Si ce réjouissant exercice qu’est le lancer de nain est interdit, le balancer de porc ne l’est évidemment pas. Que les défenseurs de la cause animale se rassurent, il ne s’agit pas de jeter un porcelet par-dessus les barbecues, mais de « Balance ton porc », cette délicate cause féministe et humaniste qui consiste à publiquement dénoncer, sur quelque réseau social, voire quelques tribunaux, les attouchements, harcèlements et autres viols de ces dames par des messieurs aux délicatesses plus que douteuses. Il faudra défendre autant la cause des femmes, voire des hommes, dans ce cas désastreux, que celle de la langue encochonnée, et autant dénoncer les porcs humains trop humains aux organes baladeurs et intrusifs, tout en plaidant la cause du porc, pur animal de compagnie culinaire, dont nous ne voilerons pas les qualités gastronomiques et civilisationnelles…
Le harcèlement sexuel du médecin et du chirurgien à l’égard de la patiente, celui des galeristes et autres curateurs qui échangent une surface d’exposition contre des faveurs sexuelles, celui du producteur de cinéma qui conditionne les rôles qu’il offre au degré de soumission fessière et buccale, le patron ou directeur des ressources humaines qui recourt à la promotion canapé… La liste n’est pas exclusive, mais inclusive, de tous ces porteurs de queue en tire-bouchon qui ne songent qu’à contraindre la gent femelle au décapsulage sournois, brutal, éhonté.
On n’imagine guère combien la lourdeur, la rosserie, la goujaterie, la dégueulasserie de Messieurs les porcs en chef -ou plutôt en hure- est infâme : les sous-entendus appuyés, les mains aux fesses, les « t’es bonne, je vais te baiser », abondent, sans compter les 120 femmes mortes sous les coups de leurs compagnons chaque année. Tout homme ne sachant retenir l’impulsion de ses couilles et de son vit dressé n’est-il pas à cet égard le sanglier de Jean Ursin : « Je suis le sanglier velu, redoutable par sa hure et ses défenses ; Vénus me pousse à affronter mon rival en des combats sauvages[1] ». Et, cela va sans dire, à coucher Vénus elle-même dans la boue pour l’empaler. Le hashtag « Balance ton porc », trouve là sa nécessité. La condamnation, si l'on n'oublie pas le principe de la présomption d'innocence, est alors sans appel…
Pourtant il faut penser combien le même compliment ou geste complice peut sembler aguicheur et charmant s’il vient d’un bel homme, ou grossier, obscène, s’il vient d’un individu que la nature à affligea d’une surface pondérale excessive, d’un visage gonflé et raviné, d’une lippe à la salive avariée… Aussi faut-il ne pas confondre, parole plus ou moins heureuse, œil salace, plaisanterie grivoise, réjouissance rabelaisienne, et, sur l’autre versant du spectre, brutalité réduisant autrui à un objet de prostitution sans autre rétribution que la vanité masculine, que la tyrannie domestique, privée ou publique.
Evidemment, les mauvais esprits -dont nous ne sommes pas- aurons tout de suite pensé au hashtag en miroir : « Balance ta truie », ce qui est par ailleurs, plutôt que « porce », une forme d’écriture inclusive, ménageant autant le féminin que le masculin. Qu’il existe des femmes abusant de leur autorité, de leur pouvoir hiérarchique pour glisser une main à la braguette et s’emparer de l’objet du délit, nous ne le nierons pas, comme quoi nous sommes en présence d’une constante de l’esprit hormonal et tyrannique de l’être humain, même si le cas est probablement bien moins nombreux.
Faut-il alors remettre en cause la virilité, la masculinité, pour respecter la féminité ? C’est là que la limite imprécise, passablement subjective, entre harcèlement et séduction, doit se faire entendre. Consentement, explicite ou implicite (en ce dernier point il n’est pas toujours aisé d’interpréter ce qui peut être un piège), insistance délicate ou déplacée, caresse du regard, des doigts, ou violence des paumes et des poings, tout oppose le cuissage du soudard à l’amour courtois. Ce en quoi les « Précieuses », hélas ridicules de Molière, avaient bien raison d’attendre de l’homme les raffinements de la séduction et les codes de l’amour courtois en excluant les mœurs brutales des mâles du temps. Au mâle qui met à mal, nous préférons résolument le gentleman.
