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6 novembre 2020 5 06 /11 /novembre /2020 16:48

 

Emmaüs, Prahecq, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Les bibliothèques pillées sous l’Occupation

& autres résistants et collabos ;

par Martine Poulain, Florian Ferrier

et Laurent Wetzel.

 

 

Martine Poulain :

Livres pillées, lectures surveillées. Les Bibliothèques françaises sous l’Occupation,

Gallimard essais, 2008, 592 p, 22,50 €, Folio, 12 €.

 

Florian Ferrier : Déjà l’air fraîchit, Plon, 2020, 672 p, 22 €.

 

 

Laurent Wetzel :

Vingt intellectuels sous l’Occupation. Des résistants aux collabos,

éditions du Rocher, 2020, 240 p, 18 €.

 

 

Malheur aux livres vaincus ! Chargés  dans des camions, armes de l’Histoire, armes à abattre, ils partent vers les ordures, vers le feu, ou, s’ils sont précieux, vers le grand Reich allemand. Imaginez que les bibliothèques publiques les plus prestigieuses, mais aussi celles privées, soit pillées, spoliées. Ce n’est pas là une fiction, plutôt un cauchemar  éveillé qui frappa la France - et l’Europe également - entre 1940 et 1944. Or, au travers d’un essai d’investigation et d’un roman historique, deux auteurs fouillent et mettent en scène cette razzia d’envergure pendant l’Occupation. Ce sont Martine Poulain, au moyen de Livres pillées, lectures surveillées. Les Bibliothèques françaises sous l’Occupation, et Florian Ferrier, avec Déjà l’air fraîchit et sa Walkyrie des bibliothèques. D’un genre littéraire à l’autre, de l’historiographie à la fiction romanesque, ils se répondent, pour notre édification et notre colère, pour interroger une éthique politique, alors que résistants ou collabos, loués ou blâmés par Laurent Wetzel, les intellectuels choisissent sous l’Occupation le terrain de l’honneur ou de l’abjection.

 

Le travail est impressionnant. Celui de l’historienne, mais aussi celui des Nazis et des pétainistes. Le premier au secours de la mémoire, le second - et le dernier au sens infamant du mot, quoiqu’il soit chronologiquement l’initiateur – au service de la cupidité rapace d’un occupant sans scrupule et de la morale maréchalesque. Et si l’on sait que les usines, les métaux, les ressources de toutes sortes sont soumises à des coupes claires, que les « listes Otto » concernant les œuvres d’art volée par les nazis sont bien connues notamment grâce à Laurence Bertrand Dorléac[1], l’histoire des livres usurpés l’est moins.

Martine Poulain, directrice de la bibliothèque de l’Institut national d’histoire de l’art, d’abord. Une centaine de pages disertes et précises de bibliographie et de notes en impose, en un dense ouvrage de près de six cents pages. Au long cours du déroulé de ses investigations, le réquisitoire est constant à l’égard des pillards en uniforme vert de gris, mais aussi des institutions, y compris des bibliothèques, françaises, soit les collaborateurs. Au premier chef desquels le Conservateur de la Bibliothèque Nationale d’alors, Bernard Fay, partisan zélé du Maréchal Pétain, tourmenté par « deux démons majeurs » : sa propension à se prendre pour un élu dévoué à une France mythique et son obsession du « complot maçonnique », qui le conduisit à dresser un fichier de milliers de Francs-maçons virés de la fonction publique, voire déportés, assassinés. Sa carrière brillante fut conclue, après la Libération, par un procès, une condamnation aux travaux forcés et à l’indignité nationale, quoiqu’il put s’évader sous un vêtement d’ecclésiastique en 1951 vers la Suisse puis être gracié en 1958 : tout un roman crapuleux…

Dépendant directement d’Hitler, l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg a pour devoir supérieur l’éducation idéologique des Nazis. Et dès l’occupation de Paris, partir de juin 1940, le pillage est systématique. Outre les livres précieux qui doivent enrichir les collections du Reich et les poches des voleurs patentés,  le nationalisme pousse à éradiquer tout ce qui serait anti-allemand, l’antibolchévisme, tout ce qui se rapproche d’une sensibilité communiste. Enfin l’antisémitisme arase tout ce qui sent la « juiverie », non sans conserver les pièces les plus rares au service de musées réservés aux seuls initiés de la race supérieure. Ainsi aux bibliothèques publiques s’ajoutent celles d’hommes politiques, comme Raymond Poincaré, président de la République, Léon Blum ou Jean Zay, d’historiens, comme Marc Bloch, d’écrivains et de philosophes, jusqu’à Jean Cassou et Vladimir Jankélévitch. Que l’on soit une bibliothèque polonaise ou féministe, protestante ou jésuite, tout y passe, les rouleaux de la Torah sont profanés, brûlés. Alors que les bibliothèques publiques sont moins touchées que celles des archives et musées, les mosellannes et alsaciennes sont « nazifiées ». Sur l’innocente peau des livres, les textes sont persécutés, qu’ils soient russes ou anglo-saxons, et les chairs des personnels des bibliothèques sont également soumises à l’épuration. Freud, Zola, ou encore Apollinaire étaient interdits autant par l’autorité occupante que par celle de Vichy. Alors que l’on se réapproprie tout ce qui a trait à l’Histoire allemande.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Certes bien des bibliothécaires ont veillé à cacher, ou transférer des ouvrages rares en province. Il s’agit d’une Résistance intellectuelle et bibliophile. Des personnalités honorables, tels Julien Cain, emprisonné quatre ans puis déporté à Buchenwald, la bibliothécaire du musée de l’Homme, Yvonne Oddon, également déportée, Henri Vendel, archiviste paléographe, directeur de la bibliothèque de Châlons-sur-Marne, jeté sous les verrous pour avoir seulement prêté des livres traduits de l’anglais ! Sans compter ceux qui, au risque de la déportation et de la mort, et en une Résistance discrète et habile, continuèrent à tenir la barre de ces institutions menacées, sabordées, au service d’un idéal de préservation des collections et de la splendeur de la culture, au sens le plus noble du terme. Ce sont des « responsables justes » comme Jean Laran, conservateur du cabinet des estampes, puis administrateur de la Bibliothèque Nationale sitôt la Libération, ou encore un Inspecteur Général nommé Marcel Bouteron, qui s’est voué à la dangereuse collecte de « journaux interdits et tracts »…

L’on devine qu’en dépit d’un intense désir de lire de la population, exacerbé par la chape de plomb de l’Occupation, afin de s’évader entre les pages d’Autant en emporte de vent ou des plus douteuses Décombres de Rebatet, les librairies également sont épurées des livres interdits, surtout signés par des Juifs, venus de l’anglais, dans l’original, voire en traduction : le politiquement correct était alors nazi, ou politiquement inoffensif. Notre historienne évalue de 6000 à 8000 titres retirés de toute circulation, sans compter le contingentement du papier à partir de 1942, qui réduisit d’autant les rééditions et publications nouvelles. Quant aux bibliothèques privées, d’abord vidées de leurs Juifs ou de leurs suspects et opposants, elles furent balayées, saccagées : l’on subodore la profonde amertume du revenant, si revenant il y eut. Ainsi André Maurois dit son désarroi : « Dans mon bureau, les rayons que j’avais, en quarante années, remplis de livres choisis avec amour, sont maintenant vides. Ne trouvant pas l’homme, la Gestapo a pris la bibliothèque ».

Martine Poulain avance des chiffres stupéfiants : 31 bibliothèques détruites, 40 partiellement endommagées, approximativement deux millions de livres évanouis. Quant aux spoliations, elles avoisinent dix millions de volumes. Vient enfin, après 1944, « l’heure des comptes et restitutions ». Aussi trouve-t-on un index des personnes spoliées, dont une centaine a pu bénéficier de restitutions inégales entre 1950 et 1960. Il a fallu à notre historienne pointilleuse charrier des kilomètres d’archives, et compter des milliers de caisses remplies de livres, trimballées de par la France et le Reich, vidées pour remplir des étagères indues… L’on doit à cette occasion se rendre compte de l’énergie bureaucratique tatillonne qu’il fallut mobiliser autant que des files de camions de déménagement et de portefaix pas toujours scrupuleux. « La haine du livre du nazisme impose aux gens du livre un devoir de mémoire », conclue Martine Poulain. Un acharnement idéologique, un anéantissement culturel, « un fanatisme destructeur », un livresque génocide, étaient lancés sur les rails pendant quatre ans, même si, fort heureusement, peu d’unica furent effacés par la manœuvre. Ce qui par ailleurs ne laisse pas d’interroger à cet égard les soixante-dix ans du communisme soviétique…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il fallait de toute évidence imaginer que, tôt ou tard, parmi la déferlante de romans embrassant tant bien que mal la Seconde mondiale et plus précisément le nazisme, un romancier allait s’emparer d’un tel vivier de tragédies. Voilà chose faite avec Florian Ferrier qui use d’un titre en forme de doux euphémisme fort discutable qui cache trop bien son jeu faute d’être explicite, en dépit de l’illustration de couverture associant un inflexible et sensuel profil féminin et une croix gammée, dont la rougeur fatale rime avec un rouge à lèvres exact : Et déjà l’air fraîchit. Toute la gageure étant d’infiltrer en ce contexte historique et en ses figures nazies, tel le général Heydrich ou même l’écrivain Ernst Jünger entraperçu, un personnage fictif doué de vie et convaincant, force est d’admettre que l’auteur s’en tire avec brio. Certes il succombe à des modes et doxas du temps, en usant d’un personnage féminin, lesbienne de surcroît, en un féminisme inclusif de bon aloi, mais pourquoi pas ; ce qui en fait à la fois un rigoureux maillon de l’inflexible autorité allemande et une discrète dissidente, évitant ainsi un manichéisme dommageable.

La jeune Bavaroise Elektra, au prénom mythologique et nommément inspiré de l’opéra de Richard Strauss, est une experte des catalogues, une bibliothécaire sourcilleuse inféodée à la SS. En une fidélité d’abord aveugle au diktat nazi, elle parcourt, à partir de 1940, Paris et la zone occupée pour répertorier les volumes juifs, les volumes peu amènes envers l’Allemagne, les faire emballer et convoyer vers le Reich, s’ils ne sont pas illico détruits, voire, pour de luxueux manuscrits, destinés à être offert au Führer ou à quelque dignitaire nazi, alors que d’autres, mêmes fort rares, sont entreposés dans l’humidité, couverts de « traces de semelles », abandonnés à la pluie dans un château ruiné, alors qu’en réprésailles la librairie allemande de Paris est victime d’un « attentat à la bombe ». La tâche est colossale : « Le but est d’identifier et de saisir tout écrit opposé au Reich, à nos dirigeants, à notre politique. Cela va des manuels scolaires aux parutions périodiques, même à faible tirage. Cela passe par la surveillances des ouvrages à caractère religieux, politique, social et culturel qui prônent une autre forme de société que celle que souhaite établir le national-socialisme ». Une nouvelle Babel s’étire et s’écroule en des autodafés ; la « mise sous tutelle de la culture en Europe » est une besogne titanesque,  là où l’on préfère « un exemplaire spécialement relié pour les jeunes mariés de Mein Kampf ».

En son récit solidement charpenté, en sa fresque grandiose et apocalyptique, le tout plein d’action, de bruit et de fureur, d’amours, d’amitiés et de perversions, notre romancier, né en 1966 et auteur d’une dizaine de romans, n’a pas manqué de s’appuyer sur une bibliographie scrupuleuse, et au premier chef l’essai de Martine Poulain, parfois à la limite du copié collé, tout en permettant à son Elektra de croiser jusqu’à Bernard Fay…

Et pour donner chair à Elektra, la voici nantie d’une famille, d’une mère abusive, d’un père trop tôt disparu en des circonstances troubles, voire coupables. Ce qui donne lieu à une glauque enquête policière mené par l’opiniâtre Kriminaldirektor Hundt opportunément explosé, alors qu’elle est sujette à des évanouissements, des passages psychotiques violents, alimentés par une addiction à la pervitine, cette drogue des troupes d’assaut. Pour adoucir sa vie laborieuse, ne lui reste que le loisir d’aimer, Liselotte en Allemagne, Madeleine à Paris, en une sensuelle liaison qui s’achèvera par l’arrestation de cette dernière aux mains de la Gestapo, par sa pendaison dans une cellule pour avoir hébergé des aviateurs anglais. De rares voyages la ramènent au pays pour des funérailles, plus loin vers Vilnius en Lituanie, où sa sœur s’installe dans une luxueuse maison volée aux Juifs avec son mari officier qui l’emmène assister à une exécution de masse dans des fosses, là « où la forêt vomit des cadavres », scène où l’on se souvient un peu trop des Bienveillantes de Jonathan Littell[2]. Cette sœur d’ailleurs si mignonne et aimant tant les enfants, gave de gâteaux des petits Juifs, avant de les exécuter froidement, de récupérer des dents en or… Tuer en état de légitime défense un abject policier français collaborateur, être reléguée en Russie pour vérifier les comptes des cadavres, manquer de se faire violer et tuer par des partisans russes pour avoir tenté de sauver des livres de la boue et des flammes, ce ne sont que quelques-unes des excitantes et terrifiantes péripéties d’une Elektra qui devient une solide et fragile allégorie de l’Allemagne nazie.

Insufflant un dramatisme supplémentaire, et une morale nécessaire, Florian Ferrier intercale avec une certaine habileté des scènes des années 1945 à 1947, dans lesquelles l’anti-héroïne moisit dans des prisons et pâlit lors des interrogatoires, sous l’obédience des Anglais et des Français, qui tentent de reconstituer le cheminement des livres à restituer, avant de pouvoir retrouver ses montagnes alpestres aimées et sa « librairie Hoffmann », du nom d’un Juif.

L’auteur ne se fait pas faute, au cours de son thriller habilement mené, d’oublier la condition des femmes allemandes, entre rationnement, douleurs, veuvages, fils disparus, et luxe outrageant aux dépens de l’ennemi et des Juifs spoliés. Mieux, sans intervenir en rien dans la voix intérieure, le point de vue de son héroïne nazie, il laisse prudemment son lecteur s’interroger devant l’incapacité, quoique de moins en moins avérée, de son personnage à remettre en cause le régime, sa tyrannie, ses meurtres de masse et ses déprédations. Son ami et soupirant malheureux, Erich, n’hésite pas : « si le Führer dit que la Terre est plate, alors on récrira les manuels de géographie ». Comme en apnée, elle traverse un torrent d’abominations qui feront lever le cœur au lecteur sensible, sans à peine de scrupule, comme tout un peuple qui ne doutait pas du destin supérieur de la Grande Allemagne et de l’autorité charismatique de son Führer. Malgré son amour pour les livres, de Goethe à Kafka (ce dernier interdit), pour les partitions originales et les clavecins dans la collection de la Juive Wanda Landowska par exemple, rien ne semble l’effleurer du contenu humaniste des œuvres. Même si « vider les bibliothèques prestigieuse, d’accord, russe, tchèque, polonaise, même arménienne, d’accord, celles des francs-maçons, toutes les bibliothèques juives, d’accord, celles des grands intellectuels, les archives des ministères, d’accord », elle s’offusque de « vider celles d’anonymes ». Comme quoi la collectionnite et l’archivisme ne valent rien s’ils ne sont animés de pensée. Elektra avait pourtant un idéal : « Je voulais voir sortir de terre la plus formidable bibliothèque du monde. Un peu comme Alexandrie en son temps ». Est-ce possible, si elle fut fondée sous de tels principes tyranniques ?

Il n’est pas interdit de repenser à Jonathan Littell qui écrivit une odyssée nazie, mais avec autrement de force. Le substrat mythologique des « Bienveillantes » est ici plus modestement mis en scène, avec une Electre allemande qui a bien du mal à se remémorer un parricide commis au féminin à la place de son frère Oreste. Voire de considérer Déjà l’ait fraîchit comme une réécriture non sans talent de son modèle autrement cynique, malgré des passages désagréablement trop proches, ou des pastiches, comme lors du bombardement ultime de Berlin où il s’agit non de la débandade d’un zoo, mais de la boutique d’un taxidermiste.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et pendant ce temps que faisaient les écrivains ? Et bien ils balançaient d’un côté ou de l’autre, comme ces Vingt intellectuels sous l’Occupation, examinés sous la loupe passablement perspicace de l’historien Laurent Wetzel. Les uns, privés des sésames de l’édition, sont des résistants courageux et éclairés, les autres subissent, une fois le vent de l’Histoire tourné, le qualificatif infamant de « collabos », quoiqu’ils aient pu publier leurs proses bientôt désavouées. Cependant il en reste quelques-uns pour être « ambivalents »…

Le but d’un tel ouvrage n’est pas de réitérer des travaux biographiques effectués par ailleurs, mais de comprendre « les tempéraments, les motivations et les convictions » de ceux qui sont censés incarner l’esprit des belles lettres et la validité de l’engament politique. 

Grand médiéviste d’origine juive, Marc Bloch « abhorre le nazisme ». Il incrimine la « gérontocratie des élites, le pacifisme et le défaitisme ». Actif Résistant dans le réseau Franc-tireur, il est arrêté par la Gestapo en mai 1944, torturé, fusillé. Plus qu’historien, il fait l’Histoire. En 1944 également Pierre Brossolette, qui avait dénoncé les totalitarismes nazi et soviétique, dut se jeter d’un balcon pour ne pas risquer de révéler les noms de ses compères. Le maquis du Vercors fut fatal à l’écrivain Jean Prévost. Juriste et diplomate allié du Général de Gaulle, René Cassin survécut à sa famille déportée. Monseigneur Jules Saliège témoigna d’un « Résistance spirituelle », en dénonçant « l’hérésie du nazisme ». Quant à Jacques Soustelle et Germaine Tillion, ils honorèrent longtemps la dignité française.

Hélas l’intellect ne protège pas de l’abjection. Quoique Chrétien et patriote, le cardinal Baudrillart avait entendu le pape Pie XI qui « avait publié deux encycliques, l’une, Mit brennender Sorge, pour condamner le nazisme, l’autre, Divini redemptoris, pour condamner le communisme. Sous l’Ocupation, Mgr Baudrillart avait été obnubilé par la seconde, au point d’en avoir oublié la première ». Incroyablement « Hitler a envoûté » l’historien et écrivain Jacques Benoist-Méchin qui rendit visite au führer au Berghof. Le dégout enfle avec Robert Brasillach, « collaborationniste de cœur », selon ses propres mots, fusillé en 1945 ; avec le socialiste Marcel Déat, « ami de la Wafen SS » et antisémite notoire. Il faut se frotter les yeux en lisant cette déclaration de l’auteur de Gilles, Pierre Drieu la Rochelle : « Hitler mon idéal politique », car pour lui le fascisme sauverait l’Europe de la décadence ! La liste, ici non exhaustive (puisque l’on pourrait penser, bien que moins actifs dans la collaboration, à Céline et Rebatet), s’achève avec Georges Soulas, qui publia le beau roman Les Yeux d’Ezéchiel sont ouverts, avec le pseudonyme de Raymond Abellio, et qui se déclarait « fanatiquement collaborationniste »…

Décidément le goût de nombre d'intellectuels pour les politiques totalitaires est bien enferré ; sans oublier celui d’Aragon, d’Eluard, Sartre et autres plumitifs de la tyrannie, cette fois communiste.

Après avoir distribué l’éloge et le blâme, la dernière partie de l’ouvrage est peut-être la plus intrigante : « Figures d’intellectuels ambivalents ». Hélas ce dernier terme est plus que discutable, lorsque Raymond Aron préféra le retrait pour écrire un essai sur Machiavel et les tyrannies modernes, tout rédigeant des articles pour La France libre. Avertissant du danger du pacifisme devant la montée du nazisme, il avait dû rejoindre l’Angleterre et demeurer un « spectateur engagé ». Georges Pompidou était lui un attentiste, qui eut le front de gracier Paul Touvier, milicien exécuteur de Juifs. Plus qu’ambigu est le cas de François Mitterrand, venu de l’extrême-droite, et employé par Vichy pour rédiger des fiches sur les « Antinationaux », puis chargé des « relations avec la presse et de la propagande ». Il rencontra deux fois Hitler, resta un ardent pétainiste, fut en 1943 décoré de la francisque qu’il aimait arborer, avant de sentir le vent tourner, rejoindre une semi-clandestinité sous le pseudonyme de Morland, puis s’envoler vers Londres. Et c’est cet homme-là qui fut élu Président de la République !

 En revanche, le cas de Jean-Paul Sartre, jouant l’indifférent et parvenant sans peine à faire représenter Les Mouches pendant l’Occupation, est plus flagrant. Il pensait De Gaulle comme un fasciste, rédigea lors de la Libération des listes de livres à faire disparaître des librairies, se fit passer pour Résistant, alors qu’il avait proclamé : « Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’occupation allemande » ! Voici le parangon du salaud philosophe, qui récidiva avec « Tout anticommuniste est un chien ».

Si l’ouvrage de Laurent Wetzel peut paraître trop bref, il a néanmoins le mérite insigne de dresser une large fresque des mérites et des déshonneurs des intellectuels français en une période tragique. Et le défaut de faire régner une dommageable confusion en sa dernière partie…

 

Reste à s’interroger avec humilité. Que ferions-nous si une autre Occupation, guerrière, idéologique ou religieuse, vidant les bibliothèques de leurs trésors de beauté et de pluralisme, sommant les intellectuels de choisir le camp de la réussite sociale ou celui de l’intégrité morale et politique pourchassée, s’étendait sur le pays ?

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Laurence Bertrand Dorléac, L’art de la défaite, 1940-1944, Le Seuil, 1993.

[3] Voir : Ayn Rand, d'Atlas shrugged à la Grève libérale

 

Ayerbe, Huesca, Aragon. Photo : T. Guinhut.

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30 octobre 2020 5 30 /10 /octobre /2020 15:21

 

Piz dles Conturines, San Cassiano, Trentino Alto-Adige / Südtirol.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Erri de Luca, justicier politique discutable

et sculpteur de romans :

Impossible, La Nature exposée.

 

 

Erri de Luca : Impossible, traduit de l’italien par Danièle Valin,

Gallimard, 2020, 176 p, 16,50 €.

Erri de Luca : La Nature exposée, traduit de l’italien par Danièle Valin,

Gallimard, 2017, 176 p, 16,50 €.

 

 

 

Parmi les monstrueuses faces rocheuses des Conturines va se jouer un drame. Cette montagne calcaire, culminant à 3064 mètres, s’élève au-dessus de San Cassiano, dans les Dolomites, soit le Südtirol italien. En ces parages redoutables, le romancier italien Erri de Luca situe le point névralgique de sa quête de justice, tandis qu’à cet Impossible répond une autre quête, celle à la fois artistique et théologique vibrante dans les pages de La Nature exposée.

S’il distingue une chute lointaine dans la paroi, le narrateur se voit contraint de tomber dans les rets de la Justice, et entre les mains d’un magistrat vindicatif. Pourtant nulle relation causale entre cette dégringolade et la présence de l’alpiniste témoin, si l’on en croit l’homme d’âge mûr qui doit assurer sa défense. Seul le magistrat rapporte cette mort accidentelle à une coïncidence « impossible », à la présence simultanée des deux amateurs de montagne qui ne sont pas inconnus l’un à l’autre, quoique le narrateur n’en ait rien su, sauf d’avoir vu dévaler une silhouette et d’avoir ensuite appelé les secours ; du moins s’il doit être considéré comme fiable. Car une vieille querelle politique les enlace.

Voilà un homme venu de « la génération la plus poursuivie en justice de l'histoire d'Italie ». Accusé d'être le meurtrier d’un de ses anciens camarades parmi une organisation révolutionnaire armée, que l’on devine être (même si elle n’est jamais nommée) les Brigades rouges. Car ce dernier fut un Judas, dénonçant à la police ses pairs, afin de bénéficier non seulement d’une réduction de peine mais aussi d’une remise en liberté. Face à ce juge résolument convaincu de sa culpabilité, de sa préméditation et de son meurtre de sang-froid, il se doit d’argumenter : un tel assassinat est « impossible », pour reprendre le titre laconique. Non sans faire face au lecteur, qui a du mal à éprouver de l’empathie pour un tel personnage calculateur et glacé, alors qu’il ne regrette pas un instant son activisme en faveur de mouvements politiques terroristes d’extrême-gauche.

