Salvador Dali, Abbaye de Flaran, Gers.
Photo : T. Guinhut.
Eloge de vos folies contemporaines.
À l’occasion d’Erasme
et de Jean-François Braunstein :
La Philosophie devenue folle.
Erasme : Eloge de la folie, traduit du latin par Jean-Christophe Saladin,
230 p, Les Belles Lettres, 75 €.
Jean-François Braunstein : La Philosophie devenue folle,
Grasset, 400 p, 20,90 €.
Prenez votre miroir et regardez-moi : je suis la Folie. Moins folle que vous certes, mais mauvaise langue en diable : garez-votre vanité, car vous allez en prendre plein les badigoinces ! Si en tous siècles et en tous continents je m’appelle la Folie, et en toutes les langues les plus folles qui se puisse imaginer, croiriez-vous qu’avec vos Lumières et vos positivistes progrès, qu’avec vos sciences et vos raisons, vous m’auriez chassée de la surface du présent ? Que nenni ! Par une généreuse corne d’abondance, je répands mes bienfaits sur vos têtes enfiévrées. Je suis toute ouïe et toutes lèvres pour pérorer en toute impudeur parmi vous, en vous et pour vous, pour déculotter et fesser enfin vos folies contemporaines, politiques, religieuses et tutti quanti. Et voici qu’aujourd’hui, outre à ma droite mon cher Erasme, qui me fit porter un généreux bonnet à clochettes, j’ai à mon côté un nouveau maître es folie, un naïf nommé Jean-François Braunstein, qui, de son plumeau, croit pouvoir ramener vos folies philosophiques à la raison.
Combien frappadingues sont-ils, ceux qui coincés dans leur bastion hexagonal, gouvernent une machine à entretenir les chômeurs, bien huilée de surfiscalité, de normes exponentielles, d’aides sociales, sans l’ombre d’un résultat, alors que leur cécité s’arrête aux frontières, au-delà desquelles des pays moins bruyants, comme celui des horlogers consciencieux, hébergent un plein emploi et une prospérité enviables. Il semblait qu’il fallait observer, étudier et imiter les bons maître pour réussir ; eh bien ces dingos ne savent qu’adorer le dieu Socialisme, Etatisme, Economie régulée, pour ne mal réguler que la pénurie ! Comme mes chers Shadocks, qui ont été des élèves zélés dans mon école de Folie-sur-Bargeot, l’on pompe l’argent de ceux qui travaillent, le versant sur ceux qui ne travaillent pas, pour éviter de produire l’argent qui servirait à être pompée !
Et vous, tous mes fous en troupeaux consentants, vous allez braire à la mangeoire du bureau de vote pour les élire aux chaires de l’Elyséenne folie, années après années, décennies après décennies, d’autant que naïvement vous croyez, en changeant de bonnet rouge, vert, bruns ou bleus, changer de politique : on dirait que la berlue vous fait les yeux chassieux, les oreilles longues comme le bras, les langues sèches comme le porte-monnaie du contribuable en milieu d’année fiscale. Rien ne vous sert de leçon ? Allez, mes fous, reprenez-en une volée de bois vert, jusqu’à ce que la volée soit de bois brun ou rouge, ou d’un vert de moins en moins exotique, vous jaillisse sur les omoplates !
De même, outre-Atlantique, celui qui arbore un bonnet orange de fou sur la tête[1], a beau jeu d’amuser le berlaud avec ses saillies twitesques, ce denier l’en croit d’autant plus fou, stupide, infantile, déséquilibré et psychopathe, et, cela sans dire, sexiste et fasciste, sans que l’on tienne compte de ses succès indéniables et stupéfiants sur le front du chômage et de la diplomatie. Mais, sachez-le mes fous, plus il réussira, plus les fous le haïront !
Ainsi l’on partage le monde entre fascistes et antifascistes. Qu’importe que ces premiers fous aient à peu près disparu, qu’ils n’agitent plus leurs grelots aux sommets des gouvernements, sinon au détour de quelque logorrhée vaguement mussolinienne, qu’ils ne comptent plus que quelques troupailles de néofous, bombés de blousons kakis et rasés comme des œufs de caillera, plus ils sont imaginaires, plus ils sont faciles à combattre par de vaniteux antifascites bombés de blousons noirs, cagoulés et battés comme des ânes sur un terrain de base-ball, plus violents, plus follement fascistes, et plus sûr d’eux que jamais, car de nanarchisme et de gauche, cette vache sacrée de l’idéologie politique, comme l’étaient les tenants du National-Socialisme !
