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15 mars 2025 6 15 /03 /mars /2025 13:40

 

Retablo de San Millan, Las Balbases, Burgos, Castilla y Léon.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Bandes dessinées

fantastiques et science-fictionnelles :

 

Le Dieu vagabond, 47 cordes, La Tour,

L’Arpenteur, Eternum, Apogée,

Carbone & Sicilium.

 

 

Fabrizio Dori : Le Dieu vagabond, Sarbacane, 2019, 156 p, 26,90 €.

 

Thimothé Le Boucher : 47 cordes, Glénat, 2021, 380 p, 25 €.

 

Schuiten-Peeters : La Tour, Casterman, 2024, 112 p, 27 €.

 

Victor Hachmang : L’Arpenteur, Casterman, 2025, 88 p, 20 €.

 

Jaouen-Bec : Eternum. Intégrale, Casterman, 2025, 152 p, 29 €.

 

F.Duval-Emem-F.Blanchard :

Apogée. 1 Les Boucles de Céladon, Dargaud, 2025, 64 p, 17,95 €.

 

Mathieu Bablet : Carbone & Sicilium, Ankama, 2020, 272 p, 22,90 €.

 

 

Cases héritées des retables, bulles héritées des phylactères, la bande dessinée naquit en 1831, sous les doigts du Suisse Rodolphe Töpffer. Son Histoire de Monsieur Jadot usa d’une d'articulation scénique des textes et des images montées en séquences, quoiqu’il ne s’agisse pas encore de bulles. Elle était l’un des prémices d’une aventure esthétique d’abord plutôt destinée aux enfants, qui conquit peu à peu l’horizon d’attente des adultes. Si l’histoire de la bande dessinée est celle désormais d’un art, digne d’une encyclopédie couvrant presque deux siècles[1], au travers de multiples métamorphoses et efflorescences, nous nous intéressons ici à de récentes parutions, marquées par un fort penchant pour le fantastique, parmi Le Dieu vagabond de Fabrizio Dori, les 47 cordes de Thimothé Le Boucher, et les âges de La Tour de Schuiten & Peters. Mais aussi à une pente science-fictionnelle, telle que L’Arpenteur et Eternum, Apogée ou Carbone & Sicilium l’envisagent. En ces occurrences, le débat classique entre primauté de la couleur et du dessin en peinture, à l’époque du Titien et de Poussin, ne peut qu’être aujourd’hui réactivé à l’occasion de prouesses narratives, efficacement dessinées, suggestivement colorées. 

L’inspiration mythologique court depuis la plus haute Antiquité au sein des littératures, des arts, et pourquoi pas la bande dessinée. Nous n’en aurons pour preuve que Le Dieu vagabond de Fabrizio Dori, dont une précédente création était intitulée Le Fils de Pan. Ce serait du merveilleux si l’on restait dans les hauteurs des divinités et des mythes, mais lorsque notre réalité en est étreinte, nous voici dans les demeures troubles du fantastique.

Il n’est rien d’autre qu’Eustis, le sans domicile fixe, le clochard des champs de tournesols. Pourtant, d’après les prostituées locales, ne serait-il pas un devin ? Il s’avère que, dernier de sa lignée divine, le satyre ainsi nommé Eustis mène une vie oisive et solitaire, tombé qu’il dans notre monde d’aujourd’hui. Aussi, lorsqu’il apprend qu’il n’est pas le seul dieu à avoir survécu, il se met en quête de son ami Pan, disparu depuis bien longtemps. Ne semble-t-il pas cristalliser l’entière attention du nouveau panthéon de l’« Hôtel Olympus » ? Peut-être le modeste Eustis s’est-il fourvoyé dans une affaire qui le dépasse, voire dangereuse. D’autant que ce malheureux membre de la cour de Dyonisos –  dieu bien connu du vin et de l'ivresse –  comptable d’une faute malencontreuse, s’est vu maudire par les dieux, au point d’avoir été condamné à vivre parmi le quotidien des humains dépourvu de magie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En cette épopée fantaisiste, il faut une rocambolesque descente aux Enfers, comme dans Les Métamorphoses d’Ovide et L’Enéide de Virgile. Car la spectrale Hécate confie à notre Eustis une mission délicate. Et comme cette aventure se déroule à la fois sur les deux plans du réel et du merveilleux, il est accompagné par un vieux professeur ronchon à la vue basse qui somnole dans une bibliothèque où sont « Tous les livres jamais écrits et qui ne le seront jamais ». Une extravagante galerie de personnage gravite autour d’une fête foraine, dont les moindres ne sont pas un bouquet de fantômes et un minotaure. Soyons rassurés, au sortir de ce bric-à-brac initiatique, Eustis pourra rentrer « à la maison »…

Dès que sa dimension divine et dionysiaque revient et éclate, le dessin et la couleur se métamorphosent, se chargent de circonvolutions psychédéliques. L’on n’est pas étonné, sachant que Fabrizio Dori a consacré un album à Paul Gauguin, que les clins d’œil picturaux soient nombreux, du côté de Van Gogh et ses tournesols, mais aussi Dufy, Monet, voire Mondrian… Tableaux graphiques enchanteurs, récits captivant, rythmé comme un film d'aventure, tout conspire à la volupté du lecteur. Poétique et ludique, sans mièvrerie, onirique et humoristique, évidemment artistique, ce Dieu vagabond, lancé par la « sarbacane » de son éditeur, mérite de colorer notre bédéthèque, d’autant que l’illustration  de couverture ne donne qu’une faible idée de sa pétillante esthétique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il s’était fait remarquer au moyen de Ces jours qui disparaissent, dans lequel le temps est le personnage principal. L’on sait que l’affolement ou la répétition du temps sont des topoï de la littérature fantastique. En effet le jeune Lubin Maréchal comprend soudain qu’il ne lui reste qu’un jour sur deux à vivre. Pire, pendant son absence hypnotique, une autre personnalité prend possession de sa personne, vivant une vie bien différente. Aussi lui faut-il apprendre à communiquer avec cet autre moi, via une caméra. Peu à peu le second supplante le premier, jusqu’à une disparition programmée qu’une histoire d’amour ne parviendra pas à contrecarrer. L’album est poétique, angoissé, hanté par les mystères de la double personnalité, dessiné pastel avec une certaine qualité adolescente.

Thimothé Le Boucher revient, cette fois nanti d’un brio narratif et graphique incontestable, en nous proposant ses 47 cordes. Ambroise, un jeune harpiste, est l’objet soudain de l’amour d’une « métamorphe ». Est-elle femme ? En tous cas, elle peut changer de forme à volonté, de façon à assurer la réussite de ses caprices et ambitions. Toutefois, l’entreprise ne se révèle pas aussi simple qu’attendue : quel corps, quel visage doit-elle incarner pour être également aimée ? Sa proie sera-t-elle séduite ? Au moyen de quels rituels sexuels, voire morbides, lui fera-t-elle courber l’échine ?

Notre Ambroise, qui « n’arrive pas à tomber amoureux », ne sait rien de la créature qui l’environne et l’engage dans un trouble marché. Lorsqu’il intègre un orchestre dont il est le harpiste, il fait la rencontre  de Francesca Forabosco, une cantatrice aussi excentrique que célèbre… et fort charnue, plantureuse. Celle-ci se fait son mentor, son agente, lui proposant un étrange contrat : pour obtenir la harpe de ses rêves, il lui faudra relever 47 défis, parmi « le triangle des Bermudes des secrets ». À chaque fois le succès devra suivre, indubitable, de façon à engranger successivement les 47 cordes de l’instrument. Faute quoi, ce dernier lui restera inaccessible…

Exceptionnelle par son ampleur – près de 400 pages – l’œuvre ambitieuse de Timothé Le Boucher ne manque pas de cordes à son arc artistique. Car le défi imposé au musicien s’impose en quelque sorte au scénariste-dessinateur et coloriste. Elle est musicale et poétique, érotique et angoissante, entre beau jeune homme tendre et femme fatale aux multiples incarnations, mince ou hautement dodue, mûre ou fragile… L’ambigüité sensuelle est joliment suggérée par la couverture, dont le jeune homme est le harpiste de la chevelure de la belle flamboyante.

Le dessin a gagné en sensualité trouble, en psychologie, tant les visages sont disposés à exprimer de subtiles et intenses émotions tout à fait adéquates au texte, à la situation. Hélas, au moment où Ambroise est sur le point d’accéder au mystère de sa séductrice, et selon les procédés suspensifs du roman feuilleton, ce premier tome s’interrompt. Sans que l’on sache quand – et si – le second fera encore vibrer les cordes les plus intimes de l’éros et de l’intellect…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre mythe, cette fois biblique, celui de Babel qui hante l’opus de Schuiten & Peeters : La Tour. L’édifice est pire que celui des peintures de Brueghel et des gravures de Piranèse, qui sont des références assumées. Car dans les entrailles déglinguées du titanesque édifice à la limite de l’infini, un homme d’âge mûr, passablement bedonnant, esseulé, tente de rafistoler la carcasse de pierre. Giovanni Battista (ce sont les prénoms de Piranèse) parcourt et grimpe les arches, les voûtes, les couloirs et les escaliers, à la recherche d’un inspecteur qu’il ne trouvera jamais et au risque de se rompre le cou. Cette première partie, à la lisière du Château  de Kafka – dont on retrouve l’univers à l’occasion du faciès barbu qui rappelle nommément celui d’Orson Welles adaptant Le Procès – est cependant un peu longuette et répétitive…

Heureusement de nouveaux personnages réactivent le suspense. Un certain Elias Aureolus Palingenius, au nom signifiant, alchimiste à ses heures, « marchand de rêves et de savoirs, détenteur des secrets de la Tour ». Et surtout Milena en qui il trouve une tendre amie pour l’accompagner entre escalade et désescalade. Ce n’est qu’en entrant dans des tableaux d’histoire et de batailles, en couleurs, qu’ils pourront sortir de cet univers fantomatique en noir et blanc. Les textes de Peeters se souviennent également de Borges, tandis que les dessins de Schuiten, assez classiques, graphiquement maîtrisés, se souviennent de l’esthétique de la série Blake et Mortimer. Le fantastique onirique et architectural se veut également une mise en abyme de l’art, puisque c’est la peinture qui permet de recouvrer le réel. Architectures romaines et médiévales, bibliothèques et astrolabes, tout est bouleversé lorsque les tableaux débouchent sur des scènes de batailles venues du Second Empire…

Aux côtés de cette Tour envoûtante, L’Archiviste est un volume pivot de l’univers des Cités obscures, aux nombreux volets, qui ont fait des complices Peeters et Schuiten des incontournables de la bande dessinée cultivée, ce depuis 1982. Un certain Isidore Louis travaille ardemment à l’Institut Central des Archives. Lui échoit la tâche d’élaborer un rapport sur les mystérieuses « Cités obscures ». Existent-elles vraiment ? Fiction superstitieuse, demeures d’un culte inconnu ? Entre paperasses et documents, notre archiviste se livre à une recherche qui devient une quête, fascinante, dangereuse, où l’ombre borgésienne est rarement absente…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le fantastique science-fictionnel semble glisser vers la dystopie lorsque V. Hachmang concocte L’Arpenteur. L’étrangeté de cet album est dû à une sorte de monologue intérieur continu, tant la solitude du personnage est irréductible. Aux abois sur une planète Terre poubellisée, il ne doit cet exil qu’à sa condition d’employé bas de gamme du service assainissement. Car les privilégiés de la fortune vivent parmi la cité d’Avalon, dont le nom est une allusion à la mythique cité celtique. Ce sont des résidences luxueuses situées sur un satellite artificiel sphérique, lui-même à l’abri sous un dôme protecteur. Là, parcs et jardins sont soigneusement entretenus par des milliers d’employés à l’inférieur statut. Ces derniers, un peu comme les Morloks de La Machine à explorer le temps de Wells, vivent dans un dédale de tuyauteries et d’infrastructures crasseuses et répugnantes. L’un d’entre eux, symboliquement nommé Géo, un jeune homme, use de ses rares loisirs pour jouer aux échecs contre un robot, alors qu’il doit  acheminer les déchets d’Avalon sur Terre.

Le destin du malheureux éboueur spatial bascule lorsqu’au cours d’une livraison vers un site terrestre de traitement des ordures, sa navette s’échoue, à cause d’on ne sait quelle panne, dysfonctionnement ou orage magnétique. Sans aucun moyen de communication, une longue errance s’amorce, à la recherche d’une rivière, d’un littoral, de façon à espérer rejoindre le site de traitement des déchets. Avec son sac à dos et quelques rations de survie, il marche à travers des plaines désertiques et stériles, couvertes de déchets, d’immondices toxiques, sous des brumes acides…

Le récit-tableau se veut une allégorie ultime du monde abominable de demain. Le périple pédestre, qui a quelque chose de survivaliste, dure une année entière, ce qui permet de découper l’ouvrage en ses quatre saisons. Même poursuivi par des chasseurs de prime sans pitié, sa solitude absolue contraint sa psyché à penser à voix haute, au moyen de quelques bulles poétiques et angoissées : « Tu n’es rien d’autre qu’une vapeur… prisonnière d’un masque creux ».

C’est grâce à la découverte fortuite d’un exemplaire illustré de la pièce de Shakespeare, La Tempête, qu’il hausse sa déshérence au rang du mythe. Non sans virtuosité, cet Arpenteur se veut une relecture post-moderne de l’ultime chef d’œuvre du maître élisabéthain.

Ne nous privons pas d’arguer combien cet ouvrage apocalyptique jongle avec des clichés catastrophistes, apocalyptiques et nihilistes, tant l’horreur a sa source dans un capitalisme férocement inégal et oppresseur, dans une pollution exponentielle. À cette irréfragable horreur apocalyptique, Victor Hashmang oppose parfois des bribes de nature originelle et paradisiaque : papillons, pétales de fleurs, insectes nécrophages. Mais dans une minuscule oasis où s’opère la nymphose, à moins que le tout n’ait lieu que dans un nostalgique muséum d’Histoire naturelle…

Les couleurs acidulées de verts et des oranges, et autres teintes fluorescentes, semblent parler le langage insistant des pluies acides, distribuant de page en page des rimes plastiques et des univers dangereusement astringents. La réussite plastique est indubitable, en ce qui atteint l’univers de la science-fiction…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Eternum. Le titre est beau, réunissant de surcroit la trilogie de manière intégrale : « Le sarcophage », « Les bâtisseurs », « Eve ». L’humanité a su coloniser la majeure partie de notre galaxie. Mais une série d’événements troublants affecte la réussite apparente. Dès l’incipit, dans les entrailles d’une planète rocheuse qui est explicitement celle de la genèse, un groupe d’explorateurs découvre un étrange « sarcophage », qui ressemble plutôt à une nymphe géante.

Par ailleurs, divers astronomes repèrent de mystérieux rayons cosmiques, venus de la Croix du sud et du Nuage de Magellan, qui pourraient frapper la terre. Parallèlement, c’est la base lunaire qui rompt tout contact avec la Terre. Les scientifiques et militaires y découvrent un carnage féroce. Quelque part dans des montagnes lointaines, un temple décrypte les signes de l’apocalypse à venir. Or le « Consortium d’exploration et d’exploitation spatiale » qui use des ressources minières prend l’aventureuse décision de rapporter sur Terre le sarcophage pour en connaître tous les pouvoirs. Mal va leur en prendre face à ce qui est peut-être l’envoyé d’une civilisation extraterrestre.  Car l’objet « insondable » par tous les moyens scientifiques connus livre enfin, après ouverture à la scie diamant, la femme « d’une perfection absolue », que l’on se résout à nommer « Eve ». Il se pourrait qu’elle « détienne la clef de l’immortalité ». Mais la violence prolifère, tant les comportements sexuels et sociaux sont  affectés jusqu’à l’acmé du crime…

Tout l’attirail de la science-fiction est bien là : vaisseaux complexes, scaphandres, robots anthropoïdes, construction en forme de flèche gigantesque sur une planète aride. Mais on a compris que le texte biblique irrigue cette épopée tragique, là rendant plus métaphysique que de prime abord.

Justifiant le titre, la morale de cette science-fiction pessimiste est explicite : « les bâtisseurs ont réalisés que l’immortalité n’était pas un cadeau à faire à l’homme. Et afin de limiter leur expansion… les laisser hommes, et non surhommes ! »

Les personnages s’expriment fort souvent à coups de vulgarités récurrentes et d’un pauvre vocabulaire. Certes, dans une ère datée de l’an 2297, ce sont des militaires piégés dans une situation pour le moins dangereuse, des machos belliqueux et durs à cuire – comme il en existe – et en cela le réalisme empreint la science-fiction échevelée.

Le dessin est de prime abord intéressant, associant de page en page des dominantes de bleus sombres, d’ocres crépusculaires et de quelques orangés et jaunes. Le suspense est angoissant, même s’il abuse des situations extrêmes. Malgré un récit parfois confus, tant il cumule les directions, cet Eternum est une réussite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Encore une fois, la science-fiction intergalactique a frappé. F.Duval, Emem & F.Blanchard unissent leurs forces dans Apogée. 1 Les Boucles de Céladon. Parmi la fédération du « Complexe », la Terre est la 24ème parcelle.  Certes, au sein d’un tel conglomérat fondé par trois planètes, Thorgon, Köbalt et Skuall, de millénaires en millénaires les guerres interstellaires n’ont pas cessé d’exploser. Cette fois, il s’agit de la civilisation nommée Ouröbörös, qui, à la recherche de nouvelles ressources, engage la guerre spatiale. L’immense conflit s’incarne en une petite poignée de personnages : deux frère et sœurs originaires de la planète Kerath, Dame Eliz, une Ouröbörös qui ne partage pas l’hégémonique ambition de son peuple et Marcus Valerius, un humain qui fut enlevé lors de l’apogée de Rome par les Ouröbörös. Il faut alors se rappeler que l’Ouroboros est un mot qui vient du grec et désigne un serpent qui se mord la queue, signifiant l’éternel retour et l’éternité ; d’où le sens du titre avec ses boucles. Peut-être s’agit-il de l’éternel retour de « l’art  de la guerre, de l’art de tuer »…

En cette nouvelle épopée des créateurs de Renaissance, dont il ne s’agit ici que du premier tome au cours d’une trilogie en gestation, le souffle interplanétaire est avéré. Le choc entre des légionnaires romains et des androïdes aux faciès semi-animaux ou champignonesques est assez curieux, même si le dessin, la distribution des cases et les couleurs ne déménagent pas beaucoup.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Non loin de notre temps, soit en 2046, mais en l’an 1 de la naissance des intelligences artificielles, et dans la Silicon Valley, Mathieu Bablet imagine Carbone & Sicilium. Ces deux éléments sont en fait les derniers nés des laboratoires Tomorrow Foundation. Robots humanoïdes, Carbone et Silicium sont les prototypes d’une nouvelle génération destinés à prendre soin de l’humanité vieillissante. Cependant, leur cocon protecteur ne les empêche pas d’être séparés à l’occasion d’une tentative d’évasion. Ils tentent alors, et ce pendant plusieurs siècles, de trouver à s’établir sur une planète épuisée, envahie de déchets, lacérée de catastrophes climatiques et de bouleversements politiques criminels.

Une directrice de recherche à la « Tomorrow Foundation », Noriko Ito, insuffle la vie à ses deux « bébés » : Carbone et Silicium. Le savoir humain au complet leur est dévolu. Mais à leur corps est imposée une limite, soit une Date Limite d’Existence : pas plus de 15 ans. Cependant, péripéties et inquiétude narrative obligent, lors d’un voyage à la découverte du monde, le masculin Silicium s’enfuit. La féminine Carbone tente en vain de le retrouver. Lorsque son bref temps de vie parait révolu, la voici sauvée illégalement par Noriko. Elle se voit dotée de la possibilité de se réincarner dans d’autres Intelligences Artificielles. Dans le cadre d’une vaste ellipse narrative, il faut attendre 93 ans pour que Silicium réapparaisse. Voyageur exilé et prophète d’un nouveau genre humain, les voici partis pour des aventures encore inconnues. Y compris au cœur des émotions et des sentiments humains particulièrement bien suggérés, surtout lorsque la dimension fraternelles, amicale, voire amoureuse, des deux protagonistes est mise en avant.