La rigueur de la composition romanesque s’impose au moyen de l’alternance des questions et des réponses de l’interrogatoire, comme saisies par un greffier, et les méditations du narrateur, isolé dans une cellule, se remémorant ses années de prison pour son engagement politique affilié à une organisation terroriste, dont il a le front de ne rien regretter. Certes ne pas trahir ses convictions parait une vertu, mais quand il s’agit d’un tel entêtement en faveur d’une entité révolutionnaire et mortifère, le vice est avéré, ce qui empêche d’adhérer à un personnage aussi sûr de lui.  L’avancée du suspense, mais aussi, paradoxalement, la détermination, la résistance de l’accusé devant le pilonnage abusif, dénué de toute neutralité objective du réquisitoire du Juge d’instruction, usant de plus de mauvaise foi en paraissant pactiser avec son adversaire et se laisser persuader par ses valeurs attachées à la pratique de la montagne, tout cela parvient à convaincre et enserrer le lecteur, qui n’en éprouve guère plus de confiance en la Justice.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le huis-clos ne s’éclaire que grâce aux souvenirs de l’emprisonné, aux lettres émouvantes écrites à son « Ammoremio » à sa sérénité inattaquable, tout ce qui ne peut manquer de susciter une admiration soumise à caution. Campés avec une redoutable sûreté psychologique, les deux protagonistes, appartenant à deux camps radicalement opposés, combattent chacun pour leurs valeurs. Si le Juge doit se résoudre à relâcher sa proie, faute de la moindre preuve, il ne croit pas aux coïncidences. Ainsi la caractérisation psychologiques de deux caractères forts opposés en un réquisitoire et une plaidoirie implacables, font de ce bref roman une réussite taillée dans le vif et le roc, affrontant deux générations, le vieux routard des combats rouges et du solide argumentaire sans fard, et le jeune magistrat imbu de sa fonction. Non loin par moment d’une construction théâtrale, à l’instar des Justes d’Albert Camus.

Est-ce une histoire de vengeance contre « un homme vivant avec le poids d’une infamie qui l’a laissé indemne lui et qui a détruit les vies des autres pendant des dizaines d’année », alors que celui qui prononce ce discours a lui-même contribué à un terrorisme qu’il tait ? Est-ce un acte manqué, de jubilation, une charge polémique contre la Justice ? En tous cas il s’agit d’un bel et troublant apologue, bien peu manichéen, dont la lecture sans accrocs laisse imaginer bien des morales politiques, contradictoires, complaisantes, car aucun des deux ne peut être l’allégorie la Justice. Avec une rare pertinence se glisse également une réflexion sur le langage : « La langue est un système d'échange comme la monnaie. La loi punit ceux qui impriment de faux billets mais elle laisse courir ceux qui écoulent des mots erronés. Moi, je protège la langue que j'utilise ». C’est ce qui permet à l’homme d’expérience de mener haut la main le duel oratoire. Reste au lecteur à se ranger du côté du prévenu ou de le désavouer.

Nous ne bouderons pas notre plaisir en découvrant une éthique de la montagne ici à l’œuvre : « Je cherche des endroits difficiles, en dehors des sentiers battus, pour me sentir à l’écart du monde ». Ne doutons pas qu’il s’agit là d’une métaphore intellectuelle et politique, qui n’est pas sans parenté avec une éthique politique forte, quoique d’un bord éloigné, celle du Traité du rebelle ou le recours aux forêts[1] et de la figure de l’« anarque », dans Eumeswill[2], d’Ernst Jünger. Aussi, retrouvant la liberté, retourne-t-il parmi les vires du Val Badia : « Je me suis aperçu que mon souffle s’était mis à chantonner ».

 

Santa Maria Gloriosa dei Frari, Venezia. Photo : T. Guinhut.

 

 

Une fois de plus, le Val Badia, dans le nord des Dolomites, est le théâtre déclencheur de cette histoire, même si La Nature exposée déplace son action de la montagne à la mer. Ce « récit théologique » met en avant un vieux sculpteur, plus exactement réparateur de sculptures. « La montagne est mon hospice », dit-il, mais aussi le théâtre de son activité, rémunérée pour ses camarades, bénévole pour lui, de passeur de migrants parmi une frontière escarpée, que l’on devine être celle de l’Autriche. L’un d’eux, devenu écrivain, raconte son passage et rend célèbre notre homme, qui s’en dédie : « la célébrité est une dérision ». Ce pourquoi, désavoué par les siens, il doit quitter le village. Dans un autre village au bord de la mer, l’attend un crucifix de marbre digne de la Renaissance, dont il faut ôter le drapé superfétatoire et révéler la « nature ». Mais si sur une photographie ancienne se révèle « un début d’érection », faut-il être fidèle à l’intention de l’artiste ? Pourtant sa nature n’est-elle pas celle du pardon ? De plus « l’ébauche d’érection est le détail le plus émouvant de toutes les images chrétiennes ». Mais « en retrouvant l’original le scandale est assuré », assure l’évêque, cependant confiant dans les qualités de l’artiste, du restaurateur, et du sacré…

Devant ce corps à la souffrance puissante s’offre une révélation, celle de la compassion : « C’est l’effet que doit produire l’art : il dépasse l’expérience personnelle, il fait atteindre des limites inconnues au corps, aux nerfs, au sang ». Le travail de restauration est un véritable soin, une attention à la nature humaine, une ascèse et une révérence, tant envers la souffrance du crucifié qu’envers la beauté. La partie détruite doit être de nouveau sculptée, et « c’est une œuvre en soi et non une partie ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le récit prend encore plus d’épaisseur à l’occasion de retours en arrière, lorsque l’épouse du narrateur s’efforçait de faire de lui un artiste, de l’exposer ; lui préférant l’humilité : « elle dit qu’elle avait vécu avec un artiste et qu’elle ne voulait pas vivre avec un contrebandier ». Des rencontres, une femme attentive, un drame et une réconciliation en montagne, un rabbin, qui découvre en ce détail anatomique « la réhabilitation du serpent », ponctuent l’avancée du travail, enrichie par de sagaces réflexions sur l’art, chrétien et païen. Laissons au lecteur la découverte de la chute de ce beau récit, surprenante et éclairante…

Hélas la naïveté d’Erri de Luca, voire l’aveuglement volontaire, se fait jour non seulement vis-à-vis des migrants apparemment innocents, mais aussi lorsqu’un pêcheur rapporte un livre trempé qu’il donne à un ouvrier algérien : un Coran, que ce dernier baise et qui suscite ce commentaire du narrateur : « Je dis qu’un livre sert de porte-bonheur, de compagnon de voyage, d’ange gardien ». Certes, mais c’est se méprendre sur la réalité d’un tel livre saint, au contenu génocidaire avéré[3]. Si les connaissances bibliques de l’auteur sont solides, celles coraniques laissent pour le moins à désirer…

L’œuvre d’Erri de Luca, né à Naples en 1950, est prolifique. Outre son goût pour la montagne, son passé de militant politique, qu’il est permis de trouver discutable, permet de lire, toute proportions gardées, Impossible, comme un avatar du roman autobiographique. Communiste dès seize ans, il glisse vers l’anarchisme et devient un dirigeants de « Lotta continua », sans passer à la lutte armée. Sa vie de modeste ouvrier s’éclaire avec l’étude de la Bible et de l’hébreu, avant qu’il devienne écrivain et passionné d’alpinisme. Altermondialiste patenté, donc anticapitaliste, il est accusé d’incitation au sabotage contre la ligne de train grande vitesse Lyon Turin et relaxé en 2015. Tous ces éléments trouvent leur trace, voire leur acmé, dans une œuvre d’abord autobiographique, puis plus romanesque, parmi une trentaine de titres chez nous traduits avec la plume attentive de Danièle Valin. Les prix littéraires ne lui ont pas manqué, comme celui au nom d’Ulysse en 2013. Entre d’une part luttes politiques dans la lignée marxiste et anarchiste, certes comptables de controverses et analyses polémiques[4], et d’autre part  culture judéo-chrétienne et goût pour l’art, Erri de Luca a bien mérité du Prix Européen de Littérature, encore en 2023. Il est tout de même assez frappant de constater que tant d’intellectuels, à l’instar de ce romancier au talent insigne, nonobstant leur sincérité pour la cause des ouvriers opprimés et des réfugiés instrumentalisés, n’entendent pas la raison libérale pour y préférer un tropisme vers des solutions totalitaires ; ce que n’a pas manqué de pointer Friedrich A. Hayek dans Les Intellectuels et le socialisme[5].

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Ernst Jünger : Le Traité du rebelle ou le recours aux forêts, Christian Bourgois, 1951.

[2] Ernst Jünger : Eumeswill, La Table ronde, 1978.

[5] Friedrich A. Hayek : Les Intellectuels et le socialisme, University of Chicago Law Review, 1949.

 

Piz Sella, Val Gardena, Trentino Alto-Adige / Südtirol.

Photo : T. Guinhut.

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27 octobre 2020 2 27 /10 /octobre /2020 16:56

 

Collection A. R. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Masques stupéfiants & théâtre rare,

aux bons soins de la Fondation Martin Bodmer

et de Werner Strub.

 

Masques & théâtre. Créations de Werner Strub & éditions rares,

Fondation Martin Bodmer / Editions Noir sur blanc,

2020, 254 p, 39 €.

 

 

C’est certainement sans ironie que les concepteurs de cette exposition ont imaginé ce qui ne fut d’abord qu’un projet, alors que le vernissage et toutes les visites obligent les masques théâtraux à se moquer de nos piètres faces où l’on doit scotcher une sanitaire  bande de papier ou de tissu, niant la dignité du visage. Coutumière des monstrations de livres rares et précieux, la Fondation Martin Bodmer[1], sise à Cologny près Genève avec une vaste vue sur le lac Léman, y ajoute la féérie monstrueuse de masques carnavalesques et dramatiques fabriqués par l’artiste Werner Strub[2], interrogeant intensément notre identité et celle des personnages théâtraux.

Au contraire du voile qui s'impose pour annihiler les traits, au contraire de celui de l’hypocrite aux traits mielleux et chantournés, et en complicité avec celui vénitien du mystère, de la fascination et de l’éros, le masque peut décider d’affirmer et d’exposer certains traits choisis pour leur véracité psychologique, voire leur caricature. Emprunté à l’italien « maschera », signifiant faux visage, le mot associe la noirceur de la pâte dont on s’enduisait, la sorcellerie et le démoniaque. Même amical, tendre et rassurant, il garde quelque chose d’inquiétant du fait de la dissimulation, entre artifice et seconde peau plus vraie que celle de la nature. Mascaron baroque et bal masqué où libérer ses pulsions, voire empreinte mortuaire, il orne l’architecture de grotesques, et protège le vivant des agressions de l’escrime, des abeilles, des pollutions, des gaz et des virus, et conserve au-delà de la mort l’effroi du vivant qui n’est plus. Le voici tantôt ironique, tantôt diabolique ou féérique, festif ou glacial, voire anonyme s’il est lisse et imperonnel. Ainsi au théâtre, il est le signe du jeu, des caractères que l’on démasque, du rire fantasque, de la caricature et de la satire. Mais au masque rieur de la Comédie répond chez les Grecs de l’Antiquité le masque aux commissures tombantes de la Tragédie, pleurant les coups de la fatalité d’une voix caverneuse. Thalie et Melpomène, ces Muses respectives de la plaisanterie et des larmes, arborent à leurs pieds ces attributs respectifs qu’il suffira de nouer sur son visage pour user d’une allégorique voix.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

       Dès ses quinze ans Martin Bodmer (1899-1971), dont la Fondation est aujourd’hui l’une des plus stupéfiantes bibliothèques privées au monde, acheta son premier livre rare : La Tempête de Shakespeare, probablement celle magiquement illustrée par Edmund Dulac en 1912. Cette œuvre dernière, voire testamentaire, du maître de Stratford oppose le bien et le mal en les personnes d’Ariel et de Caliban, pour aboutir à la concorde politique aux bons soins de Prospero, qui consent alors à abandonner sa baguette enchantée, comme Shakespeare abandonne son art. Entre les mains du collectionneur avisé, l’amour du théâtre et du maître élisabéthain ne pouvait que s’animer en toute complicité avec l’œuvre de Goethe, en particulier ses deux Faust, et avec son concept de « Weltliteratur », soit littérature-monde. Or s’ouvre ici un choix représentatif, venu des papyrus, des manuscrits autographes et des imprimés, y compris incunables (avant 1500). C’est ainsi qu’apparaissent les témoignages les plus anciens du théâtre antique, comme ce Dyscolos en grec tracé sur un papyrus du III° siècle, découvert dans les sables égyptiens en 1950. Seule pièce de Ménandre conservée par le temps, ce Bourru inspira Plaute le Romain et Molière pour son Misanthrope. S’ensuivent les publications du génial et humaniste imprimeur Aldo Manuce[3], qui, en 1498 et 1502, réalisa les premières éditions d’Aristophane, avec La Paix, et de Sophocle, avec Antigone, dont nous trouvons ici un plus contemporain exemplaire illustré au trait en 1949 par Hans Herni.

Les livres rares anciens révélant Euripide (Alceste encore une fois chez Alde Manuce) et Térence, ces dramaturges tragiques et comiques d’Athènes et de Rome, côtoient ceux du classicisme de Corneille, illustrés par Gravelot, et de Molière par Boucher, au siècle des Lumières. Car « Molière incarna sous le masque le marquis de Mascarille - en réalité valet de son état - dans Les Précieuses ridicules en novembre 1659 ». Comme dans l’italienne commedia dell’arte, les acteurs portent les frimousses caricaturales d’Arlequin et de Pantalon, Polichinelle et Brighella, des « trognes de cuir ». L’on devine que son avatar moliéresque, Le Médecin malgré lui (ici en son édition originale de 1667), exigeait de porter un faux nez rempli d’herbes aromatiques ainsi que le prétendait la lutte contre les odeurs pestilentielles de la peste. Patrick Dandrey note avec pertinence à propos des Harpagon et autres Tartuffes de Molière : « L’idée fixe qui hante ces personnages dominés et mutilés par une unique marotte masque à leurs yeux aveuglés la réalité des êtres et des choses dans leur diversité généreuse et leur authenticité sans fard ».

 

Térence : Comédies, Vandenhoeck, Hambourg & Londres, 1732.

Photo : T. Guinhut.

 

De même comment jouer Le Songe d’une nuit d’été sans affubler Bottom de sa tête d’âne, métaphore de sa grossièreté, dont est amoureuse par magie et punition Titania ? Ne doutons pas que la Fondation Martin Bodmer possède un exemplaire du « first folio » de 1923, compilant trente-six pièces de Shakespeare, soit « la quintessence de la littérature mondiale », selon notre collectionneur. Qui ne dédaignait pas l’œuvre du Genevois grincheux, Jean-Jacques Rousseau, dont la Lettre à d’Alembert sur les spectacles, dénie au théâtre la capacité de corriger les mœurs (mais plutôt de les corrompre) et reproche au comédien de n’offrir au spectateur que son fantasme. Enflant la polémique, D’Alembert lui répondit l’an suivant, en 1759, arguant que le patrimoine théâtral est un outil de « pédagogie morale ».

Les uns valorisant les autres, et vice-versa, une vingtaine de livres théâtraux répond à dix-sept masques. Et à ce que pourraient avoir d’un peu austère les pages, leurs typographies et leurs gravures le plus souvent en noir et blanc, répondent les folles et farouches étrangetés, couturées et colorées, destinées à doter l’acteur d’un surplus d’imaginaire, lorsque la fausseté du masque révèle la vérité du caractère. En fait, au lieu de masquer, les masques théâtraux de Werner Strub révèlent l’intime et la psyché des personnages. Ils sont fantastiques et merveilleux, sorte de hibou prêt à parler pour L’Oiseau vert du dramaturge de la commedia dell’arte Carlo Gozzi (1765), qui met en scène un roi sanguinaire, deux jumeaux philosophes, des pommes qui chantent, et bien sûr un oiseau magique parmi les péripéties de son conte baroque… Si les masques d’Œdipe et d’Antigone semblent barbares, celui du Père Ubu, d’Alfred Jarry (1896), se montre non sans humour sous son chapeau rond et avec un appendice nasal passablement pénien. Si ce dernier a quelque chose d’un sac à patates verdâtre, bien d’autres usent de la dentelle et du voile, de plumes et de canines, de cuir et de tissus, ou de la ficelle soigneusement et tendrement tissée pour La Flute enchantée de Mozart, dont on expose ici quelques partitions autographes. Ces visages scéniques aux peaux nouvelles sont évidemment plus que signifiants ; ainsi Œdipe arme sa couronne de cruelles cornes d’ivoire, soit les griffes du sphinx qu’il a terrassé : lui serviront-elles à crever ses yeux une fois la révélation de l’inceste commis et du meurtre du père ? Peu à peu, et au cours de sa carrière, Werner Strub s’est éloigné de la brutalité du cuir, de la cuirasse aux coutures chirurgicales volontairement primitives, pour affiner son artisanat, son esthétique, et recourir aux tissus, bientôt presque des gazes, d’arachnéennes et lumineuses concrétions filaires…

 

Shakespeare : La Tempête, illustrée par Edmond Dulac, Piazza, 1912.

Shakespeare : Œuvres, Lemerre, 1875. 

Photo : T. Guinhut.

 

Le masque théâtral, et en particulier ceux de Werner Strub (1935-2012), est une appropriation culturelle au meilleur sens du terme. En ses masque-cagoules l’on devine un substrat plastique, voire chamanique, venu de l’art africain, des Papous, des Amérindiens et des momies égyptiennes. Ses créations, qui savent « penser avec la matière », entre l’éclat de rire du clown et l’inquiétude existentielle d’Hamlet, ont été au service des metteurs en scènes les plus contemporains, tels Bruno Besson sur les planches de Genève, Giorgio Strehler, Roger Planchon, mais aussi du chorégraphe Maurice Béjart. Ces derniers, comme le spectateur stupéfié que nous sommes, n’ont pu qu’être conquis par ces opérations esthétiques, ces transsubstantiations passablement vénéneuses, sinon morbides, qui contribuent à multiplier les potentialités du corps et de la voix, à hausser le spectacle théâtral à la hauteur de l’initiatique cérémonie, d’une dangereuse catharsis enfin.

C’est une exposition remarquablement intelligente et originale, à laquelle s’ajoute un catalogue d’une très élégante facture, si l’on excepte quelques marges trop courtes, et qu’il faudrait disposer au côté de La Voie des masques de Claude Lévi-Strauss[4]. Les commentaires et analyses, les notices efficaces et précises, tout est érudit et savoureux ; ils  coulent de la plume de Jacques Berchtold, de Patrick Dandrey, de Nicolas Ducimetière... Il n’y manque pas les témoignages de ceux qui ont chaussé ces objets du délit, le comédien Alain Trétout, qui voyait alors son audace libérée, Gilles Privat, louant une « violente poésie ». Lisons avec délectation Laurette Burgholzer, qui, en historienne avisée de la chose, aime nous parler de « masque métaphore » et nous apprend qu’il a pu être considéré comme « une défiguration de l’image de Dieu, un blasphème », et que le spectacle médiéval le cantonnait aux êtres diaboliques… Ainsi masquée et révélée, la Fondation de l’ange de la bibliophilie, Martin Bodmer, rejoint le prestige de ses précédentes expositions et publications, bellement consacrées à Frankenstein[5], à Guerre et paix[6], aux Routes de la traduction[7]. En ce sens le plasticien Werner Strub est un traducteur, qui s’avance masqué : « Larvatus prodeo[8] ».

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[2] Exposition du 16 octobre 2020 au 11 avril 2020.

[4] Claude Lévi-Strauss : La Voie des masques, Albert Skira, 1975.

[8] «  Je m’avance masqué ». René Descartes : Cogitationes privatae, Œuvres, Vrin, t X, 1986, p 213.

 

Edouard Fournier : Le Théâtre français au XVI° et au XVII° siècles,

Laplace, Sanchez & cie, 1890.

Storia del teatro moderno e contemporaneo, Einaudi, 2000.

Photo : T. Guinhut.

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22 octobre 2020 4 22 /10 /octobre /2020 17:08

 

Temple d’Antonin et Faustine, Forum, Roma.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

L’empire de Rome, de César à Fellini.

en passant par Caracalla.

 

 

 

Tout César, traduit du latin par Alessandro Garcea,

Bouquins, Robert Laffont, 2020, 960 p, 30 €.

 

 

Patrice Faure, Nicolas Tran, Catherine Virlouvet :

Rome, cité universelle. De César à Caracalla, Belin, 2018, 882 p, 49 €.

 

Claire Sotinel : Rome, la fin d’un empire. De Caracalla à Théodoric,

Belin, 2019, 688 p, 49 €.

 

Jean-Noël Castorio :

Rome réinventée. L’Antiquité dans l’imaginaire occidental de Titien à Fellini,

Vendémiaire, 2019, 448 p, 24 €.

 

Rome ! À ce nom, les légions de l’Histoire se lèvent aux quatre coins de la Méditerranée, les temples résonnent des augures invoquant Jupiter et Mars, les cirques hurlent les noms des gladiateurs, les bibliothèques bruissent des textes de Cicéron… Toutefois le nom qui sonne le plus intensément dans les mémoires est peut-être celui de César, césure et trait d’union entre la République, qu’il abattit, et l’Empire, chapeauté par son fils adoptif, Auguste. Or pour prendre en écharpe l’empire romain, rien ne vaut les deux forts volumes encyclopédiques des éditions Belin, intitulés Rome, cité universelle. De César à Caracalla et Rome, la fin d’un empire. De Caracalla à Théodoric. Bien qu’entièrement ruinée, Rome encore se dresse un empire dans l’imaginaire occidental, sans cesse vivante au travers de la littérature, de la peinture et même du cinéma, jusqu’au surprenant Fellini.

Le lecteur français aimanté par Caius Julius Caesar pense immédiatement au conquérant du commentaire sur La Guerre des Gaules ; quoiqu’il soit difficile d’en séparer La Guerre civile. Le genre, attesté depuis les mémoires de Sulla, hélas disparues, est d’ordre historiographique et autobiographique : l’on sait que son auteur emploie l’honorifique troisième personne : « César envoya des éclaireurs et des centurions pour choisir un camp ». C’est entre 58 et 45 avant Jésus Christ, que ces haut-faits se déroulent, du premier coup de mains contre les tribus gauloises à la défaite des partisans de Pompée. Outre l’auto-éloge qui vise à faire connaître ses qualités et s’assurer un réel pouvoir politique parmi les colonnes du forum romain et bien au-delà, l’intérêt de ces textes dépasse la dimension stratégique et diplomatique mise en œuvre par le général. Car bien des connaissances sur nos ancêtres les Gaulois, qui ne voulaient pas de l’écriture pour préférer la transmission orale des connaissances, en particulier entre druides, nous viennent des pages de César. La figure de l’Arverne Vercingétorix est évidemment exaltée, de façon à mettre en valeur le mérite de César, dans une démonstration sans cesse animée par l’intelligence : « Il ajouta qu’il n’aimait pas moins dans un soldat la docilité et la retenue que la fermeté et la bravoure ». La Prise d’Alesia est un modèle de récit épique, s’achevant par la reddition de Vercingétorix dont « les armes sont jetées à ses pieds ». Et pour reprendre les mots d’Alessandro Garcea, « à l’instar de la Guerre des Gaules, la Guerre civile est une œuvre apologétique, fondée sur deux arguments : la liberté du peuple romain contre le pouvoir d’une faction minoritaire et le soutien que les troupes du leader charismatique rencontrent en Italie et ailleurs ». À la longue défaite de Pompée, font suite la Guerre d’Alexandrie, les Guerre d’Espagne et d’Afrique, qui sont des textes apocryphes.

Et puisqu’il s’agit de Tout César, nous voilà surpris par ce que l’auteur de ces modestes lignes ignorait superbement : Il écrivait des discours, des correspondances, ce qui aurait dû tomber sous le sens du moindre historien sensé, tant un Romain de famille patricienne devait connaître et pratiquer l’art oratoire et des lettres, celui de la rhétorique. Que le général fut bien plus qu’un soudard, nous ne l’ignorions pas, mais au point d’apprendre qu’il écrivit des Traités, nous voici stupéfait, tant une imagerie venu d’Astérix le Gaulois nous bouchait la vue. Nous le découvrons auteur de L’Analogie, un traité de grammaire où importe « la sélection lexicale ». Car à la rhétorique ornée de Cicéron son contemporain et rival politique, il préférait la limpidité et l’exactitude au service de l’écriture ainsi que de cet art oratoire qui avait tant d’importance chez les Romains. N’oublions pas à cet égard que César, outre la création du calendrier Julien, fut à l’origine de l’édification d’une bibliothèque publique qui ne fut réalisée qu’après sa mort. Quant aux Poèmes (dont un Voyage) et au Recueil de bons mots, tout est perdu, sinon de très minces bribes de Discours

Cette édition césarissime est solide et généreuse. Consultez ses cartes des tribus gauloises et des déplacements de l’armée de César jusqu’en Egypte. Ouvrez son index, cherchez et trouvez Crassus et Cléopâtre, qui « avait donc orné son appartement avec splendeur et son lit avec somptuosité ; elle s’était en outre parée avec une négligence affectée ». L’on sait qu’avec son Jules, elle aura un fils, Césarion. Grâce à Alessandro Garcea, traducteur émérite, érudit scrupuleux, cette édition vient ranimer sur les rayons de nos bibliothèques, un vide de la mémoire.

Né en 100, nommé dictateur en 49, Assassiné par Brutus et un complot de sénateurs, la comète de sa gloire inspira la stratégie napoléonienne et les historiens de la Gaule, les dramaturges Shakespeare et Voltaire. Cependant est-on sûr de devoir apprécier sa mise au pas de la République, sa « bureaucratisation » de l’Etat, selon le mot de Suétone, et qui mit fin à un certain libéralisme romain[1] ? De celui qui fit l’objet d’une biographie par Napoléon III, et si l’on ne lit guère le latin, il reste le plaisir visuel et furtif de l’édition bilingue et surtout complète tant que faire se peut d’un homme universel et cependant vigoureusement controversé.

