiode, il devrait être évident que l’inventeur du geste divin est sa créature, qui a soin de la faire parler et de l’agiter comme une marionnette colorée en un ciel de gloire. Pour déplier comment l’animal humain devint un « Chasseur céleste », Roberto Calasso ne semble guère observer une démarche scientifique, plutôt mythique comme le conte, et pourtant… Plus près encore des textes antiques, Jean-Louis Poirier lit pour nous comment les Grecs et les Romains faisaient voleter les récits pour faire « parler les dieux », quand Pierre Bouretz s’avise de les faire philosopher. Plus largement et de manière plus caustique, le philosophe allemand Peter Sloterdijk pointe les procédés littéraires et rhétoriques qui sous-tendent les discours du ciel, aussi intéressés qu’enthousiastes.

Au commencement était la chasse. Celle des animaux se pourchassant sans cesse les uns les autres, puis, les imitant, celle des hominidés devenus à leur tours prédateurs, quoique ne sachant pas si le gibier était viande ou démon, aïeux ou dieux. C’est ainsi que l’être humain, selon Roberto Calasso, devint l’acteur et le rédacteur de son Chasseur céleste, du nom d’une constellation entre Sirius et Orion, en ce ciel où s’incarnent les mythes.

Animaux et humains formaient une vaste communauté. Ainsi le centaure Chiron, mi-homme mi-bête, put enseigner la sagesse, en particulier à Achille. Chamans sibériens, « Souverain des Animaux », peintres du paléolithique, tous vivent en un monde où communiquent les forces de la nature. C’est en quelque sorte « le divin avant les dieux ». Eros est un « chasseur prodigieux », Actéon un chasseur puni pour avoir voulu dévisager Artémis, les nymphes une troupe de chasseresses, Orion quant à lui chassé par Artémis et par erreur fut transporté avec son chien Sirius dans la voûte du ciel. Ainsi la trace de ces prédateurs divins essaime parmi les mythes que l’essayiste relit pour nous, comme celui de Céphale et Procris, celui de la Toison d’or, en d’éloquentes réécritures et au cours d’une perspective originale dépliant la filiation des dieux.

À son tour l’homme chasse l’animal. « Le passage à la prédation fut un saut éthogrammatique ». L’imitation et la métamorphose trouvent leur écho parmi celles d’Ovide, poète du « chasseur amoureux », pour qui « il convient que les dieux existent » ; également parmi l’ultérieure démarche scientifique, vers laquelle l’essayiste ose des percées un brin acrobatiques. Par ailleurs, dans la Bible, l’on observe un passage entre les créatures se nourrissant « de la verdure des plantes » au début de la Genèse, puis la possibilité offerte par Dieu à Noé de se nourrir de « tout ce qui se meut et vit ». L’évolution parait plus rapide. Et c’est bien après la fin de la « théologie du sacrifice » que se posera la question de la justice envers les animaux[1]. Mais à l’occasion de l’élevage et de l’agriculture une autre rupture se produit, alors que bientôt une autre chasse court à la poursuite des célestes. C’est alors à la philosophie de relever le défi pour comprendre « les dieux du cosmos », dont les Grecs cherchaient la source chez les Egyptiens.

Le récit aux multiples bras, dont certains sont passablement sinueux, voire erratiques, s’achève sur les mystères d’Eleusis, qui « ne firent jamais partie d’une religion d’Etat ». S’ils ne furent pas défaits par un Christianisme peu tolérant, ils se virent éradiqués par les invasions barbares du V° siècle après Jésus Christ. Les temps du mythe s’achèvent alors pour effacer les proies du « chasseur céleste » et y substituer un dieu céleste. « L’immense histoire de sapiens » est celle du détachement de la matrice animale et de ses dieux pour accéder à la philosophie.

Elégamment assis sur la crête des genres du récit et de l’essai, voire de la prose poétique, entre anthropologie et mythologie, le livre touffu, palpitant d’érudition, de Roberto Calosso puise aux racines des mythes, depuis Zeus descendant parmi les hommes de la terre en s’unissant à Niobé jusqu’à l’imaginaire de « l’âme plus vieille que le corps » chez Platon, qui se demande si le divin imprègne les lois des hommes. L’écrivain brasse de nombreuses allusions aux auteurs de l’Antiquité, entre Homère, Hérodote et Plotin, mais aussi à des esprits aussi divers qu’Henry James et Alan Turing, lançant des sondes jusque vers les Upanisad, vers Beatrix Potter habillant les animaux, ou vers Baudelaire auquel il a consacré un essai[2].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malgré notre incrédulité, les dieux des Grecs nous persuadent encore, leurs mythes nous font non seulement rêver mais penser. Voilà comment l’entend Jean-Louis Poirier dans son essai tant tourné vers le merveilleux que vers l’intelligible : Ainsi parlent les dieux. L’on y découvre une généalogie des dieux et leur descendance au travers d’autant de chapitres. L’essayiste part en quête des interprétations, « sédimentées depuis longtemps », d’une mythologie cependant toujours vivante dans l’esprit. Puisque « les peuples font leurs mythes comme nous faisons nos rêves », il nous faut en recouvrir l’origine. D’où viennent-ils ? Comment les comprendre, en extraire une vérité théologique, philosophique ? Depuis Hésiode jusqu’à Jamblique, dix siècles de pensée descendent du ciel et des tréfonds des mythes.

Si les épicuriens dédaignent les mythes, ils bénéficient de la « sympathie stoïcienne », par exemple au travers De la Nature des dieux de Cicéron. Au contraire, ce que l’on appelle « l’évhémérisme » est un ensemble d’approches qui considèrent que les récits fabuleux n’ont rien de divin, qu’ils ne sont que d’origine humaine. Evhémère en effet raconte dans L’Inscription sacrée un voyage dans une île merveilleuse où les dieux sont des hommes. De même Palaephatos, dans Sur les choses incroyables, s’appliquait à trouver aux mythes des explications rationnelles et réalistes.

Cette mythologie perdue au magasin des antiquités n’est-elle que « la catastrophe d’une civilisation qui s’effondre », comme l’observe en sa conclusion Jean-Louis Poirier ? Aussi la vérité perdue du divin, autrefois façonnée par des initiations et des mystères, qui sont des « mythologies dissidentes », et malgré les rationalistes, malgré les récusations chrétiennes, mérite d’être « retrouvée », « rallumée », pour y lire les mythes d’origines, à dimension cosmologique, les « fictions mythiques » et allégoriques, comme celles de la caverne ou de l’androgyne chez Platon, dont ensuite Plotin distille la vérité philosophique, par exemple en analysant la naissance d’Eros venu de Poros et Penia, l’abondance et le manque, qui sont ainsi les ressorts de l’amour. Des néoplatoniciens aux gnostiques, tous ces mythes, qui avaient des fonctions d’une théologie naturelle, civile ou morale, conservent leur vitalité allégorique et philosophique. Voilà comment, s’appuyant sur une réjouissante érudition, de Narcisse à Macrobe jusqu’à l’universalisme de Tatien, Jean-Louis Poirier rend au métal poussiéreux des mythes leur intacte lumière, comme lorsque Plotin et Marcile Ficin pensèrent une métaphysique de la lumière qui était censée ouvrir la voie du Christianisme.

 

Dans une démarche voisine, Pierre Bouretz à la fois s’interroge et pose la nécessité d’une association : « La Raison ou les dieux ». Car la première et les seconds ne sont peut-être pas aussi antinomiques que l’on voudrait nous le faire accroire. Il s’intéresse à l’antiquité tardive, plus précisément à la période hellénistique, lorsqu’au IV° siècle débattaient avec vigueur deux platoniciens, Porphyre (234-310) et Jamblique (250-330). Plus exactement des néoplatoniciens, quoique l’essayiste récuse ce terme tant ils sont parmi la « chaîne d’or » qui découle de Platon, à la suite de Plotin (205-270) et de Proclus (412-485), qui raisonnaient abondamment sans qu’ils s’empêchent de visiter les temples d’Isis avec ferveur. Car la philosophie n’est pas ennemie de la théologie païenne, comme lorsque que Plutarque (46-125) rédigea un Traité d’Isis et d’Osiris. Chercher l’inspiration parmi les voix des dieux n’est pas contradictoire avec l’aspiration des « artisans de la raison ». Pierre Bouretz avait d’ailleurs montré une telle association à l’occasion d’un précédent essai, dont le titre paraissait un oxymore : Lumières du Moyen Âge[3], lorsque l’on était philosophe en accord avec le Christianisme, le Judaïsme, voire l’Islam. Il en ressort que philosopher n’est en rien un brevet d’athéisme. Thomas d’Aquin, quoique par la suite sanctifié, le montra suffisamment. Et revenant à nos néoplatoniciens, l’on aura la preuve que le monothéisme n’est pas plus un prérequis philosophique tant ils étaient polythéistes. D’autant que ces philosophes ne se contentaient pas de leur ancrage grec, mais de leur fascination pour les cultes à mystères et en regardant vers l’Orient, vers les « sagesses barbares », faisant se rencontrer Hermès Trismégiste et Zoroastre, alors qu’ils se savaient menacés par la montée du Christianisme. N’oublions pas que ce courant néoplatonicien bénéficia d’une belle renaissance, à la Renaissance justement, sous la gouverne d’un Marcile Ficin par exemple. De surcroit l’idéalisme allemand, celui de Schelling, au XIX° siècle, lui dut une fière chandelle.

 

Pierre Bouretz tend à prouver, au rebours de préjugés bien accrochés, que la pensée grecque ne s’est pas envasée dans les bras nilotiques du néoplatonisme, et qu’a contrario elle n’a pas faibli face à Saint Augustin, en dépit de la fermeture de l’Ecole d’Athènes par Justinien en 529. C’est plus la ruine des temples que l’agonie de leur vivacité intrinsèque qui a cassé les jambes de ce néoplatonisme.

La « théurgie » antique s’accommodait de rituels et de pratiques étonnantes, tentant de contraindre les dieux à la volonté de l’officiant, jouant avec les noms, mobilisant la magie. L’on espérait ainsi opérer dans le cadre d’un rapport direct avec le divin. Alors que Porphyre à la suite de Lucrèce prétend au lointain des dieux que la terre humaine ne concerne pas, Jamblique justifie le « culte sacré » par la proximité, la communauté de l’humain et du divin. Là encore il s’agit de parler aux dieux et de les faire parler.

 

Catedral de Roda de Isabena, Huesca, Aragon.

Photo : T. Guinhut.

 

À moins que tout cela ne soit que procédés rhétoriques et littéraires empruntant la bouche de dieux de fiction, donc des personnifications et des prosopopées des forces de la nature utilisées par des apprentis thaumaturges avides de pouvoir. Stratégies de communication et de manipulation, tels apparaissent, prospèrent et s’érodent les religions, selon la brillante analyse de Peter Sloterdijk, dans Faire parler le ciel. Ce dans une plus vaste perspective que nos précédents essayistes, puisqu’il prend en écharpe une Histoire qui va de l’Antiquité grecque à notre contemporain.

Au commencement était la poétique et la rhétorique, d’ailleurs théorisées par Aristote. « Deus ex machina, deus ex cathedra », les dieux bouillonnent dans les mythes et donnent leur représentation au théâtre d’Eschyle ou de Sophocle. Les scénographes athéniens avaient agencé une machine appelée « theologeion », une grue tournant autour de la scène, dont la plateforme abritait un comédien masqué figurant le dieu ou la déesse, autorité suprême permettant la résolution du nœud théâtral autant que des grandes énigmes de l’existence. Dans le Judaïsme, l’arche d’alliance et sa Torah aux cinq livres jouent un rôle voisin, alors que l’apparition de Jésus, « le Dieu parlant en soi », puis le « tombeau vide » consécutif à la résurrection, en est la réactivation. Ce dernier bénéficia des « évangélistes qui devinrent ses poètes ».

Cependant, avec Platon, « le divin s’est détaché du mythe, de l’épopée et du théâtre », soit une « sécession » entre la philosophie et la poésie. Il n’est pas impossible que ce détachement de la « société de corruption de l’Olympe », au-delà de laquelle Dieu doit être bon et parfait, soit l’un des prémices de « l’agonie des dieux » qui sera célébrée par Nietzsche. Sans compter qu’un acteur devient à l’occasion du Christianisme prégnant : le mal, le diable !

Ainsi, des épopées d’Homère aux « dieux poétisant » jusqu’aux mosaïques tables de la Loi, sans omettre les divinités égyptiennes, les dieux ont la langue fort bavarde : le « phénomène des dieux parlants » est de l’ordre d’une « théopoétique » (entendons poétique en son sens étymologique de création). Le ciel n’est en rien vide, il déborde de discours, dont le filet de mots protège, menace et régente l’humanité : « En lui, on pouvait penser le monstrueux, l’ouvert et l’ample en même temps que le protecteur et le domestique, dans un symbole d’intégrité cosmique et morale. » Voilà en quoi notre philosophe traite de l’art oratoire qui fit et défit les panthéons depuis l’Antiquité, du besoin anxieux d’injonctions et de textes religieux, tant narratifs, qu’explicatifs, argumentatifs et injonctifs. Ce sont en effet des productions littéraires à analyser en tant que telles, une « théopoésie [qui] ne quitte à aucun moment le domaine de l’inventé, du construit, de l’exacerbé », reflétant nos désirs et nos peurs, notre besoin de compréhension et de législation qui se sont sédimentés siècles après siècles. Ce qui est dit avec l’art stylistique ébouriffant que l’on connait à notre Peter Sloterdijk préféré : « De la même manière que se sont tout récemment formés sur les océans de gigantesques tourbillons de déchets en plastique dont la dégradation biologique prendra des siècles, sinon des millénaires, de gigantesques tourbillons composés de résidus de dieux pourraient apparaître sur les océans de l’âme, même si on les remarque plus rarement. Leur épuration et leur recyclage ne sont réglés ni sous l’angle théologique, ni du point de vue ethnologique, psychologique ou esthétique, ni sur le plan de l’histoire culturelle. »

La satire se glisse avec un malin plaisir dans l’essai, lorsqu’il s’agit du « front orageux » des guerres sous les bannières de la foi catholique et protestante ou des « virtuoses religieux et leurs excès ». « L’avalanche du masochisme ontologique » conduit à l’abandon à la souveraineté de l’autre absolu et à devenir la « marionnette de la volonté divine », ce que l’on constate chez les terroristes islamiques. De même c’est avec réalisme et cynisme que le philosophe perce à jour les martyrs, « apprentis sorciers qui ne reviennent pas de leur voyage dans l’au-delà » et les théologiens, « dramaturges qui traitent de la grammaire des fables ». Plus scientifiquement, « la sensibilité à la transcendance serait la dot de cerveaux androïdes » que leurs préprogrammations innées connecteraient à des « agences de l’au-delà », que l’on tenterait de corrompre par le culte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Faire parler le ciel », en tant que lecture théologique du divin, est un ressort qui réside bien plus au royaume de la représentation poétique qu’en celui de la connaissance philosophique. L’éventail religieux est agité par des opérations poétiques où les pouvoirs de la vision, de l’imagination et de la rédaction sont à l’œuvre, exactement comme dans le mouvement d’un souffle d’inspiration emportant le poète comme le prophète.

L’on se doute que les religions monothéistes, Judaïsme, Christianisme et Islam, sont toutes aussi « théopoétiques » que les autres. Toutes sont des machines fictionnelles, soit « des poésies secondes niant catégoriquement être des poésies ». Avec la Divine comédie de Dante[4], en particulier sa troisième partie sur le Paradis, « la poésie obtenait un droit d’entrée dans l’au-delà » par l’entremise du genre merveilleux. La tradition évangélique « dévoile la constitution théopsychiatrique du Christianisme comme celle d’une épidémie programmée de sentiment de culpabilité ». Quant à la fabrique du Coran, l’ange Gabriel qui parlait à l’oreille de Mohammed, « il ne semble exister aucune différence notable entre inspiration et compilation », tant il pratique l’emprunt aux textes bibliques, toit en fomentant une religion éthiquement fort différente, voire antagoniste, en pratiquant, comme nombre de ses concurrentes, des « extinctions théocidaires », même si bien des dieux disparaissent d’eux-mêmes, faute de locuteurs. L’on goûte alors des formules plus que piquantes : « dès qu’un dieu renonce à la médiation de voyantes sous l’emprise de la drogue ou à celle de prophètes aux lobes pariétaux hyperactifs », vient le temps de la Révélation.

L’on ne peut écarter, malgré des velléités judicieuses de « pilotage moral », que « les religions sont des systèmes de persuasions et des écoles d’obéissance qui donnent à l’esprit enfantin des indications sur ce qui est juste, mais ne sont plus dignes de l’esprit majeur qui réfléchit par lui-même ». De telles analyses, déjà classiques, mais dites avec une saine vigueur, sont alors joliment suractives. La critique de l’infaillibilité des fictions permet de montrer combien leurs certitudes peuvent être ubuesques, encerclant par exemple « les organes génitaux des croyants […] dans un anneau d’avertissements dissuasifs ».