Ce sont 272 pages généreuses pour un volume luxueux au dos toilé : Carbone et Silicium associe à une certaine dose de crédibilité scientifique une imagination largement débridée. Cette histoire de transhumanisme et d'émancipation de deux Intelligences Artificielles, humainement différentes malgré leur gémellité, est un prétexte pour pointer les travers de notre société malade. Plus précisément la pente vers l’apocalyptique extinction de la race humaine. Là encore, le topos du catastrophisme, en prétendant jouer sur nos peurs et nos culpabilités, est exploité sans guère de vergogne. La quête utopique, voire dystopique, « celle de la fusion de tous nos esprits vers une même conscience, une seule intelligence, éloignée des préoccupations matérielles et de la souffrance corporelle » semble compromise.

Mathieu Bablet a consacré quatre années à cet ouvrage. Pas en vain. Le dessin, méticuleux, énigmatique, séduit, frappe et trouble. D’intenses pages aux couleurs orangées et bleutées offrent un tableau des beautés géographiques et culturelles du monde dignes d’être préservées, voire au moyen d’une allusion à la tour de Babel. Alors que des nuances sableuses accentuent la désertique perdition d’une humanité désespérée. Ainsi va l’antithèse entre un passé idéalisé et un avenir où surconsommation et surexploitation déraisonnables ne conduisent qu’à la dévastation. C’est cependant céder au pessimisme, tant l’invention scientifique humaine, voire artificielle, peut conduire, ce qui est déjà partiellement le cas, à la restauration d’une planète où la prospérité humaine peut s’épanouir.

La gestation génésique et technologique du début est particulièrement bien rendue. À laquelle répond la magmatique extinction finale. Réelle étrangeté, Carbone & Sicilium unit l’ampleur scénaristique et l’imagination technologique, graphique et poétique.

Qu’attendre de la bande dessinée la plus mature ? Autre chose qu’une simple illustration d’œuvres littéraires déjà existantes. Plutôt une créativité qui engage la dimension narrative et  spéculative autant que l’affriolante copulation du dessin et de la couleur, parmi des pages aux cases construites avec pertinence et fantaisie. Plus qu’un accord, il faut une complicité réelle lorsque scénariste et dessinateur unissent leurs langues et leurs doigts, comme dans le cas de Peeters et Shuiten. À moins que l’idéal réside dans la collusion des deux talents en une unique main, ainsi Thimoté Le Boucher, Victor Hashmang, Mathieu Bablet, ténors de la bande dessinée, agitateurs du dessin et coloristes nés. Admettons à cet égard que les délicatesses du fantastique sont un défi désiré pour le neuvième art, alors que les fulgurances de la science-fiction lui sont particulièrement propices, voire une terre d’élection.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] L’Art de la bande dessinée, Citadelles et Mazenod, 2012.

 

Retablo de San Millan, Las Balbases, Burgos, Castilla y Léon.

Photo : T. Guinhut.

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6 mars 2025 4 06 /03 /mars /2025 17:57

 

Jaizkibel, Hondarribia, Guipuzcoa, Euskadi.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Métamorphoses du sonnet contemporain :

Robert Marteau, Bernard Deforge, Diane Seuss.

 

 

Robert Marteau : Ecritures, Champ Vallon, 2012, 304 p, 20 €.

 

Bernard Deforge : Roupie. Autoportraits à la pointe sèche,

Les Belles Lettres, 2025, 344 p, 25,90 €.

 

Diane Seuss : Frank : Sonnets,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sabine Huynh,

Le Castor astral, 2024, 140 p, 17 €.

 

 

« Un jour ce dieu bizarre, / Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois, / Inventa du sonnet les rigoureuses lois[1]. » Ainsi Boileau imagina au siècle classique, plus précisément en 1674, qu’Apollon, dieu des poètes, allait faire leur désespoir s’il leur prenait fantaisie de se soumettre aux contraintes des deux quatrains et des deux tercets, de la volta et de la chute. Pétrarque en fut, au XIV° siècle, sinon l'inventeur, le génial propagateur, louant avec ardeur la blonde Laure dans son Canzoniere. De Ronsard à Shakespeare, de Quevedo à Gongora, jusqu’à Baudelaire ou Hérédia, la fortune du sonnet fut considérable ; mais le XX° siècle, si l'on excepte Henri de Régnier, Pablo de Neruda ou Yves Bonnefoy, lui fut plutôt hostile. Vieille lune classique, il fascine toutefois, non sans se voir infliger des métamorphoses, voire des camouflets. Aujourd’hui, ils sont en France Robert Marteau et Bernard Deforge, mais aussi Diane Seuss, aux Etats-Unis, au risque de tordre le coup à l’architecture exactement sculptée du sonnet.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bien avant l’ « Ode à un rossignol[2] » de John Keats, les poètes ont cru imiter de leur plume le chant des oiseaux, s’inspirer de leurs ailes pour animer leurs « écritures ». Celles de Robert Marteau, en contradiction avec l’apparente convention du projet poétique contemporain amateur de vers libres et autres proses, choisissent l’inactuel sonnet, quoique en conscience de l’exigence de quotidienneté, voire d’attention au banal qui croit aujourd’hui assurer sa légitimité. « Pour sa jubilation vocale », tenant sur le sol et vers le ciel un journal de bord et de promenades poitevines, ce diariste s’applique moins à la description qu’à la traduction du monde de feuillages et de présences qui l’entoure. Ainsi Robert Marteau sait assurer, dans le laconisme de son titre, Ecritures, l’exercice du sonnet quotidien, comme dans son recueil Rites et offrandes au titre en l’occurrence bienvenu :

« J’ai bien peur d’être aussi ennuyeux que n’importe

Qui avec tous ces faux sonnets que j’accumule

Pour qui ? pour quoi ? et qui me viennent sans que j’y

Songe, allant à mon pas sur le lopin de terre

Où je me trouve à tel ou tel moment. Qu’y faire ? »

Dans la continuité patiente, opiniâtre et assumée d’un précédent recueil, Le Temps ordinaire[3], Robert Marteau marche à l’écoute des oiseaux, tel un modeste Messiaen du sonnet, des arbres et des horizons de campagne. Mais si l’on pouvait craindre les clichés bucoliques, que l’on soit rassuré : l’inspiration se pose sur une herbe, sur une mousse, une salamandre, pour, « Consacrant ses loisirs à la métaphysique », prendre, comme Rainer Maria Rilke, son envol en des thèmes cosmiques. Et prendre assise en des convictions chrétiennes : « Dans le jardin clos tu entends le rouge-gorge / Affirmer face au ciel le triomphe du verbe / Révélé. » Mais aussi en des instants satiriques (parfois un peu lourds, sinon vieillots) à l’encontre de la civilisation contemporaine : « les positivistes / Sont devenus les négateurs ». Pourtant Robert Marteau sait avec retrait cultiver le paysage, non pas dans le projet d’un écologisme militant, régressif et hyperbolique, mais dans la simple et nécessaire attention à la nature qui l’entoure et le fait respirer, humainement et poétiquement, son carnet en main sur les chemins :

« Mêlée à la mélodie ouverte qu’expulse

La gorge du merle, un épanchement de l’âme

Humaine par le biais d’un piano : bois, cordes

Qu’un clavier meut sous les doigts de qui, interprète,

D’une partition chiffrée induit le souffle

Que contenait le cahier du poète mort,

Plus vif que le vivant le restitue aux sources,

Aux chemins infréquentés sans aucune trace

De qui que ce soit dont il nous arriverait

De côtoyer le corps. Gerbe accueillie où à

Satiété il y a de quoi se nourrir même

Si on sait que la moisson ne suffit pas à

Assouvir la faim quand d’abord on a goûté

Aux confitures dont les anges ont la clé. »

Que devient le sonnet en cette démarche ? Certes, il a perdu la stricte noblesse de ses deux quatrains et de ses deux tercets séparés par une blanche ponctuation. De même pour ses rimes, comme souvenir d’un retour musical et rythmique obligé trop artificiel. Ne reste, excusez du peu, comme pour ne pas se faire ostensiblement remarquer en sonnet, que le bloc des quatorze vers, que le respect pour le juste alexandrin, vers noble cependant adapté ici à l’humilité de l’écrivain, sans compter le scrupuleux usage de la diérèse. En outre, il n’hésite pas à terminer un vers par « c’est », « dans »  ou « qui », jouant avec un brin d’humour avec la trop régulière scansion. Faux ou vrais sonnets ? Sans oublier de dater chacun d’entre eux, nanti parfois d’un lieu, petite ville ou musée, où « Sonne le sens si les sons résonnent en si- / Lence. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Deux années, 560 sonnets, sans compter ceux des précédents recueils, puisqu’il s’agit du sixième volume d’une longue série : « Liturgie VI, 2001-2002 ». Les 154 de Shakespeare, les 336 de Pétrarque, dépassés, pulvérisés, et cependant fondateurs et inoubliables… Mais qu’importe la quantité, même si quelques poignées peuvent sembler moins nécessaires, une telle application à la mesure de l’observation, du souffle et de l’intensité, vaut bien cette avalanche tranquille qui ne s’est arrêtée qu’au dernier souffle du poète, en 2011 :

« Et chacun chante du fond de la nuit pour être

Reconnu de la postérité qui n’est qu’une

Société anonyme au bord du désastre. »

L’écriture de ces Ecritures tend à vouloir faire oublier qu’il s’agit de poésie, ce en usant du langage de la prose en ces vers. Comme Wordsworth en 1800, il pourrait plaider sa cause : « certains des passages les plus intéressants des meilleurs poèmes sont écrits strictement dans le langage de la prose, pour autant qu’elle soit de qualité[4] ». En ajoutant : « En réponse à ceux qui défendent encore la nécessité d’agrémenter le langage versifié de certaines couleurs de style qui lui permettraient d’atteindre son but (…) peut-être suffira-t-il de faire observer que des poèmes sur des sujets plus humbles et dans un style plus dépouillé et simple que ceux que j’ai visés survivent encore, lesquels poèmes n’ont cessé de procurer du plaisir, d’une génération à l’autre.[5] » Mais, en usant de modestie rhétorique, dans le cadre d’une attention au spectacle quotidien des champs, des bois et de la transcendance, le poète ne risque-t-il pas d’omettre de nous emporter dans une musicalité supérieure, dans des fulgurances langagières décalées et somptueuses ? Le risque est, comme pour de trop nombreux poètes contemporains, de verser dans la continuité de la banalité, dans la quotidienneté langagière de ce qui aurait pu être élagué. Reste au lecteur à picorer sonnets et vers pour que « Quelques gouttes de rosée apaisent sa soif », en décrochant bien des moments éblouissants :

« Astronautes, ils avaient invoqué la grâce,

L’art et l’intercession des ombellifères ».

Comme Corot, puis les impressionnistes, il versifie sur le motif. Lui qui a écrit sur les peintres, Cézanne, Le Brun, sur le musée du Louvre, il est ici plutôt aquarelliste. Loin du romantisme exalté devant la nature sauvage, c’est en au réalisme attentif et sensuel du naturaliste que nous sommes invités. Le sens du détail et de la couleur, de la sensation et de l’émotion, est au service d’un repliement sur l’essentiel. Mais pour y puiser une « louange », une « liturgie[6] ». Celles de chaque identité de vie de la nature autant que du respect d’un regard qui fixe l’éphémère dans le poème ; ce pour le relier à l’universel et au divin, oiseaux et arbres vers le ciel, dans une esthétique presque taoïste : « C’est l’échelle où la Création / Se renouvelle perpétuellement neuve, / Fontaine jouventielle où ce qui est rien / Revit ayant extrait le vide du divin. »

La comparaison avec le Catalogue d’oiseaux d’Olivier Messiaen est alors justifiée. Mais on s’en tiendra à ce vaste cycle de pièces pour piano. C’est déjà une rare louange à offrir aux cendres de Robert Marteau. S’il n’a que parfois atteint dans ses vers la dimension orchestrale fabuleuse du Saint François d’assise du compositeur, peut-être l’a-t-il, dans la fiction de son Dieu, trouvée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La roupie étant une monnaie indienne de peu de valeur, l’on peut deviner quel crédit accorde Bernard Deforge (né en 1947) à ses œuvrettes. « De la roupie de sansonnet », dit le proverbe populaire, soit une bagatelle, qui n’engage que la modestie du poète : « Ces sonnets c’est de la roupie. / À mes amis je les dédie. », avoue-t-il dans son centième exercice parmi 322, précédemment publiés au travers de cinq volumes rédigés depuis 1979 jusqu’en 2014. Des vers forts inégaux, souvent brefs, qui ne dépassent que rarement l’ampleur de l’alexandrin sacrifié, de façon à économiser les mots, mais pas la parole…

Les éléments personnels, culturels, voire sociétaux, s’entrecroisent, visitant la nature, entre paysages maritimes et forestiers. Eros et Thanatos sont d’inéluctables entités et créatures bien charnelles. Et si l’on utilise des noms grecs, c’est parce que les mythes, la tragédie (en particulier d’Eschyle) saupoudrent le discours. Ce qui n’a rien d’étonnant puisque notre auteur est également helléniste et essayiste, par exemple avec un titre explicite : Je suis un Grec ancien[7]. Ce dont témoigne sa « Naissance d’Aphrodite », dont il ressent « L’honneur d’être devant le tremblement de son derme ». Mais en sus de Pindare, il aime Pétrarque, Baudelaire, Mallarmé, Whitman, tout en flirtant par instants avec une légère pente surréaliste, non sans se départir de sa définition du « poète espiègle », qui, à la semblance d’un Parnassien, prétend parler « Jusqu’au grand Comptable du Beau ». Le tout non sans ironie, voire autodérision : Je me préserve de la modernité. / Me croyant volatil, / Je suis Sosthénès le guerrier ».

Intitulé « Les outils parfaits », son inaugural sonnet est volontairement programmatique :

« Sonnets qui avez l’expérience

Qui contenez l’exacte mesure

Et la patience de l’homme

Et l’humilité de ses orgueils,

 

Outils parfaits que posèrent les maîtres,

À leur chevet si nous vous reprenions

Tout luisants des mains illustres

Et votre bois de mémoire

 

Et l’aigu de votre acier

Sonnets économes,

En la fragilité de ce siècle

 

Peut-être dans vos vaisseaux survivrons-nous,

À la garde de votre emboîtement,

Contre la guise des eaux mortes. »

Le recueil a quelque chose de composite, tant les allusions littéraires y sont nombreuses. Au symbolisme avec « Cathédrale d’automne », au genre du blason du XVI° siècle : « J’ai achevé ce blason / Commencé par la poétesse-au-nom-perdu / Avec des tétons comme des dragées. » Et ce n’est pas sans justesse que la satire politique pointe le bout de son curare : « Ô peuple défait, / Voici que défèque / Le grand Etronome / Les lois du non sens / Sur ce que je nomme / De rage non France ».

Le registre élégiaque renforce le lyrisme, d’un classicisme délicieusement inactuel et cependant universellement d’aujourd’hui et de toujours. Car « le tricot des mots » est un exercice amoureux autant qu’une foi dans la vie. Quoiqu’une tentative d’immortalité conclue l’ouvrage : « Je traverse ce monde / Indemne du mal qu’il suinte/ Dans le mépris du temps qui passe. » Malgré « L’incendie des Belles lettres » – ce qui est à la fois allusion à la bibliothèque d’Alexandrie et à l’incendie de l’entrepôt de son éditeur en mai 2002 – le défilement des sonnets conserve le feu du phénix…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bien plus iconoclastes sont les éclaboussures poétiques d’un recueil qu’elle titre Frank. Sonnets. Diane Seuss, une Américaine née en 1956, ne pratique pas l’espace entre les strophes, ni les rimes. Ce sont cependant comme de juste 127 fois 14 vers, nettement autobiographiques, depuis son enfance dans une famille ouvrière du Michigan marquée par la pauvreté, le fanatisme chrétien et la mort du père, en passant par son « premier béguin » et la drogue, par les avortements et un éprouvant accouchement, puis par la découverte de la vie artistique à New-York. Les fantômes d’un ami, Mikel, que le sida emporta, d’un fils, Dylan qui fut toxicomane, concourent à la confession autant qu’à la fresque sociale en dégringolade.

Diane Seuss est cependant toujours « À la recherche d’une définition simple du Sublime ». Avec virtuosité, elle échappe aux « pièges de la forme en poésie », en écrivant sans peur, et force ironie : « Les poètes célèbres venaient vers nous, ils éjaculaient sur nous », alors qu’elle était « cette écrivaine qui s’appelait Anonyme »…

Si ce sont à chaque fois quatorze lignes, il n’est pas tout à fait sûr que le vers soit autre chose qu’un fantôme arbitrairement glissé dans la césure d’une prose ponctuée. Désaveu du sonnet ou nostalgie ? Parfois ces vers sont tellement longs qu’il a fallu à l’éditeur concevoir quelques pages dépliantes. La volonté d’originalité individuelle est indubitable, à la mesure du défi : « Artiste indépendant. C’est ce que tu dis quand on te demande ce que tu fais dans la vie. Tiens-toi prêt à sortir cette carte de ta poche »…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quoique le réalisme, le tragique et la trivialité quotidienne, voire la vulgarité, parcourent le travail poétique – où le poème est « ce coup d’un soir » – l’envol offre un voyage au long cours. Car « la pauvreté, comme le sonnet, est une bonne prof ». Or le lyrisme fuse étonnement, en particulier lors de la chute, ce dernier vers que choyaient les poètes baroques : « la prière que j’ai adressée. C’était du sexe et de la poésie ». Par-delà les vicissitudes crues d’une vie peu gâtée, par-delà son usage explosif et peut-être abusif de la forme du sonnet, la beauté surprend soudain le lecteur conquis.

Le coffret sculptural du sonnet, malgré sa concision rédhibitoire, peut accueillir tout l’espace, toutes les souffrances, toutes les beautés du monde. S’il a aujourd’hui le plus souvent perdu ses rimes, ses strophes, ses vers mesurés, il garde son magnétisme chez les poètes les plus sages, es plus philosophes, comme les plus déjantés. Exercice de style, il est une esthétique qui n’a que l’obligation de l’éthique pour être réussi.

 

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Diane Seuss fut publiée dans Le Matricule des anges, mars 2024

 

[1] Nicolas Boileau : Œuvres, Art poétique, II, Jean-François Bastien, 1805. p 219.

[2] En 1819. John Keats : Poèmes, L’Imprimerie nationale, 2000, p 371-377.

[3] Robert Marteau : Le Temps ordinaire, Champ Vallon, 2009.

[4] William Wordsworth : Préface aux Ballades lyriques, José Corti, 1997, p 74.

[5] William Wordsworth : Ibidem, p 90.

[6] Pour reprendre deux titres de Robert Marteau : Liturgie, Louange, Champ Vallon, 1992 et 1996.

[7] Bernard Deforge : Je suis un Grec ancien, Les Belles Lettres, 2016.

 

Jaizkibel, Hondarribia, Guipuzcoa, Euskadi.

Photo : T. Guinhut.

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27 février 2025 4 27 /02 /février /2025 19:01

 

Parador Monasterio de Santo Estevo, Orense, Galicia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Petite porcelaine bleue.

La Bibliothèque du meurtrier

versus La Bibliothèque Hespérus.

roman

XVIII & XIX

 

 

La Bibliothèque Hespérus

XVIII

 

      Perplexes, nous devisions sous la coupole centrale, à l’intersection des allées étoilées de la bibliothèque, lorsqu’à notre grande surprise apparut un homme comme surgi de nulle part, soudain deus ex machina…

    - Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous entré ?
    - Allan Maladeta lui-même.