Assassin de la République et prélude à l’empereur qu’il eût pu devenir, César confia les rênes du pouvoir à son fils adoptif, qui put devenir César sous le nom d’Auguste. Rome est depuis lors gouvernée par une longue chaîne d’empereurs, jusqu’à ce qu’en 476 Romulus, un enfant que l’on surnomma par dérision « Augustule », dépose les armes auprès d’un roi goth : Odoacre. C’en était finit de l’empire.

Pour voir défiler avec une solide érudition cet empire aux aventures prodigieuses, à la civilisation brillante, au destin finalement malheureux, rien ne vaut la double somme des éditions Belin. Avec une pagination passablement monstrueuse, environ 1800 pages à eux deux, Rome, cité universelle. De César à Caracalla et Rome, la fin d’un empire puis Rome la fin d’un empire. De Caracalla à Théodoric nous offrent, avec une avenante narration et un luxe de documents, cartes et illustrations, un imbattable panorama historique.

         En une fresque aussi monumentale que son sujet, Rome, cité universelle. De César à Caracalla conte l'apogée d'un empire qui se considérait comme le centre et le sommet du monde connu. Une petite cité d’abord excentrique, si l’on songe à la Grèce, parvint au cours des siècles de sa République puis au premier siècle de son Empire à dominer un territoire démesuré, entre Écosse et Danube, entre Atlantique et Proche-Orient, jusqu’aux marges du désert africain et de la Germanie, et à assoir sa domination afin d’imprimer en profondeur les marques de sa civilisation. Au point que l'histoire de tous ces territoires en soit marquée de manière indélébile. Une telle pax romana, quoique obtenue au fil de l’épée des légions, tient non seulement à la force et aux prouesses technologiques, au confort et à la prospérité des villes romaines, mais aussi à une conception ouverte de la citoyenneté, malgré un régime passablement tyrannique. Le recensement de 70 av. J.-C. régla un conflit qui avait opposé Rome aux Italiens, une vingtaine d'années auparavant. Tous les hommes libres de la péninsule formèrent désormais le populus Romanus. Près de trois siècles plus tard, en 212 apr. Jésus Christ, Caracalla attribua le bénéfice de la ­civitas Romana à tous les habitants libres de l'empire. Garants d'une domination qui se voulait universelle, et qui avait pour siège la plus grande ville de l'Antiquité, les princes adaptèrent la Cité au gouvernement du monde. Voilà probablement l’une des raisons pour lesquelles l’on a pu diviser en deux volumes, distribués à des auteurs différents, autour du pivot que devient ainsi l’empereur Caracalla. Bientôt, absorbant toutes les religions locales, Rome se vit absorbée par le Christianisme. Avec Constantin, au IV° siècle, et malgré les résistances, y compris celle de l’empereur Julien qui souhaitait retourner au paganisme, l’empire devint durablement chrétien, avant de se séparer en deux entités, d’Occident et d’Orient. L’on sait que la seconde, sous le nom de Byzance, put perdurer un millénaire de plus que la première.

Puisant aux sources d’un immense trésor archéologique et esthétique, sculptures, cirques, villas, médailles, peintures, d’une bibliographie aussi bien antique que moderne s’attachant les historiens les plus documentés, ces deux volumes peuvent être considérées comme une Bible de la romanité. Que l’on peut compléter en toute confiance avec le précédent opus dirigé par Catherine Virlouvet, qui commence à Rome, 70 avant Jésus-Christ, soit de la fondation de la ville éternelle à Jules César, en un triptyque bellement encyclopédique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autant sinon plus que la langue latine, l’imagerie romaine continua et continue encore pour les siècles des siècles de rayonner. Ce dont témoigne Jean-Noël Castorio en son essai : Rome réinventée. L’Antiquité dans l’imaginaire occidental de Titien à Fellini. Sans nul doute - et il le sait - l’essayiste exagère en affirmant que « l’Antiquité n’existe pas », mais il faut admettre qu’elle n’existe en fait de connaissances exactes qu’en terme de représentation, voire de fiction, de fantasme. Cependant « elle n’a jamais cessé d’être : elle n’est pas un temps résolu ; elle est le présent ». C’est en effet ce qu’il montre efficacement au travers d’une dizaine d’exemples, en autant de chapitres associés à des événements fondateurs, voire mythiques, des personnages charismatiques, mais surtout leurs réécritures par les artistes qui s’en sont nourris, peintres, écrivains et cinéastes.

Le « viol de Lucrèce », matrone et héroïne romaine qui se donne la mort non sans exiger la vengeance à l’encontre du vil Tarquin, augurant ainsi de la République, est « la métaphore de la cité ». Le récit de Tite-Live devient un modèle pour les Pères de l’Eglise, tel Tertullien qui la donne en exemple aux martyres chrétiennes, quoique Saint Augustin n’approuve pas son suicide. Symbole de la chasteté et de la victoire morale de la vertu contre le vice, elle est peinte, somptueusement vêtue, par Lorenzo Lotto, par Titien qui la montre nue, menacée par le poignard de Tarquin.

La « gloire des vaincus » fait rêver, que ce soit celle des Carthaginois revus par Gustave Flaubert en son splendide roman Salammbô, qui fit dire à Sainte-Beuve, « On la restitue, l’Antiquité, on ne la ressuscite pas », ou celle des « damnés de la terre », ces esclaves révoltés sous la conduite de Spartacus puis crucifiés par milliers, mis en scène par les péplums et les séries, souvent au mépris de la véracité historique, naviguant entre manichéisme et politiquement correct. Songeons également à l’admiration de Karl Marx pour Spartacus, aux spartakistes, sous l’égide de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, qui tentèrent d’instaurer une république socialiste au service de la cause prolétarienne dans l’Allemagne de 1915 à 1919.

 

Jusqu’à la chute de l’empire, en passant par le tyrannicide à l’encontre de Jules César, l’on montre ici combien l’imaginaire bouillonne pour que fleurissent les tragédies shakespeariennes et les tableaux académiques de Jan Léon Gérôme, comme « La mort de César » en 1859, impressionnants au point de susciter en 2000 la créativité du cinéaste de Gladiator : Ridley Scott.

Qu’il s’agisse de « l’art du massacre », emprunté aux guerres civiles et aux « sanglants lendemain des ides de Mars », qui horrifièrent les tableaux baroques et classiques, de « l’éros romain », qui permit à Forberg[7] de compiler en 1824 un « kamasutra romain », soit le Manuel d’érotologie classique, illustré en 1906 par les charmants et pornographiques dessins antiquisants de Paul Avril, l’art et la littérature font feu de tout bois républicain et impérial. L’on imagine que « Les Romains de la décadence », pour emprunter le titre d’un tableau de Thomas Couture de 1847, puis les cendres et les ruines des cités antiques deviennent des œuvres à grand spectacle…

 Et plutôt que les grandes fresques épiques, il est à remarquer combien l’amour de l’empereur Hadrien pour son bel Antinoüs, permit la naissance d’un roman, indépassable dans le genre, de Marguerite Yourcenar, qui publia en 1951 ses Mémoires d’Hadrien, aussi poétique qu’élégiaque et historiquement informé. Mais en un autre chapitre entier, c’est également Fellini qui attire tous les suffrages de notre essayiste, fasciné par Le Satyricon de Pétrone[8], dont il fit en 1969 un film baroque à souhait, où l’on voit déambuler et festoyer des débauchés aux beautés malsaines dans une atmosphère lourde de lupanar coloré, un film bien moins documentaire qu’onirique. Suivi bientôt en 1972 par Roma, dans lesquelles de somptueuses fresques découvertes s’effacent au souffle de l’air du dehors. Moralité, Rome n’est plus qu’un fantasme…

Entrelacé de vastes perspectives, l’essai aux onze volets de Jean-Noël Castorio, qui œuvra sur Messaline[9] et Caligula[10], est non seulement animé par une perspective originale, mais par un sens du récit haut en couleurs, sans oublier des qualités d’argumentations non négligeables. Il confronte avec une entraînante érudition les sources romaines et grecques (de Suétone à Plutarque). Il laisse également deviner que nous n’en pas fini de réinventer Rome, dans nos jeux vidéo, nos roman-graphiques, nos hologramme-cinémas, voire nos jeux du cirque de la télé-réalité…

Si Rome a pu être un modèle, puis un nid à fantasmes, sa chute reste un cas d’école pour l’historien, le philosophe, le politique. Si nous savons à son occasion combien les civilisations sont mortelles, sauront nous prévenir et enrayer la chute de notre civilisation, dont il faudrait espérer au moins conserver les ruines, dans ce que nous avons peut-être de meilleur, ruines techniques, morales, esthétiques...

Thierry  Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[4] Henri Bardon : La Littérature latine inconnue, Klincsieck, 2014.

[6] Abbon : Le Siège de Paris par les Normands, À l’Imprimerie royale, 1834.

[7] Friedrich-Karl Forberg : Manuel d’érotologie classique, Joëlle Losfeld, 1995.

[8] Voir : Des romans grecs et latins et de l'avenir des anciens

[9] Jean-Noël Castorio : Messaline, la putain impériale, Payot, 2015.

[10] Jean-Noël Castorio : Caligula, au cœur de l’imaginaire tyrannique, Ellipses, 2017.

 

Civilis Caesaris, Adriani Wyngaerden, 1651. Photo : T. Guinhut.

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17 octobre 2020 6 17 /10 /octobre /2020 18:25

 

Martyre de Saint-Etienne, Cathédrale de Bourges, Cher.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Violence anthropologique et vices politiques.

En passant par Walter Benjamin,

Laurence Hansen-Løve, Wolfgang Sofsky

& William T. Vollmann.

 

Walter Benjamin : Pour une critique de la violence,

traduit de l’allemand par Antonin Wiser, Allia, 2019, 64 p, 6,50 €.

 

Laurence Hansen-Løve : La Violence. Faut-il désespérer de l’humanité ?

Editions du Retour, 2020, 164 p, 14 €.

 

Wolfgang Sofsky : Traité de la violence,

traduit de l’allemand par Bernard Lortholary, Tel Gallimard, 1998, 228 p, 11 €.

 

Wolfgang Sofsky : Le Livre des vices,

traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau, Circé, 2012, 240 p, 21 €.

 

William T. Vollmann : Le Livre des violences,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Paul Mourlon,

Tristram, 1999, 960 p, 35 €.

 

 

Alors que l’Europe s’ensauvage, que Paris voit crimes et délits augmenter considérablement, que le terrorisme frappe ses rues à coups de feuilles de boucher et de kalachnikovs, répétant la litanie des martyrs chrétiens devenus martyrs agnostiques et laïcs, la violence, anthropologique, religieuse et politique, historique et culturelle, est un vice dont on se passerait bien. À moins qu’elle nous soit chevillée au corps, voire qu’elle soit nécessaire, tout au moins aux tableaux, poèmes et romans, voire symphonies, qui l’exaltent et la pleurent, de la colère de l’Iliade aux mélancolies de Guerre et paix. Cependant la violence du souverain policier est l’objet de la critique de Walter Benjamin, alors que Laurence Hansen-Løve craint de devoir désespérer de l’humanité. Quand Wolfgang Sofsky se fait l’historien et le clinicien de la violence, il la range en quelque sorte parmi son Livre des vices, sans guère d’illusion irénique, alors que William T. Vollmann plonge au sein de son Livre des violences au péril de son écriture et de sa vie.

 

Pulsion génétique, la violence a besoin de mythes, tant celui de l’Iliade, dont la colère est le premier mot, dont la guerre et les morts sont les conséquences, que celui de Marsyas, écorché vif par Apollon pour avoir prétendu être meilleur musicien que lui, dans les Métamorphoses d’Ovide[1]. Nous n’ignorerons pas le crime fratricide de Caïn sur Abel. Ce premier meurtre, parmi ceux infligés par les dieux et les hommes, n’est que l’inaugural maillon d’une longue chaîne qui culmina lors des totalitarismes, islamistes, fascistes et communistes, au cours des siècles. Les barbares Germains et Francs, Gengis Khan et Pol Pot, ou encore des écrivains comme Mutanabbî, qui « ne prend plaisir qu’aux jeux de guerre[2] », et Sade aimaient la violence comme une luxure,

Pourtant l’on doit, au contraire du préjugé commun, envisager l’idée qu’au cours des millénaires la violence n’a cessé de régresser. Si les mammifères qui nous précédaient n’étaient qu’environ 0,3 % à mourir en conséquence d’un conflit avec leurs congénères, les primates passent en l’occurrence à 2%, comme probablement les premiers hommes. Ainsi, selon Mark Bekoff, expert en comportement animal et professeur émérite au sein de l'université du Colorado à Boulder, l’on a tendance à exagérer la violence des animaux[3]. Or les tribus de l’Orénoque ont pu sacrifier dans des guerres tribales jusqu’à 60 % de leurs jeunes hommes. La période médiévale fut particulièrement meurtrière, avec une violence interhumaine responsable de 12 % des décès connus, entre invasions barbares, conquêtes islamiques, guerres de toutes sortes et criminalité urbaine et rurale. En revanche, au cours du siècle dernier, notre espèce s'est montrée relativement pacifique, ne s'entretuant qu'au taux de 1,33 % à travers le monde. De nos jours, le taux d'homicide des régions les plus pacifiques de la planète, comme le Japon ou la Suisse, peut descendre aussi bas que 0,01 %, offrant à notre portée une société pacifique.

Le dieu biblique est passé d’une violence punitive terrible et presque universelle en détruisant l’humanité, hors l’arche de Noé, en brûlant Sodome et Gomorrhe, à une alliance avec son peuple qui lui permit bien plus de bienveillance, évolution qu’il est permis de comparer avec celle qui fit passer les Furies de la Grèce antique au statut de Bienveillantes. « Il faut cependant abominer toute violence mythique, fondatrice de droit, que l’on est autorisé à dire arbitraire. Et abominer également la violence conservatrice de droit, cette violence administrée qui est à son service. La violence divine, qui est insigne et sceau, jamais moyen d’exécution sacrée, peut porter le nom de violence souveraine[4] ». Ainsi, en une apothéose mystique, Walter Benjamin conclue-t-il son bref essai Pour une critique de la violence, quoiqu’il l’eût plus exactement placé sous l’égide d’une conviction anarchiste.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le philosophe de Paris capitale du XX° siècle[5] et lecteur émérite de Baudelaire[6] parait défendre une vision passablement conservatrice, ce qui n’a rien de déshonorant, en concédant, ce de manière paradoxale, la violence légitime à une police émanant d’un pouvoir fort : « son esprit est moins dévastateur dans la monarchie absolue, où elle représente la violence d’un souverain qui réunit en lui l’omnipotence législative et exécutive, que dans les démocraties, où son existence, soutenue par aucune relation de ce type, témoigne de la plus grande dégénérescence possible de la violence ». Ne soyons pas dupe d’une fausse nostalgie. Méfions-nous, tant « l’intérêt du droit à monopoliser la violence au détriment de l’individu ne s’explique pas par l’intention de défendre les fins légales, mais bien plutôt de protéger le droit lui-même ». En ce sens le droit peut être injuste et peut-être délégitimé en passant du droit naturel au droit positif, comme le note Leo Strauss[7]. Cependant, et au-delà de ce « service militaire [qui] est un cas d’usage de la violence conservatrice », Walter Benjamin en recherche avant tout la légitimité : « En tant que moyen, toute violence est soi fondatrice, soit conservatrice de droit. Si elle ne prétend à aucun de ces deux prédicats, elle renonce d’elle-même à toute validité ». Mieux encore elle est en quête de paix, comme en passant par Machiavel d’ailleurs qui privilégiait « vertu contre fureur[8] » : « Aux moyens légaux et illégaux de toutes sortes qui relèvent sans exception de la violence, il faut effectivement opposer, en tant que moyens purs, ceux qui bannissent la violence. La civilité cordiale, la sympathie, l’amour de la paix, la confiance ».

L’on pourrait trouver à discuter la thèse de Benjamin qui, à la suite de Gorges Sorel[9], prétend que « la grève générale », et donc son programme révolutionnaire,  exclut « toute fondation de droit », prétendant qu’ « à cette conception profonde, morale et authentiquement révolutionnaire, on ne peut opposer aucune considération qui voudrait stigmatiser ce type de grève générale du nom de violence en raison de ses conséquences possiblement catastrophiques ». Au nom du « droit à la violence » de la classe ouvrière organisée », qui aurait pour seul mérite illusoire de détruire la violence juridique et étatique, le spectre de Marx et le déni de la violence populacière autant que révolutionnaire hantent déraisonnablement et dangereusement Walter Benjamin qui, écrit en 1921, soit sans encore guère de connaissance du pouvoir bolchevique et de son totalitarisme…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La question de la moralité de la violence traverse sans cesse le discours politique. Entre violences policières et violences antipolicières, notre temps ne sait plus où placer le cursus de la défense des libertés, donc celui de la légitimité, non plus au sens des lois, guère appliquées d’ailleurs, mais au sens de l’intégrité de l’individu et de la propriété.

Après avoir tenté d’« oublier le bien et de nommer le mal[10] », dressé un tableau de L’Art, de Aristote à Sonic Youth[11], Laurence Hansen-Løve prend bien garde d’être violente dans son appréciation du sujet qui nous occupe. Cette violence est-elle objective ou subjective, est-elle une fatalité abjecte ou un espoir, légitime ou illégitime ? Aussi tente-t-elle de ne pas « désespérer de l’humanité ».

Certes les homicides, les tortures, les plus vastes guerres et l’esclavage ont considérablement régressé, comme le confirment les chiffres et les analyses de Steven Pinker[12], parmi les pages documentées de son essai La Part d'ange en nous, sous titré « Histoire de la violence et des son déclin  ». C’est toutefois un peu trop oublier la persistance, voire le regain de l'esclavage, sans oublier la permanence, voire le regain des dictatures, les attentats terroristes et l'entêtement continu « de traditions religieuses archaïques ». D’autant que notre essayiste, notant que les religions ont « pour vocation de capter, d’encadrer et de canaliser la violence », omet l’Islam, qui de par sa coranique essence, doit se montrer génocidaire de tout ce qui ne se plie pas à son diktat. Quant à la thèse de Maurice Bellet - dans Le Dieu pervers[13] - à l’égard du Christianisme selon laquelle « il n’a pas plus cruel, plus exterminateur […] que cet amour qui s’imagine être la toute-puissance », elle n’est valable que pour le Dieu vengeur du début de l’Ancien Testament, ce qui n’écarte pas le risque inhérent au monothéisme, soit son intolérant rejet des autres dieux.

Or « la violence n’est pas une donnée naturelle », postule Laurence Hansen-Løve, sauf du point de vue subjectivement humain de qui est abattu par un tigre ou une avalanche. Elle n’est réellement violence qu’à l’aide du pouvoir d’une main, et « qu’à partir du moment où elle touche des rapports moraux », pour reprendre l’essai précédent de Walter Benjamin. En outre, il faut penser au « caractère protéiforme et indécis du concept », tant au-delà du ravage physique s’étend le territoire du désastre psychique, si l’on pense au harcèlement, ou à l’euphémisme des incivilités par exemple. De plus, il peut s’étendre à l’animal battu ou enfermé, à la nature sujette à un « écocide » qu’il faut peut-être criminaliser…

Néanmoins la violence peut-être au service de la liberté. Reste à savoir où placer le curseur. Car la « complaisance marxiste à l’égard de la violence » ne peut se prévaloir de l’argument de la violence bourgeoise, confondre justice et vengeance et justifier la terreur révolutionnaire, alors que le but de l’Etat libéral est d’aboutir à une non-violence. Aussi la violence de l’Etat, aussi légitime soit-elle, est bien plus une contrainte au service de la justice, de la paix et de la liberté.

Il n’y a pas de violence légitime, semble penser Laurence Hansen-Løve, y compris la « contre-violence », qui ne doit pas céder le pas à la loi et au droit. À moins que le violent ne puisse comprendre que la violence qui le briderait… Toutefois, il n’est pas certain qu’il faille donner crédit à tout ce qui « blesse mon identité familiale, nationale ou religieuse » : auquel cas l’on bannirait toute parole critique, toute altérité de la pensée et de l’expression, donc la liberté. Serions-non alors coupables de nous laisser choquer ?

Si la violence est indubitablement un moteur de l’Histoire, elle n’est pas aussi massive que le prétend François Cusset, dans son Déchaînement du monde, dont l’anticapitalisme obsessionnel et la confusion intellectuelle affaiblissent considérablement le propos, et auquel nous avons déjà fait un sort[14]. Certes, au travail, dans les manifestations, sinon partout, les violences essaiment.

Cependant la non-violence est-elle une permission faite à la violence d’autrui, voire une incitation ? Si celle de Gandhi se dressait contre des Britanniques passablement civilisés et ainsi put être efficace, celle qui affronterait le fascisme nazi, le communisme, ou l’islamisme se verrait balayée faute de volonté politique et de moyens considérables et pugnaces. C’est en quelque sorte ce que défend Günther Anders, dans La Violence : oui ou non ? Une discussion nécessaire, qui prétend qu’il faut tuer ceux qui sont prêts à tuer l’humanité[15] , omettant la question de l’intention qui n’est pas encore une réalisation. À cet égard la liberté doit indubitablement avoir les mains armées, dans le cadre d’une guerre juste, d’une violence éthique : « Si vis pacem para bellum », disait l’adage antique, soit, « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Il faut cependant prendre garde qu’un tel raisonnement pourrait justifier le recours à la violence au service de bien des causes, par exemple l’éco-terrorisme ou l’anticapitalisme. Et savoir que la culture de l’ennemi et la sortie des armes de leur étui risquent l’oubli des considérations morales. Peut-être peut-on « changer le monde sans faire couler le sang », comme l’espère Laurence Hansen-Løve, mais peut-être pas sans de nouveaux avatars du totalitarisme, par exemple écologiste.

L’essai de Laurence Hansen-Løve a non seulement le mérite de la clarté très informée par des références philosophiques nombreuses sans cuistrerie ni obscurité, mais aussi de soulever maints questionnements judicieux sur une violence, ce « virus mutant », qu’il est, au rebours du préjugé, délicat de définir et de juger, voire de condamner, en ses nombreux aspects ; et de laisser ouverte la critique du lecteur, comme en une opération maïeutique, qui viserait à accoucher d’une maturité philosophique et sociétale. Cependant il semble qu’elle s’illusionne en croyant naïvement que le Tribunal Pénal International puisse être pur de toute intention idéologique, de toute pulsion tyrannique, et en ne voyant qu’à l’extrême-droite des violences à venir, l’autre bout du spectre, à gauche (ce dont témoignent les Black-blocs), étant probablement plus à craindre. Ces derniers usent d’ailleurs à leur manière d’une violence « métapolitique », à l’instar des fanatiques de tous poils, comme le reconnait notre philosophe. Elle est « infrapolitique, s’il s’agit de masculinisme outrancier (il existe un tel féminisme) nourri de viols, de harcèlement et d’oppression de la gent féminine. Et la marche du progrès permet une « cyberviolence », qu’elle assume encore une fois des pulsions anthropologiques, personnelles ou politiques…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si les progrès scientifiques et ceux de l’humanisme ont pu faire considérablement reculer la violence, elle reste une pulsion paranoïde, une libido dominandi qui n’est hélas pas près de s’éteindre. Aussi faut-il avoir en mémoire ses formes trop nombreuses. Ce sont, déclinées, les douze heures du jour de la violence de l’humanité, en autant de chapitres au long de l’essai du sociologue allemand Wolfgang Sofsky : Traité de la violence. Car elle est « inhérente à la culture », et « la culture est au service de la violence ». Aussi le catalogage de notre sociologue allemand va de l’arme à la culture, en passant par la torture, les spectateurs, l’exécution, le combat, la chasse, les « massacres festifs », la destruction… Cette violence antique et également contemporaine s’illustre sous sa plume par de petits récits, des apologues en fait, dans la tradition philosophique Hobbes et de Rousseau ; en passant par David et Goliath, Bacon peignant une crucifixion, Saint Brandan et la programmation des tortures infligées à Judas, Saint Augustin confronté aux cruels jeux du cirque, la guillotine de 1792… Lors, la torture antique, manuelle, outillée, en passant par l’inquisition, s’adjoint de modernes moyens technologiques, jusqu’aux médecins nazis. La « jubilation du public » associe sadisme et catharsis, la fièvre du combat et de la chasse satisfait le besoin d’intensité du guerrier, du lyncheur, du terroriste, mieux que l’orgasme…

Ainsi un ordre, clanique, royal, impérial, communiste, fasciste, théocratique, voire démocratique, accouche-t-il d’un cycle de violences. Parmi les camps de concentrations et d’extermination, goulags et logaï, la terreur sûre d’elle-même et de sa légitimité se met au service d’un ordre dystopique et totalitaire. La violence peut-être fondatrice de l’Etat, un peu comme le postulait avec Caïn ou la crucifixion  René Girard dans Des Choses cachées depuis la fondation du monde[16]. En ce sens, et constitutive de l’humanité, y compris lorsqu’elle est le nécessaire ressort de l’émulation, de la concurrence et des progrès qui rejettent ce qui est obsolète, y compris les hommes qui en sont les acteurs, elle n’est pas près de s’annihiler.

