En l’identité tout voudrait, selon son étymologie, être identique. La France serait alors identique à elle-même, à son essence, à l’idée que l’on s’en fait, et chaque Français identique à autrui selon des traits immédiatement reconnaissables, voire transcendants… Cependant, l’identité française, on ne l’ignore pas, dépasse la nation, tant au-delà des frontières de l’hexagone persistent des Français, Belges, Suisses, à Londres, en Afrique… Au-delà donc d’une nation, il s’agit d’une langue, d’une histoire, d’institutions, d’une culture, de paysages, de modes de vie : monolithiques et fermés sur eux-mêmes, ou en expansion, ouverts, mobiles et accueillants… En son méli-mélo de réalités et de fantasmes, que vaut notre identité française devant les défis que sont la mondialisation, l’immigration ? Peut-elle se perpétuer, s’enrichir, se magnifier, ou se dissoudre, s’abattre, enfin ?
Que faut-il entendre par ce concept d’identité de la France ? Ce à quoi tente de répondre Fernand Braudel : « sinon une sorte de superlatif, sinon une problématique centrale, sinon une prise en main de la France par elle-même, sinon le résultat vivant de ce que l’interminable passé a déposé patiemment par couches successives, comme le dépôt imperceptible de sédiments marins a créé, à force de durer, les puissantes assises de la croûte terrestre. En somme un résidu, un amalgame, des additions, des mélanges. Un processus, un combat contre soi-même, destiné à se perpétuer. S’il s’interrompait, tout s’écroulerait ». Plus bas, l’historien ajoute : « il est certainement vain de ramener la France à un discours, à une équation, à une formule, à une image, à un mythe[1] »… L’on sait que ce dernier, dans L’Identité de la France, interrogea l’histoire et l’espace, la démographie, l’économie, les techniques et les traditions, le dynamisme du capitalisme. Omettant cependant la France de Racine et de Proust, celle de Rameau et de Monet…
Certes l’on saura reconnaître l’identité française à nos campagnes hérissées de clochers, aux rives de la Seine parisienne, aux châteaux de la Loire, à nos boulangeries, à notre champagne et notre bordeaux, à notre gastronomie, à notre galanterie et notre diplomatie, à moins que ces dernières soient surévaluées et mises à mal. Bel héritage à préserver, à faire fructifier et augmenter. Mais quand nos lettres sont latines, notre démocratie grecque, notre chocolat ivoirien, notre thé indien, nos sushi japonais, quand nos chiffres sont arabes (mais plus exactement indiens), nos logiciels américains, nos smartphones californiens, coréens ou chinois, nos bibliothèques délicieusement lourdes de traductions parfois exotiques, aurions-nous la présomption de claironner que nous ne sommes que Français ? La mondialisation n’efface pas l’identité française, mais l’enrichit, qu’il s’agisse de technologies ou de nouveaux chefs d’œuvre littéraires, musicaux ou filmiques.