Ah, j’en ai plein ma hotte de Mère-Noël, de ces folichons qui professent l’anticapitalisme, et mordent le sein qui les nourris, qui rêvent de se l’approprier au bénéfice de leur totalitarisme pour le démanteler au profit du socialpauvrisme. Ils en rempliront, faites confiance à la longue expérience de la Folie, à sa vaste culture historique et hystérique, à sa sagesse politique inénarrable, des goulags et des logaïs, de bourgeois, de banquiers et de Juifs !
On passera, après la folie des mâles, qui fournissent les bataillons des armées et des prisons, sur la folie des femelles, que l’on nomme viragos, et vont jusqu’à rêver un égalitarisme forcené (y compris jusque dans les prisons ?), au point de préférer à nombre égal, une incompétente à un compétent, le contraire évidemment leur semblant folie, voire rêver la castration des mâles. Quel dommage, moi, Folie allégorique, je ne règnerais que sur un demi-cheptel !
Erasme : Eloge de la folie, traduit du latin par Gueudeville, 1757.
Photo : T. Guinhut.
Passons sur la folie de la Déséducation[2] Nationale qui livre ses professeurs en pâture à la folie des racailles, qui lèchent la paresse en toutes langues de bois et de borborygmes, qui expectorent un bouquet d’insultes à leur adresse, qui leur interdisent de parler de ces problématiques affectivement sensibles qui heurtent des sensibilités alternatives. Taisons enfin ces mêmes professeurs et médias officiels qui enfouissent le vocabulaire et le raisonnement d’euphémismes[3] comme l’autruche met la tête dans le sable à l’approche du prédateur…
Tous les fous savants savent que le racisme, ce n’est pas bien joli, mais à condition qu’il soit blanc, car s’il est noir, il est au mieux un juste retour du bâton, une vengeance de l’Histoire, au pire l’indicible revers d’un pitoyable atavisme, quoique tous vos cloaques fécaux soient de la même couleur ; aussi faut-il être calciné de l’encéphale pour estimer que l’un est plus excusable, plus taisable, que l’autre. Le fou tire en effet gloriole de sa couleur de peau, comme le fou tire gloire de sa métropole et de son trou, de son équipe de foot, quoiqu’il n’ait rien fait pour y contribuer et qu’il ne tire au but que la chasse sur sa folie.
Il y a les fous de tabac que leurs cancers ne dissuadent pas, de viande, de burgers et de Mc Donald, que leurs artères obèses ne dissuadent pourtant pas. Mais à l’opposé du spectre, règnent les gourous du véganisme, pour qui le crime suprême est de déguster un suprême de volaille. Ils se proclament antispécistes[4], prétendant qu’il ne faut faire aucune espèce de distinction entre les espèces, que vous soyez lombric ou Jivaro, orang outan ou crevette, vipère ou Mongolien, que c’est aussi criminel de manger du bœuf que de la Folle de Chaillot, du poulpe que du cuissot d’intellectuel ! Aussi vont-ils jusqu’à se priver de sous-produits animaux, de lait, d’œuf et de cuir, battant le pavé en basquets de plastique et en sandales de peau d’ananas. Pourquoi pas, mais outre qu’ils taguent les boucheries, insultent les fromagers, giflent les cordonniers, ils préférent agresser les hommes que leurs frères animaux ! Supposons que leur frère âne, s’il avait un brin de conscience morale, en serait outré. Ne suffirait-il pas de réclamer des conditions de vie et d’abattage (passablement tardif) pour les animaux qui ont l’immense désavantage de ne guère connaître la folie ; que nenni, les voilà reniant leur condition omnivore, se forçant à devenir strictement granivores, frugivores et légumivores, mangeant leurs frères botaniques dont on sait qu’ils ont chimiquement conscience d’être agressés, ce au prix de carences et de compléments alimentaires, en particulier la vitamine B12, qui, comme chacun ne le sait pas, est produite à partir de bactéries, qui sont des organismes vivants microscopiques, parfois pluricellulaires, donc des animaux. On comprend que les végans aient des crampes d’estomac et se rendent fous de mauvaise humeur ! Prescrivons-leurs des compléments de folie pour les ramener à un semblant de raison…
Rassurons-nous, quelques-uns d’entre eux prévoient de rééduquer, de manière véganement correcte, leur frère lion qui devrait éthiquement manger des graminées innocentes au lieu de ses sœurs gazelles. Cela dit, n’est-il pas fou de prétendre que tous soient frères ou sœurs, quand on sait que ces derniers parfois se détestent cordialement en famille, et combien il est folie de partager des sentiments fraternels avec une autre folie que la sienne ?
