Orangerie de La Mothe Saint-Heray, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.
Amitié pour Allan Bloom
& pour la culture générale.
Allan Bloom : L’Amour et l’amitié,
traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Manent, Les Belles Lettres, 656 p, 19 €.
Allan Bloom : L’Âme désarmée. Essai sur le déclin de la culture générale,
traduit par Paul Alexandre et Pascale Haas, Les Belles Lettres 504 p, 19 €.
Une foultitude d’essais court sur l’amour ; ils sont bien moins nombreux sur l’amitié, plus discrète, plus exigeante, peut-être parce qu’elle éclot moins depuis les sens que depuis l’intellect. Mais au regard de la libération sexuelle, avons-nous perdu quelque chose de l’amour, comme au regard de l’individualisme avons-nous sacrifié l’amitié ? C’est, dans L’Amour et l’amitié, la thèse du philosophe américain Allan Bloom (1930-1992), veilleur sourcilleux au fronton de la culture classique, et qu’il ne faudra pas identifier à un conservatisme ronchon. Volontiers acerbe envers les bassesses de notre contemporain, il lui semble que l’éducation, se fermant peu à peu aux grands classiques, rend L’Âme désarmée, la faute au « déclin de la culture générale ». Volume d’autant plus pertinent, paru originellement en 1987, qu’il se voit ici nanti de la première traduction intégrale.
Si l’on sait que l’amour est d’abord instinct sexuel et ensuite, du moins potentiellement, transcendance esthétique et éthique comme l’ont démontré les grands poètes, de Pétrarque à Shakespeare, l’on sait moins que l’amitié, plus rare, « à la différence de l’amour est forcément réciproque ». Or l’essayiste se propose de montrer « que la compréhension de l’amour et de l’amitié est la clef de la connaissance de soi ». Aussi parle-t-il d’ « Eros », bien au-delà de « sexe » et d’ « amour », ces mots qui révèlent un appauvrissement du langage, donc « un appauvrissement du sentiment ». Perte de vitesse du romantisme, désérotisation du monde », voilà ce qu’observe Allan Bloom au début des années quatre-vingt-dix aux Etats-Unis, quand le « lookisme » est devenu un vice, alors que le regard adressé à la beauté n’est plus compris. Si le féminisme a dénoncé le machisme et le viol, ne risque-t-il pas, en assujettissant la sexualité au pouvoir sexiste, de déprécier ce que nous appelions « faire la cour » et la galanterie, d’oublier « la beauté de l’érotisme » ?
Le premier Rapport Kinsey, paru en aux Etats-Unis en 1948, fut à la fois signe de libération sexuelle, mais aussi de lecture descriptive et statistique de la sexualité, qui, selon Allan Bloom, « ôte tout motif de réfléchir sérieusement sur la signification de nos désirs ». L’on pourrait tempérer ce jugement en signifiant que l’un n’empêche pas forcément l’autre, puisque la sexologie n’est pas l’art d’aimer, qu’elle n’aspire pas à la beauté ni n’inspire guère la poésie.
Pour ce faire, il ne suffit pas, outre l’indispensable empathie, de manier l’introspection, il est nécessaire de découvrir les miroirs éclairants que sont les romanciers et philosophes, plutôt que Freud et les théoriciens de la déconstruction[1]. Allan Bloom commence par « Rousseau, le plus érotique des philosophes modernes », et achève sa réflexion panoramique de la culture occidentale par « Socrate, le plus érotique des philosophes tout court ». Stendhal, Austen, Flaubert et Tolstoï sont également les mentors d’Allan Bloom. Ces romanciers romantiques et réalistes offrent le portrait de couples, unis, désunis, et le tableau de sentiments, quand Shakespeare propose à la fois la folie de l’amour et sa promesse d’unité.
Avec Rousseau et sa Nouvelle Héloïse, l’idéalité et la sincérité du romantisme naissant évacuait la galanterie du XVIII°. Est-on sûr que ce fut un bien ? Or l’auteur du Contrat social exhibait sa sexualité pas toujours brillante dans ses Confessions. Le désir du parfait amour coïncide avec de telles scories, ce qui fait dire à l’essayiste : « Si Freud fut du sexe le savant frigide, Rousseau en fut le savant sensuel ». Et si « Julie est la déesse de La Nouvelle Héloïse et du romantisme en général », nous ajouterons que la Sophie d’Emile ou de l’éducation est malheureusement une femme soumise…
Rousseau : La Nouvelle Héloïse, Londres, 1781.
