Marais de la Groie, Les Portes-en-Ré, Charente-Maritime.
Photo : T. Guinhut.
Requiem pour la liberté d’expression :
De la censure,
entre Milton et Darnton,
Charlie & Zemmour.
voire des individus et des associations maniant la cancel culture et ses annulations idéologiques,
[1]
[2]
qui n’a heureusement pas abouti, alors que l’antisémitisme, y-compris français, ne cesse de vilipender
[3][4][5]
x « contenus islamophobes » qui devraient être « signalés » au gouvernement, faut-il en déduire que toute critique argumentée, fondée sur les textes du Coran et autres publications voisines, doive être soumise à la censure d’Etat ? Non seulement la liberté de la presse et du net serait alors bafoué, mais il s’agit là d’un déni d’intelligence ! Saurons-nous séparer les réelles incitations à la violence de la critique raisonnée ? Est-ce par ailleurs trop demander que d’enjoindre l’Islam à se réformer, comme le réclament d’ailleurs bien des Arabes, d’abandonner ses versets et commandements mortifères et sexistes, comme l’ont fait les Chrétiens et les Juifs au sujet des bien plus rares occurrences semblables que l’on trouve au détour du Deutéronome et du Lévitique ?
»
[7]
Ainsi la déjà citée loi Gayssot (du nom d’un député communiste) du 13 juillet 1990, permet-elle également de « réprimer tout propos raciste, antisémite ou xénophobe » : « toute discrimination fondée sur l'appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion est interdite ». Nous sommes évidemment consternés d’entendre des propos anti-juifs ou anti-arabes, résultats de préjugés ineptes et de généralisations infâmes. Mais combien de propos de comptoir faudrait-il condamner et ainsi encombrer nos tribunaux qui ont mieux à faire ? Il est évident alors qu’à gauche (et à droite, terrorisée par les diktats moralisants de la bonne conscience morale de gauche) l’on vise d’abord les personnalités politiques et médiatiques en vue qui doivent se poser un bâillon mental sur le cerveau dès lors qu’une constatation réaliste, qu’une analyse ou proposition frôle l’aire de l’immigration en nos douces banlieues. D’autant que le terrain de chasse d’associations subventionnées dont c’est le fond de pouvoir et de commerce (et qui évitent de s’attaquer au racisme anti-blanc et de faire siennes les préoccupations féministes et humanistes de Ni Putes ni Soumises) est tout tracé. Ainsi la Licra ou SOS Racisme deviennent, malgré leurs premières et honorables indignations, de nouveaux inquisiteurs. L’enfer -le sait-on ?- est pavé des meilleures intentions. Ces princes de la moralité, plus virulents qu’un clergé qu’ils ont évincé (tout en évitant de s’attaquer aux vitupérations des imams) veillent avec leurs affidés nombreux sur chaque demi-mot énoncé par les représentants politiques et autres journalistes.
« Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c'est comme ça, c'est un fait ». Les employeurs « ont le droit » de refuser ces derniers. Il fut depuis condamné à verser 2000 euros d'amende pour « provocation à la discrimination raciale ». Vérité bâillonnée, selon les uns, déplorable racisme selon les autres. Certes, le chroniqueur doit sa condamnation à ce qui serait une incitation à la discrimination à l’embauche. Prenons-la plutôt pour une revendication de la liberté de choisir, même si des critères de couleur de peau et d’origine culturelle sont a priori ridicules, sans compter que l’on consentirait ainsi à se priver d’une éventuelle compétence… Mais au pays des bonnes intentions se propagent les faits têtus.
L’on sait en effet que les délinquants originaires de l’Afrique du nord sont environ 70% des détenus de nos prisons françaises[8]. Ce qui ne contrarie pas bien sûr le fait avéré qu’une énorme majorité de descendants de cette aire géographique soit respectueuse des lois, et de plus excédée par les comportements inacceptables de leurs coreligionnaires. Un rapport du Sénat de 2008 ne dit pas autre chose[9]. Cette sur-délinquance, niée, minimisée, pour des raisons de mansuétude discriminative, doit être étudiée avec réalisme, mais aussi modestie, devant la complexité des phénomènes que nous avons, il faut l’avouer, bien du mal à percevoir avec objectivité, complétude et nuances.
Certes on arguera non sans raisons des difficultés économiques et de la discrimination à l’emploi dont peuvent être victimes ces nouveaux arrivants. Mais s’ils sont de la 2° ou 3° génération ? Le bon sens doit remarquer que les immigrés d’origine chinoise ou portugaise n’ont pas le même profil. Sont-ils alors délinquants parce que génétiquement noirs ou Arabes ? Non, bien sûr. Il faut chercher alors dans des explications culturelles, liées à Islam et aux ethnies, ce qu’approcha le sociologue Hugues Lagrange[10] : l’autoritarisme paternel, le code d’honneur machiste imposé au garçon, le mépris du compromis, le fatalisme déresponsabilisant, le peu de liberté féminine sont à la racine du comportement délinquant, même s’il faut se garder des généralisations abusives. Il faut aussi interroger du côté du manque de personnel judiciaire[11] et de saines prisons. Que l’on sache, prévention, éducation et juste répression vont de pair. A moins de la trop française culture de l’excuse qui n’ose réprimer et reste victime du syndrome de Jean Valjean, ce héros hugolien qui vole parce que pauvre et affamé. Outre que nos jeunes voleurs volent plus de consoles de jeu que des miches de pain et que nos dealers de drogues se font quelques milliers d’euros en quelques heures, nous voilà loin d’une conception romantique du délinquant forcément victime des conditions économiques et du capitalisme bien entendu oppresseur. Ce qui permet à la pensée rose et marxiste de s’acoquiner avec ceux qui, croient-ils, sont leurs alliés naturels. Varlam Chalamov[12], qui connaissait fort bien les prisonniers de droit commun, puisqu’ils étaient ses gardiens et tortionnaires au goulag, a battu en brèche ce cliché. Le délinquant est rarement une victime : il fait des victimes, y compris économiques.