Un héritage national, culturel et politique ne peut jamais être tout immaculé ou tout souillure. Si la Saint-Barthélémy et la contribution au commerce triangulaire de l’esclavage, le génocide vendéen et la Terreur, l’affaire Dreyfus et la collaboration, les maladresses désastreuses de la colonisation, le rôle trouble joué au Rwanda et la décision dommageable d’abattre Kadafi en Lybie font partie de notre histoire, ils doivent être regardés pour ce qu’ils sont. Sans pourtant que l’identité de la France, pas pire à cet égard que d’autres, voire moins infâme, soit obérée par une excessive culpabilité, une repentance contre-productive qui consisterait à jeter le bébé avec l’eau bien sale du bain…
Hélas, quand dans les banlieues perdues de la Républiques se faire traiter de « Français », plus exactement de « céfran » est une insulte, il est clair que le blason de la France est à redorer avant de pouvoir être de nouveau respecté. L’identité française, comme toute identité nationale, se construit à partir et autour de sa police et de son armée. Quand la police, depuis mai 68, voire bien avant, est sans cesse décriée comme fasciste, en dépit de ses bévues, brutalités et incapacités de résolutions des crimes et délits, sans cesse interdite, caillassée, voire quand ses commissariats et gendarmeries (une vingtaine en juillet 2015) sont attaqués jusqu’à l’arme lourde dans les banlieues perdues de la République par des « bandes de jeunes », il est évident que le renversement des valeurs contribue au remplacement de l’identité française, républicaine de la civilisation par l’identité de la barbarie. A moins qu’il faille aller jusqu’à se demander si une infiltration de la police et de l’armée par des « jeunes issus de la diversité » puisse être indolore…
Certaines voix s’élèvent pour regretter que l’armée de métier moderne ait évincé le service militaire, qui, quoique décrié pour sa ridicule inutilité à l’échelle individuelle et collective, sans compter son coût, permettait à chaque homme ou presque, à chaque famille d’avoir un lien personnel avec les forces du pays et leur nécessité. Ce dont témoigne encore le défilé du 14 juillet, car en ce sens la France est un des rares pays au monde à mettre en scène un défilé militaire sur sa plus belle avenue à l’occasion de la fête nationale. Quoique, ostentatoire et sûr de lui, il ressemble trop à une propagande grotesque pour y croire suffisamment, lorsqu’à quelques kilomètres des Champs Elysées, le Tartare de quelques arrondissements de Paris et de banlieues décérébrées organise à l’envie incendies de voitures, émeutes et pillages, embryons déjà trop mûrs de guérilla urbaine, évidemment celés, euphémisés, tolérés de fait, en conséquence encouragés par la lâcheté, l’opportunisme et l’électoralisme du pouvoir qui n’en est plus un. Ainsi le respect dus à une police et à une armée intègres doivent contribuer à ce que le territoire de l’identité française ne devienne pas un champ de mines et d’attentats comme l’Afghanistan.
Accueillir au sein de l’identité plurielle française des migrants que la guerre a chassés de leurs terres parait d’abord un devoir moral républicain, une charité chrétienne, un humanisme universel. Certes.
Mais avec deux réserves. D’abord que leur nombre reste mesuré de façon à ce qu’ils ne recouvrent, ne dispersent, n’effacent l’identité (même polymorphe) du pays et du continent d’accueil. Ensuite, et plus grave encore, qu’ils n’amènent pas avec eux un bagage culturel invasif et intolérant contrevenant aux libertés de pensée, d’expression, politiques et en particulier féminines, telles qu’elles fondent les Lumières européennes, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (sans omettre la déclaration des droits de la femme d’Olympe de Gouges), telles qu’elles fondent une démocratie libérale incompatible avec l’Islam[2].
En 1939, quelques centaines de milliers de réfugiés républicains espagnols ont afflué en France, de même pour les Pieds noirs venus d’Algérie dans les années soixante, de même pour les boat people vietnamiens et autres Chinois dans les années soixante-dix. Ils se sont adaptés, en contribuant à la vie économique, autant que faire se peut sous le croissant boisseau socialiste. On ne peut en dire tout à fait autant des Musulmans. Si un pourcentage non négligeable travaille et profite de l’éducation pour se qualifier et s’intégrer, une frange difficile à évaluer ne prospère que dans la délinquance, l’auto-ghettoïsation, le radicalisme religieux, parmi des poches exponentielles de banlieues… Regardons alors ces réfugiés venus du Moyen-Orient et de l’Afrique : environ 70 % d’hommes jeunes et célibataires, peu d’enfants, peu de femmes, souvent voilées avec plus ou moins de rigueur !