Wolfgang Sofsky est-il trop pessimiste en affirmant que « la culture n’est nullement pacifiste » ? « Les intervalles pacifiques ne sont que des épisodes », écrit-il en 1996 ; que dirait-il au regard du choc des civilisations, ou de la civilisation et du retour de la barbarie, entre Occident et Islam, qui va s’aiguisant ? Pourtant l’humanité va mieux, les famines diminuent, l’espérance de vie et la prospérité économique vont croissant…

Un vice est-il plus amusant qu’une vertu ? Essayez donc d’affrioler le lecteur avec cette dernière… Après avoir dressé un catalogue édifiant dans son Traité de la violence, l’essayiste et sociologue allemand Wolfgang Sofsky bâtit son Livre des vices, qui sont, comme chacun sait, l’envers des vertus. À cette impressionnante énumération, illustrée d’exemples nombreux, il manque cependant une réflexion plus soutenue sur le pourquoi de la quasi disparition de cet ancien concept des vices parmi notre horizon éthique. En ce partage du bien et du mal qui pourrait paraître au lecteur un brin moralisateur, voire obsolète, il ajoute heureusement sa patte personnelle et contemporaine, d’autant plus pertinente qu’elle se double d’une inscription des vices privés dans la dimension indispensable des vices politiques.

Dépoussiérant nos catégories, Sofsky ne se contente pas de la liste des sept traditionnels péchés capitaux établie par Saint-Augustin : avarice, luxure, gourmandise, envie, colère, paresse et orgueil, ils sont en effet à l’origine de tous les délits et crimes. Ainsi, en une nouvelle typologie aux dix-huit entrées, nous voyons disparaitre la gourmandise, qui ne prive plus autrui de nourriture, mais qui conduit pourtant bien souvent à l’obésité et autres dégâts sur la santé. La luxure est elle aussi effacée de son moderne panorama, quoique l’on puisse se demander en quoi elle concourt aux maladies sexuellement transmissibles, sans compter le népotisme. En fait chacun de ces vices personnels peut être le déclencheur d’une violence envers autrui…

Cependant, notre sociologue des mœurs  entreprend un toilettage de quelques vieux péchés : l’envie est aujourd’hui « la jalousie », « l’avarice » s’adjoint « la cupidité », l’orgueil se scinde en « prétention » et « arrogance », comme si des concepts s’étaient démodés, passant de la dimension religieuse à celle de la vie sociale. En revanche, au-delà des mises à la trappe, faites peut-être avec un peu de légèreté, et des rhabillages séculiers, apparaissent des nouveaux venus. L’on comprendra que le trio lâcheté, soumission et indifférence soit justement examiné, mais l’on sera plus étonné, mais finalement convaincus, que l’auto-apitoiement puisse trouver ses lettres de laideur morale. Mieux encore, la vulgarité  prend place avec hauteur - et non sans perspicacité - parmi ce vaste podium.

Nous sortirons alors plus humbles de cette lecture de nos vices privés et intimes, qui ne manquent pourtant pas d’exaspérer autrui. A la satire de nos contemporains, en une sorte de réécriture des Caractères de La Bruyère, s’ajoute, en un miroir infaillible, l’examen que chacun peut faire de soi. N’y a-t-il pas en chacun d’entre nous au moins un peu de chacun de ces vices ? Ainsi la satire de « la paresse », de « l’intempérance », de « l’insoumission » ou de « la fourberie » finit par composer une pitoyable fresque personnelle et de société, faite de portraits incisifs, aisément reconnaissables, qui appelle la nécessité de s’amender…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À cet essai surprenant, pertinent, manque toutefois de fouiller le pourquoi de l’effacement de la catégorie des vices dans nos sociétés occidentales. Il cherche plus à réaliser un édifiant tableau descriptif, plutôt qu’à démêler des causes. « La morale du plaisir semble avoir détrôné la vieille morale vertueuse. » explique-t-il… Certes. Gourmandise, envie et cupidité peuvent être aujourd’hui aisément satisfaites et parées des prestiges de l’hédonisme et de l’ostentation festive, de la fierté, voire de la jouissance communicative et consensuelle. Mais il ne faudrait pas oublier que l’on peut considérer l’avarice et la cupidité, depuis La Fable des abeilles de Mandeville[17], comme des vices privés qui concourent aux vertus publiques, au moyen de l’épargne, du travail et de l’investissement productif capitaliste. De plus, les diktats religieux, depuis les Lumières et le positivisme, sans compter les analyses nietzschéennes du substrat du ressentiment dans la religion, ont reculé au point de faire perdre une grande partie de sa légitimité au jugement moral, au profit de l’utilitarisme. Mais surtout, il faut compter avec l’idée, cohérente avec le concept de responsabilité, selon laquelle les vices ne sont pas des crimes. D’une manière ou d’une autre, une société centrée sur l’interdépendance de ses membres et affectée par les pénuries et les dangers, a pu voir rapidement les vices privés déboucher sur des conséquences publiques. Aujourd’hui nos richesses et un individualisme bienvenus permettent que nos vices ne soient que d’éventuelles salissures intimes. Quoiqu’ils ne soient pas sans rebondir sur la sphère publique.

Renouvelant et contextualisant le champ des vices, notre sociologue montre qu’une typologie et un jugement moraux contemporains peuvent enrichir et corriger le patrimoine éthique et social de l’humanité. La perspicacité politique de cet ouvrage est alors fondamentale, quand « la crédulité est un des fondements de la démocratie moderne », quand « l’indifférence » est trop souvent confondue avec la tolérance, faute de concevoir une universalité du bien. Soksky s’élève alors contre le relativisme et son incapacité à concevoir les travers humains autrement qu’à travers le prisme des aires culturelles. Mieux, il fustige la chute morale de notre démocratie et du système majoritaire : « Depuis, dans l’ochlocratie[18], n’a plus cours que la rustrerie de la bassesse. Les séides sont toujours à disposition pour l’invective. » Ou encore : « la paresse des représentés est considérée comme une vertu politique ».

C’est lorsque ces vices deviennent  collectifs que la dimension politique de cet essai prend toute son ampleur, qu’il s’agisse de « la vengeance des geignards » responsable de sanglantes révolutions, ou de cette « lâcheté » qui « est l’une des principales causes du conservatisme », du moins d’un conservatisme paresseux, car il existe un conservatisme judicieux, comme peut le démontrer Roger Scruton[19]. Pire, notre sociologue observe une gradation ascendante, une spirale exponentielle du vice, terminant par « la soumission » et sa servilité, « la colère » et « sa puissance destructrice », et enfin « la cruauté » de celui qui « privilégie le soutien du pouvoir », quand « surveiller et punir sont ses tâches favorites ». Sofsky ferme alors de manière cohérente la boucle avec son précédent opus, Traité de la violence, montrant comment des vices intimes sont la source de ce vice collectif : la virulence totalitaire. Ces derniers, quotidiens, démocratiques, publics et politiques, sont hélas bien éloignés de l’idéal de liberté et de tolérance des Lumières. En ce sens, il serait bon de bon d’écrire un contre-miroir, un livre des vertus, et surtout des vertus politiques[20], à l’instar d’André Comte-Sponville et son Petit traité des grandes vertus[21]

Pour prendre un bain de réalité qui devrait nous alerter, regardons les statistiques. « Plus de 120 agressions à l’arme blanche ont lieu chaque jour en France[22] » Les faits constatés de coups et blessures volontaires sont passés de 17 000 en 2014 à 25 000 par trimestre à la fin de l’été 2020[23]. Dans le même temps les violences sexuelles enregistrées ont doublé. Si l’on observe Paris entre 2013 et 2019, l’on y compte plus 27% de vols avec arme blanche, les coups et blessures augmentent de 46 %, les vols avec violence (sans arme) de 93 %, les viols, harcèlement et agression sexuelle de 100%, alors que s’envolent les vols à la tire, soit plus 684 % ! Ce n’est qu’un exemple de l’état du monde, où le vice des gouvernements pusillanimes et d’une justice débordée, tant par le nombre que par une idéologie qui refuse la violence de la punition, s’adosse à une immigration incontrôlée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre baigneur dans un réel virulent, l’Américain William T. Vollmann plonge à mains nues au plus profond de son Livre des violences, ce au péril de son écriture et de sa vie. Il a en effet rédigé, tel un forçat, fouillant les bibliothèques et les mémoires, sept volumes en vingt ans, dont cette édition française est un condensé, quoique fort impressionnant du haut de ses 960 pages. Il n’a pas omis de courir sur les théâtres de la guerre, parmi une douzaine de pays, dont la Yougoslavie ou la Somalie, au risque d’y crever, puisqu’une attaque de sa voiture, en Bosnie, tua deux de ses camarades. Le récit et le témoignage côtoient donc l’érudition philosophique, théologique, stratégique, interrogeant tant les amoureux de la guerre, comme Ernst Jünger le fut pendant la Première Guerre mondiale, et les pacifistes.

Lui aussi interroge frénétiquement la dimension morale et immorale des acteurs et des penseurs, de façon à délimiter, si tant que faire se peut, la violence justifiée de celle injustifiable, par exemple lorsqu’il s’agit de « la défense violente du moi » : « Mon objectif, quand c’est possible, est de laisser brièvement le lecteur voir à travers les yeux de chaque acteur moral, et de donner des exemples de décisions humaines universelles. Aussi, successivement, parcourt-il les continents, entre génocides et « autodéfense ethnique », les différentes « défenses », celles de la race, de la patrie, des animaux, en un catalogue qui est l’envers de celui de Wolfgang Sofsky. Aussi offre-t-il sa complicité à l’autodéfense et aux « milices civiles », jusqu’à des extrémités parfois fort discutables, lorsque la « défense de la terre » le conduit à se reconnaître une certaine parenté avec cet « Unabomber » qui haïssait les technologues et les écocides au point de réaliser des attentats à la bombe meurtriers. Enfin, en une gigantesque énumération argumentée, il examine le « calcul moral » de Cicéron et de Lénine, de Jeanne d’Arc et de  Robespierre, de Sun Tzu et de Gandhi… Sauf qu’avec notre ogresque essayiste l’on ne sait pas réellement au bout du compte ce qu’est une « fin injuste » et une « fin juste », et pas plus qui doit en décider.

L’essayiste, également romancier[24], mais ici autant anthropologue que témoin personnel, n’ignore pas que « tuer est non seulement humain, mais proto-humain », depuis au moins Neandertal. La théologie biblique sait que « la violence est une sorte de poussière qui gît dans la maison de l’âme ». Les rivalités idéologiques et politiques ne peuvent pas ne pas savoir qu’elles entraînent trop souvent « le changement par le moyen du sang ». Hélas « aucun credo n’éliminera le meurtre », mais c’est « dans un esprit d’espérance » que William T. Vollmann écrit son « ouvrage d’éthique aux descriptions fleuries ». Une somme monstrueuse et prolixe, voire par moments surabondante, quoique de manière dommageable réduite quant aux enquêtes de terrain, est au service d’une l’humanité qui voudrait bien la lire avec humilité et humanité. Pourtant, ayant tendance à penser plus aux ressorts égoïstes que collectifs, et emporté par l’ardeur de son sujet, l’auteur parait ignorer que les violences ont globalement diminué sur la surface de la terre au profit de rapports sociaux plus pacifiques.

 

Puisque le vice n’est pas un crime, suivant Lysander Spooner[25], il n’est qu’une violence de la pensée que l’on devra bien supporter (comme l’on doit tolérer le blasphème) et qui n’est pas un acte de harcèlement, d’oppression et de sang versé. Toutefois, puisque ne suffit pas le « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas ce qu'il te fasse », il est alors indéniable de devoir compter parmi les vices politiques le laxisme et l’impuissance devant la violence. Est-ce à dire que, faute de croire en la vertu de la violence légitime et de la mettre en œuvre avec discernement, le ventre mou du politique encourage la dague qui déchire les biens, les esprits et les chairs de citoyens, au bénéfice des violences prédatrices, instinctuelles, jouissives, de barbares ; ou d’affidés et de séides dont l’idéologie, la religion cimentent de manière spécieuse la légitimité indue. Heureusement, quoiqu’il existe des pensées bien dangereuses, la dignité des penseurs permet de ne pas désespérer de l’humanité ; ainsi l’assure Laurence Hansen-Løve : « Le propre de l’homme n’est pas la violence mais la pensée ».

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Mutanabbî : Le Livre des sabres, Actes Sud, 2012, p 111.

[3] National Geographic, 09-2020.

[4] Walter Benjamin : Pour une critique de la violence, Allia, p 54.

[7] Leo Strauss : Droit naturel et histoire, Champs Flammarion, 2017.

[9] Georges Sorel : Réflexions sur la violence, France Loisirs, 1990.

[12] Steven Pinker : La Part d’Ange en nous. Histoire de la violence et de son déclin, Les Arènes, 2017.

[13] Maurice Bellet : Le Dieu pervers, Desclée de Brouwer, 1979.

[14] Voir : De la violence biblique et romaine à la violence ordinaire- d'aujourd'hui

[15] Günther Anders : La Violence : oui ou non ? Une discussion nécessaire, Fario, 2014, p 122.

[16] René Girard : Des Choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, 1978.

[17] Bernard Mandeville : La Fable des abeilles, dans Les Penseurs libéraux, Les Belles Lettres, 2012.

[18] L’ochlocratie désigne le pouvoir par le bas peuple.

[19] Roger Scruton : Conservatisme, Albin Michel, 2018.

[20] Le Dictionnaire du libéralisme, dirigé par Mathieu Laine, Larousse, 2012, pourrait jouer ce rôle.

[21] André Comte-Sponville : Petit traité des grandes vertus, PUF, 1995.

[22] Le Figaro, 16-02-2020.

[23] Ministère de l’Intérieur, Ouest-France, 04-09-2020.

[24] Voir : Vollmann : Guerre et paix en Central Europe

[25] Lysander Spooner : Le Vice n’est pas un crime, Les Belles Lettres, 1993.

 

Pinacoteca de Brera, Milano. Photo : T. Guinhut.

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11 octobre 2020 7 11 /10 /octobre /2020 07:49

 

Sestiere Canaregio, Venezia. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Cees Nooteboom,

 

lion vénitien de la beauté et de la mort.

 

 

Cees Nooteboom : J’avais mille vies et je n’en ai pris qu’une,

traduit du néerlandais par Philippe Noble, Actes Sud, 2016, 272 p, 22,50 €.

 

Cees Nooteboom : Le Visage de l’œil, traduit par Philippe Noble, Actes Sud, 2016, 352 p, 24 €.

 

Cees Nooteboom : L’Histoire suivante, traduit par Philippe Noble,

Actes Sud, 1991, 144 p, 85 F.

 

Cees Nooteboom : Le Jour des morts, traduit par Philippe Noble, Actes Sud, 2001, 386 p, 23,30 €.

 

Cees Nooteboom : Venise. Le lion, la ville et l'eau,

traduit par Philippe Noble, Actes Sud, 2020, 240 p, 25 €.

 

Cees Nooteboom : Tumbas. Tombes de poètes et de penseurs,

avec des photographies de Simone Sassen,

traduit par Annie Kroon, Actes Sud, 2009, 254 p, 45 €.

 

 

 

La sagesse d’un vieux lion voyageur anime Cees Nooteboom, l’écrivain dont l’œil a mille vies. Ce qui ne l’empêche en rien d’être attentif aux morts de ses personnages, comme de celles des écrivains qui l’ont précédé. Séduire la mort dans la vie, ou séduire la vie dans la mort ? Telle semble l’une des tâches que s’est assignée le néerlandais Cees Nooteboom, né en 1933 à La Haye, dont les lecteurs français semblent à tort bouder la dimension polymorphe, érotique, parfois sombre, et mémorielle. L’on entrera d’abord en son œuvre par la porte d’une anthologie, puis d’un recueil de poèmes qui couvre toute sa carrière. Au-delà de son engagement européen dans les essais de L’Enlèvement d’Europe[1], il faut compter sur la richesse psychologique et métaphysique, flirtant souvent avec notre disparition, de ses entreprises romanesques, comme  L’Histoire suivante et autres Jours des morts, et de ses récits de voyages, à la recherche de l’intensité et de la beauté, espagnols et vénitiens, jusqu’auprès des tombes…

 

Si on ne le savait déjà, ces deux recueils, une anthologie, J’avais mille vies et je n’en ai pris qu’une, et un recueil de poèmes, Le Visage de l’œil, confirment l’importance d’un écrivain de dimension au moins européenne, né aux Pays-Bas en 1933. Ils sont le couronnement d’une vingtaine de volumes traduits chez nous, récits de voyage, romans, essais… Rüdiger Safranski, célèbre critique et philosophe allemand (dont l’on aimerait voir traduit son bel essai sur le romantisme) a cru devoir présenter une anthologie qui est un portrait kaléidoscopique du maître, quoique trop rarement ponctuée d’inédits en français, dont le titre est parlant. En effet Cees Nooteboom a passé sa vie à multiplier ses vies et ses regards, à les transmettre et les transmuer en écriture. De « Pourquoi voyager ? » à « Aimer », en passant par « L’imagination, la mémoire », les problématiques inhérentes à l’humaine condition, comme les vies de l’écrivain, fourmillent.

L’on trouve comme de juste en cette pérégrination intellectuelle, des bribes venues des beaux poèmes réunis dans ce plus nécessaire Visage de l’œil : « La vie / on devrait pouvoir se la / remémorer / comme un voyage à l’étranger ». Voyage temporel également, puisqu’il s’agit là d’un demi-siècle d’écriture poétique, alors qu’il rend hommage au philosophe et poète de l’Antiquité Lucrèce, et à l’autre bout du spectre poétique mondial, au prince des haïkus, le japonais Bashô[2]. Cette cosmopolite curiosité est un « tableau sans peintre, / mon univers secret », au lecteur émerveillé offert, entre l’inquiétude d’un « Chagrin public » et la lumière de l’ « éternité de papier ». Curieusement, ces « gravats de grammaire », dont les plus brillants sont les plus récents, sont publiées dans un ordre inverse à la chronologie, comme s’il s’agissait de reculer jusqu’en 1956, là où « Les morts cherchent une maison ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aucune histoire ne trouve sa nécessité si elle n’a son « histoire suivante » : celle du lecteur qui l’infléchira en un sens nouveau. Et, enfin, celle qui légitimera toutes les histoires, celle où toute sa vie défile pour soi, comme pour le héros de ce beau roman intitulé L’Histoire suivante. Ainsi, dans la tradition du conte philosophique, Cees Nooteboom dispose son narrateur parmi cet interstice qui sépare la vie de la mort. Dans un hôtel de Lisbonne où, dans le passé, il est déjà descendu, ce dernier revit, en condensé d’instants réalistes et de méditations lyriques, toute sa biographie. Autant les péripéties de cette biographie sont étriquées, car il n’est qu’un terne professeur de latin-grec surnommé « Socrate », autant la part d’infini en est grande.

Exégète passionné de Platon, il lit avec feu, joue et revit devant sa classe la mort du maître des dialogues, en particulier celui sur l’amour : Le Banquet. En fait, il s’adresse à la seule Lisa d’India, sa chère élève en laquelle il voit un double charmant du disciple Criton. Mais c’est avec une enseignante en sciences naturelles, qui reconnaît la part de physique et de biochimie du corps humain, qu’il vivra une aventure adultère. D’où le petit drame commun et sordide, la bagarre avec le mari jaloux, par ailleurs amant de la belle Lisa. Désemparé par une telle situation, à laquelle l’auteur de Phèdre ne préparait pas, puis expulsé du professorat, le narrateur se réfugie sous le masque du rédacteur de guides touristique. Désormais, seule la part spirituelle de l’être humain lui importe. Espère-t-il, comme Socrate, rejoindre la jeune disciple, décédée entre temps, dans « la possibilité que nous avons de penser l’immortalité » ?

Cees Nooteboom écrit là un récit peu à peu fabuleux, qui culmine dans la qualité mythique d’un voyage en paquebot vers la quiétude d’un estuaire tropical. Pendant ce temps, dans une chambre d’Amsterdam, le corps souffrant de son personnage lutte et sue encore : « Je trouvais qu’il ferait bien de se dépêcher, la douleur que je voyais était aux antipodes du sentiment d’apothéose que j’éprouvais ici. » Pouvons-nous croire en cette sagesse, cette promesse lyrique ? Y-a-t-il une telle et splendide « histoire suivante » pour chacun de nous ? Peut-on encore, comme lui, espérer en un au-delà platonicien : « Tu n’as plus besoin de m’adresser des signes, je viens. Aucun des autres n’entendra mon histoire, personne ne verra que la femme qui m’attend, calmement assise, a pris le visage de mon cher Criton, de la jeune fille qui fut mon élève, si jeune que l’on pouvait avec elle s’entretenir de l’immortalité. Et c’est alors que je lui racontai, que je te racontai L’HISTOIRE SUIVANTE ». Voilà bien un espoir insensé, sauf si justement l’on y voit la transmission au lecteur…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le cinéaste du Jour des morts est un voyageur contemplatif qui s’est pris d’affection pour Berlin. Malgré, ou à cause, de sa nostalgie pour sa femme et son fils disparus dans l’attentat qui abattit un avion, Arthur Daane va s’engouffrer dans le désir, « tel un spermatozoïde solitaire ». Tour à tour offerte et refusée, la mystérieuse Elik Orange l’entraîne jusqu’en Espagne, jusqu’au voisinage des attentats terroristes.

  Rien d’un livre d’action ou de torride érotisme… La chair toute transparente du récit est celle d’une discrète introspection sans exhibitionnisme, d’une méditation errante, patiente, parfois monotone, souvent lumineuse. Pour qui se laisse prendre à ce roman élégiaque, le sens de l’observation de l’écrivain est un sésame sur les réalités et les accidents du monde : comme « un microphone aux dimensions de l’univers »… Cette longue et intimiste odyssée, parfois traversée par une amie, un sculpteur, met le lecteur à rude épreuve puisqu’il faut attendre la page 156 pour que lui soit présentée l’étrange Elik, qui ne brisera que partiellement la coquille de la solitude d’Arthur. Puis la page 233 pour que la mystérieuse étudiante consacrée à une reine espagnole médiévale, s’offre à lui, ou plus exactement, le prenne, avant de lui montrer qu’elle est bien « championne des adieux ».

Mais à rebours, on ne sait quel charme opère : c’est, en demi-teinte, une quête d’absolu, un absolu toujours différé, introuvable. Que ce soit en filmant dans les monastères zen, parmi la rumeur des attentats, des guerres, ou en méditant dans son impossible amour. A moins que le Désir d’Espagne[3] (pour reprendre son premier titre d’un récit de voyage vers Saint-Jacques de Compostelle) et sa mystique de la mort soient le vrai motif et qu’Elik ne soit qu’un alibi de cette déception prévisible sinon désirée… Car, contre le temps, que peuvent la caméra du cinéaste, l’art de l’écrivain, s’ils ne sont que le vide d’un « jour des morts » perpétuel ?

Quoiqu’également fasciné par la culture japonaise, si l'on pense à son récit Mokusei[4], l’Espagne est en effet un pivot sans cesse parcouru, interrogé, par Ceees Nooteboom. Déjà, dans Le Chevalier est mort[5], il emmenait un jeune écrivain sur les traces d’un camarade suicidé qui n’avait pu achever un livre racontant cette même histoire. La mise en abyme trouvait son acmé sur une île espagnole. Dans Le Labyrinthe du pèlerin. Mes chemins de Compostelle[5], il réunit l’écheveau de ses pérégrinations ibériques. Tour à tour touriste éclairé, voyageur d’arrière-saison dans d’âpres villages, parmi des villes bruissantes de culture baroque ou des paradores déserts, son périple informé, érudit, convoquant autant l’histoire religieuse que les écrivains enfantés par la langue de Cervantès, tient de la quête obscure et salvatrice d’un chemin de Saint-Jacques intérieur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pourtant, son voyage récurrent, le plus intime, le préféré peut-être, est celui qui depuis un demi-siècle l’amène dans la Sérénissime, soit la très sereine. Il y furète en curieux sans cesse renouvelé, il y médite en esthète. Placé sous l’égide du lion de Saint-Marc, Venise. Le lion, la ville et l’eau est le délicieux complément d'une pléthore de trop froids guides de voyage ; mieux, il a la liberté du flâneur et la méditation d’un écrivain scrupuleux, entre canaux et lagune, entre ruelles et palais, entre chambres désuètes et musées flamboyants, entre iconographie chrétienne et païenne. « Est-il possible qu’il y ait à Venise, plus de Madones que de femmes vivantes ? », se demande le visiteur, qui découvre des églises surchargées de peintures, avec « une lumière méditerranéenne qui dissout le péché ».