Reste que les statistiques ethniques sont interdites. Préfère-ton les rumeurs indémontrables, les allégations à l’emporte-pièce ? Certes, les origines métissées et le défilement des générations risqueraient de les rendre illisibles, mais elles pourraient être, non un outil de discrimination négative, mais un savoir qui, appuyé par les connaissances des historiens, des sociologues, ethnologues et criminologues, un outil de pensée et de remédiation fort pragmatique. S’il s’agit de conspuer en bloc les Roms ou les Maliens, la démarche est en effet moralement condamnable (ce qui ne signifie pas pénalement). Mais la connaissance statistique doit être au service de la connaissance des causes particulières et culturelles de la délinquance, de façon à penser autant la prévention que la répression de manière ciblée, au service donc de tous, y compris de ces populations d’origines diverses qui sont aussi les premières à souffrir des affronts répétés aux lois et aux populations. Pire, faute d’analyser, de comprendre et d’envisager des remédiations adaptées, les préjugés vont bon train, entre angélisation et diabolisation des immigrés. La voix du Front National et de Marine Le Pen devient hélas alors la seule à peu-près audible sur ces questions. A force de s’interdire de penser avec sérénité, il ne reste plus place que pour les éructations, les arguments creux, la démagogie et ce populisme vulgaire, ce que les Grecs appelaient l’ochlocratie, le gouvernement par la populace…
Comme en un écho d’Eric Zemmour, lundi 4 avril 2011, à Nantes, Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, a expliqué qu’il y avait « très peu de musulmans en France » en 1905 et qu’aujourd’hui, « on estime qu’il y a à peu près 5 ou 6 millions de musulmans en France ». Il ajouta : « C’est vrai que l’accroissement du nombre des fidèles de cette religion, un certain nombre de comportements, posent problème » (…) « Je dirais tout simplement qu’il n’y a aucune raison pour que la République accorde à une religion particulière plus de droits qu’elle n’en a accordés en 1905 à des religions qui étaient anciennement ancrées dans notre pays » (…) « il est clair que les prières dans les rues choquent un certain nombre de concitoyens. » On peut encore une fois ne pas apprécier l’homme, sa pensée. Plutôt que de s’offusquer et de crier à la discrimination et au racisme, pourquoi ne pas contre-argumenter, pourquoi se voiler la face (on aura compris la volontaire allusion) devant de réels problèmes et des propos somme toute raisonnables et, espérons-le, préalables à un assainissement des mœurs profitables à tous, et non, comme le fantasme en court parfois, à un rejet des immigrés à la mer aussi stupide qu’inhumain.
La censure étatique n’est aujourd’hui que la résultante logique d’une intimidante censure d’un consensus politique, social et intellectuel (donc forcément pseudo-intellectuel), des associations et d’un politiquement correct niveleur intégré au plus profond de la bonne conscience de nombre d’entre nous ; qui trouvent en Eric Zemmour un bouc émissaire d’autant plus révélateur qu’avec les centaines de milliers d’exemplaires vendus de son Suicide français[13] il focalise une sourde envie. Une fois de plus, ce sont le bon et le bien collectifs, après et dans la logique du fascisme et du communisme, aujourd’hui roses et verts, socialisants et écologiques, qui sont à l’origine de cette censure qui avance masquée. Comme une sorte de Big Brother intériorisé, l’oreiller de plume et de plomb qui endort notre pensée critique s’infiltre en tant de domaines, au risque de nous empêcher de penser notre contemporain et donc de remédier à ses dysfonctionnements.
Quoique l’on pense de l’argumentation erratique et fourvoyée d’Eric Zemmour en son Suicide français, plutôt que de se contenter de polémiquer -non sans raison d’ailleurs- sur sa vision du régime de Pétain qui aurait contribué selon lui à sauver des Juifs, ne vaut-il pas mieux pointer sa nostalgie rétrograde qui inclue de Gaulle et Georges Marchais en une sorte de paradis perdu ? Si d’une manière trop souvent maladroite le polémiste dénonce l’immigration et la gestion pour le moins discutable des gouvernements successifs, on en oublie son antilibéralisme désastreux, tant dans le domaine des mœurs que de l’économie.
