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30 septembre 2024 1 30 /09 /septembre /2024 16:31

 

Canal Grande e Palazzo Cavalli Franchetti, Venezia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Italo Calvino, voyageur

des nids d’araignées et des villes invisibles :

de la Pléiade au Cahier de l’Herne.

 

 

Italo Calvino : Romans,

traduits de l’italien par

Yves Hersant, Christophe Mileschi, Martin Rueff & Roland Stragliati,

La Pléiade, Gallimard, 2024, 1328 p, 69 €.

 

Italo Calvino, Cahier de L’Herne, 2024, 304 p, 37 €.

 

 

Météore inattendu de la littérature transalpine, le romancier italien Italo Calvino (1923-1985) fut particulièrement perché, tant il était autant à l’affut de la connaissance que de l’invisible et de l’inexistant. Ce qui ne l’empêcha pas – bien au contraire – de donner forme et langue à son intellectuelle fantaisie.  Il fait désormais l’objet d’une double consécration en entrant à la fois parmi la prestigieuse collection de la Pléiade et au fronton d’un Cahier de L’Herne. Sur les couvertures de ces généreux volumes, s’affiche le regard coquin, le sourire espiègle, l’acuité du regard, bien digne de l’auteur de Palomar, lorsque le personnage emprunte son nom à l’observatoire californien, qui usa longtemps du plus grand télescope au monde. Un tel écrivain oscille bien entre macrocosme et microcosme. Ainsi, confiant au « sentier des nids d’araignées », le soin de guider les partisans contre le fascisme, il reste un observateur scrupuleux de l’infime, alors que ses « baron perché » et « chevalier inexistant » préfèrent fuir un réel insuffisant au profit du fantastique. Plus loin dans sa carrière, il aime à énumérer en toute mystérieuse beauté ses Villes invisibles, naviguant à vue parmi les fantasmes urbains les plus indicibles, en embarquant son lecteur sur les navires de ses poèmes en prose. Tandis qu’un penchant métalittéraire s’invite lorsque « par une nuit d’hiver un voyageur », livre en main, se fait un tantinet borgésien.

Journaliste, essayiste, conteur, librettiste d’opéra, il est d’abord un romancier fécond, inclassable, papillonnant d’imagination, comme se surprenant lui-même à chaque nouvelle publication. Italo Calvino commença d’une manière classique, sinon conventionnelle, par l’histoire d’une résistance antifasciste, à laquelle il participa en personne en 1944, quoique le titre – Le Sentier des nids d’araignée – soit déjà bien insolite. Il n’est cependant pas autobiographique, pas lourdement engagé, d’autant que le regard de Pin, un gamin facétieux aux mille tours, une « face de macaque », oriente le récit moins vers la célébration historique que vers le roman picaresque pimenté de féérie. Pas d’héroïsme guerrier, mais des anti-héros, vu à travers le prisme de celui qui préfère, plutôt que l’infernal pathos de trop sérieux adultes, le monde magique des arachnides. Car découvrir un cadavre gonflé dans un champ, entendre les coups de feu, tout cela fait pleurer Pin qui goûte « les tanières des araignées et le pistolet enterré », mais aussi la beauté des lucioles…

 Est-ce aller jusqu’à penser que la grandiloquence nazie a son envers chez les partisans ? Et même si à cette époque notre auteur se veut communiste jusqu’en 1957, à la suite de la répression féroce de l’insurrection hongroise par l’Union soviétique, il abandonnera bientôt une telle soumission. Cela va sans dire, le réalisme socialiste n’est pas pour lui. Aussi l’ironie pétille : « Au fond, Pin aimerait bien faire partie de la brigade noire, déambuler tout bardé de têtes de mort et de chargeurs de mitraillettes ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’on aurait pu croire qu’après Le Sentier des nids d’araignées Italo Calvino allait se confiner dans le réalisme et l’engagement militant, avec juste un zeste d’insolite. Pas le moins du monde. Dès lors le presque néoréalisme initial est évacué au profit de la liberté du fantastique. Les années cinquante voient éclore successivement Le Vicomte pourfendu, Le Baron perché, puis Le Chevalier inexistant, qui font l’objet d’une trilogie intitulée Nos ancêtres, volontairement divertissante.

 Particulièrement macabre est ce conte du vicomte, soldat coupé en deux par un coup de canon au cours d’une guerre entre Turcs et Chrétiens. Mais « la forte fibre des Terralba avait résisté. À présent, il était vivant et pourfendu ». Revenu en l’ancestral château où son père vit avec ses oiseaux, il ne mange que la moitié des poires, des champignons, suscitant l’étonnement de l’enfant narrateur. L’on y croise un « pavillon des courtisanes », une « conjuration de palais », « le Calamiteux et le Bon », avant que l’oncle du narrateur puisse redevenir « un homme entier ».

De nouveau un enfant, Cosimo, douze ans, nous est présenté dans Le Baron perché par son frère de huit ans, le narrateur. Excédé par sa famille, un père obsédé par les généalogies, une mère par les dentelles aux motifs militaires, une sœur perfide qui cuisine du porc-épic et des escargots décapités, voilà qui précipite la rébellion : en 1767 Cosimo grimpe définitivement sur la branche d’une yeuse. Comme si l’insolite et le burlesque étaient le signe du rejet des temps politiques et cruels par le romancier. Ce qui n’empêche pas le drôle de batailler contre des pirates, de lire « toute l’Encyclopédie de Diderot ». La blonde petite Viola parviendra-t-elle à le faire descendre de « son royaume » ? Ne devient-elle pas une jeune fille, une duchesse et veuve entreprenante, séduisante, délicieusement érotique dans « la conque » du noyer… Entre picaresque et lyrisme, le roman ne cesse de séduire le lecteur, sans compter la dimension de l’apologue.

Nous voici à l’époque de Charlemagne et des paladins, avec cette armure vide et animée, en un lointain souvenir des aventures de Don Quichotte et surtout du Roland furieux de l’Arioste, non plus brillamment héroïque et follement amoureux, mais ici pointant sans vergogne vers l’absurde et le fantastique. L’armure immaculée d’Algilulf cache le « Chevalier inexistant » alors que le « campement des infidèles » menace. Pour les uns il n’est qu’un « tas de ferraille », pour d’autres il est une légende, en particulier pour la narratrice, sœur Théodora, qui recompose le récit « à partir de vieux parchemins, de bavardages entendus au parloir et de quelques rares témoignages » ; le reste, elle l’imagine. Jusqu’au « campement du Graal », et la métamorphose de la nonne écrivaine en « la guerrière Bradamante » qui retrouve son « jeune et fougueux Raimbautl »…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Ce qui pouvait ressortir à un imaginaire médiéval, distordu et humoristique, se voit dépassé du côté de la série de petites fable – voire des Lumières au sens de l’apologue – avec Marcovaldo ou les saisons en ville. Représenter le monde contemporain est un défi pour Italo Calvino. Aussi le modeste et pauvre héros, dont le nom est emprunté à un géant de la littérature chevaleresque, n’est qu’un paysan immigré dans le nord industriel de l’Italie, exerçant un emploi non qualifié, père de famille nombreuse de surcroit. Le néoréalisme reprend-il des galons ? Mais au-delà du pathétique prolétarien, et sans lourdeur idéologique, apparaît le portrait d’un inadapté dans une société de masse, un bonhomme comique et mélancolique, ne ramassant en ville que des champignons toxiques, libérant d’un hôpital un lapin porteurs de germes mortels… Il vit à la fois dans le monde ouvrier et urbain, et dans celui des fantasmes et de l’ailleurs, le tout écrit sur le mode excentrique avec une gratifiante légèreté.

Bientôt la recherche scientifique se marie à la fantaisie, le cabinet de curiosité littéraire s’enrichit de l’association avec l’Oulipo, cet « Ouvroir de littérature potentielle », qui, avec Raymond Queneau, se gorge de jeux combinatoires, de contraintes formelles fécondes. Ce dont témoignent respectivement Les Villes invisibles et Si par une nuit d’hiver un voyageur, ce dernier tellement métalittéraire, où « le lecteur est le héros », où il lui arrive « des aventures plus romanesques encore que celles du roman ». Il tarde à ce dernier de rencontrer son double, « la Lectrice », dont le prénom est Ludmilla. La mise en abyme engage dix incipits romanesques enchâssés. Soit dix pastiches, entre espionnage et journal d’un névrosé, entre guerre civile et opus « politico-existentiel », entre thriller un brin vulgaire et érotisme japonisant, sans oublier, ô ironie, le journal intime d’un romancier dépourvu d’inspiration. Jeux de miroirs, personnages dédoublés, allusions littéraires, tant à Queneau qu’à Nabokov, Borges et Tanizaki, tout conspire à l’ahurissant objet postmoderne ; néanmoins rien de pontifiant, car animé par l’aisance. Les titres de chapitres finissent par former successivement une seule phrase, alors que l’auteur-narrateur ne cesse de tutoyer son lecteur. La poursuite des codes et des imaginaires de la littérature l’emporte définitivement.

Enfin, dans Monsieur Palomar, dont il existe une édition poétiquement illustrée par Yan Nascimbene[1], l’acuité scopique du phénoménologue prend le dessus. Une vision polyédrique d’un univers insaisissable tente de parfaire le cercle de l’observation. Le géographe des corps célestes façonne un processus moins narratif que descriptif, un objet romanesque non identifié, aux divers récits et à la lisière de l’essai, métatexte aux vingt-sept aventures. Chaque univers est un défi à la connaissance : vagues marines, prairie, sein nu, gorille albinos, comme un gigantesque cabinet de curiosité ; et au tout premier chef ciel aux astres lumineux. L’étonnant scrutateur range ses exercices sous l’égide de trois parties, elles-mêmes triplices : « Les Vacances de Monsieur Palomar », « Monsieur Palomar en ville », « Les Silences de Monsieur Palomar ». Curieusement, quoiqu’avec une intime discrétion, c’est peut-être le plus autobiographique des livres d’Italo Calvino, tant ses préoccupations et ses regards y sont incessants. En sus de la démarche scientifique, le sens poétique continue de charmer le lecteur, par exemple à l’occasion de l’observation des oiseaux : « À un moment donné, Monsieur Palomar s’aperçoit que le nombre d’être tourbillonnants à l’intérieur du globe augmente rapidement, comme si un courant extrêmement fougueux y transvasait une nouvelle population à la vitesse du sable s’écoulant dans le sablier »… Un rien borgésien, non ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il fallait bien un volume de la Pléiade, comme en écho à ceux de Borges, même si l’on peut regretter que les Cosmicomics n’aient pas été retenus. Ces nouvelles drolatiques – auxquelles on peut ajouter Temps zéro – se proposent d'alléger et de figurer les concepts ardus de la science contemporaine, à la lisière des mythes cosmogoniques et de la science-fiction. Entre espace et temps, démesurés, entre amibes et nébuleuses, l’univers présente une forme inaboutie, quoique bien parallèle à celui qui est le nôtre. L’ironie règne en maîtresse, conjointement avec une spéculation intellectuelle inventive. Néanmoins ce Pléiade, efficacement dirigé par Yves Hersant, effectue un cercle probant de la carrière romanesque calvinienne.

L’on a reproché, en Italie, à Calvino son succès, voire d’être devenu un classique, lui qui savait pourtant « pourquoi lire les classiques[2] », et, pire, au contraire d’un Pasolini, d’être « asocial », renonçant à l’action sur le monde, refusant d’être un phare politique. C’est se méprendre tant la liberté de l’imagination est une conquête politique. La vraisemblance et l’intrigue ayant volé en éclats, la pure beauté calvinienne peut se manifester. Comme lorsque, publiant Le Château des destins croisés, il fonde son récit sur une combinatoire des cartes d’un jeu de tarots.

Italo Calvino : Tarots, Franco Maria Ricci, 1974.

Photo : T. Guinhut.

 

Peut-être ces Villes invisibles sont-elles le sommet de la créativité calvinienne. Originellement publiées à Turin en 1972, ces proses se présentent comme le compte-rendu d’une imaginaire conversation entre Marco Polo et Kublai Khan, le premier lui offrant des portraits des villes européennes et asiatiques qu’il aurait visitées au cours de son expédition lointaine, forcément insolites pour un empereur Chinois du tournant du XIV° et du XV° siècle. D’abord exprimés par « gestes, sauts, cris d’émerveillement et d’horreur, aboiements, hurlements d’animaux ou par le truchement d’objets qu’il allait extraire de ces besaces », ces Villes invisibles deviennent en langue tartare comme « les flèches d’une ville aux pinacles élancés, faits de telle sorte que la Lune dans son voyage pouvait se poser tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre ». Le récit-cadre, disposé en une vingtaine de séquences, intercale une petite centaine de portrait de villes, organisés par thématiques récurrentes : « Les villes et le désir », « Les villes et la mémoire », ou encore « le nom », « les yeux », « les signes », « les morts »… Si délirantes qu’elles soient, elles sont l’écho, l’émanation de la cité originaire de Marco Polo : « Chaque fois que je décris une ville, je dis quelque chose de Venise ». Ainsi lorsqu’apparait : « Smeraldina, ville aquatique, un réseau de canaux et un réseau de rues se superposent et se recoupent ».

Fantaisistes fleurs du fantasme, elles empruntent toutes leurs noms à des prénoms féminins. Parmi les « villes élancées », l’on visite « Ottavia, la ville-toile d’araignée », bâtie sur un filet tendu entre deux montagnes ; parmi « les villes et le ciel », « Andria [qui] fut construite avec un art tel que chacune de ses rues court suivant l’orbite d’une planète et que les édifices et les lieux de la vie en commun répètent l’ordre des constellations ». L’on rejoint « Valdrada » qui est « une ville droite sur le lac et une ville reflétée à l’envers » ; mieux, ses habitants « savent que tous leurs actes sont en même temps leurs actes et son image spéculaire ». L’imagerie urbaine fabuleuse ne va pas sans l’étrangeté des psychés. Ainsi, artistiquement belles ou effrayantes, comme sous le pinceau d’un écrivain inspiré, d’un peintre fou, à la manière de Monsù Desiderio, elles sont les coagulations du désir et du rêve, mais aussi des peurs qui nous agitent. « Seurapia d’en dessous » est habitée de « cadavres, séchés de manière à ce qu’il en reste le squelette revêtu de peau jaunâtre ».

Pour répondre aux propositions de Marco Polo, Kublai Khan possède un atlas éminemment borgésien, dans lequel non seulement figurent toutes les cités de son empire, mais aussi des « terres promises visitées en pensée, mais qui n’ont pas encore été découvertes ou fondées : La Nouvelle-Atlantide, Utopia, La Cité du Soleil, Océana, Tamoé, Armonia, New Lanark, Icaria ». Les fantômes des futurs fondateurs d’utopies livresques[3] se bousculent : Thomas More, Francis Bacon, Tommaso Campanella…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alors que le poète prosateur prétend que ce volume tout bâti de Villes invisibles est « un rêve qui nait au cœur des villes invivables », ne peut-on pas considérer que nos espaces urbains deviennent de plus en plus des villes imaginaires, tant l’utopie, architecturale et d’intelligence artificielle, devient réalité. En conséquence, la ville se métamorphose et se renie sans cesse. Il faut alors évoquer Charles Baudelaire : « Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville / Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel[4] », disait-il dans « Le cygne », parmi les pages de ses « Tableaux parisiens ».

L’infinie poésie architecturale, virevoltante et créatrice, de ce bouquet coloré de topographies calviniennes incite à rêver des tableaux qui pourraient être peints par Salvador Dali ou Yves Tanguy. En effet ces d’œuvres d’arts verbales, cependant inclassables, car également proches du poème de Coleridge, « Le rêve de Kublai Khan[5] », relèvent à la fois d’une esthétique borgésienne et d’une démarche surréaliste. La part d’automatisme psychique en chasse lors de l’écriture n’est pas loin de celle d’Henri Michaux, qui, dans Voyage en grande Garabagne[6], invente des populations, des ethnies plus étranges les unes que les autres, « les Hac », « les Emanglons » ou « les Gaurs », qui ont des villes, des places et des spectacles incroyables et cruels…

Charles Baudelaire, dans les années 1860, est censé être l’inventeur du genre promis à un bel avenir du poème en prose, quoiqu’il se réfère au précédent de Gaspard de la Nuit d'Aloysius Bertrand. Revenons à la préface-dédicace à Ernest Houssaye du Spleen de Paris, sous-titré « Petits poèmes en prose » : « Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? C'est surtout de la fréquentation des villes énormes, c'est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant[7]. » Si Baudelaire parlait ici de Paris, il n’est en rien interdit d’appliquer cette intention, voire cette définition, un siècle plus tard, au travail d’Italo Calvino. Et si l’auteur des Feurs du mal se consacrait à transmuer la boue d’une réelle capitale en or poétique, celui du Cavalier inexistant plonge hardiment dans les territoires de l’imaginaire, au point que ses Villes invisibles ne soient perceptibles que par les yeux du langage. L’on devine alors que, devant cette petite centaine de poèmes en prose, l’humilité et le soin du traducteur doivent être à leur comble.

Il est à noter à cet égard que les éditions Gallimard se sont lancées depuis quelques temps dans une vaste opération de retraductions des œuvres d’Italo Calvino pour aboutir à ce volume de La Pléiade. Toujours sous les doigts avisés et soigneux de Martin Rueff et Yves Hersant, qui n’en doutons pas, savent insuffler à son interprétation ce qui devient un astre  postbaudelairien, si évocateurs, aux qualités visuelles 3indéniables. C’est en effet ce que nous ressentons à se laisser porter par les mots français unis comme les doigts de la main à ceux italiens…

Un bonheur n’arrivant jamais seul, à ce Pléiade s’adjoint un Cahier de l’Herne, sous la direction de Christophe Mileschi et Martin Rueff. « Des enfants aux lettrés », Italo Calvino séduit, fascine, et rien n’est moins inutile qu’un « laboratoire central » pour sonder les multiples states et comètes d’une écriture qui se veut « un instrument de connaissance ».

L’œuvre surabondante dont ce Pléiade ne donne en fait qu’un aperçu, certes fondamental, ne serait-ce qu’en n’intégrant pas les essais, en particulier La Machine littérature[8], est ici sous le feux des  témoignages d’amis, comme Pier Paolo Pasolini, Carlo Ginzburg, Giorgio Agamben, et  des analyses critiques de spécialistes français et italiens, Philippe Daros, Mario Barenghi, Luca Baranelli, Fabio Gambaro… S’y ajoutent les visions d’écrivains qui sont nos contemporains, Marcel Bénabou, Hervé Le Tellier, Yannick Haenel. Le tout pour éclairer des pans parfois oubliés, comme les productions journalistiques, l’intérêt pour l’écologie : « c’est au travail de l’univers que nécessairement l’homme collabore ». De plus, lui qui aimait Fellini, Antonioni et Kurosawa, n’économise pas les chroniques cinématographiques…

Bien entendu, un Cahier de l’Herne se mesurant  aussi à la quantité et à la qualité de textes inédits de l’auteur qui est à son fronton, ceux-là ne manquent pas de témoigner de son travail omnivore ainsi que du regard critique face à l’actualité de son siècle. En effet des développements de la littérature qui lui est contemporaine jusqu’à la conquête spatiale, de l’évolution des mœurs à l’enlèvement du Président de la Démocratie Chrétienne, Aldo Moro, par les Brigades rouges en 1978, la curiosité et l’acuité de l’écrivain se déploie. Après « Moro ou une tragédie du pouvoir » vient en toute logique « La question morale ». Reste qu’il s’agit là d’un « moraliste sans moraline » ; d’un esthète également, entre autres admirateur du peintre de paysages romantique, Turner.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Depuis une « autobiographie politique » venue de sa jeunesse jusqu’à un texte écrit peu de semaines avant sa mort, l’évolution est sidérale. Il n’échappe pas à devoir répondre au fameux « Pourquoi écrivez-vous ? » en arguant qu’il était « insatisfait » de ce qu’il avait déjà écrit, qu’il se lançait par admiration pour un modèle aussitôt oublié de façon à  œuvrer à ce qui n’a pas été encore écrit, et surtout affirmant : « pour apprendre quelque chose que je ne sais pas ». Une quête de toute évidence et de tous azimuts.

« Identité », un texte remarquable, nous plonge dans les arcanes de notre auteur, mais en miroir dans nos propres arcanes : nous sommes d’abord nos souvenirs, tout en sachant combien le temps nous change, ensuite « le produit d’une culture », « Blanc européen consumériste, pétroliphage et alphabétifère », chromosomes et « continuité génétique ». Bref, « l’identité la plus affirmée et la plus sûre d’elle-même n’est rien d’autre qu’une sorte de sac ou de tube dans lequel tourbillonnent des matériaux hétérogènes ». Et ce n’est qu’une perle parmi le coffre aux trésors de ce Cahier…

Toute proportion gardée, en dépit des genres, littéraire pour l’un, cinématographique pour les autres, Italo Calvino emprunte une trajectoire voisine de celles de Luchino Visconti et de Federico Fellini. Le premier traque dans Rocco et ses frères la condition sociale la plus désespérée, pour aboutir aux somptuosités baroques de Louis II, le second va du néoréalisme de La Strada jusqu’aux fresques délirantes de Roma, du Satyricon, sans parler de Casanova et de La Cité des femmes. Du réalisme exigeant au fantastique le plus éblouissant, les lettres et les grand-écrans italiens ont su, des racines du sol aux couleurs de l’imaginaire, fleurir dans le mouvement vers les hauteurs de l’art. Italo Calvino est bien celui que Cesare Pavese appelait « l’écureuil de la plume ».

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Italo Calvino : Palomar, Seuil, 2003.

[2] Italo Calvino : Pourquoi lire les classiques, Folio, 2018.

[4] Charles Baudelaire : Les Fleurs du mal, La Pléiade, Gallimard, 2013, p 85.

[5] S. T. Coleridge : Le Dit du vieux marin, Librairie José Corti, 1947, p 91.

[6] Henri Michaux : Voyage en Grande Garabagne, Gallimard, 1936.

[7] Charles Baudelaire : Le Spleen de Paris, Œuvres I, ibidem, p 275.

[8] Italo Calvino : La Machine littérature, Seuil, 1984.

 

Roma, Lazio. Photo : T. Guinhut.

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24 septembre 2024 2 24 /09 /septembre /2024 11:55

 

Orazio Gentileschi : Diane chasseresse, 1631, Musée des arts, Nantes, Loire-Atlantique.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Ce que la philosophie doit aux Femmes :

De Gilles Ménage

à Laurence Devillairs & Laurence Hansen-Løve,

jusqu’à Maria Zambrano.

 

 

Gilles Ménage : Histoire des femmes philosophes,

traduit du latin par Manuella Vaney, Arléa, 2021, 128 p, 8 €.

 

Laurence Devillard et Laurence Hansen-Løve :

Ce que la philosophie doit aux femmes,

Robert Laffont, 2024, 496 p, 22,50 €.

 

Maria Zambrano : Philosophie et poésie,

traduit de l’espagnol par Jacques Ancet, Corti, 2024, 128 p, 18 €.