Si la guerre aux guerriers du harcèlement et du viol est indispensable, la guerre des sexes ne doit pas avoir lieu. Ni le cloisonnement entre les femmes et les hommes, plus séparés que sur les bancs de l’église au Moyen-Âge, qui aboutirait à l’avalisation d’une claustration des premières, comme voilée par un « noli me tangere », un ne me touchez pas sacré, qu’il s’agisse de la sacralité de la loi ou de celle du féminisme. À moins de trouver une solution miracle qui est celle de l’Islam : voilées ou violées[2] ; car au cochon des rues il faut une poule de trottoir…
On n’ira pas non plus considérer que les musées, les œuvres d’art sont de l’ordre du harcèlement sexuel. Certes une proportion considérable de tableaux et sculptures exhibe des femmes nues, et bien moins d’hommes nus, mais la beauté des corps, leur éloge vaut pour tout viatique. Qu’attendent alors les féministes, trop féministes, voire viragos, pour se mettre au travail, peindre et sculpter, créer une autre image de la femme, s’il se peut, plutôt que de vouloir éradiquer l’Histoire de l’Art, sans compter que bien des femmes-artistes ne les ont pas attendues.
Buffon :Œuvres V, « Les quadrupèdes », À la Société bibliophile, 1845.
Photo : T. Guinhut.
L’on peut à loisir balancer les porcs en langue, sans balancer pour distinguer la sexuation dépréciative de maints exemples du vocabulaire. Il faut en effet avoir conscience que la langue de porc est plus salée pour les femmes que les hommes, charriant en son flot une misogynie, un sexisme récurrents. Songeons à la garce qui est le féminin de gars, au courtisan des rois familier de la courtoisie quand la courtisane est une professionnelle, c’est-à-dire une putain, au contraire du professionnel, comme le péripatéticien est un philosophe grec qui ratiocine en marchant et son féminin une radeuse de trottoir… De même le Don juan, venu du Dom Juan de Molière et de Tirso de Molina, donna par antonomase son nom commun flatteur, pour qui enfile les conquêtes, alors que le féminin le traduit communément par « salope ». Oublierions-nous pourtant Les Don Juanes de Marcel Prévost[3] ?
Avons-nous remarqué que le mot « porc » n’a pas de féminin, qu’il est donc neutre, et qu’en balançant son porc, tout hashtag dehors, il est permis de dénoncer autant truie que verrat, que cochon ou cochonne, deux mots qui ont pour une fois le même sens dépréciatif, humainement parlant. On parle cependant de « langue de pute », autant à l’égard d’un homme que d’une femme, mais pas de langue de porc…
Or, nous ne réécrirons pas en langue inclusive, cette aberration linguistique qui voudrait à tout mot comprendre le féminin et le masculin, quitte à l’inventer. Il faut s’y faire : il n’existe pas de neutre en français. Mais prendrait-on les lecteurs, et surtout les lectrices, pour des cochon-nes d’illettrés (aï, la règle de grammaire périmée où le masculin l’emporte vilainement sur le féminin) ?
