Emmaüs. Photo : T. Guinhut.
Histoire, rhétorique et macules de l’Antisémitisme.
Dominique Serre-Floersheim,
Primo Levi, Edgar Hilsenrath.
Dominique Serre-Floersheim : La Rhétorique de la haine.
La fabrique de l’antisémitisme par les mots et les images, Honoré Champion, 284 p, 45 €.
Primo Levi : Ainsi fut Auschwitz. Témoignages (1945-1986),
traduit de l’italien par Marc Lesage, Les Belles lettres, 310 p, 14,90 €.
Edgar Hilsenrath : Terminus Berlin, traduit de l’allemand par Chantal Philippe,
Le Tripode, 240 p, 19 €.
Jusqu’au génocide de millions d’enfants et d'adultes, la trainée glaireuse et jaune de l’antisémitisme macule l’Histoire, au sens de la salissure autant que de la lésion. Haine, ressentiment, colère sourde et soudain fulgurante, tout se ligue contre un peuple en diaspora, contre un peuple innocent, qui n’a que le tort de vouloir rester lui-même, et pire encore, d’engranger cent succès culturels et scientifiques. L’immonde serpent a une Histoire, depuis l’Antiquité jusqu’à la Shoah et un futur peu amène, s’habille d’une rhétorique, décryptée par Dominique Serre-Floersheim, se pare d’un trou noir de sang et de gaz avec Auschwitz, documenté par Primo Levi, et demeure doté d’un contrecoup persistant, comme le narre Edgar Hilsenrath.
Probablement l’antisémitisme, qu’il serait plus judicieux de nommer antijudaïsme, est-il né à l’occasion de l’Empire romain au premier siècle. Ce dernier se vit ulcéré de la résistance d’un petit peuple à la romanisation, qui ne voulait pas d’autre dieux que le sien, et encore moins des empereurs divinisés comme Auguste. Flavius Josèphe, dans son Histoire ancienne des Juifs - qui précède sa Guerre des Juifs contre les Romains - rapporte que « Les Juifs supportent si impatiemment que Pilate, gouverneur de Judée, eût fait entrer dans Jérusalem des drapeaux où était la figure de l’empereur, qu’il les en fait retirer[1] ». Or l’historien romain Tacite n’était gère tendre envers la « nation exécrable » des Juifs : « Jamais ils ne mangent, jamais ils ne couchent avec des étrangers. Malgré l’extrême dissolution de leurs mœurs, ils s’abstiennent de femmes étrangères, entre eux rien d’illicite[2] ». Parallèlement, le monde hellénistique du II° siècle n’est pas indemne de l’abomination antisémite ; comme lorsqu’Antiochos, croyant à une rébellion, décida d’interdire le culte juif et d’imposer un culte païen à Jérusalem. Cependant, alors que l’accusation mensongère de meurtres rituels d’enfants par les Juifs est dénoncée par Flavius Josèphe dans son Contre Apion, un écrivain égyptien vindicatif, elle ne refit surface qu’au XII° siècle.
Le christianisme ne fut pas en reste en reprochant aux adorateurs de la Torah d’avoir fait crucifier le fils de Dieu, comme Saint-Paul les déclarant chers à Dieu, et les prétendant tour à tour déicides dans ses Epîtres aux Thessaloniciens : « ces gens-là ont mis à mort le Seigneur Jésus et les prophètes, ils nous ont persécutés, ils ne plaisent pas à Dieu, ils sont ennemis de tous les hommes quand ils nous empêchent de prêcher aux païens pour leur salut, mettant ainsi en tout temps le comble à leur péché ; et elle est venue sur eux la colère, pour en finir[3] ». Le Père de l’église, Tertullien, écrivit au début du II° siècle un « Contre les Juifs » en empruntant aux prophètes bibliques : « C’est à cause de vous que les nations blasphèment le nom de Dieu. […] Ainsi, en punition de ces crimes, et pour n’avoir pas voulu reconnaître le Christ au temps où il les visita, leur terre est devenue déserte, leurs villes ont été la proie des flammes, les étrangers dévorent leur patrie jusque sous leurs yeux[4] », ce concernant le temps de Vespasien à Tibère. Nuançons le propos en signalant que Tertullien, qui n’était pas un joyeux drille, puisqu’il écrivit également « Contre les femmes » et « Contre les spectacles », ne fut pas irréductiblement suivi par l’Eglise romaine en termes d’antijudaïsme, même si elle réclama pour eux la ceinture des ghettos, et si le Pape Innocent III, si mal nommé, voulut leur imposer le port d’un signe distinctif, passablement infamant.