« Crépuscule des dieux et sociophanie », soit « aube postrévolutionnaire du lien social », montrent que les Chrétiens deviennent une minorité, alors que l’utopie marxiste fomente une autre religion, ou « le passage de la religion au stade de la parodie ». Ces dieux, « stockés dans des conteneurs lexicaux », tendent à se taire ou à voir leurs nécessités transiter et transiger vers des formes politiques ou culturelles, qu’il s’agisse du peuple ou de la société, concepts qui pourraient paraitre manquer d’incarnation, à moins que ce manque ait pour conséquence une liberté… Or un nouveau theologeion apparait : « la presse ».

 

 

Déclinant l’offre théopoéthique, notre philosophe découvre pour nous la poésie de l’éloge, de la patience, de l’exagération, toutes stratégies, néanmoins sincères, cependant au service des dogmes et de leurs servants. Ces « virtuoses religieux » peuvent être à la source d’œuvres sacrées magnifiques, dont la dimension spirituelle et transcendante est à l’honneur de l’humanité. Bientôt le kérygme (ou partage de l'essentiel de la foi chrétienne) se change en propagande, lançant des « offensives de l’offre ». Mais leurs excès comprirent « le travail de la persuasion armée » ; ce plus encore dans l’Islam, « religion au pouvoir » dont les conquêtes se firent moins par la diffusion de la foi que par le fil du sabre. Bien au-delà du concept de « militia Christi » théorisé par Tertullien, la théopoétique devient théopolitique ; le drame islamique, enivré de ses succès, « propageait la terreur sur la base de la traduction de versets sacrés dans les effets des armes ». S’il faut le dire plus nettement, « il incarne l’unique variante du monothéisme à avoir été créée comme un mouvement élitaire déterminé à employer la violence », usant sans partage de la soumission, qui est le sens du mot « Islam » ainsi que de « sexisme cru ». « On ne plaisante pas avec la fiction », ironise Peter Sloterdijk.

Comme le conclue notre philosophe, en son dernier chapitre intitulé « Liberté religieuse », l’on peut espérer imaginer que libérées de leurs fonctions sociales et politiques, les religions pourraient se consacrer à l’interprétation de l’existence dans un contexte universel, en concurrence, voire en congruence avec la philosophie et les arts.

Même si parfois Peter Sloterdijk, immense philosophe des « Sphères[5] », jongle avec les concepts et les métaphores comme un cracheur de langue de feu, un prosateur pyrotechnique recyclant non sans humour les concepts dans un sabir outrageusement contemporain, dont certains esprits chagrins oseraient s’irriter (à l’occasion du « cloud solaire » par exemple ou du « pressing transcendant » du purgatoire), il sait avec un brio fou faire pétiller notre esprit, décapant la couche de poussière accumulée sur la pensée et ouvrant des perspective inédites à l’intellect gourmand de critiques avisées, autant abyssales que stratosphériques, de notre monde comme il va et ne va pas religieusement.

Il est évident que Roberto Calasso, Jean-Louis Poirier et Pierre Bouretz d’une part et Peter Sloterdijk d’autre part ne font pas parler les dieux de la même manière. Les essayistes recueillent et revitalisent leur parole incluse dans les mythes, quand le philosophe montre combien ces fictions religieuses sont les porte-voix des volontés de pouvoir de l’humanité. Si les religions pensent poétiquement le monde, elles le pensent un peu trop souvent politiquement. Lorsque des religions meurent, tombent en désuétude, elles deviennent des mythologies. Ne reste plus qu’à souhaiter que les religions marxistes puis écologistes rejoignent les cieux fictionnels d’où elles n’auraient jamais dû descendre tant elles sont également des amplificateurs de discours appelant à la prise de pouvoir.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[3] Pierre Bouretz : Lumières du Moyen Âge, Gallimard, 2015.

[5] Voir : Les Sphères de Peter Sloterdijk

 

Santa Maria Gloriosa dei Frari, Venezia. Photo : T. Guinhut.

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17 juin 2018 7 17 /06 /juin /2018 10:52

 

San Giacomo / Sankt Jacob, Trentino Alto-Adige / Südtirol.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

 

Quand le Christ rencontre

de chrétiennes uchronies.

Jésus l’Encyclopédie,

Roger Caillois : Ponce Pilate,

David Toscana : Evangelia.

 

 

 

Jésus l’Encyclopédie, sous la direction de Joseph Doré, Albin Michel, 846 p, 59 €.

 

Roger Caillois : Ponce Pilate, L’Imaginaire, Gallimard, 128 p, 6,90 €.

 

David Toscana : Evangelia, traduit de l’espagnol (Mexique)

par Inés Introcaso, Zulma, 432 p, 22,50 €.

 

 

      Le fondateur du christianisme n’est-il qu’une fiction ? Quelque soit la réponse, même si c’est plutôt sa divinité qui est fictionnelle, il reste une haute figure historique, tant il a nourri la civilisation occidentale et au-delà. Malgré les innombrables et inévitables controverses, il n’en mérite pas moins une lecture encyclopédique. C’est chose faite avec Jésus. L’Encyclopédie. Si une immense part d’imaginaire nourrit la figure de Jésus, rien n’empêche d’étendre sa rêverie jusqu’à d’improbables et cependant curieuses extrémités. Ainsi Roger Caillois imaginait dans son Ponce Pilate que ce gouverneur romain graciait le Christ : en conséquence, il n’y eut pas de Christianisme. Avec son Evangelia, le Mexicain David Toscana préfère livrer une uchronie féminine et parodique.

      Non, une encyclopédie sur un être que l’on ne connait que par quelques évangiles n’est pas inutile, au contraire. Jésus L’encyclopédie est non seulement un document pluriel sur la foi - on s’en serait douté - mais sur une vie, une doctrine, sans cesse questionnées et mises au net, du moins dans la mesure du possible. Un aréopage d’auteurs se penche sur le fondateur du Christianisme, tous plus brillants les uns que les autres, tous plus circonspects et nuancés : leur sagesse est de n’être point dogmatiques, encore moins fanatiques ; ils sont des esprits ouverts à la controverse, à l’humanité, et bien sûr à la tolérance, ils placent le lecteur devant la responsabilité du libre-arbitre.

      L’Histoire, la littérature et l’archéologie peuvent tenter de nous apporter des informations sur la probabilité de l’existence de Jésus, personnage bien plus documenté par ailleurs que ses concurrents, Mahomet ou Bouddha. Quoique les fouilles ne rapportent rien du Messie, a contrario de Caïphe, Pilate et Hérode. Pourtant « tout est parti d’une rumeur », analyse Joseph Doré. Celle de la résurrection ; qui se répand au travers de l’empire romain, en un demi-siècle. Aussi est-il « celui qu’on peut contester, mais qu’on doit constater », selon la judicieuse formule de Jean-Luc Marion. Or le texte des Evangiles, dont quatre seulement sont canoniques, « n’a jamais été fixé ». Alors que le Christ est probablement mort le 3 avril 30, ils ont été récités, écrits dans la seconde moitié du I° siècle, copiés y compris de manière erronée depuis des originaux introuvables : « Ce caractère mouvant du texte reste l’un des remparts les plus sûrs contre le littéralisme », note Roselyne du Pont-Roc.

      Se consacrant à divers éclairages sur la vie de Jésus, l’encyclopédie n’oublie pas de mettre en valeur d’essentielles problématiques. Le Messie « invitent ceux qui l’entourent à réintégrer la vie sexuée », plaide en faveur des femmes pécheresses, préfère la charité à l’avarice, bien qu’il rende justice à l’argent, au travail et à l’investissement dans la parabole des talents (ce qui préfigure le capitalisme). Enfin il figure le mal sous forme de démons. Outre la dimension éthique, s’instaure une dimension étiologique. Sans oublier le langage des paraboles, dont Jésus use en poète et conteur, mais aussi en philosophe qui propose une quête de sens et ouvre à la liberté de l’interprétation. Certes il y a des messages difficiles à avaler, comme « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent », en lequel pourtant il faut voir miséricorde et non stratégie politique. Terminons sur « l’humour de Jésus », mis en relief par Michel Berder : la parabole de la paille et de la poutre dans l’œil est en effet devenue un adage aussi populaire que sensé.

      On ne mesure pas assez la « subversion évangélique », selon Jean-Claude Guillebaud : le sacrifice des coupables offert aux dieux devient le sacrifice du Dieu innocent en faveur des hommes qu’il sauve. Il s’agit d’un retournement anthropologique, quoique Nietzsche le dénonçât comme l’irruption de la morale des esclaves. Aussi, pour répondre à ceux qui croient contrer la violence coranique en accusant celle christique, faut-il, avec André Wénin, se demander : « Jésus est-il violent ? ». Le « glaive » qu’il apporte dans Saint Matthieu ne fait pas de lui un guerrier, mais celui qui coupe le cordon ombilical familial pour être rejoint. Même chassant les marchands du Temple, il n’use pas de violence à l’égard des individus. « Tu ne tueras point », écrit-il sur la poussière, confirmant la loi mosaïque.

      Merveilleusement illustré de peintures, mosaïques et manuscrits, de cartes et de photographies, qui sont toujours légendés avec générosité et précision, cette encyclopédie ne choit jamais dans la bondieuserie, jamais dans le niais catéchisme. Si des croyants en sont les auteurs, l’intelligence et la prudence ne leur manque jamais. Quant à nous, heureux sceptiques devant ce phénomène considérable de l’Histoire du monde et de la pensée, serons-nous hérétiques en niant la divinité de Jésus, comme dans l’arianisme, ou en niant son humanité, comme dans le docétisme ? Absolument arianistes, nous restons néanmoins impressionné par une certaine sagesse de Jésus, qui préfère l’amour à la haine, sait pardonner à la femme adultère et sépare l’Eglise et l’Etat, donc apparait comme un fondement civilisationnel.

 

      Outre les Evangiles, une foule de vies de Jésus ont envahi les rayonnages des bibliothèques, au premier chef celle de Renan. Le fils de la Vierge Marie et de Dieu le père, incontestablement masculin, doit son succès et sa postérité, non seulement à son message, mais aussi à une crucifixion couronnée par une résurrection miraculeuse, qui persuade volontiers les crédules.

      C’est avec une discrète ironie que Roger Caillois raconte l’achèvement de la vie du Christ. Il use d’un biais stratégique en choisissant de titrer son récit Ponce Pilate, publié en 1961. Voici un petit roman historique présentant un Ponce Pilate, Gouverneur romain de Jérusalem, excédé par « le fanatisme de la population ». C’est d’abord un portrait d’homme et de politique, qui fait preuve de « révolte de philosophe contre la crédulité humaine ». Aussi lorsqu’il reçoit Anne et le Caïphe pour entériner la crucifixion d’un « faux prophète », est-il sceptique. Son épouse, Procula, guidée par un rêve fantastique, plaide la cause du Messie. Un peu d’« oneirocritique » ne nuit pas et participe de la délibération, en laquelle Menenius, fin politique, conseille une mort qui ne concerne guère Rome. De même, Judas l’implore de le condamner, mais parce que « le salut du monde dépend de la crucifixion du Christ ». Mardouk quant à lui prévoit l’essor d’une telle religion et de « la fantasmagorie théologique », toute l’Histoire future en fait, en une aventureuse et ironique spéculation, jusqu’à un auteur du XX° siècle « qui publierait cette conversation aux éditions de la Nouvelle Revue Française, se flattant sans doute de l’avoir imaginée ».

 

 

      Fidèle à son essai Au cœur du fantastique[1], Le talent rare de Roger Caillois est ici à son comble, au moyen d’une prose limpide et somptueuse et au service d’une méditation sur les vanités des religions et du pouvoir politique, sur le déterminisme (« il restait libre d’être courageux »), au croisement d’une réflexion sur les philosophes stoïciens et le « clinamen » de Lucrèce...

      Mais au contraire des récits évangéliques, Ponce Pilate réussit bien à « limiter les exactions du fanatisme ». Son éthique réflexion nocturne lui permet de libérer le Messie, au prix que quelque émeute et d’une poignée de victimes : « Toutefois, à cause d’un homme qui réussit contre toute attente à être courageux, il n’y eut pas de christianisme ». Une ruse de l’Histoire et voici l’uchronie libérée. Et lorsqu’il s’agit de rêver un développement historique, il faut se rappeler d’une semblable ruse d’un autre uchronien : Philip K Dick en usa dans son Maître du Haut-château[2], amenant un écrivain isolé parmi une Amérique conquise par les Japonais et les Allemands à imaginer la victoire des Etats-Unis et de ses alliés.

      On ne s’étonnera pas que Roger Caillois soit un virtuose des songes et des temps imaginaires, puisqu’il orchestra deux anthologies, l’une du fantastique[3], l’autre sur les puissances du rêve[4]. De l’auteur de Méduse et cie et du Fleuve Alphée, qui sait si bien  agencer élégance et érudition, il faut faire l’éloge de sa trilogie de minéraliste collectionneur, bellement publiée sous le titre de La Lecture des pierres[5] et illustré d’« agates paradoxales ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Evangelia signifie en grec « la bonne nouvelle ». Ainsi titré, le récit de David Toscana est d’une savoureuse ironie. C’est un roman historique et légendaire bon enfant, dans lequel les rois mages suivent une étoile capricieuse. Devant l’enfant Jésus, une surprise désastreuse les attend. Car Emmanuelle, le rejeton de Marie, « n’aura jamais de barbe », s’irrite le Seigneur. L’ange Gabriel aurait failli dans sa mission ? L’on devine que, pour la prophétesse, ce n’est pas une sinécure que d’imposer le message divin, de recruter des apôtres, d’asseoir son autorité de fille de Dieu, de Déesse enfin. D’autant qu’il vient un frère cadet, Jacob, redoutable concurrent connu bientôt sous le nom de Jésus. Les péripéties, burlesques et graves, se succèdent, jusqu’à ce que Pierre devienne « l’apôtre d’Emmanuelle ».

      Sens de l’humour, rebondissements, discrète érudition, voici les qualités de cette réécriture parodique des Evangiles, dans la tradition du Virgile travesti de Paul Scarron. Sans oublier l’ironie égratignant foi et tyrannie religieuse : « Quiconque dira qu’assécher le figuier a été une infamie sera tenu pour hérétique », assène notre « meneuse d’une bande de guérilleros », notre « Christe » ! Le burlesque irrévérencieux atteint un sommet lorsque la barque de Pierre et de la « fille du Dieu Très-Haut » est assiégée par des cochons que l’apôtre doit écarter à coups de rame sanglante ! Voilà, parmi d’autres, une scène « indigne de la plume du plus crasseux des évangéliste », selon le mot d’un romancier qui ne recule pas non plus devant l’autodérision. La satire n’épargne évidemment pas les faiseurs de miracles. Emmanuelle joue à occire et ressusciter plusieurs fois Pierre. Joseph est quant à lui affligé par la lèpre. Plus loin, elle joue à « se déhancher » comme une nouvelle Salomé devant Hérode. Crucifiée nue, Emmanuelle va bien se réveiller du tombeau et jouir d’une ascension stratosphérique qui la verra périr de froid. Jusqu’à Dieu le père lui-même qui fulmine lorsqu’il apprend la naissance d’Emmanuelle et réfute sa proverbiale omniscience : « Crois-tu que j’accompagne chaque jour des millions de mortels aux latrines ? ».

      Outre la dimension uchronique -imaginer un temps historique et mythique qui n’a jamais existé- le Mexicain David Toscana, né en 1961 et auteur d’El Ultimo lector[6], offre un apologue universel et cependant ancré dans notre temps : il se moque d’une récurrente misogynie et milite à sa manière pour l’égalité homme-femme, y compris au sein de religions plus ou moins enclines à reconnaître la féminité dans sa dignité. Gageons d’ailleurs que si quelques Chrétiens s’irriteront de lire ce roman, ils n’iront guère jusqu’à le qualifier de blasphème, ce qui ne manquerait pas d’arriver dans le cadre d’une religion que nous ne nommerons pas.

      Si le Christ avait été une femme, la face du monde en aurait-elle été changée ? Autant que s’il n’y avait pas eu de christianisme ? Voilà qui est douteux. Qui sait cependant si nous y aurions gagné une plus respectueuse condition des femmes. À moins qu’il s’eût agi d’un motif supplémentaire de haine contre cette religion ? Le besoin d’au-delà, cette saine maladie, qu’il est permis de panser avec Jésus. L’Encyclopédie, devient trop souvent une humaine tyrannie qui s’empare d’une fantasmatique autorité divine pour subjuguer les foules, les opprimer, voire, dans le cas d’une religion explicitement meurtrière, recourir au génocide contre ceux qui ne partagent pas son escroquerie.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Evangelia a été publiée dans Le Matricule des anges, février 2018

 

[1] Roger Caillois : Au cœur du fantastique, Gallimard, 1965.

[2] Voir : Petit traité d'hitlérienne uchronie

[3] Roger Caillois : Anthologie du fantastique, Club Français du livre, 1958.