 

 

Platon, Aristote, Thomas d’Aquin, Friedrich Nietzsche, Foucault, Peter Sloterdijk… Tous philosophes, ils n’en sont pas moins hommes. La sphère de la philosophie ne serait-elle le fait que de Messieurs ? Alors que - faut-il le rappeler ? - il n’est en rien interdit de philosopher au féminin, ce dont témoignèrent l’Antiquité et la mise au point de Gilles Ménage, il y a de cela trois siècles. Si occidentalocentrée elle est, alors combien est-elle phallocentrée ! L’histoire de la philosophie comptant pourtant nettement plus de femmes qu’attendu. Il n’est jamais trop tard, sans vouloir céder à une mode idéologique, comme lorsque les compositrices doivent certes retrouver une place centrale dans l’Histoire de la musique mais sont exhibées au service d’une démarche revancharde, de considérer « ce que la philosophie doit aux femmes », pour reprendre le titre de Laurence Devillairs et Laurence Hansen-Løve. Démarche fort judicieuse qu’il ne faudrait pas confondre avec un militantisme contre-productif. Car la philosophie, en dépit d’un Schopenhauer qui arguait d’un « sexe laid » et des « limites de leur intelligence[1] », n’est et ne doit être ni masculine ni féminine, mais humaniste. Malgré l’indéniable richesse d’un tel rachat de nos penseurs au féminin, nos deux maîtresses d’œuvre n’ont-elles pas oublié Ayn Rand et Maria Zambrano ?

Faut-il cependant rappeler que l’Antiquité et le Moyen-Âge n’étaient pas le bouge du patriarcat, mais une ère où ces dames pouvaient penser. C’est au XVII° siècle, soit en 1690, que l’humaniste Gilles Ménage écrit en latin son Histoire des femmes philosophes, précieux recueil d’ailleurs dédiée à Madame Dacier, éminente traductrice d’Homère. Songeons qu’Aspasie de Milet, « maîtresse d’éloquence », « enseigna la rhétorique à Périclès et à Socrate, et à ce dernier la philosophie », rien de moins ! Elle avait de plus une « habile connaissance de la politique » selon Plutarque. Que Diotime est l’inspiratrice de Socrate dans Le Banquet. Que Sainte Catherine d’Alexandrie était « savante dans les lettres sacrées et profanes ». Il y eut des « platoniciennes », dont Hypathie d’Alexandrie qui « succéda à Plotin » et fut assassinée par la jalousie de Chrétiens particulièrement inattentifs au message du Christ ; elle écrivit un Commentaire sur Diophante, des « règles d’astronomie et un traité sur les Coniques d’Apollon ». Mais aussi des « académiciennes », des « dialecticiennes », des « stoïciennes », des « cyniques », des « pythagoriciennes », comme Théone, qui embrasa d’amour Pythagore lui-même ! Hélas l’on sait la philosophie orale et la mortalité des papyrus ne nous permirent guère de conserver tous les talents de ces dames.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De nouveaux Gilles Ménage ne ménagent pas leur peine pour ériger une nouvelle et plus contemporaine Histoire des femmes philosophes. Qui ferait la part belle à Simone Weil, la philosophe de L’Enracinement et de l’Etude pour une déclaration des obligations envers l’être humain, dans laquelle « l’univers mental de l’homme » est habité par l’« exigence d’un bien absolu ». Il faut d’elle méditer cette judicieuse pensée : « Parmi les inégalités de fait, le respect ne peut être égal envers tous que s’il porte sur quelque chose d’identique en tous[2] ».

Vient donc à point Ce que la philosophie doit aux femmes, sous la direction de Laurence Devillairs et Laurence Hansen-Løve, magistral volume, avec le concours d’une douzaine de leurs consœurs. Elles n’oublient pas de faire allusion à Gilles Ménage, d’aller chercher « les pionnières », elles ne confondent pas « philosophe » et « féministe », ni n’auraient l’incongruité de penser d’une manière essentialiste qu’une « nature féminine » singulariserait la pensée de celles « qui ne se présentent pas en victimes ». Elles savent penser le pouvoir et la liberté, le mal et la justice, l’utopie et la vérité...

A-t-on depuis Gilles Ménage amélioré notre connaissance des dames savantes de l’Antiquité, malgré tant de textes perdus ? L’on sait que les écoles philosophiques accueillaient les femmes, que Platon faisait de Diotime de Mantinée son égérie intellectuelle à la fin du Banquet, quoiqu’elle fût peut-être fictionnelle. Grâce en particulier à des recherches anglo-saxonnes, Mary Ellen Whaite[3] ou Dorothy Rogers[4], l’on découvre bien d’autres épicuriennes, pythagoriciennes, platoniciennes, etc. Outre Diotime, Hipparchie de Maronnée voit ici sa « volonté de savoir » réhabilitée. Et si ces dames ne semblent guère dévier de la pensée en cours à leur époque, quelques traités sont plus spécifiques, tels ceux de Phyntis de Sparte ou Périctioné, dont on retient Sur l’harmonie des femmes.

Ailleurs, bien loin de la Grèce, ce sont Maitreyi en Inde, ou encore Ban Zhao en Chine, qui disserte des mœurs confucéennes, de la vertu féminine comme « centre de la vie politique ».

Cependant, il y a bien pendant l’ère médiévale une « Cité des dames », pour reprendre le titre de Christine de Pizan[5]. Ce que montre la savante mystique Hildegarde de Bingen, sans compter Catherine de Sienne et Thérèse d’Avila qui ne se contentèrent pas de visions divines, mais furent comptables de bien des avancées conceptuelles, d’une étude de l’être humain, « articulée autour des relations entre sensibilité et intellect, charnel et spirituel, désir et transcendance, bonheur et volonté ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et quoique la Renaissance et l’âge classique soient marqués par le sexisme de Fénelon dans son traité de l’éducation des filles, quoique Molière se moque en ses Femmes savantes, il est impératif de penser à Marie de Gournay qui ne fut pas que l’éditrice des derniers Essais de Montaigne ; mais, sachant vivre de sa plume, elle publia en 1622 une Egalité des hommes et des femmes, dans laquelle elle répond à La Servitude volontaire de La Boétie, qui fut le jeune ami de Montaigne. Ou encore à Gabrielle Suchon qui en 1693 publia rien moins qu’un Traité de la morale et de la politique, dans lequel elle dénonce la fiction de l’incapacité de gouverner attribuée aux femmes. Plus largement, elle prétendit à  une utopie : vivre sans emprise ni sujétion…

Ambivalent fut le siècle des Lumières, tant un Rousseau confina dans l’ignorance la Sophie de son Emile. Mais c’est oublier Emilie du Chatelet, qui ne fut pas que l’amante de Voltaire, mais la traductrice de Newton, faisant la preuve de la théorie cinétique de Leibniz, critiquant avec pertinence Locke… Il faut cependant attendre la fin de ce même siècle pour voir émerger la malheureuse Olympes de Gouges, qui fut guillotinée par la Terreur, dont on retient la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ; également Mary Wollstonecraft (la mère de Mary Shelley) qui s’attachait à défendre les droits de la femme. Le siècle de la révolution industrielle fut celui d’un difficile affranchissement, auquel contribuèrent Germaine de Staël, Harriet Taylor Mill. Elles peuvent être des révoltées politiques, comme Flora Tristan, Louise Michel et Rosa Luxembourg, quoique la Commune et le socialisme révolutionnaire ne soient pas des voies de liberté. Car elles peuvent aussi se tromper, au même acabit que leurs homologues masculins, tant ensuite la libératrice russe des mœurs sexuelles, Alexandra Kollontaï n’abjura pas le communisme dont elle fut pourtant victime, tant la Simone de Beauvoir du Deuxième sexe se soumettait le plus volontairement du monde avec son cher Jean-Paul Sartre à l’idéologie communiste. 

Prodigue fut le XX° siècle. Entre « l’étonnement philosophique » de Jeanne Hersch et « les besoins de l’âme pour Simone Weil. Mais surtout, au plus haut sommet, notre chère Hannah Arendt[6], grande dame philosophale, dont les écrits sur les totalitarismes sont indépassables, qui sut rendre compte du procès Eichman[7], qui sut assumer « responsabilité et jugement », et savait que « le vent de la pensée peut empêcher des catastrophes[8] ».

 

En notre période contemporaine pullulent nos philosophes. Les auteures de Ce que la philosophie doit aux femmes proposent des recensions généreuses, qui ont le mérite d’en montrer la richesse et la diversité, quoique l’on sache combien il est difficile de porter un jugement avisé sur les qualités du présent – l’auteur de ces modestes lignes n’échappant pas à la fatuité de l’exercice – au risque de ne pas voir, d’oublier, d’occulter ; de survaloriser également. Ce ne sont pas moins de trois vastes chapitres – soit la moitié de l’ouvrage – qui sont consacrés à nos contemporaines. Est-ce trop se glorifier de notre temps ?  Certes la démocratisation de l’enseignement, les progrès des mœurs permettent de propulser les talents. Il faut admettre avec bonheur que cette abondance ouvre des portes de recherche stimulantes.

La corporéité féminine est l’objet de toutes les attentions. Catherine Malabrou consacre son intelligence aux dimensions du vécu, du performé, de la plastique. Camille Froidevaux-Metterie examine un corps, qui, génitalisé, voit ainsi ses potentialités réduites. L’on ne perd pas de vue la grande théoricienne du genre, Judith Butler[9], la naissance  de l’écoféminisme avec Françoise d’Eaubonne, « la crise écologique de la raison » et « la sorcière philosophe » de Starhawk, même si c’est peut-être confondre irrationnalité et philosophie. Heureusement, alors que l’hypothèse Gaïa s’empare de nombre de pensées (dont celle d’Isabelle Stengers) une Catherine Larrère enjoint de « ne pas céder au catastrophisme ».

Par ailleurs, selon peut-être une nécessité – voire un cliché – maternelle, l’éthique sociale et politique devient celle du prendre soin (ce que l’on appelle en anglais le « care »). Ainsi « répondre à la vulnérabilité, promouvoir la liberté réelle », sont l’objet de l’attention de Martha Nussbaum. Hélas une Nancy Fraser associe « travail de care » et anticapitalisme. Sait-on combien le capitalisme libéral et la généralisation des machines ont contribué à l’émancipation féminine ?

De toute évidence – à moins qu’il s’agisse plus d’actualité que de philosophie – il faut penser le monde après #Metoo. Le viol, très majoritaire masculin, doit être analysé sous tous ses aspects, y compris celui du pouvoir structurel. À cet égard émerge la voie précieuse de Geneviève Fraisse, sans cependant tomber dans un « féminisme dogmatique ». Le consentement étant bien entendu une loi éthique, la « propriété de soi » un indépassable. Les femmes d’Iran et d’ailleurs, que le voile encercle, ampute et abrutit, ne sont-elles pas digne d’une cause universelle ?

Ce que la philosophie doit aux femmes ? Mais un monde insoupçonné, que nous révèle en sa profusion le volume concocté avec scrupule et patience par Laurence Devillairs et Laurence Hansen-Løve…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Certes, personne n’a le pouvoir d’être exhaustif. Et l’on sait que, selon l’adage, la critique est facile et l’art est difficile. Mais n’aurait-on pas oublié Ayn Rand ? Outre ses grands romans, dont Atlas Shrugged – traduit sous le titre français La Grève[10] – qui mérite bien sa qualité de roman philosophique, son essai au titre en forme d’oxymore, La Vertu d’égoïsme, paru aux Etats-Unis en 1964, mérite que l’on s’y arrête. En son tropisme libéral, y compris économique, elle récuse le collectivisme, le vice de l’altruisme et de la solidarité obligatoire, arguant que chacun se doit d’abord à soi-même, et que de surcroit c’est ainsi que la société peut bénéficier des progrès et de la prospérité, en cohérence avec le principe de la « main invisible » d’Adam Smith : « L'éthique objectiviste considère que ce qui est bon pour l'homme ne nécessite pas de sacrifices humains et ne peut être accompli par le sacrifice des uns en faveur des autres. (...) Elle considère que les intérêts rationnels des hommes ne se contredisent pas, et qu'il ne peut y avoir de conflits d'intérêts entre des hommes qui ne désirent pas ce qu'ils ne méritent pas, qui ne font ni n'acceptent de sacrifices et qui traitent les uns avec les autres sur la base d'un échange librement consenti, donnant valeur pour valeur[11]. » En conséquence il n’existe pas de droit à asservir quiconque, y compris au profit de l’Etat.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De même il est nécessaire de faire une place à une dame également libérale, dont les éditions Corti viennent de remettre au jour le bel essai Philosophie et poésie. L’Espagnole Maria Zambrano (1904-1991) fut d’abord la disciple d’Ortega y Gasset, libéral résolu, ce dont témoigne son Horizon du libéralisme[12], paru en 1930, avant que ses convictions évidement antifranquistes la conduisent à l’exil en Amérique du Sud et en Europe, entre 1939 et 1982. Celle qui reçut le Prix Cervantès pour l’ensemble de son œuvre en 1988 brilla parmi les pages de L’Homme et le divin[13], à moins que l’on puisse penser que Philosophie et poésie soit, malgré sa brièveté, son opus magnum.

Depuis la Grèce antique, Platon et Aristote, ce sont deux versants : « Aujourd’hui poésie et pensée nous apparaissent comme deux formes insuffisantes, nous semblent être deux moitiés de l’homme : le philosophe et le poète. L’homme entier n’est pas dans la philosophie ; la totalité de l’humain n’est pas dans la poésie ». Il s’agit alors de réconcilier et transcender ce qui n’est pas en soi une opposition, au contraire des esprits chagrins. Car les poètes n’ont jamais gouverné une république ; même si l’on peut objecter que la poésie ne protège pas de l’aveuglement politique, ce dont témoigne le communisme d’Aragon ou de Neruda, ce dernier étant comptable du Prix Staline de la Paix !

Lorsqu’elle énonce que « la philosophie est une extase qu'un déchirement fait échouer », elle postule une violence nécessaire au sein de la réflexion philosophique face au monde. Lorsque nous sommes face à « une justice qui n’est que violence […] la parole de la poésie est irrationnelle, parce qu’elle détruit cette violence ». Quand le poète – qui sait « ce que le philosophe a ignoré : qu’il est impossible de se posséder soi-même » – demeure dans l’étonnement face aux événements de la vie, le philosophe doit se faire violence pour émerger de cet étonnement, de façon à appréhender le réel. Aussi faut-il, pour dépasser la dichotomie entre logos et pathos, tenter une expérience qu’elle appelle « raison poétique », car la poésie, en subissant « le martyre de la lucidité, s’approche de la raison ». Est-ce en quelque sorte, à l’instar de Lucrèce, imaginer un poème philosophique ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En vertu de sa nature féminine, et en son scrupuleux prologue, María Zambrano qualifie d’« utopique » l’écriture de ce livre, comme l’est chez elle la vocation philosophique : « J’entends par Utopie la beauté irrésistible, et aussi l’épée d’un ange qui nous pousse vers ce que nous savons impossible, comme l’auteur de ces lignes a toujours su qu’elle ne pourrait jamais faire de Philosophie, et pas seulement parce qu’elle est une femme. » L’on constate ainsi que la prose de Maria Zambrano, à la faveur de son érudition ne perd rien de sa limpidité, et que cette dernière est une penseuse rare et précieuse…

Reste que la « poésie de la pensée », pour reprendre le titre de George Steiner, qui engage en quelque sorte un dialogue complice avec celui de Maria Zembrano, est celle qui innerve secrètement toute prose philosophique. Et quoique Platon n’aimât guère les poètes, « non moins que la poésie au sens catégorique, la philosophie a sa musique, sa pulsation tragique, ses transports, et même, bien que rarement son rire[14] ».

Le mouvement de mondialisation et de féminisation philosophiques est bien parti pour durer, du moins espérons-le, dans le cadre de démocraties libérales préservées. Si l’époque contemporaine a peu de femmes philosophes d’immense envergure, hors la sommitale Hannah Arendt, s’engage, au travers d’un bouillonnement de voix, une course à la judicieuse prétention d’être femme et philosophe, alors qu’il suffit d’être simplement humain, prétention qui ne manque pas de moyens entre Rosi Braidotti et son The Posthuman[15], ou L’Âge du capitalisme de surveillance sous le clavier de Shoshana Zuboff[16]. Prenons garde cependant que les préoccupations du temps, voire ses conjugaisons opportunistes, démagogiques et idéologiques, comme un radicalisme féminisme, le décolonialisme, ou ce que l’on appelle la crise climatique, ne donnent lieu à des livres que le recul décapera de leur opportuniste actualité pour laisser voir que le roi et la reine philosophiques sont parfois nus…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et  de photographie


[1] Arthur Schopenhauer : Essai sur les femmes, Parerga et paralipomena, Bouquins, Robert Laffont, 2020, p 1063.  

[2] Simone Weil : Etude pour une déclaration des obligations envers l’être humain, Folio Sagesse, 2021, p 82.

[3] Mary Ellen Whaite : A History of Women Philosophers, University of Minnesota, 1992.

[4] Dorothy Rodgers : Women Philosophers. Education and Activisme in Nineteenth- Century in America, Bloomsbury Academic, 2020.  

[8] Hannah Arendt : Responsabilité et jugement, Rivages, 2009.

[11] Ayn Rand : La Vertu d’égoïsme, Le Belles Lettres, 2008.

[12] Maria Zambrano : Horizonte del libéralismo, Alianza editorial, 2022.

[13] Maria Zambrano : L’Homme et le divin, Corti, 2006.

[14] George Steiner : Poésie de la pensée, Gallimard, 2011, p 17.

[15] Rosi Braidotti : The Posthuman, Polity, 2013.

[16] Voir : Surveillances étatiques et entrepreneuriales ou Le Citoyen de verre

 

Orazio Gentileschi : Loth et ses filles, 1628, Museo de Bellas Artes, Bilbao, Euskadi.

Photo : T. Guinhut.

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15 septembre 2024 7 15 /09 /septembre /2024 09:11

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

Requiem pour les libertés.

 

Censure, blasphème, autodafés,

& autres tyrannies morales, religieuses,

langagières, économiques et politiques.

 

Essai de Thierry Guinhut, à paraître.

 

 

Doit-on entonner le Requiem de la liberté d’expression ? Toutes les doxas se liguent entre elles pour menacer une opinion, une conviction, une analyse hétérodoxes, qu’il s’agisse des bibliothèques incendiées, de l’aveuglement face à la poussée théocratique et son retour du blasphème, de l’impossibilité de rire de tout. Ce sont les trois piliers de l’effondrement suicidaire de notre civilisation, de sa mémoire, à moins qu’en les dénonçant, non sans pointer les désastres subis par le langage et l’orwellisation sociétale, il reste encore des lueurs de liberté et de raison…

Non content de défendre les libertés au cœur d’une actualité prodigue en attaques dangereuses, Thierry Guinhut les explicite dans une perspective historique et philosophique, avec une plume informée, mais aussi volontiers polémique, engagée, non sans ajouter parfois au sérieux un brin d’humour, lorsqu’il s’agit de dénoncer cette vulgarité langagière qui obère notre liberté d’être libre. Plus largement, peut-être faut-il déplorer l’agonie des liberté

 

 

I Requiem pour la liberté d’expression p 3

II Passions pour l’autodafé : livres et bibliothèque incendiés p 23

III Lire dans la gueule du loup et autres haines de la culture p 35

IV Eloge du blasphème p 44

V Samuel Rushdie : Joseph Anton ou la liberté outragée p 56

VI Tolérer Voltaire p 59

VII Statues de l’Histoire et mémoire p 65

VIII Le Procès spécieux contre la haine p 77

IX Peut-on rire de tout ? p 86

X Notre virale tyrannie morale p 96

XI Métamorphoses du racisme et de l’antiracisme p 105

XII Pour l’annulation de la Cancel culture p 119

XIII Pourquoi nous ne sommes pas religieux p 130

XIV Eloge paradoxal du christianisme p 190

XV De la déséducation idéologique p 190

XVI Pour une éducation libérale p 205

XVII De la vulgarité langagière p 209

XVIII Langue de porc et sexisme p 219

XIX Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique p 226

XX L’orwellisation sociétale ou le totalitarisme pas à pas p 232

XXI Serions-nous plus libres sans l’Etat ? p 254

XXII Bastiat contre l’hydre de l’Etat p 247

XXIII Vers le paradis fiscal français ? p 260

XXIV Eloge des péchés capitaux du capitalisme p 268

XXV De l’argument spécieux des inégalités p 274

XXVI « Hommage à la culture communiste » p 285

XXVII De l’humiliation électorale p 287

XXVIII Monstrum œcologicum et obscurantisme vert p 294

XXIX Qui est John Galt ? Ayn Rand romancière libérale p 313

XXX Pourquoi je suis libéral versus tyrannie constructiviste p 323

XXXI Les obsololètes au risque de l’intelligence artificielle p 343

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

I

Requiem pour la liberté d’expression :

De la censure, entre Milton et Darnton, Charlie et Zemmour.

 

 

Charlie Hebdo, Eric Zemmour, Michel Houellebecq, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélanchon, Anne Onyme, Salman Rushdie sont les garants de notre liberté d’expression. Ces joyeux et tristes sires ne rencontrent certes pas forcément  l’assentiment de tous, y compris de l’auteur de ces lignes, mais quelles que soient leurs vérités et leurs erreurs, ils restent une espèce à préserver devant les ciseaux et les kalachnikovs de la censure. Censures qui peuvent être le fait de nos propres médias, de nos propres juges, de notre Etat, voire des individus et des associations maniant la Cancel culture et ses annulations idéologiques, ou de l’autocensure que nous nous imposons à corps défendant, devant celle mortelle de l’Islam obscurantiste. Pour éclairer l’ombre de notre contemporain, ne faut-il pas recourir à deux livres fondamentaux : l’Areopagitica de Milton et le De la Censure de Robert Darnton, et ainsi mieux interroger la chronique d’une République vermoulue et menacée, autant de l’intérieur que de l’extérieur.

(...)

 

II

Passions religieuses, totalitaires et populacières de l’autodafé :

Livres et bibliothèques incendiés, par Lucien X Polastron,

Fernando Baez, Elias Canetti, Ray Bradbury et George Steiner.

 

 

De la bibliothèque d'Alexandrie dans l’Antiquité, aux rues de Berlin dans les années trente, jusqu'à celles de La Courneuve et de Nantes aujourd'hui, les fanatismes religieux, les régimes totalitaires et la racaille populacière préfèrent l'incendie des livres aux bonheurs de la lecture et de la bibliophilie. La passion de l’autodafé, de l’éradication de la pensée et de l’Histoire, brûle hélas en tous temps et en tous lieux. De Lucien X. Polastron à Fernando Baez, ce ne sont que Livres en feu parmi l’Histoire universelle de la destruction des livres. Ce que confirme avec une contagieuse indignation George Steiner dans Ceux qui brûlent les livres. À ces essais et pamphlets répondent au moins deux romans indépassables, deux classiques de l’incendie des bibliothèques, celui d’Elias Canetti, Auto-da-fé, et celui de Ray Bradbury, Fahreinheit 451 ; voire L’Eclat dans l’abîme de Manuel Rivas. Pourquoi tant de haine pyromane ? Sans compter les procédés d’invisibilisation…

(...)

 

III

 

Gueule du loup, haine et deuil de la littérature, de la culture :

Hélène Merlin-Kajman, William Marx,

Dericquebourg, Liessmann.

