Santa Catarina, Fiè allo Sciliar, Tires, Trentino Alto-Adige / Südtirol.
Photo : T. Guinhut.
Richard Wagner,
de Tristan und Isolde à Hitler,
via l'antisémitisme.
Richard Wagner : Tristan und Isolde,
par Philippe Jordan, Peter Sellars et Bill Viola, Opéra Bastille, 2014.
Fanny Chassain-Pichon : De Wagner à Hitler. Portrait en miroir d’une histoire allemande,
Passés/composés, 2020, 383 p, 23 €.
Les voix wagnériennes sont-elles celles de mauvais anges, trahissant la pureté de Parsifal ? La beauté douloureuse de Tristan und Isolde et la grandeur fabuleuse de La Tétralogie seraient-elles entachées par l’antisémitisme de son auteur, voire par sa paternité à l’égard d’Hitler ? Si Richard Wagner réussit indubitablement son projet d’« œuvre d’art totale », culminant avec le Ring des Nibelungen puis Parsifal, il faillit gravement en écrivant Le Judaïsme dans la musique. Est-ce à son corps défendant qu’il fut le modèle de l’auteur de la « Solution finale » ?
Mourir d’amour à l’opéra est possible, d’autant plus si l’on meurt d’amour pour la musicalité. Pourtant, l’orchestre wagnérien peut être hélas parfois pâteux. Avec Philippe Jordan, il est d’une solide clarté, d’une lisibilité ineffable, presque jusqu’à suggérer des accents debussystes. Le motif du désir est une montée languissante des accords qui ne s’apaise jamais. L’aspiration à l’amour et à la communion érotique est sans cesse appelée vers le haut tout en étant inéluctablement et tragiquement attirée vers le bas. Le cor est une ductile nostalgie ; les cordes sont soyeuses et la dynamique surprenante, éblouissante… Le désir de nuit et de mort qui enténèbre l’opéra Bastille nous rappelle qu’il s’agit là d’une réécriture, à la fois du mythe médiéval, à la fois de l’amour de Wagner pour une Mathilde Wesendonck mariée, tout en retrouvant un écho des Hymnes à la nuit de Novalis.
La performance du ténor Robert Dean Smith en Tristan est impressionnante. S’il parait au début être un peu effacé par l’omnipotence de la voix de la soprano Violeta Urmana en Isolde, tour à tour d’une étincelante puissance et d’une suave intimité, il prend toute son ampleur dramatique dans le troisième acte. Jochen Schmekenbecher en Kurnewal est époustouflant de vigueur et de sensibilité. La basse Franz Josef Selig en roi Marke est si profonde, le grain est si sûr, que l’on regrette de l’entendre si peu. Le chœur des marins, seule originalité scénique, quoique modeste, chante du haut des balcons, en un bel effet de spatialité, comme entre Irlande et Cornouailles.
Mais dans l’espace strictement, voire tristement, fonctionnel de l’Opéra Bastille, le degré zéro, virgule zéro un, de la mise en scène est atteint par Peter Sellars. Au point de se demander si son absence n’est pas requise pour un tel assaut de minimalisme, ce qui est déjà un concept trop flatteur à son égard. Certes, il faut craindre pour Wagner la surabondance historiciste, le kitsch de la mise en scène ; et, pour Tristan en particulier, le bateau avec la proue du drakkar, les voilures gonflées et les marins hâlant les cordes, les armures de chevalier, les somptueuses robes royales, tout ce qui risquerait l’illustration grandiloquente.
Mais à trop dépoussiérer il ne reste que le vide : seule un maigre parallélépipède sert au choix de banquette, de tombeau, de lit d’amour bien inconfortable autant que rigoriste. Tout cela dans le presque noir, où bougent si peu les chanteurs, vêtus de costumes et robes longues noirs, sacs féminins et toiles prolétaires, recyclés d’Emmaüs, seulement nuancés, sans nécessité, de beige au troisième acte.