Quant à l’antijudaïsme islamique, il est une institution, originellement parce qu’au VII° siècle le prophète Mahomet échoua dans sa tentative de conversion, d’où la guerre perpétuelle, depuis l’envahissement de la Palestine qui les chassa de leurs terres, guerre plus ou moins brûlante selon les époques, et ravivée à partir de la fondation de l’Etat d’Israël aux succès humiliants et de la montée en puissance des monarchies pétrolières arabes.
Dès 1095, des Chrétiens tuent des juifs, les forcent à se baptiser et s’approprient leurs biens. En 1269, les Juifs de France seront forcés à porter la rouelle, une petite roue d’étoffe jaune cousue sur la manche, ancêtre d’une sinistre étoile. Ils sont expulsés le 21 juin 1306 par Philippe Le Bel. Les vexations courent, vont et viennent jusqu’au XVIII° siècle. L’Espagne expulsa ses Juifs en 1492, les pogroms essaimèrent en Europe de l’Est…
Entre temps les professions interdites aux Juifs, qu’il s’agisse de l’armée, du barreau et a fortiori de l’église, qui auraient pu participer d’une ascension sociale, ne leur laissaient que l’artisanat, le commerce et les banques ; d’où leurs succès en ces domaines, qui leurs valurent non seulement une vile jalousie, mais une réputation d’usuriers féroces.
Même le siècle des Lumières ne put échapper à l’antisémitisme. En témoigne Voltaire, prétendant que la nation Juive est « la plus méprisable aux yeux de la politique » ; dans l’article « Juifs » de son Dictionnaire philosophique il enfonce le clou en arguant que « les Hébreux ont presque toujours été ou errants, ou brigands, ou esclaves, ou séditieux : ils sont encore vagabonds aujourd’hui sur la terre, et en horreur aux hommes, assurant que le ciel et la terre, et tous les hommes ont été créés pour eux seuls. […] Enfin vous ne trouverez en eux qu’un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine pour tous les peuples qui les tolèrent et les enrichissent. Ils ne faut pourtant pas les brûler ». Ouf ; nous avons connu Voltaire, plus enclin à la tolérance[5]. Et cerise sur le gâteau, l’accusation sans le moindre fondement : « Il n’est donc que trop vrai que les Juifs, suivant leur foi, sacrifiaient des victimes humaines. Cet acte de religion s’accorde avec leurs mœurs[6] ».
Petit-fils d’un rabbin et fils d’un converti au protestantisme, Karl Marx reprocha aux Juifs de s’enfermer dans le trafic et l’argent, de faire de la bourgeoisie et de la bourse des instances juives, ce dans sa réponse à Bauer en 1844, Sur la question juive, soit quatre avant Le Manifeste communiste. Outre ce reproche, récurrent avant lui et à son époque, il prétendait exiger que les Juifs se détachent de leur religion, comme tout religieux, quelque soit son obédience, devait s’en extirper, de façon à assumer l’avènement du communisme, autre phénomène religieux, mais sans transcendance. De Kant à Fichte en passant par Goethe, l’antisémitisme était fort partagé dans l’Allemagne du XVIII° et du XIX° siècle ; or l’auteur du Capital, en tant que lecteur de ses derniers, ne pouvait déroger à cette tradition, d’autant que son anticapitalisme et antibourgeoisisme inconditionnel voyait ces stigmates rédhibitoires sur tous les fronts juifs, sans oublier celui de sa propre origine juive à effacer. La question de savoir si Marx était effectivement et viscéralement antisémite reste débattue. Au contraire de Lionel Richard, pour Jean-François Revel et bien d’autres, il s’agit bien d’un pamphlet antijudaïque.
Contrairement au préjugé, l'Essai sur l'inégalité des races humaines d’Arthur Gobineau, paru en 1853, n’est pas le moins du monde antisémite. Mais fort cruel aux dépens des Asiatiques et des noirs fort défavorablement considérés. L’on n’y trouve rien d’un éloge, rien d’une domination de la race blanche, le premier mot étant plutôt employé au sens de civilisation. Loin d’un Wagner[7], lui antisémite, ou a fortiori d’un Hitler, il n’imagine en rien un destin cyclique et héroïque de la race allemande, alors que l’ancienne race aryenne ne représente plus que de rares bribes…
Or Gobineau se livre à un éloge appuyé : « que furent les Juifs ? Je le répète, un peuple habile en tout ce qu’il entreprit, un peuple libre, un peuple fort, un peuple intelligent, et qui, avant de perdre bravement, les armes à la main, le titre de nation indépendante, avait fourni au monde presque autant de docteurs que de marchands.[8] » Tout le contraire d’un bréviaire nazi, donc…
Rédigé en 1901 par un Russe, Matveï Golovinski,informateur au service du Tsar, Le Protocole des sages de Sion obtint - et a toujours - un large succès. Il s’agit de prétendus compte rendus de réunions secrètes tenues par un conseil de sages juifs, projetant de détruire le Christianisme et de dominer le monde en s’appuyant sur le capitalisme : le prototype du complot juif fomenté par un faussaire. Aussi bien l’Union soviétique que l’Allemagne nazie en furent friands, et aujourd’hui encore le suprémacisme blanc américain et surtout le monde arabe. Hitler en fit une référence obligée dans son Mein Kampf[9], dont la rhétorique antisémite atteint des sommets d’abjection.