Claude Lévi-Strauss avait dès 1984 cette prescience : « il m’a fallu rencontrer l’Islam pour mesurer le péril qui menace aujourd’hui la pensée française. Je pardonne mal au premier de me présenter notre image, de m’obliger à constater combien la France est en train de devenir musulmane.[3] » Plus tard, il ajoute, lors d’un entretien : « J’ai commencé à réfléchir à un moment où notre culture agressait d’autres cultures dont je me suis alors fait le défenseur et le témoin. Maintenant, j’ai l’impression que le mouvement s’est inversé et que notre culture est sur la défensive vis-à-vis des menaces extérieures, parmi lesquelles figure probablement l’explosion islamique. Du coup je me sens fermement et ethnologiquement défenseur de ma culture[4] ».
Joan Blaeu : Atlas maior, 1665.
L’identité c’est d’abord un visage. Celui du drapeau national qu’il est suspect, au contraire des Etats-Unis, d’exhiber à sa fenêtre sous peine de passer pour un thuriféraire du front National. A évacuer le national on ouvre grand la porte au Front National. Un visage également lorsqu’il s’agit de l’enfermer entre les parois du hidjab, de le couvrir sous la burqa, de le nier, alors que notre police est contrainte de fermer les yeux sur son exhibition aux dépens d’une loi qui n’est guère appliquée. C’est bien le visage de la France et de la Française, de l’Occident et de la femme occidentale qui est ainsi avili, obéré, en dépit de la Sainte-face du Christ sur le voile de Véronique, en dépit de la tradition picturale et sculpturale du portrait depuis l’Antiquité gréco-romaine, jusqu’à la photographie, en passant par les portraits d’Ingres et d’Elizabeth Vigée Le Brun.
Et pourtant le Salon Musulman du Val d’Oise, par exemple, n’oublie pas un instant son prosélytisme religieux, son antisémitisme et sa misogynie, ordonnant une soumission de la femme indigne des droits de l’homme.
Faut-il alors imiter l’Australie qui raccompagne les bateaux de migrants d’où ils viennent ? Mais il s’agit d’une île et d’une nation unique, ce que l’Europe n’est pas. De surcroit leurs migrants économiques, voire prosélytes, ne fuient pas une guerre.
Pourquoi les Etats Musulmans richissimes, telle l’Arabie Saoudite, ne reçoivent-ils pas les réfugiés et préfèrent financer pour eux des mosquées dans les pays européens et en particulier en Allemagne, dont la démographie native est en chute libre[5]?
Parce qu’au-delà des migrants consubstantiellement avides de liberté et de travail (alors que les 10% au bas mot du chômage français ne les y encouragent guère), à moins qu’il s’agisse de désir d’assistanat (l’allocation mensuelle de subsistance pour le demandeur du droit d’asile peut aller jusqu’à 718 €, sans compter la Couverture Maladie Universelle), la parabole du cheval de Troie de l’Odyssée d’Homère[6] est parlante : avec notre concours, un pourcentage, même minuscule et néanmoins terriblement dangereux de djihadistes terroristes éclaireurs du califat les infiltre d’une part, et, d’autre part, leurs cohortes d’adeptes de l’Islam n’amènent pas leur bréviaire d’un Islam des Lumières, mais celui d’une langue invasive et guère affamée de maitriser celle du pays d’accueil, du rituel halal, du voile, cet « uniforme idéologique » venu d’un « contexte patriarcal et phallocratique[7] », de l’oppression des femmes, des mariages forcés, de la polygamie, de la loi du talion et de ses infâmes châtiments corporels, de la charia enfin, qui parmi ses degrés divers peut devenir une « justice au service de la terreur[8] »… Quoiqu’il faille se garder de choir dans la généralisation abusive, il est loisible de se demander s’il s’agit d’accueillir de malheureux et valeureux migrants ou le fer de lance prolifique d’une invasion destinée à coloniser et islamiser l’Europe, jusqu’au Québec et ailleurs… Ce sur quoi ne se privent pas de nous avertir avec vigueur et pertinences des voix elles-mêmes venues de l’aire arabo-musulmane : comme Boualem Sansal avec son roman 2084[9] qui dénonce un totalitarisme plus ambitieux encore que ceux que le seul XXème siècle a connu, ou l’essayiste Ibn Warraq, dont l’argumentation imparable anime son Pourquoi je ne suis pas musulman[10].