Deux poids et deux mesures de la presse et de l’opinion
Alors que Charlie Hebdo fit une de ces couvertures en affublant impunément Christiane Taubira, Garde des sceaux, donc ministre de la Justice, d’un corps de singe, une internaute fut condamnée pour avoir sur Facebook pratiqué le même genre de délicate attention : hélas, cette dame était encartée au Front National, alors que les caricaturistes sont de mordants libertaires d’extrême-gauche. Non, il n’y a pas deux poids, deux mesures, vous dit-on ! Défendons haut le crayon le blasphème de ce même Charlie Hebdo montrant Mahomet sodomisé par le Pape, lui-même par un rabbin, et par une croix et un chandelier à six branches ; et condamnons Christine Tasin pour avoir proclamé -à l’occasion d’une manifestation contre un abattoir de l’Aïd- que « L’Islam est une saloperie » : elle fut en effet d’abord condamnée par le tribunal de Belfort à 3000 € d’amende, quoique relaxée en appel, pour « injure et provocation à la haine raciale ». Ce qui montre encore une fois la confusion pénale entre les actes et les mots. Non, il n’y a pas deux poids, deux mesures, vous dit-on ! Y compris si le grotesque Dieudonné antisémite est interdit de spectacle alors que Charlie Hebdo est plus largement antireligieux. Y compris lorsque les Femen furent relaxées pour la dégradation d’une cloche de Notre-Dame de Paris et que deux épouses de gendarmes, furent, en l’île de Mayotte, condamnées à neuf mois de prison, dont six avec sursis, pour avoir profané une mosquée en déposant une tête de porc. Alors que tant d’églises françaises sont profanées : autels couverts d’excréments, statues brisées… Y compris lorsque l’on appellerait volontiers à censurer Eric Zemmour, tout en sanctifiant nos dessinateurs. Y compris lorsqu’une manifestation de soutien national au journal satirique, donc à la liberté d’expression, dénie le droit au Front National et à Marine le Pen d’en être. Quoique nous pensions de ces derniers[14], la liberté d’expression n’est pas négociable selon les expressions.
Les choix de l’information ne sont pas innocents. Gageons que l’indignation contre les terroristes islamistes fusillant cinq dessinateurs de Charlie Hebdo n’atteint pas le même retentissement que celle qui devrait s’élever lorsque des policiers ainsi que quatre otages juifs ont également été mitraillés lors de l’attentat contre une supérette kascher. Alors que les agressions antisémites, en particulier dans le XIXème arrondissement de Paris sont monnaie courante… Sans compter que les hurlements de joie pro-terroristes qui embrasent les quartiers nord de Marseille et autres banlieues ne seront guère stigmatisés. Sans compter les élèves qui contestèrent et raillèrent la minute de silence organisée dans des établissements scolaires. Ne soyons pas surpris par ailleurs qu’un tel massacre sur le sol parisien fasse mille fois plus de bruit que le génocide des Chrétiens en cours[15] de par le monde. Ainsi le cri d’alarme grotesque contre l’islamophobie a-t-il une presse qui laisse dans l’ombre judéophobie et christianophobie autrement meurtrières…
Les tirs d’Israël sur la bande de Gaza font les gros titres, ceux des Gazaouis au mieux les entrefilets. Qui prendra le parti de la seule réelle démocratie libérale du Proche-Orient (malgré son imperfection) contre une bande de corrompus totalitaires islamistes et génocidaires, se verra vouer aux gémonies par la bien-pensance antisioniste (traduisez antisémite), cette fois non pas droitiste, mais gauchiste, quoique Jean-Marie Le Pen fût fort ami avec Sadam Hussein. Il n’est pas indifférent de noter que les Arabes israéliens vivent mieux que ceux de Gaza. Moralité : ces derniers feraient mieux de devenir Israéliens. On imagine qu’une telle proposition, pourtant au service des libertés de l’humanité, ferait hurler…
De même, les choix historiques sont à examiner avec perspicacité. Un voyage scolaire à Auschwitz est à juste titre une merveille pédagogique et du devoir de mémoire. Mais quid de la Kolyma et des goulags qui, de Trotsky à Staline et au-delà (sans compter Mao, Castro et l’icône romantique du Che Guevara), ont été aussi radicalement abominables ? Mieux vaut alors aller à Buchenwald où le camp a servi d’abord à interner et laisser crever les opposants politiques au nazisme, puis, après 1945, les opposants politiques au communisme. La leçon d’Histoire y est enfin équilibrée.
L’opinion devrait à juste titre être stupéfiée du traitement de l’information et de l’anathème plus qu’inégalement distribué. Eric Zemmour est un délicat enfant de chœur en face des manifestants pro-charia du 9 avril 2011 à Londres et Paris, rejetant l’application de la loi sur le voile et appelant à l’épuration des mécréants « avec des bombes atomiques ». « L'islam est venu pour dominer le monde y compris la France », annonce un de leur site internet. Ces suprématistes musulmans ne devraient-ils pas être poursuivis devant un tribunal pénal, pour incitation à la haine, à la violence, sans compter leur culte de l’oppression des femmes ? Soudain les âmes de l’antiracisme et de défense des droits de l’homme brillent par leur silence impétueux. Ils préfèrent cette grotesque et pusillanime facilité qui consiste à traquer tout propos susceptible d’islamophobie, à dénoncer les publications argumentées et discutables de « Riposte Laïque », ou les « apéros saucisson pinard », qui après tout ne sont qu’une juste revendication d’un innocent mode de vie, face à des codes alimentaires qui sont de l’ordre de la superstition tyrannique, face aux prières de rues illégales et musclées par des milices religieuses. Cette indignation affreusement sélective permet d’ostraciser à peu de frais quelques catholiques intégristes, certes excessifs, mais bien moins mortifères, sans compter tous ceux que la liberté anime. Ainsi, parler des racines judéo-chrétiennes et gréco-romaines de l’Europe, deviendrait un péché raciste. A quand la dénonciation des Lumières ?