Photo : T. Guinhut.
« Post-rousseauistes » sont Le Rouge et le noir, Orgueil et préjugé, Madame Bovary et Anna Karénine. Stendhal lit Jean-Jacques avec tendresse, dans un monde bourgeois qu’il décrit avec un réalisme cru et auquel il veut échapper par l’amour ; Austen avec révérence, quoiqu’elle soit plus raisonnablement féminine, parmi ses histoires de cœur inscrites dans une étroite sphère sociale abondamment moquée ; Flaubert avec nostalgie et ironie, sonnant « le glas des grands espoirs soulevés par le romantisme » ; Tolstoï avec enthousiasme, alors qu’il « nous rappelle un monde disparu dans lequel les hommes avaient le loisir requis pour essayer de faire de leur vie une œuvre d’art ». Cependant le monde de Tolstoï, où une Anna Karénine vit le « conflit entre la passion érotique et l’amour des enfants », n’est guère ouvert aux idées des Lumières, ce que ne regrette peut-être pas assez Allan Bloom.
C’est à propos de Jane Austen et des personnages d’Elizabeth et Darcy, qu’Allan Bloom évoque l’amitié. Alors que chez Aristote et Cicéron elle est « miroir fidèle dans lequel on peut se voir soi-même », par contraste « l’amitié d’un couple repose sur les imperfections et les manques de chacun des partenaires qui doivent être corrigés ou comblés par l’autre. Elizabeth veut que Darcy lui enseigne tout ce qu’il a pu apprendre en sa qualité d’homme, grâce à une plus grande expérience du monde ainsi qu’à une étude plus approfondie des arts et des sciences ; de son côté elle pourra instruire sa délicatesse et civiliser ainsi sa vertu ». Nul doute qu’aujourd’hui le partage des tâches serait moins tranché. Cependant c’est ainsi que Jane Austen « célèbre l’amitié classique comme le cœur de l’amour romantique »…
Au romantisme exalté par le sublime, succède au XX° siècle la laideur de la condition humaine et « l’omniprésence d’un sexe sans idéal ». Y-a-t-il un remède à cette déconfiture, sinon le retour à ce mystérieux Shakespeare[2] longuement commenté... Or « ses pièces nous inspirent plutôt le désir classique de comprendre le monde que l’aspiration moderne à le transformer ». Il sait dire autant l’obscène que l’amour, peindre les aspirations à l’infini, le comique et la grandeur, au sein et auprès de Roméo et Juliette, d’Antoine et Cléopâtre, mais surtout « la présence vivante du grand dieu Eros, non dans l’imitation artificielle que Rousseau et les romantiques essayèrent dans le monde bourgeois frappé de rigidité ».
En conséquence, et c’est bien quoi ils sont précieux, les Sonnets et les pièces de Shakespeare[3] contribuent à la quête de la connaissance de soi et, en outre, « déploient un examen de l’esprit humain qui nous instruit dans la plus délicate des sciences : savoir quoi honorer et quoi mépriser, quoi aimer et quoi haïr ». Or, tendant l’arc de la polémique, Allan Bloom va jusqu’à ajouter - et nous ne le contredirons pas - : « ignorant l’abstraction stérile de nos sciences humaines comme l’indigente laideur de nos arts populaires, il est pour nous comme un miracle ».
Il eût été étonnant que Shakespeare omette l’amitié de son œuvre-monde : L’excellent prince Hal, futur Henri V, protège son étonnant ami, le grotesque Falstaff, qui cependant lui transmet sa connaissance de la vie et du peuple. Cette réciproque estime, quoiqu’elle soit une parodie de l’amitié selon Aristote et Cicéron, est rapprochée de celle de deux humanistes de la Renaissance : Montaigne et La Boétie. Cette dernière est l’expression de la réciproque « admiration intellectuelle […] alors que cette admiration est pratiquement ignorée de la grande masse de l’humanité ». Aussi faut-il revenir à Platon, qui « essaie de montrer dans Le Banquet que la philosophie est la forme la plus complète d’Eros ».