      Abasourdis, nous regardions l’individu vêtu d’un costume trois-pièces en laine peignée anthracite, une très courte barbe grise soigneusement taillée, un chapeau à la main, une bague étrange au doigt, probablement une intaille romaine.

      Allan Maladeta lui-même, répéta-t-il un exhibant une carte d’identité parfaitement valide sous nos doigts incrédules, qui revient des Etats-Unis où il s’était retiré dans un monastère zen des Rocheuses. Pas d’ordinateur, pas de smartphone, pas de courrier, pas même de livres, le silence, les rayures du râteau dans le sable granitique, les rochers épars, l’ikebana et les haïkus.
     - Comment êtes-vous entré ?
    - Par la porte de la forêt.
    - Comment, quelle porte ?
    - Visiblement vous ne connaissez que celle dissimulée dans le salon, et confiée aux soins de Mathilde Bénédicte ; que voici. Je me trompe ?
    - Non, non, balbutia-t-elle, je suis bien celle que vous avez engagée.
    - Vous ne pouviez évidemment voir, cher Monsieur Bertrand Cominges, enquêteur de son état – car dès mon retour mon Fondé de pouvoir zurichois ne m’a rien caché, y compris des progrès de vos investigations – que le flanc rocheux et forestier dissimule de fort vitrages, qui de l’extérieur ne présentent qu’un trompe-l’œil de branchages, de houx et de feuillages. Regardez au bout de cette allée, ma véritable porte est bien là :

      Son index manipula un je ne sais quoi à l’ombre d’un incunable, alors qu’un chuintement trahissait l’écartement de deux étagères, soudain illuminée par la lumière forestière.

        Voici enfin le propriétaire de la Bibliothèque du meurtrier !
    - Quoi ! C’est ainsi que vous l’appelez… Cependant, puisque vous ne vous êtes pas jeté sur moi pour me claquer les menottes aux poignets, je suppose que vous avez découvert « Le Mausolivres » et la confession de Zeldon, mon piètre demi-frère défunt, qui ne saura passer à la postérité qu’à la vertu d’une douzaine de meurtres de piteux bibliophiles. Et que vous avez scrupuleusement établi sa culpabilité.
    - En effet.
    - Regardez :

      Aussitôt Allan Maladeta leva le doigt et me découvrit le sommet peint de la coupole, avec le dieu grec de l’étoile du soir, le Phosphoros porteur de lumière, et entouré d’un phylactère portant l’inscription « Bibliothèque Hespérus ».

    - Comment ne l’aviez-vous pas vu ?
    - Mais oui, renchérit Mathilde en se moquant de ma sagacité mise en défaut, malgré toute votre expertise, vous n’auriez pas su voir ce qui saute aux yeux !

      J’en restai confondu.

    Cette bibliothèque étant bien la vôtre ; vous en êtes bien le concepteur ? s’inquiéta Bénédicte…

      Allan Malatesta hocha la tête et tendit le bras vers un volume passablement dépenaillé, un traité de perspective du XVI° siècle, dans l’encoignure duquel il actionna une manette de bois. Les deux étagères se déplièrent avec un doux chuintement, s’ouvrant sur un vaste bureau. Sans nul doute le bureau de travail du maître.

    - Le tableau de Morphéor, son Elsa Véronèse en sa robe bleue ! s’écria Bénédicte. Je ne l’imaginais pas si grand. Etait-elle vraiment aussi belle ? Comme elle respire l’intelligence ! Et la modestie…
    -  C'est en achetant ce tableau qu'il a suscité la deuxième vie de mon personnage. Ainsi veille-t-elle sur mon travail, sur mes recherches en vue d’acquisitions nouvelles, sur mes écrits.
    - Ecrivez-vous une nouvelle œuvre ? demanda Bénédicte, visiblement pleine d’espoir…
    - Je ne veux plus écrire des tableaux de dépressifs suicidaires, d’alcooliques maladifs, de meurtriers invétérés, d’ambitieux politiques totalitaires, ou encore de délires scientifiques menaçants… Seulement plus que des histoires d’art et d’amour. Quoi d’autre sinon l’Eros néoplatonicien et la beauté des chairs ? Mais je n’oserais faire lire à qui que ce soit mon immature ébauche.
    - Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
    - C’est l’histoire de « Petite Porcelaine bleue »…
    - On dirait un conte chinois…
    - Il y a un peu de cela.
    - Lisez-nous, Allan, votre manuscrit, l’exhorta Mathilde, que conforta mon acquiescement.
    - Mais il est encore brouillon, inabouti…
    - Allons, je suis sûre que vous saurez improviser !
    - Soit. Aux risques et périls de mes auditeurs et surtout du malhabile écrivain :


XIX


Xiǎo Qīng Huā, Petite Porcelaine bleue.


      La Puissance : celle du Président d’un empire financier. Je suis un homme minéral. Excessivement réservé, glacial, rigoureux jusqu’à la monomanie. Mon nom est à la fois secret et bien connu : Gustav Armfeld. Sans nul doute ergomaniaque, ou workaholic, comme l’on dit en anglais. Mon visage est beau disent certains – surtout ma chère grand-mère qui n’est bien sûr pas objective – taillé dans le bois poli d’un pin noir, a dit un jour une séductrice déçue, formule qui me laisse froid. Je suis sorti plus jeune diplômé des Hautes Etudes Commerciales, avec un double cursus anglais allemand, ainsi que d’Harvard Business School, sans compter un Master en Sciences économiques. Aussi ai-je pu reprendre à 25 ans le groupe familial EuroTradefunds qui végétait avec le concours de fondés de pouvoir bedonnants comme des larves et affligés de siestes interminables. Une régence mollassonne qui laissait se dégonfler l’entreprise en attendant ma majorité puis mes diplômes. Seule Yolanda Wachman, la secrétaire de confiance de la famille, a su résister, puis me seconder efficacement. Conquérir et conserver les compétences, sans merci pour les canards boiteux et les brebis paresseuses. Aujourd’hui, assurances, cryptomonnaies, édition, médias, satellites de communication, Intelligence Artificielle, immobilier, Fonds spéculatifs... Indubitablement du solide, du pérenne.

      Mon bureau démesuré, au vingt-huitième étage, n’est meublé que de métal inoxydable et de bois noir. Les ordinateurs sont en acier gris brossé, les carnets de cuir sont ombreux, les stylos ténébreux. Derrière moi, les étagères noires ne sont garnies que de livres de marbre blancs. Parfois, plutôt que de rentrer dans ma villa muséale, je préfère dormir dans le lounge adjacent dont vous pouvez avec raison deviner la couleur immaculée de la couette et de l’oreiller. Alors que mes costumes, taillés sur mesure, semblent porter un deuil irréfragable. Je parle peu et net. Et vous saurez bientôt pourquoi je deviens ici prolixe. Même les rumeurs d’homosexualité et de misogynie monacale maladive me laissent de granit, quoiqu’elles prennent garde à ne pas m’approcher un instant. Je suis détesté comme monstre météorique du capitalisme et envié comme un cliché. Je ne bois que du thé noir ; mais mon ascétisme affectionne les crustacés et les forêts noires, ces pâtisseries bien connues.

    - Mais où est donc cette « Petite Porcelaine bleue » ?
    - Attendez.

      Las des injonctions à me marier pour ne pas laisser s’éteindre la lignée familiale, injonctions répétées chaque jour par ma grand-mère désespérée, je ferme obstinément les yeux sur les croqueuses de diamants, les donzelles vaniteuses, les Madame Autorité, les courtisanes de luxe, les timides constipées, les filles de famille aux breloques de dentelles noires sur l’arrogante peau nue…

      J’aime assez, avant de quitter l’immeuble, parcourir quelques étages. Leur silence, leur ombre, où les ordinateurs se refroidissent sur leurs secrets – auxquels je puis accéder depuis l’omniscience de mon bureau – ne sont ponctuées que de lueurs de sécurité. Comme si je sentais encore bruire le travail de centaines d’employés qui rejoignent le soir leurs amis, leurs familles, leurs enfants. Alors que j’étais encore un loup solitaire. Mais, étonnamment, ce vendredi soir, un ordinateur luisait encore dans le département édition. Intrigué, je m’approchais.

      Son écran s’orne d’une silhouette de superhéroïne de manga aux cheveux étalés comme un vent tempêtueux, mais avec quelque chose de plus personnel, de plus pictural qu’accoutumé, quoique je ne prétende pas être un connaisseur en la matière. Elle porte une longue jupe d’azur plissée, un chemisier abondamment fleuri de bleuets. Elle dort sur ses avant-bras ; la nuque, découverte par la courbure de la position, est ravissante et pure, comme une porcelaine rare. Deux crayons noirs sont tombés de la finesse de sa main, qui repose alanguie sur un grand carnet couvert d’esquisses de déesses des cimes aux robes couvertes de phénix. Ses lunettes, accrochées sur le bout de son nez, remuent très légèrement au rythme de sa respiration. Ses yeux fendus d’asiatique sont obstinément fermés dans un visage reposé, pur et lisse. Prudemment, je me permets de prévenir son avant-bras du toucher de ma main pour la réveiller et ainsi lui permettre de quitter le bâtiment avant la clôture du week-end. Sans réaction aucune. Je n’ose la brusquer. Que faire ?

      Saisi de je ne sais quelle impulsion, je glisse mes bras sous ses genoux, sous ses épaules, et l’emporte, intimant d’un regard Yolanda effarée de recueillir ses affaires, sac et cabas roses, carnet, smartphone et crayons… Spectral, je marche dans la pénombre vers l’ascenseur qui nous emporte vers notre vingt-huitième étage. Pourquoi ne ressens-je aucune répulsion en tenant ce corps contre moi ? Elle respire dans mes bras et contre ma poitrine sans crainte, comme si elle était la fille d’Hypnos. J’espère soudain que le battement de mes pas et le bourdonnement de mon muscle cardiaque ne vont pas la réveiller. Yolanda nous ouvre mon bureau, puis mon lounge. Elle comprend mon intention et ouvre le lit dont elle veille à la propreté absolue. Délicatement, j’y pose cette si légère jeune femme, dont j’ôte les chaussures, puis rabat la couette sur elle, tant il fait frais. Elle ne se pelotonne qu’un instant pour poursuivre son sommeil, alors que Yolanda dépose son butin à ses pieds et sur la table de nuit. Je ne reviens que pour calligraphier un message que je veux rassurant et hospitalier. Nous pouvons fermer les lieux et quitter l’immeuble.

       Qu’ai-je fait ? Ai-je attenté à sa liberté ? Me suis-je trompé en étant ému ? Et si c’est pour risquer de me faire piéger par une hypocrite dévoreuse de fortune…

Château de Valencay, Indre. Photo : T. Guinhut.


      Quelle est cette belle chambre ? Ce lit large et confortable, ce blanc, ce gris et ce noir autour de moi ? Un peu froid tout cela, sévère, mais rassurant tellement j’ai dormi comme une mésange en son nid. Qui m’a déposé ici alors que je dormais ? Dois-je avoir peur, très peur ? Non, toutes mes bricoles sont là, près de moi. Avec, sous mes lunettes, un mot manuscrit :

      « Veuillez, Mademoiselle, accepter mon hospitalité. Nous n’allions pas vous laisser dormir comme une pierre et toute la nuit sur votre clavier, dans cet openspace qui fraîchissait dans la nuit du week-end. Aussi me suis-je permis de vous emporter dans mes bras. Cette chambre, cet impeccable lit, la salle de bains chaleureuse, sont à vous. Vous trouverez dans la cuisine adjacente tout ce qui est nécessaire à votre petit-déjeuner et à un agréable séjour. Je viendrai vous délivrer à neuf heures et serai votre serviteur pour vous reconduire dans votre chez vous. Respectueusement. Gustav Armfeld »


      Qui est-ce ? Qui a commis cette séquestration ? Mais comment n’y ai-je pas pensé ? Mon Iphone ne me cache pas qu’il est notre grand patron, le boss, le cristal noir de la pyramide, le Président du groupe EuroTradefunds, que personne ou presque ne voit jamais, en tout état de cause pas moi, petite puce de porcelaine parmi des milliers de subordonnés. Un type que l’on dit froid comme un mur d’acier, un célibataire farouche et  gynéphobe, qui ne rit jamais, laconique comme un pain brûlé, et cependant courtois.

      Voyons ce petit déjeuner. Thé noir, cookies au chocolat noir, lait et crème, confiture de mûres, c’est gourmand, quoique pas très coloré. Après tout, un grand personnage tel que lui ne peut pas prendre le risque d’un rapt. Et puis, dans mon cabas, il y toujours ma bombe au poivre. Pif, un coup de poing sur le nez ; Paf, un autre dans l’estomac ; Pouf un genou bien appliqué dans les parties honteuses. Et voilà le bonhomme au tapis ! Après cette dégustation et une douche, au secours de laquelle je pioche dans une collection de shampoings, de déodorants masculins, d’une lotion après-rasage Lynx for man, je peux tranquillement dessiner dans mon carnet… Ne nous laissons pas intimider par cette immense calligraphie de jais qui emplit la moitié du mur ; regardons plutôt par les baies vitrées au-dessous desquelles pétille l’immense panorama des lumières urbaines.

      Pourquoi ne pas griffonner un grand homme sombre portant dans ses bras une petite porcelaine bleue profondément endormie…

      On frappe. Est-ce mon ravisseur ? Je ne peux pas dire autre chose que :

    - Entrez, je vous prie.

      Un costume plus sombre que le Styx apparait dans l’entrebaillement de la porte. À peine un filet d’argent sur la cravate.

    - Avez-vous passé une bonne nuit, pris un bon petit-déjeuner ? J’espère ne pas vous avoir effrayé. Je suis tellement confus. Pardonnez mon invitation cavalière…
    - Vous êtes ?
   -  Gustav Armfeld lui-même. Et vous : Xiǎo Qīng Huā, ou plutôt Petite Porcelaine bleue.

      Il ne sait pas sourire, me dis-je en catimini. Saurais-je lui apprendre ?

    - Vos proches, je l’espère, ne se sont pas inquiétés…
    - Non, non… Ma mère a cru que j’étais allée dormir dans la cabane du jardin, comme je le fais parfois.
    - Par ce froid ?
    - Oh, il y a du bois et une petite cheminée. Et des duvets. En tous cas, merci pour ce sommeil au sommet de la pyramide du pouvoir, pour cette harmonie de thé, de gâteaux et de confitures, tous plus noirs les uns que les autres.
    - Je vais vous reconduire chez vous. Sauf si vous voulez encore profiter de l’inspiration de l’espace pour dessiner.
    - Pas la peine, le bus est en bas à ma disposition.
   -  N’y pensez pas un instant. Votre chevalier servant se doit d’assumer jusqu’au bout son indélicatesse de la veille au soir. Je ne le dirai pas deux fois.
    - D’accord. Mais pensez qu’une chevalière se suffit à elle-même.

      Il prend mon cabas, me conduisant au travers de son bureau grand comme un mausolée égyptien, dont les livres de marbre blanc me surveillent pompeusement, dont l’astrolabe d’acier luit dans la lumière d’hiver sous les paravents calligraphiés. Le noir et le blanc absolus règnent en maître. Est-il chromophobe ? Dans l’ascenseur, de sa voix profonde, il reprend :

    - Rassurez-moi, vous n’allez pas me poursuivre pour séquestration ?
    - Je ne sais pas encore, cher Monsieur Armfeld. Mais si vous m’offrez une demi-douzaine de nouvelles invitations en me laissant entrer de mon plein gré et sur mes deux jambes, je penserais à être indulgente. Je dessinerais votre bureau, mais en taisant le nom redouté du propriétaire.
    - Rassurez-moi encore, si j’avais été un affreux kidnappeur, qu’auriez-vous fait ?
    - Action, bombe au poivre. Pif, un coup de poing sur le nez ; Paf, un autre dans l’estomac ; Pouf un genou bien appliqué dans les parties honteuses. Et voilà le bonhomme au tapis !

      Le sévère maître de la pyramide se met à rire.

    - Petite porcelaine bleue, vous êtes douée ; vous m’avez fait rire. Il faut dire que tout le monde me parle les lèvres contrites.
    - Peut-être parce que vous vivez avec un glaçon dans la gorge et une armure noire autour du corps ! Ô pardon, mille pardons, ma répartie m’échappe. Je ne veux pas vous froisser.
    - Décidément, vous êtes une drôle d’oiselle bleue. Mais, je vous aime bien. Ma voiture est là. Montez.
    - Votre véhicule est noir, y compris le cuir des sièges. Seriez-vous monomaniaque ?
    - C’est une Porsche Phantom. Où habitez-vous ?
    - En fait, j’aimerais que vous me déposiez au garage où mon scooter vient d’être réparé. Avenue Pimpet.
    - Bien. Je lirai cet après-midi votre série à succès Blue Princess, que je suis allée prendre tout à l’heure au magasin.
    - Je parie que ce sera le premier manga de votre vie. Vous allez trouver ça puéril.
    - Qui sait ? Même si en effet je ne lis que des publications économiques et financières. Et – vous ne le direz à personne – des traités d’esthétique, de la poésie métaphysique, des haïkus.
    - Oh là là, comme j’ai tout à apprendre…
    - Nous voici à votre garage. J’attendrai, avant de partir, de constater que vous avez bien repris le guidon de votre scooter en état de vol.
    - Comment vous remercier ?
    - Invitez-moi à dîner. Oh, non, non, je ne veux pas que vous fassiez des frais.
    - D’accord. Demain soir, à 20h ; je vous enverrai l’adresse. Mais ce sera modeste. Et délicieux je vous promets.
    - Pour ce faire, il vous faut ma carte strictement privée. Confidentielle. La voici. À demain.

      Quelques minutes plus tard, je vis partir Petite porcelaine bleue, emmitouflée dans son blouson aux jacinthes bleutées, sur son scooter rose, qui, sous son casque également rose, me fit un sourire espiègle et un signe de la main, comme si elle agitait un éventail de papier. La neige qui commençait à tomber effaçait sa disparition…

      J’avais pris soin de prendre quelques autres mangas de notre département pour faire une comparaison avec Blue Princess. Aussi mon après-midi fut studieux à sa manière. Face à ma chère huile sur toile de Zao Wou Ki, je parcourus les pièces à conviction, puis les relus. C’était une histoire un brin féérique, heurtée au réalisme, parfois comique, contant les aventures sentimentales d’une jeune étudiante, que pas un seul garçon ne savait reconnaître dans sa dignité intérieure de princesse. Visiblement Petite porcelaine bleue savait viser son public. Je dois dire qu’à ma honte, le pyramidal masque de bronze d’EuroTradefunds crut s’identifier à l’héroïne. De surcroît son dessin avait quelque chose de plus délié, souple et raffiné que celui de ses concurrents, qui avaient le tort d’être rapidement systématiques, sans compter un sens rare de la psychologie.

      J’accédai en trois clics à la base de données omnisciente : Petite porcelaine bleue – c’était bien son nom traduit du chinois – était diplômée de l’École Européenne Supérieure de l’Image d’Angoulême, de l’Ecole Autograf – deux ans à Paris et deux ans à Osaka – avec un Bachelor de Design Graphique option Illustration. Sa trilogie Blue Princess, achevée il y a peu, caracolait déjà parmi les sommets des ventes de notre département. Vingt-cinq ans, célibataire. À moins qu’elle ait un petit ami ; ou une petite amie… Décidément cette base de données est bien ignorante ! Ah, je reçois à l’instant un courriel avec l’adresse d’un minuscule restaurant chinois. Les rares commentaires sont élogieux. Mais je n’irai pas ; ôtons-nous cette Petite porcelaine bleue et son casque rose de la tête. Solitaire, je dégusterai plutôt des sushi aux algues noires et au riz sauvage en relisant l’Eloge de l’ombre de Tanizaki.