 

Le loup caché dans les livres se révèle soudain vénéneux, effrayant, comme celui des Contes de Perrault. Reste à l’apprivoiser. Où le haïr, le dévorer en sa qualité de loup politique… Les pouvoirs de la lecture sont inouïs. De l’apaisement à la thérapie par le rêve, ils sont aimables et bienheureux. Mais ils peuvent avoir un versant plus cruel, de par le désir ou l’effroi engendré, cet appétit ou cet avertissement face aux terribles facettes du mal. Pouvoirs dérangeants au point qu’individus, partis, Etats ou religions vomissent leur haine de la littérature, et se livrent enfin aux plaisirs brutaux de l’autodafé. Cet enchainement cumulatif de pouvoirs et de contre-pouvoirs est au nœud du maelström dont accouche le livre imprimé, et dont se font les défenseurs quatre essayistes fort pertinents : Hélène Merlin-Kajman et William Marx aiment pardessus tout la séduction et la puissance de la pensée jaillie des pages, au point de dresser chacun une édifiante plaidoirie pour les pouvoirs de la littérature, autant qu’un réquisitoire documenté contre le « deuil de la littérature » et ceux qui haïssent les Lumières de la culture. Ces fossoyeurs de l’être, en particulier dans le domaine de l’éducation et de la culture, sont l’objet des pamphlets à grande vapeur de Baptiste Dericquebourg et Konrad Paul Liessmann, appelant à un sursaut indispensable. En effet le livre et la lecture, sont, outre des clés d'évasion, d'indispensables outils de connaissance, à condition de ne pas se cantonner dans l'air du temps et la doxa, qui savent rendre critiques et libres.

(...)

 

IV

Eloge du blasphème :

de Thomas d’Aquin à Salman Rushdie,

en passant par Jacques de Saint Victor,

Alain Cabantous, et Cesare Beccaria.

 

 

Risible en définitive, le délit de blasphème, ce crime d’opinion à l’égard de fictions, paraissait ressortir à une antiquité poussiéreuse et pittoresque, digne de lourds volumes d’Histoire et de théologie. C’est en 1881 que la loi française sur la liberté de la presse abrogea le délit d’outrage aux religions qui lui datait de 1822. Pourtant, l’on assiste bien à un tour de cochon : le « retour du blasphème », tel qu’Alain Cabantous l’ajoute en la conclusion de son essai, Histoire du blasphème en Occident, qui est une sorte de chapitre détaillé destiné à enrichir le bref essai de Jacques de Saint-Victor, contant l’ « histoire d’un crime imaginaire ». Hélas, le Moyen-Orient et le Maghreb, en infiltrant le monde occidental, ramènent sur la scène de l’actualité le blasphème comme délit, crime, digne de l’opprobre et du châtiment, non seulement de la part d’une religion aux mœurs venus du VIIème siècle, mais, pire peut-être, de la pusillanimité de ce même Occident. Relisant Thomas d’Aquin et Salman Rushdie, en passant par Cesare Beccaria, faut-il plaider la cause du blasphème, en faire l’indéfectible éloge ?

(...)

Photo : T. Guinhut.

 

V

Salman Rushdie : de Joseph Anton au couteau,

plaidoyer pour les libertés entravées.

 

 

En 1644, le poète anglais Milton plaida « la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure » dans son Areopagitica ; en 1632, Galilée dut abjurer son héliocentrisme devant l’inquisition du Saint-Office ; en 1766, Voltaire défendit la mémoire du chevalier de la Barre qui, pour n’avoir pas ôté son chapeau devant une procession, fut torturé, décapité et brûlé avec le Dictionnaire philosophique. Depuis, en terres d’Occident et des Lumières, nous croyions être débarrassés de ces entraves à la liberté d’expression. Douce illusion, quand en 1989, le fanatisme que Voltaire appelait « l’Infâme », jeta sa griffe fétide, venue d’Islam, sur un livre et son auteur. Trente-trois ans plus tard, en 2022, un Musulman zélé parvenait à le frapper quinze fois, sectionnant les tendons d’une main, l’éborgnant. Miraculeusement, non seulement il survit, mais il écrit Le Couteau, répondant à la virulence par l’art. Cet art du roman et du mythe animant en outre les pages heurtées de La Cité de la victoire, utopie politique s’il en est.

(...)

 

 

VI

Tolérer Voltaire et retrouver notre sens politique :

du Fanatisme au Traité sur la tolérance.

 

 

Décidément Voltaire est intolérable. Auteur de tragédies post-raciniennes fastidieuses, de contes pour sujets de commentaires littéraires lors de l’épreuve du Bac, d’une correspondance pléthorique (24 000 lettres en treize tomes de la Pléiade), de divers textaillons intolérablement boutefeux qu’il vaudrait mieux laisser dormir au secret… Pourtant, lire Voltaire, c’est retrouver notre sens politique ; ce que nous montrerons grâce au badinage de quelques extraits de la tragique Mort de César, de l’érotique Pucelle, du fanatisme dans la Henriade et Mahomet, à moins d’oublier les billevesées de l’ « Horrible danger de la lecture », de la « Liberté d’imprimer » et du Traité sur la tolérance.

(...)

Il faudra donc, pour honorer la liberté et l’humanité, tolérer celui qui, comme Peter Sloterdijk, « se fonde sur l’éthique de la science universelle de la civilisation », tolérer enfin  Voltaire.

Mais à ce vœu pieux il est nécessaire d’ajouter un correctif, celui du paradoxe de la tolérance, tel qu’avec brio et clarté il est énoncé par Karl Popper dans les notes de La Société ouverte et ses ennemis et que nous citons in extenso : « Le paradoxe de la tolérance est moins connu : Une tolérance illimitée a pour conséquence fatale la disparition de la tolérance. Si l’on est d’une tolérance absolue, même envers les intolérants, et qu’on ne défende la société tolérante contre leurs assauts, les tolérants seront anéantis, et avec eux la tolérance. Je ne veux pas dire par là qu’il faille toujours empêcher l’expression de théories intolérantes. Tant qu’il est possible de les contrer par des arguments logiques et de les contenir avec l’aide de l’opinion publique, on aurait tort de les interdire. Mais il faut toujours revendiquer le droit de le faire, même par la force si cela devient nécessaire, car il se peut fort bien que les tenants de ces théories se refusent à toute discussion logique et ne répondent aux arguments que par la violence. Nous devrions donc revendiquer, au nom de la tolérance, le droit de ne pas tolérer les intolérants. Il faudrait alors considérer que, ce faisant, ils se placent hors la loi tout mouvement prêchant l'intolérance se place hors la loi et que l’incitation à l’intolérance est criminelle au même titre que l’incitation au meurtre, par exemple ».

(...)

 

San Ildefonso de la Granja, Segovia, Castille y León

Photo : T. Guinhut.

 
 

VII

Statues de l’Histoire et mémoire.

 

 

L’Histoire est écrite par les vainqueurs, dit-on. C’est ce qu’affirma le journaliste et écrivain Robert Brasillach dans Frères ennemis, écrit en 1944, avant de se voir fusillé en 1945 pour haute-trahison et intelligence avec l’ennemi. Son antisémitisme virulent, sa haine de la République et son admiration pour le IIIème Reich fleurissaient sur les pages de l’hebdomadaire Je suis partout. Mais à l’affirmation selon laquelle, depuis l’Antiquité, la victoire militaire assure la main à la plume de l’Histoire, il faut ajouter les victoires économiques, voire celles idéologiques, y compris des perdants. Ainsi les statues de l’Histoire s’érigent, assurant la mémoire victorieuse des haut-faits, tombent, sous le coup des révolutions et des revanches. Mais est-ce la main de la Justice qui assure leur pérennité ou leur chute ? Est-ce au peuple ou à l’historien de se faire juge du passé et maître du présent ? Devant la frénésie iconoclaste de déboulonnage des statues historiques, ne faut-il pas s’interroger sur le bien-fondé de la chose, et sur les remèdes à apporter, de façon à conforter notre liberté de penser de penser l’Histoire…

(...)

 

VIII

Le procès spécieux contre la haine :

du juste réquisitoire à la culpabilisation abusive.

 

 

Une loi contre un sentiment ? Quelle aberration pousse nos législateurs à sévir contre la dignité humaine en prétendant la protéger ? Ce sentiment si mal venu, si décrié, si responsable de tous les crimes, c’est la haine, comme telle a priori coupable, donc à condamner, vaporiser. Ce pourquoi notre gouvernement, qui sait si bien veiller au grain et jeter l’ivraie, intente une proposition de loi visant à lutter contre la haine sur Internet, sommant les plateformes en ligne et les moteurs de recherche d'évacuer les contenus haineux. Il est à craindre que la loi Avia, du nom de sa propagandiste, votée au Parlement le 9 juillet 2019, censurée en partie par le Conseil constitutionnel, finalement promulguée le 24 juin 2020 et régulièrement réclamée pour être durcie, se révèle liberticide. Le réquisitoire enchaîne haine antisémite, raciste, islamophobe, sexiste et caetera. Mais ne la confondons-nous pas avec la colère et son cortège de violence ? Gare alors à la hainophobie et à son cortège de culpabilisation abusive de la haine. Au-delà de savoir si une haine peut être abominable,  judicieuse ou injuste, salutaire ou haïssable, il faut bien s’interroger sur la pertinence d’une telle furie législative attentatoire à la liberté d’expression, sur une tentation d’un despotisme épaulé par l’entrisme identitaire et religieux.

(...)

IX

Peut-on rire de tout ?

D’Aristote à San-Antonio.

 

 

C’est avec les romans de San Antonio, ces saines et saintes parodies du genre policier, qu’il fait bon de rire de tout : des polices du KGB soviétique, des statues de Lénine, du drapeau français et franchouillard, des langues trop pendues menacées par le sabre et le turban… Certes, il n’est pas allé, comme un humoriste dont la vulgarité a bavé sa trainée putride, jusqu’à rire des camps de concentration, de ses Juifs étiques et finalement gazés. Une limite qu’il faut ou ne faut pas franchir ? Peut-on rire de tout ? Du bonheur de rire et du malheur de pleurer, d’Aristote et de Dieu, du rire cathartique et mimétique, d’Hannah Arendt à Jérusalem et des tartes à la crème chaplinesques, des pets  de Bérurier et des pyjamas d’Auschwitz, du rire tolérable ou punissable, de Baudelaire et des contrepets, de la censure et de la liberté d’expression…

(...)

 
 

X

Notre virale tyrannie morale.

Petit essai sur Roman Polanski

& sur les réprobations de la doxocratie.

 

 

L’être humain aime la tyrannie, aussi surprenant que cela puisse paraître, d’abord pour l’infliger, ensuite pour la recevoir. Or nous avons pu être convaincus qu’une morale trop stricte, religieuse et victorienne, puisse tyranniser étroitement l’individu. Si bonne se voulait-elle, n’allait-elle pas jusqu’à faire le mal ? Quoique le recul d’un christianisme rigoriste, son apaisement via les Lumières et l’évolution des mœurs nous aient libérés des excès de ses affidés trop zélés, la migration d’une autre religion bien plus liberticide, en un mot totalitaire, nous apprend que la pulsion tyrannique descendue de la main des porteurs de Dieu est capable de fureurs extrêmes. Cependant, en un monde laïc, les positions morales, sûres de leurs bons droits, ne sont pas indemnes de volontés purificatrices. Le droit des victimes, qu’il s’agisse du racisme ou du sexisme, droit a priori plus que respectable, se mue en un devoir de conspuer et d’interdire, en une idéologie de la rancœur et de la colère. Une ochlocratie, qui est aussi une doxocratie, se jette sur tout ce qui ne cadre pas avec leur exigeante moralité, au mépris de la justice et de l’intelligence. Le règne de l’opinion et du ressentiment fait dégainer ex abrupto les accusateurs et censeurs, sans réflexion ni équitable procès, de façon à condamner et punir dans l’urgence le contrevenant à une morale de bas étage, démagogique et comminatoire. Ce que la remise d’un César au cinéaste Roman Polanski, autant qu’une rage sociétale traversant médias et universités, viennent mettre en lumière d’une manière pour le moins boueuse.

(...)

 

 
 

XI

Métamorphoses du racisme

 et de l’antiracisme.

En passant par Buffon, Gobineau et Ibram X. Kendi.

 

 

Le racisme est le requin blanc de l’humanité. D’autant que les Blancs puissent être l’auteur de ce concept humiliant. Mais il est à craindre qu’il s’agisse là d’un préjugé dont il faudrait limer les dents suraigües. Face à la gueule dentée de l’antiracisme, la contrition blanche ne devrait plus avoir d’autre limite que la disparition. Aussi faut-il que consentants ils s’agenouillent en prière devant la noirceur de leurs crimes esclavagistes et de leur mépris des peaux noires. En dépit de l’expansion peut-être salutaire de l’antiracisme, faut-il laisser croître l’emprise de nouveaux racismes, de métamorphoses de la bête aux crocs sournois ?

Le racisme est un collectivisme. Puisque l’on ne considère pas la personne en fonction de caractéristiques individuelles mais d’une superficielle enveloppe commune qui bouche les yeux de l’observateur prétendu, soit la couleur de la peau, ou, par extension, l’origine géographique (parlons alors de xénophobie) et la religion, comme dans le cas de l’antisémitisme. Le racisme, qui n’a évidemment aucun sens scientifique, ou plus exactement, pour reprendre le néologisme judicieux de Toni Morrison, le « colorisme », efface et nie à la fois l’individualisme et le libre arbitre. Cette hiérarchisation hostile a pu conduire jusqu’au génocide, comme lorsque les Allemands massacrèrent 80 % des Héréros au début du XX° siècle, dans l’actuelle Namibie.

Le racisme est la création des Blancs », tonne dans The Daily Telegraph, Liz Jolly, bibliothécaire en chef de la prestigieuse British Library, en un propos aussi fallacieux qu’en soi raciste.

(...)

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

Mirabeau : Essai sur le despotisme, Le Jay, 1791. Photo : T. Guinhut.

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8 septembre 2024 7 08 /09 /septembre /2024 10:36

 

Abbaye Notre-Dame, Fontgombault, Indre.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Les pouvoirs de la Photographie :

du document à l’aura, jusqu’au Chaos logos.

Laurent Jullier, Peter Fetterman,

Peter Greenaway, Olivier Pé.

 

 

Laurent Jullier : Apprendre à regarder la photographie,

Flammarion, 2024, 176 p, 14,90 €.

 

Peter Fetterman : Le Pouvoir de la photographie,

L’Imprévu, 2023, 256 p, 34,95 €.

 

Peter Greenaway : 100 allégories pour représenter le monde,

Adam Biro, 1998, 280 p, 390 F.

 

Olivier Pé : Poétique de l’amant, Bozon2X, 2020, 116 p, 20 €.

Olivier Pé : Chaos logos, Bozon2X, 2023, 116 p, 23 €.

Olivier Pé : Où commence la nuit, Bozon2X, 2024, 112 p, 20 €.

 

 

Reproduire le réel, produire une métaphore, faire jaillir une aura, tels semblent être les privilèges de la photographie. Entre dimension documentaire et qualité poétique, l’éventail est plus vaste qu’il y pourrait paraître de prime abord. Aussi faut-il « apprendre à regarder la photographie », pour écouter le titre de Laurent Jullier, et pour être sensible au « pouvoir de la photographie », tels que Peter Fetterman lui rend hommage ; alors que les métamorphoses photographiques permettent l’étonnant ouvrage aux cent allégories de Peter Greenaway. Mais entre littérature et art plastique, Olivier Pé engage un récit en forme de triptyque, de Chaos logos en passant par Poétique de l’amant, jusqu’aux extrémités incertaines d’Où commence la nuit. Là où, au contraire de l’affirmation de Walter Benjamin selon laquelle « ce qui s’étiole de l’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique c’est son aura[1] », peut éclore une aura photographique, l’on peut affronter le « chaos logos »…

 

 

Le préjugé commun voudrait que regarder la photographie ne s’apprenne pas, qu’elle soit immédiatement compréhensible, dès l’instant donnée à voir, une fois pour toutes, en une facilité évidente et enfantine… Pourtant, il en est d’elle comme du réel, et a fortiori de l’art, il est nécessaire, indispensable, d’« apprendre à regarder la photographie », ainsi que le propose l’essai en forme de manuel fort illustré de Laurent Jullier.

Moins une fenêtre qu’un regard, la photographie ne compte pas seulement comme chose vue, mais comme « une nouvelle paire de lunettes pour observer la réalité ». L’essayiste et historien fait d’abord la différence entre « empreinte du monde » et images « résultant s’un trucage », comme lors des fantômes du spiritisme à la fin du dix-neuvième siècle. Si la distinction n’est pas toujours aisée, elle est en tous cas réductrice ; car zones d’ombres et de flous, dosage de la lumière peuvent paraître truquées en dépit du choix et du respect du phénomène observé. Il faut alors découvrir, le bon angle, la bonne distance, le bon cadrage, ce qui est loin d’être aussi intuitif que le naïf et le vulgaire le croiraient. La mise en scène, presque théâtrale, voire allégorique, s’oppose à l’instant saisi et sa spontanéité. Et même le flou, accident malheureux, peut être appréciable et choisi, comme « le flou de bougé » qui acquiert quelque chose de pictural. De toute évidence, le genre ancien du portrait se trouve révolutionné, jusqu’au « selfie », cet égo-portrait, tandis que ce que nous pensions être le domaine exclusif de la photographie – soit l’espace – aborde une nouvelle dimension : le « temps suspendu ». De la mise au point à la perspective, de l’infographie au choix entre le noir et blanc et la couleur, tout est détail d’importance, tout est technique sûre, si simple paraisse-t-elle, pour le réel photographe, tout est intellect du regard en somme. Ainsi nous saurons pourquoi telle image nous frappe, nous émeut, reste marquante pour notre sensibilité, notre intelligence, autant que pour l’histoire de ce qui est finalement un art. Car elle dévoile et construit ce que sans elle nous n’aurions pas vu : « L’œil-caméra » doit savoir surprendre et déployer un monde, du microcosme au macrocosme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les intentions de l’artiste sont-elles de montrer, de démontrer, de susciter le plaisir ou l’horreur, la stupéfaction ou l’apaisement… Le militant se demande comment changer le monde avec une image, fanatique usant de la propagande, quand l’humaniste délicat préfère la persuasion et la conviction, surtout lorsqu’ « après l’amour la guerre hélas est une pourvoyeuse d’images mythiques plus grande encore ». Si les clichés de Robert Capa – un soldat tombant pendant la guerre d’Espagne – ou d’Eddie Adams à Saigon – un pistolet tendu vers la tempe d’un malheureux jeune homme assassin – nous préférons la tendresse du baiser de Robert Doisneau, voire l’éros rouge et rouge, jusqu’aux subtilités de ce que certains ne sauraient qualifier que de pornographie, alors que l’éloge de la chair s’accompagne de celui de la sensibilité et de l’amour ; ce que notre Laurent Jullier hélas ignore…

Très pédagogique, bellement mis en page, illustré avec générosité, autant couleur que noir et blanc, dix-neuviémiste et contemporain, même si la couverture, passablement plate, ne rend pas justice à de telles dimensions, cet ouvrage de Laurent Jullier, qui sut également montrer comment analyser un film[2], ravit les yeux et l’intellect de celui auquel un surcroit d’initiation ne fera jamais de mal.

 

 

 

Répondant au dernier chapitre du précédent, intitulé « Le pouvoir des images », voici, presque divinisée, Le Pouvoir de la photographie, sous la gouverne de Peter Fetterman. Plus austère, car presqu’exclusivement en noir et blanc, soit un purisme conservateur, il exhibe en couverture le profil d’une nageuse au bonnet de bain par Len Prince, que le soin photographique change en une sorte de déesse égyptienne hiératique. Cette fois nous ne découvrons pas un florilège de la photothèque universelle, mais la collection du galeriste Peter Fetterman ; quoique nombre d’entre ces images soient fort connues, fort reproduites. Musée personnel et idéal, il n’en reste pas moins le plus souvent sagement réaliste, mais sans l’ombre du tragique. Sa prédilection l’a porté vers des œuvres purement graphiques et  pourvoyeuses de sérénité, à chaque fois complétées par une citation de leurs auteurs ; donc de méditation. En ce sens en la photographie repose le pouvoir insigne, à l’occasion d’un « coup de foudre », de susciter en nous la conscience de la beauté. De plus, diffusant sur son blog ces images pendant la pandémie de covid, et dont il n’est que « le gardien temporaire », il eut la surprise de recevoir maints témoignages arguant de leur capacité de consolation, voire de surmonter un temps néfaste.

Ce sont en majorité des portraits, des corps, témoignant de la présence humaine, et de sa capacité à dépasser le temps dans le cadre d’une photographie qui en garde la vie. Anonymes ou personnalités célèbres, tels Abraham Lincoln, Winston Churchill ou la Reine Elizabeth,  jusqu’à l’inaugural Jean-Michel Basquiat, ils offrent leur présence, presque réelle, suscitent la prescience de leur voix, de leur destin. Ils patinent sur la glace pour aller servir des cocktails, ils rivalisent de pas dansé, d’amitié, de joie.

Plus rarement un détail naturel révèle son caractère précieux, tel que Minor White met en valeur un lierre en Oregon à la limite de l’abstraction veloutée, nacrée: « Le fil ténu entre réalité et photographie a été tiré au maximum, mais ne s’est jamais cassé. Ces abstractions naturalistes n’ont pas quitté le monde des apparences, car pour cela il faudrait briser le point le plus fort de l’appareil photo : son authenticité ».

Comme le dit Mario Cravo Neto, à l’occasion d’un visage et d’une main noirs saisissant le bec d’un blanc cygne, il s’agit de « développer la transition entre l’objet inerte et l’objet sacré. C’est tout simplement une posture religieuse, en photographie, que j’aimerais adopter ». Lorsque les dieux sont morts, pour paraphraser Nietzsche[3], une telle profession de foi est celle de l’art tout entier, elle est et doit être également la nôtre.

Abbaye Notre-Dame, Fontgombault, Indre.

Photo : T. Guinhut.

 

 

Apothéose de la photographie de nus, du trucage et de l’infographie, au secours du renouvellement de traditions iconographiques séculaires, voici les cent allégories de Peter Greenaway, cinéaste anglais du Meurtre dans un jardin anglais, ainsi que The Pillow Book, né en 1942. Une idée abstraite devient grâce au secours de l’image un personnage le plus souvent féminin, auquel on associe des attributs, soit des objets symboliques. Ces hommes et ces femmes sont nus, comme il se doit des égéries de l’Antiquité et surtout de la Vérité. Si l’artiste aux dons polymorphes ne suit pas rigoureusement les canons traditionnels, lorsque les Muses ne sont que trois hétérodoxes – la Danse, la Beauté et la Peinture –, Peter Greenaway fait preuve d’inventivité aussi bien thématique que plastique.

Les corps ne sont pas forcément les plus beaux : ce sont plus de cent-cinquante citoyens volontaires de Strasbourg, associés au projet, avec le concours de l’agence de traitement d’images Andromaque. Ainsi le ciel des allégories archétypales s’incarne dans le quotidien, en intégrant des gestes picturaux, des collages, des gravures anciennes, et bien des motifs tirés des propres films de l’auteur. Les fonds des musées sont sollicités, mais aussi, plus modernes, les matériaux de la mode et de la publicité. Le bric-à-brac baroque, vivement coloré, se fait fascinant, digne d’être à chaque fois décrypté, non sans humour… Défilent « Orpheus », « Vénus » et sa pomme d’or, « La destinée », « Le Maître du Temps », venus de la mythologie grecque. Mais aussi des figures intemporelles, voire plus contemporaines, traitées de manière cryptique et ludique : « Le Matheux », « Le Philosophe », « Le Nageur », « L’Exhibitionniste ». Plus insolites encore, « La Maîtresse d’encre », ou « Le Pédant » multipliant les livres, les signes et les calligraphies, alors que nous intrigue « Le Gardien des livres interdits » ;  toutes allégories bénéficiant en fin d’album d’une notice généreuse. Et comme une mise en abyme, l’on découvre « Les Allégoristes » exhibant fouet, globe, bougie, trompette et serpent. Soit une façon pour le moins originale, hautement étrange, étonnement luxueuse, de dire les idées et de les enluminer, sur un fond souvent textuel, à la lisière du manuscrit médiéval onirique et de la fantasmagorie cinématographique.