Passons sur l’affreux Edouard Drumont, qui fit un succès de librairie avec La France juive, à partir de 1886 : « Tout vient du Juif ; tout revient au Juif. Il y a là une véritable conquête, une mise à la glèbe de toute une nation par une minorité infime mais cohésive, […] On retrouve ce qui caractérise la conquête : tout un peuple travaillant pour un autre qui s’approprie, par un vaste système d’exploitation financière, le bénéfice du travail d’autrui. Les immenses fortunes juives, les châteaux, les hôtels juifs ne sont le fruit d’aucun labeur effectif, d’aucune production, ils sont la proélibation d’une race dominante sur une race asservie[10] ». Et encore ce n’est que le début parmi 1200 pages !
La première moitié du XX° siècle fut en Europe profuse en éructations antisémites, entre celle d’Hitler et ses affidés, et d’un Céline, qui sut contribuer à la faisabilité de la livraison des Juifs français à l’Allemagne nazie, maculant de ses déjections pamphlétaires la littérature française, plumitif bien digne d’une passion française…
L’on dirait que la langue des imprécateurs s’emballe d’elle-même, enflée par une rhétorique aussi délirante que bien huilée. Aussi, au-delà de Victor Klemperer, qui analysa la langue du III° Reich[11], faut-il démonter « la rhétorique de la haine » antisémite, avec Dominique Serre-Floersheim. L’essayiste, qui a la douleur d’être la descendante d’une famille massacrée par la déportation, s’attache à décoder avec une réelle pertinence « la fabrique de l’antisémitisme par ses mots et ses images » pour reprendre son sous-titre. Comment des êtres humains, appartenant à une civilisation humaniste et évoluée, y compris des intellectuels, ont-ils pu se laisser aller à l’exécration d’une population, et savonner la planche de la Shoah ?
Parmi les écrivains français raclant le caniveau de l’antisémitisme, la liste est vertigineuse. Ils sont tous brocardés avec soin, voire présentés en fin d’ouvrage, dans un « florilège » : Charles Maurras, Robert Brasillach, Lucien Rebatet et ses Décombres, Montandon et son didactique, pseudo-scientifique et grotesque « Comment reconnaître le Juif », Marcel Jouhandeau écrivant Le Péril juif, Raymond Brasillach, Jean Giraudoux réclamant un Ministère de la Race, Céline (dont nous avions lu un de ses pamphlets[12]) enseignant le vomi antisémite dans L’Ecole des cadavres, dont l’essayiste recadre le « cynisme » et « l’écriture éruptive ». Nous aurons le cœur bien accroché à dessein d’en lire ici les extraits représentatifs, associés à une analyse critique.
Devant les abondantes citations, le lecteur est confondu par la vulgarité, la bassesse et l’outrance de cet égout d’insultes qui ne devrait déconsidérer que celui qui les émet. D’autant qu’en utilisant les règles anciennes de l’art oratoire au service de telles déjections verbales, l’on peut parler de « perversion de la rhétorique ». Le « réquisitoire au vitriol » est tissé des ressources les plus sophistiquées de l’éloquence. L’on se doute que l’image n’échappe pas à cette perversion. Cartes postales, affiches, en fin d’ouvrage analysées, tout est fait pour caricaturer un faciès prétendument juif s’emparant de la carte d’un pays, voire du globe entier, un Juif nauséabond par son incontinence ou sa main rapace chargé d’or, sans compter l’assimilation au bolchevisme… À peu près tous ces travers s’accumulent chez Céline : « Racisme suprêmement ! Désinfection ! Nettoyage ! Une seule race en France : l’aryenne ! […] Les Juifs, hybrides afro-asiatiques, quart, demi-nègres et proches orientaux, fornicateurs déchaînés n’ont rien à faire dans ce pays. […] Ce sont les Allemands qui ont sauvé l’Europe de la grande Vérolerie Judéo-Bolchevique[13] ». Et l’on dit Céline styliste !