[4] Roger Caillois : Puissance du rêve, Club Français du livre, 1962.

[5] Roger Caillois : La Lecture des pierres, Xavier Barral, 2015.

[6] David Toscana : El Ultimo lector, Zulma, 2009.

 

 

Christ en croix, XIV°, Museo Correr, Venezia.

Photo : T. Guinhut.

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21 février 2018 3 21 /02 /février /2018 18:55

 

Alhambra, Granada, Andalucia. Photo T.Guinhut.

 

 

 

 

 

 

Petite revue d’islamologie I :

 

l’Histoire de l’Islam, de Mahomet et du Coran

 

au mythe Al-Andalus.

 

 

 

 

Hela Ouardi : Les Derniers jours de Muhammad, Albin Michel, 366 p, 8,90 €.

 

Mathieu Guidère : Au Commencement était le Coran, Folio, Gallimard, 272 p, 7,80 €.   

 

Serafin Fanjul : Al-Andalus, l’invention d’un mythe,

traduit de l’espagnol par Nicolas Klein et Laura Martinez, L’Artilleur, 720 p, 28 €.

 

 

 

 

 

 

      Mortels sont les prophètes ; hélas, trois fois hélas, parfois trop immortelle est leur doctrine, d’autant qu’elle multiplie les morts. N’en déplaise aux esprits lénifiants, le cadavre de Mahomet ne cesse d’empuantir la planète, depuis ses « derniers jours », contés par Hela Ouardi. Son livre saint, depuis quatorze siècles, légitimant une sainte violence, nombre de penseurs musulmans en réclament une relecture contextualisée et surtout plus paisible, plus ouverte, selon Au Commencement était le Coran de Mathieu Guidère. Car, non content d’imposer le jihad guerrier, l’Islam veut nous faire croire en son irénisme. Reste à lever le voile sur les dessous du mythe Al-Andalus, à la manière de Serafin Fanjul. Les livres de ces nécessaires historiens des religions sont ouverts aux yeux qui veulent s’affranchir de l’ignorance, des préjugés, de l’obscurantisme : « Ose savoir », disait en effet Kant dans Qu’est-ce que les Lumières ?[1]

      Que s’est-il vraiment passé, à Médine, en juin 623, quand le prophète expira son dernier souffle ? La Tunisienne Hela Ouarbi se livre à une rigoureuse -tant que faire se peut- enquête sur une mort mystérieuse dans son essai historique Les Derniers jours de Muhammad. Qu’on se le dise, rien ici de l’hagiographie, rien de l’idéologie close sur elle-même, mais la tentative d’approcher au plus près de l’historicité un homme cerné par les rivalités au sein de son clan, par les ennemis et jaloux que ses conquêtes ont suscités, et par une guérilla familiale de succession qui aboutira au schisme entre les sunnites et les chiites.

      La bouche qui proféra les saintes sourates morte, on propage pourtant des versets jamais entendus. D’autres disparaissent opportunément. C’est entendu, le Coran, outre ses manuscrits sur des peaux et autres omoplates de chameaux plus tard détruites, est une fabrication a posteriori. Mais le plus étonnant n’est pas là : pourquoi laisse-t-on le corps pourrir deux jours, a-t-il été empoisonné, a-t-il été empêché de dicter son testament ? Voilà bien une histoire suspecte qu’environne « l’obsession du blasphème[2] ». « Roman familial », « complot », épouses diverses, dont  Aïsha, « sémillante petite rougeaude » qui, à neuf ans, dut avoir des relations conjugales avec le prophète, mais sensuelle, intelligente, ce qui lui permet de conserver un grand prestige. Tout cela se déchire entre versions diverses, voire antagonistes, faisant du prophète un doux agneau ou, ce qui est plus historique, un cruel chef de guerre[3] : « Comment les musulmans peuvent-iles être édifiés par une vie censée être exemplaire, faite d’un aussi grand nombre de paradoxes ? », médite Hela Ouarbi.

      Mahomet mort, en 632, la succession se partage en deux légitimités, de façon à prendre le contrôle de la communauté des croyants : Ali, gendre et fils spirituel, devient le chef des futurs chiites, quand Abû Bakr, le père d’Aïsha donnera naissance aux sunnites en devenant le premier calife. On connait la guerre perpétuelle qui s’en suivit et continue d’envenimer le Proche-Orient…

      Sourcilleusement érudit et basé sur de nombreuses sources, hadiths, « Sirâ », exégèses et chroniques, l’essai se lit comme un feuilleton. Il montre comment une religion, de surcroît aussi politique que celle-ci, est dès sa naissance, un champ de lutte d’influences et de pouvoir. Les terroristes de quatorze siècles sont bien, selon Hela Ouardi « la partie visible de cet immense iceberg qu’est le conformisme religieux, complice silencieux du crime », ce que nous disions sous les termes d’une autre métaphore, l’arbre et la forêt[4].

 

      Quoique le Coran, cette récitation, soit d’origine humaine, trop humaine, venu du pillage de l’Ancien et du Nouveau Testament, venu peut-être de manuscrits antéislamiques, car aucune œuvre n’existe ex nihilo, on est bien obligé de se référer au seul livre transmis avec vénération et fiel par la postérité, car Au commencement était le Coran, assure Mathieu Guidère. Ce dernier saisit le problème à bras le corps, dès son avant-propos : « la violence qui se réclame de l’Islam et qui puise sa légitimation dans le Coran même ». Ce dernier livre est non seulement un champ de « soumission » (c’est là le sens du mot du livre miraculeux) des Musulmans, et plus drastiquement contre les femmes, une objurgation continue à la violence contre les Juifs, les Chrétiens, « les « associateurs », les apostats, plus largement contre toutes les libertés, religieuses et politiques, mais aussi un livre prétendument révélé, incréé, éternel, ne varietur, donc fermé à toute interprétation contextualisée et ouverte. Ce livre (dont le kitsh répétitif et clinquant à désespérer des bibliothèques arabes inonde la couverture de l’essai de Mathieu Guidère) est « perçu comme un message anhistorique alors qu’il est devenu anachronique à bien des égards », ce qui est un doux euphémisme.

      Mathieu Guidère met avec sûreté l’accent sur les rares manuscrits, la construction arbitraire du Coran, ses « versets sataniques » et « magiques », ses sourates rangées de la plus longue à la plus brève, venues de La Mecque et de Médine, les plus anciens versets,  un peu plus conciliants, abrogés par les plus récents et plus radicalement cruels. Et, cerise sur le gâteau, « l’abrogeant universel », ce fameux « verset du sabre » (IX, 5)[5] : « Tuez les polythéistes partout où vous les trouvez », qui décrédibilise le trop souvent hypocrite « Nulle contrainte en religion » (II, 256). L’affaire est entendue, un fanatisme assassin[6] commande l’Islam. Jusque dans son au-delà, il est contradiction, car il fait couler le vin en son paradis et l’interdit sur terre. Et dire qu’une part énorme de l’humanité suit ou prétend suivre un tel tissu d’incohérences, de violences et d’obscurantisme…

      Reste qu’en retrouvant le chemin de la lecture, de l’interprétation, on arrive par exemple à lire le voile coranique (ce en arabe classique), comme ne devant cacher que « les plis du corps, la fente sexuelle ou fessière, ou encore la poitrine, les seins, l’échancrure (l’espace entre les seins) » Rien du visage donc, rien de cet étendard politique, à la fois de la soumission féminine et de l’exhibition nationaliste et tyrannique de l’oumma (la communauté des croyants). Ce qui ne dédouane en rien le livre dit saint ni sa religion dont nous conseillons de jeter le voile qu’il jette sur les libertés aux orties…

      Il faut alors réclamer une démarche de contextualisation du livre le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité, passée voire à venir, une démarche critique. Mathieu Guidère s’est donné pour tâche de faire entendre les voix des penseurs musulmans qui veulent adapter ce livre et cette religion à notre monde contemporain, à son pluralisme, à ces libertés, aux droits de l’homme. « Ces penseurs invitent les croyants à vivre la religion comme une expérience individuelle, dans une relation directe à Dieu et sans prendre le verbe coranique au pied de la lettre ». Dénaturation ? Gageure ? Taqîya (dissimulation) ? À moins de penser, comme Aquila, que le meilleur service à rendre aux Musulmans et à l’humanité, soit « un monde sans Islam[7] ». Et si les Musulmans ne peuvent se passer de transcendance, de foi, de morale religieuse, ils trouveront mieux dans le Judaïsme et le Christianisme…

      Car qu’est le vrai Islam sinon celui du Coran mais aussi des haddits et de la jurisprudence musulmane en la charia ? Le désosser de ses versets génocidaires, violents, sexistes, tyranniques, comme le font mentalement ceux qui prétendent à un Islam de paix ou des Lumières, serait un salut qui en signerait la fin. Si le travail de Mathieu Guidère est plus qu’intéressant et nécessaire, il trouve là sa limite.

 

      Voici un point d’histoire nodal : l’Andalousie, paradis de la coexistence des cultures, chrétienne, juive et musulmane. Tudieu, quelle billevesée ! Répandue au point que Tidiane N’Diaye lui-même nous parle des « Lumières » du XI° siècle arabe et andalou »… Au contraire du mythe islamophile et romantique, la réalité historique est beaucoup plus radicale, ce qui est cohérent avec nos précédentes lectures. Serafin Fanjul, philologue arabisant et historien espagnol, montre avec ampleur et précision que la coexistence pacifique des trois cultures n’est qu’un fantasme rétrospectif qui fait fi des razzias, des massacres récurrents appliqués avec constance par les envahisseurs maures, de l’infamant statut de dhimmi appliqué aux Chrétiens et aux Juifs, de l’oppression quotidienne, y compris vestimentaire, de l’obligation de se convertir ou d’émigrer vers le nord ou encore d’être déporté vers le Maroc : « un régime plus proche, mutatis mutandis, de l’apartheid sud-africain que de l’Arcadie idyllique ».

      Pas un instant, Serafin Fanjul n’oublie les intolérances mutuelles entre les religions, particulièrement inhérente au Coran, pointant les illusions de ceux, comme Americo Castro, qui s’extasient à propos de « la doctrine coranique de la tolérance », faisant appel au : « Croyants ! Ne vous liez pas d’amitié avec les Juifs et les Chrétiens ! (Coran, V, 56) ». En la matière, Ibn ‘Abdun « compare Juifs et Chrétiens aux lépreux ». S’ils ne sont pas massacrés, comme à Cordoue en 850-57, à Grenade au XI° et XII° siècles, ils sont soumis à l’humiliation perpétuelle, à un impôt particulier, l’Islam ne supportant pas le métissage. Aussi, ils doivent, s’ils le peuvent, souvent fuir vers le nord, ou vers l’Orient, comme le savant Juif Maïmonide, qui cependant prescrivait la lapidation pour le « crime d’idolâtrie[8] ». N’omettons cependant pas que, moins violents, les Chrétiens de la Reconquista n’en pratiquaient pourtant pas moins une discrimination peu amène.

      C’est bien ce que l’on découvre au travers de l’essai de Serafin Fanjul, quoique le lecteur qui y chercherait un développement chronologique stricto sensu, depuis les Romains et les royaumes Wisigoths chrétiens jusqu’à la Reconquista achevée en 1492, en passant par l’invasion et huit siècles d’occupation arabe, serait un peu déçu. Il s’agit là en effet de la réunion de deux volumes espagnols : Al-Andalus contre l’Espagne et La Chimère Al-Andalus. Une argumentation erratique et cependant imparable déplie les exactions maures et le peu d’influence des Morisques sur la civilisation espagnole, malgré les beaux restes de l’architecture arabe et mudéjar (c’est-à-dire de l’Islam en terre chrétienne). À cet égard, rappelons avec notre auteur les fallacieux exemples du figuier de barbarie (venu du Mexique) ou du flamenco profondément endémique, et de plus récent. Tout cela documenté et référencé avec le soin le plus pointilleux.

      Il s’agit également de démonter les présupposés anti-espagnols (l’hispanité étant forcément un avatar du Franquisme) qui font saliver les yeux de Chimène de la Gauche au regard d’une idéalisation de l’ère arabo-andalouse. Ce dont témoigne l’islamophilie exacerbée de l’écrivain Juan Goytisolo[9], qui ne s’embarrasse guère de scrupules historiques et civilisationnels.

 

 

      On reproche au roi Ferdinand d’Espagne d’avoir, après dix ans de mûre réflexion,  consenti à l’expulsion des Morisques non convertis. Mais il s’agissait d’une « minorité non assimilable, qui se refusait à l’intégration et dont la connivence avec l’ennemi du moment n’était ni passive, ni méconnue » ; phrase à méditer...

      À en croire les thuriféraires de l’Islam, la culture musulmane aurait brillé à l’époque médiévale et particulièrement entre Cordoue et Grenade, réactivant tout le patrimoine des Anciens qu’il aurait perpétré à lui seul, comme le soutint Sigrid Hunke[10], qui, en nazie bonne amie d’Himmler, méprisait la culture judéo-chrétienne et portait aux nues la civilisation arabo-musulmane. C’est faire peu de cas du monde hellénistique et romain, de la civilisation perse, des Byzantins, des Syriaques et des Arabes chrétiens, sans compter l’univers médiéval occidental. Certes Bagdad a pu faire traduire Aristote, Averroès le commenter, Al- Fârabî commenter Platon, mais ce ne sont que des textes compatibles avec la religion musulmane, et de surcroît des bribes d’œuvres que l’on trouvait entières dans les bibliothèques monastiques de Byzance et d’Europe, jusqu’au Mont Saint-Michel, comme le montre avec sûreté Sylvain Gouguenheim[11]. Certes encore, la poésie arabe, sur le sol andalou[12], s’épanouit avec une rare beauté qui ne manqua pas d’influencer nos troubadours. On ne manquera pas également de vanter la splendeur de l’architecture arabe à Séville, Cordoue et Grenade, mais où le renouveau intellectuel musulman ne dépassa guère ce qui contribuait à la science coranique (mais pas la science spéculative et rationnelle), à l’astronomie et à la médecine venue de Galien…

      Quant à l’influence arabe en Espagne, elle est quasiment nulle, insiste Fanjul. Trois mille vocables certes, mais peu usités, rien dans l’architecture populaire, tout au contraire ayant sa source à Rome et chez les Wisigoths, puis en Amérique latine et en Europe ; songeons par exemple au vocabulaire venu du français qui pullule dans le castillan qui est une langue latine. Avec justesse, il ridiculise ceux qui prétendent que les Morisques étaient espagnols, qu’ils ont découvert l’Amérique, qu’Al-Andalous était un « paradis originel », sans jamais se départir de sa rigueur historiographique.

      Le livre passionnant et profus de Fanjul ne fait évidemment pas l’unanimité. Tant des universitaires, écrivains et journalistes espagnols hallucinés honnissent la Reconquista (certes elle eut le tort insigne d’expulser les Juifs non convertis), honnissent l’Espagne, lui préférant un fantasme qui ne manquerait pas de décapiter leur liberté d’expression si le malheur voulait qu’il se rétablisse sur la péninsule ibérique. Il faut alors saluer le courage et la probité intellectuels de notre essayiste, par ailleurs modeste, s’appuyant sur des sources vérifiées, contrecarrant les falsifications de l’Histoire par des idéologues et autres ignorants. C’est ainsi, comme le souligne son préfacier, Arnaud Imatz, qu’il honore le nom d’Historien.

      Nos trois premiers essayistes pourraient probablement faire leur ce constat désabusé de Serafin Fanjul : « L’observation des sociétés anciennes ou moderne nous pousse à des conclusions pessimistes, dès lors que des groupes humains aux différences marquées vivent sur le même territoire ». Nous serons bien moins pessimistes, sauf dans le cas de l’Islam. Car reprend-il, « L’Islam contemporain s’obstine d’ailleurs à reproduire des conduites, à tenir compte de sentences religieuses et à appliquer des notions ou des châtiments fort heureusement abandonnés dans le monde occidental ». Une telle religion ne mérite-t-elle pas de s’effondrer ? Il semblerait que devant le terrorisme, l’esclavagisme et les petites et grandes tyrannies quotidiennes, alimentaires, vestimentaires et comportementales, sans oublier le risque de la mort pour apostasie, bien des fidèles l’abandonnent pour l’athéisme, mais également pour le christianisme, jusqu’à dix millions, selon le Père Micht Paccaw du National Catholic Register, connaisseur émérite du Proche-Orient et co-auteur, avec Daniel Ali, lui-même converti, de Inside Islam : A Guide for Catholics[13]. Que ce Christianisme et cet athéisme soient tempérés par les Lumières de la raison et de la tolérance, c’est ce qu’il faut souhaiter.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Emmanuel Kant : « Qu’est-ce que les Lumières ? », Œuvres philosophiques, Gallimard, Pléiade, 1985, t II, p 209.

[3] Voir : Maxime Rodinson : Mahomet, Seuil, 1994.