      Le lendemain soir, j’ouvris, très exactement 20 heures, la porte du « Taiwan Delices ». J’eus un mouvement de recul, tant le rouge s’étalait sur le mur du fond. J’allais ressortir, quand Petite porcelaine bleue me retint par la manche :

    - C’est bien ici Monsieur Armfeld.

      Elle m’entraîna en zigzagant entre la promiscuité de la douzaine de tables populairement et bruyamment achalandées ; pour m’indiquer une encoignure près de la fenêtre. Comme sa main sur mon épaule me faisait fermement assoir, elle demanda :

    - Pourquoi regardez-vous fixement cette banderole au-dessus du comptoir ? Non, non, il ne s’agit pas du rouge communiste, mais en Chine d’un symbole immémorial de prospérité.
    - Me voici rassuré, balbutiai-je, en fixant les coquelicots de sa veste qui moulaient son petit corps de façon troublante. Je n’osais en même temps pas plus regarder ses grands yeux au travers de la lumière de ses lunettes.
    - Ne soyez pas contrit ; je vais croire que, condescendant, vous vous forcez à descendre parmi le peuple des cols bleus.
    - Non, non. Comment mon col blanc pourrait-il se passer d’eux ?
    - Toujours du noir, n’est-ce pas. Des chaussures vernies à la cravate. Mais choisissez, la nappe de papier présente tous nos plats.

- Je pensai combien j’étais habitué aux nappes de coton immaculé, aux verres et aux décanteurs de cristal, à l’argenterie, aux jonquilles blanches dans un vase de Gallé. Les prix ridiculement bas me sidérèrent alors que mes voisins inconnus, coude à coude, engouffraient des pelletées revigorantes.

    - Je prendrai comme vous, vos plats préférés.
    - Je ne vous ferai pas l’injure du tofu puant, pourtant délicieux. Alors, nids d’hirondelle, canard laqué, vermicelle aux huitres, gâteau de lune, et thé aux perles, n’est-ce pas…
    - Vous avez un si grand appétit ? Croyez-vous que je pourrais manger tout cela ?
    - Taratata ! Si j’ai un estomac de passereau, votre grand corps d’aigle doit être affermi !
    - Un grand aigle qui ne mange pas les petits oiseaux…
    - Combien mesurez-vous ?
    - Un mètre quatre-vingt-cinq. Et vous ?
    - Ne respirez pas trop fort, ou mon mètre soixante va s’envoler…
    - Xiǎo Qīng Huā, tes nids d’hirondelles sont servis. C’est ton boyfriend, ton amoureux, mon futur gendre, n’est-ce pas.
    - Maman ! ne dis pas n’importe quoi. Monsieur Armeld est mon patron, le grand patron, le suprême patron, le pharaon en costume noir d’EuroTradefunds. Je ne suis qu’une petite subordonnée.
    - Madame, mes respects, m’inclinai-je. C’était une dame dans un tablier violet presque plus grand qu’elle, une frimousse plissée tout sourire. Les plats suivants furent par ses soins apportés avec discrétion, tant elle paraissait impressionnée.

      Je fis raconter ses études et sa vie à Petite porcelaine bleue. Elle ne parlait qu'un peu chinois avec sa mère. Prolixe, elle avait appris le japonais à Paris en cours du soir à l’Institut Guimet pendant ses deux premières années de l’Ecole Autograf, puis avait vécu dans un dortoir partagé avec ses condisciples d’Osaka. Postulant avec ses planches encrées et la maquette de son premier manga bien abouti, elle fut derechef engagée dans notre département édition. Visiblement, elle n’était pas née comme moi avec une cuillère d’argent dans la bouche. Sa mère s’était, toute jeune, jetée dans une jonque pourrie pour fuir le communisme. Et, confondue avec des réfugiés vietnamiens, elle avait été recueillie par la France. Son père, qu’elle n’avait pas connu, était un autre de ces boat-people, dont on ignorait jusqu’au nom. Et pour revenir à sa mère, à force de travail acharné et d’économies drastiques, de cuisinière dans un restaurant clandestin dans le XIII° arrondissement, elle était parvenue à se rendre propriétaire de son « Taiwan Delices ».

          Regardez, voici Grondoudoux !
    - Il a une oreille cassée, le pauvre…
    - C’est un matou des rues. Il vient manger des restes et dormir dans ma cabane. Il n’y a que moi qui puisse le caresser. Et Maman, bien entendu.
    - C’est un beau tigré. Plus précisément un Tabby marbré.
    - Décidément vous savez tout ! Hop, le voici sur mes genoux. Il ronronne comme votre Porsche Phantom. Attention à vous : il est observateur, soyez-sûr d’être radiographié. Ah, tu me quittes déjà, scélérat ! Comment, il vient humer vos doigts ? Et vous savez le cajoler sous le menton ! D’un bond, le voici sur vos genoux ; non, non, il va couvrir de poils votre austère et parfait costume.
   -  Laissez-le faire. Je me suis fait un ami…
    - Je n’aurais jamais cru cela… Etait-ce bien délicieux, comme promis ?
    - Vous avez rempli avec succès votre part du contrat. Quand vous inviterai-je à mon tour ?
    - Quand vous voudrez. À charge pour vous de me présenter votre dîner préféré. Mais, je n'exigerai pas une Tour d’Argent dans de la vaisselle d’or… Non, restez tout simple.
    - C’est promis. Mais, je ne sais pas si je saurais faire comme il le faudrait. Et, dîtes-moi, hors les logiciels de l'open space, où dessinez-vous ?
    - Dans la cabane du jardinet, derrière.
    - Montrez-moi. Je suppose que Grondoudoux va nous accompagner. J’aimerais voir vos dessins, vos brouillons.
    - Mais c’est tout fourbi ! Vous risquez les toiles d’araignées sur votre costume griffé. Bon, venez. Mais enfournez votre pardessus, il y fait froid comme chez les loups, les braises de la cheminée doivent être empoussiérées.
    - Et vous dessinez là, vous écrivez, sans craindre que l’encre et vos doigts gèlent ? Sans avoir peur que l’humidité endommage vos œuvres ? Il vous faudrait un atelier digne de ce nom.
    - J’ai des mitaines. Regardez, une plume de bambou, un pinceau, hop, et je vous dessine dans votre bureau-mausolée.
    - C’est votre prochain manga ?
    - Je ne sais pas encore. J’ai plein d’idées, mais ce sont des bribes, sans lien.
    - Et cette chevelure de princesse dans la neige que vous jetiez sur le papier ?
    - Oh, ce sont  mes récits de la montagne au renard !
    - Vous avez là tout un carton cadenassé par les toiles d’araignées. Des planches inédites ? Pourquoi n’est-ce pas encore devenu un manga que nous publierions ?
    - Eh bien, je… C’est un ensemble que j’ai situé dans le Japon médiéval, à partir de la légende de la femme-renard séductrice. Mais, lorsqu’il y a quelques mois, j’ai transféré cette Kitsune dans le logiciel du bureau, une fois tout imprimé, j’ai trouvé que ce n’était pas assez original. D’un tel mythe, tellement de variantes ont été publiées. La poubelle a mangé les épreuves, sans retour.
    - Peut-être avez-vous raison. Mais cela me semble dommage. En attendant, vous devriez revenir dans mon bureau, tant votre esquisse manque de matière. Merci Petite porcelaine bleue, pour cette visite enrichissante. Je dois partir…
    - À bientôt.

      En quittant « Taiwan Delices », je glissai une courbette à Madame la restauratrice toute intimidée, puis, sans me faire voir, quatre billets de cinquante euros soigneusement pliés en quatre dans la boite des pourboires, ce qui excédait outrageusement la note. Me glissant à mon tour entre ma couette et mon oreiller, tous les deux d’un blanc irréprochable, je regrettai, ayant laissé ses mangas au bureau, de n’avoir rien dans mes mains – ou sur mes murs – qui vienne de Petite porcelaine bleue…

Photo : T. Guinhut.


      Quel homme étrange, me dis-je. Pourquoi fait-il mine de s’intéresser à ma petite personne ? Je ne suis qu’un caprice de son Ennui souverain. Et si je le dessinais ? De mémoire, et forcément en noir, sur un vélin blanc format grand aigle. Et la petite bleue, en forme de signature en couleurs dans un coin du bas… Ses traits ne sont pas faciles à saisir. Comme une vénérable écorce de pin noir dur et polie, mais avec la tendresse intérieure d’un dessert à la gelée de menthe. Ses mâchoires avaient l’air si serrées lorsqu’il m’écoutait entre chaque bouchée. Pourquoi donc n’y a-t-il aucune couleur dans son bureau présidentiel, dans la chambre et la salle de bain adjacente ? Est-il si mélancolique ? Il faut que je tente quelque chose…

      Je connais le chemin. Allons-y : montée au vingt-huitième étage. Et s’il n’était pas là ? J’aurais l’air fine, avec mon cabas à dessin et ma petite boite. Je frappe… ou non... Allons-y.

    - Entrez.

- Aïe, c’est une voix de dame, un peu rogue. Je vais être jetée comme une gamine inconsciente…

    - Vous êtes Petite porcelaine bleue, n’est-ce pas ? Bien qu’aujourd’hui vêtue de pistache et d’émeraude. La dame est passablement âgée, en tailleur gris-souris, chignon serré par un tour de perles. Sa mère? Sa secrétaire ? Sa gouvernante ?
    - Oui. Comment le savez-vous ?
    - Je vous ai vue dormir dans des bras protecteurs. Et Monsieur Armfeld vous a confié à mon attention. Avancez. N’ayez crainte. Ce bureau est le mien ; une sorte d’antichambre grise avant celui où vous pouvez entrer. Vous venez pour dessiner, n’est-ce pas.

      Interloquée, je me risquai à pas de belette :

    - J’apporte aussi un tout petit quelque chose. C’est pour remplacer les cookies que j’ai mangés.
    - Posez votre cadeau sur le bureau de Monsieur Armfeld. Installez-vous, étalez vos crayons, vos carnets. Notre Président sera là dans un moment.
    - Merci Madame. Je ne veux pas déranger. Juste m’exercer sur ce tabouret.
    - Appelez-moi Yolanda. Je vous laisse, travaillez bien.

      Un peu angoissée, je prends possession du lieu qui m’est accessoirement et provisoirement dévolu. Je me résous à crayonner furieusement. La lumière d’un grand jour d’hiver asperge les baies ; d’un côté la vue sur la ville et la courbe de la Seine, de l’autre une terrasse avec un hélicoptère noir que surmonte l’avancée d’un nuage violacé.  Certes j’avais noté les livres paradoxaux en marbre blanc. Mais s’élève également un grand Bouddha d’onyx, tandis que rêve une calligraphie d’un poème de Bashô. Plus loin, un Christ crucifié en ivoire. Des fauteuils de cuir perle, un bureau d’ébène grand comme une patinoire. Un ordinateur en acier fermé, des stylos Mont Blanc. Une mallette de cuir et un pardessus jetés sur un siège que je regarde comme un trône impérial, un piédestal d’inquisiteur, le centre vital d’EuroTradefunds. Car je me souviens de ce que m’a confié tout à l’heure Ada, ma voisine de clavier : il paraîtrait que le Maître de cet espace est d’une froideur barbare, d’une intransigeance aigue, que jamais un sourire ne déforme son faciès, que les femmes – hors Madame Yolanda visiblement – sont pour lui persona non grata. Où me suis-je fourrée ? Je ne peux réprimer un frisson. Pourtant il est avec moi si gentleman… Nonobstant, mes dessins prennent forme. Serait-ce l’ébauche d’un nouveau projet ?

    - Vous avez choisi un tabouret inconfortable.
    - Vous m’avez fait peur, Monsieur Armfeld !
    - Tranquillisez-vous, Petite porcelaine bleue, je ne suis pas tout à fait le monstre qu’assure ma réputation. Et en l’occurrence, pas à votre encontre.
    - À quoi dois-je ce privilège ?
    - Vous êtes différente, Petite porcelaine bleue. Cela dit, ce tabouret de bronze aux pieds cannelés, dont vous aurez remarqué les petits chapiteaux corinthiens, est une antiquité romaine du premier siècle. Allons, ne sursautez pas. Il a supporté des esclaves, il peut bien soutenir une femme libre. Et vous n’êtes pas si lourde pour le menacer… Que m’avez-vous apporté là, dans cette boite oblongue et blanche, ceinte d’un ruban d’azur ?
    - Des macarons. Pour remplacer les cookies que je vous ai mangés.

      Il eut un bref mouvement de recul et de crispation en découvrant les objets du délit ; puis me regarda d’un air rasséréné.

    - Six macarons : Pistache et Safran, Rose et Curaçao, Framboise et Violette… Pourquoi ne pas mettre un peu de couleur dans votre vie ? Je n’ai pas l’intention de vous empoisonner, au contraire…

      Il ne répondit pas. Saisissant entre le pouce et l’index, avec circonspection, le macaron bleuté, il me regarda intensément, jusqu’à la racine de mon cerveau, pour le croquer soigneusement. Je me sentis baisser les yeux. Je détournai son attention :

    - Puis-je voir votre bague ? La dessiner peut-être ?

      La main tendue, il me laissa l’observer :

    - C’est une intaille d’onyx. Vous y reconnaissez l’aigle romain. Vous me faites trop d’honneur en la dessinant ainsi.
    - Oh, je ne suis pas sûre qu’ainsi je la fasse entrer dans l’Histoire de l’art. D’autant que ce n’est pas ici qu’un bureau, mais un véritable musée.
    - Ce n’est rien. Je vous ferai peut-être voir beaucoup mieux.
    - Si j’osais ? Puis-je également vous dessiner ?
    - Tout ce que vous voudrez.
    - Pourquoi êtes-vous si gentil avec moi ? Pourquoi me permettre d’exploiter votre image, votre vie, peut-être.
    - Parce je ne suis qu’un amateur d’art, un faiseur d’argent qui, certes le fait ruisseler et bourgeonner sur la société, mais pas un créateur. Parce que vous êtes une créatrice.
    - Le manga n’est-il pas un art mineur ?
    - Mais vous êtes ma mangaka préférée.

- Tout de même fort loin de Rumiko Takahashi. Ou de Junji Ito. Et je n’ai ni leurs univers ni leurs styles. N’oubliez pas, je ne suis qu’une Petite porcelaine bleue.

    - Qui va, si vous le voulez bien, se rendre à mon invitation culinaire.
    - Moi ! M’exclamé-je en pointant un index hésitant sur ma poitrine menue. Habillée en gros collants de laine émeraude et ensemble assorti jupette-doudoune vert d’eau ?
    - Qu’à cela ne tienne. Suivez-moi. Et laissez votre cabas à dessins sur cette étagère, entre deux livres de marbre. Vous reviendrez continuer votre travail demain matin.
    - Mais…
    - J’ai dit !
    - Savez-vous, Monsieur Gustav Armfeld, que je suis un être libre ?
    - Vous le deviendrez encore plus.
    - Si vous le dites, Monsieur Grand Aigle… Mais il faudra tempérer votre caractère dominateur.
    - Je suis à votre service. Descendons.

      Le long de l’ascenseur, du vaste hall, de l’esplanade, où partout d’incrédules regards nous pistaient, nous étions silencieux. Je me demandais à quelle sauce j’allais être mangée, digérée, excrétée…

    - Mais où est donc passé ce satané chauffeur ?
    - Et si je vous emmenais sur mon scooter ?

    - Il me regarda d’un air incrédule, abasourdi. Parut réfléchir un instant, puis :

    - Chiche. Si vous jurez de me conduire sain et sauf. Rue Benjamin Constant, près de La Madeleine.
    - Chapeautez ce casque. Chevauchez la licorne. Accrochez-vous à moi. Hop, roulez Messieurs-Dames…

       Point trop rassuré, me voici en virée sur un scooter rose, derrière une sorcière habillée en nénuphar. Alors que le Fondé de pouvoir du département des Assurances me regarde partir avec des yeux qui lui tombent en gelée sur les talons. Je sens que les bavardages font faire frémir vingt-sept étages… Cette fois elle ne porte pas de chignon, mais sa chevelure noire ornée de rubans cyan me volète dans le visage, achevant de m’ensorceler de parfums.

      Estomaqué, le portier doit prendre en charge un scooter rose un peu rouillé, deux casques en forme de fraise, alors que nous foulons un tapis d’orient. Deux maîtres d’hôtel un rien convulsés des globes oculaires en allant de l’une à l’autre de nos apparences, avancent nos chaises sous les lustres de cristal de Murano. Une table damassée de blanc nous sépare pour mieux nous rapprocher, alors que de loin en loin des couples compassés dégustent leurs confidences, peut-être ineptes, dans leurs assiettes en forme de quartier de lune.

    - Vous êtes dans l’un de mes restaurants préférés : « De Gustibus disputandum ». Qu’aimeriez-vous ?
    - Mais les prix de cette carte sont démesurés, astronomiques !
    - Voulez-vous, Petite porcelaine bleue, que mon argent se fossilise dans les caissons souterrains d’une banque blindée ?
    - Soit. En miroir de notre repas au « Taiwan Delices », je goûterai la même chose que vous. Je ne suis pas difficile. Il n’y a que l’ail et le wasabi que je haïsse.
    - Je les déteste également. Pensons plutôt à ce que nous aimons. Huitres de Cancale sur un lit de caviar de Gironde, tortellini à l’encre de seiche et bar de ligne d’Oléron, nuage de crème d’Isigny aux figues noires du Péloponèse. Nous boirons de l’eau du Pays de Galles et du Puligny-Montrachet…

      - Je n’ose lever les yeux sur mon commensal, dont le teint, sous la lumière tamisée des candélabres, et sous ses chevaux bruns coupés très courts, a quelque chose d’une suavité un peu fauve. Lorsque je lève enfin mes paupières, la douceur de son regard me coule instantanément au travers du corps. Certainement ce sont « les papillons dans le ventre » dont parlent les mangas adolescents et dont l’idiote que je suis ne veut rien croire… L’arrivée du premier plat fait heureusement diversion.

    - Puis-je vous  poser une question, Gustav ?
    - Tout ce que vous voudrez. Et je vous remercie de prononcer mon prénom.
    - Même vos numéros de cartes bancaires ?
    - Vous êtes prête à prendre note ?
    - Non, non, non, c’est une galéjade, je n’oserais jamais. Dites-moi plutôt. Pourquoi exclusivement du noir et blanc, y compris dans votre assiette ? Et pourquoi n’avez-vous pas un instant protesté face aux couleurs mêlées des plats au « Taiwan Delices » maternel ? En particulier le doré du canard laqué ? Et de mes macarons provocateurs ?
    - Parce que c’était vous. Et pour la première partie de la question, laissez-moi du temps, si voulez bien.

      J’ai alors l’impression qu’une bouchée a du mal à passer…

    - N’avez-vous pas l’impression de vivre sur le plateau d’un jeu d’échec ? Oh, pardon, je ne veux pas vous…
    - Comment trouvez-vous mon menu ?
    - Que de saveurs pour moi inconnues ! J’adore. Et je vous pardonne volontiers le monochromisme.
    - D’autant que vous pourrez encrer ces mets sur vos carnets.
    - Je n’y manquerai pas.

      Une fois le dessert englouti sous mon petit palais, me raccompagnant auprès de mon scooter, il m’annonce :

    J’aurais le déplaisir de vous abandonner pendant quelques jours. Un voyage d’affaires à Londres. Nous nous enverrons des messages, des photographies de vos dessins, n’est-ce pas. Réservez-moi, lundi, votre soirée.
    - Puis-je vous refuser quelque chose ?

(...)

Thierry Guinhut

La Bibliothèque du meurtrier versus Bibliothèque Hespérus : synospsi, sommaire & prologue

Photo : T. Guinhut.

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20 février 2025 4 20 /02 /février /2025 15:25

 

Catedral de Zamora, Castilla y León.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Les champs de l’humanisme,

d’Aldo Manuzio à Coménius,

en passant Guillaume Budé et les byzantinistes.