Taisons les galopins qui régentent leurs parents, esclaves des désirs et des émotions puériles, les élèves qui insultent et frappent leurs professeurs, eux-mêmes enseignant l’ignorance, taisons les pompiers incendiés par la populace, les médecins blessés par leurs impatients. Taisons les fols de la robe judicaire qui absolvent les délinquants, les racailles machistes qui embastillent des quartiers entiers pour le bénéfice de leurs trafics, le bonheur de leurs caillassages et l’orgasme de leurs coups de couteaux et de kalachnikovs, brutalisant et assassinant jusqu’à la police, qui, elle, ne laisse pas impunis les excès de vitesse routières, au bénéfice d’un ministère des Finances qui ne pourrait plus les payer sans cela. Fous sans bourse lier, vous dis-je, qui se mettent le doigt de la folie dans l’occiput jusqu’au coccyx !
Erasme : Eloge de la folie, traduit du latin par Gueudeville, 1757.
Photo : T. Guinhut.
Si je veux m’étrangler de rire en avalant les grelots de mon bonnet, j’amènerais à la barre les sectateurs de leur dieu[5]. Outre ceux qui voient des dieux partout, ainsi saisis d’hallucinium tremens, des Mercure et des Vishnou, sont saisis de démence obsessionnelle les prêtres et fidèles d’un dieu unique, vainqueur de tous les autres et tyran. Pas étonnant qu’ils aient des visions, seulement nourris qu’ils sont par une hostie pas plus épaisse qu’une peau de scarabée ou affligés par un jeûne qui les contraint à la fureur primitive du manque.
Folle espèce. Ils ont des dignitaires, uniquement masculins, car leurs femelles sont indignes de servir leur dieu, qui jouent à touche-pipi sans se mouiller le doigt avec leurs enfants de cœur, ils éditent des permis de lecture, ils croient obliger les ventres de leurs femelles à laisser croître le produit d’un viol ou d’un accident de la nature. On se doute qu’ils ne tiendront ni le biberon, ni ne prendront soin d’un fou congénital, pourtant mon frère…
Mais les plus atteints parmi nos fous à lier, mais pas le moins du monde alliés, sont certainement ceux qui partagent le monde en çaram et banal, qui ne lisent qu’un seul livre, suivent le Courant, pour qui les chiens sont çaram, qui haïssent tout ce qui est çaramel, le rouge et le porc, l’innocente brebis qui n’a pas été égorgée le gosier tourné vers une certaine bourgade qui tourne autour d’une pierre noire et avec le secours d’un prêtre infatué de versets et gourmand de se voir verser la dîme, qui recouvrent soigneusement d’un lard fou la chevelure et le faciès de leurs femelles, des fois que leur pensée résiduelle serait là-dessous étouffée, quand leur mâles, s’ils ne se griment en Occidentaux, s’entorchonnent de capelines blanches et s’embarbent comme des boucs. Une dinguerie consanguine s’empare de leur entendement lorsqu’ils prétendent que la terre est plate, en dépit d’Aristote, de Saint Thomas d’Aquin et de cent preuves, tant l'évidente rotondité de la lune voisine, des fuseaux horaires que de l’exploration spatiale. Aussi faut-il les soigner avec une cure d’urine de camélidé ; mais qui serait assez fou pour administrer un tel remède ?