Robert Darnton : De la censure
Hélas, en ce siècle des Lumières, la censure n’abandonnait pas ses fers. Robert Darnton, qui ne manqua pas de faire l’Apologie du livre[16], y situe l’un de ses trois essais réunis sous le titre aussi bref que percutant : De la censure[17]. Comment se manifeste-elle ? Existe-t-il une civilisation, un siècle qui soit indemne des ciseaux et des munitions enclenchés contre la paix des opinions et des convictions ?
En ce triptyque, le premier exemple choisi par l’historien Robert Darnton relève du XVIIIème siècle français : écrire un conte politique put valoir treize d’internement rigoureux en un couvent à une demoiselle Bonnafon. « Approbation » et « Privilège du Roy » étaient alors indispensables pour qu’un libraire puisse faire paraître un ouvrage. À moins de la faire sous le manteau, prétendument à Londres ou La Haye, avec les risques inhérents à l’exercice. Etonnamment, la censure ne veillait pas seulement à l’orthodoxie religieuse et monarchique, mais parfois aussi à la qualité du style et de l’argumentation. C’est alors que l’on découvre qu’une femme de chambre de Versailles est l’auteure d’un volume circulant en toute discrétion : Tanastès, conte de fée travestissant les amours du Roi d’une manière choquante, et « crime de lèse-majesté littéraire ». Mlle Bonnafon, l’imprimeur et quelques colporteurs furent embastillés. L’histoire est aussi savoureuse que terrible : « elle avait cherché à s’enrichir en diffamant la couronne ». Quoique remerciée par le mépris royal, notre Valérie Trierweiler est aujourd’hui plus chanceuse…
Moins prestigieuse que les difficultés de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert à la rencontre de la « police du livre », cette affaire est pour Robert Darnton symptomatique de son siècle, à la marge des textes libertins ou athées traqués par le pouvoir. Aux qualités de l’essai d’investigation historique, s’ajoutent celles d’une saisissante galerie de personnages.
Qualités que l’on retrouve avec plaisir lors de la seconde affaire de censure, située entre « libéralisme et impérialisme » : en Inde britannique du XIXème siècle. Songez qu’en entonnant l’allégorique « Chanson du rat blanc », qui laissait entendre que « les dirigeants anglais ont tout dérobé au pays », Mukunda Las Das écopa de trois ans d’ « emprisonnement rigoureux ». Bien que les Anglais vissent dans le livre « une force civilisatrice », qu’ils dussent promouvoir la liberté de la presse, les chansons bengalies parurent « répugnantes et corruptrices ». Si pouvait y couver la révolte contre l’occupant britannique, les poèmes étaient dits « séditieux » et réprimés comme tels.
Le dernier volet du triptyque, consacré au XXème siècle, se penche, non, comme on l’aurait trop facilement attendu, sur les noirceurs du nazisme, mais sur celles, symétriques de l’ex-Allemagne de l’Est. C’est alors que, « sept mois après la chute du Mur », Robert Darnton peut rencontrer « deux authentiques censeurs en chair et en os, tout disposés à parler ». Ce sont « des membres loyaux du parti communiste est-allemand et des vétérans de la machine d’Etat à rendre conformes les livres à la ligne du parti ». Tout cela en dépit d’une constitution qui « garantissait la liberté d’expression » ! Las, un certain Walter Janka subit « cinq ans d’isolement carcéral » pour avoir publié Luckas, un auteur pourtant fort marxiste, cependant soudain réprouvé. La « planification » littéraire ne plaisantait pas un instant, afin d’éviter la souillure du modèle communiste et la corruption de l’Ouest capitaliste. On préfère alors le « kitsch socialiste » : « Quand des amants s’embrassent ou se maquillent, ils rendent hommage à la profonde qualité des relations personnelles dans un système affranchi du caractère superficiel engendré par le consumérisme ». Ce serait à pouffer de rire, si ce dernier argument n’était pas encore celui de tant d’anticapitalistes et autres écologistes ! Cette « lutte contre vents et marées pour maintenir un niveau élevé de culture tout en bâtissant le socialisme » est si édifiante, quand les auteurs, adeptes du « Bourgeois tardif », « pouvaient être expédiés en prison ou condamnées aux travaux forcés -l’équivalent du goulag ». On sait combien la Stasi, police politique, était omniprésente ; ce dont témoigne la polémique selon laquelle Christa Wolf elle-même, « qui ne dévia jamais de son adhésion aux idéaux socialistes de la RDA », fut forcée de renseigner le régime…
Relativisons néanmoins -tant que nous pouvons encore le faire, semble dire Robert Darnton en sa conclusion- notre petite censure qui s’adresserait à un Eric Zemmour. Les trois auteurs pris en cas d’école auraient pu subir bien pire, entre tortures et morts. Cependant notre historien parvient à une thèse fort pertinente : Leo Strauss, dans La Persécution et l’art d’écrire[18], penchait pour la stupidité des censeurs, lui affirme leur « raffinement intellectuel ». Comme en sont capables les fonctionnaires de nos Etats, « en particulier en des temps où il semblerait que l’Etat surveille le moindre de nos faits et gestes ». Ne doutons pas que l’historien du passé et du présent, voire du futur, fasse allusion à la surveillance informatique généralisée qui, si elle doit se renforcer pour traquer le terrorisme, ne doit pas traquer le citoyen libre.