 

 

Verena von der Heyden-Rynsch :

Aldo Manuzio, le Michel-Ange du livre, L’art de l’imprimerie à Venise,

traduit de l’allemand par Sébastien Diran, Gallimard, 2014, 206 p, 23,50 €.

 

Romain Martini & Luigi-Alberto Sanchi :

L’Antiquité selon Guillaume Budé, Les Belles Lettres, 2025, 248 p, 25,90 €.

 

Anne-Mary Cheny : Le Cercle des byzantinistes, Les Belles Lettres, 2024, 304 p, 26 €.

 

Iohannes Amos Comenius : Image du monde sensible,

Les Belles Lettres, 2025, traduit du latin par Lucien X. Polastron, 328 p, 25,50 €.

 

 

« Rien de ce qui est humain ne m’est étranger », disait Montaigne d’après le dramaturge latin Térence ; de même rien de ce qui est l’Antiquité n’est étranger à l’humaniste, du moins dans le cadre de ce qui lui était accessible, du XIV° siècle de Pétrarque au XVI° siècle d’Erasme. Or, outre les chercheurs, philologues et écrivains, les Lettres antiques durent une grande part de leur renom lors de la Renaissance grâce à un grand imprimeur vénitien : Aldo Manuzio. Certes le terme « humaniste » n’apparut, sous la plume de Georg Voigt, qu’en 1859 en Allemagne, mais il désigne ce mouvement de redécouvertes renaissante des langues anciennes et cet appétit des connaissances qui embrasèrent l’Europe de l’ouest. L’actualité éditoriale révèle une figure également méconnue de l’humanisme, Guillaume Budé, alors que le rôle considérable des explorateurs des Lettres grecques et latines découvertes à Byzance, soit les « byzantinistes », conduit par ricochet à découvrir combien ce territoire de l’Empire romain d’Orient, hélas conquis par les Ottomans, recelait de richesses intellectuelles. Le champ de l’humanisme ne s’est  pas clos au XVI° siècle, ne serait-ce qu’avec Coménius dont le talent pédagogique rendit bien des services aux jeunes latinistes. Que nous devrions être encore…

Alde Manuce, ou plus exactement Aldo Manuzio (1449-1515), est un jalon essentiel dans le développement de l’œuvre d’Erasme, donc de l’humanisme. Un beau livre de Verena von der Heyden-Rynsch lui rend un indispensable hommage, en un essai-biographie particulièrement aisé, brossant autant le portrait d’une cité-état que d’un homme d’exception.

Dans Venise, micro univers de « culture et luxure », un helléniste romain devint l’imprimeur le plus éminent de la Renaissance. Là s’étaient installés les disciples de Gutenberg. Entre 1494 et 1515, sans compter ses descendants, Aldo Manuzio publia plus de cent cinquante livres en grec, latin, italien, mais aussi en hébreu. Non content de ce talent, il inventa des fontes d’imprimeries en grec ainsi que les caractères de l’italique, l’apostrophe et le point-virgule. Artisan autant qu’intellectuel de goût, parmi ses collaborateurs, dont Griffo son graveur de caractères, il évolua parmi un réseau d’érudits, dont certains rapportèrent des manuscrits de Constantinople (tombée en 1453), de mécènes et de clercs, et fut le centre du bouillonnement humaniste. Liberté politique, alphabétisation et floraison des arts dans la cité des doges permirent ces avancées, ce succès. Songeons que Dürer, qui grava le portrait d’Erasme, vint à pied d’Innsbruck, dès 1494, pour y découvrir Bellini.

Notre Aldo, dit le Romain, étudia dans Ferrare, pour y briller avec Pic de la Mirandole, théoricien du libre-arbitre, avec Ange Politien, poète de la Fable d’Orphée, avec des collectionneurs, avant d’assoir sa réputation. Les éditions aldines furent remarquées pour leur format in octavo, peu coûteuses, ancêtres de nos livres de poche. Une fois de plus une révolution intellectuelle ne va pas sans une révolution économique. Aristote en cinq volumes, Lucrèce et Ovide, la Divine comédie de Dante, chaque ouvrage était tiré à mille exemplaires ! Certes, la corporation des copistes se plaignit de cette concurrence, comme lorsque toute nouveauté bouleverse le marché.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tant Aldo Manuzio étendait la réputation de son talent, tant on lui envoyait des manuscrits pour qu’il les imprime avec son soin coutumier : Platon, Plutarque, Aristote, Sophocle, le Talmud en hébreu, Virgile, Bembo… Mais c’est avec Erasme[1] qu’il rencontra son meilleur complice, convaincus tous les deux de la nécessité intellectuelle et morale de la langue grecque et de ses auteurs. L’imprimeur, parmi son « Académie aldine », parmi son atelier « presque capitaliste », bruissant d’une trentaine de collaborateurs, publia d’abord la traduction d’Euripide de « l’humaniste critique et tolérant », avant de contribuer à la fortune de ses Adages.

Probablement le chef-d’œuvre d’Aldo Manuzio est-il l’Hypnerotomachia Poliphili, ou Songe de Poliphile[2], ce prestigieux incunable publié en 1499, vase récit allégorique de Francisco Colonna qui conte en cinq mystères le chemin de l’amour entre Poliphile et Polia. Le texte, en un italien polyglotte et complexe, décrit des châteaux, des jardins et des ruines somptueux, sert avec une grande subtilité néoplatonicienne cet « amour en songe », puis son dialogue, dans le cadre du « culte de l’antiquité et de l’Eros comme maître es arts de l’univers ». Typographie, mise en page, les cent soixante-douze gravures (longtemps attribuées à Giovanni Bellini, puis à Benedetto Bordone), les hiéroglyphes, tout concourt à l’élégance, à la perfection. De plus c’est là que l’on vit naître l’ancre aldine, symbole de l’imprimeur devenu mythique…

Hélas, Aldo Manuzio dut en 1508 fuir Venise, menacée par la Ligue de Cambrai. L’ « humaniste vagabond » y revint en 1513, pour imprimer encore et encore, non sans avoir inventé le principe de l’index et ajouté de précieuses préfaces de sa propre main. En 1515, « le cercueil de l’imprimeur fut entouré en guise de trophées par des livres de son atelier ». Au-delà de ce précurseur génial, Verena von der Heyden-Rinsch n’omet pas d’évoquer ses descendants, moins talentueux, et surtout ses héritiers spirituels : Plantin et Grolier en France, Froben à Bâle, sans compter les bibliothèques européennes qui s’enrichirent de ses volumes devenus légendaires. Au point que ses petits formats aient été glissés par Thomas More dans la poche de son héros et narrateur, Raphaël Hythlodée, parmi les pages de son Utopie[3]

Avide des éditions aldines entre tous, un humaniste incroyable mérite notre attention. L’existence du parisien Guillaume Budé, entre 1467 et 1540, lui permit de devenir le phare de la première Renaissance française et de la politique culturelle du royaume. La dimension encyclopédique de ses travaux est stupéfiante : fine connaissance de la langue grecque ancienne et de sa lexicologie, vénerie, mathématiques, philologie du Digeste (une somme du droit romain), patristique, rhétorique, érudition numismatique, histoire économique, pédagogie... Soit un regard au plus large des civilisations antiques. Il fut non seulement l’un des fondateurs du Collège de France, encore actif de nos jours, mais éditeur de la première société française d’édition des Belles Lettres. Deux érudits d’aujourd’hui, Romain Menini et Luigi-Alberto Sanchi, qui rivalisent de notes et de bibliographie, sans omettre un « tableau chronologique des œuvres » du maître du XVI° siècle, brossent le portrait intellectuel de l’érudit originel de l’humanisme en France, quoique son importance considérable rayonnât bien au-delà, puisqu’Erasme lui rendit hommage, puisqu’il était l’ami de Thomas More et de Rabelais. N’omettons pas que ses mérites furent reconnus par François Ier, qui l’invita à l’accompagner à l’occasion du Camp du Drap d’Or, en 1520.

Qu’est-ce que « l’encyclopédie budéenne » ? S’il traduisit également Plutarque en latin (une travail de titan),  elle est surtout composée de trois volumes : Annotationes in Pandecta, soit des études juridiques, De Asse, traité des monnaies et des mesures anciennes, Commentarii linguae graecae. Ces derniers, dont il n’est guère besoin de traduire l’évident titre, s’attachent à restituer le texte en le débarrassant des gloses accumulées par la tradition médiévale. Pour lui le lexique grec est « corne d’abondance », ce dont témoigne par ailleurs l’étymologie de la langue française. Il dépoussière ainsi l’éloquence de Démosthène, s’intéresse à la dimension fondatrice du droit romain, s’interroge pour décider si Platon est « un inadmissible païen ou un sage préchrétien », ce qui nous semble toutefois dans les deux cas plus que spécieux. L’on n’est pas étonné que sa foi chrétienne l’entraîne également à lire et établir les textes des Pères de l’Eglise, en particulier les Pères cappadociens, « figures tutélaires », ce au service de la « philologie de l’ascèse » ; et surtout le Pseudo-Denys l’Aréopagite. Ce dernier lui sert longtemps de référence, tel qu’il réunissait « dans la langue hautement novatrice de sa théologie négative (il avait lu Proclus), le néoplatonisme tardif et la mystique chrétienne ». Mais l’on peut compter également ses dissertations philosophiques, telles Du mépris des choses fortuites et De l’institution du Prince, que l’on aimerait lire, peut-être pour le joindre à celui, ultérieur, de Machiavel. L’essai de Romain Menini et Luigi-Alberto Sanchi a le mérite de redonner toute sa stature à celui qui compila tant de merveilles, quoiqu’il écrivît en un néo-latin délicat qui le rend peu accessible.

Peint par François Clouet, le portrait hiératique de « l’inventeur de la monographie savante », qui illustre bellement la couverture, ne lui fait pas un faciès très engageant : lèvres étroites et pincées, austérité vestimentaire. Mais son regard, concentré sur la pensée, reste intrigant. Il n’avait qu’une « maîtresse » : la philologie – qui n’était guère la fille d’Eros. Est-il un brin mélancolique en pensant aux œuvres perdues de l’Antiquité, comme la partie sur la comédie de la Poétique d’Aristote…

Quelle preuve donner de l’importance de Guillaume Budé ? Sinon qu’aux éditions des Belles Lettres, depuis bien des décennies, les « Budés » sont des références en termes de publications des classiques antiques, de surcroît bilingues…

Un autre versant de la quête humaniste s’est tourné vers Byzance. D’une part la chute de Constantinople en 1543 a entraîné la fuite de nombreux érudits emportant des manuscrits vers l’Occident et en particulier la Venise d’Aldo Manuzio. D’autre part au cours des XVIe et XVIIe siècles, la recherche de la Grèce antique pousse de nombreux et aventureux savants à voyager vers l’Orient. Ils ont soif de compléter leurs connaissances et d’abonder leurs bibliothèques en  manuscrits. Mais en collationnant les auteurs anciens, c’est par rebond et sérendipité que les chercheurs en viennent à s’intéresser aux « études byzantines », soit l’étude de la langue, de l’histoire, de l’art et de la civilisation de l’Empire romain d’Orient qui bénéficia de douze siècles de prestige, entre 330 et 1453. C’est à cet univers que s’attache Anne-Marie Cheny dans Le Cercle des byzantinistes.

Pour reprendre le sous-titre – « Comment bibliothécaires, savants et voyageurs inventèrent Byzance » – l’on comprend bien qu’il s’agit autant d’une découverte que de la constitution d’un corpus. Tous ces religieux, diplomates, marchands, érudits, libertins, capitaines de navires, sillonnent l’Empire ottoman pour débusquer des manuscrits grecs. Mais, ô ironie du sort, leur méconnaissance du grec antique leur permet de se fourvoyer et de recueillir des textes grecs médiévaux. Alors qu’ils rêvaient de la bonne fortune de la Grèce classique, ils ont, dans leur heureuse maladresse, ramené le Moyen Âge grec et la civilisation byzantine, dont on ne sait guère ce qu’ils seraient devenus sans eux, étant donné la brutalité ottomane et le peu de goût de l’Islam pour la chrétienté et la culture européenne.

Claude Dupuy, un lettré parisien, Johannes Löwenklau, qui édite « pour ne pas mener ici-bas une sotte vie routinière et inutile », tous ils préservent Chrysostome, Justinien, Léon, parmi « les vingt-sept tomes de la Byzantine du Louvre en grand papier ». Chrysoloras, Chalcondyle et Lascaris, professeurs de grec en Occident, Ogier Ghislain de Busbecq, un ambassadeur voyageur, Hieronymus Wolf, philologue irascible, qui trouve en Anton Fugger un banquier mécène, tous contribuennt à cette fête de l’érudition. L’on découvre Lukas Holste, un bibliothécaire du Vatican au service du Pape, et des « petits géographes grecs », puis La Popelinière qui, entre autres, traita des « Historiens des Grecs  Chrestiens et Byzantins ». Et surtout « un historien de Byzance qui ne souhaitait pas l’être », c’est-à-dire Montesquieu. Le tout dans le cadre de la République des Lettres et de son réseau épistolaire[4].

Ainsi découvre-t-on les « bibliothèques byzantines » de la capitale ottomane, qui en 1565, conservent encore, malgré le vandalisme, de nombreux textes grecs, comme celle de Michel Cantacuzène riche de classiques et autres théologiques. Et celle du fameux érudit aixois Peiresc (1580-1637), en particuliers ses « précieux papiers ». Il fit en effet venir « l’ivoire Barberini » représentant probablement l’empereur Constantin à cheval et fit acheter à Chypre un volume venu de la bibliothèque impériale de Constantinople, soit une Encyclopédie compilée au X° siècle. Alors que le philosophe des Lumières Condorcet poursuit cette quête intellectuelle, l’épopée trouve sa reconnaissance officielle avec la création d’une chaire d’Histoire byzantine à la parisienne Sorbonne, en 1899, par les soins de Charles Diehl. Ce qui montre que l’humanisme trouve sa continuité – et bien entendu son renouvellement – dans le mouvement des Lumières, dont par ailleurs l’inflexion vers le libéralisme et la philosophie politique n’est plus à démontrer.

Une fois de plus les éditions des Belles Lettres savent joindre l’utile et l’agréable, tant ce byzantiniste ouvrage savant et néanmoins accessible s’agrémente d’illustrations documentaires ainsi que d’un vert lumineux pour emplir les pages des têtes de chapitres et les caractères des sous-titres et citations. Manuscrits, imprimés, enluminures, gravures et portraits pullulent quand la couverture est d’une ékégante beauté.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si l’on cherche le plus ancien livre pour enfants, il faut remonter au milieu du XVII° siècle, soit 1658. Il ne s’agit pas d’une bande dessinée humoristique, avec quelque Bécassine ou Babar, mais d’un volume autrement sérieux : Image du monde sensible. Un humaniste, nommé Iohannes Amos Comenius, plus exactement Komensky (né en 1592 en Moravie et mort à Amsterdam en 1670) conçut un ouvrage à vocation pédagogique au service de la formation de jeunes gens bientôt capables d’user de la langue latine. Précédé par une « Invitation », puis par l’alphabet, l’on va, de manière bien ordonnée, de « Dieu » au « Jugement dernier », en passant par « toutes les choses fondamentales du monde et des actions de la vie ». Par exemple « les insectes rampants », « la librairie », « l’armée et le combat », sans oublier les allégories comme la « Prudence », la « Justice » ou l’« Ethique »…

Les garnements du siècle de Louis XIV apprirent ainsi la langue de Cicéron. Mais n’est-ce pas pour nous l’occasion de raviver nos minces talents de latinistes ? Ecoutons Comenius en sa préface : « L’instruction est le moyen d’expulser la grossièreté ». De surcroit, « les enfants intelligents ne considéreront pas la fréquentation de l’école comme un supplice, mais comme un mets délicat ».

Loin de n’être qu’un sévère opus didactique, cette Image du monde sensible est ornée à chaque page de gravures, un brin naïves certes, mais explicites, fouillées et pittoresques, dont chaque motif est numéroté, de façon à faire correspondre l’image et le mot latin afférant, au moyen d’un petit texte explicatif. Ce volume, dont il s’agit de la première édition française (bilingue donc), est ici orné d’une noire couverture illustrée aux lettrages blancs et rouge vif, soit parmi les plus curieuses et élégantes publications des Belles Lettres, fidèles à leur vocation de ranimer les beautés de la culture antique et humaniste.

Reste à jeter plus qu’un coup d’œil à une précieuse anthologie intitulée Bibliothèque humaniste idéale[5]. Car, depuis toute l'Europe, les Humanistes ont initié les valeurs qui sont encore les nôtres : la connaissance et la paix au premier chef. Ce volume conte l'histoire de ce grand mouvement intellectuel né dans l'Italie du XIVe siècle avec des textes aussi fameux que le Discours de la dignité de l'homme de Pic de la Mirandole, l'Éloge de la folie d'Érasme ou le truculent Gargantua de Rabelais, agrémentés de quelques perles aussi rares qu'inattendues, telles que les Facéties obscènes en latin élégant du Pogge[6] ou encore L'Art d'élever des poules en période de guerre civile de Le Choyselat, au titre rare si délicieusement ironique.

Certes, il y eut des humanistes avant Erasme et Aldo Manuzio ; ne serait-ce que le poète et épistolier Pétrarque au XIV° siècle. Mais la rencontre inouïe de l’auteur des Adages et d’un imprimeur prolixe, tous deux animés d’un même amour pour les auteurs grecs et latins, fait de ce tournant du XVI° siècle, à Venise, un moment phare des humanités antiques retrouvées. Ce qui est en cohérence avec un intérêt nouveau pour l’homme considéré comme fin, en dépit de la théologie qui prend Dieu pour centre : « Homme je suis, rien d’humain ne m’est étranger[7] ». Montaigne choisit cette citation du romain Térence pour la faire figurer sur l’une des poutres de sa librairie, la plus proche de son écritoire. Nous n’oublierons pas que l’humanisme est aussi celui d’une conscience politique et philosophique, telle celle d’Erasme, tenant du libre-arbitre et d’une démocratie inspirée de la Grèce antique ; au-delà de laquelle de grands textes, comme le Discours de la Servitude volontaire de La Boétie[8] et l’Areopagitica Pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure de Thomas More[9] viendront ouvrir les voies du libéralisme classique et des Lumières.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Coménius fut publiée dans

Le Matricule des anges, février 2025


[2]  Francisco Colonna : Discours du songe de Poliphile, Les Fermiers généraux (avec les bois gravés par Jean Goujon et Jean Cousin) 1956.

[5] Bibliothèque humaniste idéale, Les Belles Lettres, 1018.

[7] Térence : L’Héautontimoruménos, I, 1, 77, Comédies, Garnier, sans date, p 194.

[8] Etienne de La Boétie : Discours de la Servitude volontaire, Tel Gallimard, 2016.

[9] Thomas More : Areopagitica Pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure, Aubier, 1956.

 

Catedral de Salamanca, Castilla y León.

Photo : T. Guinhut.

 

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9 février 2025 7 09 /02 /février /2025 17:02

 

Parador Palacio ducal de Lerma, Burgos, Castilla y León.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Les espaces oniriques et réalistes

d’Haruki Murakami :

La Cité aux murs incertains,

L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage,

Galette au miel & 1Q84.

 

 

Haruki Murakami : La Cité aux murs incertains,

traduit du japonais par Hélène Morita, Belfond, 2025, 560 p, 25 €.

 

Haruki Murakami : L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage,

traduit par Hélène Morita, Belfond, 2024, 370 p, 23 €.

 

Haruki Murakami : Galette au miel, traduit par Corine Atlan, Belfond, 104 p, 19 €.

 

Haruki Murakami : 1Q84,

traduit du japonais par Hélène Morita, Belfond, 2012,

coffret trois volumes, 1590 p, 69 €.