« Ville amphibie », Venise est « un antidote, une formule magique contre tout ce qu’il y avait de laid au monde », « un paradis de beauté » ; pourtant « une ville ne devient une ville que si, au fil du temps, s’y sont accumulés tant de contradictions que toute explication en est devenue impossible ». Car elle est une « toile d’araignées historiques », « une sorte de purgatoire […] pleine d’ombres ». Elles se nomment  Monteverdi et Wagner, Sainte-Thérèse et Casanova, ou encore le Thomas Man de Mort à Venise et le Proust de La Recherche du temps perdu. Ces derniers alors, bien que disparus, se font soudain plus vivants, surtout aux abords de Torcello, une île où « résonne l’écho byzantin de la cathédrale », où l’on se retrouve « dépouillé de l’actualité ». L’émotion devant le palimpseste des civilisations et des mouvements artistiques permet à l’écrivain de déployer autant l’ekphrasis, soit la description d’une œuvre d’art, face à Tiepolo ou Carpaccio, qu’une sorte d’autoportrait en esthète, en amateurs de concerts de musique polyphonique, mais aussi en gourmand de romans policiers vénitiens. Sans la moindre morbidité, il aime le cimetière juif, les tombes des doges « alpinistes », car elles sont perchées dans les églises ; il est à juste titre fasciné par La Tempête de Giorgione, qui orne l’Academia de sa « signification peinte » et restée mystérieuse…

Ainsi le livre de Cees Nooteboom, à la lisière du bréviaire de voyage, de la rêverie ailée et de l’essai, conçu sous forme d’« images narrées », est rapidement comptable d’un véritable enlèvement, celui du lecteur captivé, enchanté…

 

 

Si le sens de l’être humain n’a rien d’assuré, devant les vies dont il est le créateur, et a fortiori devant la mort, l’écriture de notre ami néerlandais reste une perpétuelle lentille de poésie et de métaphysique perlée… Car le requiem de Cees Nooteboom, quoique privé de dieu, n’est pas sans une palpable et durable émotion. Celle de l’élégie, de l’épiphanie, avant de se confier au noir tragique : « les morts ne nous laissent pas en repos ». Comme lorsqu’il se penche sur les plus grands écrivains, dans l'album Tumbas, illustré comme son Venise par les photographies de sa compagne Simone Sassen ; et plus exactement sur leurs poussières confiées aux pierres. Rien de morbide alors : « La plupart des morts se taisent. (…) Pour les poètes, il en va autrement. Les poètes continuent de parler. » Le parfum de la mort qu’il vient humer de par le monde est celui des « tombes de poètes et de penseurs », magnifiquement et avec respect photographiées ; mais aussi, de par l’empathie de ses commentaires, celui de la familiarité intellectuelle complice et intime. Avec Proust au Père Lachaise, Paul Celan à Thiais, Keats et Shelley au cimetière pour étrangers de Rome… Qu’ils soient Kawabata, Borges, ou Hölderlin, sachons que ces derniers seront un jour heureux d’accueillir parmi l’archipel de leurs cendres, un écrivain né en 1933, Cees Nooteboom lui-même, enfin apaisé.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

À partir de divers articles parus dans EuropeLa république des Lettres et Le Matricule des anges

 


[1] Cees Nooteboom : L’Enlèvement d’Europe, Maren Sell, Calmann-Lévy, 1994.

[3] Cees Nooteboom : Désir d’Espagne, Actes Sud, 1993.

[4] Cees Nooteboom : Mokusei !, Actes Sud, 1987.

[5] Cees Nooteboom : Le Chevalier est mort, Maren Sell, Calmann-Levy, 1996.

[6] Cees Nooteboom : Le Labyrinthe du pèlerin. Mes chemins de Compostelle, Actes Sud, 2004.

 

Torcello, Venezia. Photo : T. Guinhut.

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8 octobre 2020 4 08 /10 /octobre /2020 17:57

 

Masque nigérian, Arte Africana, da coleção de José de Guimarães.

Centro Internacional das Artes José de Guimarães, Portugal.

 Photo : T. Guinhut.

 

 

Métamorphoses du colonialisme

et de l'islamisme.

En passant par Jules Ferry, Franz Fanon,

Jacques Marseille, Achille Mbembe,

Guillaume Blanc, Bernard Rougier, Jean-Pierre Obin.

 

 

 

De quel colonialisme parle-t-on ? À peu près uniquement de celui de l’Europe occidentale sur l’Afrique, voire sur les Amériques. Alors qu’il s’agit d’un phénomène consubstantiel à l’humanité depuis la préhistoire, sinon depuis l’animalité. Les Babyloniens ont envahi la terre d’Israël et ont déporté ses habitants en esclavage à Babylone. Les Grecs se sont installés en Sicile, les Romains sur tout le pourtour méditerranéen, jusqu’au breton mur d’Hadrien et aux abords de la Perse, moissonnant leurs esclaves, l’Islam a conquis les trois-quarts de la Méditerranée, l’Indonésie et le Sahel, massacrant par pelletées et esclavagisant les populations. Seul l’Occident issu des Lumières et des libéraux, comme Victor Schœlcher, en 1848, a su libérer ses esclaves, mettre hors la loi l’esclavagisme et en débarrasser la plupart des pays d’Afrique à l’occasion de la colonisation. Cependant au dire des décolonialistes, la décolonisation de l’Après-guerre, soit il y a plus d’un demi-siècle, serait encore à parfaire, y compris dans les mentalités. Au risque d’oublier que le mouvement colonisateur ne souffre pas de coup d’arrêt, tant il retrouve des ardeurs depuis d’autres aires géographiques, voire en inversant la tendance, de l’Afrique vers l’Occident, en une colonisation islamique.

C’est au XVIII° siècle, soit celui des Lumières que le mot « colonie » introduit ses dérivés, « colonial » et « coloniser » sous l’impulsion des philosophe de l’Encyclopédie et de deux Indes de Raynal[1], dans le sens d’une exploitation économique de l’outre-mer. Ce n’est qu’à la fin du siècle suivant, en une acception marxienne, qu’apparait le « colonialisme », puis son corollaire « anticolonialiste », alors que dans les années soixante naissent « décoloniser » et « décolonisation », et plus récemment « décolonialisme. Le vocabulaire dit autant l’Histoire que l’évolution des mentalités et des idéologies. Or si l’on parle du colonialisme, c’est d’une part parce que seuls les Occidentaux ont su en discuter, en invalider l’idéologie et fournir les armes idéologiques nécessaires à ceux qui vinrent s’en plaindre, et d’autre part par esprit de revanche des descendants des colonisés.

N’oublions pas que l’impulsion précoloniale française en Algérie fut fournie par les prédations répétées des Maures. Outre une sombre histoire de dette et un consul français frappé « au visage d’un coup de chasse-mouches formé de plumes de paons », il s’agissait de « la destruction définitive de la piraterie, la cessation absolue de l’esclavage des chrétiens[2] ». En 1830 Alger fut prise et bombardée avant que l’Afrique devienne la proie des colons européens. La conquête des côtes, malgré la résistance de l'émir Abd El-Kader, précède celle de l’intérieur et du sud, alors qu’à partir de 1879 une intense immigration française et européenne (les « Pieds noirs ») vient exploiter et gérer le Maghreb et l’Afrique équatoriale ; car l’ensemble du continent est colonisé, par les Français du Maroc au Congo-Brazzaville, par les Anglais de l’Egypte au Kenya jusqu’en Inde, par les Allemands, les Néerlandais en Indonésie…

Jules Ferry, propagateur de l’école publique et laïque, était un colonialiste fervent. Selon lui, en particulier lors de la séance parlementaire du 28 juillet 1885, la République française doit veiller à la prospérité économique et maîtriser une stratégie mondiale : « La France ne peut être seulement un pays libre. [...] Elle doit être aussi un grand pays […] et porter partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie ». De plus sa dimension civilisatrice et humanitaire doit exporter son savoir-faire : « Il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. […] Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ». Certes il dénonce « la traite des nègres », mais pense devoir exploiter leurs richesses territoriales. Il contribue activement à l’expansion militaire et économique en Tunisie, au Congo, à Madagascar, au Tonkin, cette dernière expédition se soldant par un cuisant échec en 1885.

Loin des allégories de rayonnement civilisationnel et de conquêtes héroïques, une tyrannie oppressive, de surcroit raciste, animait nombre de colons européens. Pour preuve les témoignages tant de Las Casas aux Caraïbes que de Jules Verne pour l’Australie[3], mais aussi les photographies retrouvées dans les archives privées du début du XX° siècle qui exhibent un monde régi par une violence souvent systématique, physique, sexuelle et psychologique, sur l’indigène assujetti. Cependant les mœurs brutaux et tyranniques des Arabes et des Bédouins qui s’appuyaient sur la piraterie, les razzias, le pillage et l’esclavage n’ont-ils pas été avantageusement remplacés par la civilisation, même oppressive ? Car l’aménagement économique, l’accent mis sur l’éducation et les soins médicaux contribuèrent à faire de celui qui n’était qu’un indigène un citoyen du monde. Mais à partir de 1947 et de la fin du joug administratif anglais en Inde, la décolonisation ne cesse d’enflammer tous les continents, libérant les peuples, jusqu’à la déflagration de la Guerre d’Algérie et l’indépendance de cette dernière en 1962.

Certes la décolonisation n’est probablement pas partout terminée. En témoigne l’essai de Joseph Confavreux, en partenariat avec Médiapart : Une Décolonisation au présent. Kanaky-Nouvelle-Calédonie : notre passé, notre avenir[4]. La France de Napoléon III s’empara de la Nouvelle Calédonie le 24 septembre 1853 et l’on constate que cette emprise ne s’achève pas le 4 octobre 2020, lors du scrutin grâce auquel les habitants du « Caillou », aux réserves de nickel, de magnésium, de fer, de cobalt considérables (convoitées par la Chine), ont voté contre l’indépendance de l’île. Cependant les accords de Matignon de 1988, consécutifs à la tragédie de la grotte d’Ouvéa puis l’accord de Nouméa de 1998, dont le préambule reconnut officiellement le fait colonial par la République française, semblaient devoir acter une transition de trente ans, à l’issue de laquelle la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, comme la nomment les partisans de l’indépendance,  pourrait accéder à la souveraineté. Les dissensions meurtrières entre Kanak et Caldoches des années 1980 laissent espérer un apaisement, et craindre un retour de flamme. Archipel géographique et mosaïque ethnique, cette Calédonie, l’une des rares colonies de peuplement de la France et dont le peuple autochtone - les Kanak - a failli disparaître, saura peut-être laisser émerger un Etat viable pour tous. C’est ainsi que les auteurs de cet essai imaginent avec pertinence une décolonisation réussie ; mais avec une bien moindre pertinence celle d’une économie non capitaliste. La décolonisation semble plus avancée que la démarxisation…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si le colonialisme ne s’est pas contenté d’être une bienveillance civilisationnelle, il est violence. Ce pourquoi Franz Fanon réclame une violence nécessaire pour s’en libérer. Publié en 1961 pendant la Guerre d’Algérie, Les Damnés de la terre firent de Franz Fanon un maître à penser controversé. Ne serait-ce que par la préface de Jean-Paul Sartre - dont le communisme est un colonialisme peut-être pire - enjoignant : « il faut tuer : abattre un Européen c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé ». Franz Fanon le disait avec plus de rigueur : « Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence ».

Sauf que Franz Fanon exigeait des réparations au-delà des générations coupables : « Le colonialisme et l’impérialisme ne sont pas quittes avec nous quand ils ont retiré de nos territoires leurs drapeaux et leurs forces de police. Pendant des siècles les capitalistes se sont comportés dans le monde sous-développé comme de véritables criminels de guerre. Les déportations, les massacres, le travail forcé, l’esclavagisme ont été les principaux moyens utilisés par le capitalisme pour augmenter ses réserves d’or et de diamants, ses richesses et pour établir sa puissance. Il y a peu de temps, le nazisme a transformé la totalité de l’Europe en véritable colonie. Les gouvernements des différentes nations européennes ont exigé des réparations et demandé la restitution en argent et en nature des richesses qui leur avaient été volées [...]. Pareillement nous disons que les États impérialistes commettraient une grave erreur et une injustice inqualifiable s’ils se contentaient de retirer de notre sol les cohortes militaires, les services administratifs et d’intendance dont c’était la fonction de découvrir des richesses, de les extraire et de les expédier vers les métropoles. La réparation morale de l’indépendance nationale ne nous aveugle pas, ne nous nourrit pas. La richesse des pays impérialistes est aussi notre richesse. [...] L’Europe est littéralement la création du tiers monde[5] ». Ce n’est parce que des vainqueurs ont exigé réparations qu’il faut un demi-siècle plus tard outrepasser la loi du talion et risquer la guerre perpétuelle. D’autant si l’on refuse d’examiner dans les plateaux de la balance les quelques bienfaits de cette même colonisation : éradication presque totale de l’esclavage tribal et musulman, médecine, éducation, infrastructures et développement économique, dont les Etats surgis de la décolonisation n’ont pas toujours su prolonger les vertus.

Cette violence retournée contre le colon tyrannique pouvait se justifier en 1961. Reste que, soixante ans après, vouloir décoloniser ce qui ne l’est plus et dont les conditions désastreuses ne sont plus de la responsabilité de cette colonisation est une ruse d’une autre tyrannie. C’est en Afrique qu’il faut se libérer de traditions religieuses coraniques, de politiques socialistes, de gouvernements dictatoriaux, de la corruption, et non prendre prétexte d’une Histoire obsolète pour établir sa tyrannie décolonialiste.

L’on n’est pas étonné que le livre de Franz Fanon ait contribué à la création des Black Panthers, aussi afro-américains que marxiste-léninistes et maoïstes. S’il y avait une oppression blanche américaine, la ségrégation, à renverser, ce n’était pas pour fonder avec de tels maîtres à penser un totalitarisme. Ce qui n’est pas loin, tyranniquement parlant, d’un leader noir américain, Louis Farrakhan, dirigeant de l’organisation religieuse et politique suprémaciste noire Nation of islam. Le sexisme, l’homophobie, le racisme et l’antisémitisme du bonhomme ne sont un secret pour personne, au point que l’on ait pu le surnommer « le Hitler noir ».

Selon la profession de foi anticolonialiste, et de surcroit marxiste, ce serait grâce à la colonisation que l’Occident aurait gagné sa prospérité, comme grâce à l’esclavage les Etats-Unis, alors que seule la révolution industrielle et le développement du capitalisme en sont responsables. Jacques Marseille montre non seulement qu’il n’est en rien, mais que l’argent, les matériaux, l’énergie et les bras déversés sur les colonies ont été un investissement dont la rentabilité fit défaut. L’on peut subodorer que sans cette exploitation et exportation des ressources européennes, l’Europe eût pu devenir encore plus riche et prospère, ce que vérifient sans peine la Suisse ou la Corée du Sud. Dépouillant maintes archives, venues de centaines de sociétés coloniales, les chiffres du commerce extérieur français de 1880 à 1960, Jacques Marseille, d’abord communiste et persuadé des bénéfices de l’exploitation de l’Afrique, dut changer son fusil d’épaule devant l’épreuve des faits. En 1984, il publia son essai Empire colonial et capitalisme français, qui aurait dû tordre le cou au mythe du pillage au profit de la France : « la logique du profit est peut-être davantage moteur du progrès que coupable de pillage[6] ». Alors que la décolonisation était un impératif économique, sinon humanitaire, les mythes ont la vie dure, prétendant encore pour longtemps que les pays colonisateurs se sont abreuvé des richesses africaines sans contrepartie, même si l’on ne cachera pas que certains hommes d’affaires en ont tiré grand profit. Pourtant, coloniser c’était gaspiller des capitaux considérables sans guère de bénéfice, c’était attacher un boulet au pied du capitalisme français et de sa modernisation, boulet dont le poids, y compris idéologique, est encore présent. Ferghane Azihari, délégué général de l'Académie libre des sciences humaines, le confirme : « Ni la colonisation ni l’esclavage n’ont enrichi l’Occident[7] ».

Une telle thèse est honnie par les études décoloniales qui postulent que, malgré l’indépendance, des rapports de pouvoirs persistent entre les métropoles et les colonies passées, ce qui est certes patent à travers le Franc de la Communauté Africaine. De même elles prétendent que la division économique et raciale des populations reste prégnante, que l’Occident et ses instances, Fonds Monétaire International et Banque mondiale maintiennent le Sud dans une servitude pérenne. Il n’est pas impossible cependant, faute d’avoir su, quoique avec des réussites indéniables, être les acteurs d’un réel développement économique et social, que les Etats du Sud et leurs activistes préfèrent exciter l’envie, la colère, le ressentiment et l’esprit de revanche le plus malsain plutôt que de voir la poutre dans leur œil. L’on se doute alors que l’anticapitalisme est un moteur de l’idéologie qui risque de glisser vers une tyrannie aussi racialisée que post-communiste.

Voici venir le temps du décolonialisme et de la « postcolonie ». Il nous semblait pourtant que les dernières colonies européennes avaient acquis leur indépendance au début des années soixante, soit il y a soixante ans de cela. Ce décolonialisme ne sentirait-il pas le réchauffé ? Certes les historiens et penseurs n’ont pas forcément achevé le travail de déconstruction du colonialisme. Mais qu’ont fait la plupart des Etats nés à cette occasion sinon recourir au socialisme autoritaire, à l’arabisation, sans compter la corruption faute de libéralisme économique ? De plus la « défaillance du droit », en particulier de propriété, entraîne la « mort du capital » et le sous-développement, tel que l’analysa Hernando de Soto à propos de l’Amérique latine, convaincu qu’il est de « vouloir réaliser la transition vers un capitalisme de marché qui respecte les désirs et les convictions des gens[8] ». Plutôt que de se remettre en question et de remettre en question ses élites captatrices, il est plus facile alors d’attribuer l’impéritie récurrente à autrui, soit l’Occident et le capitalisme, d’autant qu’un poison marxiste contribue d’alimenter la bile de l’envie. En à peine deux générations, et sans guère de ressources, la Corée du Sud est passée de la pauvreté à la prospérité ; qu’ont fait de ces décennies l’Algérie, l’Egypte ou le Mali ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une telle analyse est loin d’être ignorée par Achille Mbembe qui soutient qu’en Afrique, « la propriété en appartient au roi et à l’Etat par droit de souveraineté ». S’il ne le dit pas tout à fait de cette manière, son « essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine », titré De la postcolonie, se livre à une vigoureuse critique de la tyrannie et de l’autoritarisme qui met en pâture les Etats issus de la colonisation. Cependant, en conscience que tout Africain est un « ex-esclave », il n’ignore pas la « tradition d’Etats prédateurs vivant de la razzia, du rapt et de la vente des captifs », en particulier dans « les régions sous influence musulmane », puis, à la suite du commerce triangulaire, « l’extorsion des ressources » par les Européens et enfin « la tutelle des créanciers internationaux » ; tout ceci aboutissant à ce qu’il appelle « émasculation de l’Etat » et « excision de la souveraineté[9] ». Ces dernières métaphores participant d’une riche réflexion philosophique sur la stylistique du pouvoir et sa production fabuleuse plutôt que réaliste, quoique le propos d’ensemble soit parfois un rien confus.

Prônant le retour des Africains en Afrique, Kémi Seba est une figure du panafricanisme et du suprémacisme noir. Il a ses thuriféraires pour lesquels la remigration de tous les Noirs vers le berceau de l’humanité vaut la terre promise. Franco-Béninois, il est le messie de la cause noire radicale. Pourtant natif de Strasbourg, il réclame de « décoloniser les rues » de Belgique, d’Afrique, de France et tutti quanti. En cela il incarne le contraire du mouvement Black Lives Matter, coupable de rester selon lui victime en Occident et aux Etats-Unis.

Le délire s’empare de domaines qui semblent fort lointains des problématiques colonialistes, par exemple la littérature romanesque. La preuve, pour reprendre Jonathan Franzen, qui témoigne que selon les excités « qu’habiter la subjectivité d’un personnage différent de l’auteur est un acte d’appropriation, voire de colonialisme ; que le seul mode narratif authentique et politiquement défendable est l’autobiographie[10] ».

En sortant des bureaux du magazine Valeurs actuelles, qui eut la désastreuse maladresse - ou la finesse, diront les autres - de mettre en scène la députée noire Danièle Obono (qui apporta son soutien à Nique la France) en la portraiturant en esclave enlevée par des négriers noirs et rachetée par un missionnaire chrétien dans une fiction illustrée, bureaux illégalement investis en guise de protestation, le porte-parole de la « Ligue de défense Noire Africaine », prévint : « À ceux qui pensent que la France est à eux on vous dit que dorénavant on occupe le terrain. De Gaulle, tout ça c’est fini, maintenant c’est la Ligue de défense Noire Africaine ! » En subodorant qu’une Ligue de défense Blanche européenne s’attirerait les foudres bienpensantes, l’on peut plus galamment dire la menace et la réalité en cours d’une occupation et d’une colonisation par la force…

Rappelons-nous le discours à Madrid, puis dans une tribune de Project Syndicate (29 novembre 2019), de la jeune propagandiste écologiste Greta Thunberg : « La crise climatique ne concerne pas seulement l’environnement. C’est une crise des droits de l’homme, de la justice et de la volonté politique. Des systèmes d’oppression coloniaux, racistes et patriarcaux l’ont créée et alimentée. Nous devons les démanteler ». Les coupables sont cloués au pilori de la vindicte : anciens pays colonisateurs, quoique seulement occidentaux, les racistes, quoique seulement blancs, enfin les systèmes patriarcaux, mais surtout pas coranique et musulman. La vision androcentrée, blanche, hétérosexuelle est de l’ordre du pléonasme, comique s’il n’était si transparent de tyrannie.

Musée des Arts premiers, Paris.

Photo : T. Guinhut.

 

Nouveau racisme anti-blanc, nouveau colonialisme anti-occidental. Faut-il qualifier de nouveaux trafiquants d’esclaves, ceux qui prétendent sauver des réfugiés de la menace des flots méditerranéens pour en faire des instruments de chantage, de déstabilisation des pays européens, et favoriser un nouveau colonialisme, en se targuant d’être antirascistes ? Cette fois le profit n’est pas financier, quoiqu’il faille compter sur des subventions, mais politique et idéologique. D’autant qu’un dangereux acteur, la Turquie d’Erdogan, manœuvre ces migrants de la Lybie à Lesbos, exerçant son chantage à l’égard de l’Europe et avançant les pions de la colonisation islamique.

Autre colonisateur puissant, entreprenant et déterminé, sans état d’âme cela va sans dire, se révèle le communisme chinois. La Chine en effet exploite méthodiquement et sans vergogne les richesses africaines, entre Instituts Confucius et entreprises d’extraction minières et agricoles. L’empire du milieu pratique un impérialisme qui ne fait guère sourciller les bonnes consciences. Ainsi, à la suite d’incapacité à rembourser ses dettes, la Zambie a perdu le contrôle de son aéroport international Kenneth Kaunda ainsi que de son réseau électrique, comme le Kenya risque de voir les Chinois s’emparer de ports et de lignes ferroviaires que ces derniers ont financés. Taïwan News met en garde les débiteurs de la Chine : « Les États africains doivent se réveiller face à une nouvelle forme de colonialisme de la part de la Chine qui grignote, l’une après l’autre, leurs principales infrastructures ».

Le colonialisme git parfois là où l’on ne l’attend pas. Dans les réserves africaines par exemple. Ce que révèle un essai surprenant de Guillaume Blanc : L’Invention du colonialisme vert[11], sous-titré « Pour en finir avec le mythe de l’Eden africain ». Si naïvement l’on pensait que la défense de la nature était vertueuse, en voici un sérieux démenti. Car les « éco-gardes » des parcs naturels africains n’hésitent pas à chasser les habitants, rayer de la carte des villages entiers, comme près de Gondar, en Ethiopie, où sept villages furent brûlés. En quoi ils sont ardemment soutenus par Unesco, le World Wildife Fund et autres Organisations Non Gouvernementales affidées à la défense de l’environnement au dépens de l’humanité.

Dans les années soixante, Ian Grimwood, consultant pour l’Unesco en Ethiopie, préconise « d’éliminer, dans les zones à mettre en parcs, tous les droits humains » ». De la Guinée à l’Afrique du sud, un mot d’ordre circule : « pour sauver la nature africaine, il faut empêcher ses habitants d’y vivre ». Sachons qu’ « aujourd’hui encore, la gestion des parcs africains oppose deux camps : les habitants qui veulent vivre dans la nature et les conservasionnistes qui entendent la protéger. Les premiers essaient de cultiver la terre et les seconds de les en empêcher, à coups de sanctions, d’amendes et de peines de prison ».

Factuel et rigoureux, ponctué de récits et de témoignages, le très documenté réquisitoire de Guillaume Blanc, historien de l’environnement, est sans appel. Le colonialisme à la grand-papa, exploiteur et civilisateur, s’est trouvé un nouvel avatar, la tyrannie verte : « Derrière la nature, la violence ». Décidemment, entre les puissances européennes des XIX° et XX° siècles, la Chine et l’écologisme, le continent africain n’en a pas fini avec le colonialisme et ses avatars, dont la sacralisation d’une nature fantasmée n’est pas le moindre mobile.