En son amour-haine pour Wagner, qu’a voulu nous dire Peter Sellars ? Qu’il n’y a plus aucun être-là pour l’amour passion postromantique, sauf dans une abstraction conceptuelle qui ne se réalise que dans le fantasme musical de l’œuvre d’art totale ? Que la théâtralité du décor n’est qu’une obscénité ? Qu’il n’y a plus rien à dire sur Tristan, sauf Tristan lui-même ? Que le transposer dans un décor petit bourgeois du XIX°, chez les princes arabes ou chez les dignitaires nazis et soviétiques n’est plus une transgression ni une lecture riche d’enseignements, que le soupçon d’homosexualité entre Tristan et le roi Marke (malgré le baiser de ce dernier) qui ne punit pas son fidèle et ne cherche qu’à le pardonner, voire de la part de Kurnewal qui ne cesse d’appeler Tristan « Mon héros », n’intéresse plus personne, même s’il s’agit peut-être du reflet de la relation triangulaire entre Wagner, Cosima et Louis II de Bavière[1]… Sans compter que l’on n’est pas sûr de voir mourir Isolde, restée debout. Car le puritain hiératisme ne parvient qu’à figer les non-acteurs dans de brefs carrés de lumière, au sol…
Reste la seule audace visuelle : les vidéos de Bill Viola. Pour signifier, ou parer à l’inexistence de la mise en scène, l’image filmique a l’avantage considérable de ne rien coûter (quoique le vidéaste doive saler sa note, lorsqu’il expose conjointement au Grand Palais), et le désavantage considérable de signifier au spectateur que son statut culturel d’afficionado de l’opéra n’a qu’à s’incliner devant la vulgarité commune de l’image télévisuelle tremblotante. S’il y a de beaux moments métaphoriques où un couple se dévêt comme des allégories de la Nuda Veritas, lave son visage et son corps sous une eau lustrale, où des bulles d’air circulent dans un bleu marin, où les flammes s’embrasent, formant des antithèses eau et feu, stèle de lumière et de couleurs au-dessus des chanteurs, bien d’autres sont des crachouillis de flous agités, de flashs éblouissants au travers des feuillages, détournant désastreusement l’attention hors des personnages.
Par-dessus tout, reste l’émotion. Servie par un orchestre parfait, des chanteurs au grain de voix et aux phrasés puissants et sensibles, elle résiste en toute splendeur poignante aux parasites de la vidéo, au désert scénique qui parait signifier l’épuisement du budget autant que de l’imagination. Au-delà même des couleurs de Bill Viola, sont les couleurs sonores de l’impossible passion, de l’impossible joie dans le réel, de l’impossible mystique des amours nocturnes, qu’ils soient sourdement homosexuels ou apothéotiques de l’aspiration à l’union du féminin et du masculin. La castration de l’éros qui condamne les amants, autant que la réalisation de la féminité, atteint son acmé dans le chaos savant et épuré d’une musique aux accents brutalement et suavement universels. Seuls philtres d’amour, la nature humaine inéluctable et l’opéra wagnérien, dont le temps, quoique plus épais qu’un sang coagulé, s’enfuit toujours trop vite…
Illustration de Robert Engels pour Le Roman de Tristan et Yseut, Piazza, 1914.
Photo : T. Guinhut.
Le spectre de l'indignité hanterait la littérature et jusqu'à la musique. Le destin des célinolâtres est-il d'éprouver les mêmes inquiétudes que les inconditionnels de Richard Wagner, poète et musicien ? En effet, après l'exclusion de Céline des Célébrations nationales 2011, voici venir le trait de gomme sur le créateur de « l'opéra de l'avenir », dans le cadre des Célébrations nationales 2013. On n'est jamais trop prudent. Si le principe de précaution risque d'anesthésier la recherche scientifique, il est craindre qu'il veille à souffler sur la culture un vent de censure nauséabond...
C'est à cause d'un écrit antisémite, Le judaïsme dans la musique[2], publié en 1850, que Wagner se vit exclu de ces festivités par notre avisé Ministre de la culture, Frédéric Mitterrand. En effet, ce texte, ce torchon, est grotesque autant que répugnant : « Je nourris une rancune longtemps contenue à l'égard des juifs et de leurs manigance, et cette rancune est aussi nécessaire à ma nature que la bile l'est au sang ». Certes, sa rancune s'adressait à Meyerbeer qui avait plus de succès que lui. Ou encore : « Le juif est roi et il continuera de régner tant que l'argent représentera le pouvoir qui ôte à tous nos efforts et à toutes nos entreprises leur efficacité 2 », ce qui est un écho de nombre de libelles antisémites de l'époque y compris de celui de Karl Marx...