Il est temps de se pencher sur les livres d’artiste d’un discret photographe et poéticien très contemporain. En l’espèce le Liégeois Olivier Pé. Dès les couvertures de ce qui est devenu un triptyque, l’on devine que la main est autant matière que concept, autant faire que sens. Elle est la mesure de la création et de la géométrie pour ce qui est le volet central, Chaos logos, le réceptacle de la couleur, de l’auteur et du titre pour Poétique de l’amant, l’empreinte et la trace de la terre qui la salit noblement pour Où commence la nuit.

Alors que le titre semble le suggérer, en un souvenir réactivé de l’amour courtois médiéval, peu de textes s’inscrivent dans Poétique de l'amant, un livre d'images souvent venues du règne végétal. La lumière, la suavité, l’ombre s’invitent en cette galerie photographique, qui semble, plus qu'un livre, développer un parcours sensuel, une distribution aléatoire de l’émoi et de la beauté, cependant parfois fragile, hésitante. Là il « ne reste que quelques hématomes pour témoins, des images en échos… qui racontent l’amour ».

Cependant si les textes en tant que tels – fragments de poèmes en prose ou de vers libres – sont rares, les images en sont friandes. L’on découvre des mots faits de graphismes à la craie blanche, à la terre brune, de brindilles de bois assemblées… Dédié à « l’impétueuse nécessité d’aimer », le déroulé spatial et temporel des images égrène une confidence faite à une femme qui n’est pas nommée : la femme labile de la tendresse, la femme éternelle des fantasmes. Cette dernière, inatteignable, est rarement montrée, sauf par quelques détails de la peau, d’un sein pris dans une main protectrice, à moins que ce soit elle, cette charmante brune en robe bleue qui cherche à épier on ne sait quel mystère dans l’ombre d’une grille, cette nageuse flottant dans l’eau claire et qui exsude un chapelet de bulles...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plus insistant est le narrateur poète et photographe, dont les autoportraits, la main, ponctuent la quête autant intérieure que parmi des marches à gravir, des rivages et des falaises à arpenter sac au dos, en randonneur du temps et de l’espérance. Il se dissimule derrière des feuillages exotiques, porte dans la conque de ses mains des feuilles, vertes et jaunes, mange une poignée de feuilles dorées, résonnant avec la formule symbolique : « Sève à l’œuvre ». Au bout de son bras enlacé de lierre, un petit bout de papier, infiniment banal et cependant précieux, porte l’inscription « elle ». Combien cette photographie est émouvante ! Et puisque ce livre est dédié « à tous les épris », probablement faut-il subodorer que ce « Pour AO », dissimule quelque dame sensible – espérons-le – à un tel vibrant hommage.

Plus puissamment encore, dans Chaos logos la mise en scène d'images, de mots, de sensations, relève de l’allusion à l’originel chaos des Métamorphoses d’Ovide – « On l’appela Chaos, mélange ténébreux / D’éléments discordants mal ordonnés entr’eux[4] » – et de la Genèse biblique – « Au commencement était le verbe», plus exactement « Entête, lui, le logos et le logos est pour Elohim[5]  ». Du primordial chaos jaillit paradoxalement le logos, du bruit de fond des images jaillit un sens à élucider et construire. Là est peut-être la nervure de l’esthétique d’Olivier Pé, photopoéticien d’un cabinet de curiosité monde…

Poème visuel à l’horizon élargi par rapport aux précédents, Où commence la nuit clôture – du moins provisoirement peut-être – une trilogie initiée en 2020. Le livre n’est pas aussi crépusculaire que l’on pourrait le craindre : « j’ai vu le bleu du ciel perdre connaissance, rendu à son obscurité, à ces tréfonds qui nous éveillent ». Car le paradoxe est tel que la nuit totale ne peut être photographique, il faut une perte qui soit une lumière, si vacillante soit elle.

Entre la photographie inaugurale où l’homme porte une lourde et quadruple pancarte indiquant « incertain » et « lointain », puis celle conclusive d’un tableau noir où s’inscrit à la craie « une aurore déshabille et emporte le regard », toute une progression, erratique, se développe. Une porte vieux rose dans la forêt ne mène à rien d’autre que la forêt, ou à cette porte elle-même : n’en doutons pas, il s’agit des « portes de la perception », pour reprendre le titre d’Aldous Huxley[6], quoique sans besoin d’hallucinogène, l’art du photographe y suffisant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un miroir où monte l’ombre, des portes aux vides embrasures, des architectures silencieuses, des surfaces lisses ou rugueuses, tout tente d’approcher les mystères de la matière. « L’ordre des choses » se fend d’un coup de lame disparue, aussi l’injonction est récurrente « Tends les yeux ». Au point que le crâne du photographe ait des yeux derrière la tête. Qu’un clou de bois s’enfonce dans un autre crâne de pâte à modeler… De plus le mot « isola », hautement signifiant, s’inscrit à l’arrière de la calvitie. Il y a tant d’ombres portées du corps, d’allusions au squelette, que l’on est contraint de voir là une série de vanités, dans la tradition baroque. Quant au papier, support de l’écriture, il est souvent froissé, porté à dos d’homme comme un vaste chou-fleur, changé en cartons vides, découpé, gaufré, tellement blanc qu’il semble stèle de marbre… Quoiqu’à dominante de noir et blanc, de grisé, le livre explose parfois de rouge, de jaune et de bleu, d’étoiles, dans une nuit métaphysique où l’autoportrait de l’auteur se voit contraint de se mesurer avec un rapporteur ; en écho à la couverture de Chaos logos, où le cadrage photographique se penchait vers un cadre vide : au-delà de l’image, le vide ? Peut-être Olivier Pé est-il un de ces photographes dont Walter Benjamin disait qu’il était « héritier des augures et des haruspices[7] »…

 

 

Ces moments collectés avec soin sont moins réalisés pour l’espace d’une galerie d’art – quoique cela soit évidemment possible et souhaitable – que pour la succession organique des pages d’un livre. Olivier Pé est né à Liège en 1972 où il continue à s'éprendre du mieux qu'il peut, du corps féminin et de sa capacité à sentir, penser et aimer, de la fragilité et de l’intensité de la vie, de la poursuite de la beauté menacée… L’on aimerait écouter ce Professeur à l’Ecole Supérieure des Arts Saint-Luc de Liège, qui demeure un artiste plasticien singulier, authentique, explorateur polymorphe des pouvoirs de la photographie, sans aucune gêne de la modestie des moyens techniques, poète laconique et sensible, résolument contemporain et cependant inspiré par toute une tradition lyrique. La nature est son atelier où l'homo logos suscite des mots terreux, sableux, cendreux, aériens et lumineux, le corps, en particulier le sien est chargé de stigmates, bavard de ses cinq sens scrupuleux et humbles... Ses photographies ont quelque chose de nu, mais d’une pudique nudité, en une confidence au lecteur qui espère ébranler le monde et son effroi ; mais dans le sens de la tendresse au monde.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Walter Benjamin : L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Allia, 2020, p 22.

[2] Laurent Jullier : Analyser un film, Champs Flammarion, 2022.

[3] Friedrich Nietzsche : Le Gai savoir, aphorisme 108, Œuvres II, La Pléiade, Gallimard, 2019, p 1028.

[4] Ovide : Métamorphoses, Crapelet, 1808, traduction Desaintange, p 5.

[5] Evangile de Jean, I 1, La Bible, Desclée de Brouwer, 1985, traduction Chouraqui.

[6] Aldous Huxley : Les Portes de la perception, Editions du Rocher, 2000.

[7] Walter Benjamin : Petite histoire de la photographie, Allia, 2019, p 57.

 

Abbatiale Notre-Dame-la-Blanche de Selles-sur-Cher, Indre.

Photo : T. Guinhut.

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29 août 2024 4 29 /08 /août /2024 17:13

 

Museo de la catedral, Oviedo, Asturias.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Kamel Daoud, mémoire, réécriture

 

et réalisme magique :

 

Houris,

 

Meursault contre-enquête,

 

Zabor ou les Psaumes.

 

 

Kamel Daoud : Houris,

Gallimard, 2024, 416 p, 23 €.

 

Kamel Daoud : Meursault contre-enquête,

Actes Sud, 2014, 160 p, 19 € ; Babel, 2016, 6,80 €.

 

Kamel Daoud : Zabor ou les Psaumes,

Actes Sud, 2017, 336 p, 21 €.

 

 

L’imitation des chefs d’œuvre des Anciens était une vertu à l’époque du classicisme, sans cependant qu’il s’agisse de singer Homère ou Sophocle. La Fontaine[1] sut faire de cet art la merveille que l’on sait en imitant Esope, toujours avec ce pas de côté qui caractérise le goût, la personnalité, l’inventivité. Kamel Daoud, Algérien né en 1970, imitant la langue française pour mieux la faire résonner et raisonner, écrit aujourd’hui d’après des livres, occidentaux et arabes, mais sans servilité, les questionnant, leur retournant la peau, pour mieux interroger l’Histoire de l’Algérie et ses destinées en des réécritures tragiques, parfois marquées des flamboiements du conte. De Meursault contre-enquête – où l’on devine Albert Camus – au tout jeune Zabor ou les psaumes, et aux travers de ses doubles, il nous étouffe, nous régénère, nous ravit. Quand il ne craint pas de prendre des risques, alors qu’un imam lança une fatwa contre lui, alors que la dictature algérienne se targue de punir de peines d’emprisonnement et autre amendes sévères quiconque « utilise et instrumentalise les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’Etat, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international ». La langue de bois interdisant d’exercer son intelligence au sujet de la guerre civile des années 90, l’on devine qu’avec Houris, Kamel Daoud saura incarner cette affreuse épopée. Pour une fois, comme si rarement, le prix Goncourt fait preuve de sagacité et de courage en couronnant le roman anti-islamiste de Kamel Daoud : Houris. Puisse-t-il ouvrir les yeux…

Immense massif de mémoire, Houris est placé sous l’égide d’un personnage féminin, ce qui est déjà transgressif dans un tel contexte algérien et historique. L’attachante héroïne s’appelle Aube, du moins dans sa « langue intérieure », qui est le français, alors que l’arabe « ne parvenait pas à la cheville de ma langue secrète ». Sa mutité est une métaphore de l’interdit. Cependant, si l’on s’approche, sa voix frêle est un ruisseau discret, et bientôt un fleuve abondant, non seulement autobiographique, mais également collectif, tant il convoque la destinée tragique de tout un peuple, entre bourreaux et victimes.

Sans fard, le romancier raconte à l’aide de la voix de sa houri le massacre de Had Chekala, qui fit mille victimes le 17 décembre 1997. Malgré ses cordes vocales blessées, conséquence d’une tentative d’égorgement à l’âge de cinq ans, mais aussi du silence et du voile imposés aux femmes, y compris si elles ont été engrossées par des violeurs, sa prise de parole tellurique est aussi précieuse que véridique, douloureuse, tant « c’est un couloir d’épines pour une femme que de vivre dans ce pays ». Elle ne peut que décider d’avorter d’un enfant conçu dans de telles barbares conditions. Qui sait si sa tendresse lui permettra d’assurer à sa fille l’espoir d’une vie meilleure…

Le monologue intérieur est une confidence au lecteur de confiance, bien qu’il puisse être durement éprouvé par une telle lecture. Même si, de par l’intensité de ce massif mémoriel, la narrativité peut souffrir d’un léger manque d’efficacité, le tableau est impressionnant, nécessaire au plus haut point. Cependant le français n’est pas pour notre romancier la langue du colonisateur, mais celle de l’intime et de l’érotisme. A contrario, en ce pays dévasté, l’on n’aime les femmes que « muettes et nues pour le plaisir des hommes en rut » !

Conçu comme un triptyque, ce sont trois parties, « La voix », « Le labyrinthe », « Le couteau », qui rythment le maelström du désastre. Ce couteau est celui de l’imam de Had Chakela, au cœur du réquisitoire à l’encontre du meurtre programmé, soit environ 200 000 victimes pendant une décennie. Meurtre général qui se voit blanchi lorsqu’en 2005 « on organisa un grand vote dans le pays pour dire que l’on pardonnait aux tueurs ». Comble d’hypocrisie, « on leur expliquait qu’il fallait ne rien raconter de leurs méfaits pour pouvoir bénéficier du pardon […] Toutes ces lois visaient à sauver les tueurs » !

Venu du persan, le mot « houri », désigne une femme qui a le blanc et le noir des yeux très tranchés, « dessinés comme des nuits dorées ». En passant par l’arabe, elle est cette beauté céleste que le Coran promet au Musulman fidèle dans le paradis d’Allah. Cependant c’est le plus souvent l’enfer sur la terre qui lui est réservée. Et toutes houris que l’on puisse les prétendre, l’au-delà ne leur est pas non plus conciliant : « nous sommes seules, car nous n’avons pas de place dans les livres sacrés du ciel ». L’hypocrisie est autant politique que religieuse, surtout si l’on connait dans la sourate « Des femmes », la soumission qui leur est imposée, sinon point de salut.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À la lisière du témoignage et de la forme romanesque, ainsi le dénonce Kamel Daoud, écrivain d’Histoire et de mœurs, qui fut un pauvre journaliste dans l’Algérie des années quatre-vingt-dix, et dont la haute tenue morale et intellectuelle doit nous préserver des tyrannies humaines et théocratiques.

Coincée entre l’étatisme socialiste autoritaire et l’islamisme totalitaire, l’Algérie ne sait assumer son passé, rejetant la faute sur une colonisation qui est déjà vieille de six décennies, ni préparer un avenir meilleur. La guerre d’indépendance est survalorisée, mythifiée ; au contraire, celle des années noires est occultée, tant une inhibition délétère empêche d’en comprendre les ressorts, de l’exorciser et de se prémunir contre une inévitable récidive d’un récurrent Groupe Islamiste Armé, faute de pouvoir se débarrasser du nationalisme arabisant et surtout d’une religion terroriste. Sans compter qu’une telle abomination ne fait pas que menacer le Maghreb et les pays arabes, mais aussi l’Occident, à son tour colonisé, en vue d’un « émirat au cœur d’une Europe contrite et aveuglée par la culpabilité et la lâcheté », soit au premier chef la Belgique. Car « l’islamisme a pris en otage le mouvement décolonial » ; car, à l’instar de l’actualité vénéneuse de Gaza et du Hamas, s’opère « une intoxication idéologique de la mémoire ». Alors qu’infailliblement en Algérie se met en place une « ayatollahisation de l’Etat[2] », alors que l’école se fait le lit de l’antisémitisme, du machisme, de l’interdit du corps, de la haine de la France et du ressentiment…

Originaire d’Oran, Kamel Daoud s’est fait exilé volontaire en France pour écrire sereinement – si possible. Chroniqueur hebdomadaire et avisé au Point, il est un modèle nécessaire de l’esprit libre.

 

Museo de la catedral, Oviedo, Asturias.

Photo : T. Guinhut.

 

Pour paraphraser son titre inaugural, Houris pourrait être sous-titré Algérie contre-enquête. Ce fut son premier roman qui le révéla. Meursault contre-enquête s’attaque en toute clarté à un morceau de choix, une vache sacrée de la littérature française, lue et relue, étudiée dans tous les lycées, on l’a compris, L’Etranger d’Albert Camus, néanmoins jamais nommé. Le récit apparaît de prime abord comme une sorte de règlement de compte à l’égard de ce « crime commis dans un livre », de cette histoire volée à la mémoire algérienne et arabe, car Meursault tue un « Arabe », également jamais nommé. Mais, peu à peu, ce récit laisse entrevoir, comme en son double fond, un réquisitoire contre l’Algérie, qui a son allégorie, la mère de cet Arabe fictif.

Ainsi Kamel Daoud donne un nom, Moussa, au grand vide qu’est la victime de Meursault, ce « roumi ». Quoique devenu personnage à part entière, il ne permet pas à sa mère d’en retirer bénéfice : le corps n’ayant pas été retrouvé, elle ne percevra aucune pension pour réparer la perpétuelle absence. De par cette mère qui fait de son affliction un destin, le jeune frère, Haroun, narrateur de son état, marqué au fer par la fatalité, subit sans cesse le poids de la malédiction. Anti-héros condamné à la déréliction, il subit une ascendance et une tradition délétère : « M’ma avait l’art de rendre vivants les fantômes, et, inversement, d’anéantir ses proches, de les noyer sous ses monstrueux flots d’histoires inventées ».

Plus tard, en 1982, donc vingt ans après, dès l’indépendance algérienne acquise, Haroun tue de deux coups de feu un « Français qui avait eu le malheur de venir se réfugier chez nous ». On entend la réécriture de la scène centrale et solaire de Camus : « Ce furent comme deux coups brefs frappés à la porte de la délivrance » – plutôt qu’ « à la porte du malheur ». La vengeance sordide apaise la mère, libère le fils, « comme après un coït ». ce qui dit assez la dimension de frustration sexuelle qui favorise la violence. Une brève arrestation pour crime commis hors temps de guerre officiel ne le perturbe guère. Une autre vie semble commencer lorsqu’une visite inattendue se produit : Meriem prépare une thèse sur le livre du meurtrier, titré L’Autre, avatar supplémentaire de la réécriture, pour, encore une fois, ne pas nommer Camus. Quelle sorte d’incandescence amoureuse connaîtra notre Haroun ? On devine que la trop libre étudiante restera un infini regret pour le vieillard qui se confesse à son lecteur…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Kamel Daoud emprunte une narration spiralée, qui ne progresse guère, hors dans la deuxième moitié du récit, à l’occasion du meurtre du Français et de la rencontre de Meriem, sauf si l’on considère que l’enfance du narrateur se dirige vers son inéluctable vieillesse. Par instant, l’on piétine, le ressassement, la longue lamentation, frise la répétition stérile. Néanmoins l’ensemble demeure considérablement efficace, marquant, ne serait que grâce à une écriture limpide et cependant somptueuse. L’autobiographie fictive, quoique cantonnée dans un cadre réaliste, déborde ce dernier, puisqu’il s’agit de se greffer sur des personnages que l’illusion mimétique ne consolide pas. Nés du livre d’autrui, Meursault et l’Arabe génèrent par association une famille pour ce dernier, un narrateur-personnage, encore plus fictionnels. Ainsi se mêlent l’intimité d’une mince famille et la fresque historique d’Alger et des villes algériennes, de leurs mœurs, de la fin de la colonisation à une libération décevante, à une indépendance qui n’en est pas une, faute de se libérer de la tradition et de l’Islam.

L’on sent que le romancier veut faire de Moussa, cet Arabe anonyme tué par Meursault, un symbole mémoriel, celui de tous les Arabes tués et oubliés par la colonisation française. Pourquoi pas. Mais une telle victimisation politique pourrait agacer tant elle va dans le sens du politiquement correct, contempteur de l’impérialisme colonisateur, qui d’ailleurs oublie allègrement celui des Arabes et des Ottomans, ainsi que les lendemains de la décolonisation. Car elle « s’en est même prise aux cimetières des colons et on a souvent vu des gamins jouer au ballon avec des cranes déterrés ».

À moins que Kamel Daoud, de toute évidence, soit plus subtil ; à moins qu’il s’agisse d’une satire d’une Algérie confite en ses ressentiments, un pays incapable de faire son propre procès, de se métamorphoser, de se projeter vers un avenir plus ouvert, plus libre : « Si tu m’avais rencontré il y a des décennies, je t’aurais servi la version de la prostituée/terre algérienne et du colon qui en abuse par viols et violences répétés. Mais j’ai pris de la distance ». Son personnage a vu « se consumer l’enthousiasme de l’indépendance, s’échouer les illusions », il laisse entendre le poids putrescent de la religion sur le pays. Ne restent qu’ « un minaret hideux qui provoque l’envie de blasphème absolu en moi […] une meute de bigots ». L’imam qui vient lui parler en vain de Dieu est l’écho du prêtre dérisoire qui vient visiter Meursault dans sa cellule, la veille de son exécution.

Or la dénonciation de l’Islam, du Coran est sans ambigüité : « je déteste les religions et la soumission ». Plus loin : « C’est l’heure de la prière que je déteste le plus ». Plus loin encore : « Je feuillette parfois leur livre à eux. Le Livre, et j’y retrouve d’étranges redondances, des jérémiades, des menaces », ce en quoi il ne se trompe pas[3]… L’on ne s’étonnera pas qu’une fatwa ait été prononcée contre l’écrivain. En 2014, suite à la parution de Meursault contre-enquête et diverses apparitions médiatiques, il fut ainsi menacé de mort pour hérésie et apostasie par un imam salafiste algérien, ancien de ce Front Islamique du Salut qui ensanglanta longtemps l’Algérie. Fort heureusement, l’imam en question fut condamné par la justice algérienne. Ce dernier reprocha également à l’écrivain de s’être attaqué à la langue arabe. Péché salvateur parfaitement assumé par Haroun, ici alter ego de son auteur : « cela me poussa à apprendre une langue capable de faire barrage entre le délire de ma mère et moi ». Ou de l’Algérie et l’arabité comme mère indigne…

Comme et mieux encore que dans Meursault contre-enquête, où le narrateur exprimait la volonté de se faire « une langue à moi », cet autre orphelin, cette fois de mère, Zabor, qui vit avec sa tante et son grand-père mutique, est rejeté par la communauté. D’abord par sa famille, par sa belle-mère et son père, car l’un de ses demi-frères prétend avoir été jeté dans un puits sec par ses soins, puis par sa différence, sa chétiveté, sa propension aux rêveries et sa fringale de lecture. Mais en contrepartie, il sait se constituer une intense identité grâce aux mots français, aux livres et à l’écriture. Surtout, à l’instar du réalisme magique de Salman Rushdie[4], il écrit de manière compulsive dans ses surabondants cahiers pour « contrer la mort », « pour sauver des vies ». Il s’agit d’un don divin : « quand je me souviens avec netteté et que j’utilise les bons mots, la mort redevient aveugle et tourne en rond dans le ciel, puis s’éloigne ». Sa réputation de guérisseur des agonisants gagne peu à peu le village. Ce qui n’empêche pas ses brutaux demi-frères de le mépriser. Pourtant, ils viennent le prier de sursoir l’agonie de leur riche et détestable père égorgeur de moutons (ce pourquoi Zabor ne mange pas de viande) au moyen de ses écritures. C’est « saisir la bandelette pour inverser la momification », comme par allusion au Livre des morts égyptien. C’est entrevoir « trois déesses grecques dans le corps d’un imbécile », par allusion aux Parques. Il sera cependant frappé, chassé par le « scandale », par l’appel aux imams. S’il tente encore, mais de loin, de repousser la mort cancéreuse de la bouche du père gagnée par « des insanités incontrôlables », c’est compter sans la « panne du don »…

Notre Zabor ira jusqu’à couvrir les murs, les trottoirs, de ses écrits, accrocher ses carnets dans des sacs, ce pourquoi, comme Haroun, il passera un jour en prison. Malgré un « cahier parfait », le dernier, la mort du père sera pour lui un sévère échec. Ou peut-être une nouvelle liberté, si l’on peut imaginer que le monstrueux paternel est la terrible allégorie d’une société patriarcale oppressante, pourtant absolument pas prête de lâcher la bride.