Or plus dingos du cervelet sont ceux qui, ne sachant pas lire, devraient retourner en petite section et cours élémentaire pour reprendre le B A Ba à la racine et vous ânonnent que la lame de l’épée est une religion d’amour et de paix ! Qu’ils chaussent leurs bésicles jusqu’aux narines et déchiffrent ces chapitres appelés des saroutes, dans lesquelles on enferme et bat les femelles (car l’on a jusqu’à quatre par maison), dans lesquelles un dieu commande à ses affidés de tuer et de crucifier ceux et tous ceux qui ne vénèrent pas leur dieu invisible, dégustent du goret, et prient tournés vers Trifouillis-les-Oies et non vers Le-Mec-des-Sables ! Non content d’être dingos au point d’en attraper une scoliose du raisonnement, nos fous du Vivre-ensemble appellent de leurs vœux pieux ces peuplades étranges que l’on appelle les Mi-grands (de quelle taille est leur degré de Vivre-ensemble ?) pour leur réserver des quartiers entiers de riacha, fruits que les enfoulardeurs et enfoulardées croquent à belles dents, parmi des masquées qui ont remplacé les églises, grand remplacement de la coqueluche par le choléra. Ô fous parmi les fous, qui tendez l’épée de votre suicide aux descendants de quatorze siècles de colonisation et de génocide ! Nonobstant, mes fols, vous battez infiniment votre coulpe pour quelques malheureuses décennies de colonisation, parfois meurtrières, parfois civilisatrices, pour une poignée de petits siècles d’esclavage sans castration, alors que vos adversaires en ont plein les mains, les doigts et doigts de pieds, plein le passé ancestral, le présent et le futur, que vos ancêtres ont été des petits joueurs en la demeure, que vos ancêtres Chrétiens et libéraux ont effacé ce même esclavage ! Allez, repentez-vous, mes fous, pissez les sanglots de l’hominidé blanc, fouissez vos remords, et pendant que l’on lapide vos femelles à l’acide, enfouissez-vous dans la soumission…
Erasme : Eloge de la Folie, illustré par Dubout, Gibert Jeune, 1951.
Photo : T. Guinhut.
Quant au Groupement Idiotique d’Etudes Climatiques[6], le voilà pris au piège lorsqu’au détour d’une phrase il avoue que la hausse des températures ne fut que d’un degré depuis l’ère préindustrielle. Oh, la belle billevesée, si l’on pense qu’il suffit de l’explosion d’un volcan indonésien pour que l’année sans été de 1816 subît une baisse de deux degrés, entraînant désastre des récoltes et famines ! Il s’alarme de la hausse du taux de gaz carbonique, qui n’est pas un polluant et contribue à verdir la planète et favoriser l’agriculture. Oh, le vert bonnet de fou qui s’agite sur leur écotête ! Et plus fous encore ceux qui les arrosent de leur culte moutonnier, sans compter la manne financière d’origine fiscale qui les entretient comme de gras gorets nourris au vert…
Ils vouent aux gémonies, traitent bruyamment de nazis anti-climatiques ceux qu’ils couvrent de l’infamie du vocable suivant : « climatosceptiques ! » C’est plus qu’un blâme, qu’une insulte : une excommunication urbi et orbi, ils sont jetés hors du Bien comme des hérétiques, des apostats, jetant ainsi aux poubelles de l’inhumanité la plus raisonnable prémisse scientifiques : il faut alors avec eux ou contre eux assumer des démarches coercitives pour laver le climat plus vert que vert, dans la lessiveuse caniculaire de leur folie…
Ces fous ont imaginé une solution pour dépolluer la planète : outre, évidemment évacuer le capitalisme, car le bonnet rouge se cache sous le bonnet vert, évacuer leur progéniture, ne plus faire d’enfant. Ainsi l’on ne menacera plus les autres espèces humaines (une pincée d’antispécisme ne nuisant pas), singes, perroquets, moutons, dodos, cloportes, moustiques et virus ; ainsi la planète débarrassée de son sale affreux méchant pollueur pourra joyeusement polluer toute seule comme une grande folle avec ses avalanches, ses feux de forêts, ses volcans soufrés, ses nappes de pétrole naturel ; youpi mes fous patentés ! Rassurez-vous, un autre bonnet vert se charge de multiplier sa descendance à votre place, ô mes mignons foldingues…
Photo : T. Guinhut.
Oui, que l'on me rende hommage ! Que l'on use des années de sa vie à traduire mon Eloge, comme ce fol Jean-Christophe Saladin ! Cependant, oser emprunter ma langue, oser ressortir des corbeilles à papier de l'histoire littéraire les commentaires inédits en français de mon père Erasme, de Listrius et de Myconnius, sans oublier les quatre-vingt-deux dessins de Holbein... L'impudent traducteur, l'impudent éditeur ! Bourré de talent, le bougre, et de ténacité, puisqu'il avait longuement dirigé l'édition des Adages de mon géniteur. Irions-nous imaginer que l'on jette soixante-quinze euros par les fenêtres pour me lire tant en latin qu'en français dans un volume toilé rouge du plus fol effet ! Le pire serait que sous un telle robe l'on prenne au sérieux mes bavasseries de 1'an 1511, que l'on lise avec pénétration mes joyeux auto-éloges, mes critiques à peine voilées d'un clergé fou d'orgueil et d'argent. Comment donc oser produire un livre aussi luxueux, alors que je moque le luxe et les Indulgences vendues par l'Eglise ?