Nous aurons pour lui une réelle amitié intellectuelle : la culture et la finesse de l’analyse d’Allan Bloom n’est plus à démontrer quand les auteurs s’y retrouvent mis en question, fouillés, magnifiés… Il reste cependant plus que conservateur, lorsqu’au nom des liens sacrés du mariage il approuve Tolstoï qui condamne son adultère Anna Karénine, n’y préférant pas « la facilité toujours plus grande du divorce à l’époque moderne ». En revanche, l’on ne peut que le suivre lorsqu’il affirme, sans égards pour le relativisme[4], au seuil de la lecture de Roméo et Juliette : « Que pourrait-il y avoir de plus merveilleux que d’unir le plaisir le plus intense avec l’activité la plus haute, avec les plus nobles actions et les plus belles paroles ? Car telle est la promesse de l’amour ».
Il est évident que notre essayiste ne vise pas à une censure des mœurs. Il souhaite plutôt voir se « développer une forme de tolérance qui ne détruise pas en même temps la capacité de discriminer le bien, le mal, le noble et le bas. La tolérance requiert-elle nécessairement ce relativisme qui atteint la vie des âmes et les prive de leur droit à préférer ce qui est beau, et à en être instruit ? » À l’occasion d’une conférence d’Allan Bloom, des étudiants américains déplièrent une banderole ainsi libellée : « Grat Sex is better than Great Books ». « C’est vrai, mais on ne peut avoir l’un si l’on n’a pas l’autre », répond-il. Cependant, ajoute-t-il, « dans un monde meilleur, l’éducation sexuelle se préoccuperait de développer le goût ».
À cet égard l’appauvrissement du langage et de la lecture précipitent le « déclin de la culture générale ». C’est le trait saillant de la thèse d’Allan Bloom dans L’Âme désarmée, explicite en son sous-titre français. La déshérence de la rhétorique politique et de la rhétorique amoureuse vont de pair si l’on ne lit pas Aristote et Hannah Arendt, Pétrarque et Shakespeare. Pour reprendre le titre de l’original américain, The Closing of the American Mind, il faut dénoncer une fermeture d’esprit : vivre au présent, envisager le futur, ne peuvent se faire intelligemment si l’on s’est fermé au passé et à ses penseurs. En ce sens, il s’agit d’un vaste pamphlet, argumenté avec ardeur et finesse, adressé à l’esprit américain. Que dirait-il aujourd’hui de la chape de plomb du politiquement correct dans certaines universités, de l’idéologie socialiste et écologiste qui ne craignent pas de subvertir les faits, d’évacuer une démarche scientifique et philosophique, de l’ignorance crasse de l’homme de la rue et des médias…
Ainsi nihilisme et relativisme encombrent les universités d’Amérique et d’Europe, pour entraver la recherche de la vérité et la noblesse de l’âme : « le vrai mobile, à savoir la recherche d’une existence meilleure, a été étouffé par le relativisme ». Au-delà des objurgations économiques et sociales, l’éthique de l’enseignant, plutôt que la déséducation idéologique[5], doit permettre de conduire ses étudiants vers la grandeur de la culture. Au-delà des clichés de l’époque, l’enseignement doit, à l’aide des grands livres, tenter de réponde à cette question : « Qu’est-ce que l’homme ? », « Quelle fins morales doit-on se proposer ? » Ce à travers une réflexion rationnelle et non autoritaire, non fanatisée…
Or l’on serine que toutes les cultures sont équivalentes[6] ; ce qui est une démission de l’esprit, de la connaissance et du jugement. Ce n’est pas de l’ethnocentrisme que de s’appuyer sur des critères de liberté, de prospérité, d’éducation, de santé, sur la constitution américaine, pour définir ce que peut être le meilleur de l’humanité. En tous cas pas avec le concours de la tyrannie de la majorité ou de celle des minorités, raciales, religieuses ou sexuelles, ni avec la démagogie. Ainsi « l’engagement [est] la nouvelle valeur politique qui remplace la raison ». En effet s’engager n’est pas une preuve suffisante de la validité de la cause, qu’elle soit nazie (pensons à Heidegger), communiste (puis à Sartre), ou bien libérale au sens classique du terme[7] et au service des droits universels…
Platon : Oeuvres, Charpentier, 1869. Photo : T. Guinhut.