Est-ce à dire qu’il faut préférer les migrants chrétiens assyriens, les yazidis, les coptes, les baha’is, ces premières victimes du califat islamique (en tous cas nous ne devrions pas les oublier un instant), et bien sûr les athées, les esprits libéraux ? S’il faut faire un choix (et il sera délicat de trier le bon grain de l’ivraie), et pas uniquement selon des critères confessionnels, et en se souvenant que républicains espagnols, Pieds noirs et Boat peoples asiatiques n’ont guère été des fauteurs de troubles, que les Portugais forment encore le premier contingent d’immigrés, c’est pour valider le fait avéré que l’immigration (et son communautarisme) n’est pas un problème, si toutefois son chiffre reste assez modéré pour ne pas faire basculer les équilibres culturels de l’identité élargie de la France et de l’Europe, voire de l’Occident, mais aussi qu’une part de l’immigration venue de l’aire arabo-musulmane, voire sahélienne, est à même de saper les valeurs sur lesquelles l’Occident est assis, depuis au moins les Lumières…
Si en 2008 l’immigration formait 8,4% de la population (un chiffre somme toute modéré au vu de pays voisins, dont l’Allemagne avec ses 13%), « la somme des personnes immigrées et de leurs enfants représente 20% de la population française », quand ceux « d’origine européenne et africaine représentent chacun 40% environ de l’immigration totale[11] ». Les chiffres ne paraissent ainsi pas effrayants, mais ils sont à relativiser devant l’afflux de ceux fuyant la Syrie, l’Erythrée, la Lybie et autres contrées voisines, mais aussi les Balkans, quoiqu’ils préfèrent à la France des destinations économiquement plus généreuses et pour eux fourmillants de réseaux déjà installés, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Suède gangrenée. Mais l’absence de mixité résidentielle en territoire pseudo-français (en des quartiers où la police ne pénètre plus guère), l’activisme prosélyte de l’Islam, la culture de l’honneur, du mâle dominant homophobe et misogyne ont de quoi inquiéter raisonnablement. De surcroît, en observant la jeunesse française, « on tremble en imaginant aujourd’hui que c’est un quart d’une génération qui frise l’illettrisme[12] ». Il est à craindre que, comme dans les prisons où l’on sait que près de 70% des individus incarcérés sont musulmans, cette dernière population fort peu diplômée soit concernée de trop près par une carence éducative grave, dont les conséquences pourraient être culturellement désastreuses…
Au-delà d’une problématique nationale, largement fantasmée, voire passablement obsolète, à l’exception de la question linguistique, l’identité française n’est pas séparable d’une identité européenne, occidentale issue de la démocratie et de la république gréco-romaines, du christianisme et surtout des Lumières. C’est cela qu’il faut voir perdurer et s’étendre pour le bien des peuples et des individus. En ce sens nous nous sentons plus proche de la culture japonaise telle qu’elle a pu évoluer vers la démocratie que vers l’inculture et la tyrannie d’un califat. On ne gagnera rien, sinon de dangereuses crispations, à regretter, pire à vouloir ranimer, le piètre paradis fantasmé des années soixante et de l’entre-soi gaullien. Aller de l’avant en cultivant tant nos particularismes qu’un cosmopolitisme vivifiant, ranimer une culture économique et scientifique libérale créatrice de richesses et d’emplois feront beaucoup pour relever tant les défis de la mondialisation que de l’immigration. A la condition expresse de ne pas transiger sur nos valeurs de liberté issues des Lumières et de repousser, non pas les hommes, sauf s’ils sont criminels, mais l’obscurantisme d’un communautarisme régressif et invasif.
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.