 

Marwan Muhammad, du CCIF, soit le Collectif Contre l’Islamophobie[12] en France, veut une France islamique, donc colonisée, peut-être pas si inatteignable. C’est bien ce qui ressort hélas de l’essai dirigé par Bernard Rougier : Les Territoires conquis de l’islamisme. Quoique son titre fasse preuve d’une pudeur de nonne effarouchée en ajoutant un superfétatoire « isme », l’ouvrage témoigne d’une colonisation en voie d’accomplissement. Car le mouvement décolonialiste se voit phagocyté par l’islamisme, c’est-à-dire l’Islam le plus politique et djihadiste qui soit, tant ce dernier est l’exacte application du Coran fondateur de l’Islam.

Aux bons soins d’une douzaine d’auteurs, l’essai, soutenu par une cartographie précise, déploie les Molenbeek français, d’Aubervilliers à Argenteuil, de Marseille à Toulouse, alors que le séparatisme, ce doux euphémisme en cours dans les allées d’un pouvoir politique qui n’en a plus guère, révèle en fait la conformité de bastions et de milices à la déité djihadiste. L’on y glane d’édifiantes informations et déclarations : en 1990, le « responsable islamiste tunisien Rached al-Gannouchi […] annonce l’entrée de la France dans le dar-al-Islam (domaine de l’islam). De mêmes, les militants issus des Frères musulmans usent en 2004 du slogan post-antiraciste « Touche pas à mon foulard » et « posent les bases de la dynamique décoloniale ainsi que du militantisme islamiste hexagonal », il serait plus juste de dire : de la colonisation par l’Islam…

En un « écosystème islamique », une pléthorique littérature, jusque dans les livres destinés aux enfants, fait l’apologie de l’islam religieux et politique, « de la non-liberté » religieuse, « de l’inégalité entre les hommes et les femmes, de l’intolérance envers les mécréants ». « La mosquée devient un équivalent de Pôle-Emploi pour les jeunes », « salafistes et tablighi » se disputent l’Île de France, le Val-de-Marne vit « à l’heure yéménite », les jeunes femmes jihadistes de la prison de Fleury-Mérogis usent de la taqiyya (dissimulation) face aux tentatives de déradicalisation…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cheville directrice de ce précieux avertissement, Les Territoires conquis de l’islamisme, Bernard Rougier n’est ni un naïf ni un provocateur inconséquent. Déjà auteur de Qu’est-ce que le salafisme ?[13], il sait en conscience et en toute documentation où il entraîne son lecteur déniaisé. Il faut à cet égard remercier les Presses Universitaires de France de jouer leur rôle d’éditeur avec dignité.

Financés par les pétrodollars arabes, insufflés par des institutions de la péninsule arabique et du Maghreb, ces islamistes, en particulier les Frères musulmans, ont édifiés des réseaux structurés. Le hallal est un blanc-seing de reconnaissance dans les rues, les foyers et les prisons, alors que l’excision, les tests de virginité, le voile et la polygamie se répandent au dépend des femmes ; l’oumma, communauté des Musulmans, est leur supranationalisme ; le radicalisme contrôle la plupart des mosquées, des pseudo-associations culturelles, coraniques en fait. Pire, d’apparentes structures républicaines, la Ligue de l’Enseignement, la Ligue des Droits de l’Homme sont noyautées, la Fédération des Conseils de Parents d'Elèves ne sont pas indemnes ; des entreprises, comme la Régie Autonome des Transports Parisiens, des syndicats, des conseils municipaux, voire des mairies, ne leur échappent pas tout à fait. Sans compter le vandalisme et les incendies de bibliothèques[14], de cimetières, d’églises et de cathédrales, symboles d’une civilisation exécrée…

Outre la chariaisation, la démographie est un facteur aggravant. Si les Musulmans sont plus de dix millions en France, pas loin de 20% de la population si l’on compte les étrangers illégaux (quoique les chiffres soient sujets à caution), leur natalité n’est pas loin du double de celle des femmes originairement françaises et européennes. Le « grand remplacement » à venir n’est donc pas un fantasme du sieur Renaud Camus. À moins qu’une proportion suffisante d’entre eux se détourne de l’Islam mortifère pour accéder à l’athéisme ou au Christianisme, la réversibilité du colonialisme s’annonce pire que son anti-modèle historique.

Certes tous les Musulmans ne sont pas musulmans stricto sensu, ni djihadistes patentés, mais un sondage propose un résultat alarmant : « À la question de savoir si la loi islamique, en France, devrait s'imposer par rapport aux lois de la République, 27% des personnes interrogées répondent positivement. Parmi ceux qui sont de nationalité étrangère, 41% adhèrent à cette affirmation. Et parmi ceux qui sont de nationalité française, ils sont 20%. » De plus 74% de leurs moins de vingt-cinq ans prétendent privilégier la charia[15]. Aussi la font-ils déjà régner dans les « territoires perdus de la République[16] », ces quartiers et banlieues ou police et pompiers n’entrent plus sous peine d’être caillassés, brûlés, assassinés.

Sans compter que l’avenir s’annonce sous de troubles auspices, tant l’éducation de nos jeunes est empêchée et pervertie. Dans Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école[17], Jean-Pierre Obin révèle les conclusions d’une longue expérience et d’une enquête sourcilleuse assurée par une rare intelligence des enjeux et du contexte politique français, et au-delà. Depuis plusieurs décennies, la poussière infectieuse et obscurantiste tendait à être balayée sous le tapis de l’Education Nationale, qui chérissait la formule « Pas de vagues » et la « pusillanimité ». Pendant que « l’héritage marxiste ou la gauche victimaire » avait toutes les tendresses pour l’immigration jusqu’à ce que l’on nomme l’islamo-gauchisme. Il ne faudrait pas « stigmatiser les Musulmans et faire le jeu de l’extrême-droite », disait-on !

Pourtant la laïcité s’érodait, au point de ne subsister aujourd’hui que par archipels. Malgré son trop peu fameux « Rapport Obin » de 2004, cet Inspecteur général de l’Education Nationale, se doit d’exposer à qui ne veut pas l’entendre l’étendue des dégâts.

Dans certains lycées, le « jilbab », couvrant tout le corps, contourne l’interdiction du hijab, soit le voile que l’on doit dehors porter sous peine de harcèlement ; les cours de sport, voire de science, sont désertés, le vendredi est boycotté ; l’islamophilie de l’administration est parfois telle que tout le monde y mange hallal, que le séparatisme alimentaire règne dans les cantines, que fleurissent des « salles de repos » pour les jeûneurs du ramadan, la mixité étant remise en question, l’arbre de Noël fustigé. Tout est prétexte à la contestation du principe de laïcité, au relativisme, donc à l’autocensure des enseignants qui n’enseignent plus Darwin ou Charles Martel, voire des pans entiers de l’Histoire et de la littérature, et qui, par ailleurs ne connaissent rien de l’Islam et guère des autres religions. Au point que de rares professeurs enseignent avec un Coran bilingue sur leur bureau, par conformisme, sinon pour parer à toute contestation sur la prétendue religion de paix et d’amour, et à leurs risques et périls. Tout cela sans compter les tags insultants ou prosélytes, l’antisémitisme récurrent, les violences sexistes et à l’égard des « Céfrancs », les agressions au couteau, les élèves qui courent vers l’Etat islamique ou sont classés « radicalisés », les hurlements de joie lors de l’attentat contre Charlie Hebdo, voire les collèges incendiés. Non seulement les élèves, peu sanctionnés, mais les parents, les membres du personnel entrent dans la danse anti-laïque. Jusqu’en maternelle où le conte des Trois petits cochons se voit radié des lectures, dans des classes où la couleur rouge est déclarée haram. En primaire, des bambins défilent en criant « Allah Akbar », en un territoire qui de « Dar al-Harb (territoire de la guerre), devient celui de la soumission : « Dar al-Islam ». Et des professeurs refusent tout contact avec des femmes. Par ailleurs des écoles salafistes, y compris clandestines, prospèrent. Malgré le vœu pieux de Jean-Pierre Obin, il est à craindre que soutenir un « Islam des Lumières » soit voué à l’échec. Ainsi compris, et comblé de faits ordonnés, imparables et comptables de la colonisation islamiste, l’indispensable réquisitoire de l’humaniste Jean-Pierre Obin fait froid dans le dos !

Faut-il accorder du crédit à Bat Ye’or, cette essayiste judéo-égyptienne, qui, dans  Eurabia : l'axe euro-arabe[18], dénonce le spectre du califat, suite à un accord passé entre des instances européennes après la crise pétrolière de 1973, pour sécuriser l’approvisionnement pétrolier, prévoyant de créer un ensemble méditerranéen euro-arabe visant à contrebalancer les États-Unis, tout en favorisant l'immigration musulmane (43% des immigrés sont musulmans) et la conversion des infidèles à l’Islam, et en adoptant une politique anti-israélienne et pro-palestinienne ? Thèse prophétique ou conspirationniste ? Si c’est le cas, un colonialisme islamique est en marche, se nourrissant d’aides sociales, de fraudes sociales et de razzias, avec l’active complicité de l’Occident, qui, fait inédit dans l’Histoire, nourrit, excuse et cajole ses envahisseurs, mieux que les Romains intégrant leurs barbares, qui parfois se sont retournés contre eux. Minoritaire encore quoique armée de sa vitalité démographique, une médiatique et criminelle domination racialiste et islamique se rengorge de notre laxisme, passivité et faiblesse. C’est ainsi que le racisme et le colonialisme ont changé de camp. Pour de pires empires…

Le leader islamique, Abdelaziz Boumediene, Président du Mouvement pour la Solidarité Internationale, déclarait : « l’Islam est la seconde religion, la seconde communauté en France. Ceux qui ne nous aiment pas n’ont qu’à quitter la France. La France on l’aime avec sa communauté musulmane ou on la quitte[19] ». Le groupe Facebook « Parti Arabe » dit la même chose sous d’autres cieux qui n’ont pourtant jamais pratiqué le colonialisme : « Le Parti Arabe veut que tous ceux qui n’acceptent pas la diversité quittent la Suède[20] ». À cette fin, du Maghreb au Sahel, de l’Erythrée à L’Afghanistan, du Pakistan à la Turquie, l’Islam exporte en une tempête migratoire ses affidés à la conquête de l’Occident, conquête dont il est le complice par sa naïveté, sa charité dévoyée, sa culpabilité indue, son irénisme des faibles en voie de soumission…

« Les mosquées sont nos casernes, les minarets nos baïonnettes, les dômes nos casques et les croyants nos soldats », disait le leader Turc Erdogan en 1997. Nul doute qu’il  adhère à ce que l’Algérien Houari Boumedienne avait déclaré en 1974 devant l'assemblée de l'ONU : « Un jour, des millions d'hommes quitteront l'hémisphère sud pour faire irruption dans l'hémisphère nord. Et certainement pas en amis. Car ils y feront irruption pour le conquérir. Et ils le conquerront en le peuplant de leurs fils. C'est le ventre de nos femmes qui nous offrira la victoire ». Il ne s’agissait pas là d’une vaine prophétie colonialiste.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Raynal : Histoire philosophique et politique des établissements & du commerce des Européens dans les deux Indes, Gosse, 1774.

[2] Atlas national, p 438.

[4] Joseph Confavreux, Médiapart : Une Décolonisation au présent. Kanky-Nouvelle-Calédonie : notre passé, notre avenir. La Découverte, 2020.

[5] Franz Fanon : Les Damnés de la terre, La Découverte, 2019, p 29, 61, 99.

[6] Jacques Marseille : Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Albin Michel, 2005, p 13.

[7] Le Point, 27-08-2020.

[8] Hernando de Soto : Le Mystère du capital, Champs Flammarion, 2006, p 279.

[9] Achille Mbembe : De la Postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, La Découverte, 2020, p 179, 324, 139, 141, 145, 149.

[10] Jonathan Franzen : Et si on arrêtait de faire semblant ? L’Olivier, 2020, p 200.

[11] Guillaume Blanc : L’Invention du colonialisme vert, Flammarion, 2020.

[12] Voir : Islamophobes

[13] Bernard Rougier : Qu’est-ce que le salafisme ? PUF, 2008.

[15] Sondage Ifop publié le 2 septembre pour Charlie Hebdo et la Fondation Jean-Jaurès.

[16] Emmanuel Brenner : Les Territoires perdus de la République, Pluriel, 2015.

[17] Jean-Pierre Obin : Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, Hermann, 2020.

[18] Bat Ye’or : Eurabia: l'axe euro-arabe, Jean-Cyrille Godefroy, 2006.

[19] Le Progrès, 05-09-2020.

[20] FL24.net, 15-09-2020.

 

Maurice Allain : Encyclopédie pratique illustrée des colonies françaises, Quillet, 1931.

Bibliothèque A. R. Photo : T. Guinhut.

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1 octobre 2020 4 01 /10 /octobre /2020 15:22

 

Apollon, Marché à la brocante, Ars-en-Ré, Charente-Maritime.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Lire les Métamorphoses d’Ovide

& les mythes gréco-romains,

avec Marie Cosnay, Nicola Gardini,

Jean-Pierre Vernant,

Walter F. Otto et Diane de Selliers.

 

 

 

Ovide : Les Métamorphoses, traduit du latin par Marie Cosnay,

L’Ogre, 2017, 528 p, 25 €.

 

Nicola Gardini : Avec Ovide. Le plaisir de lire un classique, de Fallois, 2019, 240 p, 18 €.

 

Jean-Pierre Vernant : L’Univers, les dieux, les hommes, Points Seuil, 2017, 272 p, 10,90 €.

 

Walter F. Otto : Essais sur le mythe, Allia, 2017, 112 p, 10 €.

 

Ovide : Les Métamorphoses, traduit du latin par Georges Lafaye,

Diane de Selliers, 2020, 372 p, 49 €.

 

 

 

Vous en rêviez : tous les mythes gréco-romains narrés en un volume affriolant. C’est chose faite avec Ovide et ses Métamorphoses. Voici, en douze mille vers et 246 fables, la plus abondante compilation mythologique et poétique de l’Antiquité, sous l’égide d’Apollon, dieu de la poésie, qui fit de Daphné poursuivie par son amour et changée en laurier, la couronne du poète. De la création du monde à la mort de Jules César, dont l’âme est changée en étoile par Vénus, c’est un bouillonnement de métamorphoses, principe et aiguillon de l’univers, sous l’impulsion des dieux. Depuis la naissance de l’imprimerie au XV° siècle, on en connait des centaines d’éditions, des dizaines de traductions en français. Quel besoin de consacrer dix ans de sa vie de traductrice à fondre un nouvel ouvrage, sinon de le rendre plus intelligible et attrayant à ses contemporains ? Qui auront une vision plus synthétique de cet univers mythologique grâce à L’Univers, les dieux, les hommes de Jean-Pierre Vernant, et sauront mieux ce que signifie le mythe, au moyen des essais de Walter F. Otto. Sans oublier de s’interroger avec Nicola Gardini sur Ovide, auteur prodige et cependant puni, auquel Diane de Selliers rend un luxueux hommage en illustrant par la peinture baroque les mythes les plus significatifs.

 

La traduction la plus utilisée des Métamorphoses est peut-être celle de Chamonard[1], précise, attentive, nourrie de notes utiles, mais en prose. De même, Georges Lafaye est un talentueux prosateur ; cependant Marie Cosnay ambitionne de relever le défi de la modernité d’Ovide,  comme un roman d’aventure aux péripéties nombreuses.

Car la métempsychose est universelle, tout se métamorphose : les pierres de Deucalion deviennent des hommes ; poursuivie par l’amour d’Apollon, Daphné devient laurier ; Eurydice passe chez les ombres aux enfers et fuit les regards d’Orphée ; Actéon épiant Diane nue est châtié sous le cuir d'un cerf dévoré par les chiens ; Nyctimène, qui « a souillé le lit de son père » est changée en cet  oiseau qui « dans les ténèbres cache sa honte » ; Myrrha, prise d’amour coupable pour son père (« Le père reçoit dans son lit obscène ses propres entrailles ») devient tronc ligneux : « Déjà l’arbre en grandissant a resserré son ventre lourd » et ses larmes coulent sous forme de myrrhe…

Toutes ces fureurs et merveilles, outre leur qualité fabuleuse, ont une rare intensité psychologique, une réelle dimension symbolique et morale, comme lorsque Marsyas, qui, avec son talent de flutiste, voulant défier le chant d’Apollon, se vit écorcher vif : l’hubris, cet orgueil démesuré, ne peut être que châtié.

Les écueils de la traduction sont nombreux. Songeons à la création du monde, si proche de la Genèse biblique, qui a aussi son déluge. Le texte latin dit : « Hanc Deus, et melior litem Natura diremit. » Ce « et » est-il et, est-il ou ? Marie Cosnay choisit la prudence : « Un dieu et une bonne nature ont mis fin à cette lutte ». Quand Lafaye propose « Un dieu ou la nature la meilleure », il choisit de laisser planer les prémisses de l’athéisme. Un chrétien fut tenté de dire seulement « Dieu ». Plus bavard, Desaintange[2], au XVIII° siècle, en fit des alexandrins superbes : « Un dieu, de l’univers architecte suprême, / Ou la nature enfin se corrigeant soi-même, / Sépara dans les flancs du ténébreux chaos… ». Il est loisible d’avoir bien de la nostalgie envers une telle traduction qui est une belle infidèle. Marie Cosnay interprète les hexamètres latins en vers libres. Libres au point que la nymphe traite de « salaud » ce Salmacis qui veut échapper à son désir, que Junon jette un « fils de putain ».

Une brève et judicieuse introduction, quelques notes, un glossaire, en ce volume à l’élégante robe, mais il faut déplorer l’absence d’index, de sommaire par mythe, tous choix dommageables, mais on a préféré ne pas alourdir un opus déjà ambitieux et non bilingue. Reste à retrouver la poésie perdue depuis le rythme et la musicalité du latin. Surtout s’il s’agit d’Orphée, archétype des poètes, charmant animaux et dieux, jusqu’aux Enfers. « Il gratte les cordes pour le chant », a-t-il un chat dans la gorge ? C’est pour le moins maladroit. Heureusement : « On raconte que pour la première fois, vaincues par le poème, / les Euménides mouillent leurs joues ». Eurydice hélas retourne parmi les ombres, car « Ici, de peur qu’elle lui manque, impatient de la voir / L’amant tourne les yeux, aussitôt elle glisse en arrière ». Voilà qui est plus suggestif et poignant…

De même les émotions sont rendus plus vives : « ton corps pris d’un froid glacial s’épouvante » ; le suspens, la fureur et le tragique s’exacerbent. « Voici la langue qui offre à l’air frappé ces sons », c’est l’histoire de Biblis et le programme d’une traductrice survoltée. Le grand récit aux mille personnages et péripéties effraie, interroge, émerveille, contant l’amour, qu’il soit incestueux ou divin, puni, impossible ou comblé, contant l’inépuisable capacité de création et de transformation de la nature figurée par l’intervention des dieux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Puni également fut Ovide, par l’empereur Auguste qui l’exila sur les bords de la Mer noire pour y écrire Les Tristes et mourir. Trop génial esprit libre, peut-être cela suffit-il à expliquer cette intrigue du pouvoir ; du moins c’est ce qu’avance Nicola Gardini, érudit patenté, poète et traducteur, essayiste élégant, qui écrivit un Vive le latin, Histoires et beautés d’une langue[3]. Il nous convie à vivre un beau moment d’aimable érudition Avec Ovide, essai et récit sous-titré Le plaisir de lire un classique.

Montaigne enfant découvrit le goût des livres en lisant Ovide et ses Métamorphoses. Né en 43 avant Jésus-Christ et mort en 17 après Jésus-Christ, ce dernier chevaucha le siècle de César et d’Auguste. Celui qui « irrigue le système sanguin de la tradition occidentale », selon Nicola Gardini, est également un « point de référence esthétique et moral ». N’interroge-t-il pas l’identité, l’amour et la liberté ? Les passions n’y sont-elles pas châtiées, comme l’inceste avec Myrrha, ou récompensées si pures, comme les sentiments de Pygmalion pour sa statue ? Victime d’une tyrannie impériale arbitraire, après avoir été adulé, n’est-il pas le symbole d’une liberté d’expression et de création injustement bafouée ?

L’on spéculera longtemps sur les raisons de l’exil du poète. L’Art d’aimer parut-il trop licencieux ? Ce serait étonnant au vu de ce qui circulait à Rome. A-t-il eu vent de quelque basse intrigue dans les rouages de la cour et de la famile impériales ? À moins que la puissance de son œuvre fît de l’ombre à l’empereur… De telles interrogations poussent Nicola Gardini à marcher sur les traces de l’auteur des Tristes, en Roumanie, à Tomes, aujourd’hui Constanta, où il est mort, cerné par le froid et les Barbares.

Un soupçon d’autobiographie donc, un usage judicieux des citations, de l’Histoire romaine, voilà qui place l’essai face à son dessein : montrer que ce « classique » est l’un des plus séminaux, les plus beaux au monde ; que le nom de Nason, soit Publius Ovidius Naso « proclame la pérennité de la poésie face au monde ».

La figure de la désobéissance filiale contre l’autorité paternelle hante Ovide : Médée aime contre l’avis paternel, Ovide lui-même ne veut qu’être poète au désarroi de son père, Phaéton transgresse l’ordre d’Apollon en élevant au firmament le char du soleil. Faut-il compter là, malgré l’éloge augustéen qui culmine au final des Métamorphoses, via l’accession de son père adoptif, César, au rang de comète, une désobéissance implicite à l’égard de l’empereur ? Aussi avoir écrit l’Art d’aimer, donc préféré l’érotique à l’héroïque épopée, pourrait être un dommageable pied de nez à Auguste : « Ovide a opposé […] à la normalité des valeurs antiques et aux certitudes augustéennes le dogme de l’incertitude ».

Mais Les Métamorphoses est en quelque sorte chez Ovide la forêt qui cache de riches bosquets. Les Fastes, consacré au calendrier religieux romain, et les Héroïdes, dont les pleurs et les plaintes sont de belles miniatures mythologiques. L’Art d’aimer et ses dimensions érotique et didactique qui ne s’embarrassent guère du respect dû aux dieux, ou encore Les Amours qui ose dire que « Dieu n’est qu’un nom dépourvu de substance » et que l’amour se gausse de la vérité et de la morale tout en dérogeant à la stabilité (toutes affirmations qui ont probablement déplu à Auguste). Enfin, ce sont Les Tristes, modèle de l’élégie, qui, avec les Pontiques « ont inventé le paysage désolé », destiné à devenir un topos littéraire jusqu’au Waste land de Thomas Stearn Eliot. Avec un bonheur communicatif, Nicola Gardini lève le voile sur ces œuvres assises à l’ombre immense des Métamorphoses, comme lorsqu’il relève les occurrences de la voix perdue, de la langue tranchée, animalisée, écho de l’isolement du poète tardif sur des rivages où l’on ne parle pas latin : « J’ai oublié le langage », écrit-il, alors qu’il lut en public et avec succès un poème en langue gétique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’on sait cependant qu’Ovide ne résume pas toute la mythologie. S’il fait allusion parfois à Homère, en lui empruntant quelques épisodes (Achille et Ajax), il faut compléter par la lecture de l’Iliade et de l’Odyssée. Ou, si l’on veut être plus rapide et plus synthétique, par celle de Jean-Pierre Vernant qui, dans L’Univers, les dieux, les hommes, judicieusement réédité dans un cartonnage de poche joliment illustré par Ulysse et les sirènes, commence par la Théogonie d’Hésiode et la guerre des dieux, puis termine par Œdipe et Persée. Cependant il emplit presque la moitié de son volume à l’aide de la guerre de Troie et des voyages d’Ulysse. En effet, il se consacre aux mythes grecs et non à leur réécriture par Ovide le Romain. Il associe le plaisir du conteur à celui de l’éclaireur qui rappelle que le mythe est un récit, inspiré par Mnémosyne, déesse de la Mémoire, « venu du fond des âges et qui serait déjà là avant qu’un quelconque conteur en entame la narration ».

Original, malgré son respect des traditions narratives et des auteurs anciens, Jean-Pierre Vernant l’est lorsqu’il traduit le chaos originel, avant toute création, par « Béance », une sorte de matière noire - l’on dirait aujourd’hui antimatière - d’où naissent la terre, la fécondation et le ciel, Gaïa, Eros et Ouranos. Dieux et Titans, puis hommes et femmes, peuplent ce cosmos, parmi lesquelles la première, sur le conseil de Zeus, débouche une jarre cachée, libérant tous les maux : c’est le mythe de la boite de Pandore, qui la referme sur l’espoir. Voilà d’où découlent toutes les histoires humaines. Ce qui ne prive pas les dieux d’intervenir, outre les demi-dieux qu’ils engendrent chez les mortelles, choisissant ou le camp des Troyens ou celui des Grecs. À l’instar de celui de Luc Ferry[4], le récit du mythographe est entraînant, initiatique, au point qu’il ait choisi de le placer au seuil du monumental volume de ses Œuvres complètes[5], qui totalise 2512 pages et se divise en « Religions, Rationalités, Politique ».