La perte de vitesse des grands livres, comme la Bible, si discutable que soit cette dernière, ou La République de Platon, également discutable cette fois pour des raisons politiques, entraîne le risque de ne plus aspirer à devenir des sages. Face à la diminution de la lecture, l’omniprésence de la télévision, puis des médias et jeux numériques, si elle est concomitante avec l’élévation générale du niveau d’instruction, souvent au sens technique du terme, empêche une vaste élévation culturelle et morale : « Du fait de la méconnaissance des bons livres, les jeunes deviennent les dupes de tout ce que d’insidieux charlatans leur offrent en guise d’interprétation de leurs sentiments et de leurs désirs ». Comme lorsqu’un féminisme accuse les œuvres du passé d’être sexistes.
Hors les amateurs cultivés, la jeunesse n’écoute ni Bach, ni Schubert, ni Wagner ; alors qu’ils sont soumis à « une véritable intoxication par la musique ». Or « selon Platon et Nietzsche, l’histoire de la musique est une série de tentatives pour conférer forme et beauté aux forces obscures, chaotiques et prémonitoires de l’âme ». Mais le rock « excite le désir sexuel » au moyen de son rythme puissant et barbare. Et encore Allan Bloom n’eut guère le temps de connaitre le rap ! Voici une pierre de touche apporté au débat entre musique savante et musique populaire[8]. Une telle marée rock, pop et rap, grégaire de surcroit, qui n’est justifiée que par le trivial « c’est mon choix », ne favorise pas l’éducation du goût et l’art de la distinction.
L’on rétorquera qu’Allan Bloom se montre un peu prude, voire fermé d’esprit. Ce serait lui faire un injuste procès. Il n’accuse pas Mick Jaeger et consorts de contribuer aux drogues, au sexe et à la violence, mais de susciter une sous-culture de masse et « une difficulté insurmontable à établir une relation passionnée avec l’art et la pensée qui sont la substance même de la culture générale ».
Egocentrisme, égalitarisme, racialisme (qu’il s’agisse d’un « suprématisme noir » ou de discrimination positive), libération sexuelle, féminisme radical, (« la liberté sexuelle n’a bénéficié que d’un très bref instant ensoleillé avant d’être à nouveau bridée pour satisfaire la sensibilité féministe »), isolement de l’individu, divorce, érotisme « infirme », rien n’échappe à l’examen sans concession de notre essayiste. Il rejette ce qui en fait « aboutit, comme beaucoup de mouvements modernes qui recherchent une justice abstraite, à l’oubli de la nature et au recours à la force pour refaçonner les êtres humains afin de réaliser la justice ». Mais à cet égard, Allan Bloom rappelle que Platon, dans La République, envisage sérieusement un communisme sexuel[9]. Il reconnait également que, grâce à l’évolution des mœurs, nombre de problèmes des héros de romans classiques liés à la gestion sexuelle deviennent passablement obsolètes.