Une société rurale et clanique, consanguine et bestiale forme le terreau de cette Algérie obscurantiste, coagulée dans ses coutumes, étranglée par la religiosité, à peu près fermée au monde de l’humanisme, de la science et de la raison. Heureusement, « le véritable sens du monde était dans les livres », quoique Zabor reste confiné dans le merveilleux, dans l’irrationnel, comme échappatoire. Reste que ce « Robinson arabe », n’a pas son pareil pour fixer et griffer d’un trait de plume vigoureusement satirique les Algériens qui l’entourent et pour brosser d’un pinceau de couleurs et d’amour les paysages, montagnes, désert, nuit, bourgades, en un hommage permanent à la beauté qui n’est jamais celle des hommes.

Quant aux femmes, on les voit peu, cloîtrées, incultes, « décapitées » par une idéologie repoussante, ou soudain magnifiées par l’amour et la prose de Zabor. Sa tante, abandonnée par son promis, est devenu une réprouvée, de même pour sa mère qui fut répudiée ; quant à Djemila, « qui ne sait ni lire ni écrire », cachée derrière sa fenêtre, Zabor ne peut l’épouser car divorcée. La plaidoirie de l’écrivain tente de rendre justice à ces femmes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Devant ce lyrisme continu, touffu, parfois oppressant, d’aucuns seront un peu déçus du peu de péripéties, de la « prédilection pour les digressions » et les paragraphes en italiques. La progression en un triptyque (« Le corps », La langue », « L’extase ») aide peu au dynamisme. La tension qui était celle de Meursault contre-enquête, n’est pas toujours au rendez-vous. Beaucoup plus empreint de sensuelle prose poétique, à la lisière du conte fourmillant, Zabor ou Les psaumes, de par la connotation biblique de son sous-titre, a quelque chose de la prière, mais en direction de la vie et de l’univers, a contrario de ce qui est explicitement le livre-repoussoir, le Coran, (« un Livre sacré qui n’était plus unique »), parfois cité, dans la traduction de Malek Chebel : « les poètes sont suivis par les égarés ».

En conséquence, au-delà des « près de sept mille livres lus », de ceux que Zabor réécrit, comme Robinson Crusoé, ou Le Seigneur des anneaux changé en histoire de « vendeur de bague devenu éternel », et de ses « psaumes » lancinants, l’on pense à l’imaginaire foisonnant (quoique avec bien moins de récits que par la grâce de Schéhérazade) des Mille et une nuits. Notre auteur ne se fait pas faute de pas le prendre en compte, ne serait-ce qu’en reprenant les histoires du père, dont celle de la famine et de sa misère qu’il ne peut s’empêcher de reprocher à sa descendance. Cet anonyme chef d’œuvre de l’humanité, que l’on a retrouvé en arabe, même s’il est très probablement d’origine persane et s’il est fort cosmopolite, s’adosse à la multiplicité des livres et des cultures pour défier, non sans perspicacité polémique, et rejeter ce qui se veut le « Livre unique », cet abêtissant et aliénant Coran, pour ne pas le nommer. En ce sens, non seulement Kamel Daoud propose un manuel d’écriture, par la vertu des réécritures et de la métaphore, qui « était une sorte de verset qui allait du corps vers le ciel et pas l’inverse », mais il manifeste une intention politique, une nécessité d’exil intérieur, de libertés et d’indépendances. Ainsi il échappe à son « village et à son sort de caillou ». Ce par la vertu du réalisme magique.

Journaliste engagé, Kamel Daoud tint des régulières chroniques dans Le Quotidien d’Oran, où il vécut longtemps, outre aujourd’hui ses interventions de chroniqueur de l’état du monde, parmi les pages de l’hebdomadaire français Le Point. Plus de deux mille textes, témoignant d’une plume agile et affutée, mais aussi très lue. Parmi ceux-ci, cent quatre-vingt-deux figurent dans Mes Indépendances. Chroniques 2010-2016[5]. Là il pourfend l’Islam politique (ce qui est un pléonasme), la déliquescence du régime militaire et socialiste algérien, tout en saluant ces révolutions arabes qui ne tinrent pas leurs apparentes promesses de liberté, mais aussi, et surtout, condition sine qua non de la liberté, celle des femmes, si malmenée, si niée dans le monde islamique. Une chronique sur la misère sexuelle arabe lui valut la grotesque accusation d’islamophobie, qui d’ailleurs ne devrait pas être une accusation, mais une saine et humaniste réaction après analyse critique. Depuis, il dut interrompre ses contributions au journal algérien. Plus isolé dans son pays, Kamel Daoud est en fait plus intégré au monde tel qu’il se doit. Les livres de l’écrivain et de ses doubles, Haron et Zabor, paraissent encore chez Actes Sud, puis Gallimard (et Barzakh en Algérie), les chroniques du journaliste paraissent encore – jusqu’à quand ? –  dans Le Point, rare magazine à assurer sa mission humaniste et critique, dans un pays qui veut croire encore aux libertés.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Le Point, 8 août 2024, p 50, 54 .

[5] Kamel Daoud : Mes Indépendances. Chroniques 2010-2016, Actes Sud, 2017.

 

Arte mujedar, Cisneros, Palencia.
Photo : T. Guinhut.
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22 août 2024 4 22 /08 /août /2024 16:51

 

Verreries de Maurice Marinot, Musée d'art moderne, Fontevraud, Maine-et-Loire.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Les romans historiques et intimistes

de Tracy Chevalier,

romancière-artiste

de l’émancipation féminine :

 

La Fileuse de verre, La Dernière fugitive,

À l’orée du verger, La Brodeuse de Winchester…

 

 

 

Tracy Chevalier : La Fileuse de verre, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Anouk Neuhoff,

Quai Voltaire, 2024, 448 p, 24,80 €.

 

Tracy Chevalier : La Dernière fugitive, traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff,

Quai Voltaire, 2013, 384 p, 22 €.

 

Tracy Chevalier : À l’orée du verger, traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff,

Quai Voltaire, 2016, 336 p, 22,50 €.

 

Tracy Chevalier : La Brodeuse de Winchester, traduit de l’anglais par Anouk Neuhoff,

Quai Voltaire, 2019, 352 p, 23,50 €.

 

 

Une sensibilité fine, une technique impeccable, tout permet d’assurer à la romancière britannique d’origine américaine Tracy Chevalier, né en 1962, de successifs bijoux littéraires. Elle sait choisir des époques, des lieux historiques emblématiques – mais sans l’emphase des grands événements de l’Histoire – elle sait y insérer de modestes personnalités souvent féminines qui vont permettre à chaque lecteur de s’identifier, de palpiter au récit d’une vie, de ses entreprises, de ses émotions. Un verger menacé puis les libertés conquises par les esclaves noirs américains ont leur théâtre dans l’est américain, tandis que l’Europe abrite une brodeuse à Winchester ou, plus récemment, une fileuse de verre à Venise.

À l’instar d’Henry James, quel romancier ne rêve de voir son œuvre accomplie dans le cadre de la Sérenissime, soit la ville aquatique de Venise ? Un tel défi est ici brillamment réussi par Tracy Chevalier, dont La Fileuse de verre se situe à Murano, l’île des verriers fameux, encore joliment actifs aujourd’hui.

Issue d’une famille de verriers, une enfant est poussée dans un canal, espérant qu’en se séchant près d’un four concurrent, elle puisse épier quelque secret de fabrication, en particulier s’il s’agit de perles irisées. Elle s’appelle Orsola Rosso. Si rares sont les femmes à tenir un atelier, car elles ne sont pas censées être initiées aux savoir-faire des maîtres ;  pourtant, de façon à sauver de la ruine sa famille, la jeune fille va faire preuve d’une détermination sans faille. Elle n’est d’abord qu’une fée du logis, entre tâches ménagères, jardin, enfants. Etonnement, c’est par la grâce de Marie Barovier, unique maestro verrier féminin de Murano, qu’elle sera initiée à la création ignée de perles aux formes curieuses, aux couleurs pétulantes, jusqu'aux « larmes de sang ». Ainsi brise-t-elle la pesanteur des traditions, fait-elle évoluer les mentalités, grâce à son talent, son inventivité. La spécificité de son art est intacte : « Je ne veux pas faire des perles qui ressemblent à des saphirs ou des émeraudes, déclara Orsela. Sinon autant offrir à Joséphine des saphirs et des émeraudes. L'intérêt est de lui montrer la beauté unique du verre muranais... du verre vénitien ». Vendues et exportées dans toute l’Europe, jusqu’aux Amériques et en Afrique, ces perles portent la mémoire de leur créatrice, tout en offrant une volupté tactile et visuelle à qui les acquiert, les conserve et les transmet. Aujourd’hui, à  Murano, nous seulement les verriers sont encore actifs, mais l’on y peut visiter un « museo del vetro », aux œuvres anciennes et contemporaines, aux créations somptueuses et délicates, « des lustres pareils à des pieuvres aux tentacules emmêlées ». Y trouverons-nous le « tiroir aux dauphins » qu’Orsola garde au secret ?

À partir de l’an 1486, l'histoire de Venise transparait au travers de cette aventure et des descendants d’Orsola, en passant par une peste dévastatrice. Les mariages et les naissances, les amours contrariés, les bonheurs et les tragédies se déploient autour et au-delà d’une intemporelle Orsola, qui semble ne guère vieillir, alors que les personnages aux caractères contrastés sont le plus souvent attachants. Comme autant de perles de verres chatoyantes…

Le récit conserve tout du long une structure que l’on pourrait qualifier d’aquatique. En effet, la métaphore du ricochet d’une petite pierre plate sur la surface de la lagune est parallèle à la narration qui va par bonds de la Renaissance à nos jours. Ce qui permet de lire ce volume, plus vaste que beaucoup des précédents de notre romancière, comme une ample fresque individuelle, familiale et historique, sans oublier que la qualité du roman d’initiation n’y est pas étrangère.

Orné d’une très belle jaquette colorée, sur laquelle un vert canal vénitien révèle les perles en son eau, en outre délicatement gaufrée pour le nom de l’autrice et le titre, sans compter une couverture ornée d’une carte ancienne de Murano, noire sur fond pourpre, ce roman est un plaisir pour les mains, pour les yeux, pour l’esprit. Nous le conserverons dans notre bibliothèque avec le soin que prend l’héroïne : « Orsola sourit à la pensée que ses perles étaient jugées suffisamment précieuses pour être conservées avec des épices exotiques »…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fuir l’oppression, le quotidien, les déceptions ; qui n’en a rêvé ? Dans La Dernière fugitive, Honor Bright va jusqu’au bout de ses décisions, quittant l’Angleterre des années 1850 pour fendre l’Atlantique et refonder son existence parmi les Etats-Unis. L’héroïne de Tracy Chevalier, romancière vivant à Londres, ne fait pas que fuir, elle affronte le réel, pour se trouver. De même Robert, le héros d’À l’orée du verger, quitte l’étroitesse d’une natale terre à pommiers pour admirer les sequoias californiens. Autant les personnages de la romancière Tracy Chevalier s’émancipent, autant ils accompagnent l’expansion économique et intellectuelle américaine.

Rejetée par un fiancé, Honor Bright suit en 1850 sa sœur qui va trouver un époux outre-Atlantique. C’est la première étape de La Dernière fugitive. Une traversée nauséeuse, la mort de la sœur, la solitude, la brutalité et l’austérité des mœurs, puis l’accueil chez une amicale modiste américaine de l’Ohio, dessinent des péripéties continues, d’abord peu originales. Ce qui ne gâche en rien les qualités la jeune quakeresse qui aime la paix de la couture et les réunions religieuses d’ « Amis » (entendez les Amish), leur silence, leur « lumière intérieure ». Accueillie dans une vaste ferme familiale, elle épouse l’entreprenant Jack, dont elle aura un enfant. Mais sa rencontre avec des esclaves fuyant le Sud pour atteindre la liberté canadienne au moyen d’un chemin de fer clandestin, avec la « ville libérale » d’Oberlin, avec le cynique et troublant Donovan, chasseur de fugitifs, bouleversera son sens de l’humanité. Ainsi Honor saura porter son prénom jusqu’à son sens le plus profond. Le suspense ira jusqu’à la traque, jusqu’au meurtre, peut-être nécessaire…

Entre roman historique et roman d’initiation, entre narration interne et lettres alternées, l’équilibre est parfait. Point trop de didactisme, ce qu’il faut de descriptions, pour faire surgir à nos yeux intérieurs un monde aux richesses sensibles, comme au moyen d’une délicate écriture photographique, qu’il s’agisse d’une forêt, d’un bébé, d’une vache…

Jamais Tracy Chevalier n’est superficielle. Si l’apparente simplicité, la facilité de lecture, des premiers chapitres aux perspectives modestes, peuvent nous donner cette impression, c’est par pudeur et modestie qu’elle ne cherche pas à en imposer à son lecteur. Peu à peu, des problématiques plus fines et politiques se font jour. Dans La dernière fugitive – dont nous tairons l’identité – c’est la thématique, certes rebattue, de l’esclavage qui s’impose. Mais avec un quelque chose de plus : la question de la liberté naturelle de l’individu, qu’il soit noir, ou femme. Quand Honor découvre les visages de couleurs, elle apprend non seulement la compassion, mais leur personnalité profonde. Quand elle s’écarte des lois implicites, puis révélées et justifiées, de sa belle-famille quaker, quand elle récuse une loi du Congrès, qui interdit de porter assistance aux esclaves en fuite et ordonne de contribuer à leur arrestation, elle trouve et assume son libre-arbitre, entre « principes » moraux et « compromis ». Choisissant d’étendre « le silence des Réunions à l’ensemble de sa vie », et s’affranchissant de jougs successifs, elle devient représentative de l’esprit du libéralisme politique des pères fondateurs des Etats-Unis.

Museo del Vetro, Murano, Venezia.

Photo : T. Guinhut.

 

En une remarquable continuité, l’écrivaine donne une place considérable à l’œuvre d’art. Dans La Jeune fille à la perle, elle écrivait à partir du tableau de Vermeer ; dans La Dame à la licorne, c’était la tapisserie médiévale qui était son inspiratrice. Dans Prodigieuse créatures, où l’on croisait également une dimension féministe, des fossiles tenaient lieu de tableaux. En cette Dernière fugitive, plus ténus paraissent les « quilts », ces couvertures de « patchwork » ou d’ « appliqués », brodés avec un soin fabuleux et patient, cadeaux rituels de mariage et trésors familiaux. Pourtant, figurant l’existence d’Honor en fragments divers, et cousus entre eux, ils sont des mises en abyme, reflétant le roman en son entier. Ainsi elle agrège des morceaux de robes, de foulards et de tissus venus de lieux et de personnes qui jouent pour elle un rôle vital, dont le « gilet marron de Donovan ». Ainsi, notre auteure met au centre de sa maîtrise romanesque ce que les rhétoriciens de l’Antiquité appelaient l’ecphrasis, ou description d’œuvre d’art. Ce qui n’est pas le moindre mérite de la romancière experte à tisser un univers entre les pages…

Entre éthique féministe, cause anti-esclavagiste et reconnaissance de la liberté individuelle en dépit des communautés, l’esthétique modeste, cependant peu à peu brillante, de Tracy Chevalier sait à l’évidence réconcilier l’amateur de lecture aisée avec celui qu’anime la quête de problématiques humanistes. Parmi lesquelles la réalisation de soi et la lecture du monde par la création artistique sont justement essentielles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malgré une entrée en matière cette fois un peu fastidieuse, un roman de mœurs de Tracy Chevalier n’est jamais anodin. Nous sommes À l’orée du verger, parmi les marais noirs de l’Ohio. Une pauvre famille de colons, installée en 1838, s’ingénie à faire pousser des pommiers, espérant tirer subsistance de ce dur labeur, vivre avec dignité, en rêvant de la rainette à « goût de miel et d’ananas ». Pour le père opiniâtre et la mère alcoolique, l’entreprise finit en tragédie sordide où l’on s’entretue par accident. Mais pour le fils Robert, qui fuit ce lieu maudit, les arbres sont le fil rouge de son existence en même temps que du roman d’initiation : à l’autre extrémité du continent américain, en Californie, il devient « l’agent arboricole » d’un botaniste qui lui fait récolter graines et plants des immenses redwoods et séquoias, de façon à les exporter vers l’Angleterre et les vendre à de riches clients : « Plutôt que de laisser la végétation à sa guise, ils répartissent les arbres de manière qu’ils composent des œuvres d’art ».

C’est bien ce que compose Tracy Chevalier en tissant des liens subtils entre les destins, les morts et les naissances, entre les filiations et les transmissions de savoir, au sein des cycles d’une nature âpre et grandiose. C’est ainsi qu’en progressant, le livre, absolument réaliste, voire naturaliste dans la tradition de Zola, jouant avec l’alternance des voix et l’alternance des vies des deux générations, avec des lettres qui ne trouvent pas toujours leur destinataire, devient de plus en plus prenant, en apparence tout simple d’écriture, en fait si subtil de conception, jusqu’à l’ouverture vers l’avenir plus lumineux d’une troisième génération, comme celle des arbres, même s’ils dépendent d’une plus vaste temporalité.

Avec son précédent roman de mœurs, La Dernière fugitive, la romancière complète un diptyque attachant : celui de la colonisation du territoire des Etats-Unis et de leur expansion économique. Il s’agissait de la question de l’esclavage et de la liberté individuelle, il s’agit « à l’orée » du vaste verger que deviennent les Etats-Unis, de la liberté d’entreprise et créatrice des Américains, sans oublier l’éloge des vastes espaces de leur continent. À l’image de ses personnages qui ourdissent des quilts ou recueillent les graines et les plants de futurs jardins, Tracy Chevalier est bien une romancière-artiste.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Toujours, les personnages centraux de Tracy Chevalier sont des femmes. Parfois discrètement prestigieuses, voire mythiques, comme dans La Jeune fille à la perle, venue du peintre Vermeer, ou La Dame à la licorne, venue de la tapisserie médiévale. Le plus souvent elles sont ordinaires, d’une plate banalité apparente, alors que la romancière, prend soin d’user d’une remarquable acuité psychologique pour les plonger dans les remous de l’Histoire américaine ou anglaise.

Violet Speedwell, soit le personnage éponyme de La Brodeuse de Winchester, ne semble avoir qualité particulière, sauf son amour des livres. Mais dans les années trente ce n’est pas forcément bien vu, surtout pour une de ces « femmes excédentaires » destinées à un mari qui leur fait défaut, puisqu’une génération de jeunes hommes fut décimée par la Première Guerre mondiale, dont son fiancé. Restée célibataire, négligée par tous, elle n’est qu’une modeste dactylo, lorsqu’en 1932 elle entre dans la cathédrale de Winchester. C’est là qu’elle rencontre un « cercle de brodeuses » où elle va bientôt s’épanouir. Broder des « agenouilloirs » et des coussins ne parait guère exaltant, pourtant le sien « serait encore là après sa mort ». Comme au cours d’une initiation, il faut subir la tyrannie de Mrs Biggins, avant de découvrir l’amitié de ses consœurs et devenir une experte.

Alors que la montée du nazisme emmène l’Allemagne et menace l’Europe, Violet fera preuve d’un modeste acte de résistance : broder un « fylfot », soit une svastika anglaise, croix gammée à gauche. Le roman, plein de sensibilité, même s’il n’atteint pas la hauteur de Prodigieuses créatures, dessine une vie, entre solitude, amours d’occasion et grossesse d’une mère célibataire, peignant du même mouvement une Angleterre des gens modestes et de l’entre-deux-guerres.

N’y-a-t-il pas une discrète vocation féministes au travail romanesque de Tracy Chevalier ? Féministe sans aucun doute de bon aloi. Certes, ce sont des fictions. Mais l’Histoire, grande et petite, ne manque pas de personnalités féminines remarquables, y compris du quotidien. Ainsi que notre contemporain, plus encore favorable aux épanouissements féminins, du moins dans les démocraties libérales.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

À partir d'articles publiés dans Le Matricule des Anges, janvier 2014, juin 2016.

 

Murano, Venezia. Photo : T. Guinhut.

 

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11 août 2024 7 11 /08 /août /2024 17:55

 

Parador de Trujillo, Extremadura.

Photo : T. Guinhut.

 

 

De la Nouvelle Histoire mondiale des sciences

à la théorie fallacieuse de la terre plate.

 

 

Colin Ronan : Histoire mondiale des sciences,

traduit de l’anglais (Grande Bretagne) par Claude Bonnafont,

Points, 1999, 706 p, 12,30 €.

 

James Poskett : Une Nouvelle Histoire mondiale des sciences,

traduit de l’anglais (Grande Bretagne), par Charles Frankel,

Points, 2024, 688 p, 14,90 €.

 

Violaine Giacomotto-Charra & Sylvie Nony :

La Terre plate. Généalogie d’une idée fausse, Folio, 2023, 324 p, 9,20 €.

 

 

La question parait dès l’abord entendue : la science occidentale fut et reste la seule à maîtriser de considérables découvertes et épanouissements, de la médecine, des mathématiques modernes à l’héliocentrisme, de la physique, depuis l’électricité jusqu’au nucléaire, de l’imprimerie à l’informatique, jusqu’à l’intelligence artificielle… Cependant, à y regarder de plus près, ce serait demeurer perclus de préjugés que de croire qu’elle fut la seule à essaimer, tant des contrées lointaines, voire totalement inattendues, ont connues des recherches, des avancées scientifiques. Ce que ne cessent de montrer des ouvrages savants prétendant à de nouvelles histoires mondiales des sciences, sous les plumes de Colin Ronan et James Poskett, cependant plus différents que le laisseraient paraître leurs titres. Alors que des méconnaissances, des mystifications pseudo-scientifiques, ont la vie dure, comme celle qui affirma et affirme encore combien le Moyen âge avait la bêtise de croire la terre plate, cette idée fausse dont la généalogie est retracée par Violaine Giacomotto-Charra & Sylvie Nony. Or science et histoire des sciences se doivent de rechercher et de cultiver la vérité, de se garder des lubies obscurantistes profondément enracinées et des gangrènes idéologiques.

De James Poskett, cette récente (puisque parue en anglais en 2022) Nouvelle Histoire mondiale des sciences est présentée par l’éditeur comme « fondamentale ». Soit. Serait-ce oublier bien vite que ce même éditeur publia un ouvrage d’abord paru en anglais en 1983, de Colin Ronan, intitulé plus modestement Histoire mondiale des sciences, qui commence par « science primitive », va des Egyptiens aux Mayas, en passant par la Mésopotamie. Les premiers étaient férus de mathématiques, de métallurgie, de dentisterie et la pratique de l’embaumement concourut à une précise anatomie. Les Mésopotamiens prisaient géographie et biologie, quand ils étaient suffisamment avancés pour rédiger de réelles encyclopédies cunéiformes sur tablettes d’argile venues de Sumer, au II° millénaire avant notre ère. Elles dénombrent entre autres les minéraux, les pratiques médicales, ce que confirme un volume irremplaçable : Tous les savoirs du monde[1], reflet d’une exposition de la Bibliothèque Nationale de France. Les Mayas quant eux surent mesurer les cycles de Vénus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De toute évidence, puisque chronologique, un tel volume, profus et scrupuleux, consacre son second chapitre à la science grecque, à nombre de ces « savants illustres », comme Archimède ou Pythagore, Euclide ou Ptolémée, auxquels Louis Figuier[2] rendit un hommage appuyé. Avant ce dernier, au XVIII° siècle, Dutens montrait que nombre de philosophes éclairés de son temps avaient « puisé la plupart de leurs connaissances dans les ouvrages des Anciens[3] ».