 

 

Espaces oniriques et espaces réalistes confluent dans l’œuvre d’Haruki Murakami. Non sans qu’une secrète porosité les confonde dans une dimension troublante. Avec l’impatience du lecteur enivré, l’on attend l’opus dernier de l’écrivain japonais, pour qu’un mystérieux enchantement nous séduise longtemps, avec une rémanence sans pareille. Malgré l’apparente fadeur des personnages qui nous ressemblent en un dénominateur commun de la banalité, ces derniers se découvrent finalement très expressifs et relevant d’une moderne condition humaine, entre inquiétude et sérénité, entre vacuité et œuvre d’art. Parfois ses romans entretiennent entre eux un système d’échos. À cet égard cette ample et récente Cité aux murs incertains rappelle en ses champs de licornes La Fin des temps, publié quarante ans plus tôt. Ne serait-ce qu’à cause de cela, il faut bien avouer toutefois que nous sommes un peu déçus. Cependant, même si l’originalité semble se dégonfler, et malgré des longueurs étirées, l’ample beauté de la conception et de la mélancolie s’y déploie. Fort heureusement l’opportune réédition de L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage vient nous réconforter, tandis qu’un plus mince récit, enfantinement intitulé Galette au miel, se propose de nous ravir. Avant de revenir à 1Q84, triptyque au service d’un roman-monde, mais aussi d’un roman-bibliothèque, ce dernier mot étant récurrent dans l’univers murakamien.

La narration par chapitres alternés, selon les personnages, les temps ou les espaces, est une technique romanesque souvent fructueuse. Haruki Murakami, en sa Cité aux murs incertains n’échappe pas à ce mode de construction. Entre rêve et réalité, entre identité questionnée voire menacée de disparition et mélancoliques amours, entre quotidien qu’éclaire une jeune fille et licornes moribondes, l’immense roman déploie une sorte d’autoportrait kaléidoscopique de l’écrivain.

Même si la volupté de la réitération continue est partie intégrante du plaisir de la lecture, et notoirement de son auteur favori, comme elle peut l’être pour les aficionados d’Haruki Murakami, l’impression d’une originalité perdue, d’un art de la variation en déshérence, reste prégnante, comme un arrière-goût d’un marmonnement monotone des thématiques préférées de notre auteur, malgré de loin en loin de forts beaux paragraphes. Il faut croire que la lenteur, le tempo immuable et répétitif, à la façon de la musique minimaliste américaine, au long cours des 548 pages de La Cité aux murs incertains fait partie de l’enchantement hypnotique, ou de l’ennui, selon…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La plupart des narrateurs des romans d’Haruki Murakami sont des jeunes hommes ou sur la voie d’une maturité désabusée, célibataires, solitaires. Cette fois, le protagoniste est un adolescent de 17 ans, amoureux d’une fille de son âge, dont « le cœur est gelé ». La romance est fort peu érotique tant elle garde ses distances, tant la chasteté côtoie une sensualité frappée d’incapacité. En effet, prétend-elle, son « vrai moi » existe dans une cité gardée de hauts murs. Soudainement, après une relation épistolaire aporétique, elle disparaît, sans que notre personnage ne la revoie jamais. Pourtant, tout au long de son âge adulte, elle ne cesse d’occuper sa pensée au point que cela l’empêche d’avancer dans sa propre vie. Aussi le récit parallèle, réminiscence des dires de la jeune fille ou fantasme autistique, nous présente ce même garçon reçu dans la cité qu’il avait imaginée conjointement avec la fille de son cœur. Hélas, pour pénétrer dans cette ville entourée d’un mur infranchissable, de surcroit gouvernée par un gardien impénétrable, effrayant, une loi immuable s’impose : l’on est contraint d’être séparé de son ombre, et d’être employé dans la bibliothèque aux cranes de licornes pour y lire les rêves qu’ils contiennent. Bien entendu, son assistante est la jeune fille de son adolescence, alors qu’elle parait ne pas être soumise aux atteintes du temps, alors qu’elle ne se souvient absolument pas de l’avoir connu. Bien plus tard, notre personnage, revenu dans le monde de la réalité quotidienne, rencontre un garçon qu’il appelle « Yellow Submarine » et dont « l’esprit n’est pas connecté à la réalité de ce monde ». Celui-ci ne désire rien d’autre que « se rendre dans la Cité ceinte de hauts murs et devenir l’un de ses habitants » ». En quelque sorte le double du narrateur. Ou le double de nombre de jeunes gens japonais repliés sur le vide d’eux-mêmes.

Il choisit enfin de s’isoler dans une petite ville de montagne, où une femme d’une trentaine d’année « s’enveloppe étroitement dans des sous-vêtements spéciaux [et] ne peut accepter de relations sexuelles ». À ce point, l’irrationnel, à la fois craint et désiré, viendra-t-il le saisir ? Au bout, « une obscurité infiniment douce…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette cité, ces cranes et ses rêves comateux ne sont-ils que l’image de l’inconscient du narrateur, de son incapacité sexuelle, ou de l’incapacité de l’écrivain à franchir les portes du rêve, comme le fit Gérard de Nerval dans Aurélia… En cette Cité aux murs incertains, un monde, certes impressionnant et imaginé de manière originale, mêùe si réitéré, nous apparait comme rétréci, rétrograde et finalement mortifère. Ces licornes, dépourvues de toute la symbolique érotique sise en l’occidentale tapisserie de La Dame à la licorne, n’existent que pour mourir dans un hiver qui verra l’enfouissement de leurs cadavres. Bien que leurs propriétaires originels puissent leur rendre visite et converser avec elles, les ombres détachées de leurs corps dépérissent peu à peu pour rejoindre le destin fatal des licornes. Hélas les individus n’ont aucune individualité et sont dévolus à dans une bibliothèque sans livre. Les crânes n’ont d’autre utilité passagère que d’être examinés afin de lire des rêves dont nous ne saurons rien. Sauf à l’occasion d’un cauchemar – une guerre sanglante où l’on veut « tuer leur conscience » – dont fait état notre personnage et qui leur est peut-être lié.  En conséquence rien n’affleure d’une quelconque interprétation des rêves, comme crurent bien laborieusement et pauvrement la réaliser des oniristes comme le Grec Artémidore de Daldis et le Viennois Sigmund Freud. De surcroit une telle existence et une cité sans innovation ni croissance, avec une économie fondée sur le troc, est évidemment rétrograde et régressive. L’antimonde étroit est en fait cauchemardesque et stérile, comme « au fond du lac agit un profond vortex qui entraîne tout dans ses gouffres sombres ».

À moins qu’il s’agisse d’une crise de mièvrerie de notre romancier, qui risque de susciter l’ennui du lecteur, à force de cultiver une romance fatiguée pour lectrices anorexiques. Entre des dialogues interminables du narrateur avec ses fantômes et la méticulosité de l’écriture qui ne s’embarrasse pas de vocabulaire sophistiqué et le manque récurrent de concision, le volume risque par moment de rester seul ouvert sur les genoux du lecteur ; et c’est ce sur quoi une bonne partie de la presse a insisté pour dénoncer « l’ennui ». Injustice caractérisée ? La beauté de la construction, l’étrangeté de l’imaginaire, la concrétion d’une condition humaine écartelée entre banalité de l’existence et miroir onirique grisâtre, sont pourtant les gages d’une réussite qui mérite d’être goûtée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il est à craindre que cet Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage soit le personnage d’un roman incolore. Cependant c’est loin d’être le cas. La particularité de cet opus est d’être un roman strictement réaliste, qui tranche étonnamment avec les récits fantastiques qui ont fait la renommée de notre romancier.

La clef du titre se trouve parmi les premières pages : « A considérer l'ensemble de leur vie, on pouvait affirmer que ces cinq amis avaient bien plus de points communs que de différences. Pourtant, le hasard faisait que Tsukuru Tazaki se distinguait légèrement sur un point : son patronyme ne comportait pas de couleur. Les deux garçons s'appelaient Akamatsu – pin rouge –, Ômi  – mer bleue –, et les deux filles, respectivement Shirane  – racine blanche  – et Kurono  – champ noir. Mais le nom de « Tazaki » n'avait strictement aucun rapport avec une couleur. D’emblée, Tsukuru avait éprouvé à cet égard une curieuse sensation de mise à l'index. Bien entendu, que le nom d’une personne contienne une couleur ou non ne disait rien de son caractère. Tsukuru le savait bien. Néanmoins, il regrettait qu'il en soit ainsi pour lui. Et, à son propre étonnement, il était plutôt blessé. D'autant que les autres, naturellement, s’étaient mis à s'appeler par leur couleur. Rouge. Bleu. Blanche. Noire. Lui seul demeurait simplement « Tsukuru ». Combien de fois avait-il sérieusement pensé que ç’aurait été bien mieux si son patronyme avait eu une couleur ! Alors, tout aurait été parfait ».

Car sans qu’il sache pourquoi, Tsukuru Tazaki se voit ignoré par ses quatre amis, ceci brisant l’euphorie des années universitaires. Solitaire, il se sent glisser vers la mort à laquelle il pense presqu’exclusivement pendant un an, morbidité qui est celle de l’absence d’amitié : « Vivre m’ennuie », dit-il. Conformément à son nom qui signifie « celui qui construit », il ne lui reste plus qu’à suivre sa vocation d’architecte et dessinateur de gares. Seize ans après ce paradis perdu, il rencontre Sara, trentenaire elle aussi, pour faire l’amour, quoiqu’elle le sente passablement hors d’atteinte dans son inframonde. Puis vient l’évocation d’un musicien dans un village de montagne. Autre clef en effet, Les années de pèlerinage du compositeur romantique Franz Liszt, jouées par un ami du père d’Haida (un nouvel ami de Tsukuru) nommé Midorikawa, pianiste émouvant, dont le talent « permet parfois de donner naissance à des choses qui témoignent d’un magnifique bond spirituel ». Ce qui lui rappelle le piano de Blanche.

C’est ainsi qu’en ne sachant « pas grand-chose de l’univers », Tsukuru Tazaki entame son pèlerinage entre la japonaise ville de  Nagoya et la Finlande. L’indétrônable nostalgie et l’incitation de Sara le poussent à se confronter au passé, pour essayer de comprendre comment et pourquoi l’amical quintette s’est brisé. Attentive, dévouée, elle parvient à localiser les membres du groupe initial, prépare le voyage de Tsukuru, à Nagoya, et jusqu'en Finlande où réside Eri Kurono, soit « Prairie noire ». Les ténébreuses raisons de l’incompréhensible rejet qui hante notre personnage finiront par être dévoilées. En particulier la fausse accusation de viol portée à son encontre par Blanche, à cause de sa jalousie, « psychologiquement dérangée », enceinte et plus tard étranglée. « Prairie noire » est la révélatrice de cet affreux passé, alors qu’elle a fondé une nouvelle vie en se mariant avec un Finlandais, en concevant deux enfants, ainsi que des céramiques d’art…

Ainsi Tsukuru Tazaki pourra-t-il panser les plaies du cercle d’amitié brisée, voire envisager un nouvel avenir, s’épanouir en couleurs avec Sara, qui sait...

À peine teinté de rares ombres fantastiques, le récit garde un soin classique et réaliste. Quête initiatique, ce roman n’est plus aussi incolore qu’annoncé. Quête de la vérité, quête de soi, compréhension du passé, rebond d’une destinée, il y a là quelque chose du roman philosophique. Et toujours empreint de la couleur de la mélancolie…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notre cher romancier pratique également parfois de plus brefs récits, où la concision est gagnante. Ainsi Galette au miel qui fait de loin songer au conte de Boucle d’or et les trois ours. Mais nous sommes au Japon, où le séisme de Kobé a marqué les corps et les esprits. En particulier une petite fille de quatre ans, réveillée toutes les nuits par ce cauchemar qu’elle appelle le « Bonhomme Tremblement de Terre ». Seul Junpei, un auteur de nouvelles, qui est amoureux en secret de sa mère, saura imaginer une histoire dans laquelle un ours amateur de musique et de galette au miel – qu’il vendra aux humains – peut apaiser les peurs et les peines. C’est une belle histoire d’amour, sentimentale, sexuelle, également paternelle, une histoire sur le pouvoir cathartique des histoires, à la fois une mise en abyme et un hymne à la tendresse. Car il s’agit peut-être du devoir de l’écrivain : « veiller sur ces deux femmes. Quelque-soit celui qui veut leur faire du mal, je ne les laisserai pas les enfermer dans ces absurdes boites ».

Très joliment illustré par Kat Menschik, ce conte rejoint dans le même format L’Etrange bibliothèque – également décoré par l’artiste berlinoise – dans laquelle un banal garçon pénètre dans une aussi banale bibliothèque municipale pour se documenter sur la fiscalité dans le royaume ottoman. Mais « au-delà de la grande porte, c'était aussi sombre que si l'on avait creusé un trou dans l'espace cosmique » ! Rien d’étonnant à ce que l’étrangeté du labyrinthe y amène un « homme-mouton », personnage récurrent dans le défilé romanesque d’Haruki Muralami, et un « gardien des livres » aux pouvoirs effrayants. Rassurons-nous, c’est une muette jeune fille qui lui permettra de se libérer de cette prison et de ses sortilèges délétères. Un récit prenant, quoiqu’une fois encore l’on aimerait bien en savoir plus sur les livres et leurs contenus, dont il faudrait inventer l’étrangeté…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rappelons-nous l’un des plus ambitieux opus d’Haruki Murakami : 1Q84. Le double espace-temps qui est un fil conducteur des romans de notre cher Japonais se situe cette fois entre l'année 1984 et l’univers hypnotique de 1Q84. Là, deux personnages, Tengo et Aomamé, liés par un pacte secret, voient leurs destinées se nouer à la jointure de deux mondes, de deux époques... L’on devine que le fantastique est tourbillonnant, que le thriller saura qui sait s’embraser en roman d'amour.

Une enseignante en arts martiaux, Aomame, 29 ans, affecte un ascétique célibat, tout en se livrant, à l’occasion  des commandes d'une charmante, riche et philanthrope vieille dame, à des meurtres parfaitement professionnels. Comment accepter une telle monstruosité ? Tout simplement parce ses victimes sont des sommets du Mal, des pervers absolus qui se sont plu à détruire la vie de leurs épouses.

Sur l’autre rive, un trentenaire ours solitaire – même s’il fréquente une femme mariée – Tengo, est un professeur charismatique de mathématiques, alors que la nuit il se veut écrivain. À son corps défendant, son éditeur lui confie la réécriture du roman d'une énigmatique adolescente de 17 ans, Fukaeri, géniale dyslexique. Le texte, étrange et maladroit, est censé devenir la parfaite Chrysalide de l'air. Le lecteur attend bien sûr l’improbable rencontre d’Aomane et Tengo, qui cependant n’aura pas lieu au cours du premier tome du triptyque. C’est enfin sur la surface du monde de 1Q84 que leur amour se dessine…

Le double univers aux multiples ramifications présente une galerie de personnages sans cesse curieux, voire mystiques : Tamaru, un garde du corps homosexuel, Ayumi une jeune policière en manque d'amitié, un berger Allemand fort gourmand d’épinards… Sans oublier les « Little People », dont la « voix » passe par l'intermédiaire du gourou de la secte des « Précurseurs ». Lorsqu’ils entrent dans la pensée sans que l’on n'en ait conscience, ils sont en quelque sorte un avatar du « Big Brother » d’Orwell.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Là encore les allusions musicales prolifèrent, en particulier avec Jean-Sébastien Bach. Mais aussi littéraires, puisque certains personnages lisent Proust ou Dickens. Cependant Tengo lit également un récit intitulé La Ville des chats, qu’il prétend être la métaphore de son destin et qui se révèle purement imaginaire. Le roman-monde se double d’un roman-bibliothèque.

Discrète science-fiction, uchronie probable, alors que les mystérieux « Little People » ont par instant quelque chose de la fantasy. Sous les deux lunes de la nuit, l’on reste toutefois un peu sceptique face à ce qui constitue des allusions au 1984 de George Orwell. Or la morale est explicite : « L'Histoire nous enseigne que, au fond, nous sommes les mêmes, autrefois comme aujourd'hui. Même si nos vêtements ou nos modes de vie ont beaucoup changé, nos pensées et nos actes ne sont pas très différents. L'être humain, finalement, n'est qu'un simple véhicule, ou un vecteur, pour les gènes. Nous sommes leurs montures tout au long de leur voyage, de génération en génération, exactement comme des chevaux que l'on remplace lorsqu'ils vont mourir. Et les gènes n'ont aucune notion de ce qui est bien ou de ce qui est mal. Ni la moindre idée de ce que nous éprouvons. Ils ignorent si nous sommes heureux ou malheureux. Nous ne sommes pour eux qu'un moyen. Leur priorité, c'est d'obtenir pour eux-mêmes le meilleur rendement. »

Lentement poétique, la narration contenue dans son impressionnant triptyque offre d’émoustillantes parades sexuelles et sentimentales. Malgré le peu d’action, les digressions, longueurs et redites, l’on se laisse embarquer dans le vaisseau attentivement construit. Le roman-fleuve emporte au bout de ses trois tomes des diatribes contre le fondamentalisme, la violence faite aux femmes, jusqu’à interroger la perversité de la création littéraire. Non sans poser la question du droit individuel à l’exercice de la justice. Là encore, Huraki Murakami frôle la dimension du roman philosophique.

C’est tout l’art d’Haruki Murakami que d’associer un confort de lecture particulièrement aisé avec les mystères et les béances de la personnalité, de la grise lumière du jour nippon jusqu’aux ténèbres du fantastique. Un brin kafkaïen (n’a-t-il pas écrit Kafka sur le rivage ?), il ne néglige ni les nouvelles, comme L’Etrange bibliothèque, ni les vastes massifs romanesques, comme la trilogie de 1Q84. Un opus, en deux volets, du romancier japonais emprunte son titre, non plus à George Orwell, mais à Mozart : Le Meurtre du Commandeur. Œuvres dans lesquelles les résonances musicales s’associent aux résonances picturales et littéraires pour former un art poétique. Peut-être cependant faut-il compter La Cité aux murs incertains comme un crépuscule de l’écrivain né en 1949, qui aurait enfermé son œuvre dans le souvenir d’une jeune fille disparue depuis longtemps et conservée dans le crâne aux rêves illisibles d’une licorne. À moins que cette déperdition finalement dépressive et suicidaire fasse partie de la rémanence de son charme mélancolique, voire testamentaire.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

Parador Palacio ducal de Lerma, Burgos, Castilla y Leon.

Photo : T. Guinhut.

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31 janvier 2025 5 31 /01 /janvier /2025 14:52

 

Biblioteca del Monasterio San Lorenzo del Escorial, Madrid.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Eloge du fol Erasme,

père des Adages & des Colloques.

 

 

Erasme : Eloge de la folie, traduit du latin par Jean-Christophe Saladin,

Les Belles Lettres, 2018, 228 p, 75 €.

 

Erasme : Adages, traductions du grec & du latin, et édition dirigée par Jean-Christophe Saladin,

Les Belles Lettres, 2013, coffret de cinq volumes, 5592 p, 199 € pour l’Editio minor.

 

Erasme : Colloques, traduit du latin par Olivier Sers et Danielle Sonnier,

Les Belles Lettres, 2025, 1372 p, 79 €.

 

 

Peut-on concevoir une bibliothèque humaniste, donc universelle, sans la présence du fol Erasme ? Dès son enfance, l’un des régents de Deventer lui promit : « Courage, vous arriverez un jour au plus haut faîte de l’érudition ». En effet Érasme de Rotterdam (1469-1536) cultiva très tôt ses talents exceptionnels en usant du latin et du grec avec ferveur. Le « prince des humanistes », tel que le qualifiaient ses contemporains, unissait les prodiges du philologue, du pédagogue et du pamphlétaire, allons jusqu’à dire du fin philosophe. Certes il ne fut pas toujours en odeur de sainteté tant la vigueur de ses critiques contre les abus de l'Église lui valut d'être condamné par l'Index du concile de Trente. Ne disait-on pas qu’« Érasme a pondu les œufs que Luther a couvés[1] » ? Ce qui lui valut la disparition de la plupart de ses œuvres des rayons des libraires pendant une poignée de siècles. Cependant, dès le siècle des Lumières, l’on rééditait et traduisait  l’Eloge de la folie. A fortiori aujourd’hui, si bien que justice lui est entièrement rendue. Car voici les Adages, trésor d’érudition des proverbes savants et populaires venus de l’Antiquité grecque et latine, puis les Colloques, dialogues philosophiques et de mœurs, divertissants et utiles, non seulement pour le public de la Renaissance, mais également pour nous, cinq siècles plus tard. Soit des merveilles d’édition.