Il ferait beau voir une fable de La Fontaine, dans laquelle on mène un cochon, une chèvre et un mouton à l’abattoir, grimée en écriture inclusive :
« Dom-ame Pourceau-elle raisonnait en subtil-e personnage :
Mais que lui servait-il-elle ? Quand le-la mal-e est certain-e
La-le plaint-e ni la-le peur-e ne changent le-la destin-e ;
Et le-la moins prévoyant-te est toujours le-la plus sage[4]. »
Oh le laid maquillage ! Où sont bousillés les alexandrins ! Et faut-il, en inclusive, mentionner d’abord le féminin ou le masculin ? Couvrez ce sein du machisme que je ne saurais voir, dirait le nouveau Tartuffe à la nouvelle Pernelle. Voilà qui va faciliter l’apprentissage de la langue chez nous bambins-nes qui lambinent…
Le genre de la grammaire et du vocabulaire n’est pas celui des êtres et des choses. Une sentinelle est le plus souvent masculine, comme une recrue. Un chef cuisinier doit-il devenir cheftaine ? Un mannequin est le plus souvent féminin. Quant à l’amour, il est masculin au singulier et féminin au pluriel. Parmi cette intrusion de la sociologie politique au petit pied et au grand ergot, reste à se demander si les gays, les lesbiens, les queers et autres altersexuels[5] ne voudront pas leur grammaire exclusive ; si les non-genrés n’inventeront pas une non-grammaire non-discriminante…
Si vous vous sentez humiliés par la grammaire, c’est que vous êtes bien piètres. Plutôt que de vouloir la tyranniser et tyranniser les esprits de vos contemporains, voire de vos descendants, puisque vous exigez de jusqu’à réécrire l’Histoire, en une réelle pulsion totalitaire, qu’attendez-vous plutôt, une fois de plus, de vous mettre au travail, ainsi de faire œuvre, d’être une nouvelle et un autre Simone de Beauvoir, une nouvelle et autre Mary Shelley[6], une nouvelle et autre Toni Morrison[7], sans compter Proust et San-Antonio[8] ?
Illustration de Dubout pour Gargantua et Pantagruel de Rabelais,
Michel Trinckvel, 1993. Photo : T. Guinhut.
« Dévorer leur petit n’est pas pour elles un événement extraordinaire », dit Pline l’Ancien des truies. « Les animaux de ce genre se roulent volontiers dans la boue. Ils ont la queue tordue, et on a même noté que lorsque c’est à droite, ils plaisent davantage aux dieux que quand c’est à gauche » ; il faut alors penser que l’homme qui manie gauchement sa queue en porc qu’il sait être, déplait aux déesses… « C’est le plus stupide des animaux et l’on a jugé, non sans finesse, que l’âme lui avait été donnée en guise de sel. […] Il n’est pas d’autre animal qui donne plus de prétexte à la débauche de nourriture ». Oserons-nous dire que la prolixité de la femelle issue de la saillie de son verrat donne une image idoine de la débauche luxurieuse… Ce que confirme avec peu d’aménité, au XVIII° siècle, le naturaliste Buffon : « Toutes ses sensations se réduisent à une luxure furieuse et à une gourmandise brutale, qui lui fait dévorer indistinctement tout ce qui se présente, et même sa progéniture au moment qu’elle vient de naître[9] ».
Revenons à notre encyclopédiste de l’Antiquité qui note enfin : « Quant à l’Arabie, il n’y vit aucune sorte de porc[10] ».
Tiens donc, déjà ! Est-ce parce que la Bible condamne la consommation du porc, bien qu’ayant le sabot fendu, mais non ruminant[11], parce qu’il se roule dans une répugnante boue, parce qu’il ne répugne pas à bouloter des excréments, parce que sa consommation vite avariée sous des climats brûlants entraîne divers risques sanitaires, parce qu’il n’a pas de cou pour l’égorger, parce que sa sexualité est obscène et qu’il est le miroir de la passion fornicatrice de l’humanité, parce qu’aux nomades il est bien plus aisé d’entraîner moutons et dromadaires que gorets ? Les arguments sont plus souvent irrationnels que rationnels. Le Coran interdit explicitement le porc : « Vous sont interdits la bête trouvée morte, le sang, la chair de porc, ce sur quoi on a invoqué un autre nom que celui d'Allah[12]. » Or Buffon note : « Par un de ces préjugés ridicules que la seule superstition peut faire subsister, les mahométans sont privés de cet animal utile[13] ».