[5] Traduction Chouraki : « combattez les associateurs où que vous les trouviez, saisissez-les, assiégez-les, piégez-les » ; traduction Savary : « mettez à mort les idolâtres partout où vous les rencontrerez ».

[8] Moïse Maïmonide : Le Livre de la connaissance, PUF, 1990, p 243.

[10] Sigrid Hunke : Le Soleil d’Allah illumine l’Occident, Albin Michel, 1963.

[11] Sylvain Gouguenheim : Aristote au Mont Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Seuil, 2008.

[12] Le Chant d’al-Andalus, Actes Sud, 2011.

[13] Robert Spencer, Daniel Ali, Micht Paccaw : Inside Islam : A Guide for Catholics, Ascension Press, 2003.

 

 

Palacio Nazaries, Alhambra, Grenada, Andalucia.

Photo : T. Guinhut.

 

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4 mars 2017 6 04 /03 /mars /2017 10:30

 

Sevilla, Andalucia. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

 

Réquisitoire et plaidoyer pour le catholicisme,

suivis d’un éloge du polythéisme.

Jean Robin, Olivier Hanne, Maurizio Bettini.

 

 

Jean Robin : Le Livre noir du catholicisme, Tatamis, 360 p, 20 €.

Olivier Hanne : Le Génie historique du catholicisme, L’Homme Nouveau, 426 p, 23,50 €.

Maurizio Bettini : Eloge du polythéisme,

traduit de l’italien par Vinciane Pirenne-Delforge, Les Belles Lettres, 216 p, 14 €.

 

 

 

 

 

      « Tu ne tueras point », ordonnent les tables de la Loi mosaïque. Pourtant le Décalogue est suivi du « Code de l’Alliance », dans lequel la peine de mort peut s’appliquer, par exemple : « Qui traite indignement son père ou sa mère devra être mis à mort[1] ». Et bien que le Christ ait dit « Aime ton prochain comme toi-même[2] », le catholicisme se rendra gravement coupable de mille et un meurtres au cours de son histoire. Il faut alors, à la suite du Livre noir du communisme, ouvrir Jean Robin : Le Livre noir du catholicisme, farouche réquisitoire exact, mais brouillon. Ce pourquoi il faut le confronter avec l’essai d’Olivier Hanne : Le Génie historique du catholicisme, plaidoyer plus indulgent en faveur de ce monothéisme. Or Maurizio Bettini trouve préférable de faire l’Eloge du polythéisme. Et, si nous ne sommes pas religieux[3], nous ne serons pas loin de préférer cette possibilité.

      Notre intérêt et notre déception sont tout aussi grands alors que nous ouvrons Le Livre noir du catholicisme. Jean Robin liste d’abondance les plus et moins célèbres crimes et forfaits de cette institution religieuse. En cela il fait œuvre documentaire utile, ouvrant imparablement les yeux à qui n’aurait pas voulu le savoir ou le croire : l’histoire du catholicisme est jonchée de cadavres, d’enfants violés, de persécutions contre les Juifs et les hérétiques de tous poils, ad libitum.

      On se rend cependant très vite compte que faute d’avoir écrit un essai, construit et argumenté, il nous livre un fatras de copié-collé, de citations, certes bien attribuées à leurs auteurs, dans un ordre pour le moins erratique. Ce serait une micro-encyclopédie, mais sans ordre alphabétique ; ce serait une Histoire, mais sans ordre chronologique. L'option thématique a prévalu, soit.

      Commençons, pourquoi pas, par la « Persécution des scientifiques », avec Bruno, Bacon, Galilée, les premiers brûlés vifs en 1293 et 1600 (quoique eux aussi rangés en dépit de la chronologie). Continuons par les Protestants persécutés, puis par les Juifs, jusqu’à la Shoah, ensuite par les athées, les païens et les dissidents catholiques, les Cathares, en passant par l’Inquisition. Ainsi soit-il. Mais non sans que l’on ait bifurqué par le Congo belge et le Mexique contemporain. S’ensuit une énumération de la pléthore de prêtres pédophiles aux quatre coins de la planète ; on rétrocède par Jeanne d’Arc ; on bifurque par l’Enfer des bibliothèques ; on zigzague du « prêtre nazi » à l’Opus Dei. Nous voilà accablés par une énumération d’une quarantaine de « papes ignobles », qui s’achève par la « soumission à l’Islam », lorsque le Pape Jean-Paul II « embrasse le Coran ». Cette dernière notation pourrait paraître ici hors de propos, mais, si l’on sait combien le livre du prophète est farci d’injonctions meurtrières, en particulier dans la sourate « Le butin », on comprendra en quoi il s’agit bien d’ignominie papale…

      Allons jusqu’au plus réjouissant « financement des bordels par l’église », avant de stigmatiser de manière discutable les croisades, mais de manière plus judicieuse les « collaborations avec les communistes », les conquistadores, pour enfin (ou presque) s’offrir deux nouvelles énumérations, entre « dictateurs catholiques du XX° siècle » et « Pire rois et reines catholiques ». Et terminons avec Jean-Marie Le Pen, sans qu’il soit très clairement établi ce qu’il fait là, faute de préciser explicitement que ses provocations haineuses viennent de qui se prétend catholique, à moins que l’on considère que sa présence en ce livre suffise pour le signifier. L’Abbé Pierre et son soutien au négationniste Jean Garaudy en prend pour son grade, alors que l’icône créatrice d’Emmaüs attribuait au peuple juif d’Israël une « vocation génocidaire » ! Il est à craindre que devant de tels catholiques les confessionnaux doivent se changer en bouches d’égout…

      Pour prendre quelques significatifs exemples au hasard, savions-nous qu’en 1415, le pape Bénédicte XIII interdit l’étude du Talmud et impose les sermons chrétiens dans les synagogues ? Que le pape Clément XIII fit mettre à l’index l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert ? Qu’environ un million de sorcières furent brûlées au cours du Moyen Âge ?

      Mais pour reprendre un fil historique plus cohérent, on apprend que la naissance du Christianisme ne se fit pas sans résistance. Et que dès que le pouvoir bascula de son côté, les résistances du paganisme et des cultes romains furent brutalement punies, peu à peu éradiquées sans le moindre remord. C’est bien le drame d’un monothéisme sûr de soi. Et si le catholicisme paraît aujourd’hui beaucoup plus apaisé, ayant perdu beaucoup de son influence, n’oublions pas que la certitude de la vérité révélée peut conduire, en passant par l’intolérance, aux pires exactions…

      Si l’on réfléchit bien, en fait, tous les sept péchés capitaux que l’Eglise interdit sont ceux qu’elle pratique avec le plus de constance. L’Orgueil de prétendre être l’unique religion qui vaille, la Luxure avec viols et pédophilie, la Colère avec toutes ses exécutions de protestants, de cathares, Juifs et païens. On passera sur la Gourmandise qui est moins cruelle…

      Un tel volume ne se lit guère, il se consulte avec profit. On ne doute pas qu’il eût recueilli l’assentiment du regretté Umberto Eco lorsqu’il concocta son Vertige de la liste[4], quoique la méthode eusse paru plus que discutable sous les yeux de l’auteur d’Ecrits sur la pensée au Moyen Âge[5]… En effet, ce Livre noir du catholicisme eût été bien plus efficace si le clavier de Jean Robin en avait fait un dictionnaire : son caractère indispensable et documenté en eût été bien renforcé. Plus ennuyeux encore, Jean Robin entretient une dommageable confusion entre chrétienté (c’est-à-dire les nations chrétiennes) et le pouvoir catholique de l'Eglise.

      Le réquisitoire étant uniquement à charge -mais me direz-vous sans conteste, c’est le but recherché et avéré par les faits incontestables-, peut-on se tourner vers un essai un peu plus nuancé ?

      Bien mieux construit se révèle l’essai de l’historien Olivier Hanne : Le Génie historique du catholicisme. Il y traite d’abord du rapport de l’Eglise avec la guerre, puis de la foi au risque de la raison, ensuite du refus des autres religions, avant d’aborder « adhésion monarchique et compromission politique », pour terminer avec l’Eglise en opposition aux libertés individuelles, en particulier celles sexuelles et féminines. Chacune de ces grandes parties étant organisées chronologiquement…

      Si on ne le savait déjà, l’on y apprend que ce sont moins les religieux, les pères de l’Eglise et les papes qui se sont livrés aux exactions que les rois et les Etats. Les premiers suivent approximativement les principes de Saint-Augustin et de Saint-Thomas d’Aquin en faveur de la seule guerre juste, d’un pacifisme nécessaire et de la clémence envers la vie. Les seconds préfèrent jouir de l’exercice des armes au service de leur gloire, de leurs conquêtes territoriales et de leur pouvoir.

      Ainsi les croisades ne peuvent être pensées comme une insulte à la prétendue légitimité islamique, mais « il s’agit pour tout le monde d’une libération et non d’une conquête ».

      Ainsi les guerres de religion entre catholiques et protestants opposent tout autant deux façons d’envisager la foi chrétienne que des rivalités politiques, sans oublier, au-delà de la Saint-Barthélémy de 1572, la fureur partagée par les deux camps, même si ce furent les protestants qui en furent les plus nombreuses victimes, entre massacres, persécutions et exil : « le pouvoir monarchique doit prouver qu’il sait réprimer les contestations religieuses mieux que le faisait l’Eglise autrefois ». Le Léviathan, ainsi qualifié par Hobbes, sait en ce domaine se surpasser, de façon à « justifier la mainmise de la société politique sur la religion civile », affirme notre historien ; sans pourtant rien minimiser : « Bien des massacres ont eu lieu au nom de l’Eglise et du catholicisme, pourquoi le nier ? »

      Une fois de plus, car nous l’avions montré à l’occasion d’une réflexion sur le blasphème[6], l’Etat, celui des rois et des princes, suit, outrepasse et contredit les injonctions de la hiérarchie catholique pour réduire ses opposants et dissidents...

       Il faut alors interroger des préjugés historiques. D’abord, affirme Olivier Hanne, « la justification de l’esclavage par les nations civilisées ne fut jamais catholique », ce dont témoigne le rôle de Las Casas[7] au XVI° siècle. Mais il ne faudrait pas qu’il oublie, comme le rappelle Jean Robin, les bulles de Nicolas V (en 1452 et 1455) encourageant le roi Alphonse V du Portugal à réduire en servitude (comprenez en esclavage) les populations païennes ! Cependant, contrairement à la légende noire du pape Pie XII, prétendu suppôt d’Hitler, quoiqu'il n'ait guère songé à l'excommunier, il contribua à sauver quelques centaines de milliers de Juifs. En 1943, il déclara sur Radio Vatican : « Quiconque établit une distinction entre les Juifs et les autres hommes est un infidèle et se trouve en contradiction avec les commandements de Dieu ». De plus, en France, bien des « intellectuels catholiques entrèrent en résistance contre l’occupation », comme Bernanos, Mauriac, Mounier... Rappelons cependant que l’Eglise française préférait Pétain à De Gaulle.

      Quant à l’antijudaïsme, il est affirmé depuis Tertullien, au II° siècle. L’Eglise construit peu à peu une « image négative du Juif », même si Saint-Augustin proclame : « La nation des juifs impies ne connaîtra pas une mort corporelle. Car celui qui les détruira endurera sept fois plus le châtiment ». Mais au Moyen-Âge, les activités d’usure des banquiers juifs entraînèrent le ressentiment des Chrétiens, augmenté de la rumeur selon laquelle les Juifs auraient été complices de la destruction du Saint Sépulcre de Jérusalem par un calife. On connaît hélas la suite...

      Si l’Eglise n’a « pas toujours la volonté ou les moyens de poursuivre les dissidents » hérétiques, le bras séculier pourra s’en charger. Contre les cathares, ce sont les populations et les princes qui massacrent à tour de bras, quand le pape Alexandre III réclame la clémence : « Mieux vaut absoudre les coupables, que s’attaquer, par une excessive sévérité aux vies d’innocents. L’indulgence sied mieux aux gens d’Eglise que la dureté ». Innocent III, désavouant son nom, fut bien moins tendre, en confiant à Simon de Montfort le soin de régler la chose dans le sang. L’Inquisition dominicaine nait en 1231. Et contrairement aux légendes, elle est plus prudente que la vindicte des foules : « Même l’Inquisition, dont le principe tranchait certes avec l’Evangile, offrait un cadre juridique plus équitable et plus serein que la plupart des tribunaux royaux ». Peu d’accusés sont remis au bras séculier qui, lui, se charge de la peine mortelle. Reste qu’il y eut des « inquisiteurs iniques », que le présupposé « était profondément brutal et incompatible ». Quant aux procès et bûchers de sorcières, ils concernent essentiellement les tribunaux civils.

      L’on sera étonné d’apprendre que l’Islam, même hérétique et combattu, a pu être lu, en particulier au XV° siècle, par Nicolas de Cues comme « une voie légitime de connaissance de Dieu ». Aujourd’hui encore, nombre d’édiles catholiques partagent jusqu’au pape, cet irénisme, s’aveuglant sur la nature viscéralement violente du Coran[8] (ce que ne dit pas Olivier Hanne).

      Sachons que « l’Eglise n’a jamais contrôlé le pouvoir politique » (sauf bien entendu, les Etats pontificaux en Italie). Ses collusions avec le pouvoir en firent le plus souvent une subordonnée. Hélas, elle « admit longtemps l’infériorité sociale de la femme » ; mais en attribuant le même libre arbitre aux deux sexes, en offrant une place éminente à la Vierge, en nommant deux femmes « Docteur de l’Eglise » (Hildegarde de Bingen et Sainte Thérèse), elle lui conférait une dignité qu’elle n’avait guère dans l’Antiquité. Cependant, l’Eglise a toujours, et aujourd’hui encore, cantonné la sexualité au mariage et à la procréation, et l’on n’ignore pas que ses positions sur l’avortement (même s’il faut souhaiter que la contraception le rende presque inutile) ou l’homosexualité ne sont guère empreintes d’humanisme et de libertés consenties…

      Avec un sens de la justice qui l’honore, Olivier Hanne ne masque en rien les abominations du catholicisme, tout en lui rendant sa dignité. On restera néanmoins passablement sceptique devant la thèse de l’essayiste, à la fin de sa partie « La foi sans raison » : L’Eglise « seule a pu alerter les peuples européens des risques que faisaient peser sur l’humanité les philosophies matérialistes et les doctrines totalitaires, en vain ». C’est faire bon marché de bien des compromissions et de tous ces athées et agnostiques qui se sont élevé contre les phénomènes totalitaires…

      Ne boudons cependant pas notre plaisir : l’essai d’Olivier Hanne est d’une admirable richesse et clarté, sans dogmatisme. Mais s’il fouille avec nuance la mémoire du catholicisme, sans l’absoudre de ses nombreux et réels péchés, il pèche par une once de tendre indulgence qu’il sera permis de discuter, voire de remettre en cause. Ce pourquoi il faudra naviguer entre son ouvrage et celui de Jean Robin pour lire les plis complexes de la vérité…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Est-ce le monothéisme qui est la cause de la tyrannie religieuse, même si, on l’a vu, elle est plus souvent politique ? Les violences et les guerres au nom du drapeau religieux, quoique masque des pulsions populaires et des Etats, seraient-elles moins torrides, voire éliminées, si nous revenions au polythéisme, selon l’Antiquité ? C’est la thèse que défend, non sans pertinence, Maurizio Bettini, dans son Eloge du polythéisme. Si l’on se doute qu’elle se heurte au jusqu’auboutisme des monothéistes arcboutés sur leur foi et leur idéologie, l’idée selon laquelle plusieurs dieux peuvent coexister est bien séduisante.

      Il faut se souvenir en effet que les cultes antiques, grecs et romains, acceptaient l’existence de dieux exotiques, allant jusqu’à les intégrer à leurs panthéons (ce qui est la définition originelle de ce dernier mot). En ce sens, le polythéisme, pensé de manière erronée comme un stade primaire de l’évolution religieuse, n’a rien, au-delà de la métaphore esthétique et de sa dimension cognitive, de dépassé, au contraire.

      Nietzsche lui-même (cité par Bettini) arguait de « la plus grande utilité du polythéisme », car « il était permis d’imaginer une pluralité de normes : tel dieu ne niait ni ne blasphémait tel autre dieu ! C’était là que l’on osait imaginer des existences individuelles[9] ». Le lien de conséquence entre polythéisme est individualisme est ici intéressant.