Notons que malgré une réédition en 1869, puis d'autres articles anti-juifs de sa main, et ce jusqu'à sa mort en 1883, Wagner n'a jamais officiellement soutenu les dirigeants antisémites qui lui étaient contemporains. Et que, non sans incohérence, il eut de nombreux amis juifs, pianistes et chefs d'orchestre... De plus il faut noter que l'appel à l' « anéantissement » du juif errant Ahasver, est à lire comme une allusion au personnage d'Achim von Arnim, dans Alle und Jerusalem (1811) qui se sacrifie pour la sauvegarde d'autrui lors d'un incendie.
Nous n'avions, dans un précédent article, Céline ou l’indignité du génie[3], pas été effarés de la décision du Ministre de cultes laïcs lorsqu'il écarta Céline. Nous ne le serons pas plus à propos de Wagner. Répétons-le, non pas tant au motif de l'infamie de leurs pamphlets que personne ne discute (du moins espérons-le), qu'à celui de l'inanité de ces « Célébrations nationales ». En effet les institutions et officines culturelles, qu'elles soient d'obédiences publique ou privée, ne devraient avoir que faire d'une objurgation étatique, d'un adoubement national...
Sauf qu'avec Wagner un pas est franchi. Un pas gravissime. Une lettre officielle émanant du Ministre intime le Directeur de l'Opéra national de Paris de ne pas rejouer l'entier de la Tétralogie (dirigée par Philippe Jordan) pour le bicentenaire de la naissance de son auteur. Etant donné que cette date coïncide avec le même anniversaire de Verdi qui, dans le « chœur des Hébreux » de Nabucco s'élève contre l'esclavage, on préférera la liberté de Verdi à l'antisémitisme de Wagner. Pourquoi pas cette préférence morale... Mais la tentative de censure ministérielle, quoique transmise à L'Elysée par le Directeur de l'Opéra, risque de se doubler de coupes budgétaires faute d'obéissance[4].
Imaginez qu'à la suite de la décision en l'affaire Céline, le Ministre de l'Education nationale exige de retirer de tous les manuels de Lettres, de toutes les listes de bac, de tous les cartables le Voyage au bout de la nuit, au motif des Beaux draps... Quel tollé ! Le visage de Janus de la tyrannie, sadisme et grotesque, serait alors conspué, le Ministre sommé de démissionner, de tirer la langue en public pour baver le fiel de son péché originel... C'est pourtant ce qui se passe avec Wagner. Dont les textes indignes ne sont pas tout à fait aussi virulents que ceux de Céline (même si cela n'excuse en rien les premiers). Sous prétexte du Judaïsme dans la musique, voilà Tristran et Isolde courir le risque d’être interdits de s'aimer sur les théâtres français ! Parsifal excommunié !
Certes, nous avions argué d'un antisémitisme implicite dans le Voyage au bout de la nuit pour montrer que l'indignité de Céline avait des racines bien avant les pamphlets incriminés. Ce n'est pas pour autant que nous ayons cessé de conserver en bonne place de notre bibliothèque les Pléiades céliniens, que nous nous privons de l'étudier aux côtés de Proust et d'Orwell... De même, nous pourrions relever dans L'Or du Rhin que le nain Alberich, s'emparant de l'or aux dépens des filles du Rhin, est une volontaire figuration du Juif. Nombre d'illustrateurs (dont le splendide Arthur Rackham) ne sont pas privés d'ailleurs de figurer jusqu'à la caricature le nez crochu et la barbiche crasseuse du cupide voleur... N'oublions pas non plus que Winifred Wagner, belle-fille du maître, fut une admiratrice passionnée d'Hitler, qu'elle dirigea le Festival de Bayreuth. Que le Führer de sinistre mémoire adorait Wagner au point de s’enivrer du final du Crépuscule des dieux dans son bunker juste avant son suicide. Ce pourquoi Israël ne programme jamais le maître, même si Barenboïm fit un geste en dirigeant le prélude de Tristan à Tel Aviv en 2001. Mais on peut comprendre qu'aux survivants du génocide et à leurs descendants cette musique rappelle des accointances plus que douloureuses. Reste que Céline a écrit ses pamphlets antisémites pendant que les Juifs partaient vers le crématoire, que sa haine nourrissait une idéologie officielle. Rien de tel pour Wagner. Qui peut prouver que vivant en un autre siècle il aurait été nazi comme le fut Heidegger ? Lire Mort à crédit pendant l'entracte de La Walkyrie (même si la collusion est pour le moins curieuse) ne fait pas de vous un thuriféraire de l'holocauste.