Quant au domaine philosophique plus contemporain, il s’agit de dénoncer les influences d’un Nietzsche et d’un Heidegger (dont le nazisme était « un corollaire de sa critique du rationalisme ») qui ont pour conséquence le relativisme des valeurs : « La démythification de Dieu a nécessité une description nouvelle de la nature même du bien et du mal ». Ce qui est concomitant du judicieux anathème jeté sur l’abus du mot « culture » appliqué à tout et n’importe quoi. Si la culture se dit maintenant au pluriel, faut-il n’y voir qu’un progrès, quand la noblesse des valeurs périclite au contact du relativisme ? Où se glisse la dignité humaine dans le choc entre universalisme et particularismes ? Ainsi « le rationalisme occidental a abouti à un rejet de la raison : est-ce un résultat nécessaire ? »
L’on pourra discuter sa vision de la science comme découverte et non comme « créativité », son admiration récurrente pour un Rousseau qui est moins un ancêtre de la démocratie libérale que de Marx, ce « fossile » dont il pense trop facilement qu’il est considéré comme dépassé alors qu’il innerve encore une délétère volonté de puissance du ressentiment, et penser que parfois il se laisse un peu entraîner par son argumentation qui frise par instant la satire à l’emporte-pièce, par exemple lorsqu’en 1969 « l’université avait abandonné toute prétention à étudier ou à informer sur la valeur » ; même si elle n’a guère su résister à la pression des masses, y compris des Noirs radicaux, et à l’idéologie révolutionnaire ; car « les impulsions tyranniques se sont fait passer pour de la compassion démocratique ». De même, faut-il le suivre totalement lorsqu’il constate un déclin mortel de la philosophie aux Etats-Unis, de plus inféodée par le « déconstructionisme […] dernier stade, peut-on prédire, de la suppression de la raison, la négation ultime de l’idée qu’une vérité philosophique est possible » ? Il est vrai qu’il serait ulcéré de constater aujourd’hui combien l’université américaine est parfois tyrannisée par les sensibilités exacerbées des minorités raciales, religieuses et sexuelles… Reste que l’essai est plus que vivifiant pour l’esprit. Et si nous ne rendons pas justice à tous les aspects de ces essais qui associent une lecture aisée à une érudition profonde et à des mises en perspectives audacieuses, considérons qu’il s’agit d’une courtoise invitation à s’y plonger encore…
N’en déplaise aux livres essentiels d’Allan Bloom, il est à craindre que l’âme, qu’elle soit socratique ou chrétienne, ne soit qu’une grande fiction. Or que nous ayons été désarmés puisque privés des grandes grilles de lectures métaphysiques est indéniable. Mais n’est-ce pas un bénéfice que de pouvoir forger notre liberté morale, érotique et intellectuelle, moins dans l’ « âme » que dans l’esprit ? Reste que désarmés sont ainsi les esprits faibles, armés de leur seul caprice et volonté, tournés vers le plaisir, mais aussi vers le mal, vers le pouvoir tyrannique. Aussi, avec Allan Bloom, qui sut traduire en anglais aussi bien La République de Platon que l’Emile de Rousseau, nous ne pouvons que plaider l’amitié des grands livres pour nous guider vers le bien, la paix et la beauté de l’Eros, comme en leur temps étaient ami Aristote et Platon. Tout en rejetant aux oubliettes du politiquement correct le plus abject l’idée selon laquelle l’écrivain du passé est « le suppôt de tous les préjugés pernicieux », soit le sexisme et l’exploitation par le pouvoir, selon une grille foucaldienne. Être conscient des faiblesses de l’époque ne doit pas empêcher d’apprécier l’autorité des grands auteurs à leur juste valeur et beauté, ni empêcher de tacler les préjugés d’aujourd’hui. L’éducation libérale[10] et l’amour des belles lettres qui doivent conduire le retour à la culture générale ne signifient ni passéisme stérile ni refus de construire l’avenir qui nous incombe ; bien au contraire. Il est entendu que la culture générale n'est pas qu'une collection disparate de connaissances, mais une mise en relation des connaissances avec la dignité humaine au moyen de la lecture des grands livres de l'humanité...
Un beau livre d’amitié a rendu hommage à Allan Bloom : il se nomme Ravelstein[11]. Ce portrait d’un brillant professeur de philosophie, autant caractérisé par sa prodigalité ruineuse que par son érudition chaleureuse, qui fait fortune en publiant un excellent essai destiné au grand public et meurt du sida, est très largement inspiré par l’auteur de nos deux essais. C’est avec ironie qu’il lui fait côtoyer le pop-rocker Michael Jackson dans les suites de l’Hôtel Crillon. Saul Bellow a-t-il outrepassé les limites de l’amitié en révélant l’homosexualité du maître ? En son intense et contrasté roman biographique, a-t-il voulu souligner une dimension socratique essentielle ou anecdotique, entre « l’amour rousseauiste et l’éros platonicien ? Ou encore contribuer à la légende d’une incontestable figure de l’éducation libérale…
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.