      Il est dommage qu’à propos de polémiques italiennes sur les crèches qui heurtent la sensibilité musulmane et d’une mosquée « au pays de Giotto », Maurizio Bettini n’y voit que conflits entre ceux qui pensent qu’il ne peut y avoir « qu’un Dieu ». La crèche n’est plus seulement une foi, mais une tolérance folklorique, ce que ne sont pas les exigences musulmanes. Le Catholicisme et l’Islam sont trop différents pour les confondre, comme le montre avec brio François Jourdan[10]. Sans compter qu’attribuer à la polémiste italienne Oriana Fallaci, l’auteure de La Rage et l’orgueil[11], son combat contre le jihad et le Coran à une « intolérance religieuse » (tout aussi monothéiste) est aussi stupide qu’insultant ! Cependant Maurizio Bettini n’est pas tout à fait niais en la demeure puisqu’il évoque Tarik Ramadan et sa défense de la lapidation…

      Cela dit, notre auteur fait preuve de rigueur intellectuelle en notant que le récent Catéchisme de l’Eglise catholique propose une section intitulée : « Le devoir social de la religion et le droit à la liberté religieuse » (certes le catholicisme se présente toujours comme « la vérité »), courtoisie que ne partage pas l’Islam, sinon par taqiya (dissimulation). Qui d’ailleurs ne supporte pas que le nom de Dieu soit accordé à celui des Chrétiens…

      L’analyse est fort souvent palpitante, comme lorsque l’essayiste rappelle combien en sa crèche l’enfant Jésus veillé par le bœuf et l’âne est redevable du jeune Zeus nourri par une chèvre ou de Remus et Romulus allaités par une louve ; combien les figures de la crèche rappellent les sigilla romaines ; combien la fête de Noël a des origines antiques… De plus, les statuettes du laraire romain honoraient des dieux, des ancêtres, voire des philosophes, mais de son choix : ainsi Alexandre Sévère y juxtapose « Apollonius et le Christ, Abraham et Orphée, […] Virgile et Cicéron ». En fait un petit équivalent de la bibliothèque de l’auteur de ces lignes, de facto polythéiste…

 

 

      Pour en revenir à la thèse centrale de Maurizio Bettini, ce dernier note avec justesse que Grecs et Romains n’ont jamais guerroyé « pour des motifs de nature religieuse ou pour affirmer la vérité d’un dieu unique ». Que les Anciens établissaient « des correspondances entre des divinités appartenant à des peuples différents ». Ainsi, à Rome, l’on incorpore des dieux étrusques, gaulois ; quand Wotan est identifié à Mercure, Isis à Déméter… Tout le contraire donc de « l’exclusion mosaïque », de l’atavisme monothéiste : « les dieux d’autrui ont été perçus, non comme une menace à l’encontre de la vérité unique de son dieu spécifique, mais comme une possibilité, ou même comme une ressource ». Hélas, cette curiosité romaine n’a pas rencontré un dieu chrétien qui permettait son intégration, ce pourquoi il s’est résolu à parfois le martyriser. Pourtant le Christianisme n’est-il pas un « polythéisme masqué », entre Trinité, culte de la Vierge et des Saints ?

      Emporté par son enthousiasme, Maurizio Bettini oublie un peu que la souplesse des Grecs à accueillir d’autres dieux avait des limites. Il précise bien cependant qu’à Rome « le dieu étranger devait en passer par une procédure d’acceptation officielle, délibérée par le Sénat », que des répressions contre les Bacchanales ou le culte d’Isis eurent lieu, s’ils mettaient en danger la paix de la cité. Certes, rien d’équivalent au « Dieu jaloux » de l’Ancien Testament, ni au dieu assassin du prophète. Il n’en reste pas moins que son vœu pieux (« que les grandes religions monothéistes assument les cadres mentaux du polythéisme »), c’est à dire favoriser la coexistence paisible des cultes, est particulièrement rafraîchissant. Qu’attend-on pour s’en inspirer ? Reprenons le premier Père de l’Eglise, Tertullien : « Il est contraire à la religion de contraindre à la religion »…

      Malgré son peu de détails discutables, cet Eloge du polythéisme mérite un éloge vibrant : clair et précisément documenté, suscitant notre curiosité pour un monde trop peu connu, il est en même temps profondément humaniste et digne d’une société ouverte (pour reprendre le concept de Karl Popper[12]), tolérante et libérale…

      Reprenons la thèse parfaitement justifiée de Jacques Ellul, selon laquelle les noirceurs du catholicisme sont une « subversion » : « on a accusé le christianisme de tout un ensemble de fautes, de crimes, de mensonges, qui ne sont en rien contenus, nulle part, dans le texte et l’inspiration d’origine », c’est-à-dire dans le Nouveau testament. Mais, si cela peut nous rassurer, malgré « l’adultération avec le pouvoir politique », « le christianisme ne l’emporte jamais décisivement sur Christ[13] ». Jean Robin reprenant le mot du Christ -« On juge un arbre à ses fruits »- jette-t-il le bébé avec l’eau sale du bain ? Coutumier du genre qu’est devenu « Le livre noir », puisqu’il en a publié plusieurs, dont Le Livre noir de la gauche, aux éditions Tatamis qu’il dirige (on n’est jamais mieux servi que par soi-même), qu’attend-il pour livrer un autrement plus effroyable consacré à l’Islam ? Pour revenir au catholicisme, ne doit-il pas porter le poids de sa croix, tout en sachant assurer sa résurrection vers bien plus de vertu ? Cela dit, la pureté du message originel christique ne peut-elle s’incarner en laissant place à une réelle tolérance ? On peut supposer qu’avec des penseurs de la classe d’Olivier Hanne (qui a consacré plusieurs livres à l’Islam et au jihad) plaidant -avec une excessive indulgence- pour le « génie » du catholicisme, après celui du christianisme par Chateaubriand, et malgré l’hyperbole, la chose soit possible. Même si l’on juge préférable de n’être pas le moins du monde religieux, et de préférer ces spiritualités sans Dieu que sont les arts…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

[1] Exode, 20-13 et 21-15.

[2] Matthieu, 22-39.

[4] Umberto Eco : Vertige de la liste, Flammarion, 2009.

[5] Umberto Eco : Ecrits sur la pensée au Moyen Âge, Grasset, 2016.

[9] Friedrich Nietzsche : Le Gai savoir, traduit de l’allemand par Pierre Klossowski, Gallimard, 1982, p 158.

[10] François Jourdan : Islam et Christianisme, comprendre les différences de fond, L’Artilleur, 2016.

[11] Oriana Fallaci : La Rage et l’orgueil, Plon, 2002.

[12] Karl Popper : La Société ouverte et ses ennemis, Seuil, 1979.

[13] Jacques Ellul : La Subversion du christianisme, Seuil, 1984, p 9, 157, 246.

 

Bacchus, Villa Borghese, Rome. Photo : T. Guinhut.

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11 novembre 2016 5 11 /11 /novembre /2016 17:59

 

Peinture orientaliste, vide-greniers de Saint-Hilaire-la-Palud, Deux-Sèvres.

Photo T. Guinhut.

 

 

 

 

 

 

L’arbre du terrorisme et la forêt de l’Islam II.

 

Un défi politique français.

 

 

Aquila : Pour un monde sans Islam ;

 

Céline Pina : Silence coupable ;

 

Philippe de Villiers :

 

Les Cloches sonneront-elles encore demain ?

 

 

 

Aquila : Pour un monde sans Islam, Tatamis, 352 p, 20 €.

 

Céline Pina : Silence coupable, Kero, 256 p, 18,90 €.

 

Philippe de Villiers : Les Cloches sonneront-elles encore demain ?

Albin Michel, 320 p, 22,50 €.

 

 

 

 

      Comment être entendu dans le silence des yeux grands fermés sur la réalité de l’Islam ? Sur sa forêt au-delà de l’arbre du terrorisme. Sinon en prenant le risque de prêcher dans le désert, d’être désavoué, ignoré, méprisé, voire pire… Une bouleversante  Kabyle d’Algérie, Aquila, réfugiée en France, y retrouve ce qu’elle avait fui et plaide Pour un monde sans Islam. Alors que le monde occidental s’islamise à grands pas, y compris selon une femme politique socialiste, Céline Pina, dans un Silence coupable. Ainsi son réquisitoire rejoint celui d’un homme politique pourtant d’un autre bord, trop souvent désavoué, Philippe de Villiers, qui, avec Les Cloches sonneront-elles encore demain ? plaide également, et non sans un talent fou, pour un sursaut de l’identité française et occidentale.

      Le vernis du non-dit craque avec grand bruit avec la confession d’une inconnue. Grâce à elle, l’essai de Gabriel Martinez-Gros sur le jihad[1] trouve sa confirmation inattendue dans un témoignage venu d’Aquila, que l’on devine être un pseudonyme, un prénom symbolique. C’est une femme, algérienne, Kabyle, réfugiée en France et qui avec raison craint de retrouver ce qu’elle a fui : « une sorte de bande annonce du film d’horreur qui vous attend ». L’autobiographie vaut le réquisitoire dans Un monde sans Islam, dont le titre exprime un vœu haletant vers un monde de paix et de liberté. Elle dénonce un mal qui dépasse tous les maux, un mal voué « à transformer ce monde en enfer ».

      Une famille de mariages arrangés et consanguins, de femmes battues et voilées, de frère « messie » et « terreur de la famille », au prophétique prénom que l’on devine, quoique « les premiers bourreaux en terre d’Islam [soient] les femmes ». Un incessant harcèlement sexuel côtoie le « bourrage de crâne » des écoliers qui haïront tout ce qui n’est pas musulman, grâce à l’arabisation des Frères musulmans. Par on ne sait quel libre-arbitre originel, la jeune Aquila, farouchement attachée à la liberté individuelle, se refuse à tous les aspects de l’Islam.

      Ne reste-plus, après la guerre civile contre le Front Islamiste (« les années Daech  de l’Algérie »), qu’à quitter le « joug de la colonisation musulmane », le « goulag algérien ». Mais en 2004, Marseille est devenu un « guet-apens » algérien et musulman, le goulet d’une « invasion » ; la Seine Saint-Denis est devenue « la partie invisible de l’iceberg islamique en France », cette « république islamo-gauchiste »… Le sommet de l’abîme est peut-être le moment où Aquila, décidant de se convertir au Christianisme, rencontre un prêtre ignorant qui loue l’Islam comme « religion de paix et d’amour » ; ce qui donne lieu à une féroce dénonciation contre une religion (et son Pape lui-même) gangrénée par une « grave dérive religieuse et éthique ».

      Poignant, effarant, choquant, hallucinant, le livre d’Aquila, mérite d’être lu et débattu sur les bancs du Parlement, sous les flashs des médias, par toutes les féministes, par toute humanité. Le pamphlet est aussi réaliste que virulent, livrant au jour le système tyrannique et corrompu de l’impôt islamique, qui finance le djihad, la stupidité du ramadan qui fait exploser le diabète, les accidents de la route, les violences, les intoxications alimentaires, les gaspillages, mais réduit l’économie au marasme, faute de quoi l’on est un mécréant, là où la « police des mœurs » est générale. Où l’islam est religion d’état, n’existent ni liberté individuelle, ni liberté de conscience. Grâce au voile, accepté et imposé par les femmes elles-mêmes, comme un « syndrome de Stockholm », c’est « un virus qui s’attrape par la tête », quand les « invocations satanistes » coulent des mosquées et des télés.

      Trop réaliste pour les aveugles volontaires, Aquila voit arriver la déferlante islamiste en Occident, voit une « France algérienne » courir à la catastrophe, à la « vallée du carnage », au sous-développement, tel qu’il est endémique en Algérie, alors que les voiles sont « un signe de conquête islamiste en marche », que ses femmes manipulées sont des « idiotes utiles » ! Elle « accuse l’immigration musulmane légale et illégale encouragée et subventionnée par la lâcheté des politiques et la naïveté des peuples qui les élisent ». Aimant la France et l’Occident, elle se rêve en « Charles Martel au féminin », alors que la guerre islamique des années 90 en Algérie, « cette histoire d’ogres réels […] est en train de se préparer et de se reproduire chez vous ». Aquila n’y va pas avec le dos de la cuillère : il s’agit de « réveiller les larves que vous êtes devenues à cause du politiquement correct et des fortes doses de marxisme culturel qui relativisent tout. De peur d’être traités de raciste et d’islamophobe, vous vous couchez devant l’Islam et les Musulmans, prêts à être égorgés docilement comme des moutons sans rien dire, sans bouger, de peur de heurter la sensibilité de vos bourreaux ! Levez-vous ! »

      Quelles solutions Aquila propose-t-elle ? Des solutions inaudibles, voire scandaleuses, peut-être sagaces, sinon inapplicables : « profilage religieux et culturel […] quarantaine, voire les déporter […] fermer toutes les mosquées, interdire le Coran, livre liberticide, antisémite comme Mein Kampf ». Vaut-il mieux plaider pour un Islam réécrit, modernisé, transcendé, débarrassé enfin de tous ses versets et hadiths violents, totalitaires et misogynes ?

      Quelle est en effet la situation de l’Islam en France, de cette religion française, de cette France islamisée, voire de l’Europe islamisée ?

      Azouz Begag, ministre délégué à la Promotion de l’égalité des chances de juin 2005 à avril 2007, chercheur en économie et sociologie, chargé de recherche du CNRS à l’université Paris-IV, ne cache pas selon lui le chiffre réel du nombre de Musulmans en France, quoique des chiffres plus modestes approchent de 4 millions : ils seraient de 15 à 20 millions. Cependant, si l’on estime, avec Hakim el Karaoui, de l’Institut Montaigne[2], qu’environ 50 % d’entre eux sont soit conservateurs, soit autoritaires, il serait légitime de s’inquiéter. Ajoutons qu’un sondage de l’hebdomadaire Le Point (3-11-2016) montre que 87,4 % des jeunes Musulmans ne se sentent pas Français…

      Mercredi 28 septembre 2016, sur M6, un documentaire de l’émission « Dossier tabou », nourri de nombreux témoignages, a enfin montré sans dissimulation la réalité de l’emprise islamique sur le territoire français, grâce au talent d’investigateur du journaliste Bernard de La Villardière (d’ailleurs menacé par l’ire des censeurs et d’assassinat par des tweets assassins) : ainsi se dévoile le renoncement aux valeurs laïques et républicaines.

      Souvenons-nous que, bien avant d'être assassinée, la rédaction de Charlie Hebdo avait fait l’objet de poursuites devant les tribunaux  à l’initiative de la Mosquée de Paris et de l'Union des Organisations Islamiques de France, ramenant le péché de blasphème[3]  au goût du jour et menaçant gravement la liberté d’expression, cette expression fût-elle discutable. Une religion, et la charia qui lui est constitutive, tente donc de prendre d’assaut le droit pénal républicain. Rappelons à cet égard que la Constitution, le droit français et la Convention européenne des droits de l’homme stipulent, aux termes de l’article 9 : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction. »

      Ce qui n’a rien d’étonnant lorsque l’on sait que le Royaume-Uni a reconnu l’existence légale de tribunaux islamiques dans certaines de ses délicieuses contrées banlieusardes. Ces « Sharia Councils » prononcent les attendus de la loi islamique en plein Londres, dans l’East End, habité par 65 % de Musulmans, particulièrement, mais pas que, dans le cadre des affaires familiales. De plus, en Ecosse, la police accepte que ses policières puissent être voilée…

     Chez Air France, on traque les islamistes parmi ses propres employés : on tague « Allahu akbar » sur des trappes à kérosène, avaries étranges, pannes récurrentes, des pièces sont trafiquées, des consignes de vol détournées... Les services de renseignements sont sur les dents, aux dires du Canard enchaîné. Selon le Journal Du Dimanche, le Fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) atteint 15000 noms, surtout concentrés dans le Nord, l’Ile de France, le Lyonnais et de Marseille à la Côte d’Azur.

      Quand des manifestations antisémites en faveur de la Palestine sont autorisées, des manifestations contre la charia (à Bordeaux par exemple) sont interdites par la Préfecture. Alors que le recteur de la Grande Mosquée de Paris, prévoyait en 2015 de bientôt doubler le nombre de mosquées, 2400 à cette dernière date en France.

      Parmi un bon tiers des femmes musulmanes, en portant le hijab ou la burqa, l’on craint autant Allah que le regard, le désaveu et les pressions de l’entourage, de la famille et de la communauté des grands frères, tyrans en herbe et en ronces… Ecoles privées musulmanes et coraniques couvent dans la cocotte-minute. La haine du Juif, du Chrétien, du Gaulois, du mécréant, se répand comme poudre en feu. Plus largement, la conquête du territoire, au-delà de poches ghettoïsées de banlieues, par la charia, et au moyen d’une démographie et d’une immigration conquérantes, est un objectif vigoureusement affiché par des imams, des salafistes, des Frères musulmans, des quidams, des adolescents excités par la testostérone fanatique et totalitaire. Heureusement déjoué, à moins qu’il ne fusse que raté, le projet d’attentat aux bonbonnes de gaz près de Notre-Dame de Paris, montre que loin de n’être que des victimes souvent consentantes de l’Islam, le femmes peuvent être parmi les plus activistes, les plus forcenées, dans l’accomplissement du jihad.