Enfin, trêve de billevesées, je ne rougirais pas qu'ainsi vêtu de pourpre, mon livre ait autant de succès qu'au siècle de l'humanisme, avec pas moins de onze éditions en quatre ans. Imaginez combien je me regorgeais de fierté, combien je me trouvais géniale, combien mon bonnet à grelots en tressaute encore. Aussi, saperlipopette, achetez-moi, lisez-moi, achetez-moi encore et encore ! Sucez le lait de mon antiphrase, plutôt que le vinaigre des philosophes scolastiques férus d'Aristote jusqu'au trognon (pour ne pas dire la rime), plutôt que de me jeter dans le cul-de-basse-fosse de l'Index des livres prohibés par la papauté. Lisez-moi, goûtez ma sapience et mon effronterie. Aussi, ne résistons pas au plaisir de m'auto-citer : « Applaudissez, vivez, buvez ! »
Et voilà que, Folie en personne, je me vois nantie d’un sérieux concurrent : un fou dresseur de fous : obscur professeur de démence aux petites maisons de la Sorbonne. Car notre féal, Jean-François Braunstein pour ne pas le nommer, croit redresser la raison des philosophes, ce en quoi il est plus professeur Nimbus que tous les autres, agitant sa marotte aux pompons rouges sur les têtes dignes des bocaux de la psychiatrie la plus expérimentale de ses collègues et néanmoins ennemis.
Il s’en donne bien pourtant de la peine, notre Jean-François, éminent fou d’entre les éminents, fouillant sans peur de se salir les paluches dans le cloaque de la philosophie contemporaine ! Tenez, lorsque La philosophie devenue folle s’empare du « genre », de « l’animal » et de « la mort », c’est un festival.
Pour le psychologue John Money, « le sexe n’existe pas », le corps non plus d’ailleurs, seul le genre existe. Il faut « en finir avec la biologie viriliste », établir un « état civil neutre ». Si vous êtes femme, vous pouvez vous sentir homme et corroborer le « transsexualisme » ; blanc depuis des générations, vous pouvez vous sentir noir et vous penser en termes de « transracialisme » ; si vous êtes bête comme un âne, rien ne vous empêche le « transpécisme », sans compter le LGBTQIsme, cette véritable « soupe à l’alphabet », dans laquelle se dispersent des dizaines d’identités sourcilleuses au point d’en perdre la notion d’humanité. Aussi pourquoi ne pas changer de sexe tous les matins, comme l’on change de bonnet d’ânesse, voire s’amputer un membre qui ne correspond pas à notre image, comme le préconise le fondateur de la théorie du genre ? Ce John Money cloué au bâton de la folie prétend qu’élever un garçon comme une fille (et vice avec verça) permet d’acquérir une identité indépendante de l’anatomie. Il l’a d’ailleurs prouvé en 1996, en conduisant au suicide David, dont le pénis avait été endommagé. Il suffit alors, conseille-t-il, de se débarrasser des testicules ; ce qui n’empêche pas le drôle de se sentir homme. Ajoutez à cela une greffe traumatique de bistouriquette et vous saurez pourquoi John Money cria au complot d’extrême droite lorsqu’il se vit dénoncé !
Autre singerie, celle d’une « primatologue », Donna Haraway, pour qui humains, chiens et cyborgs ne sont pas des espèces séparées. Qu’elle éprouve la plus grande délectation au cours de ses « baisers mouillés » avec sa chienne « Mlle Cayenne Pepper » est le moindre de nos soucis. Et puisqu’il est méchant-méchant de se nourrir de chair de bêtes, il serait moins bête d’être gentil-gentil et de partager des gros-câlinous avec nos non-humains préférés : qu’y a-t-il de mal en effet à zoophiler avec une chauve-souris vampire, un chaton siamois, un hippopotame boueux, un boa constrictor… Que d’échanges de fluides et autres enlacements prometteurs ! Et avec une huître, donc, un moustique chikungunyesque ? C’est dengue !
Pourquoi, puisqu’il n’y a pas de différences entre l’homme et l’animal, qui doit avoir autant de droits[7] que lui, ne pas avoir avec le second des relations sexuelles « mutuellement satisfaisantes », comme le soutient le théoricien de la libération animale Peter Singer, glorieux créateur du concept d’antispécisme et véganiste forcené ? L’homme étant un singe (son savoir rire nous l’avait déjà prouvé), les trisomiques et autres frappées de maladies génétiques et dégénératives, mériteraient bien moins de vivre qu’un bonobo dans la force de l’âge.