Avec intelligence, Robert Darnton a mis en scène et fouillé trois curieuses occurrences de la censure d’Etat. Reste un quatrième volet à écrire en appendice à son essai, celui d’une censure mondialisée, la kalachnikov et le couteau d'égorgeur à la main, qui s’appuie sur une injonction sacrée. Citons le Coran qui parait en la sourate cinquième fort bien commencer, alors que la suite est bien moins chez nous citée : « Voici, qui tue quelqu’un qui n’a tué personne ni semé de violence sur terre est comme s’il avait tué tous les hommes. […] Mais voici, après cela, il est sur terre un grand nombre de transgresseurs. Mais ceux qui guerroient contre Allah et ses envoyés, semant sur terre la violence, auront pour salaire d’être tués ou crucifiés[19] ». Les armes sont bien celles de la Folie de Dieu, pour reprendre le titre de Peter Sloterdijk, qui analyse sans ambages le comportement islamiste : « Bien qu’ils ne détiennent aucune autorité savante, les activistes des organisations guerrières actuelles savent se référer aux sourates adaptées. Leurs actes peuvent être bien répugnants, leurs citations sont sans erreurs[20] ». Ces dernières citations étant également sans erreurs, elles n’ont pourtant que le caractère inoffensif de la liberté d’expression et de la réflexion raisonnée…
Le spectre de l’autocensure
A la censure jadis -pas toujours jadis pourtant- d’Etat, s’est substituée une autocensure, qui à l’occasion de l’assassinat des dessinateurs de Charlie Hebdo n’est pas sans avancer son mufle spectral. C’est après de multiples interrogations internes que de nombreux médias étrangers, en particuliers américains, se sont résolus à couvrir l’événement en publiant des photographies contenant des images floutées des couvertures controversées du magazine. Certes, personne n’a le devoir de les publier, et les journaux peuvent légitimement s’appuyer sur l’argument qui consiste à vouloir se protéger et protéger la vie de leurs employés. Ainsi un journal de Hambourg qui vient de les publier vit ses locaux aussitôt incendiés. Il est également loisible de ne pas apprécier l’humour grossier et scatologique, sans oublier encore une fois l’amalgame indigne qui est fait en ces caricatures entre les religions. Mais n’est-ce pas assurer l’avantage de la censure au bout du canon que d’accepter le diktat de l’impubliable ? Ainsi, sous la contrainte criminelle, nous acceptons qu’une liberté soit éradiquée…
Cette autocensure va jusqu’à confier à des juristes des maisons d’édition les textes à polir et ébarber pour ne pas risquer de contrevenir au politiquement correct, aux lois sur le racisme, aux diktats des associations féministes… Censure populaire et autocensure marchent la main dans la main, dhimmiitude et lâcheté dans le même sac à burqa, lorsqu’en septembre 2014 un spectacle anima la ville d’Angers, présentant des humanoïdes au comportement de primates enfermés dans des cages. Brandissant des Corans, une douzaine de Musulmans insultèrent les comédiens, en les traitant d’ « impurs », au point que le spectacle fut interrompu par le maire UMP, arguant du « désordre public », suspendant du même coup les représentations des autres troupes flouées. De même l'on déprogramme des films qui risqueraient de déplaire à la tyrannie islamique, sous couvert de prudence...