Le porc étant impur et haram en musulmanie, l’on se demandera si c’est pour mieux héberger la part porcine de l’humain dans celui qui, suivant le conseil du Coran peut posséder plusieurs épouses et autres esclaves, y compris sexuelles, tout en faisant profession de vertu, voilant sa tartufferie dans une pornographie allègrement pillée à l’Occident :
C’est ce que l’on peut appliquer à de nombreux imams et prétendus islamologues, dont l’un, sinistre pratiquant de la taqiya, qui porte le nom du jeûne, pour ne pas le citer, vient d’être balancé comme verrat harceleur et violeur à de nombreuses reprises, la preuve restant à charge des victimes.
L’on se demandera de même si la juste cause de la dénonciation des violences sexuelles, verbales et physiques, quoiqu’il faille se méfier de la délation qui n’est pas dépôt de plainte officielle, et qui ne vaut pas pour procès respectant la présomption d’innocence, s’il ne s’agit pas, en dénonçant les prérogatives du mâle blanc occidental, de détourner pudiquement les yeux de ces quartiers envahis par l’islamoracaille, où il ne fait pas bon arborer une jupette, voire autre vêtement que le voile de rigueur :
« Que c’est fait sagement aux hommes d’empescher
Les femmes de juger, commander et prescher,
Captivant sous les loix cet animal sauvage
Qui chez les Musulmans est toujours en servage ![15] »
Voilà ce qu’avec bien de l’ironie disait le satiriste Pierre Motin au XVII° siècle. Rappelant que le stade ultime de la misogynie, bien tentante chez la plupart des mâles aux testicules chatouilleuses, trouve son acmé tyrannique en une idéologie religieuse et politique bien connue. Gageons qu’aujourd’hui un tel poème satirique se verrait poursuivi par les foudres de l’indignation féministe, brandissant le spectre de la censure et du requiem de la liberté d’expression[16], pourtant bien moins souvent diligente à tomber à bras raccourcis sur le Coran et son indigne « Sourate sur les femmes » : « au mâle, une part égale à celle de deux femelles[17] ». À cette inégalité s’ajoute la polygamie, la parodie de justice et le meurtre : « Pour celles de vos femmes qui sont perverses, faites témoigner quatre d’entre vous. S’ils témoignent contre elles, faites-les demeurer dans les maisons jusqu’à ce que la mort les enlève ou qu’Allah fraye pour elles un sentier[18] ». Plus délicat : « Admonestez celles dont vous craignez la rébellion, reléguez-les dans des dortoirs, battez-les.[19] » Battre ses femmes est un ordre divin, tout comme les qualifier d’impures, puisque l’on ordonne avant la prière : « Si vous êtes malades ou en voyage ou si l’un de vous revient des latrines, ou si vous avez touché les femmes, et ne trouvez pas d’eau, recourez à un bon sable, frottez-vous le visage et les mains[20] ». On appréciera l’équivalence entre les latrines et les femmes, considérées pire que des gorettes.
N’est-il pourtant pas bien dommage de déprécier le porc, qui « demeure accouplé plus longtemps que la plupart des autres animaux » et dont la femelle est fort sensuelle ? En effet, reprend Buffon, « la chaleur de la truie est presque continuelle[21] ». Cet animal est génétiquement si proche de l’homme (au sens neutre du terme), au point qu’une médecine prochaine envisage des greffons porcins modifiés au service de corps humains à réparer, au point que l’intelligence de la bête rose, manipulant des jouets de couleur à emboiter, puisse égaler celle d’un enfant d’un an accompli. Sans oublier que, selon le dicton populaire, « tout est bon dans le cochon », des soies dont on fait les brosses, de la graisse dont on fait la gélatine des bonbons Haribo, jusqu’aux cochonnailles les plus rabelaisiennes, en passant par les oreilles confites à la croque au sel, jusqu’à ce jambon exquis, nous avons nommé l’Iberico bellota de Jabugo, pour lequel nos porcs choyés courent sous les chênes verts dont ils dévorent les glands. Cochon qui s’en dédit, ne balance pas ton porc, mais balance ton tyran !
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.