      Un parti musulman, L’Union des Démocrates Musulmans Français, a déposé une liste aux Régionales de 2015 en Île de France. S’il n’a provisoirement obtenu aucun élu, on notera qu’à Mantes-la-Jolie, avec 5,90 % des voix, il a dépassé le parti des Verts. Parmi son programme, le halal dans les cantines, le soutien à la finance islamique, l’arabe à l’école… Ce que ne désavouent pas tous les maires et politiques, qui préfèrent privilégier le clientélisme, achetant ainsi une paix sociale provisoire et des voix qui, espèrent-ils continueront de les faire élire. Car un tiers des Musulmans, selon  un rapport de l’Institut Montaigne, ne se reconnaissent pas dans la République. Combien, parmi ceux qui sont dans la police, dans la gendarmerie ont déjà refusé d’obéir à des ordres contre leurs « frères », combien sont surveillés pour radicalisation, ou inaperçus, car selon une enquête de l’Institut Français des Relations Internationales, les effectifs de l’Armée française comptaient en 2005 entre 10 et 20 % de soldats musulmans, soit 10 % de l’effectif du porte-avion Charles de Gaulle, engagé face au Califat islamique. À Roissy, un agent de piste refuse de guider un avion d’Air France, puisque piloté par une femme.  Combien, parmi ces jeunes surexcités par le sang du djihad, iraient à plaisir se gargariser d’une guerre civile ?

       L’Allemagne et le Danemark tolèrent le mariage des enfants mineures de moins de quinze ans parmi les migrants. Au cours des six premiers mois de 2016, les migrants ont été impliqués en Allemagne dans 142.500 crimes et délits, selon l'Office Fédéral de Police Criminelle. Soit 780 délits par jour, une hausse d’environ 40% par rapport à 2015. Nota bene : seuls sont comptabilisés crimes et délits ayant donné lieu à l'arrestation d'un suspect.

      En Suède, dans la ville de Södertälje, à l'ouest de Stockholm, des émeutes changent la ville en zone de guérilla pendant deux nuits d'affilée. Des jeunes migrants musulmans  jettent de puissants pétards sur la police, attaquent les transports publics, incendient voitures, pneus et ordures dans les rues. Ainsi, parmi des dizaines de zones de non-droit où règnent charia et criminalité, la police voit ses fonctionnaires démissionner tour à tour.

      En Bosnie (où la population compte 40% de Musulmans) Indira Sinanovic se présente intégralement voilée aux élections municipales.

      En Autriche, une conférencière a été condamnée pour avoir mis en cause publiquement les mœurs de Mahomet. Les juges autrichiens ont sacrifié la liberté d’expression à l’interdiction du « blasphème », pour protéger la « sensibilité religieuse » des fidèles musulmans et « la paix religieuse ». Ce qui, de facto, revient à appliquer la charia ! L’affaire est à présent devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg.

      En France, environ une église est profanée par jour, tagguée, caillassée, vandalisée, pillée, incendiée, messe interrompue aux cris d’Allahu Akbar, même si quelques satanistes et gothiques sont de la partie. Dans l’indifférence générale ; alors que la moindre et rare profanation d’une mosquée, y compris avec simplement une tête de sanglier ou une tranche de jambon devant la porte fait pousser des cris d’orfraie, y compris devant les tribunaux, officialisant une fois de plus l’imaginaire délit de blasphème. La christianophobie, quand un génocide lessive le Moyen-Orient[4], est un mot inconnu dans le dictionnaire, quand l’islamophobie, pourtant juste peur et critique d’une idéologie, est l’objet d’une indignation officielle. « Je reste troublé par l’inquiétant spectacle que donne le trop de mémoire ici, le trop d’oubli ici », disait Paul Ricœur[5]

      En juin 2015, le Maire du Lavandou a suspendu la messe dominicale en plein air, pour ne pas irriter les Musulmans qui, eux prient couramment en pleine rue, contrevenant à la libre circulation… Dans quelques banlieues françaises, en particulier Sevran, les salafistes rôdent dans les rues de façon à éviter que la gent féminine circule au-delà de 18 heures. La polygamie permet à des familles aux nombreux enfants de recueillir de pléthoriques allocations familiales. Les conflits se multiplient dans les hôpitaux où les médecins et infirmiers hommes sont sommés de ne pas toucher les femmes de confession musulmane. Les universités, plus précisément Aix-en-Provence et Saint-Denis, voient leurs amphithéâtres se couvrir de voiles ; sans compter les contestations que l’on devine au sujet de la Shoah, du darwinisme, des Lumières...

      À Birmingham, où les femmes en burqa sont nombreuses, la police prévoit d'en recruter par souci de représentativité des communautés qu'elle sert. On se demande alors quel mâle délinquant pourraient-elles appréhender, de surcroît si sa piété lui commande le terrorisme !

Chapelle St Antoni, XVIIème, Kägiswil, Obwald, Suisse.

Photo T. Guinhut.

      Femmes et hommes politiques en responsabilité ont-ils compris ? Bien rares ils sont, à l’instar de Céline Pina, qui fut conseillère régionale PS Île de France, et de Philippe de Villiers. La culpabilité de l’Islam étant avérée, reste celle du Silence coupable, selon Céline Pina. Elle a compris que l’arbre du terrorisme islamiste cache la forêt de l’Islam : « les islamistes quiétistes ne sont pas moins dangereux pour nos libertés ». Aussi dénonce-t-elle parmi nos associations, nos médias, nos politiques, les « islamo-serviles » et les « islamo-gauchistes », a fortiori une « inculture abyssale ». Là où le « vivre ensemble » est un slogan, la réalité des hôpitaux, des écoles, surtout de la Seine Saint-Denis qu’elle connait bien, est celle d’une occupation idéologique bourrelée d’agressions et jetée à la face de la « paralysie du pouvoir ». Car nos élus, afin d’être réélus, préfèrent le clientélisme paillasson à l’action en faveur d’une culture libérale.

      Celle qui fut évidemment traitée de raciste et d’islamophobe par ses congénères politiques, pointe le Salon musulman de Pontoise, consacré à la femme, pour ses intervenants, « tous plus obscurantistes et sexistes les uns que les autres », où l'irruption des Femen faillit se solder par un viol collectif. Alors que les politiques jouent au « qui ne dit mot consent » devant qui veut faire de la charia l’unique source du droit et « vise à islamiser le pays ». On préfère combattre sans risque le Front National, interdire les manifestations de Pegida, plutôt qu’affronter les tentacules de la théocratie.

      De toute évidence, Céline Pina ne peut se sentir que concernée en ce défi de civilisation, car « la femme est l’obsession de l’islamisme politique ». En cela elle s’appuie sur des versets du Coran, montre que le voile, « arme de destruction massive des principes fondateurs de notre monde commun » est contraire à « l’histoire de l’émancipation de femmes ». Nettement elle est clairvoyante : « S’il y a de bonnes Musulmanes, les voilées, les autres, non voilées, sont de mauvaises Musulmanes, une offense à Dieu, elles ne méritent pas le respect de leur intégrité physique ». Elles ne sont que des « fornicatrices », des lits de « bâtards », dignes d’être violées, voire lapidées, comme le montra l’épisode de Cologne[6]. Alors, « le sexisme est légitimé par le divin ». De surcroît, s’appeler « ma sœur », « mon frère » est une « forme de fraternité et de sororité particulièrement perverse », une invitation à la soumission, qui enferme dans l’oumma, la communauté des croyants, et dénie tout individualisme.

      Mais on recule, on demande aux femmes « d’intégrer une forme d’autocensure, comme si l’idéologie islamiste avait déjà réussi à contaminer nos façons de considérer le droit des femmes. Face à la violence des hommes, il est plus facile de contraindre les femmes que d’éduquer les mâles ». Ainsi « les politiques veulent exonérer les réfugiés de tout, pour ne pas perdre la face ». Céline Pina est une rare féministe, en fait réelle humaniste, à dresser son courage à la face de la tyrannie du silence devant une pire tyrannie.

      Voilà qui ne l’empêche pas, à juste raison, de réfuter l’hypothèse selon laquelle elle ferait « le jeu du F N », en répondant : « Front National versus Islamistes, la guerre des identitaires ». Elle somme « ceux qui aspirent aux fonctions politiques qu’ils retrouvent le sens de la République », car « les islamistes  (ici elle englobe tout l’Islam conquérant) ne font peur et ne sont grands que parce que nos élites sont à genoux ». En conséquence, conclue-t-elle, il faut « être impitoyable envers ceux qui sont acharnés à détruire ce que nous sommes. »

      Cependant, malgré son inquiétude devant l’Islam « quiétiste », elle continue de vouloir séparer Musulmans et islamistes. Où est la cohérence ? Certes, bien des Musulmans ne le sont guère, voire restent respectueux de la laïcité et de la République, mais la vague de l’islamisation modifie les mœurs, étend sa nappe de ghettos, plante le décor pour l’islamisme rigoriste. Elle le montre assez pourtant…

    Même si la construction de l’essai, un peu au fil de la plume et de l’indignation légitime, peut manquer parfois de rigueur, Céline Pina, ex-socialiste toutefois courageuse, pratique un discours sans langue de bois. Elle a le mérite insigne, une fois dessillée, de jeter aux yeux du lecteur, averti ou non, une vérité certes dérangeante et dommageable, mais, il faut l’espérer, si l’on sait se prémunir par la fermeté, salvatrice.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Ne nous égarons pas avec des préjugés sur Philippe de Villiers, avec des attaques ad hominem, en arguant de convictions politiques peut-être discutables : jugeons de facto son livre : Les cloches sonneront-elles encore demain ?

      Porté par une belle plume lyrique et élégiaque, Philippe de Villiers rappelle les cloches des églises de son enfance, alors qu’il est outré par les propos du recteur Boubaker de la Mosquée de Paris, qui veut doubler le nombre des mosquées en France, donc plus de quatre mille : « un grand concours de minarets ». Il rappelle que la Révolution, en 1793, descendit et fondit les cloches, ce qui déclencha la révolte vendéenne et bretonne. Sa plume, non sans rester élégante, devient celle du polémiste : « pour amadouer les jihadistes, il est recommandé de se priver de nos symboles, de nos traditions, de nos affections. Au nom de la laïcité, on va supprimer les galettes des Rois dans les cantines scolaires au moment d’y faire entrer le halal ». On remplace alors les cloches par le muezzin... Plus loin, sa plume emprunte une ironie digne de l’humour de San Antonio, qui lui permet de brocarder « la position du soumissionnaire » en analysant la « dhimmitude » française, quand politiciens et évêques réclament d’intégrer des fêtes musulmanes. « Chez nous les pouvoirs publics se taisent mais savent très bien quel est le programme mondial des islamistes : génocider les Chrétiens en Orient et effacer en Occident toute trace de Christianisme. » Les Chrétiens là-bas comptaient pour 20 % de la population, ils ne sont plus que 2%.

      In fine, il faudrait tout citer de l’essai de Philippe de Villiers tellement il est frappé au coin du bon sens et de la vérité. Ce non sans une réelle culture : il a lu et cite les nombreuses injonctions meurtrières du Coran (comme l’a fait le modeste auteur de cet article[7]), il a lu l’islamologue Gilles Kepel, Marc Fumaroli[8], Hannah Arendt[9] et le philosophe Rémi Brague[10]. Il n’ignore rien de la culpabilisation indue qui à l’occasion de l’islamophobie, se cache sous ce vocable[11]. « Colonisation », « défrancisation », les mots frappent juste. Les verts de l’Ecologie veulent « sauver la planète », les verts de l’Islam (car ce fut la couleur préférée de Mahomet) en extirper la civilisation libérale ! « Les villes basculent dans la France halal ». Les voiles font reculer les « souchiens », « notre langue recule », « Paris se met à l’unisson de La Mecque ». Non seulement Philippe de Villiers a le sens de la formule mais il a l’œil qu’il faut pour observer une mutation que l’on ne veut pas voir. Car le « Frankistan » est un objet de « conquête ». Car les centaines de millions de Musulmans de l’Afrique et du Moyen-Orient ont commencé de déferler, infiltrant des djihadistes, en France, en Europe, en Occident, passant par là où « le concierge était grec » : « Cette conquête est dans l’ADN de l’Islam ». En effet, « toutes les religions ne se ressemblent pas. C’est la grande erreur des Occidentaux de le croire ». La « mamamouchie Merkel » devient un « protectorat ottoman ». La « migration de remplacement » s’appuie sur un flagrant déséquilibre démographique, comme notre essayiste le note en s’appuyant sur les travaux de Michèle Tribalat[12]. Et notre Gauche politique, nos sinistres ministres, au premier chef « Najat » à l’Education, sont les « compagnons de route » de l’Islamisation, sont « une classe politique achetée », en particulier par les Qataris ! Le « ventre mou » français prépare un « nouvel Edit de Nantes » par le biais des « dhimmis de sacristie »…

      « Ô ma France douloureuse »…

      Arrêtons-là ce qui devrait être un déferlement de citations toujours pertinentes. Ces pages n’y suffiraient pas. Sachons que sans monotonie, la conviction, la verve polémique, mais tragique, de l’essayiste, ne faiblissent pas en 300 pages. Pensons à ce moment de satire redoutable autant que judicieuse : « Nous sommes passés de la « poule au pot », du roi Henri, venu de Navarre, aux « coqs halals » servis par nos dhimmis du Finistère, la crête tournée vers La Mecque ». Contre « l’Eurislam », il en appelle à la mémoire de la France et de l’Europe. Nous irons plus loin que lui, même s’il réprouve ce terme, il faut en appeler au libéralisme politique, économique et culturel contre la tyrannie théocratique galopante…

      Ajoutons, pour nuancer le propos de Philippe de Villiers, que ce n’est pas seulement parce que cloches et églises sont une part de notre identité et de notre Histoire qu’il faut les protéger du viol par les mosquées, mais parce que l’Islam n’est pas une religion équivalente au Christianisme. À la différence de ce dernier, la mahométane est celle de la « salafisation », du totalitarisme appliqué aux mœurs et à la pensée, s’il en reste…

      Les sociétés démocratiques n’auront-elles été « qu’une simple parenthèse de deux siècles ? » demande Gabriel Martinez-Gros. Et pour reprendre le titre de Philippe de Villiers, qui est probablement la personnalité politique la plus lucide sur l’islamisation en cours, Les cloches sonneront-elles encore demain ? Car, pour également reprendre Mohammed Sifaoui cité par Céline Pina : « Le problème n’est pas que la manifestation violente de l’islamisme, à travers le terrorisme, mais l’ensemble du corpus qu’il propose comme pensée anti-laïque, antirépublicaine, antiféministe, homophobe, misogyne, antisémite, et en somme, antimoderniste.[13] » À cette liste effarante, il faut tout simplement ne pas oublier « antilibérale ». En effet, face au roncier de la forêt de l’Islam, ce sont nos libertés qui sont en jeu. Que le lecteur réfute, s’il le peut, ou en prenne de la graine…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 


[2] Hakim el Karaoui : Un Islam français est possible, Institut Montaigne, septembre 2016.

[5] Paul Ricœur : La Mémoire, l’Histoire, l’oubli, Seuil, 2000, quatrième de couverture.

[13] Mohammed Sifaoui : Angers mag, 27 Janvier 2016.

 

La Mecque. Alcoran de Mahomet. Traduction Du Ryer, Arkstée & Merkus,

Amsterdam, 1775. Photo : T. Guinhut.

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31 octobre 2016 1 31 /10 /octobre /2016 17:28

 

Santibáñez de la Peña, Palencia, Castille y León.

Photo T. Guinhut.

 

 

 

 

 

L’arbre du terrorisme et la forêt de l’Islam I.

 

Analyses et dénis.

 

 

Autour de Gabriel Martinez-Gros : Fascination du djihad ;

 

Bruno Dumézil : Les Barbares ;

 

Jean Sévillia : Ecrits historiques de combat.

 

 

 

 

Gabriel Martinez-Gros :

Fascination du djihad. Fureurs islamistes et défaite de la paix,

PUF, 104 p, 12 €.

 

Sous la direction de Bruno Dumézil : Les Barbares, PUF, 1508 p, 32 €.

 

Jean Sévillia : Ecrits historiques de combat, Perrin, 840 p, 25 €.

 

 

 

 

 

      Il semble enfin que le voile se déchire. Quoiqu’encore longtemps l’on continue de ne pas penser la dangerosité de l’Islam. À tel point que les actes terroristes égrenés sans repos en France et de par le monde focalisent une attention fascinée sans que l’on puisse ni voir ni analyser cette barbarie consubstantielle à la charia et au jihad, ce en une étonnante opération de déni : ils sont toutefois les arbres brûlants qui cachent l’étouffante forêt de l’Islam. Pourtant de plus en plus de quidams et d’analystes dessillés tentent de proposer leur discordante voix pour penser les textes, l’histoire et le présent d’une religion aux hydres planétaires. Ainsi un universitaire et islamologue, Gabriel Martinez-Gros radiographie la Fascination du djihad. Et pourtant façonnée par une cohorte savante, une encyclopédique somme historique, sous la direction de Bruno Dumézil, refuse d’accueillir parmi Les Barbares la barbarie de l’Islam. Il suffit alors d’ouvrir la réunion bienvenue des Ecrits historiques de combat, pour que Jean Sévillia fustige à notre service le « terrorisme intellectuel » de l’ « historiquement correct » appliqué à ce totalitarisme dont la forêt est en marche.