 

Ovide : Les Métamorphoses illustrées par la peinture baroque,

Diane de Selliers, 2003. Photo : T. Guinhut.

 

Qu’est-ce que le mythos, opposé au logos, sinon un récit légendaire digne d’être tourné en dérision, comme le fit Platon éjectant les poètes de sa République ? Cependant, rappelle Water F. Otto dans ses Essais sur le mythe, le caractère « surnaturel des mythes archaïques sacrés » vient de ce que « la figure du dieu constitue le centre de gravité de tous les mythes ». Au cours de l’Histoire, « plus le rationnel repousse le mythe, plus le monde se désacralise, et plus le savoir originel du divin doit se retirer dans le sentiment, dans le for intérieur. Le profane prend place dès lors à côté du religieux, et c’est bientôt lui qui occupe presque toute la place ». Le mythe perd alors sa fonction étiologique, qui consistait en l’explication par l’imaginaire de phénomènes naturels et humains incompréhensibles, de façon à structurer la pensée et la société. Il ne lui reste plus que sa dimension poétique, comme chez Hölderlin, même si elle ne conserve que peu la trace de cette parole qui venait des dieux et leur parlait par la voix de « La Muse, esprit et vigueur du mythe du monde en sa révélation musicale ».

Où trouver la vérité du mythe ? Selon notre penseur, dont ce recueil de quatre essais est intellectuellement excitant, la religion grecque est une « religion de la connaissance objective », au caractère non-autoritaire et non-dualiste. Ainsi l’essayiste allemand Walter F. Otto (1874-1858), auteur des Dieux de la Grèce[6], pensait que ces derniers étaient dignes d’exister encore dans la conscience de notre temps. Car « c’est seulement comme création, digne des œuvres d’art les plus magnifiques que nous ait léguées tout le passé, et en même temps les dépassant toutes, que le mythe se laisse saisir ».

Plus guère religieux, Ovide ne croyait déjà plus en la réalité des métamorphoses de ses merveilleux dieux et de ses malheureux personnages, devenus animaux et plantes. Divinisant César suivant l’urgente sollicitation d’Auguste, il contribua à un culte autant religieux que politique, alors que l’empereur ne lui rendît pas la politesse en l’exilant sur les bords de la Mer Noire. Reste que son fabuleux poème demeure sans cesse une source d’inspiration infinie pour les peintres, les sculpteurs, les compositeurs de cantates et d’opéras, les réécritures et jusqu’aux jeux vidéo, en même temps qu’une stimulante énigme pour l’anthropologue et le philosophe. Tournons-nous alors vers les éditions Diane de Selliers[7] qui nous proposèrent une de leur œuvre-maîtresses : Les Métamorphoses illustrées par la peinture baroque[8], et son iconographie somptueuse, d’il Padovanino au Caravage, de Simon Vouet à Pompeo Batoni…

Hélas épuisés, ces deux luxueux volumes sous coffret bourrés jusqu’à la gueule de peintures ont désormais un rejeton qui n’a rien d’indigne, au contraire. C’est un volume cartonné, d’une agréable élégance, comme celui qui honora Homère grâce à Paladino[9], qui, s’il ne réunit que « les plus belles histoires », quatre-vingt-quatre en fait, en offre un judicieux florilège, présenté avec pertinence par l’éditrice elle-même. Encadrés par un monde « tiré de la masse ténébreuse » et l’éloge de Pythagore, les mythes brillent au firmament de notre culture, donnant par antonomase leurs noms à des concepts, des adjectifs : ainsi de Narcisse et d’Echo, de Méduse, Hermaphrodite et Europe. De plus, de Dante à Shakespeare, nos plus grands génies se nourrissent d’Ovide, et si l’an 1 de notre ère est celui du Christ, il est aussi celui où furent publiées à Rome Les Métamorphoses, tout aussi dignes de figurer l’aube d’une civilisation.

 

Ovide : Les Métamorphoses illustrées par la peinture baroque,

Diane de Selliers, 2003 et Desray, 1807.

Photo : T. Guinhut.

 

Ces métamorphoses animales, végétales, minérales, voire sidérales, condamnent la passion amoureuse et violente, sous la plume fluide du traducteur Georges Lafaye. L’incestueuse Myrrha est changée en tronc d’arbre pleurant la myrrhe, alors que, plus heureux, Philémon et Baucis, devenus tilleul et chêne, peuvent mêler leurs feuillages. Il faut y lire une réelle intention morale. Comme lorsque Phaéton échouant à conduire le char du soleil, se laissait emporter par un hubris fatal, probablement la pire transgression chez les Grecs.

Parmi une généreuse iconographie narrative, les vigoureux contrastes d’ombres terribles et de lumières exquises, les sensuelles carnations rosées, les tissus et les ciels chatoyants bouleversent la peinture baroque, de l’Italie aux Flandres, entre le XVI° et le XVIII° siècle, sous les pinceaux de Rubens et de Guido Reni, de Véronèse, quoique, notons-le, Poussin soit moins un baroque qu’une icône du classicisme, sans compter de nombreux artistes méconnus, voire totalement inédits. De page en page, c’est un éblouissement pictural. Comme sur la couverture où la prégnance fumeuse de Jupiter offre un baiser à Io, sous le pinceau du Corrège, le texte est tout entier en osmose avec l’image. De plus chacune d’entre elles est accompagnée d’une phrase-clef en rouge, au plus brûlant du mythe : « Donc à peine a-t-elle vu Narcisse errant à travers les campagnes solitaires que, brûlée de désir, elle suit furtivement ses traces ; plus elle le suit, plus elle se rapproche du feu qui l’embrase ».

 

Tout est mouvement, tout est métamorphose, nous dit Ovide, qui fut le créateur de ce mot, ce dans le philosophique sillage de Pythagore. Sa vie ne l’a que trop prouvé, de la gloire au triste exil. La nôtre glisse de la naissance à la mort, de la beauté vénusienne à la charogne baudelairienne, de la liberté à l’oppression ; notre personnalité n’y échappe pas, informe et enfantine, brillante et sénescente. Le cosmos même est en mouvement incessant selon une mesure qui nous dépasse. Cependant, malgré les ravages du temps, Ovide est toujours notre Orphée quémandant aux enfers son Eurydice, selon l’enchanteresse traduction en alexandrins de Desaintange :

Par ces lieux pleins d’effroi, par ce chaos immense,

Empire de la nuit, empire du silence,

Rendez-moi mon épouse, et pour moi rattachez

Le fil de ses beaux jours que la Parque a tranchés[10]. »

 

Thierry Guinhut

La partie sur Ovide traduit par Marie Cosnay a été publiée

dans Le Matricule des anges, novembre-décembre 2017

 

[1] Ovide : Les Métamorphoses, Garnier Flammarion, 1966.

[2] Ovide : Les Métamorphoses, Desray, 1808, t 1, p 5.

[3] Nicola Gardini : Vive le latin, Histoires et beautés d’une langue, De Fallois, 2018.

[5] Jean-Pierre Vernant : Œuvres complètes, Seuil, 2006.

[6] Walter F. Otto : Les Dieux de la Grèce, Payot, 1981.

[8] Ovide : Les Métamorphoses illustrées par la peinture baroque, Diane de Selliers, 2003.

[10] Ovide : Les Métamorphoses, Desray, 1808, t 3, p 223.

 

Ovide : Les Métamorphoses, Desray, 1807 et Duprat, 1802, Héroïdes, Durand, 1763.

Photo : T. Guinhut.

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26 septembre 2020 6 26 /09 /septembre /2020 08:20

 

Château du Boisrenault, Buzançais, Indre. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Le sabre politique et religieux

des dictatures arabes et ottomanes.

 

Al-Kawâkibî, El-Khoury, El Aswany, Temelkuran.

 

 

 

‘Abd al-Rahmân al-Kawâkibî : Du despotisme et autres textes, traduit de l’arabe (Syrie),

Sindbad Actes Sud, 2016, 240 p, 20 €.

 

Bachir El-Khoury : Monde arabe : les racines du mal,

Sindbad Actes Sud, 2018, 256 p, 22 €.

 

Alaa El Aswany : Extrémisme religieux et  dictature,

traduit de l’arabe (Egypte) par Gilles Gauthier, Actes Sud, 2014, 240 p, 22 €.

 

Alaa El Aswany : Le Syndrome de la dictature,

traduit de l’anglais (Egypte) par Gilles Gauthier, Actes Sud, 2020, 208 p, 19,80 €.


Ece Temelkuran : Comment conduire un pays à sa perte. Du populisme à la dictature,

traduit de l’anglais par Christelle Gaillard-Paris, Folio, 2020, 288 p, 20 €.

 

 

 

« Souvenez-vous que la paradis est à l’ombre des sabres », enseigne en 870 de notre ère un hadith de Bukhari[1]. Le poète du X° siècle Mutanabbî écrivit en ce sens son vindicatif Livre des sabres : « Mon sabre scintillant occultera l’éclair céleste / Et le sang répandu lui tiendra lieu d’averse[2] ». Sur l’étendard des pays arabes, le sabre signifie l’alliance de la politique et de la religion. Aussi dénoncer le despotisme n’est pas chose aisée parmi le monde arabe, tant il est lié à celui religieux. Entendons à cet égard l’avertissement implicite d’Al-Mawardi (974-1058), considéré comme l’un des plus fermes théoriciens politiques de l’Islam : « Dieu ne dissocie donc pas la rectitude de la religion de la bonne direction de l’Etat et du bon gouvernement des sujets[3]. » Au contraire du Judaïsme et a fortiori du Christianisme (même si l’on parla en Occident de l’alliance du sabre et du goupillon, certes bien plus modeste), cette unicité du religieux et de l’étatisme dictatorial handicape depuis longtemps et lourdement les pays arabes, jusqu’à la Turquie ottomane. En 1902 le Syrien ‘Abd al-Rahmân al-Kawâkibî, faisait ce constat dans son traité Du despotisme, avant d’être empoisonné par les agents du Sultan égyptien. Et même si le XX° siècle arabe et ottoman a vu des gouvernements un tantinet séparés du religieux, car socialistes, comme en Algérie et en Egypte, ou passablement laïque avec Mustapha Kemal en Turquie, le mal est loin d’être éradiqué, au point qu’il prolifère de pire en pire. C’est ce terrible constat que font aujourd’hui Alaa El Aswany, Bachir El-Khoury et Ece Temelkuran, non sans nous avertir des conséquences, jusqu’en notre Occident.

Consultons l’autorité de l’historien arabe du XIV° siècle, Ibn Khaldûn, d’origine andalouse et yéménite, qui confirme le caractère irrévocable de cette association totalitaire : « Dans la communauté musulmane, la guerre sainte est un devoir religieux, parce que l’islam a une mission universelle, et que tous les hommes doivent s’y convertir de gré ou de force. Aussi le califat et le pouvoir temporel y sont-ils unis, de sorte que la puissance du souverain puisse les servir tous les deux en même temps. Les autres communautés n’ont pas de mission universelle et ne tiennent pas la guerre sainte pour un devoir religieux, sauf en vue de leur propre défense. Les responsables religieux n’y sont en rien concernés par les affaires du gouvernement[4] ». Un tel précepte gouverne encore, voire de plus, en plus les pays islamiques, sans compter les poches occidentales de prosélytisme et de charia, ces « territoires perdus de la République[5] ».

Sans doute, c’est en 1902, avec ‘Abd al-Rahmân al-Kawâkibî, que le despotisme musulman fut d’abord mis en cause et réfuté. Certes, par une prudence bien compréhensible, l’essayiste a farci son ouvrage, intitulé Du Despotisme, de « louanges à Dieu », et prétend que « le virus responsable de notre mal est la dérive de notre religion, à l’origine instinctive et sage, ordonnée et ardente, portant le message clair du Coran ». C’est faire bon marché d’une religion explicitement totalitaire. Mais notre auteur pouvait-il alors en traiter autrement pour tenter d’avancer sa thèse ? C’est avec pertinence qu’il note : « Le pouvoir despotique s’étend à tous les niveaux, depuis le despote suprême jusqu’au policier, au domestique et au balayeur des rues. En profitent les plus vils de chaque niveau ». Or, pour se débarrasser d’une telle chaine tyrannique, il réclame la liberté de conscience et d’expression (qu’invalide le livre du Prophète), l’égalité des citoyens et la séparation des pouvoirs, non seulement exécutif et législatif, mais aussi religieux et politique. Le voici donc un réel précurseur des démocrates libéraux arabes qui aujourd’hui encore constatent les effets délétères du despotisme arabe en matière d’éducation, d’économie et de progrès scientifique. Il faut alors dépasser « un éléphant de préjugés », bousculer « l’apathie » arabe et ottomane (sauf lorsqu’il s’agit de faire jaillir le sabre du châtiment et de la guerre), dont il liste 86 causes, dont « l’oubli de la tolérance religieuse », « la croyance que les sciences rationnelles sont contraires à la religion », « l’affaiblissement de l’opinion publique du fait de la censure », « l’ignorance satisfaite », « la négligence dans l’éducation des épouses »… La lecture méditée d’un tel traité politique, dont l’éthique résulte de l’influence des Lumières occidentales, devrait faire le bénéfice des amants de la liberté et du développement des connaissances, bien au-delà du monde arabe et ottoman.

Seule la Turquie, à l’occasion de la gouvernance, par ailleurs un brin despotique, de Mustafa Kemal Atatürk, entre 1923 et 1938, a connu une fenêtre laïque, refermée par Recep Tayyip Erdogan, président depuis 2014 et despote aussi religieux que politique, nationaliste belliciste de surcroit, menaçant aujourd’hui gravement la Méditerranée, la Grèce et l’Europe. Le monde arabe quant à lui est resté prisonnier d’une « aliénation dans le temps », d’un « sous-développement intellectuel », pour reprendre les termes de Fouad Zakariya, dans Laïcité ou islamisme. Les Arabes à l’heure des choix[6].

Ce serait cependant trop simple d’attribuer au seul cancer religieux le mal qui dévore les sociétés arabes. Bachir El-Khoury trouve au Monde arabe : les racines du mal. Elles sont d’abord en un indécrottable substrat socio-économique. L’extrême pauvreté d’une large couche d’une population par ailleurs affligée par une démographie pléthorique, la rente pétrolière - voire « la malédiction pétrolière » -, la corruption récurrente, un droit du travail plombé et une lenteur administrative exaspérante, une éducation à la traîne, tout se coagule pour assurer un immobilisme moisi, sans oublier la désertification. Nous y ajouterons le socialisme et l’antilibéralisme économique. Si les « printemps arabes » ont paru un moment secouer la chape de sable, bien vite l’hiver leur a succédé, infiltrés qu’ils étaient par l’islamisme et le terrorisme, conduisant aux chaos syrien et libyen, à la fragilité démocratique tunisienne, entre autres exemples. Sans compter qu’aux conflits religieux récurrents, intra-musulmans entre sunnites et chiites, et aux éliminations des Chrétiens d’Orients, des Yazidis, des zoroastriens et des Baha’is, s’ajoutent les guerres ethniques : il suffit de penser aux Kurdes livrés au génocide par la Turquie, voire par leurs voisins.

Malgré les nombreuses qualités de cet essai documenté, nanti de graphiques chiffrés, il est stupéfiant de lire chez Bachir El-Khoury, un éloge de modèles comme le Brésil et le Venezuela qui seraient parvenus à réduire la pauvreté. Si cela est vrai pour le premier, le socialisme autoritaire du second aboutit à la catastrophe que l’on sait ! De plus, comme trop souvent, il oublie un facteur de sous-développement non négligeable parmi l’aire islamique : la consanguinité, qui, au moyen de récurrents mariages entre cousins, affecte dangereusement l’intégrité et les potentialités intellectuelles de ses habitants, entre Algérie et Pakistan.

Faut-il penser que la signature de l’accord d’Abraham, impulsé par Donald Trump, qui noue des alliances entre Israël, Bahreïn et les Emirats Arabes Unis, sous l’œil probablement bienveillant à cet égard de l’Arabie Saoudite, prélude à des jours meilleurs pour le monde arabe ?

C’est en la tradition d’‘Abd al-Rahmân al-Kawâkibî, tradition hélas minoritaire, que s’inscrit Alaa El Aswany pour s’attaquer au Syndrome de la dictature, écrit et publié prudemment en anglais et à Londres en 2019.

L’on connaissait le romancier satiriste, non sans tendresse, de L’Immeuble Yacoubian[7], qui radiographia la vie des Cairotes et obtint un succès mérité en jouant avec le réalisme social et les mœurs sexuelles de ses personnages. Talent narratif et sens du portrait ne l’empêchent pas d’être un essayiste politique informé, un polémiste vigoureux. Il avait commis en 2011, mais en arabe, un volume d’une vingtaine d’articles : Extrémisme religieux et dictature. Ces deux phénomènes jumeaux sont en effet indissociables, tant le salafisme, le frérisme musulman et le wahhabisme cimentent le retour de l’Islam originel et de sa charia. Le dilemme est cruel pour un moyen-oriental : sans Islam, pas de démocratie libérale, avec la démocratie libérale le lien avec la tradition religieuse se rompt.

L’égalité entre hommes et femmes, entre Coptes et Baha’is d’Egypte d’une part et Chiites et Sunnites d’autre part, sans compter les athées et apostats, les homosexuels, n’est qu’un vœu pieux, la justice un rêve, la tolérance une hallucination. Aussi Alaa El Aswany dénonce-t-il « l’influence négative du niqab pour la femme et la société », niqab qui ne diminue en rien les agressions sexuelles et l’omniprésent harcèlement sexuel, malgré le couple « puritanisme et bigoterie ».

Autres mœurs, autres maux. Un restaurant ostensiblement pieux triche sur le poids, applique des prix démesurés, évite les contrôles sanitaires et s’en porte le mieux du monde en son hypocrisie rapace. La tartufferie est la règle, de la jeunesse à la police en passant par les politiques, qui falsifient les élections. Les religieux véhiculent à qui mieux mieux des énormités anti-scientifiques…

Il faut lire ce bel exercice : « Être musulman en Grande-Bretagne », où les croyants de l’Islam sont opprimés de mille façons. Mais un addendum signale « une erreur volontaire » : « Veuillez changer le mot « Grande Bretagne » par le mot « Egypte », le mot « musulman » par « copte et le mot « mosquée » par « église », puis lisez l’article à nouveau pour comprendre ce que signifie être copte en Egypte aujourd’hui ».

En 2009 le vote de l’interdiction des minarets en Suisse, scandalisa les naïfs, y compris notre auteur, en tant qu’attentat à la liberté religieuse. S’il montre l’hypocrisie des Egyptiens qui dénient aux Coptes la construction d’églises (quoique ces derniers ne soient guère des modèles), s’il renvoie aux Musulmans la responsabilité de leur image désastreuse, il semble oublier qu’un minaret, une mosquée donc, est le fer de lance du fascisme religieux qu’il dénonce.

Relatant de significatives anecdotes come cette Française assaillie par la rue lubrique, Alaa El Aswany radiographie la société égyptienne et arabe avec la vivacité de son regard et la verdeur de la satire argumentée. Mais est-ce par prudence, ou par illusion qu’Alaa El Aswany prétend qu’au cœur de la religion se trouvent des « valeurs universelles » ? Celle de la « soumission » est cependant radicalement contraire au libre-arbitre, donc à la liberté… De même le voici défendant la tolérance de la civilisation islamique, dont l’omni-tyrannie a pu légèrement s’assagir au cours de son histoire. A-t-il cependant oublié les massacres récurrents, la dhimmitude des Juifs et des Chrétiens en Al-Andalus[8], tant vantée par les chantres de la coexistence des cultures ? « La démocratie est la solution », répète en fin de chaque article notre écrivain égyptien. Pour asséner cet insoutenable oxymore : « l’Islam est la vraie démocratie ». Sauf que lorsque celle-ci consiste en l’expression d’une majorité affamée de tyrannie et de servitude volontaire, elle ne vaut rien. La démocratie est libérale ou n’est pas.

Néanmoins l’argumentation se développe avec une rigueur implacable dans Le Syndrome de la dictature, second volet politique d’ Alaa El Aswany. Une dizaine de parties guident le lecteur de la définition de ce « syndrome » à l’association de « l’esprit fasciste » avec le « terrorisme », jusqu’à la « prévention », soit « la séparation de la religion et de l’Etat », puis un « scepticisme salutaire ».

Ce n’est pas que le fait du tyran : « Comment des traces d’attitudes dictatoriales s’immiscent-elles dans le comportement du citoyen de tous les jours ? » Ainsi la foi en la propagande se vit déçue lorsque Nasser, en 1967, attaqua Israël pour essuyer une brusque défaite ; ce qui ne détourna pourtant pas le peuple de le confirmer au pouvoir. Il est fait alors allusion au principe de la « servitude volontaire », analysé par La Boétie. Corruption, brevet d’obéissance pour obtenir un poste, presse stipendiée, tout concourt à la doxa autoritaire et à sa « contradiction entre ce qui est annoncé et la vérité ». S’ensuivent des exemples de brutalités tyranniques, du monde arabe à l’Afrique et au-delà. Les « théories du complot » prospèrent, comme celle des Protocoles des sages de Sion, un faux notoire, qui nourrit l’antisémitisme[9], d’Hitler aux pays arabes. L’on stigmatise les « conspirateurs », l’étranger ou l’impie. À ces manipulations s’adossent la répression et la « déshumanisation ».

De la nationalisation de la presse, au service d’une « vision unique pour tous », à la censure, tout ressemble à l’Allemagne nazie, à l’Union Soviétique, aux « dictatures religieuses », d’Iran, d’Arabie saoudite. Les exemples de livres et de films attaqués pour « offense à Dieu » abondent. Sans oublier des souvenirs personnels, comme lorsqu’étudiant, il entendit un professeur de chimie barbu jurer de faire échouer quiconque « est communiste ». La militarisation de la société devient évidente « car une hiérarchie semblable à celle de l’armée était partout en place ». Tout aboutit au « démantèlement du milieu intellectuel », comme pour Thomas Mann ou Soljenitsyne, sauvé par l’exil, ou jeté au goulag, par les régimes de leurs pays. En revanche, pensant à Garcia Marquez et Fidel Castro, « il est indécent qu’un grand écrivain soit l’ami d’un tyran », un « intellectuel mercenaire », comme ces auteurs égyptiens adulant le piètre écrivain que fut Kadhafi.

Etudiant la tradition dictatoriale comme une maladie, une « hypnose de masse », le réquisitoire d’Alaa El Aswany, dont les œuvres furent bannies d’Egypte en 2014, dépasse largement la perspective égyptienne, nourri d’anecdotes étonnantes, par exemple sur Saddam Hussein, et de portraits psychologiques des tyrans. C’est une nécessaire plaidoirie en faveur de la liberté politique. Sachant que notre essayiste a déjà été inculpé de « diffamation des institutions de l’Etat », l’on en déduit à quelle portion congrue la liberté d’expression est réduite. Le diagnostic édifiant d’El Aswany embrasse toutes les dictatures.

De même la Turquie peut être lue comme le parangon d’un despotisme qui a la prérogative de ne potentiellement épargner aucun Etat. Comment conduire un pays à sa perte est un manuel pratique élaboré par Ece Temelkuran. Sous-titré Du populisme à la dictature, il est à lire, sous la plume de la journaliste turque aujourd’hui en exil, comme un avertissement, espérons-le salutaire. Hélas, en associant de manière répétée Erdogan à Donald Trump, elle commet une infâme assimilation, une indigne reductio ad hitlerum caractérisée ; non sans vouloir égratigner sans cesse les Boris Johnson et les Viktor Horban et autres « populistes de droite », qui ont le malheur de lui déplaire. Cela suffirait à décrédibiliser cet essai qui se veut « progressiste », dégoulinant de confusion, sautant du coq à l’âne, de Facebook à Zizek, prosélyte du communisme, donc d’une tyrannie. Dommage, car les « sept étapes » qui permettent à un « leader populiste » de devenir un « autocrate sérieusement terrifiant » pourraient contribuer à une réelle analyse ; ce en associant les techniques du récit et de l’essai, car il s’agit à la fois d’une autobiographie politique et d’une mordante satire d’un régime qui chassa l’auteure de son pays en même temps que la liberté de la presse.

« Créer un mouvement », celui du « vrai peuple », en fait issu de la « secte religieuse » islamiste est le premier pas. Il est animé par « le désir suspect du je de se fondre en nous ». Il suffit ensuite de « détraquer la raison et affoler le langage », de « dissiper la honte », pour « démanteler les dispositifs judiciaires et politiques » et « façonner ses propres citoyens » de façon à ce qu’ils puissent « rire devant l’horreur » ; c’est ainsi que « construire son propre pays » revient à le bétonner par un despotisme meurtrier et grotesque, puisqu’Erdogan n’hésite pas à diffuser l’image d’une petite fille de neuf ans coiffée d’un foulard, prétendument « élue au poste de présidente du Parlement ».  La Turquie est devenue un bastion islamiste autant qu’un vindicatif surgeon du nationalisme expansionniste ottoman.