Illustration d'Arthur Rackham
pour Siegfried et Le Crépuscule des dieux de Wagner, 1911.
Photo : T. Guinhut.
Cependant, plus grave encore, il y aurait une culpabilité a posteriori de Richard Wagner. C’est ce que tend à prouver Fanny Chassain-Pichon en son essai, De Wagner à Hitler. Sa méthode est comparative. C’est « en miroir », qu’elle confronte, de chapitre en chapitre, chacune des périodes de la vie du compositeur du XIX° siècle et du dictateur du XIX° siècle, tous deux nantis de père de remplacement, tous deux végétariens. Le risque étant de favoriser les ressemblances au dépend des dissemblances. La révolution avortée de 1848 pour l’un, la défaite de la Première Guerre mondiale pour l’autre étant deux déclencheurs de la déception, du ressentiment et des volontés jumelles de faire œuvre, opératique et politique. Toute la vie d’Hitler est orientée par son admiration inconditionnelle du maître de Bayreuth, qui est son modèle. Au point de faire « parfois de Mein Kampf un pastiche de Du Judaïsme dans la musique ». Au point que « les textes politiques de Wagner représentaient pour lui des bases essentielles et, de ce fait, constituent les véritables racines intellectuelles de Mein Kampf », outre les doctrines racistes de Gobineau et de Chamberlain, ce dernier ayant d’ailleurs épousé une fille du maître. De plus il est notoire qu’Hitler s’identifiait au héros éponyme de Rienzi, destiné à sauver la patrie, et même au pur Parsifal, tel qu’il aimait à se faire représenter sur l’affiche de propagande qui hurle sur la couverture de l’essai de Fanny Chassain-Pichon.
Il n’est pas indifférent de remarquer que cette « œuvre d’art de l’avenir est une œuvre collective, et ne peut naître que d’un désir collectif », selon Richard Wagner à propos de ces opéras. Commandement que l’on qualifiera de dangereusement collectiviste, et qu’Hitler suivra à la lettre lors de ses festivités de Nuremberg (la ville des Maîtres chanteurs), cérémonies de masse ponctuées d’orchestrations wagnériennes : « Le congrès de Nuremberg devenait une œuvre esthétique hitlérienne teintée de wagnérisme », alors que le corpus wagnérien fournissait au III° Reich toute une mythologie. Plus tard, la débâcle du nazisme et de la grande Allemagne plongée dans un déluge de feu, ainsi que le suicide de son führer dans son bunker sont orchestrés comme un Crépuscule des dieux.