Peut-on prendre au sérieux la prosopopée de la Folie et ses bavardages vaniteux, surgis en l'an 1511 ? Peut-on encore lire avec pénétration et volupté de tels joyeux auto-éloges, critiques vigoureuses d'un clergé fou d'orgueil et d'argent, moquant le luxe et les Indulgences vendues par l'Eglise afin de gagner d’illusoires années de Purgatoire ? Sans oublier la morgue des théologiens, « race extraordinairement sourcilleuse et irritable » maniant la « foudre » contre celui qu’ils dénoncent comme hérétique. Parmi les pages gaillardes de l’Eloge de la folie, le lait de l’antiphrase, plutôt que le vinaigre des philosophes scolastiques férus d'Aristote jusqu'au trognon dont il est fait la parodie, permet de goûter une sapience qui écorne tous les orgueils, tous les vices de son temps. Mais aussi, ne nous y trompons pas, du nôtre. Car si la truculente Folie parle, c’est pour que nous entendions la voix de la Raison, de la vertu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme l’affirme la « déclamation » saluant Thomas More – l’auteur de l’Utopie – notre humaniste s’inscrit dans la tradition des satires sociales et autres gaillardises issues non seulement de l’Antiquité, par exemple Lucien et ses éloges paradoxaux de la mouche et de la calvitie, mais aussi du Décaméron de Boccace, du Gargantua de Rabelais ou des Facéties du Pogge. Erasme n’épargne aucune strate de la société : femmes coquettes, vieillards libidineux et « chiennes en chaleur », « fureur des amants », savants grotesques, « fous des rois », soldats matamores, princes gonflés d’hubris, tous fous, tous désastreux, tous moqués, ridiculisés.

La prédication de celui qui publiera les Ecclesiastes se veut en fait rétablir celle du Christ, ce qui est particulièrement sensible à la fin de l’Eloge de la folie, à l’occasion d’une apologie lyrique de l’extase mystique. Cependant, faut-il en croire la déesse de la Folie et son « fatras de mots », lorsqu’elle conclue en s’adressant aux initiés de ses mystères (Moria signifiant la folie en latin) : « Donc, Salut, innombrables mystes de Moria ! Applaudissez, vivez, buvez ! »

Ainsi le maître humaniste répond à la question de la vérité par un paradoxe : la verve déclamatoire de la folie, tout entière fausse, dit le vrai par la pirouette de l’ironie. Voilà qui nous est d’autant plus accessible que cette belle édition bilingue est nantie non seulement des célèbres illustrations des frères Hans et Ambroise Holbein jaillies en 1515, mais aussi de notes inédites : outre tous les commentaires d’Erasme lui-même, ce sont les remarques de Listrius et Myconius ses contemporains. La folie de la collection « Le Miroir des humanistes » si bien nommée aux Belles Lettres, n’est-elle pas ainsi délectable ? Sans vouloir diminuer en rien le mérite d’une édition d’art somptueuse, chez une éditrice sagace[2].

Erasme : Eloge de la Folie, illustré par Dubout, Gibert Jeune, 1951.

Photo : T. Guinhut.

 

« De mémoire d’homme », « Jeter de la poudre aux yeux », « Hâte-toi lentement », « C’est l’intention qui compte »,  « Regarder dans le vide », « Il ne vaut même pas un bout de ficelle », « Aussitôt dit, aussitôt fait » ; combien de ces adages sont encore aujourd’hui sur toutes les lèvres ? Sans savoir un instant d’où ils viennent… Ainsi, auriez-vous imaginé que « Youpi ! », vient du « péan » grec qui est un hymne victorieux, et dont on trouve la trace chez Ovide et Horace ? Ce sont quelques-uns, parmi des milliers, des Adages, venus des auteurs grecs et latins, rassemblés et commentés avec précision, érudition, humour, sagesse et ferveur par le légendaire humaniste Erasme. Qui dut une part de son renom grâce à un grand imprimeur vénitien également humaniste : Aldo Manuzio. En effet, après une édition parisienne en 1500 avec 820 adages, pour atteindre progressivement le chiffre de 4151, en 1536 à Bâle, chez Frobein, ils trouvèrent dans la Sérénissime leur plein achèvement avec pas moins de 3000 exemplaires publiés, tirage impressionnant à l’époque. Nous voici comblés, dans la mesure où il s’agit là de la première édition française (et bilingue) intégrale, où plonger et voyager sans retenue.

Car Erasme de Rotterdam n’est pas seulement l’auteur célébré de l’Eloge de la folie (qu’il rangea avec autodérision parmi les livres « futiles[3] »), cet éloge paradoxal où sauront lire les sages. Ces derniers cultivent des adages aussi vifs que parlants, et souvent bien moqueurs : « De la farine, non des mots ! », « C’est la richesse qui fait l’homme », « Un âne affamé se moque du bâton », « C’est ton propre rêve que je te raconte », « Le vin porte ombrage à la sagesse », « Risquer la peau des autres », « Avoir les mains sous la toge » (pour les oisifs). D’autres sont d’une rabelaisienne verdeur : « Puni pour de la bouse », nous dit Aristophane, « Tussis pro crepitu » ou « Tousser pour péter ». Nous saurons ravis d’apprendre que « Se prendre un doigt d’honneur », « une injure et un mépris suprême » qui « consiste à montrer le doigt du milieu tout en repliant les autres, en guise d’insulte », vient d’Aristophane et de Juvénal. Quant à « L’argent a bonne odeur d’où qu’il vienne », il s’agit d’un mot de l’empereur Vespasien, « qui avait inventé un impôt sur l’urine, en homme honteusement cupide qu’il était ». Ce pourquoi il est nécessaire de « Mordre avec son vote », comme le dit Aristophane dans Les Acharniens. Et comme nos lecteurs seront ravis de le faire, à condition de ne mordre l’un que pour ne pas avaler l’autre…

Guère d’apparence d’ordre en cette somme : ni chronologique, ni par auteur ou par genre originel, à moins de déceler quelques traces d’organisation alphabétique ou thématique. Que ces quatre mille cent cinquante et un adages, ou proverbes et maximes, plus exactement notes de lectures, soient venus du théâtre d’Aristophane et de Plaute, du dialogue philosophique de Lucien ou de Platon (on apprend au passage qu’il existe un « Platon le comique »), des traités d’Aristote et de Cicéron, ou de la poésie d’Homère… Seuls comptent le souci de la variété, de façon à dérider l’ennui et la mélancolie, à stimuler la joie d’apprendre, parmi l’Histoire, la fable, l’ethnologie, la philologie, les sujets moraux et politiques. Brièvement, en un style enlevé (grâce en soit rendue aux traducteurs) il offre des anecdotes, cite dix mille vers, dénonce l’hypocrisie sociale et les perversions de la vie chrétienne, éclaire des controverses et des scandales religieux contemporains, grâce à des parallèles entre paganisme et christianisme, car à partir de 1515 apparaissent des références bibliques. Il s’agit d’une œuvre hybride et ouverte, toujours prête à se multiplier, se gonfler, se disséminer, pour laquelle les index du cinquième tome sont bien précieux. Cependant, au début de chaque centaine ou milliers, de chaque tome, se trouvent des adages d’importance. Au point que leurs commentaires soient de véritables traités (car on ne dit pas encore « essai » avant Montaigne).

L’adage 3001, par exemple, « La guerre parait douce à ceux qui n’en ont pas l’expérience », compte une quinzaine de pages fort abondantes. « Rien n’est plus impie, plus funeste, plus largement destructeur, plus obstinément tenace, plus affreux ni plus complètement indigne de l’homme, pour ne pas parler du chrétien. Or il étonnant de voir aujourd’hui comme on l’engage partout, à la légère, pour n’importe quelle raison, et comme on la fait avec cruauté et barbarie : pas seulement les païens, mais aussi les chrétiens, pas seulement les laïcs, mais aussi les prêtres et les évêques ; pas seulement les jeunes gens sans expérience, mais aussi les vieillards qui en ont fait tant de fois l’expérience ; pas seulement le peuple et la foule mobile par nature, mais en premier lieu les princes, dont le devoir serait de contenir par la sagesse et la raison les mouvements irréfléchis de la sotte multitude. » (tome IV, p 2) Voilà qui reste d’une brûlante actualité, cinq siècles plus après ce sommet d’humanisme politique, digne de côtoyer La Boétie, Montaigne et Thomas More ; voilà qui propose au lecteur maints fils de méditation, sans compter la parfaite somptuosité rhétorique des anaphores, des antithèses et de la période…

Cette édition bilingue, où rien n’est « L’ombre de l’âne » (chose insignifiante), reprenant la dernière de son auteur, en 1536, est autant un trésor de travail des éditeurs et traducteurs, qu’un trésor de divertissement, d’érudition et de sagesse philosophique pour le lecteur. La postface de l’« adagiomaniaque » Jean-Christophe Saladin, « La révolution humaniste », au début du tome V, est aussi claire qu’érudite, non sans humour. Feuillant à loisir ce coffret aux merveilles, voici une ludique manière de renouer avec la culture antique dont Erasme pouvait en son temps avoir connaissance. Il disposait en effet de la plupart des manuscrits médiévaux qui avaient recueilli les auteurs anciens. Quoique l’on estime que 90% des textes aient été perdus, probablement irrémédiablement, méprisés, oubliés, dévastés, brûlés par de trop susceptibles chrétiens puis musulmans… Cela dit, Erasme lui-même, pour avoir osé traduire le Nouveau testament depuis le grec en s’écartant de la Vulgate, ainsi que pour avoir fait la promotions des auteurs païens, fut mis à l’index par la papauté, lors du Concile de Trente en 1559. Ce qui explique qu’après la floraison éditoriale de son siècle, le flux se tarit. Il faut alors remercier Les Belles Lettres de pouvoir nous offrir à vil prix (à moins de préférer l’édition reliée et numérotée à 400 €) cet éléphantesque coffret, autant pour le poids que pour la mémoire…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quant à celui qui ne voudrait pas ouvrir les Adages, sous peine de déciller les yeux de ses préjugés contre les vieilleries savantes, on pourrait lui opposer ce petit dernier : « On persuaderait plus vite un scarabée de changer d’avis », qui vient du Pseudologiste de Lucien…

De la première édition parisienne en 1500 à l'édition de 1536, les Adagia ont connu dix révisions et enrichissements, de 800 à 4151 adages, notamment dans l'atelier d'Alde Manuce en 1508 : c'est cette édition aldine que copia Johann Froben en 1513 et qui lui permit de rencontrer Erasme, et de collaborer avec lui jusqu'à la mort de l'imprimeur en 1527.

Notons d’ailleurs que l’adage 3001 d’Erasme, « Hâte-toi lentement » (tome II), rend hommage à celui qui le choisit pour devise, Aldo Manuzio, francisé en Alde Manuce, son imprimeur vénitien, dont l’emblème s’illustre d’un dauphin enlaçant une ancre : « l’ancre symbolise le temps de la délibération et le dauphin la vitesse de la réalisation » (p 15). L’éloge de l’artisan cultivé est abondant, car il sert ceux « qui aspirent à une érudition vraie et antique, pour la restauration de laquelle cet homme semble né, fait et modelé par le destin même. […] il travaille avec un zèle si fatigable, il n’est aucune tâche qu’il ne refuse pour restaurer notre bagage littéraire intégralement, sans que le texte soit altéré ou corrompu, à l’usage des gens de bien » (p 8). Il « relève la littérature de ses ruines […] il est en train de construire une bibliothèque qui n’a pas de murs, sauf ceux du monde lui-même » (p 9). Notre monde en fait, et pour longtemps espérons-le…

Erasme : Colloques, À l'Enseigne du pot cassé, 1936.

Photo : T. Guinhut.

 

Apparemment moins érudits, mais plus vivants encore, les Colloques sont des dialogues philosophiques et de mœurs, d’abord conçus par Erasme sans intention autre que stimuler ses élèves. Peu à peu ils atteignirent un total de 62 compositions, dépassant le décor des salles de classe pour habiter l’auberge et le carrefour, la chambre de l’accouchée, l’église et le bordel, la halle ou le banquet, soit toute une société discourant dans la lignée des dialogues de Platon, de Lucien,

Tout d’abord, sous des dehors aimables de la conversation à l’adresse des adolescents, ce sont les profondes « Recommandations pédagogiques » et les préceptes de « La Piété de l’enfance » qui sont mis en avant dans les septième et neuvième colloques. Plus loin, en toute logique, « L’Apothéose » enseigne « les honneurs qu’on doit aux hommes d’exception qui ont bien mérité des études libérales ». Ce à quoi répondent « Le Banquet poétique », à la fois festif et studieux et le « Philodoxe » si bien titré.

Toutefois le blâme s’exerce à l’encontre du clergé dans « La Chasse aux bénéfices », à l’encontre de la soldatesque dans « La Confession du soldat ». De même l’alchimie, selon le titre du trente-troisième colloque, et les superstitions, comme dans « Le Fantôme » sont dénoncés en tant que moyens dont usent les escrocs. Il maudit la guerre entre les chrétiens, avec un titre explicite : « Charon » est en effet le passeur des enfers. Il dénigre vigoureusement « La richesse sordide » et « Les Mendiants opulents », affuble un sermonneur ventripotent du sobriquet de « Merdard », flanqué d’un « troupeau d’imbéciles, qui couve de tels bestiaux ».

Quoiqu’à l’époque d’Erasme le divorce soit presqu’impossible, il défend ces dames, stigmatisant dans « La Vierge misogame » (ennemie du mariage), ceux qui attirent captieusement au couvent des garçons et des filles. Dans « « Celle qui se plaint du mariage », ne conseille-t-il pas de corriger les mœurs du mari par l’intelligence et la bonté ? Conseils qui ne devraient pas épargner les maris eux-mêmes. C’est à l’occasion de « L’Adolescent et la putain » que le souci de pudeur et de sollicitude envers celles qui se donnent pour de l’argent est patent. Et si l’on se choque du « nom d’affection » que donne la fille de mauvaise vie à un garçon qu’elle appelle sa « petite quéquette », voici l’adresse de notre humaniste aux pudibonds et autres coincés : « Que celui qu’insupporte ma petite quéquette écrive à ma place ma volupté ou ce qu’il voudra d’autre » !

Toujours, même sous des dehors amusants, voire triviaux, il s’agit de « philosophie éthique ». Autant vaut « apprendre par ce livre, que par l’expérience, maîtresse des cancres », y compris s’il s’agit d’une « Demoiselle érudite ».

Si ces Colloques, dont nous sommes loin d’avoir épuisé les richesses et saveurs piquantes, bénéficièrent de quelques éditions plus ou moins récentes en français, aucune jusque-là n’était bilingue, au latin s’ajoutant quelques mots en grec. De surcroit, tant à l’Imprimerie Nationale qu’au Pot cassé, l’on omettait la finale « Utilité des colloques », soit une douzaine de pages, à la fois déclaration d’intention et résumé. Saluons encore le soin des Belles Lettres à nous proposer de si soigneuses éditions, sans compter qu’en marge les notes indiquent non seulement bien des références, mais également les adages adéquat.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Outre un Essai sur le livre arbitre[4] que Les Belles Lettres pourraient publier de manière là aussi bilingue, une preuve supplémentaire de la dimension humaniste d’Erasme est son essai L’Education du prince chrétien. Ou l’art de gouverner,[5] dont on a dit abusivement qu’il s’agissait d’un anti-Machiavel, car ce dernier, quoique rusé, visait à la vertu. Erasme s’adressait au jeune Charles Quint, auquel il conseillait de gouverner dans l'intérêt de tous et de s'affranchir des désastreuses idéologies de conquête et d'honneur qui n'ont  apporté que ruine européenne. Plutôt que de pratiquer l’art désastreux de la guerre, la Prince doit savoir l’éviter et consacrer toute son énergie aux arts de la paix, ainsi qu’il en fait un plaidoyer dans un essai[6]. Combien, de la Russie à la Chine, de la bande de Gaza aux pays islamistes, nos princes et tyrans d’aujourd’hui devraient méditer de tels préceptes…

Reprenons à cet égard l’incipit de l’« Utilité des colloques » : « La calomnie, compagne des Furies, rôde aujourd’hui à ce point contre tous et partout que nul ne peut publier de livre en sécurité s’il n’est pourvu de gardes du corps, et encore, qui peut être assez en sécurité face à la morsure de sycophantes bouchant, tels l’aspic à la voix du charmeur de serpent, leurs oreilles à toutes sortes de justification, fût-elle la plus fondée ? » Si Erasme au début du XVI° siècle faisait allusion à un clergé ayant pour profession de pourchasser les hérétiques et de mettre leurs œuvres à l’index, voire à quelque prince sourcilleux, il ne pourrait cinq siècles plus tard que reprendre ces mêmes mots à l’égard de maints propagateurs de doxas idéologiques et autres saints homicides commis par une religion conquérante…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Dictionnaire des auteurs, Laffont-Bompiani, 1957, II, p 471.

[2] Erasme : Eloge de la folie, illustré par les peintres de la renaissance du nord, Diane de Selliers, 2018.

[3]  Adage 1001, Tome II, p 11.

[4] Erasme : Essai sur le libre arbitre, Robert et René Chaix, Alger, 1945.

[5] Erasme : L’Education du prince chrétien. Ou l’art de gouverner, Les Belles Lettres, 2016.

[6] Erasme : Plaidoyer pour la paix, Arléa, 2004.

 

Erasme : Adages, Les Belles Lettres. Photo : T. Guinhut.

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26 janvier 2025 7 26 /01 /janvier /2025 15:36

 

Iglesia de San Miguel, Morón de la Frontera, Sevilla, Andalucia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

Vanités de la mort :

corps greffé, fracassé, jusqu’aux danses macabres.

Vincent Wakenheim, Hanif Kureshi,

David Wagner, Franca Maï, Fritz Zorn.

 

 

 

Vincent Wackenheim : Touché, greffé, L’Atelier contemporain, 2024, 104 p, 12 €.

 

David Wagner : En vie, traduit de l’allemand par Isabelle Liber,

Piranha, 2016, 240 p, 18 €.

 

Hanif Kureshi : Fracassé, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Florence Cabaret,

Christian Bourgois, 2025, 306 p, 23 €.

 

Franca Maï : Divino Sacrum, Ovni, 2016, 144 p, 16,90 €.

 

Macabre. Traité illustré de la mort, Cernunnos, 2018, 368 p, 34,95 €.

 

Le Livre et la mort. XIV°-XVIII° siècle, Editions des Cendres,

Bibliothèque Sainte-Geneviève & Bibliothèque Mazarine, 2019, 528 p, 48 €.

 

Vincent Wackenheim : Joseph Kasper Sattler ou la tentation de l’os,

L’Atelier contemporain, 2016, 208 p, 30 €.

 

Vincent Wackenheim : La Mort dans tous ses états.

Modernité et esthétique des danses macabres. 1785-1966,

L’Atelier contemporain, 2025, 934 p, 39 €.