Nous n’ignorerons pas la Chine, ensuite l’Inde, puis le monde arabe. Si la médecine, voire l’agronomie chinoise, sont l’objet de toutes leurs attentions, les préoccupations astronomiques et conjointement astrologiques, sont de tous les horizons anciens.

Bientôt cependant, et grâce au concours de l’empire romain, de la médecine de Galien, et de l’ère médiévale qui sut adopter les chiffres arabes – en fait indiens – une stupéfiante et irrésistible progression féconde la Renaissance, ce dont témoigne Gutenberg imprimeur, Ambroise Paré chirurgien, sans omettre Léonard de Vinci. Les mathématiques modernes et la révolution astronomique, dû à l’héliocentrisme de Copernic, au XVII° siècle, n’échappent pas à notre historien, qui a par ailleurs écrit une biographie de Galilée, et œuvré à l’étude des premiers télescopes. Physiologie, zoologie avec Buffon, chimie avec Stahl et Lavoisier, l’on ne cesse de parfaire une connaissance complète de la terre, dont l’âge n’est plus celui biblique, et dont l’évolution préfigure en quelque sorte la doctrine de Darwin. L’industrialisation du XIX° siècle s’accompagne de l’électrification, de la photographie, sans parler de l’explosion faramineuse des découvertes et des applications au cours du dernier siècle, du radium à la pénicilline, du gramophone au téléphone, de l’automobile à l’aviation, des technologies nucléaires aux satellites, jusqu’à à l’aube de l’informatique.

Colin Ronan, en son ouvrage, avoue son ambition de couvrir « la science pure plutôt que la technologie », y compris ces sciences « rendues obsolètes par la révolution scientifique », ce de manière extrêmement documentée. Il conclue avec l’univers en expansion et la théorie du Big bang. Pari tenu…

 

Musée d'Agesci, Niort, Deux-Sèvres.

Photo : T. Guinhut.

 

Différence de taille, James Poskett commence son investigation en 1450, soit là où son devancier en était déjà presqu’à la moitié de son volume. Il ne s’intéresse qu’incidemment à l’Occident, le propos étant ailleurs. Ainsi, entre 1450, date du miracle florentin, de notre imprimerie et prélude aux grandes découvertes maritimes, et 1700, la « révolution scientifique est ailleurs », lorsque s’ignorent la médecine aztèque et la cartographie des Amériques. La science islamique infuse la Renaissance européenne, même si l’on sait que cette influence est surestimée tant l’islam entre dans une longue ère d’obscurantisme à partir du XII° siècle, si l’on lit attentivement l’essai informé de Faouzia Charfi[4]. Les astronomes africains, indiens et ceux de Beijing font des prodiges, même si leur déclin, pour des raisons internes et géostratégiques, est confirmé par les performances occidentales, surtout coperniciennes.

Selon la formule de notre auteur, « les esclaves de Newton » – car ce dernier investit largement dans le commerce d’esclaves – sont en Gorée (au Sénégal aujourd’hui), parmi les Incas, les navigateurs du Pacifique, tous contribuant à leur corps défendant à la gravité universelle, car c’est au moyen des observations des savants voyageurs que l’auteur de la Philosophiae naturalis principia mathematica put en 1686 parfaire son ouvrage. De même, un botaniste nommé Sloane collecta les plantes de la Jamaïque, avec le concours d’esclaves africains, dont les bateaux négriers avaient de surcroit véhiculé la noix de cola. De là à établir la culpabilité du botanisme occidental, quoiqu’il puisse reconnaître le savoir des Africains en la matière, il n’y  a qu’un pas. C’est un peu oublier l’immense catalogage de Linné, mais également les progrès de la médecine qui en découlèrent.

De toute évidence les conséquences économiques de ces découvertes ne sont pas sans enjeu. Tel l’importation du thé chinois, qui fit florès en Angleterre, alors que depuis des siècles la Chine ne se privait pas d’étudier cette plante, de publier sous la gouverne de Lu Yu Le Classique du thé[5] au VIII° siècle.

Voici, de 1790 à 1914, le chapitre « capitalisme et conflits », qui conduit à examiner combien « le côté sombre de la recherche », invasions, colonisations, tueries, ne laisse pas de semer le doute sur les méthodes, voire les fins des explorateurs scientifiques. Tel Etienne Geoffroy Saint-Hilaire amené par Napoléon envahissant l’Egypte et découvrant des momies d’ibis sacré de façon à tenter de confirmer avant Darwin sa théorie de l’évolution. Ou encore Francisco Moreno chassant les fossiles en Argentine avec le secours d’une armée massacrant les indigènes. « Une fois qu’ils rentrent en contact avec les peuples civilisés, ils sont voués à l’extinction totale », déclara Sarmiento en 1879. De tels « civilisés » ont une éthique de la civilisation pour le moins désastreuse. L’histoire des sciences est en effet entachée d’infamies.

De façon adjacente, la science est instrumentalisée par l’ambition politique : la traduction chinoise par Ma Junwu de L’Origine des espèces en 1903 allait au-delà de Darwin en arguant que « la révolution est le principe universel de l’évolution ». S’en suivirent 200 000 morts et l’abdication du dernier empereur. En Union soviétique, les scientifiques « subissaient les affres d’un conflit idéologique majeur », à l’instar de Piot Kapitsa, empêché de retourner à Cambridge, qui découvrit à Moscou la superfluidité de l’hélium liquide, qui lui valut néanmoins le Prix Nobel de physique. Cependant nous ne ferons pas grief à la science elle-même d’être manipulée par les pouvoirs tyranniques…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aux faits scientifiques in exacto ici rapportés s’ajoute le talent de narrateur de James Poskett, qui raconte par exemple le voyage de La Condamine vers les sommets des Andes, de façon à ce que l’arpentage contribuer à confirmer l’hypothèse de Newton selon laquelle la terre est aplatie aux pôles…

Quarante ans plus tard, James Poskett a l’avantage de l’actualisation, aussi bien en ce qui concerne des travaux effectués aujourd’hui en Afrique, aux pays arabes, en Asie, la science se mondialisant, qu’en ce qui concerne les recherches historiques, voire archéologiques. Son propos se veut universaliste : « Des naturalistes tchèques et astronomes ottomans aux botanistes africains et chimistes japonais, l’histoire des sciences modernes a besoin d’être racontée sous la forme d’un récit mondial. […] Des recherches passionnantes en matière d’intelligence artificielle, d’exploration spatiales et de sciences climatiques se déroulent déjà en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique latine ; les informaticiens chinois font des percées majeures dans l’apprentissage automatiques des ordinateurs ; les ingénieurs émiratis envoient des sondes spatiales autour de Mars ». En ce sens les contrées les plus exotiques bénéficient de la contamination, de l’exportation des savoirs et des talents de l’Occident. Sauf que cette embellie scientifique ne s’accompagne pas toujours d’embellie des libertés : il suffit de penser à la surveillance faciale et des réseaux en Chine postcommuniste, à la dimension islamique des pays arabes…

La science n’est pas à l’abri des censures et autres répressions. James Poskett signale combien certains régimes, en particulier associés à l’islam, lorsque la dictature d’Erdogan, en Turquie, incarcère des chercheurs qui ont eu le front de se montrer critiques, lorsqu’au Soudan l’on arrête un généticien. Mais en Chine les Ouïgours, fussent-ils des scientifiques, disparaissent…

Il n’en reste pas moins que malgré ses qualités intrinsèques, rendant à César ce qui est à César, l’ouvrage de James Poskett n’est pas dénué d’un relent idéologique douteux. Comme s’il fallait par mode intellectuelle, par décolonialisme, anticapitalisme et par rejet de l’européanocentrisme, contester à l’Occident moderne ses réussites et monter à toutes forces combien les populations exogènes ont été frustrés de leur scientificité. Comme quoi il est vain d’imaginer que la connaissance des évolutions scientifiques puisse être vierge de tel ou tel virus idéologique. Un semblable courant de pensée discutable anime également un récent titre dont la gémellité n’est pas à mettre en doute : Histoire mondiale de la France[6] sous la direction de Patrick Boucheron.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les errances de l’histoire des sciences ne sont pas toutes à la recherche de la vérité, mais témoignent du goût de l’erreur des uns, de la falsification des autres. Ainsi les platistes ont la vie dure, qu’ils soient islamiques, usant à l’envie de la métaphore coranique selon laquelle « la terre est comme un tapis[7] » – quoique des savants arabes en sachent la fausse évidence – ou bien Américains, à l’instar de la californienne Flat Earth Society qui prétend à un complot des partisans de la sphère, tels que la NASA, rien de moins. Mais l’expérience d’enseignant de votre modeste critique a montré que de nombreux élèves soutenaient que le Moyen âge pensait la terre plate, suivant en cela leurs précédents enseignants. Ce qui ne laisse pas d’inquiéter sur la culture de ces derniers.

D’où vient cette idée fausse ? L’essai de Violaine Giacomotto-Charra & Sylvie Nony vient à point nommé pour soigneusement infirmer un tel lieu commun, une telle billevesée obscurantiste. Le Moyen âge brillait dit-on par son ignorance, par sa coercition religieuse, par son arriération scientifique. Seul le temps des navigateurs, entre Colomb et Magellan, mais aussi les astronomes modernes, Copernic et Galilée, aurait permis que la raison éclaire la rotondité terrestre pour que les ténèbres se dissipent et qu’enfin la Terre devînt ronde. Le XIX° siècle, scientiste, anticlérical, contribua longtemps à la diffusion de cette conception fantaisiste d’un Moyen âge, parce que chrétien, inculte et ignorant.

De plus la légende selon laquelle Galilée aurait conclu que la terre était ronde est tenace, alors qu’il ne fit que confirmer l’héliocentrisme de Copernic, ce dernier étant au passage évacué, sans doute parce que Galilée, de par son mauvais caractère, avait été en butte, mais si peu, avec une frange de l’église, forcément anti-scientifique bien entendu, au mépris de la qualité intellectuelle de l’oligarchie religieuse, certes conservatrice, comme tout milieu savant au demeurant, lorsque pointe une découverte inattendue, surprenante, paradoxale.

Il s’agit bien, selon les justes mots de notre duo d’essayistes, « d’une manipulation de l’histoire des sciences et surtout des consciences [qui] participe d’une vision pauvrement linéaire et téléologique du développement des civilisations, issue du positivisme ».

En fait, de l’Antiquité grecque à la Renaissance européenne, à part quelques lourdauds, l’on n’a jamais prétendu, jamais enseigné en Occident une telle platitude ! Au IV° siècle, Aristote dans Du Ciel avait observé la rotondité de notre terre. Un siècle avant Jésus-Christ, Eratosthène avait déterminé avec une précision satisfaisante le rayon de la terre et sa circonférence (nos autrices donnent en une utile annexe l’« Exposé de la méthode d’Eratosthène par Cléomède). Les manuscrits astronomiques médiévaux sont clairs à cet égard, par exemple ceux d’Isidore de Séville au VII° siècle, de Bède le Vénérable au VIII°, de Sacrobosco au XIII°, dont notre volume reproduit quelques citations et illustrations probantes. Ainsi que les fort nombreuses enluminures représentant la création de la terre et ses antipodes. Nos deux historiennes, Violaine Giacomotto-Charra et Sylvie Nony, nous offrent les sources antiques, en passant par les Pères de l’Église, jusqu’aux manuels et encyclopédies médiévales utilisés pour l’enseignement dans les écoles cathédrales, ensuite dans les universités à partir du XIIIe siècle.

Entre Aristote prévenant de la sphère terrestre et Saint Thomas d’Aquin stipulant à la première page de sa Somme théologique la même réalité, le consensus philosophique, scientifique et théologique, tour à tour grec, romain, chrétien, est patent. Mais l’incroyable cas de Lactance, autorité théologique du III° siècle avec ses Institutions divines, en aucun cas une autorité scientifique, s’élevant vigoureusement contre les antipodes et ceux qui marchent la tête en bas, quoiqu’il fit se gausser tout religieux sensé, n’a pas cessé de laisser des traces, y compris mis en avant par Voltaire qui n’a pas été toujours judicieux. Là est « le nœud gordien de la controverse », même si un Cosmas eut le même type d’arguments fallacieux.

Un mythe n’est pas sans genèse, sans généalogie. Aussi notre duo d’autrices abondamment informé pointe avec rigueur les causes de la falsification et sa persistance, les vecteurs académiques, les manuels scolaires, depuis le XIX° siècle jusqu’aux années 1980 ! Ce qui laisse douter du sérieux de l’Education Nationale, voire laisse à deviner que le grégarisme et la paresse de pensée ont par là de beaux jours devant eux. « La force du faux », pour reprendre une formule d’Umberto Eco, est telle que « les récits, comme les mythes, sont toujours persuasifs[8] ». Et plus c’est simpliste, plus cela passe…

Tous phénomènes appartenant sans nul doute à l’histoire mondiale des sciences, pierre philosophale, génétique soviétique et stalinienne de Lyssenko, terre plate, voire réchauffement climatique d’origine anthropique[9], voilà qui prouve combien l’éthique scientifique peut être dévoyée. Par ignorance têtue et assumée, complotisme, obscurantisme, conservatisme, idéologie politique, grégarisme et, bien entendu appât des prébendes et des postes de pouvoir...

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Tous les savoirs du monde, Bibliothèque Nationale de Franc / Flammarion, 1996.

[2] Louis Figuier : Vies des savants illustres. Savants de l’Antiquité, Lacroix, 1866.

[3] Dutens : Origine des découvertes attribuées aux modernes, Chez la veuve Duchesne, 1776.

[5] Lu Yu : Le Classique du thé, Les Belles Lettres, 2023.

[7] Coran, 71-19.

[8] Umberto Eco : De la littérature, Grasset, 2003, p 393.

[9] Voir : De l'Histoire du climat à l'idéologie écologiste

 

Biblioteca de San Lorenzo del Escorial, Madrid.

Photo : T. Guinhut.

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2 août 2024 5 02 /08 /août /2024 13:01

 

Poitiers, Vienne. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

D'Hypérion à Flashback,

les titanesques science-fictions

homériques et géopolitiques

de Dan Simmons.

 

 

Dan Simmons : Hypérion,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Guy Abadia,

Robert Laffont, 2022, 510 p, 23 €.

 

Dan Simmons : Les Cantos d’Hypérion,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Guy Abadia,

Robert Laffont, 2003, 1288 p et 1010 p, 25 & 26 €.

 

Dan Simmons : Ilium,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Daniel Brèque,

Robert Laffont, 2012, 618 p, 23 €.

 

Dan Simmons : Flashback,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Patrick Dusoulier,

Robert Laffont, 2012, 528 p, 22,50 €.

 

Dan Simmons : Le Nez-boussole d’Ulfänt Banderoz,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sébastion Guillot,

Robert Laffont, 2022, 192 p, 18 €.

 

 

 

      Les voies de la science-fiction sont presque aussi impénétrables que celles des dieux. Tant ils sont, en Hypérion, multiples, chrétien, grichtèque, panislamique, cruciforme bikura, voire zen gnostique, dans l’hégémonie de l’œuvre polymorphe du romancier polygraphe américain Dans Simmons (né en 1948)… Mais aussi des dieux de l'Olympe, lorsqu'ils veillent et jouent d'influences au-dessus de la guerre de Troie, sur Hector, Achille et Ulysse. Ainsi Dan Simmons, depuis le tour de force de sa tétralogie Les Cantos d’Hypérion, en passant par Ilium puis son pendant, Olympos, ajoute aux treize siècles de son space opera un étage temporel et technologique réécrivant les récits homériques. Le titanesque Dan Simmons montre une fois de plus combien il a de cordes à son talent. Qui compte le thriller fantastique de L’Echiquier du mal, et le remake du récit d’exploration polaire à la lisière de Jules Verne et du roman gothique, intitulé Terreur. Sans compter qu'en infiltrant une trame policière parmi la science-fiction presque contemporaine de Flashback, le voici imaginant une guerre islamique ravageant les Etats-Unis d'Amérique. Décidément le romancier aime surplombler et manipuler les conflits de l'Histoire, tant passée que future. Plus ludique est son Nez-boussole d’Ulfänt Banderoz, qui relève plus exactement de la fantasy. Et si les prodiges de la littérature s’étaient déplacés des classiques aux prouesses narratives et conceptuelles de la science-fiction ?

        Toutes les dimensions du passé, de l’avenir de l’humanité, ses complexités, déboires et aspirations apparaissent dans l’œuvre de Dan Simmons ; et au premier chef dans ses Cantos d’Hypérion. Gigantesque prélude, le volume inaugural, laconiquement intitulé Hypérion, paru aux Etats-Unis en 1989, doit propulser le personnage du Consul vers une planète lointaine ainsi nommée par allusion au poème du romantique anglais John Keats[1]. Mais quoi de mieux pour occuper les longueurs d’un tel voyage que de confier aux sept pèlerins le récit de leurs aventures et ainsi leur liens avec la dite planète, menacée par l’ouverture des « tombeaux du Temps » et par le « Grichte » sanguinaire qui en occupe le point névralgique ? L’on devine ici un souvenir du procédé des récits emboités, tel qu’en usa un Chaucer dans ses Contes de Canterbury, ce qui renforce l’aspect métalittéraire du roman-somme. Ce sont, dans l’ordre d’apparition, un prêtre, un soldat, un poète, un érudit philosophe, une femme-détective, un diplomate, soit notre consul enfin. Parmi ceux-ci s’est glissé un traître ; lequel ? Et si la légende rapporte que six parmi les pèlerins seront sacrifiés au « Gritche », qui sera le survivant, qui sera « L’Elu » ?
      Il faut attendre le second volet, La Chute d’Hypérion, pour explorer les mystères dangereux, voire apocalyptiques, d’un tel parage. Découvrir, au cours d’une narration chronologique cette fois, le « Gritche », monstre aux griffes acérées, auquel tout un peuple voue un culte suicidaire. À l’instar du « parasite de résurrection », en quoi consiste le « cruciforme », il atteste combien il s’agit de religions de la souffrance, ce dont témoigne également « l’arbre aux épines » qui empale des milliers de vivants. Le mystère effarant du mal reste entier… Ce qui fait écho à L’Echiquier du mal
[2],l... roman fantastique et policier, à la recherche d’un ancien tortionnaire nazi qui ne cesse de sévir, des décennies après. L’action est trépidante, l’angoisse est prégnante, surtout lorsque le meurtrier s’insinue dans l’esprit de ses victimes devenues pions d’un jeu d’échec mortel...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      272 ans plus tard, Endymion et L’Eveil d’Endymion font l’objet du second diptyque dans cette tétralogie dédiée à John Keats. Berger devenu soldat puis guide pour chasseurs, Raul Endymion doit protéger Aenea, fille de l'ancienne pèlerin Brawne Lamia, également messie venue des temps passés. Ainsi, au-delà de la réécriture du mythe des Titans vaincus par les divinités olympiennes et chantés par l’omniprésent poète John Keats - réincarné en un « cybride » -  s’accomplit la renaissance religieuse…
      Le Space opera exhibe sa dimension politique, entre galaxies lointaines gouvernées par l’ « Hégémonie », sous l’autorité de Meina Gladstone, invasion des marges de l’empire par les « Extros », guerres interstellaires complexes, « portes distrans » reliant les planètes les unes aux autres – exception faite d’Hypérion – s’allie à des avancées scientifiques inouïes, tels une considérable intelligence artificielle avant l’heure, tapis volants à « propulsion Hawking », « traitement Poulsen » de résurrection auquel le poète Martin Silenius a sacrifié. Les allusions à l’entropie, à la biologie des machines, celles au philosophe chrétien Pierre Teilhard de Chardin nourrissant la quête mystique, la richesse stylistique, épique et poétique, tout contribue, sans lourdeur ni pédantisme, sans nuire à l’efficacité narrative, à une réussite époustouflante.

 

 


      Hubris et ruines des civilisations, amours émouvantes, celui édénique de Merin et Siri, et déchirantes, celui de Sol pour sa fille dont le temps est renversé, rien ne semble avoir été oublié pour tisser cette fresque pluridimensionnelle, des plus immenses perspectives spatiales et temporelles aux plus infimes, intimes et coruscants détails. De surcroit les registres employés varient sans cesse : épique au premier chef, lyrique, tragique, burlesque, parodique, sans compter les registres de l’argumentation, judiciaire, épidictique, délibératif, qui conviennent à une œuvre politique aux complots, machinations et résolutions nombreux.
      Presqu’exactement contemporain, soit deux ans après, du cycle de La Culture de Ian M Banks
[3] – une utopie techniciste  et philosophique, en quelque sorte anarchique – celui d’Hypérion présente avec ce dernier des points communs : guerre intergalactique, humanité dirigée par les intelligences artificielles, ici le « TechnoCentre », mais ce serait exagérer les familiarités afin de déprécier l’un ou l’autre. D’autant que la virtuosité poétique de Dan Simmons fait la différence, sans omettre la pertinence philosophique et théologique.

Homère : L'Iliade, Jean de Bonnot.

Photo : T. Guinhut.
 

      La récurrence des allusions mythologiques dans les Cantos d’Hypérion précède à juste titre un autre diptyque explicitement consacré à la guerre chantée par Homère. Dans le premier volume, intitulé Ilium, un universitaire du XX° siècle est envoyé depuis le futur afin d’observer la guerre de Troie, des « Moravecs » passionnés de Proust et Shakespeare enquêtent sur l’activité quantique de Mars, alors que les Terriens, surveillés par les Vyonix, sont devenus des niais. Trois histoires et trois temps se rassemblent sous le regard hypertechnologique des dieux grecs à l’affût du meilleur et du pire de l’humanité et de la post-humanité. Les interventions d’Aphrodite, de Zeus et autres divinités, s’expliquent alors grâce à d’éblouissants recours à la physique quantique et aux nanotechnologies. Homère a-t-il fidèlement rapporté cette guerre ? C’est ce que l’on tentera de vérifier, à la croisée de la réécriture de l’épopée et d’une intertextualité virtuose.

      Certes, cet Ilium, auquel succède Olympos, en un diptyque historico-poétique impressionnant croisant mythologie et space opéra, n'a peut-être pas de bout en bout la puissance d'Hypérion, cette tétralogie radicalement indépassable. Là où ce dernier nous entraînait dans un suspense aventureux sans équivalent, et ce avec une écriture et une pensée stupéfiante, qu'il s'agisse de création poétique, de religions et de civilisations imaginées, la réécriture homérique pêche parfois par le manque de concision, les longueurs, les répétitions dommageables. Mais qu'importe, dira-t-on devant l'ambition assumée...

      Rien de tel donc que la culture des grands poètes, dont Dan Simmons fait indubitablement partie, pour comprendre les évolutions, le passé et les futurs des mondes…  La science-fiction postmoderne, riche de tant d’allusions, récits et références, ne se sépare pas de la littérature classique et se trouve être le refuge le plus adéquat et le plus développé du genre épique redevenu contemporain.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Plus près d'aujourd'hui, en un futur très proche, soit en 2035, notre démiurge romancier plonge dans la psyché d’un ex-policier, veuf de surcroit, d’où le titre : Flashback. Suite à l’accident de la route qui a tué sa femme Dara, Nick traîne sa déréliction dans un monde sabordé par l’Histoire. Il n’est plus qu’une dépendance continue au « flashback », une drogue que l'on devine capable de lui faire rejoindre un passé heureux et perdu. C’est à peine s’il prend au sérieux le conseiller Nakamura qui l’engage pour retrouver l’assassin de son fils Keijo, une vieille enquête restée infructueuse dix ans plus tôt. Aux ficelles élimées du thriller s’ajoutent deux axes qui donnent indubitablement du corps à l’ouvrage : entre réflexion sur la mémoire et les conflits politico-religieux exacerbés, le roman brosse une fresque alarmante de ce que nous pourrions, en 2035, devenir.