Inquisiteurs politiques et censeurs puritains relèvent ainsi du même coup leur nez en forme de ciseaux. Notre Etat sait trop bien que sa censure serait impopulaire, quoique s’il savait répondre aux aspirations populaires il ne se gênerait pas pour y recourir. Alors, l'Etat-carpette l’a déléguée en accordant à des associations et autres communautés le droit de traîner en justice le contrevenant à la pensée au nom du préjudice moral et de la nouvelle moralité en marche. Mais c’est aussi une censure volontaire par le peuple lui-même -du moins une intelligentsia à laquelle il faudrait peut-être retirer cette dignité-, donc par un pire pouvoir que le pouvoir lui-même qui le craint, une réplique aberrante de la « servitude volontaire » de La Boétie. L’on demande de ne pas penser, de ne pas penser mal, selon une partisane conception (à laquelle nous n’échappons peut-être pas) du bien, donc forcément de ne pas penser le réel qui n’est, lui, intrinsèquement, ni bien ni mal. Ce réel alors devenu invisible, inanalysable, irrémédiable, n’est plus alors soumis à la critique nécessaire et constructive. On ne l’améliorera plus, on le condamnera à pourrir. Et s’il parait anesthésié, ce sera certainement, en un retour implacable de la vérité des faits, en un retour du refoulé, un réel plus dangereux encore. Lorsque les analystes sereins, les pragmatiques qui se doivent d’œuvrer sur nos réalités pour leur porter remède, doivent se taire, ce sont les démagogues anti-libéraux, du Front national au Front de gauche qui ont le front de nous asséner leurs vérités pré-totalitaires. Ainsi, ne pas vouloir penser l’immigration, l’Islam et les freins étatiques à l’expansion économique et à la liberté d’entreprendre, c’est pratiquer la politique de l’autruche, se mettre la tête dans un sable mouvant, cacher le thermomètre pour ne pas voir monter la fièvre. L’agressivité des associations, des politiques, des intellectuels et des grands soumis à la bien-pensance n’est que le reflet de leur désir d’abattre (quelque soit leur allié provisoire) le capitalisme libéral et d’y substituer leur tyrannie. A moins que la terreur de l’affrontement avec l’islamisme et avec tous ceux qui monopolisent la délinquance soit leur motivation profonde. Il est plus facile d’être vigilant contre les islamophobes, surtout prétendus tels, que contre les islamistes. Contrevenir aux formules de la pensée magique, prononcer certaines opinions ou analyses -certes toujours discutables et dignes d’être si besoin réfutées- est aussitôt susceptible d’une réaction pavlovienne au vocabulaire, taxé au mieux de provocation, au pire de reductio ad hitlerum, jamais de reductio ad stalinum ou reductio ad islamum… Employer des expressions comme « la bombe démographique musulmane », même si l’on appelle de ses vœux un Islam des Lumières, fondé sur une religion privée et non politique et compatible avec la démocratie libérale, suffit pour vous vouer aux gémonies d’une « novlangue[21] » qui ne dit pas son nom, mais qu’Orwell n’aurait pas désavouée.
Le Léviathan de Hobbes[22] était composé d’une multitude de gens qui s’accolaient pour tenir entre leurs mains les attributs du pouvoir spirituel et temporel. Ce sont ces mille tyrans assemblés sous leur Servitude volontaire qui nous soumettent et nous entravent aujourd’hui aux moyens de leurs injonctions politiques et terroristes. Faudra-t-il imaginer une judicieuse (car elles ne le sont pas toutes) désobéissance civile[23] ? La Boétie décrivait ainsi la condition de qui se soumet volontairement au tyran ; ce que nous dirons au tyran polymorphe de la bien-pensance, religieuse et politique : « Ce n’est pas tout à eux de lui obéir, il faut encore lui complaire ; il faut qu’ils se rompent, qu’ils se tourmentent, qu’ils se tuent à travailler en ses affaires, et puis qu’ils se plaisent de son plaisir, qu’ils laissent leur goût pour le sien […] qu’ils prennent garde à ses paroles, à sa voix, à ses signes, à ses yeux, qu’ils n’aient ni yeux, ni pieds, ni mains, que tout soit au guet pour épier ses volontés et pour découvrir ses pensées. Cela est-ce vivre heureusement ? Cela s’appelle-t-il vivre ?[24] ». Pensons que La Boétie, l’ami de Montaigne, écrivait cela en 1549, à l’âge de dix-huit ans, toujours jeune précurseur du libéralisme politique. Qu’il faut conserver et lire, auprès de Montesquieu et d’Orwell, dans l'intelligence de la bibliothèque universelle, espace de liberté tant qu'il est encore possible. Aux côtés de laquelle Facebook, nos blogs et nos sites internet, où écrire autant des sonnets lyriques que des essais politiques, sont de formidables instruments de liberté d’expression, une revendication de libre création face aux asservissements religieux et politiques de tous bords.
En 2019, la situation ne fait que s’aggraver. La philosophe, pourtant de gauche, Sylviane Agacinski, entendant disserter sur les risques éthiques de la Procréation Médicale Assistée et de la Gestation pour autrui, est interdite de conférence à l’Université de Bordeaux par un courant féministe outrageusement sûr de lui, la courageuse et sensée journaliste et polémiste Zineb el Rhazoui menacée de mort par le fanatisme islamisme, Eric Zemmour chassé par une meute d’activistes et journalistes-procureurs, par les annonceurs publicitaires, au mépris de la liberté académique, de penser, d’écrire... Le tableau de la liberté d’expression est chaque jour insulté, lacéré, déchiré, bientôt effacé par un bâillon tyrannique.
Jusqu’à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui a conclu un arrêt le 25 octobre 2018, énonçant que les critiques à l'encontre de Mahomet, fondateur de l'Islam, étaient constitutives d'une incitation à la haine et ne relevaient pas du droit à la liberté d'expression ! En l’occurrence, il s’agit d’Elisabeth Sabaditsch-Wolff, condamnée en Autriche, en première instance et en appel, en 2011, pour « dénigrement de doctrines religieuses » dans le cadre de conférences qu'elle donnait sur les dangers de l'Islam fondamentaliste. Avec un tel arrêt inique et sans précédent, la Cour de Strasbourg - qui a juridiction sur 47 pays européens et dont les décisions sont juridiquement contraignantes pour les 28 États membres de l'Union européenne – vient non seulement de légitimer la fin de la critique intellectuelle venue de l’humanisme et des Lumières, mais aussi de légitimer en Europe le blasphème, qui plus est islamique, afin de « préserver la paix religieuse », c’est-à-dire la soumission et la charia.