Un Monde sans Islam, titrait Aquila[10]. Si les causes socio-économiques du mal arabe n’auraient pas pour autant complètement disparu, nul doute qu’un surcroit de liberté et de vitalité intellectuelle et scientifique aurait nourri un Moyen-Orient qui aurait pu s’inspirer de ce que l’Occident a de meilleur, non sans oublier que le Christianisme, grâce au libre arbitre et à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, put être le socle du libéralisme. Même si l'Occident non plus n’est pas débarrassé de la pulsion despotique, son Histoire l’a prouvé. Il lui reste à se garder de l’importation et de l’infiltration d’un fascisme religieux attentatoire à la vie et à la dignité de l’humanité.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Le Syndrome de la dictature a été publiée dans Le Matricule des anges, juillet 2020.

 


[1] Livre 52, 2666 1.

[2] Mutanabbî : Le Livre des sabres, Sindbad, 2012, p 41.

[3] Al-Mawardi : De l’éthique du prince et du gouvernement de l’Etat, Les Belles Lettres, 2015, p 360.

[4] Ibn Kaldün : Muqaddima I, Le Livre des exemples, La Pléiade, Gallimard, t I, 2013, p 532.

[5] Emmanuel Brenner : Les Territoires perdus de la République, Pluriel, 2015.

[6] Fouad Zakariya : Laïcité ou islamisme. Les Arabes à l’heure des choix, La Découverte, 1991.

[7] Alaa El Aswany : L’Immeuble Yacoubian, Actes Sud, 2006.

[10] Voir : L'arbre du-terrorisme et la forêt de l'Islam II

 

Fresque XVI°, Saint-Barthélémy, Mont, Hautes-Pyrénées.

Photo : T. Guinhut.

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19 septembre 2020 6 19 /09 /septembre /2020 15:17

 

Aérodrome de Niort-Souché, Deux-Sèvres.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Enrique Vila-Matas, écrivain funambule

au-dessus d'une brume insensée.

 

Enrique Vila-Matas : Cette brume insensée,

traduit de l’espagnol par André Gabastou, Actes Sud, 2020, 256 p, 21,80 €.

 

 

 

Prolifique funambule entre l’être et le non-être, entre l’artiste et non-artiste, l’espagnol Enrique Vila-Matas, né à Barcelone en 1948, écrit depuis au moins l’âge de dix-huit ans. Ses entretiens en effet, avec des célébrités et alors publiées dans la revue Fotogramas, étaient en fait fictifs, jouant avec l’art controversé de s’approprier la parole d’autrui, ou d’en être le faussaire. Un demi-siècle plus tard, notre trublion un brin loufoque fournit au moyen de son personnage prénommé Simon des citations à des écrivains en mal de copie. C’est Cette brume insensée qui brouille une fois de plus les lisières de la vérité et de la fiction, de la réussite et de l’échec, de la création et de la citation,  entre les doigts doués d’ironie d’un écrivain à nul autre pareil, même s’il aime à jouer avec autant de virtuosité que de désabusement parmi les pages et personnages de Melville ou de Kafka.

Les titres d'Enrique Vila-Matas, prolifique minimaliste postmoderne, aussi facétieux que tenté par la disparition, disent assez la direction passablement glauque de son esprit : Suicides exemplaires, Imposture… C'est avec une rare constance qu'il cultive la désespérance et l'absurde au point de se placer, avec les quarante et un textes brefs d’Enfants sans enfants[1], dans la filiation d'un Kafka[2] mort à quarante et un ans, filiation qui est depuis longtemps une tarte à la crème des écrivains sérieux. Mais ici la chose mérite réflexion : « On pourra toujours penser que m'être imposé tout au long de ce livre la règle qui consiste à combiner ma pâle biographie et un monde imaginaire d'enfants sans enfants avec une certaine atmosphère livresque, tchèque, et la couleur un peu délavée de quelques aperçus de l'histoire de l'Espagne des quarante et une dernières années est avoir, pour le moins, parié pour une association quelque peu arbitraire. Mais il me semble que de cette combinaison a surgi une réalité rigoureuse,­ cette grande vérité que racontent les mensonges­, différente de l'officielle et probablement unique. Que sommes-nous après tout, qu'est chacun de nous, sinon une combinatoire, différente et unique, d'expériences, de lectures et de rêveries? »

Chez Vila-Matas, l'insignifiance est un objectif artistique. Fous, désœuvrés, « vampire amoureux », tous pourraient parvenir à cette conclusion amère : « la vie est une maladie de la matière […] La vieillesse et l'écriture sont les seuls médicaments contre cette maladie ». Un écrivain se protège « contre les situations trop littéraires » quand un médecin de campagne venu de son enfance vient déranger son sens de la réalité pour devenir son douzième enfant. Un électricien est « condamné à errer éternellement dans l'étroite tombe de ses parents ». Ecrire, est-ce trouver sa filiation ? Jeu vain ou humour dans le miroir ? Grincements agaçants d’un déçu de l’existence, d’un contempteur de la vie ? Il n’en reste pas moins que le dandysme de la déréliction, chez Vila-Matas, ne va pas sans un certain humour, une pointe d’autodérision. Comme lorsque l’éditeur qui s’achemine vers la faillite, dans Dublinesca, incapable de s’adapter aux nouveaux courants littéraires, préfère effectuer un pèlerinage sur les traces de James Joyce et d’un Beckett qui frôle l’aphasie. Plus ironique encore est cet alter ego qui, dans Impressions de Kassel,[3] accepte d’écrire en public dans un restaurant chinois de Kassel, pour offrir à la Documenta, cette célèbre foire d’art contemporain, la figurine vaine de l’homme de Lettres…

Notre funambule commet également des nouvelles, parmi lesquelles le recueil Explorateurs de l’abîme[4] dépasse bien évidement la banalité du genre. C’est aux lisières et limites de la condition humaine que divers personnages loufoques penchent dangereusement au-dessus de l’abîme du réel et de la métaphysique. Entre fantastique, science-fiction, voire utopie, l’humour tente d’apprivoiser le tragique. De nouvelle en nouvelle, les thématiques du vide et de la disparition, parfois de l’au-delà, creusent un questionnement impossible à résoudre et tissé avec une retorse aisance par l’atelier d’écriture de Vila-Matas, en perpétuels réitération et renouvellement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est après avoir échoué à trouver le moindre éditeur à son roman que le narrateur de Cette brume insensée devient « artiste citeur », un bien grand titre compensatoire pour un intellectuel dont le travail est d’être pourvoyeur de citations sur commande. En particulier au service de Rainer Bros, ou « Grand Bros », un écrivain barcelonais passé à l’anglais et à New-York. Or il est le modèle de « l’auteur distant », qui avait su organiser sa rigoureuse disparition, son absence médiatique totale, malgré son aura et la « griffe Bros » de son style, à l’instar d’un Salinger ou d’un Pynchon, prétendant être en quelque sorte « le fils spectral de l’auteur de L’Arc-en-ciel de la gravité[5]. C’est avec un rien d’orgueil et une envie jusqu’à la « rage »,  que Simon attribue à son « aide discrète », à ses archives de citations » et à ses conseils en matière d’intertextualité, le succès considérable de son aîné aux « cinq romans rapides » et « fulgurants », dont le dernier est titré : « Platon est un squelette ». Il s’agit en cet opus de la tension « entre les précipices de l’écriture et la non-écriture ». Ce sont des « monologues dramatiques […] qui ironisaient sur la trivialité de notre ère ». L’on se demande alors dans quelle mesure cet écrivain fictif n’est pas un reflet de l’auteur lui-même, certes plus abondant, mais traduit en trente-six langues, autoportrait biaisé et farci d’auto-ironie, car son Bros volontiers alcoolique est comptable de « répugnantes pulsions réactionnaires »…

Bientôt, il s’avère que ce fameux Bros est le frère du narrateur et qu’une affaire d’héritage va les réunir dans la cité de l’indépendance catalane. Là où vit, au milieu d’une famille de « crétins », la tante Victoria, une réelle intellectuelle, qui juge son neveu comme « une honteuse imitation de Salinger ».

La confrontation entre le prodige comblé et le désespéré est un morceau d’anthologie : « Le passage du temps semblait avoir déposé sur lui des sortes de nids de poussière qui rendaient sa silhouette encore plus cendreuse ». Coups bas, reproches et rancœur tombent comme grêle. Pire encore, Rainer Bros n’est peut-être pas Rainer Bros, mais son chef de la sécurité », ou Thomas Pynchon en personne ! Ne prétend-il pas avoir intégralement écrit Vice caché[6], un « Pynchon raté », en y intégrant une part de son fournisseur de citations ? Et projeter une « non-fiction » présentant « un maniaque des citations, le dernier survivant de la littérature » ? L’on ne sait plus alors qui est qui, si Enrique Vila-Matas est Simon ou Bros : une sorte de Simon Bros, qui sait…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La mélancolie de Cadaquès, la déréliction de Simon abandonné par la belle Siboney, « la fatigue de vivre dans [son] esprit », une nuit tragique sous la pluie et sur la falaise, le tableau de Barcelone survolé d’hélicoptères comme dans Apocalypse now, tout cela confère à la prose d’Enrique Vila-Matas une aura hypnotique, quoique passablement létale, non sans ce constant saupoudrage d’ironie qui lui sied si bien. Et, comme avec un fantastique don d’ubiquité, le voici glissant de cette falaise vers le « jardin d’Amarante », où « la guigne, la déesse de la Fatalité », s’abattit sur lui. Néanmoins, peut-être vaut-il mieux entendre la confession désespéré de Simon, cette allégorie de l’échec, cette disparition du visage de son frère et sa propre mort dans la fiction de la non-fiction, ce monologue où l’on n’attendra guère d’action, comme Kafka lisait ses nouvelles à ses auditeurs : en riant.

Une interrogation assaille en sous-main le malheureux anti-héros, et le lecteur aussi bien : la littérature ne serait-elle qu’un amas, une concaténation de citations, plus ou moins perceptibles ? Il y a quelque chose de nihiliste en ce soupçon développé par le légèrement sadique Enrique Vila-Matas qui martyrise à plaisir son piètre héros et son célèbre repoussoir. Cependant, une esthétique littéraire, un art poétique, s’élèvent « où la littérature avait été établie comme une fin en soi - sans Dieu, sans justification externe, sans idéologie sur laquelle s’appuyer, comme un champ autonome ».

Allégorie biface du grand écrivain et de son médiocre alter ego finalement plus fin qu’il n’y parait, roman psychologique et pathétique, qui sait entretenir savamment le mystère et le suspense, Cette brume insensée se présente également comme une réussite du récit postmoderne et de l’intertextualité. Avec un art consommé des faux-semblants, Enrique Vila-Matas intègre, l’on s’en serait douté, des citations du célébrissime fauteur de livres dont le narrateur est le nègre commis dans l’ombre, sans compter celles de diverses sommités littéraires. De même, la vie du narrateur se retrouve presque telle quelle dans une nouvelle de Colm Toibin, « Erosion », comme pour signifier que nous copions ce qui est déjà écrit, et que, selon Oscar Wilde, « la vie imite l’Art beaucoup plus que l’Art n’imite la vie »[7]. Ce pourquoi le livre que nous avons entre les mains, et ses livres emboités, est par instants un essai consacré à « l’art des citations », de Walter Benjamin à Georges Pérec. N’y-a-t-il pas une ombre de Borges en cette phrase : « peu importe qu’il s’agisse de la chute d’une feuille, de la nuit ou d’un empire, ma distanciation pouvait en arriver à être absolue »…

Il écrit vite et publie tant et tant, soit une trentaine de titres en français, et pourtant Enrique Vila-Matas préfère Le Voyageur le plus lent[8], où ranger ses chroniques et « fictions critiques », toujours curieuses, souvent piquantes. Il joue en virtuose avec la mise en abyme de la littérature, à se dédoubler en critique littéraire qui balaie l’art romanesque entre Joyce et Simenon, comme parmi les pages de Chet Baker pense à son art[9], jazzman métaphorique. Nous nous en doutions, il prise fort autant Kafka que la figure de « Bartleby l’écrivain », ce personnage désenchanté d’Hermann Melville, auquel il a consacré un hommage, Bartleby et compagnie[10], dans lequel un commis aux écritures, déçu en amour, recense les écrivains négatifs, incapables ou impubliés. Ce n’est pas sans ironie qu’il réussit ses livres en pillant et rédimant les ratés…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Enrique Vila-Matas : Enfants sans enfants, Christian Bourgois, 1999.

[3] Enrique Vila-Matas : Impressions de Kassel, Christian Bourgois, 2014.

[4] Enrique Vila-Matas : Explorateurs de l’abîme, Christian Bourgois, 2008.

[7] Oscar Wilde : « Le déclin du mensonge », Intentions, Œuvres, La Pléiade, Gallimard, p 805.

[8] Enrique Vila-Matas : Le Voyageur le plus lent, Le Passeur, 2001.

[9] Enrique Vila-Matas : Chet Baker pense à son art, Mercure de France, 2011.

[10] Enrique Vila-Matas : Bartleby et compagnie, Christian Bourgois, 2002.

 

Photo : T. Guinhut.

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Pour une éthique de la critique littéraire

Du temps des livres aux vérités du roman

 

 

 

 

 

 

 

Bloom

Amour, amitié et culture générale

 

 

 

 

 

 

 

Bloy

Le désespéré enlumineur de haines

 

 

 

 

 

 

 

Bolaño

L’artiste et le mal : 2666, Nocturne du Chili

Les parenthèses du chien romantique

Poète métaphysique et romancier politique

 

 

 

 

 

 

 

Bonnefoy

La poésie du legs : Ensemble encore

 

Borel

Pétrus Borel lycanthrope du romantisme noir

 

 

 

 

 

 

 

Borges

Un Borges idéal, équivalent de l'univers

Géographies des bibliothèques enchantées

Poèmes d’amour, une anthologie

 

 

 

 

 

 

 

Brague

Légitimité de l'humanisme et de l'Histoire

Eloge paradoxal du christianisme, sur l'islam

 

 

 

 

 

 

Brésil

Poésie, arts primitifs et populaires du Brésil

 

 

 

 

 

 

Bruckner

La Sagesse de l'argent

Pour l'annulation de la Cancel-culture

 

Brume et brouillard

Science, littérature et art du brouillard

 

 

 

 

 

 

Burgess

Folle semence de L'Orange mécanique

 

 

 

 

 

 

 

Burnside

De la maison muette à l'Eté des noyés

 

 

 

 

 

 

Butor

Butor poète et imagier du Temps qui court

Butor Barcelo : Une nuit sur le mont chauve

 

 

 

 

 

 

Cabré

Confiteor : devant le mystère du mal

 

 

 

 

 

 

 

Canetti

La Langue sauvée de l'autobiographie

 

 

 

 

 

 

Capek

La Guerre totalitaire des salamandres

 

 

 

 

 

 

Capitalisme

Eloge des péchés capitaux du capitalisme

De l'argument spécieux des inégalités

La sagesse de l'argent : Pascal Bruckner

Vers le paradis fiscal français ?

 

 

 

 

 

 

Carrion

Les orphelins du futur post-nucléaire

Eloges des librairies et des libraires

 

 

 

 

 

 

 

Cartarescu

La trilogie roumaine d'Orbitor, Solénoïde ; Manea : La Tanière

 

 

 

 

 

 

 

Cartographie

Atlas des mondes réels et imaginaires

 

 

 

 

 

 

 

Casanova

Icosameron et Histoire de ma vie

 

 

 

 

 

 

Catton

La Répétition, Les Luminaires

 

 

 

 

 

 

 

Cavazzoni

Les Géants imbéciles et autres Idiots

 

 

 

 

 

 

 

Celan

Paul Celan minotaure de la poésie

Celan et Bachmann : Lettres amoureuses

 

 

 

 

 

 

Céline

Voyage au bout des pamphlets antisémites

Guerre : l'expressionnisme vainqueur

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

 

Censure et autodafé

Requiem pour la liberté d’expression : entre Milton et Darnton, Charlie et Zemmour

Livres censurés et colères morales

Incendie des livres et des bibliothèques : Polastron, Baez, Steiner, Canetti, Bradbury

Totalitarisme et Renseignement

Pour l'annulation de la cancel culture

 

 

 

 

 

 

Cervantès

Don Quichotte peint par Gérard Garouste

Don Quichotte par Pietro Citati et Avellaneda

 

 

 

 

 

 

Cheng

Francois Cheng, Longue route et poésie

 

 

 

 

 

 

Chesterton

William Blake ou l'infini

Le fantaisiste du roman policier catholique

 

Chevalier

La Dernière fugitive, À l'orée du verger

Le Nouveau, rééecriture d'Othello

Chevalier-la-derniere-fugitive

 

Chine

Chen Ming : Les Nuages noirs de Mao

Du Gène du garde rouge aux Confessions d'un traître à la patrie

Anthologie de la poésie chinoise en Pléiade

 

 

 

 

 

 

Civilisation

Petit précis de civilisations comparées

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

 

 

 

 

 

 

 

Climat

Histoire du climat et idéologie écologiste

Tyrannie écologiste et suicide économique

 

 

 

 

 

 

Coe

Peines politiques anglaises perdues

 

 

 

 

 

 

 

Colonialisme

De Bartolomé de Las Casas à Jules Verne

Métamorphoses du colonialisme

Mario Vargas Llosa : Le rêve du Celte

Histoire amérindienne

 

 

 

 

 

 

Communisme

"Hommage à la culture communiste"

Karl Marx théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

 

 

 

 

 

 

Constant Benjamin

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Corbin

Fraicheur de l'herbe et de la pluie

Histoire du silence et des odeurs

Histoire du repos, lenteur, loisir, paresse

 

 

 

 

 

 

 

Cosmos

Cosmos de littérature, de science, d'art et de philosophie

 

 

 

 

 

 

Couleurs
Couleurs de l'Occident : Fischer, Alberti

Couleurs, cochenille, rayures : Pastoureau

Nuanciers de la rose et du rose

Profondeurs, lumières du noir et du blanc

Couleurs des monstres politiques

 

 

 

 

 


Crime et délinquance

Jonas T. Bengtsson et Jack Black

 

 

 

 

 

 

 

Cronenberg

Science-fiction biotechnologique : de Consumés à Existenz

 

 

 

 

 

 

 

Dandysme

Brummell, Barbey d'Aurevilly, Baudelaire

 

 

 

 

 

 

Danielewski

La Maison des feuilles, labyrinthe psychique

 

 

 

 

 

 

Dante

Traduire et vivre La Divine comédie

Enfer et Purgatoire de la traduction idéale

De la Vita nuova à la sagesse du Banquet

Manguel : la curiosité dantesque

 

 

 

 

 

 

Daoud

Meursault contre-enquête, Zabor

Le Peintre dévorant la femme

 

 

 

 

 

 

 

Darger

Les Fillettes-papillons de l'art brut

 

 

 

 

 

 

Darnton

Requiem pour la liberté d’expression

Destins du livre et des bibliothèques

Un Tour de France littéraire au XVIII°

 

 

 

 

 

 

 

Daumal

Mont analogue et esprit de l'alpinisme

 

 

 

 

 

 

Defoe

Robinson Crusoé et romans picaresques

 

 

 

 

 

 

 

De Luca

Impossible, La Nature exposée

 

 

 

 

 

 

 

Démocratie

Démocratie libérale versus constructivisme

De l'humiliation électorale

 

 

 

 

 

 

 

Derrida

Faut-il pardonner Derrida ?

Bestiaire de Derrida et Musicanimale

Déconstruire Derrida et les arts du visible

 

 

 

 

 

 

Descola

Anthropologie des mondes et du visible

 

 

 

 

 

 

Dick

Philip K. Dick : Nouvelles et science-fiction

Hitlérienne uchronie par Philip K. Dick

 

 

 

 

 

 

 

Dickinson

Devrais-je être amoureux d’Emily Dickinson ?

Emily Dickinson de Diane de Selliers à Charyn

 

 

 

 

 

 

 

Dillard

Eloge de la nature : Une enfance américaine, Pèlerinage à Tinker Creek

 

 

 

 

 

 

 

Diogène

Chien cynique et animaux philosophiques

 

 

 

 

 

 

 

Dostoïevski

Dostoïevski par le biographe Joseph Frank

 

 

 

 

 

 

Eco

Umberto Eco, surhomme des bibliothèques

Construire l’ennemi et autres embryons

Numéro zéro, pamphlet des médias

Société liquide et questions morales

Baudolino ou les merveilles du Moyen Âge

Eco, Darnton : Du livre à Google Books

 

 

 

 

 

 

 

Ecologie, Ecologismes

Greenbomber, écoterroriste

Archéologie de l’écologie politique

Monstrum oecologicum, éolien et nucléaire

Ravages de l'obscurantisme vert

Wohlleben, Stone : La Vie secrète des arbres, peuvent-il plaider ?

Naomi Klein : anticapitalisme et climat

Biophilia : Wilson, Bartram, Sjöberg

John Muir, Nam Shepherd, Bernd Heinrich

Emerson : Travaux ; Lane : Vie dans les bois

Révolutions vertes et libérales : Manier

Kervasdoué : Ils ont perdu la raison

Powers écoromancier de L'Arbre-monde

Ernest Callenbach : Ecotopia

 

 

 

 

 

 

Editeurs

Eloge de L'Atelier contemporain

Diane de Selliers : Dit du Genji, Shakespeare

Monsieur Toussaint Louverture

Mnémos ou la mémoire du futur

 

 

 

 

 

 

Education

Pour une éducation libérale

Allan Bloom : Déclin de la culture générale

Déséducation et rééducation idéologique

Haine de la littérature et de la culture

De l'avenir des Anciens

 

 

 

 

 

 

Eluard

« Courage », l'engagement en question

 

 

 

 

 

 

 

Emerson

Les Travaux et les jours de l'écologisme

 

 

 

 

 

 

 

Enfers

L'Enfer, mythologie des lieux

Enfers d'Asie, Pu Songling, Hearn

 

 

 

 

 

 

 

Erasme

Erasme, Manuzio : Adages et humanisme

Eloge de vos folies contemporaines

 

 

 

 

 

 

 

Esclavage

Esclavage en Moyen âge, Islam, Amériques

 

 

 

 

 

 

Espagne

Histoire romanesque du franquisme

Benito Pérez Galdos, romancier espagnol

 

 

 

 

 

 

Etat

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Constructivisme versus démocratie libérale

Amendements libéraux à la Constitution

Couleurs des monstres politiques

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Socialisme et connaissance inutile

Patriotisme et patriotisme économique

La pandémie des postures idéologiques

Agonie scientifique et sophisme français

Impéritie de l'Etat, atteinte aux libertés

Retraite communiste ou raisonnée

 

 

 

 

 

 

 

Etats-Unis romans

Dérives post-américaines

Rana Dasgupta : Solo, destin américain

Bret Easton Ellis : Eclats, American psycho

Eugenides : Middlesex, Roman du mariage

Bernardine Evaristo : Fille, femme, autre

La Muse de Jonathan Galassi

Gardner : La Symphonie des spectres

Lauren Groff : Les Furies

Hallberg, Franzen : City on fire, Freedom

Jonathan Lethem : Chronic-city

Luiselli : Les Dents, Archives des enfants

Rick Moody : Démonologies

De la Pava, Marissa Pessl : les agents du mal

Penn Warren : Grande forêt, Hommes du roi

Shteyngart : Super triste histoire d'amour

Tartt : Chardonneret, Maître des illusions

Wright, Ellison, Baldwin, Scott-Heron

 

 

 

 

 

 

 

Europe

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

Fables politiques

Le bouffon interdit, L'animal mariage, 2025 l'animale utopie, L'ânesse et la sangsue

Les chats menacés par la religion des rats, L'Etat-providence à l'assaut des lions, De l'alternance en Démocratie animale, Des porcs et de la dette

 

 

 

 

 

 

 

Fabre

Jean-Henri Fabre, prince de l'entomologie

 

 

 

 

 

 

 

Facebook

Facebook, IPhone : tyrannie ou libertés ?

 

 

 

 

 

 

Fallada

Seul dans Berlin : résistance antinazie

 

 

 

 

 

 

Fantastique

Dracula et autres vampires

Lectures du mythe de Frankenstein

Montgomery Bird : Sheppard Lee

Karlsson : La Pièce ; Jääskeläinen : Lumikko

Michal Ajvaz : de l'Autre île à l'Autre ville

Morselli Dissipatio, Longo L'Homme vertical

Présences & absences fantastiques : Karlsson, Pépin, Trias de Bes, Epsmark, Beydoun

 

 

 

 

 

 

Fascisme

Histoire du fascisme et de Mussolini

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Haushofer : Sonnets de Moabit

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets des paysages

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com.

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme et Aldo Manuzio

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Maladie et métaphore : Wagner, Maï, Zorn

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Sonnets pour Hélène LXVIII Commentaire

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Sonnets autobiographiques

Sonnets de l'Art poétique

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

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