      L’épigraphe de Marcel Proust ouvre alors au lecteur une porte sur l’ambition - mais en même temps la respectueuse reconnaissance - de Dan Simmons. Ses autres livres s’appuient d’ailleurs sur de persistantes allusions à Homère (Ilium et Olympos en tant que réécritures science-fictionnelles de L’Odyssée), à John Keats (pour Hypérion) et à Shakespeare, dont un personnage de camionneur est ici féru. Ainsi, au service de la mémoire, qualifiée par Proust d’ « espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met, au hasard, la main tantôt sur une drogue calmante, tantôt sur un poison dangereux », notre prospecteur d’univers imagine une substance aussi séduisante que redoutable qui permet de revivre avec une profonde acuité ses souvenirs. Interdite par l’Islam, elle plonge une bonne partie de l’humanité dans la torpeur. Existe-t-il un « flashback deux (…) totalement immersif », se demande Nick ? Il permettrait de vivre le bonheur de fantasmes sans cesse développés, comme « se construire une vie nouvelle avec Dara »… Dans quelles cuves contrôlées par de politiques puissances plonge-t-on des cobayes humains pour la tester ? Est-on sûr à la fin d’y avoir échappé ?

      Jouant sur nos nerfs et nos peurs - de manière moins fantasmatique que réaliste - Dan Simmons dresse également le portrait d’une Amérique et d’un monde pré-apocalyptiques. Le « Califat Global », au profit duquel les Européens ont abandonné leur culture, a vitrifié Israël, pris le contrôle de la moitié de la planète et des trois quarts des Etats-Unis. Il est contré au sud par les « Spaniques » et leur « Reconquista », alors que les Japonais rétablissent les traditions des « Shôguns » qui luttent d’influence pour placer leurs pions sur l’échiquier géopolitique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      D’où vient cette dégringolade des Etats-Unis ? Dans une analyse pertinente, Dan Simmons rappelle la dette et les « programmes d’aide sociale colossaux », la tolérance toute empreinte de lâcheté envers les Musulmans. Des allusions à la « folie sur le réchauffement climatique qu’on prétendait d’origine humaine », à l’administration Obama (qui n’est pas nommé), à la République islamique d’Iran dont on n’a pas su arrêter le délire meurtrier, ajoutent une dimension polémique que le lecteur restera libre d’apprécier à sa juste valeur, à sa qualité d’avertisseur. Ainsi Dan Simmons fait reprendre par son camionneur cultivé, qui sait citer Alexis de Tocqueville, la célèbre citation de Churchill : « Le socialisme est une philosophie de l’échec, le credo de l’ignorance et la philosophie de l’envie. Sa vertu inhérente consiste en une égale répartition de la misère[4] ».

      Ainsi l’avertissement est lancé. Dans la tradition de La Machine à explorer le temps de Wells, où l’avenir de l’humanité se résolvait par la faillite de l’humanisme et la victoire d’un souterrain prolétariat vampirique, l’anticipation politique engagée se veut alors rationnellement prédictive, se faisant implicitement injonctive : gare à la chute de l’Europe, des Etats-Unis, de la liberté et de la prospérité !

       Sous l’égide d’un narrateur omniscient qui alterne les récits des aventures de Nick et de son fils Val jusqu’à ce qu’ils se rejoignent enfin, le roman feuilleton, dans la grande tradition du réalisme du XIX° et de la narration hollywoodienne, est sans cesse efficace, entraînant, faute d’être réellement novateur. La dimension épique, indubitable, comme il sied à ce genre de science-fiction géopolitique, aurait un peu tendance à rendre parfois le héros un peu ténu, au milieu des enjeux planétaires et religieux de cette guerre des mondes, résolvant, presque à son corps défendant, une énigme qui le dépasse, grâce à la mémoire cachée du portable de son épouse, sa chère Dara disparue dans une impeccable machination… L’archétype de la lutte du bien et du mal aboutit ici, non pas sur une victoire absolue du premier, mais sur un chemin d’espoir où les valeurs de l’Amérique pourraient alors, au-delà du chaos, être restaurées. Ainsi la littérature fournit-elle au lecteur et à une nation, dont la constitution fut issue des Lumières, l’abîme de ses peurs et le ressort qui lui permettra de se relever de flashbacks nostalgiques pour envisager avec fermeté le présent et l'avenir. L'apologue est on ne peut plus clair. Il ne reste plus qu'à imaginer un nouvel Homère chantant la guerre interminable de l'Islam contre l'Occident. Et c'est peut-être l'inénarrable Dans Simmons.

      Quoiqu’en une trop brève allusion, nous penserons à un autre roman de Dan Simmons, témoignant de la multiplicité de ses talents. Entraînant opus tressé d’histoire polaire, de fantastique et d’effroi gothique, Terreur[5] est une autre de ses réussites,  même si elle apparait plus conventionnelle, mais avec une puissance dont il a le délicieux et épouvantable secret.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


De taille beaucoup plus modeste, plus ludique également, sans prétention et cependant plaisant, Le Nez-boussole d’Ulfänt Banderoz, relève d’un croisement de la science-fiction et de la fantasy, tant son tropisme magique a quelque chose de médiéval. Œuvre mineure, certes, mais témoignage supplémentaire s’il en fallait de la virtuosité de Dan Simmons, cette novella met en scène la quête de « Shrue le diaboliste » parmi un univers où la lune s’est égarée, où le soleil rougit, où décroît la « terre mourante » (selon l’hommage au titre de Jack Vance[6]) ce qui ne laisse plus guère espérer qu’une apocalypse. Seule la découverte d’une bibliothèque et sa convergence pourrait être salvatrice. Pour la rejoindre, un voyage cosmique en « galion céleste » – écho peut-être de celui qui nous conduisit vers Hypérion – ne peut se passer de quelque combat spatial pyrotechnique. Prélevant sur le corps momifié du bibliothécaire Ulfänt Banderez le « nez-boussole », Schrue parviendra jusqu’à l’indispensable « Seconde Bibliothèque Ultime », avec le concours de sa complice Derwee, « maîtresse de guerre ». Mais il n’y a pas de quête sans un opposant acharné, le redoutable « Faucelme » résolu à s’emparer de cet indispensable trésor au moyen d’escarmouches guerrières et de tortueux maléfices, sans objets magiques comme le « Cristal-Guide », le tout entre démons et dragons tourbillonnant.
      Mystérieuse, cette Bibliothèque « du Savoir Thaumaturgique » le restera : « des hommes ont perdu la vue rien qu’en regardant ces livres ». Le monstrueux Kirdrik doit avouer : « Je connais plus de neuf cents alphabets phonétiques et glyphiques, ainsi que plus de onze mille langues écrites, vivantes ou mortes, mais ces symboles s’éparpillent comme des cafards lorsqu’on allume une lumière ». Si Shrue semble pouvoir en sa seconde matérialisation la maîtriser enfin et ainsi sauver la terre, le lecteur en restera pour sa curiosité déçue. Pourtant nous ne doutons guère d’un Dan Simmons, consultant maint opuscule de magie et d’alchimie, eût pu imaginer des titres, des paragraphes stupéfiants. Probablement il eût concurrencé La Bibliothèque de Babel borgésienne, celle du Nom de la rose d’Umberto Eco…

Il est toujours temps que les trompettes de la Renommée claironnent que la science-fiction n’est pas plus un sous-genre que la « blanche » de Gallimard. Les meilleurs livres n’ont que faire des cases et étiquettes. Dan Simmons, après Verne, Wells, Gibson et Banks, l’a montré grâce aux fabuleuses 2000 pages du Cycle d’Hypérion. Si les incursions de ce polygraphe dans le policier ou l’horreur sont peut-être un soupçon plus négligeables, il prouve encore avec Ilium qu’il sait produire une science-fiction raffinée, complexe sans être illisible, cultivée. Ce créateur d’univers, technologies, théologies et personnages inoubliables, aussi individualisés qu’universels, s’attaquait, après Keats dans son maître opus consacré aux planètes et galaxies d’Hypérion, rien moins qu’à Homère, pour réécrire et transposer l’Iliade dans un futur fait de conflits interstellaires. Gageons que l’aède grec saura l’accueillir à son côté, et auprès de Keats, dans le panthéon des Muses. Réécritures sans la moindre servilité, multivers démesurément inventifs, ses romans sont d’une puissance de composition, d’une géniale invention toute personnelle, cependant nourrie des mythes et de l’Histoire universelle, y compris de celle, plausible, du futur.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] John Keats : Hypérion, La Dogana, 1989.

[2] Dan Simmons : L’Echiquier du mal, Denoël, 2023.

[3] Ian M Banks : Cycle de La Culture, Le Livre de poche, 9 tomes, 1996-2014.

[4] Winston Churchill : Discours à la conférence des Unionistes écossais, 28 mai 1948.

[5] Dan Simmons : Terreur, Robert Laffont, 2007.

[6] Jack Vance : La Terre mourante, Mnémos, 2021.

 

Oñati, Gipuzkoa, Euskadi.

Photo : T. Guinhut.

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27 juillet 2024 6 27 /07 /juillet /2024 16:04

 

Pintor veneto : Doce sibilas. Dioses y Héroes del Barocco venetiano,

Fundación Barrié, A Coruña, Galicia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Fabrique du sexe et fabrique du genre

ou les avatars du féminisme.

Suivi par la haine du pénis et l’effacement des mères.

Thomas Laqueur, Judith Butler, Dr Kopte,

Marcela Iacub, Eve Vaguerlant.

 

 

Thomas Laqueur : La Fabrique du sexe,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Gautier,

Folio, 2023, 576 p, 9,95 €.

 

Judith Butler : Trouble dans le genre,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cynthia Kraus,

La Découverte, 2005, 288 p, 13 €.

 

Dr Kopte : Pubère la vie. À l’école des genres,

Editions du Détour, 2023, 320 p, 20, 90 €.

 

Marcela Iacub : Penis horribilis, Fayard, 2023, 144 p, 16 €.

 

Eve Vaguerlant : L’Effacement des mères,

L’Artilleur, 2024, 192 p, 18 €.

 

 

 

Né lors de la Genèse, d’Adam et d’Eve qui est la chair de sa chair, ou plus exactement des hasards et des déterminismes de la seule nature, le sexe est dualité anatomique, que l’on a longtemps pensé irréductible, hors quelques très rares cas d’hermaphrodisme. Mais au cours du XX° siècle, au-delà du genre grammatical, lui arbitraire, l’on s’est mis à penser le genre au sens culturel, moral, affectif, social… Assurant que les vertus et les rôles ne sont plus réductibles au sexe, que racines biologiques et racines psychologiques et culturelles peuvent ne pas coïncider. Ainsi lirons-nous les initiateurs, les détracteurs et les thuriféraires de la pensée du genre. Progrès des mœurs et des libertés, nécessité psychophysiologique, soin humanitaire ? Ou narcissisme exigeant, délire idéologique, endoctrinement, voire pulsion de grégaire pouvoir ? Les conséquences d’un tel bouleversement historique du féminisme genré, haine du pénis, effacement des mères, vont-elles dans le sens des libertés ou de nouvelles tyrannies ?

Pour poser les bases de notre réflexion, consultons l’essai de Thomas Laqueur. Making sex : body and gender, from the greeks to Freud fut publié en 1990 aux États-Unis. Traduit, l’ouvrage devint en 1992 La fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident. Notre historien se livre, depuis l’Antiquité, en particulier gréco-romaine avec Galien, à une enquête documentée, ce qu’atteste un liminaire cahier d’illustrations, mais, sans faute, sous le patronage de l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault[1].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En cette histoire du sexe, le « modèle unisexe », dominant depuis l’Antiquité et jusqu'au XVIII° siècle, prétend voir le vagin comme pénis inversé, l’utérus comme scrotum, les ovaires comme testicules, ce en négligeant les différences. Les organes féminins sont intérieurs alors que ceux masculins sont extérieurs, les premiers en une occurrence plus imparfaite. Ce qui n’est pas sans refléter le genre social admis pour chacun des sexes, pensé comme naturel. Mais cet a priori, dans lequel le « genre était fondateur quand le sexe n’en était que la représentation », s’est vu battu en brèche par la science anatomique des Lumières : « l’on cessa de prendre les ovaires pour des testicules femelles », rendant de cette façon compte de la différence sexuelle irréductible. Lui succéda donc un modèle à « deux sexes », au moment où « le sexe tel que nous le connaissons devint fondateur, le genre social n’en étant plus que l’expression ». Ainsi notre essayiste constate que le sexe est aussi culturel que le genre. « Des sciences que nous tenons aujourd’hui pour douteuses », y compris en s’appuyant sur la sélection naturelle de Darwin, corroboraient « la politique culturelle de la fécondité cyclique ». En effet, « Pendant le plus clair du XVIIe siècle, être homme ou femme c'est tenir un rang social, assumer un rôle culturel, et non être organiquement de l'un ou l'autre sexe. Le sexe était encore une catégorie sociologique, non pas ontologique. » Ensuite, à partir de l’ère des Lumières, le vocabulaire de l'anatomie génitale se précisant, la différence sexuelle impose une vision selon laquelle la femme est l'opposée de l'homme avec des organes, des fonctions et des sentiments irréductiblement différents. Ce qui permet de penser de manière naturaliste l'organisation rationnelle de la société du XIX° siècle. Jusqu’à ce que Freud prétende à une version moderne de la théorie du sexe unique, niant les formes biologiques pour arguer qu'une fille devenue femme voit le plaisir sexuel se déplacer du clitoris au vagin, conception d’ailleurs bien datée et justement ridiculisée. La culture religieuse, sociale, dicte un usage du corps féminin, bien entendu tourné vers la maternité. Comme le prétend Freud, Thomas Laqueur admet que le destin est l'anatomie, mais sans comme son prédécesseur ordonner une « sexualité correcte », quand le sexe est un artifice. Car « les deux sexes ne sont pas une conséquence naturelle et nécessaire de la différence corporelle ».

La fabrique sociale règle l’exercice de la reproduction ; lorsque faire naître, et faire être, sont des valeurs fondamentales. En ce sens le contrôle de la descendance surpasse l’érotisation du désir, afin de vaincre la mort individuelle et contrôler l’existence privée et publique. La conception du monde s’en trouve ordonnée par le masculin et le féminin, définissant ainsi les situations sociales, les rôles attribués aux  deux genres : «  Ce que l’on peut vouloir dire sur le sexe… contient déjà une affirmation sur le genre ». Il n’y a pas, d’un côté, de la nature, et, de l’autre, de la culture, mais une production conjointe : la différence sexuelle reçoit un contenu à travers les représentations, les symbolisations, les rhétoriques ». Le sexe devient une création sociale, un jeu de pouvoir, d’inégalité, de hiérarchie et de subordination, le tout s’inscrivant dans une anthropologie, tout ce dont Thomas Laqueur se fait l’historien perspicace.

Ainsi la fabrique du sexe s’entend comme une histoire intellectuelle. Le revers de la médaille étant, à l’occasion de la Révolution française, « la création d’une nouvelle sphère publique, exclusivement masculine, d’où leur essence corporelle même excluait les femmes ». Cependant le développement de la médecine permit plus récemment les progrès de la connaissance anatomique et de la physiologie de la reproduction, puis de sa maîtrise grâce à la contraception. Ce qui, associé à la montée du féminisme, permit enfin de nouvelles libertés, sociales et sexuelles à celles qui sont humainement nos semblables…

Thomas Laqueur nourrit son ouvrage d’anecdotes, par exemple pour illustrer l’idée ancienne selon laquelle l’orgasme féminin était indispensable à la conception, en contant l’histoire d’une beauté paraissant morte, ainsi insensible, qu’un chevalier ne put s’empêcher de déflorer : plus tard éveillée, enceinte, elle trouva en son nécrophile galant l’époux qu’il lui fallait ! Il étudie également la gestion des pratiques, comme en examinant la répression du « vice solitaire », soit la masturbation, au cours des XVIII° et XIX° siècles. Le tout appuyé par une érudition impressionnante, qui va de Plutarque à Wagner, de Galien à Foucault, comme il se doit…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aujourd’hui cependant, loin d’un discours dominant sur le sexe, une pluralité de vécus et de discours permet au genre de s’affirmer, de se fragmenter, de s’étoiler, comme autant de rhizomes deleuziens. C’est là que prend place l’essai fondateur, quoique controversé, de Judith Butler, Trouble dans le genre, initialement publié aux Etats-Unis en 1990. Le féminisme n’obéit plus lui-même à une identité stable, se départit des injonctions normatives, préfère à l’hétérosexualité obligatoire une contre-culture queer[2]. À nos vies troublées et troublantes répond ce Trouble dans le genre.

De la biologie à l’homosexualité et au lesbianisme, des écrivains Kafka et Bataille au philosophe Nietzsche, de la mélancolie à la psychanalyse – plutôt Lacan que Freud – jusqu’au structuralisme, sans oublier Foucault, Simone de Beauvoir et Luce Irigaray,  puis des dames aux talents avant-gardistes comme Julia Kristeva et Monique Wittig, quoiqu’elles soient parfois absconses, et dans le prolongement de la déconstruction derridienne[3], l’essai de Judith Butler balaie autant le corps charnel et sensoriel que le corps politique, au-delà d’un présupposé patriarcal et d’une langue phallocentrique.

Il est rapidement évident que notre essayiste remet en question « l’ordre obligatoire du sexe/genre/désir » et « la prohibition en tant que pouvoir », qu’elle interroge le langage, ses pouvoirs et ses stratégies, qu’au-delà du binaire l’identité s’en trouve bouleversée, que la discontinuité sexuelle – telle celle d’Herculine Barbin[4], femme puis homme – glisse vers autant vers la «  désintégration corporelle » et le « sexe fictif », que vers des « subversions performatives ». Tentant de penser une politique féministe qui ne soit pas fondée sur une identité féminine préconçue, la conclusion de Judith Butler reste ouverte, en se demandant « comment déstabiliser les prémisses de la politique identitaire et en restituer la dimension fantasmatique ? »

Il n’en reste pas moins que notre judicieuse Judith Butler n’est pas aussi dogmatique que certains de ses thuriféraires pourraient le laisser croire : « Il incomberait aux féministes d’explorer les prétentions totalisantes d’une économie masculiniste de la signification, mais aussi de rester critiques vis-à-vis des gestes totalisant du féminisme ».

De toute évidence, Judith Butler ne peut être confondue avec l’extrême radicalisme d’une Valérie Solanas, dont le SCUM Manifesto[5] prétendait en 1967 prôner la castration des hommes, quoiqu’il faille plutôt tenir compte de la dimension violente et parodique de la chose et de sa propension à promouvoir les relations entre femmes indépendantes ainsi que le refus des relations sexuelles. En revanche il faut constater que Judith Butler se montre complice d’un autre radicalisme, celui du terrorisme islamiste, puisqu’elle soutient le Hamas de la bande de Gaza, qualifiant l’attaque meurtrière du 7 octobre 2023 contre Israël, comme « un acte de résistance armée » !

 

Iglesia de Sante Pedro y Santa Maria, Olite, Navarra.

Photo : T. Guinhut.

 

Faut-il aller jusqu’à la transsexualité ? Si l’on se fie à la liberté de l’individu, du moins majeur, pourquoi pas. Si la disphorie de genre, soit le sentiment d’inconfort grave face au sexe assigné par la nature, entraîne une souffrance clinique, il peut être bon, lorsque la science le permet, de corriger les erreurs naturelles, comme l’on corrige une maladie génétique. Mais pas sans avoir conscience que le changement de sexe ne fait pas du sexe nouveau une anatomie entièrement opérationnelle, que l’espérance de vie en est peut être affectée, que l’on risque de regretter un choix sans retour… Mais pas sans se prémunir d’un militantisme persuasif qui veut s’assurer un pouvoir grégaire en s’agrégeant des adeptes, en particulier des adolescents fragiles et influençables. Là encore la geste du genre, ici le transgenrisme, peut être fort politique.

Hélas la réalité du terrain ne laisse guère de place aux libertés genrées. Si l’on ouvre le livre du Dr Kopte, Pubère la vie, dont les chapitres parcourent l’école, le lycée, les centres de formation d’apprentis, l’on s’aperçoit que le sexisme machiste le plus vulgaire et le plus virulent est monnaie courante. Pour arriver à un tel diagnostic, le Dr Kpote, « animateur de prévention en milieu scolaire », a rencontré des milliers d’adolescents. Leurs provocations, leur agressivité, leurs tabous, clichés, ignorances, injonctions patriarcales voire religieuses, sont effarants. Entre insultes, viols en tournantes, vidéos volées sans le consentement de la victime, la coupe est pleine : « Combien de porcs seront réellement condamnées ? Quels moyens vont-être réellement déployés pour combattre le sexisme ? », s’interroge l’auteur de ce reportage réaliste, édifiant. Fort heureusement, de loin en loin, des perspectives féministes, des tolérances plutôt que des « LGBTphobies », pointent leurs lueurs d’espoir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si l’on suit les observations de l’ouvrage du Docteur Kpote, le pénis peut-être un moteur dangereux. Quoiqu’il ne faille pas aller jusqu’à pousser de généralisateurs cris d’orfraie pour dénoncer ce Penis horribilis qui fait le titre de Marcela Iacub. Car paradoxalement la liberté féministe a pu accoucher d’un monstre, soit la criminalisation de la sexualité.

Elle n’y va pas avec le dos de la cuillère, notre polémiste : selon elle, les conquêtes féministes n’ont conduit les femmes qu’à un « statut de demi-esclave ». Elles sont victimes, ils sont agresseurs, d’où le devoir de se venger, y compris pour le crime ancestral de patriarcat, dont les descendants ne sont pas pardonnés au bout de sept générations, à la semblance d’un décolonialisme revanchard et ivre de pouvoir à conquérir, de répression à voluptueusement exercer.

Avec le mouvement #MeTwo, né en 2017, les sempiternelles agressions sexuelles allaient pouvoir être dénoncées, condamnées. Fort bien. Mais au risque d’en faire un mouvement de prévention contre la sexualité. Une « culture du viol » serait systémique, d’où ce pénis « horribilis » ; et ne parlons pas du phallus ! Les « prédateurs-nés » se voient-ils menacés d’une « croisade antisexuelle » ? Leur pulsion sexuelle maligne leur vaut d’être placés sous le joug d’une « nouvelle architecture des sanctions pénales ». Ainsi nombre d’actes qui relevaient jusqu’alors de l’agression sexuelle sont bientôt qualifiés comme des viols. Ainsi Marcela Iacub se scandalise de l’arbitraire fluctuant des âges légaux et illégaux, de l’élargissement des actes prohibés et du durcissement des peines. Progrès en faveur des victimes ? Abus du pénal ? Faut-il suivre complètement la polémiste dans sa diatribe…

 Une « censure féministe » vient éradiquer la voix du mal pensant et de la non conventionnelle. Voici notre polémiste nous mettant en garde : « après avoir transformé les femmes en purs objets de désir, au lieu de les sortir de cette triste prison, la révolution #MeTwo cherche à s’attaquer d’une manière frontale à la sexualité des mâles qui jouissent du privilège d’être les sujets de leur propre désir ». Et même si ce constant ne concerne qu’une frange de ce néoféminisme, fort de ses activistes et fer de lance militant, bruyante et comminatoire, elle bénéficie d’un pouvoir de persuasion grégaire, usant d’un dangereux virage antihumaniste au service d’une oppression déjà bien plus qu’en gestation.