L’ouvrage, aussi savant qu’attendu, est à la fois une précieuse méthode de lecture du message antisémite, associé à un panorama fort documenté, et une déconstruction de ses clichés, outrances et avatars. Il confronte l’émetteur et le destinataire, pointe le ressassement et le manichéisme, décrypte la généralisation abusive du type et l’enlaidissement du physique de façon à provoquer la moquerie et le dégout, la dégradation psychologique et tératologique, sans oublier la dimension apocalyptique du complot. Tout pour salir et déshumaniser le Juif, de façon à ne plus le percevoir que comme une vermine, que seuls d’indispensables mesures prophylactiques permettront d’éliminer. Le vertige du langage mène au cul-de-basse-fosse de l’assassinat de la Nuit de cristal et de la Shoah. En tant que tel cet essai est à ranger au côté des indispensables de Léon Poliakov[14] et de Pierre-André Taguieff[15].
À la question « l’art peut-il racheter les dérives de la pensée ? », Dominique Serre-Floersheim répond avec justesse : « l’esthétisation de la politique » ne permet pas qu’une pensée aussi effroyable produise de beaux textes. Nous n’aurons qu’une réserve. « Les mots peuvent tuer », répète-t-elle. Quel que soit le venin de la langue, elle n’est couteau que lorsque ce dernier est empoigné par une main responsable de ses abominations.
Si Céline n’est pas racheté par l’art, Primo Lévi, lui, sait élever le témoignage au rang d’un art. Publié en 1947, mais seulement remarqué à partir de 1958, Si c’est un homme est le terrible récit autobiographique d’une captivité à Auschwitz auquel son auteur ne réchappa que grâce à ses qualités de chimiste et à l’infirmerie. Il apprend très vite qu’ « Ici il n’y a pas de pourquoi ». Au camp, le Juif échappe à toute rationalité, sinon celle de la solution finale et de la chambre à gaz.
À ce classique indépassable de la froide cruauté et de l’humiliation humaine, qui a pour priorité absolue l’élimination du Juif, Primo Levi dut dès 1945 annexer un compte-rendu sur les conditions sanitaires du camp, à la demande des militaires soviétiques. C’est ce « Rapport sur Auschwitz » qui est l’ouverture de ce recueil de textes divers, pour la première fois réunis en français en ce recueil de témoignages, écrits de 1945 à 1986 : Ainsi fut Auschwitz. Là sont « les installations d’intoxication collective et les fours crématoires grands comme des cathédrales », là est réduit le Juif à l’avilissement, « l’homme au niveau de ses viscères ». L’on trouve parmi ces textes des analyses on ne peut plus pertinentes : « Le microcosme du camp reflétait fidèlement le tissu social de l’Etat totalitaire ». Le goulot d’extermination est « la démonstration éhontée de la facilité avec laquelle le mal s’impose ». Ainsi que dans la « Lettre à la fille d’un fasciste qui demande la vérité », dans laquelle notre auteur défend une exposition sur les camps en ces termes : « démontrer quelles réserves de férocité gisent au fond de l’âme humaine, et quels dangers menacent, aujourd’hui comme hier notre civilisation ». Sans compter que la véracité historique reste sans cesse à soutenir face à d’inquiétantes ignorances, de terrifiants négationnismes…
La rémanence de l’antisémitisme, comme un vieux retour du refoulé, ou un atavisme biliaire, est indémodable. C’est ce dont fait amèrement l’expérience Edgar Hilsenrath, dans son ultime ouvrage, Terminus Berlin, où d’ailleurs il annonce que son œuvre est achevée, ne serait-ce qu’en faisant mourir aux dernières pages son anti-héros. N’est-il pas né en 1926 en Allemagne en faisant l’expérience des ghettos, en échappant à la Shoah, pour mériter avec son personnage un digne repos éternel ?
Le coup de maître d’Edgar Hilsenrath est sans conteste Le SS et le barbier, dans lequel un Nazi patenté, de plus affecté dans un camp d’extermination, change d’identité à la libération et parvient à se faire passer pour un Juif, barbier de son état, qui arbore un sionisme fanatique ! Peut-on imaginer pire transgression ? Au-delà même d’une narration menée par le point de vue de cet abject personnage, deux décennies avant que Jonathan Littell[16] fasse entrer le lecteur dans la pensée d’un implacable Nazi.