Mille exemples peuvent être fournis de cette rage contre la liberté d’expression. Lorsque Pauline Harmange publie un Moi les hommes, je les déteste[25], elle se livre à un éloge de la misandrie contre la misogynie. Grand bien lui fasse. Si stupidité il y a, qu’on la discute. Mais, sans probablement l’avoir lu, un chargé de mission au Ministère de l’égalité femmes-hommes menace les éditeurs de saisir la justice si l’ouvrage n’est pas retiré de la vente, au motif que la provocation à la haine à raison du sexe est un délit pénal. La haine a bon dos, et il faut lui renvoyer dos à dos celle de la liberté d’expression.
La « Cancel culture[26] », ou « culture de l’annulation », ou encore de « l’effacement », use, entre autres, des réseaux sociaux. Cette anti-culture en fait n’aime rien tant que d’abattre et censurer au nom des luttes féministes, gays, antiracistes. Aux Etats-Unis, le « name and shame », condamne des paroles, des opinions, des analyses, pour effacer leur auteur à coups de pétitions, cyberharcèlement et autres pressions, de façons à proprement effacer l’individu coupable de pensées offensantes. Ainsi se sentir offensé, avoir l’incapacité d’y résister ou de l’ignorer, vaut un brevet de respectabilité et de devoir de censure. Jusqu’à forcer à la démission, au licenciement. Adolph Reed, professeur noir émérite de l’université de Pennsylvanie, qui arguait que la gauche privilégiait les débats sur la race au rebours des inégalités sociales, vit son intervention au débat, menacée de piratages, annulée. L’ostracisme condamne à l’effacement la représentation à la Sorbonne de la pièce d’Eschyle, Les Suppliantes, dont le metteur en scène et les acteurs devaient exhiber leur « blackface ». L’appropriation culturelle étant devenue un péché mortel contre la race. Aussi la presse elle-même, voire l’édition peuvent craindre de publier un texte qui ne réponde pas aux clichés attendus, aux militantismes consacrés par une desintelligenstia. Comme le dénonce Bari Weiss, la journaliste en charge des pages « Opinions » du New-York Times, harcelée par ses pairs, la guerre contre le pluralisme ronge un journal qui prétendit à rester une référence culturelle.
Au nom d’une vérité militante, activiste - autant de noms pour l’aube d’une tyrannie - la cancel culture, soit celle de l’effacement de toute pensée contraire, une censure politique, historique, artistique et sociale, balaie notre présent pour étoufer le futur et assurer le règne de tyrans, qu’ils soient racialistes, décolonialistes, écologistes, féministes, jusqu’à interdire la musique de Beethoven, parait-il symbole du mâle blanc occidental !
Ce que l’on appelait le quatrième pouvoir, autrefois la presse, aujourd’hui celui des médias, serait-il devenu le premier ? Facebook ferme des groupes, par exemple « Didier Raoult versus coronavirus », en s’érigeant en censeur scientifique, interdit, à l’instar de Twitwer, la mention des corruptions de Joe Biden et de son fils Hunter stipendiés par le gaz ukrainien et la Chine, s’érigeant en censeur politique anti-Trump, au mépris de la constitution américaine et de son premier amendement sur la liberté d’expression. Pour continuer avec l’alarmant exemple américain, des chaines comme CNN coupent un discours du Président encore en exercice, usant de la censure politique à vocation totalitaire, à l’instar de réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, jusqu’au moteur de recherche Google. Ces derniers évacuent les informations relatives à de tels corrompus notoires, ainsi que des contenus de ce même Président et des soixante-dix millions d’électeurs qu’il représente, réseaux qui se targuent de savoir et ordonner ce qu’il est politiquement juste et bon de dire, de laisser paraître. Au point que les bonnes âmes de la vérité médiatique chapeautent tout curieux qui aurait l’insolence d’imaginer penser par lui-même, ce du haut de leur application à minimiser, nier, faire disparaitre tout allégation, toute preuve des fraudes électorales généralisées comme une machine de guerre. La recherche de la vérité devient a priori complotisme et post-vérité admonestés avec la dernière vigueur par une doxocratie…
Le cours apparemment paisible de l’Histoire subit soudain des accélérations surprenantes, imprévues - du moins si l’on n’avait perçu les convulsions de souterraines excavations -, tant de nouvelles bulles vénéneuses de censure éclatent. Ce sont les réseaux sociaux, là où nous avions trouvé de fabuleux espaces de communication, de créativité et de liberté, qui démentent leur vocation originelle en fauchant toute une frange de leurs clients et contributeurs pour de sinistres raisons idéologiques. Outre la cancel inculture, il s’agit d’une évacuation politique. Le président républicain Donald Trump se voit éjecté de Twitter, de Facebook, donc de Messenger, lui qui drainait des dizaines de millions d’abonnés. À la suite, des partisans de ce dernier se voient également virés sans autre forme de procès.