L’on ne s’étonne alors pas que la vie de couple va en se délitant, en diminuant spectaculairement, au profit des vies en solo, y compris à l’encontre des mères divorcées, abandonnées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lorsque Marcela Iacub, dont on connait Le Crime était presque sexuel[6], glose sur « les métamorphoses de la paternité », sur « le pouvoir d’avorter qui fait la mère », lorsqu’elle compatit à l’égard de ces femmes que leurs maternités conduisent à un taux d’emploi bien moins élevé que celui des hommes, elle anticipe en quelque sorte sur L’Effacement des mères d’Eve Vaguerlant. Cette dernière, mère et enseignante, constate qu’un féminisme dénaturé conduit à « la haine de la maternité ».

Or les femmes ne font-elles pas de moins en moins d’enfants, du moins celles occidentales et d’Extrême Orient ? Un féminisme libérateur, et bien évidemment la contraception, ont permis de ne plus dépendre du père ou du mari et de ne plus être chargée d’une flopée de momignards. Mais l’excès du genrisme conduit à mettre en doute la différence sexuelle, voire à rejeter la conception, la reproduction ; sans compter par ailleurs que l’argument fallacieux du réchauffement climatique d’origine anthropique autorise d’aucunes et d’aucuns à diaboliser la maternité. « la mode de la stérilisation », le sacre de l’avortement – quoiqu’il faille en assurer la liberté, alors que la responsabilisation et la contraception ne jouent guère le rôle qu’elles devraient avoir – la dépréciation féministe des femmes qui préfèrent s’occuper de leurs chers enfants plutôt que combattre une souvent prétendue inégalité salariale, tout cela contribue à l’absence de l’enfant, à la perte de sens de l’humanité. Des réformes comme le congé parental pour les pères, aux dépens de celui des mères, « au nom de la déconstruction de préjugés sociaux », se montrent contre-productives. A contrario l’auteure plaide en faveur d’une politique nataliste, d’allocations universelles, d’accueil des jeunes mères, y compris dans les universités.

Certes il est loisible de regretter d’être mère, car cette condition peut opérer aux dépens de l’épanouissement personnel ; ce qui avouons-le, menace un peu moins les hommes. Cependant, non, la féminité n’est pas un ressenti, mais une réalité biologique, chromosomique et d’ADN, soit la nécessité d’enfantement, quoique là encore elle relève de la liberté individuelle. Au-delà d’un hédonisme qui est la conquête de la modernité, ne perdons pas le sens de la transmission et de l’éducation, par le don d’un enfant. Sinon, « l’homme moderne se retrouve dans une forme d’anomie, face à un vide qu’il  ne peut combler de ses propres forces ». Avec bon sens, Eve Vaguerlant introduit en son indispensable essai une dimension métaphysique.

Les descendantes de Simone de Beauvoir, qui, en 1949, prétendait « on ne nait pas femme, on le devient[7] », ont certainement gagné des libertés, tout en risquant de menacer des libertés, dont celle essentielle de donner un monde à nos enfants. Car devenir femme, c’est être libre d’embrasser le flux et la variété des genres, mais aussi de nous offrir les enfants et leur avenir, sans quoi nous n’aurions pas été, sans quoi nous ne serons plus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La radicalité des discours et des mots d’ordre afférents au genre a quelque chose de spécieux. Dans la mesure où une démocratie libérale, et donc une société tolérante, laisse à chacun la liberté et le droit d’exercer ses pulsions et ses choix autant sexuels que comportementaux, tant qu’ils ne nuisent pas à autrui et dans le cadre du consentement mutuel, qu’importe que nous soyons lesbiens, plus ou moins hétérosexuels, transsexuels, voire asexuels, que des anatomies féminines préfèrent les camions de fort tonnage et que des Messieurs aiment collectionner les poupées Barbies, une limpidité de la multiplicité et de la variabilité des êtres ne doit être empêchée. Hélas des pouvoirs grégaires, masculinistes ou postféministes, politiques et religieux, de droite comme de gauche, où ne se cachent qu’à peine des pulsions tyranniques sans vergogne, n’ont pas la sagesse de l’entendre de cette oreille…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[5] Valérie Solanas : SCUM Manifesto, Mille et une Nuits Fayard, .

[6] Marcela Iacub : Le Crime était presque sexuel et autres essais de casuistique juridique, Champs Flammarion, 2009.

[7] Simone de Beauvoir : Le Deuxième sexe, Gallimard, tome II, p 13, 1949.

 

Iglesia de Sante Pedro y Santa Maria, Olite, Navarra.

Photo : T. Guinhut.

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15 juillet 2024 1 15 /07 /juillet /2024 13:05

 

Prahecq, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Poésie des lointains,

du monde romain et hellénistique à l’Orient persan :

Denys le Périégète, Rûmi, Hâfez.

 

 

Denys le Périégète : La Description de la terre habitée,

traduit du grec par Christian Jacob et Bénigne Saumaise,

Les Belles Lettres, 2024, 270 p, 25 €.

 

L’Essentiel de Rûmî, traduit du persan par Coleman Barks,

et de l’anglais par Jacques Deregnaucourt,

Almora, 2023, 512 p, 26 €.

 

Hâfez : Le Livre d’or du Divân,

traduit du persan par Pierre Seghers, Seghers, 2024, 192 p, 15 €.

 

 

Nos lointains gisent dans les temps anciens, dans les espaces exotiques, dans les géographies et les spiritualités curieuses. De l’Egypte hellénistique à la Perse, ce sont des lointains poétiques, dont les traductions et les éditions plus ou moins récentes, belles infidèles ou scrupuleuses restitutions, nous offrent soudain la proximité. Géographe du II° siècle de notre ère, Denys le Périégète compose sa Description de la terre habitée, que l’on lira selon une traduction en prose d’aujourd’hui ou bien versifiée depuis le XVI° siècle. Un bond géographique et temporel nous conduit en Perse, au XIII° siècle de Rûmî, puis au XIV° siècle d’Hâfez. Leurs connaissances et leur lyrisme nous parlent encore, nous envoutent, visant à nous enivrer avec les pavots de la poésie.

Heureux temps où l’on rédigeait des traités scientifiques en vers ! Denys le Périégète  tire son nom, signifiant le voyageur, de son propre ouvrage, Description de la terre habitée, telle qu’elle apparait à la suite de la carte d’Eratosthène, montrant les trois parties du monde connues au II° siècle, soit l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Notre géographe et poète écrivait à Alexandrie, pendant le règne de l’empereur Hadrien. Si des sources antiques lui attribuent des ouvrages sur le culte de Dionysos, seul nous est conservé ce vaste poème. Guère voyageur (« je ne vais pas sur les sombres nefs », dit-il) sinon dans les bibliothèques, dont celles d’Alexandrie et de Pergame, ce versificateur unit l’art du compilateur à celui du poète. Car « l’intellect des Muses me porte », comme si à vol d’oiseau, tel l’aigle de Zeus, l’enthousiasme le faisait écrire.

Les lointains de Denys le Périégète ne vont pas au-delà des colonnes d’Hercule, tant il faut attendre quatorze siècles pour que les Amériques soient découvertes, à peine au-delà de l’Indus d’Alexandre jusqu’au Gange, aux abords de l’Ecosse, de la Germanie et de la Scythie. Quant à l’Afrique, elle ne dépasse pas l’Ethiopie. Le tout à la façon d’une cartographie qui fait du monde habité une sorte d’œuf creusé en son centre par la Méditerranée et partout entourée d’une mer inconnue. La volonté d’exactitude est cependant dépassée par un goût de l’imaginaire, par une nourriture intellectuelle qui va d’Homère aux Alexandrins, non sans disserter de l’humanité civilisée, de ses dieux et de ses pouvoirs politiques, des lois qui gouvernent le monde, y compris au moyen de l’influence des astres. Lesquels trouvent leur correspondance par la grâce d’Aratos, dont les Phénomènes[1] est lui un poème astronomique écrit au III° siècle. Reste que ce monde tourne autour de la puissance romaine et de l’influence culturelle grecque.

Il n’est pas un géographe au sens moderne du mot, tant il englobe histoire et mythologie, prodiges et traces des héros, ethnographie et sciences naturelles, frôlant la dimension de l’encyclopédie, à la lisière du bien plus abondant Pline l’Ancien[2], malgré sa brièveté, soit un seul rouleau de papyrus, donc une trentaine de nos pages, d’ouest en est, à l’occasion desquelles il tutoie son lecteur anonyme. Mais le poète excelle en ses surprenantes métaphores, lorsque, par exemple, la terre ibérique « est semblable à une peau de bœuf », ce qui confirme que le réalisme géographique est dépassé par l’esthétique poétique ainsi que par les allusions aux mythes, des Argonautes par exemple, et par toute une culture littéraire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cependant la qualité exceptionnelle de ce volume est assurée, non seulement par de solides introductions et notes, dus aux soins de Christian Jacob et Marcel Detienne, mais par la présence de deux traductions, même si le texte grec est absent – ce que l’on peut regretter. L’une est en prose, assez littérale, Christian Jacob[3] cherchant l’exactitude, l’autre est en alexandrins et vient du XVI° siècle. Si, pour des raisons de rigueur scientifique nous devons user de la première, la seconde nous ravit. Bénigne Saumaise publie en 1587 cette traduction ou plus exactement cette amplification, puisque les 1187 vers grecs deviennent 2740 alexandrins. Lisons la déclaration d’intention des premiers vers :

« Je veux chanter l’enclos de la terre habitée,

La mer au large sein, la carrière argentée

Des fleuves ondoyants, tant de villes et tant

De peuples infinis que j’irai racontant. »

Ce à quoi répondra sa conclusion :

« Dieux, guerdonnez ma peine, si j’ai bien chanté,

Bénins, ne me fraudez du laurier mérité. »

L’on a compris que Bénigne Saumaise réécrit dans un style relevant de la tradition de Ronsard et de la Pléiade[4].

Ainsi parle-t-il de « l’Europe plantureuse » :

« Je suis contraint de dire et faire jugement

Que pour certains sa forme approche entièrement

De celle de l’Afrique, hormis qu’elle est tournée

Vers le climat gelé de l’Ourse enfrissonée. »

Non sans que le mythe caresse la Gaule :

« Les filles du soleil sur ses bords peinturés

Soupiraient à soupirs longs et réitérés

Leur chéri Phaéton »

Le didactisme géographique charme également par sa musicalité. Aussi faut-il redonner à Bénigne Saumaise, injustement oublié, la dignité qu’il mérite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Depuis sa Perse natale, Rûmi célèbre également « la splendeur de l’univers ». Considéré comme l’un des plus grands maîtres spirituels soufis et à l'origine de l'ordre des derviches tourneurs, Jalal al-Din Rûmî (1207-1273) est un poète et mystique dont la réputation bute souvent sur des traductions partielles. Bien que celle-ci soit encore une anthologie, mais abondante, soit traduite de l’anglais, depuis la traduction anglaise de Coleman Barks, elle-même une réécriture, l’on peut considérer que litre L’Essentiel de Rûmî, n’est pas usurpé, ce à l’occasion d’un voyage linguistique étonnant.

Choisis parmi ses Odes, ses Quatrains et ses Contes (eux plus précisément didactiques) les poèmes de Rûmî abordent ici des thèmes comme l'amour divin, la spiritualité, l'extase mystique, la recherche de la vérité, la nature de l'âme, le rôle du maître et la relation entre l'homme et Dieu : « les gens veulent savoir ce que tu es : / Spirituel ou sexuel ? / Ils s’interrogent sur Salomon et toutes ses épouses. / Dans le corps du monde, disent-ils, il y a une âme. / Et tu es cette âme ! »

La réputation de Rûmî ne tient pas seulement à sa dimension mystique, mais à son lyrisme, à son sens des métaphores et des images pour illuminer les concepts des plus spirituels. Ainsi l'amour universel prépare une union intime avec le Divin. Depuis l’enfance, une modeste pédagogie concourt à ce but : « Quand tu es avec des enfants, parle-leur de jouets. / À partir de ces babioles, petit à petit, ils accèdent / À une sagesse et une clarté plus profonde ».

Au-delà des maîtres, il s’agit de sentir et penser par soi-même : « Apprenez à connaître votre moi intérieur / Auprès de ceux qui connaissent ces questions, / Mais ne répétez pas mot pour mot ce qu’ils disent. »

En outre, la beauté, la musique, la danse et la joie sont des moyens infaillibles d'atteindre une plus grande conscience spirituelle : « Parmi tout ce qui est orchestre, qui est le plus heureux ? / Le roseau ! / Pour apprendre la musique, son embouchure touche tes lèvres. » Le vin même « est en réalité notre propre sang ». Il faut lire le breuvage comme une initiation : « C’est la nouvelle règle : / Brise la coupe de vin, et laisse-toi absorber / Dans l’aspiration du souffleur de verre ». Plus loin, l’amour n’est pas en reste : « Risque tout pour l’amour / Si tu es un homme véritable, / Sinon quitte cette assemblée. » Ou encore : « « L’amour a fait cette forme / Qui fait fondre la forme. / L’amour est la porte, / Et l’âme le vestibule ».

Certes, notre Persan est  musulman, mais son œcuménisme est revigorant : « Le printemps, c’est le Christ, / Qui fait sortir les plantes martyrisées de leur linceul. » De surcroit, il sait intituler un poème « Art chinois et art grec ». De cette façon, les traductions et recréations de Coleman Barks permettent à Rûmî de devenir universel, s’il e l’était déjà, au point qu’il soit l’un des poètes les plus lus aux Etats-Unis.

N’oublions pas de noter que Rûmî eut pour contemporain un autre poète et conteur persan, Saadi, dont Le Jardin des roses[5] sait associer lyrisme amoureux et morale politique, ce au travers d’un détachement que rendait nécessaire une époque confuse, marquée par les violences guerrières mongoles et les bouleversements dynastiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Restons en Perse, cette Perse qui n’était alors guère l’Iran des mollahs dictatoriaux et théocratique d’aujourd’hui, même s’il ne convient pas de l’idéaliser, avec Hâfez et son Livre d’or du Divân, dont cette édition, traduite par Pierre Seghers poète et éditeur bien connu, est enrichie de calligraphies joliment orangées.

Digne successeur de Rûmî, né vers 1325 à Chiraz, traditionnellement capitale du vin et des poètes, des musiciens et des tavernes, Hâfez vit sa réputation établie en France par Victor Hugo, qui le cita à  l’épigraphe de ses Odes, au début du XIXe siècle. Il est le poète persan populaire par excellence, dont la renommée s’étendit de son vivant du Gange au Danube, soit dans la plus grande part de l’aire musulmane.

Ses poèmes lyriques, sont,  en persan, des ghazals. Oralement transmis ou manuscrits, ils furent rassemblés de manière posthume par l'un de ses disciples. L’on devine que l’amour, le vin, l’éternel et le quotidien, la folie et la sagesse sont parmi les thèmes récurrents de sa grâce poétique.

« Quel est ce poète qui dit, et de telle manière, le vin, la jeunesse et l’amour aux portes de la mort ? Quel est cet inventeur d’images dont l’inspiration chante les amours profanes et les plaisirs des hommes jusqu’à les conduire hors des lisières du sacré ? Quel est enfin cet amoureux, homme de cour et de très peu d’argent, fou de poésie et d’ivresses qui, toute sa vie, se voudra libre et liera dans ses vers le réel le plus immédiat, les amours les plus charnelles aux appels intérieurs les plus ardents ? » C’est ainsi que Pierre Seghers introduit l’élu de son attention, dont le sens du plaisir luttait contre l’austérité virulente du parti dévot.

Des vers célèbres demeurent la quintessence de sa poésie :

« Sans la joue rose de l’aimée, qui peut

Dire la belle rose, et sans un gobelet de vin,

Qui peut dire le printemps doux ? »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il chante en effet dans ses versets non seulement l’amitié mais les ravissements et les risques de l’amour : « Dans la traîne de ta beauté, tu as attiré ceux qui t’aiment. De tes cheveux et de leurs boucles, mille maux sur eux ont fondu ». Jusqu’à la passion la plus exacerbée à l’égard d’un bel adolescent, peut-être un jeune prince qui subjugua sa maturité – car le sultan sut s’attacher au poète de modeste extraction – : « Je songe au sabre de la fin, je meurs de soif loin de la source, je suis ton captif et ton bien, tue-moi puisque tu me connais ».

Moins mystique que Rûmî, peut-être plus sensuel, Hâfez nous emporte dans « le jardin des roses », en un Orient digne du rêve le plus délicieux. « Boucle des idoles et de leur musc, je veux en chanter le parfum », écrit-il en annonçant Charles Baudelaire et sa « Chevelure ». « Tout un monde lointain », pour reprendre encore le poète romantique français, ainsi que le titre du concerto pour violoncelle de Dutilleux…

Si Bénigne Saumaise réécrivit la Description de la terre habitée de Denys le Périégète, l’Allemand Goethe, au début du XIX° siècle, entreprit, tant il fut fasciné par Hâfez, un vaste Divan d’Orient et d’Occident. Il rend hommage au poète persan, en particulier dans un poème intitulé « Vie universelle » :

« La poussière est un des éléments

Qu’avec adresse tu maîtrises,

Hafiz, quand pour celle que tu aimes,

Tu chantes un délicat poème.[6] »

L’on sait qu’au sein de ce dialogue interculturel, mais aussi de poèmes satiriques sur le rapport du poète au pouvoir, sur la tyrannie, la jeune Marianne von Willemer fut par l’auteur du Faust transposée en l’orientale aimée Suleika. Aux lointains temporels et exotiques, s’ajoute celui du rêve hypnotique et érotique, en une sorte d’orientalisation du lecteur, quoiqu’il faille se méfier d’un irénisme qui ne tiendrait pas compte des réalités religieuses, obscurantistes et géopolitiques.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 


[1] Avenius : Les Phénomènes d’Aratos, Les Belles Lettres, 1981.

[2] Pline l’Ancien : Histoire naturelle, La Pléiade, Gallimard, 2013.

[3] Denys le Périégète : La Description de la terre habitée de Denys d'Alexandrie ou la Leçon de géographie, traduit par Christian Jacob, Albin Michel, 1990.

[5] Saadi : Le Jardin des roses, Lidis, 1981.

[6] Goethe : Divan d’Orient et d’Occident, Les Belles Lettres, 2012, p 14.

 

Prahecq, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.

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Umberto Eco, surhomme des bibliothèques

Construire l’ennemi et autres embryons

Numéro zéro, pamphlet des médias

Société liquide et questions morales

Baudolino ou les merveilles du Moyen Âge

Eco, Darnton : Du livre à Google Books

 

 

 

 

 

 

 

Ecologie, Ecologismes

Greenbomber, écoterroriste

Archéologie de l’écologie politique

Monstrum oecologicum, éolien et nucléaire

Ravages de l'obscurantisme vert

Wohlleben, Stone : La Vie secrète des arbres, peuvent-il plaider ?

Naomi Klein : anticapitalisme et climat

Biophilia : Wilson, Bartram, Sjöberg

John Muir, Nam Shepherd, Bernd Heinrich

Emerson : Travaux ; Lane : Vie dans les bois

Révolutions vertes et libérales : Manier

Kervasdoué : Ils ont perdu la raison

Powers écoromancier de L'Arbre-monde

Ernest Callenbach : Ecotopia

 

 

 

 

 

 

Editeurs

Eloge de L'Atelier contemporain

Diane de Selliers : Dit du Genji, Shakespeare

Monsieur Toussaint Louverture

Mnémos ou la mémoire du futur

 

 

 

 

 

 

Education

Pour une éducation libérale

Allan Bloom : Déclin de la culture générale

Déséducation et rééducation idéologique

Haine de la littérature et de la culture

De l'avenir des Anciens

 

 

 

 

 

 

Eluard

« Courage », l'engagement en question

 

 

 

 

 

 

 

Emerson

Les Travaux et les jours de l'écologisme

 

 

 

 

 

 

 

Enfers

L'Enfer, mythologie des lieux

Enfers d'Asie, Pu Songling, Hearn

 

 

 

 

 

 

 

Erasme

Adages et Colloques

Eloge de vos folies contemporaines

 

 

 

 

 

 

 

Esclavage

Esclavage en Moyen âge, Islam, Amériques

 

 

 

 

 

 

Espagne

Histoire romanesque du franquisme

Benito Pérez Galdos, romancier espagnol

 

 

 

 

 

 

Etat

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Constructivisme versus démocratie libérale

Amendements libéraux à la Constitution

Couleurs des monstres politiques

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Socialisme et connaissance inutile

Patriotisme et patriotisme économique

La pandémie des postures idéologiques

Agonie scientifique et sophisme français

Impéritie de l'Etat, atteinte aux libertés

Retraite communiste ou raisonnée

 

 

 

 

 

 

Etats-Unis romans

Dérives post-américaines

Rana Dasgupta : Solo, destin américain

Bret Easton Ellis : Eclats, American psycho

Eugenides : Middlesex, Roman du mariage

Bernardine Evaristo : Fille, femme, autre

La Muse de Jonathan Galassi

Gardner : La Symphonie des spectres

Lauren Groff : Les Furies

Hallberg, Franzen : City on fire, Freedom

Jonathan Lethem : Chronic-city

Luiselli : Les Dents, Archives des enfants

Rick Moody : Démonologies

De la Pava, Marissa Pessl : les agents du mal

Penn Warren : Grande forêt, Hommes du roi

Shteyngart : Super triste histoire d'amour

Tartt : Chardonneret, Maître des illusions

Wright, Ellison, Baldwin, Scott-Heron

 

 

 

 

 

 

 

Europe

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

Fables politiques

Le bouffon interdit, L'animal mariage, 2025 l'animale utopie, L'ânesse et la sangsue

Les chats menacés par la religion des rats, L'Etat-providence à l'assaut des lions, De l'alternance en Démocratie animale, Des porcs et de la dette

 

 

 

 

 

 

 

Fabre

Jean-Henri Fabre, prince de l'entomologie

 

 

 

 

 

 

 

Facebook

Facebook, IPhone : tyrannie ou libertés ?

 

 

 

 

 

 

Fallada

Seul dans Berlin : résistance antinazie

 

 

 

 

 

 

Fantastique

Dracula et autres vampires

Lectures du mythe de Frankenstein

Montgomery Bird : Sheppard Lee

Karlsson : La Pièce ; Jääskeläinen : Lumikko

Michal Ajvaz : de l'Autre île à l'Autre ville

Morselli Dissipatio, Longo L'Homme vertical

Présences & absences fantastiques : Karlsson, Pépin, Trias de Bes, Epsmark, Beydoun

 

 

 

 

 

 

Fascisme

Histoire du fascisme et de Mussolini

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Haushofer : Sonnets de Moabit

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré, une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

VIII Morphéor intelligence quantique amoureuse

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com

XVIII Bibliothèque Hespérus et Petite porcelaine bleue

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme : Ages & Colloques

Manuzio, Budé, Byzantinistes & Coménius

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Vanité de la mort : Vincent Wackenheim

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

La Cité aux murs incertains, L'Incolore Tsukuru

 

 

 

 

 

 

Muray

Philippe Muray et l'homo festivus

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

Miscellanées littéraires : Cloux, Morrow...

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Pléiade & Sonnet pour Hélène LXVIII

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Les obsolètes face à l'intelligence artificielle

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science-fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Métamorphoses du sonnet contemporain

 

 

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Wells

Wells aventurier du temps et socialiste déçu

 

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

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