Mais ce Terminus Berlin n’en est pas indigne, en tant qu’il s’agit d’un roman autobiographique du retour en Allemagne. Lesche, un écrivain aux livres peu remarqués, dont Le Juif et le SS (un évident reflet du SS et le barbier) quitte les Etats-Unis qui ont accueilli son exil pour baigner de nouveau dans la langue allemande. S’il trouve assez vite le succès auprès d’éditeurs berlinois, ainsi que du public, ses conférences et lectures lui valent bien vite d’être repéré et poursuivis par des néo-Nazis : « Sa porte était barbouillée de grandes croix gammées tracées à la peinture rouge ».
Le roman bénéficie d’une composition erratique bienvenue, entre New-York et Berlin, entre l’Allemagne de l’ouest et celle de l’est, entre récit, entreprises éditoriales, reportages, rencontres amoureuses gaillardes, souvenirs de guerre et de traque, documentation en vue de l’écriture d’un conte sur le génocide arménien, et fantasmes de meurtre vengeur sur la personne de celui qui, enfant nazi le harcelait, alors qu’il a depuis abjuré l’abomination. Malgré la joie de vivre de l’alter ego d’Edgar Hilsenrath, l’ombre délétère de l’antisémitisme ne cesse de dévorer la sérénité du monde, jusqu’à ce qu’il soit assassiné par « les petits-fils des anciens Nazis »… De fait, pour lui, « le pays est tout entier un monument à l’holocauste ».
Deux exemples parmi cent autres de ce que dénonce à juste raison l’écrivain : en juillet 2019, des néo-nazis ont perturbé une exposition de portraits de victimes de l’holocauste dans le sud de la Suède. Le même mois, l’inauguration de la place Jérusalem, à Paris, a vu parader une rageuse manifestation anti-israélienne. Sans oublier les attentats récurrents depuis mars 2012, à Montauban et Toulouse, et contre le Musée juif de Bruxelles en mai 2014 ; sans compter que les actes antisémites ne cessent d’augmenter en France et ailleurs.
Tour à tour anti-financier, anti-religieux, économique, social, culturel et raciste, fasciste, soviétique, arabe ou palestinien, droitier ou islamogauchiste, l’antijudaïsme est une hydre aux têtes toujours hélas fécondes ; y compris jusqu’au sommet de l’Etat français, qui par la voix de sa représentante à l’Organisation des Nations Unies, en juin 2019, « ne reconnait aucune souveraineté israélienne qu’il s’agisse de Jérusalem, du Golan, de la Cisjordanie ou de Gaza », ces terres ancestrales des Hébreux, alors qu’Israël s’est retirée de Gaza en 2006 ! Depuis la Shoah et la fondation de l’Etat d’Israël qui s’en suivit, l’antisionisme et la compétition victimaire prétendument au bénéfice des Juifs sont des arguments supplémentaires à la lie de la colère et de l’envie. Le goût amer de la haine, le venin de la jalousie, la pleutre nécessité du bouc émissaire, la pulsion de mort, tout complote dans le fiel verdâtre de l’antisémitisme qui macule le nom de toute civilisation.
Thierry Guinhut
Une vie d'écriture et de photographie
[1] Flavius Josèphe : Histoire ancienne des Juifs, Lidis, 1968, p 561.
[2] Tacite : Histoires, Œuvres, Garnier, sans date, V, V-VIII, p 321, 318.
[3] Saint-Paul : Epitre première aux Thessaloniciens, 2,15, La Sainte Bible, Le Club Français du Livre, 1965, p 3105.
[4] Tertullien : « Contre les Juifs », Œuvres, Louis Vivès, 1852, t III, p 46.
[5] Voir : Tolérer Voltaire et retrouver notre sens politique : du fanatisme au Traité sur la tolérance
[6] Voltaire : Dictionnaire philosophique, J Bry Ainé,1856, t 4, p 165, 170, 173.
[8] Arthur Gobineau : Essai sur l'inégalité des races humaines, Livre I, chapitre 6, Oeuvres, Pléiade, 1983, Gallimard, t 1, p 195.
[10] Edouard Drumont : La France juive, Marpon & Flammarion, sans date, p VI.
[11] Victor Klemperer : LTI, la langue du III° Reich, Pocket, 2003.
[13] Louis-Ferdinand Céline : L’Ecole des cadavres, Denoël, 1938, p 128.
[14] Léon Poliakoff : Histoire de l’antisémitisme, Seuil, 1994.
[15] Pierre-André Taguieff : L’Antisémitisme de plume, 1940-1944, Berg International, 1999.
[16] Voir : Retour sur Les Bienveillantes de Jonathan Littell
Bernard Lazare : L'Antisémitisme. Son Histoire et ses causes, Léon Chailley, 1894.
Photo : T. Guinhut.