Pourquoi, si l’on peut interrompre des « vies indignes d’être vécues », ne pas tuer les enfants « défectueux », voire prélever sur les quasi-morts tous les organes en faveur de « vivants plus prometteurs » ? Ainsi le fondateur de la bioéthique, Hugo Tristram Ebglehardt, imagine « des expérimentations médicales sur des malades aux cerveaux lésés plutôt que sur des animaux non humains ». On avancerait l’heure de la mort pour maximiser le prélèvement d’organes, de sang, voire de neurones connectés, en un « éloge de l’infanticide ». Comment, l’on voudrait voler la palme à un autre éloge que celui de la folie ?
« Amputomanie, zoophilie, eugénisme » sont parmi les folies de ces universitaires d’Absurdistan, dont le docte essayiste fait son hochet sonore. Et hop la boum, l’on éradique toutes frontières : entre sexes, animaux et hommes, vie et mort ! L’art de la discrimination[8] s’étant perdu en route, l’on mélange les torchons et les serviettes, les rats pesteux et ceux qui éradiquent la peste ! Quand les concepts de limite, de frontière, voire de transgression, sont pensés par des philosophes un peu moins atteints de dementia praecox, comment ne pas se huiler les cuisses de rire devant un tel déni du réel, une confusion pire que celle des langues ?
Mais, comme il y a chez tout sage un grain, sinon un plomb de folie, l’auteur de La Philosophie devenue folle a forcément une ou deux pattes folles. Si l’on peut admettre (est-on sûr que Jean-François Braunstein l’admette ?) que chacune fasse de son corps ce qu’il entend, comme le ou la drag-queen Conchita Wurst, qui est à la fois « con » et « saucisse », faut-il que la philosophie se fasse non plus libérale, mais prescriptive au point d’imposer des comportements idéologiquement normés, comme elle le reproche aux traditions de répartition obligée des sexes ? En outre, n’est-ce pas folie que notre élève méritant désapprouve les transplantations d’organes ? Que de rejeter l’euthanasie au secours d’une souffrance irréversible ? Que de jeter le bébé avec l’eau du bain en paraissant ôter bien de la validité aux études de genre, qui permettent plus de libertés dans les définitions des sexualités et de leurs marges ?
Que notre essayiste aussi documenté qu’indigné se rassure : au cours de ma longue carrière, j’ai connu d’autres fous pire délirants que ceux dont il fouette les fesses et se rie, et qui ont passé : les hérétiques Stylites, Turlupins et Cathares, les dictateurs caligulins, staliniens, hitlériens et maoiens, quoique d’autres aient tendance à se longtemps planter au travers du monde comme une arête au travers de la gorge, sans compter ceux à venir et que vous ne voyez pas venir.
Chers racornis du bulbe, chers siphonnés du bocal, ne suis-je pas votre mère la Folie, votre amie de cœur et de fesse ? Soyez-rassurés, je ne vous abandonnerai pas, veilleuse d’accouchement, qu’il soit gynécologique ou maïeutique, compagne de vos vies, et veilleuse de votre putréfaction dernière, quoique vous soyez déjà putréfiés par l’amollissement cervical, sous les coups répétés des grelots de mon bonnet. Remarquez que dans ma sage folie, je n’ai pas oublié l’immodeste auteur que vous lisez, et qui croit se dissimuler sagement derrière ma signature. Chers fous anticapitalistes, climatiques, chers demeurés du véganisme et de la pulsion totalitaire, chers fous de Justice sociale et de Llah, fous de votre couleur de peau et de la sagesse de votre nombril, oui, je vous l’accorde, oui, il vous est permis de baiser onctueusement mes pieds et mes entre-orteils avec la vénération qui convient à votre maîtresse aimée : la Folie.
À Folipolis, le treize octobre de l’an XVIII du deuxième millénaire.
Thierry Guinhut
Une vie d'écriture et de photographie
[2] Voir : De la déséducation idélogique
[7] Voir : Quand les souris gloussent et les chauve-souris chantent, les animaux ont-ils des droits ?
[8] Voir : Eloge de l'art de la discrimination par Umberto Eco : Chroniques d'une société liquide
Erasme : Eloge de la Folie, Diane de Selliers, 2013. Photo : T. Guinhut.