L’antisémitisme wagnérien se répand en une logorrhée qui vaut bien celle de Mein Kampf[5]. Bien qu’il ait d’abord admiré le poète Heinrich Heine, qu’il ait été aidé par le compositeur Giacomo Meyerbeer, il les réunit avec Felix Mendelssohn pour débiter le fiel de son envie et de sa pitoyable haine antisémite. Le Juif est le « ver rongeur de l’humanité » qui doit être « anéanti », comme devrait l’être la race des Nibelungen. L’or est l’apanage du matérialisme juif, en la personne abjecte d’Alberich, au point que dans son essai sur la « regénération, il réclame « la fin de tout Juif ». Dans La Tétralogie, les nains et Hagen sont les sous-hommes, quand Siegfried et les dieux sont l’équivalent des surhommes selon la mythologie nazie, alors que, notons-le, le théoricien du surhomme parmi les pages d’Ainsi parlait Zarathoustra, Nietzsche lui-même, d’abord admirateur du compositeur, s’en éloigna en désavouant son ridicule antisémitisme. Dans Parsifal, la juive Kundry, qui a ri du Christ sur son chemin de croix, bien que convertie au Christianisme et baptisée par le pur héros, devra mourir…
Fort documenté, l’essai de Fanny Chassain-Pichon s’achève abruptement alors que s’achèvent les vies de ses sujets d’étude. Ne manque-t-il une conclusion ? Tentons de répondre à ce manque, quoique ce soit plutôt l’introduction, refusant la « reductio ad Hitlerum », qui en fournisse les prémices. Si le maître de Bayreuth est pleinement responsable de ses propos, il ne l’est pas de celui qui a tant voulu le suivre de si près, qui plus est après sa mort. Prenons garde que la comparaison à sa limite. Si le musicien est férocement antisémite en ses pitoyables écrits et laisse deviner avec insistance en ses affreux et coupables Nibelung le faciès dégénéré et l’énergie destructrice du Juif face à un splendide Siegfried aryen et trahi, il n’en est pas à exiger un génocide et ne se fait pas lui-même meurtrier, alors qu’il préconise le « déjudaïsation » et la négation du soi juif. Eurent-ils été contemporains que rien ne prouve que Wagner aurait admiré Hitler, voire que sa jalousie n’aurait pas déprécié un tel thuriféraire, à moins qu’il s’en fût servi comme d’un commode mécène. Ce serait un dommageable anachronisme que de faire de Wagner un réel Nazi, malgré son apport à la formation de l’antisémitisme du XX° siècle. Ainsi Pierre-André Taguieff avertit avec justesse : « Travestir Wagner en officier SS potentiel ou en conseiller culturel avant la lettre du ministère nazi de la Propagande, affirmer que Wagner préfigure Hitler ou anticipe l’hitlérisme en citant les Nazis comme témoins crédibles, c’est se condamner à méconnaître le « cas Wagner », dont le premier caractère est la complexité, et le second l’ambivalence[6] ». Au-delà de la responsabilité involontaire de Richard Wagner dans le nazisme, ne faut-il pas s'interroger sur la responsabilité d'Hitler quant à notre lecture de l'auteur de la Tétralogie ?
Ce serait user d’une indigne reductio ad hitlerum que de se livrer au seul réquisitoire au service d’une étroitesse de perception d’un tel compositeur. Souvenons-nous que son concept d’ « œuvre d’art totale » s’étend de l’écriture de poétiques livrets à la musique orchestrale et vocale, sans oublier la conception architecturale et acoustique si particulière de son opéra de Bayreuth. Lavés de toutes scories politiques, écoutons une fois de plus l’envoûtant prélude de L’Or du Rhin, l’entraînante chevauchée des Walkyries, le joyeux appel de l’enfant de la forêt dans Siegfried, l’antithèse du cri d’allégresse des Nixes et de la figure de la raillerie de ces mêmes Nixes dans Le Crépuscule des dieux, et l’entrelacement des leitmotivs, de leurs échos…
Faudrait-il alors proposer de rayer de la mémoire universelle Karl Marx lui-même, qui, en 1844, écrivait dans La Question juive, « Quel est le culte laïc du juif ? Le trafic. Quel est son dieu laïc ? L'argent ». L'on serait sûr de déclencher les cris d'orfraie des intellectuels et autres marxistes pullulants. Lire, discuter et réfuter ces textes, y compris ceux des opéras wagnériens aux musicalités splendides, est l'autre versant du devoir de la liberté de publication et de mise à la disposition du public de tout document, toute œuvre, qu'elle nous agrée ou non. Il y a mille façons d'aimer l'art. Une seule de le castrer par les ciseaux de l'Etat ou d’une opinion comminatoire. Lire Céline, écouter Wagner, n'est pas forcément contradictoire avec Qu'est-ce que les Lumières ? de Kant[7] ou De l'Esprit des lois de Montesquieu. Dans un bel éclectisme éclairé, à nous de savoir lire.
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.