Amazon pratique la censure en déréférençant des livres, en bloquant Parler.com dont il détient le serveur, ce pour péché de trumpisme. Youtube ferme des chaines et censure, Odysee, Vimeo, Mailchimp, Researchgate censurent, Facebook également, que ce soit pour nudité ou fausses informations selon sa bonne doxa, sa filiale Instagram idem… Certes il s’agit là, non d’Etats et de sphères publiques, mais d’entreprises privées, libres en cela d’accepter ou refuser qui bon lui semble, d’expulser qui ne correspond pas à sa politique, son éthique, voire son caprice. Néanmoins elles vivent des informations, des opinions (fussent-elles délétères et pitoyables) de leurs adhérents, dont elles exploitent le bon vouloir par le biais de la publicité. Or, autant face à des personnalités individuelles qu’à des masses faites de millions de citoyens, elles acquièrent une responsabilité morale qui devrait pour le moins les conduire à respecter leur pluralité. Le risque de la concentration monopolistique, de la confusion avec un organe idéologique tel que peut l’être un média, voilà qui en outre concourt au glissement vers un totalitarisme dangereux.
Heureusement, ce qu’il reste d’économie libérale et concurrentielle permet que la sanction du public, et par voie de conséquence de la bourse, tombe. Facebook et Twitter par exemple perdent nombre d’abonnés, qui migrent vers des cieux plus nettement respectueux de la liberté d’expression et par ailleurs dénués de publicités invasives : MeWe, Minds, Signal, par exemple. Donald Trump fomenterait avec Elon Musk un réseau social plus clément envers les Républicains trumpistes. Fort bien, les répliques sont judicieuses. À la réserve près - et d’importance - que nous risquons d’évoluer dans des réseaux bulles recelant les partisans d’une cause ou d’une autre, alors que sur Facebook l’on pouvait croiser et fréquenter des « amis », voire nouer des amitiés virtuelles, avec des gens dont les convictions politiques sont à des hémisphères l’une de l’autre. Là nous pouvions parler avec bonheur de poésie avec un tenant du communisme, par exemple ! Nous serions alors libres de nous exprimer dans une ruche, mais inlibres (pour jouer avec le novlangue orwellien) de croiser les abeilles de ruches lointaines…
Connaissons-nous le mot attribué à Voltaire : « Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire » ? Ce pauvre homme des Lumières dont on ne plus aujourd’hui représenter sa virulente tragédie à charge : Le fanatisme ou Mahomet le prophète [27], pourtant magnifique liberté d’expression et de critique en actes et en cinq actes… Relisons donc son Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas[28]… Et n’oublions pas que liberté d’expression rime non seulement avec argumentation, mais aussi avec le rire[29], la satire, la caricature, le blasphème, quoique ce dernier doive s’arrêter aux portes des lieux de culte qui méritent en leur sein le respect. Certes, ce titre « Requiem pour la liberté d’expression », qui n’a pas le talent de Voltaire, est une hyperbole ; souhaitons qu’il ne devienne pas réalité. Qui nous protégera de l’imminence de ce Requiem ?
Thierry Guinhut
Une vie d'écriture et de photographie
[1] John Milton : Areopagitica ou liberté d’imprimer sans autorisation ni censure, traduit de l’anglais par O. Lutaud, Aubier, 1956, p 127 et 211.
[4] Al Fârâbî : La Philosophie de Platon, traduit de l’arabe par Olivier Seyden et Nassim Levy, Allia, 2002, p 30.
[5] Ibn Warraq : Pourquoi je ne suis pas musulman, traduit de l’anglais, L’Âge d’homme, 1999. Voir : Pourquoi nous ne sommes pas religieux
[8] Farhad Khosrokhavar : L'islam dans les prisons, Balland, 2004.
[9] Dans un article du Monde, du 16 mars 2010, les rapports des RG sur les bandes violentes montraient que 87 % étaient de nationalité française, 67 % d'origine maghrébine et 17 % d'origine africaine.
[10] Hugues Lagrange : Le déni des cultures, Seuil, 2010.
[11] L’Allemagne a deux fois plus de juges que la France et deux fois moins de délinquance.
[12] Essai sur le monde du crime, traduit du russe par Sophie Benech, Récit de la Kolyma, Verdier, 2003.
[13] Eric Zemmour : Le Suicide français, Albin Michel, 2014.
[14] Voir : Front Socialiste National et antilibéralisme, le cancer français
[15] Voir : Christianophobie et désir de barbarie : Le Livre noir de la condition des Chretiens
[16] Voir : Destins du livre : du papyrus à google-books
[17] Robert Darnton : De la censure, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-François Séné, Gallimard, 2014.
[18] Leo Strauss : La Persécution et l’art d’écrire, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Seyden, Tel, Gallimard, 2009.
[19] Le Coran, 5. 32-33, traduit de l’arabe par André Chouraqui, Robert Laffont, 1990, p 225-226.
[20] Peter Sloterdijk : La Folie de Dieu, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Libella-Maren Sell, 2008, p 96.
[21] George Orwell : 1984, Gallimard, 1972.
[22] Thomas Hobbes : Léviathan, Gallimard, folio, 2000.
[23] Voir : Thoreau : le Journal de la désobéissance civile en question
[24] La Boétie : De la Servitude volontaire, Montaigne, Essais, t IV, Charpentier, 1862, p 436.
[25] Pauline Harmange : Moi les hommes, je les déteste, Seuil 2020.
[26] Voir : Pour l'annulation de la Cancel culture
[27] Voltaire : Le fanatisme ou Mahomet le prophète, Garnier, sans date.
[28] Voltaire : Mélanges, Pléiade, Gallimard, 1961.
[29] Voir : Peut-on rire de tout ? D'Aristote à San-Antonio
Photo : T. Guinhut.