 

      Pour expliquer le djihad, la thèse de Gabriel Martinez-Gros est pour le moins originale. La conquête et l’impôt sont à la source des empires, explique-t-il, s’appuyant sur l’historien arabe du XIVème siècle, Ibn Khaldoun, ce qui permet « de vivre en paix sous la férule de l’empire ». Seules, en se débarrassant de cette dernière, l’Angleterre et la Hollande, puis l’Europe entière, permettront d’amorcer la révolution libérale scientifique. Hélas, ces deux violences, hégémonique et fiscale, sont également le ressort de la déferlante musulmane qui, de l’Espagne à l’Inde, à partir du VIIème siècle, assassine et asservit les populations. Ce en quoi la source du djihad est certes religieuse, mais avant tout structurelle et économique. Et son retour est également « un renouveau des conditions impériales ». Face à l’empire occidental, voire mondial, si tentant à piller, car riche, souvent non-violent et désarmé, le nouvel empire islamique en gestation suscite des confins barbares et excite ses conquérants. Ibn Khaldoun aurait reconnu en notre Occident sa vision de « la crise finale des dynasties […] : l’hypertrophie de l’appareil d’Etat y écrase une économie déjà anémiée », ne serait-ce que par le poids des dépenses sociales.

      Or, le djihadisme s’appuie sur un discours idéologique constitué, non seulement politiquement, mais religieusement. Ainsi « une élite de guerriers », « une dissidence bédouine », couvées par l’immigration et les banlieues, partent à l’assaut du ventre mou de l’empire occidental. Ce qui contredit absolument le discours de « victimisation postcoloniale », postmarxiste et tiersmondiste appliquée aux banlieues, ainsi que l’inénarrable culpabilisation de l’Occident. On peut arguer que la violence de ces dernières, n’est que « maquillée d’Islam ». Certes. Mais, sans choir dans la généralisation abusive, car tous les Musulmans ne sont pas jihadistes, la virulence du djihadisme est intrinsèquement musulmane et trouve ses injonctions et ses versets à travers la bouche de son prophète, dans le Coran[1], en particulier dans la sourate VIII « Le butin »  (ce qu’hélas Gabriel Martinez-Gros omet de préciser par des citations). Car il y a une « exception de l’Islam, religion née conquérante ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      En effet, (y compris dans la bouche d’Ibn Khaldoun) le devoir de la charia et du califat est de perpétrer la guerre contre les infidèles, de les réduire à la mort, à l’esclavage, à la dhimmitude. Et c’est « la première fois depuis l’émergence de la Modernité voici deux siècles, qu’un nombre significatif de musulmans élevés au cœur de l’Occident et de ses Lumières y renoncent, et retournent à l’Islam à leurs yeux le plus pur ». Pour reprendre le sous-titre de Gabriel  Martinez-Gros, il s’agit bien de « Fureurs islamistes et défaite de la paix ». Depuis la fin de la guerre froide, alors que les talibans afghans résistaient contre le communisme, un autre univers géostratégique enclave l’Islam, du Maghreb à l’Indonésie, mais aussi du Québec à l’Australie, au moyen de son émigration militante, dans une résistance combattante contre la démocratie libérale, déployant en « barbares », « les valeurs d’une droite extrême et religieuse ». Il faut bien en prendre conscience : même si la civilisation islamique a su parfois se pacifier, « l’Islam est le seul monothéisme qui implique les devoirs de la guerre dans ceux de la religion ». Et enfin : « Le djihadisme, comme les grand totalitarismes du XXème siècle, est un récit historique sacralisé », de plus aujourd’hui mondialisé. « La question est de savoir si nous avons mérité d’être libres », conclue notre essayiste engagé, quoiqu’il faille non seulement conjuguer ce mérite au présent, mais aussi au futur.

      Gabriel Martinez-Gros, dont l’essai, si bref soit-il, est d’une immense clairvoyance, y compris au moyen de judicieux rapprochements avec la Chine ancienne, quoique l’on puisse regretter le peu de références précises aux textes d’Ibn Khaldoun[2], n’est pas aveugle sur « la cécité volontaire » de l’Occident. En effet, un « déni », un impensé récurrent posent une taie dommageable sur l’Islam.

      La barbarie islamique, autant du jihad que de la charia, depuis quatorze siècles, devrait avoir attiré l’attention de tous les esprits sensés et documentés. Pourtant, si l’on a la curiosité d’ouvrir le nourrissant pavé publié sous la direction de Bruno Dumézil, Les Barbares[3], on aura la surprise de ne trouver que de maigres entrées consacrées à l’Islam. Quoique, horreur indigne, ce dernier mot soit carrément absent de cette majestueuse somme aux alphabétiques entrées !

      Certes, le barbare, vient du grec, désignant celui qui parle en « bar-bar-bar, c’est-à-dire par des borborygmes éloignés du logos grec ». Le mot discrimine certes abusivement l’étranger, après avoir consacré ceux qui dévastèrent l’empire romain. Mais, ne l’oublions pas, dans le sens commun il s’agit de disqualifier ceux qu’anime le goût du viol, du meurtre sanglant et du pillage. La vaste érudition dont témoigne l’ouvrage aux dizaines de contributeurs s’aventure jusqu’aux barbares, y compris féminines, de nos séries littéraires, cinématographiques et télévisuelles, comme Mad Max ou Le Trône de fer, alias Game of Thrones.

      Mais en cet ouvrage aux richesses historiques avérées, surtout quant aux barbares de l’Antiquité et du Moyen-Âge, le politiquement correct moralisateur et culpabilisant pointe son nez. À l’entrée « Croisades » : « Ce cadre martial a dès lors limité l’ouverture à l’altérité qu’aurait pu représenter le contact prolongé produit par les croisades entre Latins et Musulmans ». Ou : « la croisade s’est faite ferment identitaire, justifiant la paix et l’unité entre chrétiens au profit d’une guerre supérieure contre l’autre ». La page sur « Mahomet » atteint des sommets de mauvaise foi. Certes le monde chrétien a pu sans trop de nuance le diaboliser, mais aller jusqu’à s’indigner de « l’intérêt malveillant porté au Prophète » apparait comme une indigne soumission (c’est le sens du mot Islam) de peur de risquer de paraître islamophobe. Que l’on se rassure, la notule s’achève sur « un portrait apaisé de Mahomet, tel […] Stendhal, pour qui le Prophète est un « puritain » (1822) » ! Pour l’article « Musulman », encore une fois signé Fanny Caroff, dès Charles Martel en 732, il s’agit de « la sauvagerie présumée de l’adversaire » ; ou encore : « l’image négative de l’adversaire musulman prévaut dès l’origine, avant même que l’Islam ne soit compris dans sa singularité ». On se taperait les cuisses de rire devant une telle méconnaissance décisivement aveugle d’une telle « singularité », si la question n’était si tragique…

      L’impensé, le déni, d’une même non-voix, sont bien installés. Seules deux maigres entrées, se concentrant sur la dimension spirituelle de l’Islam, honorent le Dictionnaire de psychologie et de psychopathologie des religions[4], alors qu’en ce domaine il y aurait fort à penser[5]. Une vision absolument lénifiante, quoique historique et spiritualiste, balaie les pages du Dictionnaire des religions dirigé par Paul Poupard[6], ainsi que celles de Mircea Eliade dans son Histoire des croyances et des idées religieuses[7]. Ne parlons pas du Dictionnaire amoureux de l’Islam de Malek Chebel[8], qui assume un propos louangeur, même si comme lui nous pouvons fort apprécier la poésie lyrique d’Al Andalus, celle soufie du Cantique des oiseaux d’Attar[9], l’architecture de Cordoue et de Grenade, la calligraphie arabe et les Mille et une nuits[10]. Reste à méditer une contre-argumentation à charge, celle d’Ibn Warrraq et son Pourquoi je ne suis pas Musulman[11].

      Cerise sur le gâteau empoisonné : les manuels d’Histoire confiés au bon entendement de nos chers bambins de 5ème, au collège[12]. Une vision lénifiante ne permet là de voir dans l’Islam que les versants les plus apaisés, en particulier l’éloge d’Al Andalus, selon lequel la coexistence des Musulmans, des Juifs et des Chrétiens aurait été idylle et d’un brillant culturel inimitable. Ce qui repose sur un mythe qui ne tient pas compte des répressions et autres assassinats, du statut de dhimmi des non-Musulmans, surtaxés, nantis de droits inférieurs, interdits de construire des églises, ce que confirme Jean Sévillia, confondant les barbares de l’historiquement correct.

      En effet selon l’auteur d’Historiquement correct, il y a une « amnésie historique » à ne pas reconnaître que les croisades sont « une réponse à l’expansion militaire de l’Islam ». De même « dépeindre l’Espagne musulmane comme un modèle de coexistence pacifique entre religions relève de la fable[13] ».

      Il est alors « moralement correct » de caresser dans le sens du poil « la deuxième religion de France ». Il s’agit en fait d’un « Islam à deux visages » : on s’intègre en la profession de foi d’une laïcité libérale, mais l’on « succombe au courant identitaire ». Le ramadan devient prosélyte au point de faire jeûner des élèves mon-musulmans : « C’est parfois le début de la conversion ». Lors, près de 50 % des Musulmans français se prétendent de nationalité musulmane, dont 16 % approuvent les attentats suicides : « Est-ce manifester de l’islamophobie que de s’en inquiéter ? » La clairvoyance de l’essayiste n’ignore pas que ces derniers « expriment, en ce qui concerne le statut de la femme, une anthropologie incompatible avec la philosophie élaborée à Athènes, à Jérusalem et à Rome[14] ».

      Une réédition bienvenue de trois essais de Jean Sévillia, comme un tir groupé contre les fadaises d’une Histoire soumise à la repentance postcoloniale et au masochisme qui consiste à battre la coulpe du Christianisme, de l’Occident et de la France devant les saintes huiles de l’immigration islamique, permet de prendre la mesure d’un intellectuel engagé dans la recherche de la vérité. Historiquement correct voisine avec Moralement correct, avant de confluer avec Le Terrorisme intellectuel, en ce fort (dans bien des sens du terme) volume que sont ces Ecrits historiques de combat. Là sont démontées les vulgates anticléricale et marxiste d’une gauche intellectuello-médiatique attachée à réécrire le passé pour servir ses ambitions et son idéologie. C’est sans cesse d’une plume enlevée que Jean Sévilla, appuyé sur une réelle culture historique et sur l’acuité d’une abondante bibliographie, brosse une contre-Histoire autant qu’un réquisitoire contre la fatigue de la pensée de qui veut bien se coucher devant la doxa, plutôt qu’aller aux sources de l’Histoire, donc aux fleuves du présent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Certes, dans notre présent, du moins espérons-le, il y a bien des Musulmans, qui ne jouent du voile que comme un accessoire de mode identitaire et coloré, dont l’affiliation à une mode est comme toute mode forcément éphémère, voire soumis à un rejet horrifié peut-être prévisible. Certes, il y a bien des Musulmans habités par une foi intime, qui n’a pas vocation à envahir la scène publique et politique, ce en contradiction avec l’essence de l’Islam, bien des Musulmans qui rejettent plus ou moins explicitement les dizaines de versets du Coran ordonnant le djihad, le meurtre des mécréants, la haine du Juif, et la ségrégation honteuse des femmes. Mais une surabondante cohorte d’affidés de la soumission islamique, excités par les imams financés par les pays du Golfe ne considère pas un instant que ces attitudes soient licites.

      Car si nous avons été affolés par les 3000 morts du 11 septembre newyorkais, par les meurtres des journalistes de Charlie Hebdo et des clients de l’Hyper Casher, par les 130 morts du Bataclan, par les 80 morts du camion niçois, par l’assassinat d’un prêtre catholique et martyr, sans compter les nombreux blessés et mutilés à vie ; c’est voir l’arbre du terrorisme et ne pas entrapercevoir derrière lui la forêt de l’Islam, quoique bien des esprits commencent à ouvrir leur clairvoyance. En effet, quoique apparemment modérés, bien des Musulmans propagent l’Islam, c’est-à-dire le halal, le ramadan, le voile, la soumission féminine, le mariage forcé, voire la polygamie, donc fort souvent une batterie de comportement normatifs assortis d’injonctions, d’intimidations, de répressions envers ceux qui autour d’eux ne les pratiquent pas encore…

      Soyons clairs. Le « communautarisme », vocable euphémistique et cache-sexe parmi nos médias, n’est pas responsable du terrorisme ni de la tyrannie sociétale en cours. A-t-on vu la communauté portugaise ou chinoise se distinguer ainsi ? Seul l’Islam est en cause, donc à désigner explicitement. Le « multiculturalisme » n’est pas un échec si les cultures diverses peuvent coexister, s’enrichir les unes les autres, se tolérer ; mais en tant qu’euphémisme il cache l’incompétence constitutive de l’Islam à reconnaître la légitimité de cultures qui ne sont pas conformes à son diktat idéologique. De même la loi proscrit les signes religieux ostentatoires, dans l’enseignement primaire et secondaire ; pour ne pas avoir à stigmatiser ceux de l’Islam, alors que le caractère inoffensif de la croix et de la kippa est avéré ; le Chrétien et le Juif terroristes et propageant la haine étant en contradiction flagrante avec leur religion.

 

      Il ne suffira pas de couper l’arbre du terrorisme pour arrêter la forêt de de l’Islam. Commençons par ôter les voiles de l’euphémisation et du déni. Une réelle culture historique, religieuse et sociologique, tels qu’en font preuves Gabriel Martinez-Gros et Jean Sévillia, doit permettre d’abord de porter à nos yeux, à nos entendements, la connaissance du réel installé et en gestation. Sinon, ce ne seront pas quelques arbres terrorisants qui nous boucheront la vue, mais une forêt qui, inexorablement, « s’est mise en marche », comme celle qui mit fin au règne tyrannique de Macbeth[15]. À la différence que l’Islam est, si l’on n’y prend garde, non seulement la forêt, mais le puissant roncier du totalitarisme.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

[2] Ibn Khaldûn : Muqaddima, Le Livre des exemples, II, Gallimard, La Pléiade, 2013.

[3] Sous la direction de Bruno Dumézil : Les Barbares, PUF, 2016.

[4] Dictionnaire de psychologie et de psychopathologie des religions, sous la direction de Stéphane Gumpper et Frankly Rausky, Bayard, 2013.

[6] Dictionnaire des religions, dirigé par Paul Poupard, PUF, 1984.

[7] Mircea Eliade dans son Histoire des croyances et des idées religieuses, Payot, 1976.

[8] Malek Chebel : Dictionnaire amoureux de l’Islam, Plon, 2004.

[11] Voir : Pourquoi nous ne sommes pas religieux

[12] Vincent Tremolet de Villers : « Comment l'Islam est abordé dans les manuels scolaires ? » Le Figaro, 23-09-2016.

[13] Jean Sévillia : Ecrits historiques de combat, Perrin, 2016, p 55-65, 94.

[14] Jean Sévillia, ibidem, p 530-532.

[15] William Shakespeare : Macbeth, V, 5, Les Tragédies, traduction Pierre Messiaen, Desclée de Brouwer, 1960,  p 637.

 

Etang de Bellebouche, Vendœuvres, Indre. Photo T. Guinhut.

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9 février 2016 2 09 /02 /février /2016 17:05

 

Biblia Sacra Vulgatae editionis, Rhotomagi, 1769 ;

Sacrorum Bibliorum Concordantiae, Coloniae Agrippinae, 1684.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

La Théologie portative du baron d’Holbach :

 

une charge pleine d’humour contre les tyrannies

 

et momeries des religions.

 

 

Paul-Henri Thiry D’Holbach : La Théologie portative,

Coda, 2007, Rivages, 2015, 160 p, 10 €.

 

Paul-Henri Thiry D'Olbach : Oeuvres philosophiques 1773-1790,

Système social, La Morale universelle, Catéchisme de la nature,

Coda, 2004, 864 p, 49 €.

 

 

 

      « Ecrasez l’infâme ![1] », c’est ainsi que le fanatisme religieux était conspué par Voltaire. Il restait pourtant déiste, attaché à l'azur d'un au-delà, comme Rousseau. Alors que d’autres philosophes des Lumières, Helvétius, d’Holbach, étaient résolument athées. On connait le Dictionnaire philosophique portatif de l’auteur de Candide. D’Holbach lui répond avec sa Théologie portative, texte rare, judicieusement réédité et préfacé par Raoul Vanegem, situationniste notoire, qui nous rappelle que l'édition de 1776 fut condamnée par le Parlement de Paris à être brûlée de la main du bourreau. Peu prompt à la crédulité et à la bêtise instituée en dogme, notre baron fait feu de toute ironie et raison.

      Publié à Londres en 1768 sous un faux nom (l’abbé Bernier), et non sans succès, l’exercice est savoureux, percutant, ravageur : « saintes persécutions » et « saintes boucheries » emplissent l’Avertissement de l’auteur. De « Aaron » à « Zoroastre », ce n’est pas exclusivement le christianisme qui est visé : « Mahométisme. Religion sanguinaire dont l’odieux fondateur voulut que sa loi fût établie par le fer et par le feu. On sent la différence de cette religion de sang et de celle du Christ qui ne prêcha que la douceur, et dont, en conséquence, le clergé établit ses saints dogmes par le fer et par le feu ». S’attaquer à des cultes alors lointains permet de dévoiler par rebond la face torve et ridicule du papisme. Ainsi les « effets » de la Foi « sont de plonger dans un saint abrutissement accompagné d’un pieux entêtement, et suivi d’un fort mépris pour la raison profane ». La tyrannie mentale ne demande qu’à s’évanouir après son dévoilement.

      Les quelques centaines de brefs textes de ce « dictionnaire abrégé » témoignent de la culture étonnante de son auteur autant que de son humanisme au service de la liberté de pensée et d’action. Et d’une franche bonne humeur : « Amour. Le Dieu des Chrétiens n’est point galant, il n’entend pas raillerie sur le fait de l’amour ». Voire d’un franc rire que l’on goûtera sans barguigner : « Ciboire (saint) : vase sacré, dans lequel, pour le garantir des rats, les prêtres catholiques renferment pour le besoin un magasin de petits dieux, qu’ils font manger aux chrétiens quand ils ont été bien sages ». Toutes les puérilités et momeries sont bonnes pour être avalées par les sectateurs et les fidèles. Si l’on veut retrouver l’esprit des libertins du XVIII° siècle, lisons ce qu’il dit des « Flagellations » : « Saintes et salutaires fessées que se donnent les chrétiens les plus parfaits dans la vue de mortifier la chair, de rendre l’esprit gaillard et de mettre en goguette le Père des miséricordes, qui rit dans sa barbe divine toutes les fois qu’on lui montre un derrière ou un dos bien et dûment étrillés ; surtout dans un chœur de nonnes et de moines, ou dans l’anti-sacristie, qui est le fessoir des dévotes ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      L'on saura au mieux l’abjection des sicaires du christianisme, - mais sans exclusive - prétendant servir leur paisible Christ abonné à l’amour d’autrui (et jusqu’à ses ennemis) lorsque l’on ouvre cette Théologie portative à la page de l’ « Auto da fé. Acte de foi, régal appétissant que l’on donne de temps à autre à la Divinité. Il consiste à faire cuire en cérémonie des hérétiques ou des Juifs pour le plus grand bien de leurs âmes et pour l’édification des spectateurs ». D’Holbach n’omet pas d’ajouter à cette analyse un coup de griffe contre « la sainte Inquisition […] qui se divertit à cuire les œuvres impies de Galilée, de Descartes et de tous les philosophes qui se donnent des airs d’être plus raisonnables que les savants inquisiteurs ». Nul doute que notre baron pensait également aux auteurs des Lumières.

      Se faisant l'écho des scènes de la tragédie de Voltaire Mahomet ou le fanatisme[2], d'Holbach est plus vindicatif encore envers l'Islam, dans les pages de sa Morale universelle : « Que dans un coin de l'Asie un imposteur tel que Mahomet parvienne à persuader une centaine d'Arabes imbéciles et à leur faire croire qu'il est un grand prophète, cette erreur parait d'abord de très peu de conséquence. Cependant on trouve qu'au bout d'un siècle cette erreur a fait inonder de sang et l'Asie et l'Afrique et qu'elle est la cause fatale de l'engourdissement stupide dans lequel nous voyons encore gémir les malheureux habitants des plus belles contrées du monde, sur lequel un despotisme affreux exerce son empire destructeur. »

      Fabrique d’illusion et outil d’asservissement, la religion ne bénéficie d’aucune ombre d’indulgence de la part de l’essayiste en son dictionnaire presqu’exhaustif. Tout juste pourrait-on reprocher à ce pamphlet sans pitié ni piété, et un peu à l’emporte-pièce, mais c’est là la rançon de l’exercice, de négliger le pouvoir d’empathie et de pardon du clergé chrétien, sa dimension transcendante, sa modeste contribution à la morale, et sa contribution immense à la sphère artistique. Car le Christianisme, du moins sa philosophie depuis le message du Christ en passant par Saint-Thomas d'Aquin, jusqu'à la repentance du pape Jean-Paul II pour les erreurs commises par les Chrétiens dans l'Histoire, peut être, si elle sait se garder d'un dogmatisme étroit, une religion intelligente.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     Paul-Henry Thiry, Baron d’Holbach (1723-1789), abondant collaborateur de l’Encyclopédie, en particulier pour la chimie, était un familier des publications sous pseudonyme, censures et poursuites obligent. Son Christianisme dévoilé ou Examen des principes et des effets de la religion chrétienne, parut à Londres, sous le nom de Boulanger, en 1767. L’ouvrage, vigoureusement érudit, est un réquisitoire polémique dans les grandes largeurs, qui taille en pièce le christianisme, au moyen du rationalisme, en lui reprochant de ne guère contribuer à l’émancipation du genre humain. Contemporain de Kant, il ne ménage pas le « Sapere aude » (Ose savoir) de Qu’est-ce que les Lumières ?[3] Au point de faire table rase de toute possibilité religieuse au profit d’un athéisme aussi radical que revigorant. Ainsi, rester un fidèle de quelque culte que ce soit relève, après cette lecture incisive et roborative, de la gageure.

 

           Mais au-delà de ce qui peut paraître un mince opuscule, roboratif en diable, reste à se plonger parmi l'immense massif des Oeuvres philosophiques du baron d'Holbach, en cinq copieux volumes parus aux éditions Coda. Aux côtés de notre Théologie portative, l'on trouvera Le Christianisme dévoilé, auquel répond Le Catéchisme de la Nature, ce dans le cadre d'une Morale universelle. Moins pratiquée que celle des piliers des Lumières auxquels nous sommes habitués, Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot et d'Alembert, sa philosophie mérite notre adhésion. Lisons par exemple en sa Morale universelle : « Tant que l'éducation sera négligée, la raison persécutée, la vertu méprisée, il ne faut pas s'attendre à voir les hommes ni meilleurs ni plus heureux ». Ou : « La liberté entre les mains d'un être sans culture et sans vertu est une arme tranchante entre les mains d'un enfant ». Ou encore, ce qui est aujourd'hui d'une actualité brûlante : « Les nations pauvres ne sont-elles pas à portée de supplanter les nations plus riches dans leur commerce ? L'étranger s'adressera toujours au peuple qui lui fournit les marchandises à meilleur compte. Une nation trop riche périt de son embonpoint et deviendra la proie des nations plus pauvres, qui n'auront point d'argent mais du fer pour la conquérir. »

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

À partir d'un article, ici augmenté, publié dans Le Matricule des anges, novembre-décembre 2015

 

Capilla Santa Baldesca, Samitier, Huesca, Alto Aragon.

Photo : T. Guinhut.

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30 décembre 2015 3 30 /12 /décembre /2015 17:11

Blasphème. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Eloge du blasphème :

 

de Thomas d’Aquin à Salman Rushdie,

 

en passant par Jacques de Saint Victor,

 

 Alain Cabantous et Cesare Beccaria.

 

 

 

 

Jacques de Saint Victor : Blasphème. Brève histoire d'un crime imaginaire,

Gallimard, 130 p, 14 €.

 

Alain Cabantous : Histoire du blasphème en Occident. XVIème-XIXème siècle,

Albin Michel, 350 p, 16,50 €.

 

Cesare Beccaria : Des Délits et des peines,

traduit de l’italien par Alessandro Fontana et Xavier Tabet,

Gallimard, Bibliothèque de philosophie, 240 p, 25 €.

 

 

      Risible en définitive, le délit de blasphème, ce crime d'opinion à l'égard de fictions, paraissait ressortir à une antiquité poussiéreuse et pittoresque, digne de lourds volumes d’Histoire et de théologie. C’est en 1881 que la loi française sur la liberté de la presse abrogea le délit d’outrage aux religions qui lui datait de 1822. Pourtant, on assiste bien à un tour de cochon : le « retour du blasphème », tel qu’Alain Cabantous l’ajoute en la conclusion de son essai, Histoire du blasphème en Occident, qui est une sorte de chapitre détaillé destiné à enrichir le bref essai de Jacques de Saint Victor, contant l'histoire d'un crime imaginaire. Hélas, le Moyen-Orient et le Maghreb, le nord-est de l'Afrique, jusqu'au Pakistan, en infiltrant le monde occidental, ramènent sur la scène de l'actualité le blasphème comme délit, crime, digne de l'opprobre et du châtiment, non seulement de la part d'une religion aux moeurs venus du VII°siècle, mais, pire peut-être, de la pusillanimité de ce même Occident. Relisant Thomas d'Aquin et Salman Rushdie, en passant par Cesare Beccaria et Alberto Manguel, faut-il plaider la cause du blasphère, en faire l'éloge ?

 

 

     Emprunté au grec et au latin, blasphemia qui est une parole de mauvais augure (à Rome, seuls les dieux le punissent), le vocable désigne une « parole outrageant la divinité[1] ». C’est injurier, calomnier, maudire, proférer des malédictions, user d’impiété, y compris par l’image. C’est frapper de profanation le Sacré, souiller l’hostie consacrée par exemple. Moïse, qui en délibéra avec Yahvé, annonce aux enfants d’Israël : « Tout homme qui maudit le poids de son Dieu portera le poids de son péché. Qui blasphème le nom de Yahvé devra mourir, toute la communauté le lapidera. Qu’il soit étranger ou citoyen, il mourra s’il blasphème le Nom.[2] » Notons qu’il y a des lustres que les enfants d’Israël ont abandonné une telle brutalité. Et que la parabole de la femme adultère, prononcée par le Christ, enterre la lapidation : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre ! […] Moi non plus, lui dit Jésus, je ne te condamne pas ; va, désormais ne pèche plus.[3] ».

      Pourtant, en 538, l’empereur Justinien décréta la peine de mort à l’encontre du blasphémateur, quoiqu’elle fût bien rarement appliquée, et « d’après les lois de Christian V de Danemark, promulguées en 1683, les blasphémateurs étaient décapités après avoir eu la langue coupée[4] ». L’idolâtre est également un sacrilège, ce qui ne manqua pas d’affleurer lors de la querelle byzantine de l’iconoclasme, au VIIIème et au IXème siècle. Comme l’idolâtre, le blasphémateur déclenche la colère et les foudres de l’orthodoxie religieuse, du fou de Dieu qui n’est jamais loin du Diable. Reste que le véritable athée ne s’intéresse guère au blasphème, dans la mesure où « le blasphème, en tant qu’il suppose la croyance en Dieu, est un hommage au Seigneur[5] ». Rire de tout[6], donc de Dieu et des dieux, est d’autant plus hilarant qu’il pisse avec aisance par-dessus la jambe du blasphème…

      Il est cependant de bon ton de blasphémer contre la religion de l’autre, réputée impie, hérétique. C’est ce que fait au II° siècle Celse lorsqu’il s’irrite de l’intolérance forcenée des zélotes du Christ  persécutés dans l’empire romain et démonte par une belle argumentation leur fiction, leur culte et leurs prétentions : « y-a-t-il rien de plaisant comme d’entendre les Juifs et les chrétiens attribuer à Dieu les mœurs et les manières d’un homme, que de les voir lui prêtant des paroles de colère, d’invective et de menace ? » « Nul Dieu ni fils de Dieu n’est descendu ni ne descendra ici-bas ». De plus il ne se prive pas de montrer tout ce que leurs préceptes doivent à Platon. Hélas son « essai de conciliation et appel à l’esprit de confraternité religieuse et patriotique de tous les chrétiens de bonne volonté[7] » ne rencontra guère d’écho.

      C’est ce que fait en toute bonne foi Dante, lorsqu’en sa Divine comédie il croise en Enfer le prophète Mahomet : « un damné / rompu depuis le menton jusqu’à l’endroit qui pète. / Entre ses jambes pendaient ses entrailles ; / le cœur et les autres viscères apparaissaient, et le triste sac / qui change en merde ce qu’on avale.[8] » Il serait alors de bonne guerre des mots qu’un écrivain musulman mette de même en son enfer le Christ, histoire de se taper entre auteurs édifiants une ou deux bosses (chameau ou dromadaire ?) de rire autour d’une tranche de … et d’un verre de …

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Un « crime imaginaire », contre un dieu imaginaire… Pourtant ce « péché de bouche » fut sanctionné jusqu’à son abolition officielle en 1791 par la France de la Révolution, suite à la liberté d’expression inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais aussi grâce au sort atroce du Chevalier de la Barre, défendu par Voltaire. C’est cette histoire que Jacques de Saint Victor, le plus clairement du monde, établit en la concision de son essai. Il confirme que ce fut bien la « monarchie de droit divin » qui se chargea d’une « annexion du divin par le pouvoir royal », et qu’en dépit de la clémence papale et ecclésiastique, c’est le bras armé de la politique qui se rendit coupable de la répression brutale du blasphème. Malgré l’embellie de la période révolutionnaire sur ce point, la Restauration puis le Second Empire profitèrent de la loi de 1819 quant à « l’outrage à la morale publique et religieuse ». S’il elle abandonnait le bûcher, il restait possible d’emprisonner et de punir d’amende un individu, un écrivain. Tels Eugène Sue, pour Les Mystères du peuple, Charles Baudelaire, pour Les Fleurs du mal, en 1857. On sait que la même année, Gustave Flaubert, pour Madame Bovary, échappa à la censure du même Procureur Pinard. Il fallut attendre 1881 pour qu’une loi libérale établisse définitivement la liberté de la presse, abolissant de fait toute trace pénale du blasphème.

      Définitivement ? Malgré « le discours anticlérical, ouvertement blasphématoire », de la fin du XIX° et du début du XX°, les ennemis de la liberté aux visages changeants trouvèrent le moyen de pénaliser en 1972 « la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence », au moyen de la loi Pleven, introduisant de plus une dommageable confusion entre les paroles et les actes. Pire, les associations peuvent se pourvoir en justice : l’antiracisme, moralement justifié, devient alors censeur. Si le blasphème n’est plus apparemment convoqué, il reste à l’affut, au travers d’une discrimination à l’égard d’une religion. Même si la jurisprudence reste à peu près garante de la liberté de critiquer une religion, la notion d’injure aux croyants rôde. Heureusement Houellebecq, qui avait déclaré « L’Islam est la religion la plus con », fut relaxé à l’occasion d’une plainte d’associations musulmanes. De même Charlie Hebdo pour ces caricatures. Hélas le Conseil des droits de l’homme de l’ONU adopte en 2009 une résolution visant à poursuivre la « diffamation des religions ». C’est alors que Jacques Saint Victor montre avec justesse combien une certaine gauche voit le blasphème contre l’Islam comme une conjuration « néocoloniale » et « raciste ». Voilà qui « travestit la liberté d’expression en instrument d’oppression islamophobe ». Devant les coups de boutoir intimidants et meurtriers d’une religion obscurantiste qui vise à l’hégémonie, faut-il sonner (discrètement s’entend) le glas de la liberté d’expression, de critique, de blasphème enfin, ce « crime imaginaire » ? Ni retour à un ordre moral chrétien brutal, ni soumission à un prophète : ce doit être là une éthique à retrouver… Saluons en Jacques de Saint Victor un humaniste libéral, un héritier des Lumières, qui ne veut céder à aucune soumission,  soutenant « qu’il doit être possible de critiquer sans réserve ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Malgré l’érudition scrupuleuse d’Alain Cabantous, en son indispensable  Histoire du blasphème en Occident, XVI°-XIX°siècle, il est un peu dommage, au contraire de Jacques de Saint-Victor, qu’il omette de consulter avec précision Thomas d’Aquin, philosophe et Docteur de l’Eglise du XIIIème siècle. Ce dernier qualifie le blasphème de « péché de malice caractérisée », ajoutant : « Le blasphème que l’on profère de propos délibéré procède de l’orgueil de l’homme qui se dresse devant Dieu[9] ». Même s’il s’agit de « l’intention de souiller [le] sacrement », l’église peut être encline au pardon, en effet « l’homme pécheur est capable de grâce[10] ». Le droit canon ne médite alors aucune sanction contre le blasphème.

      Hélas ni « le Temps de l’église », ni « le Temps du Prince » n’ont assez entendu la clémence de Thomas d’Aquin. Alain Cabantous, montre que pouvoir spirituel et pouvoir séculier sont la main dans la main pour punir ce « péché permanent », voire que le séculier a la main la plus lourde. Le blasphème est bien pour le pouvoir « cette immixtion intolérable du profane le plus vil à l’intérieur de l’espace sacré ». Il faut ensuite penser que le verbe étant Dieu, il ne peut être utilisé contre lui. Selon Jean Billot, au XVIII°, c’est un « déicide » ! L’historien rappelle néanmoins que le premier blasphémateur est Jésus, qui se prétend fils de Dieu et compte siéger « &agr