 

 

 

Vanité de la mort… Car elle-même est vanité, tant dès l’embryon nous naissons pour mourir, tant même les os deviennent cendres, les cendres atomes de la terre et de l’air. Nul doute que cette constatation entretienne une inquiétude, une grande peur, à moins que la fiction consolatrice de la résurrection des corps dans un au-delà réparateur nous soutienne. Nul doute encore que la littérature et l’art soient scellés de grands malades, de minces cadavres et de danses macabres. Ainsi Vincent Wakenheim, Hanif Kureshi, David Wagner, Franca Maï, Fritz Zorn contribuent à une fresque inépuisable de récits et de représentations plastiques. Ils sont « touchés, greffés », « en vie », « fracassés », cancérisés, puis vaincus par la « tentation de l’os ». Reste pour les vivants provisoires que nous sommes à célébrer un festival parmi les pages de Macabre. Traité illustré de la mort. Et si le ragoût morbide n’est pas suffisant, ouvrons Le Livre et la mort, qui, allant du XIV° au XVIII° siècle, se voit heureusement complété par La Mort dans tous ses états, entre 1785 et 1966. C’est encore Vincent Wakenheim qui officie en esthète surabondant. Apprenons donc à mourir, quoique l’on n’y apprenne rien, apprenons à explorer l’imaginaire horriblement beau qui dans les beaux livres fait danser et sonner les ossements…

Si nous sommes inévitablement mortels, certains d’entre nous peuvent, grâce aux progrès de la médecine et de la chirurgie, reculer l’âge du trépas. C’est le cas de Vincent Wackenheim (né en 1959), qui dans son récit autobiographique, Touché, greffé, relate sa résurrection, du moins au sens non religieux du terme. Résurrection évidement démentie par l’inéluctable compte à rebours.

Car diagnostiqué d’un cancer hépatique, il lui faut espérer qu’un donneur sain veuille bien mourir, pour lui confier son foie. L’aventure médicale se concentre parmi les salles d’hôpital Paul Brousse, « qui rime avec frousse », où officie à son service une chirurgienne. Pendant dix-sept jours, la solitude, l’« exercice d’humilité », puis la méditation prolifèrent. Qui est le donneur anonyme auquel l’on doit gratitude ? Sinon un « personnage de fiction, un héros de roman ». Au cours de ce voyage dans les aléas de l’existence, « leçon d’anatomie » – non sans rappeler celle de Rembrandt – métaphorique « plomberie » et « cicatrice en L », coexistent avec une bibliothèque mentale, dont Gustave Flaubert et Jean-Sébastien Bach ; peut-être au service d’une « meilleure version de toi-même »… Témoignage précieux et leçon philosophique, le récit au réalisme imparable, et cependant non sans dimension poétique et métaphysique, attise hautement l’intérêt, mais aussi la compassion.

Voici un récit de Vincent Wackenheim, aussi intime que dansant, grâce à la netteté et la pureté de l’écriture ; une gratitude et une leçon de vie : « l’opportunité m’étant ainsi une nouvelle fois donnée, comme une évidence, une manière d’épiphanie, d’apprécier le monde qui est le nôtre, et de rendre grâce ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Journal, d’un autre greffé, peut-être fictif – du moins l’espère-t-on – En vie se présente sous forme de 277 fragments successifs mettant en scène de longs séjours hospitaliers. « Monsieur W », alter ego transparent de David Wagner lui-même (né en 1971), est en effet atteint d’ « hépatite auto-immune chronique agressive ». Son œsophage lui fait vomir du sang, son foie n’est pas loin de l’agonie. Il faudra attendre la seconde moitié du volume, « Incipit vita nova » – allusion plus que transparente à Dante – pour que l’on puisse lui greffer un foie compatible, à l’instar de Vincent Wakenheim. Tout cela repose visiblement sur une documentation scientifique impeccable et cependant jamais pesante.

Loin de se limiter à l’aspect clinique, le fluide récit est aussi celui d’une personnalité embarquée dans un voyage aux frontières de la vie. Le réalisme croque avec tendresse les innombrables chirurgiens, étudiants en médecine, infirmières. Quant au narrateur, il parvient à dépasser l’angoisse pour atteindre une flottante sérénité. Son passé, ses voyages, ses amours et amitiés, sa fille, repassent comme autant de films dans son esprit. La « symphonie pharmacologique de [ses] médicaments » lui fait judicieusement se demander : « la biochimie de mon corps règne-t-elle sur mes sentiments ? ». Ses immenses plages de station allongée l’emmènent « loin vers l’archipel Quelque part, en croisière sur les eaux bleues du Moi et de cet hôpital » et lui permettent de se comparer à Prométhée « enchaîné à son rocher », quand son foie est dévoré « à coup de bec ». Les métaphores humanisent la maladie, lui donnent une aura mythique et universelle.

Suite à la greffe, « on peut mettre en évidence un chimérisme au niveau de la moelle osseuse du transplanté ». D’où la sensation d’être « un hybride », la propension à engager un dialogue imaginaire avec celle qui lui a transmis son nouvel organe, à s’inventer une « histoire d’amour » avec elle. Ainsi la dimension documentaire s’associe avec bonheur avec l’onirisme, avec les étapes d’une renaissance, en une stupéfiante leçon de vie. Au point que l’on aimerait pouvoir lire en français quelques-uns de ces livres, parmi la quinzaine de romans, récits et recueils de poèmes, qu’il a publiés outre-Rhin…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fêté par ses très nombreux lecteurs, traduit en une trentaine de langues, Hanif Kureshi (né en 1954) atteignit des sommets de pertinence psychologique et sociale avec Le Bouddha de banlieue ou Des Bleus à l’amour[1]. Hélas, il est, en 2022, « fracassé » – selon son titre – par une attaque cérébrale. Si les progrès de la médecine lui permettent de survivre, lourdement handicapé, paralysé jusqu’aux mains, comment peut-il être encore un écrivain ?

Il faut alors compter sur la bienveillance, le dévouement de ceux que l’on appelle aujourd’hui des « aidants », pour qu’une œuvre, ultime peut-être, puisse être conçue. Ce sont sa famille, ses amis, Isabella surtout, qui écoutent patiemment sa dictée, la confient au clavier, au livre enfin. Difficile cependant d’échapper à l’état pétrifiant du tétraplégique dans lequel il est enfermé, comme dans un cercueil de pierre. Aussi s’agit-il d’un témoignage, celui d’un romancier d’origine anglo-pakistanaise qui vécut dans sa chair les problématiques de l’immigration, vit monter les ravages de l’islamisme, confia ses inquiétudes sexuelles, ses histoires de couple brisé, tout ce dont on trouve trace en ce destin finalement terriblement pathétique : « Les défenses que j’ai mises en place – la bonne humeur et le goût des blagues – ne vont pas réussir à surmonter ça : l’odeur de l’hôpital, la détestation de mon état, la conscience permanente que je suis infirme ». Malgré l’affreuse  dépendance, l’imparable amoindrissement, il conclut : « Mais je ne vais pas sombrer ; je vais en tirer quelque chose ». Le défi est couronné de succès. Car le récit autobiographique poignant ne se contente pas de l’auto-apitoiement. Il est un hommage aux soignants, à ses proches, mais aussi un kaléidoscope de sa création romanesque passée, de ses amitiés avec des auteurs marquants de notre temps, comme Salman Rushdie, la mince épopée enfin du courage de vivre en dépit d’une cruelle adversité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que des ombres… Ephémères, malgré la rougeur de notre sang qui un jour nous échappe, nous sommes. Et nous ne serons plus. La maladie, la mort guettent les provisoires héros et anti-héros de la vie ; comme les narrateur-personnages de Franca Maï et de Fritz Zorn, qui voient leur vie rongée s’échapper. Comment écrire ces épreuves ? Le recours à la métaphore contribue-t-il à la maladie comme métaphore pour penser à Susan Sontag ?

Franca Maï a eu moins de chance que nos précédents auteurs. Car si l’on peut supposer que le W de David Wagner est bien lui, il n’y a là aucune ambigüité : Malva, malheureuse héroïne de Divino Sacrum, n’est que le double légèrement fictionnel de son auteure, Franca Maï, décédée en 2012.

Deux ans de « crabe » au sacrum, de chirurgie, de chimiothérapie, de morphine, de radiothérapie contre la « Virago5 » ! Se vidant de bile et d’excréments, Malva se compare à une « truie », alors que son mari, Guitan, s’éloigne maladroitement (peut-on lui en faire le reproche ?), que sa famille tente de l’accompagner, alors que le personnel médical est loué pour son dévouement.

La confession est terrible, le journal de bord de celle qui est atteinte d’un cancer au « sacrum » est à la limite du supportable. Pourtant elle écrit avec autant de réalisme que de lyrisme, préférant  nommer « coquelicot » la « colostomie », « l’anus artificiel »… La métaphore tente de protéger de l’affreuse réalité, quand l’onirisme s’empare de son esprit tant elle est la proie de visions cotonneuses, de délires auditifs, avec un pathétisme qui n’est jamais pathos. Le « royaume des grabataires » précède un « épilogue » qui n’est que l’illusoire antichambre de la mort…

On ne peut qu’être ému, remué, par tant de souffrance, éprouvante pour le lecteur (et pour celle qui l’a vécu donc !), qu’éprouver une amicale pitié, pitié dont elle n’aurait peut-être pas voulu, sinon l’amitié, devant un tel désarroi, une telle déchéance du corps et de la personne, cette « vieille cancéreuse fripée ». « À quoi rime cette épreuve ? » Vaut-il mieux « tout arrêter et en finir » et « trahir les êtres aimés qui luttent à mes côtés sans sourciller » ? Comment « balayer les pluies du chagrin » ?

Que reste-t-il de Franca Maï (1959-2012), romancière[2], actrice et productrice, sinon « carne avariée », pourriture et dessiccation. Sinon l’ultime beau livre d’une écrivaine, qui mieux qu’un roman est un ébouriffant poème en prose aux métaphores scintillantes, sans concession ni à la niaiserie de la pensée, ni à la platitude de l’écriture.

L’écrivain suisse, Fritz Zorn, fit de Mars[3] un récit autobiographique dans lequel son cancer est, du moins si on l’en croit, résolument d’origine psychosomatique. Une austère éducation digne de la grande bourgeoisie helvétique ne pouvait, selon ses dires, qu’être cancérigène, car fermée, adossée à une autiste solitude ; c’est ainsi qu’il a été « éduqué à mort ». Son livre, hélas unique, puisqu’il subit une mort précoce, à trente-deux ans, avant de ne pas le voir publié, dresse l’accablant tableau d’une vie névrotique, adossée à la mélancolie, privée d’amour, voire de sexualité.

L’on peut évidemment plus que douter de la validité scientifique d’une telle thèse, selon laquelle éducation et milieu social contraignants seraient génériquement les auteurs du crabe. L’on peut également s’irriter de la mauvaise foi de Fritz Zorn qui n’a pas su se libérer de ses névroses et de sa propension à culpabiliser la grande bourgeoisie, certes non dénuée d’hypocrisie… Franca Maï, si l’on peut s’exprimer ainsi, n’a pas une cette chance : son cancer n’est probablement venu que d’une aveugle dégénérescence cellulaire, au point de sabrer une vie faite de créativité.

Si l’on imagine que la maladie est une métaphore, pour reprendre le titre de Susan Sontag[4], il ne s’agit là pourtant, en ce qui concerne notre duo d’auteurs, que d’une fiction. La thèse judicieuse de l’essayiste américaine montre que l’origine psychologique du cancer et de bien d’autres pathologies n’est qu’un fantasme idéologique. Le bonheur hélas ne protège pas de la maladie, quand la maladie ne fait évidemment pas le bonheur, hors peut-être de quelques écrivains capables de la sublimer, parmi lesquels il faut compter David Wagner et Franca Maï, et plus loin encore Thomas Mann avec sa bienheureuse et terrible Montagne magique

Restons macabres jusqu’au coccyx. Entre catacombes et momies, l’escalier de la descente au tombeau est superbement orné par les quelques mille illustrations de Macabre. Traité illustré de la mort. Fourre-tout funéraire, rangé non pas chronologiquement mais bizarrement thématique, cet ouvrage est une encyclopédie des soins consacrés au blâme, voire à l’éloge, de la mort, au travers de sculptures, peintures, gravures, cires, bijoux, momies, catacombes, colifichets, masques, crânes et cercueils, montres grinçantes et timbres pour philatélistes. Ainsi, selon le romancier Will Self, préfacier pour l’occasion, « la pure vitalité qui se dégage des représentations de la mort illustrant ce volume est certainement un terrifiant paradoxe ». Entre « art de mourir » et « commémoration des défunts », entre « divertissement » mortuaire et « outre-vie », l’on croise Méduse et Allan Edgar Poe, les reliques chevelues et les figurines mexicaines. À l’aide de l’infatigable squelette troué armé de sa faux, le pandémonium est noirceur et pâleur, couleurs cireuses, flamboyantes et infernales. Edifiant est le parcourt des cabinets anatomiques, intensément érotique est cette pulpeuse et sereine femme nue de profil fixant impavide le squelette qui la nargue, soit « La Belle Rosine » peinte en 1847 par Antoine Wierz. Ce livre, somptueusement imprimé, apparait comme un gigantesque bric-à-brac, un effarant musée, un cabinet de curiosité en avalanche…

Voici un luxueux ouvrage de bibliophilie : Le Livre & la mort. XIV°-XVIII° siècle, publié par les Editions des Cendres, si bien nommées pour l’occasion, mais avec le concours des Bibliothèque Sainte-Geneviève & Mazarine. Manuscrits enluminés médiévaux, parchemins et vélins, livres d’heures et vies des saints, ils ne peuvent ignorer la mort, le souvenir des disparus, couplés avec les fins dernières et l’espérance de la résurrection des corps. Incunables, ils regorgent de défilés squelettiques, tant l’espérance de vie était bien faible. La Renaissance cultive les emblèmes, là encore funéraires. Au Grand siècle de Louis XIV, l’on affectionne les « oraisons funèbres », surtout celles de Fléchier et Bossuet. Les reliures de deuil, l’héraldique, les lettrines, s’ornent d’ossements, de tibias entrecroisés, quand les « tombeaux littéraires » fleurissent. L’allégorie de la mort emprunte maints attributs symboliques, faux et torchères, chauve-souris, sans oublier la bêche du fossoyeur en son cimetière et charnier qu’il nourrira bientôt également.

Pas moins de 96 ouvrages rares sont soigneusement inventoriés par une foule d’érudits, et photographiés en ce volume magnifique. Depuis Les Trois morts et les trois vifs jusqu’au « catafalque baroque » dessiné par Le Bernin, le memento mori, qu’il soit intime, collectif ou spectaculaire, ne cesse d’obséder les maîtres de la bibliophilie. De surcroit, il arrive qu’un atelier d’imprimerie soit lui aussi le siège d’une danse macabre…

Revenons à Vincent Wackenheim, cette fois étreint par la tentation de l’os. Qui ne se contente pas du devoir autobiographique, mais se fait essayiste talentueux, documenté. Il s’intéresse au morbide Joseph Kaspar Sattler, venu de Munich en 1891 enseigner à l’École des Arts décoratifs de Strasbourg. Ce dernier est l’auteur d’une Danse macabre moderne, parmi bien des œuvres graphiques majeures que l’artiste sut réaliser en Alsace entre 1892 et 1894. Ces planches folles et burlesques, fantastiques et violentes, noires à souhait, satiriques et dansantes, ont exposées, reproduites, commentées tant à Paris, Berlin et Londres, admirées par Alfred Jarry et Edvard Munch. Il faut dire que notre Joseph Kaspar Sattler dessine l’affiche tonitruante de la prestigieuse revue Pan, allusion à la créature mythologique.

L’on  ne sait plus alors ce qu’il faut apprécier : les seize dessins d’Ein moderner Todtentanz, Danse macabre moderne (ici réédités pour la première fois depuis les éditions de 1894 et 1912) ou l’approche littéraire en seize textes à la lisière de l’essai esthétique et du poème en prose. Sans compter une évocation du parcours créatif de Joseph Kaspar Sattler (1867-1931), que l’on sait avoir été lourdement impressionné par les vicissitudes de l’Histoire, en particulier la première Guerre mondiale qu’il éprouva dans sa chair et sa psyché sur le front ouest. La tradition médiévale des spectres osseux agités par une danse frénétique trouve ici un renouveau expressionniste au moyen de squelettes dégingandés usant d’échasses, déambulant parmi des pages livresques et vaines, des nuages blafards.

Parfait complément chronologique et iconographique du Livre & la mort, voici de nouveau le prodigieux Vincent Wackenheim avec La Mort dans tous ses états. Modernité et esthétique des danses macabres. 1785-1966. Aussi épais qu’une pierre tombale, mais plus aisé à ouvrir, il offre près de mille pages et plus encore d’illustrations. Soit un polyptique de 104 Danses macabres modernes. La pérennité thématique et allégorique se renouvèle selon les perspectives stylistiques successives, réinterprétant les motifs iconiques.

Le généreux ouvrage examinant son sujet depuis le XVIIIe siècle, l’on commence par un utile rappel des indépassables précurseurs depuis le XVe siècle : plus précisément les fresques du cimetière des Saints-Innocents à Paris (1424) et de Bâle (1440), mais aussi les gravures de Holbein (1538). Inévitablement la déprise religieuse du siècle des Lumières, la Révolution française et, bien entendu les deux guerres mondiales, ont contraint les artistes à bouleverser, voire durcir, leurs variations macabres. C’est surtout celle de 1914-1918 qui poussent les artistes – du moins ceux qui en réchappent – dans leurs plus folles expérimentations graphiques, surtout expressionnistes. Toutefois la découverte de l’univers concentrationnaire ou les bombardements alliés sur Dresde, en février 1945, et bientôt la crainte d’un embrasement nucléaire contribuent à de nouvelles explosions plastiques dans lesquelles se tortillent les défunts.

Si la plupart des représentations de ces Danses des Morts sont originaires d’Allemagne et de France, l’on découvre ici Anglais et Catalans, œuvrant au service  d’une forme d’universalité. La récurrence du couple, un mort, décharné ou squelettique, et un vivant, ne cesse d’alimenter la créativité graphique, Eros et Thanatos ne perdant jamais leur antagoniste complicité. Ainsi l’on devine qui est « La marchande de plaisir » amenant une belle nudité à un homme fort mûr et affalé dans son fauteuil, ce grâce trait d’Hermann Asmus Vogel en 1902. Ainsi Bruno Héroux, en 1943, fait tournoyer follement une charmante et dodue donzelle aux seins nus et au rire folâtre avec notre éternel protagoniste osseux. De même la succession hiérarchique, du pape à l’ermite, du noble au lansquenet, du colporteur au laboureur, du capitaliste à l’ouvrier, n’empêche en rien d’emporter toute dans la décharge de la pourriture et de la dessiccation. Squelettes, tous égaux !

Epidémies de peste noire, de choléra morbus, guerres de plus en plus meurtrières, « extension du domaine du mal », tout contribue à l’immense charroi de la mort, en même temps que les progrès des techniques d’impression permettent une large diffusion dans la presse et l’édition. Ce dont bénéficie en 1839 un Grandville qui publie neuf planches lithographiques au titre allusif et drôle : Voyage pour l’éternité. Service général des omnibus accélérés. Départ à tout heure et de tous les points du globe. Et lorsqu’Alberto Martini dévoile en 1916 ses pochettes de cartes postales, cela s’appelle La Danse macabre européenne, de façon à cruellement ridiculiser le patriotisme.

Que l’on soit austère ou jouisseur, savant ou débauché, l’on ne peut résister à l’invitation des figures cadavériques et squelettiques. Une intéressante série est consacrée aux sept péchés capitaux, une autre permet à Hans Myer de proposer en sa Totenzanz, trente planches grimaçantes parcourant diverses couches de la société. De arte bene moriendi et autres Vanités, topoï médiévaux et baroques, se trouvent revitalisés par l’époque moderne et contemporaine, par de nouveaux modes de vie, usages, voire loisirs, comme lorsque le guide de montagne arbore un crâne chez Franz Pocci : « ou comment mourir d’une pichenette » en pratiquant l’alpinisme. C’est là d’ailleurs l’un des dossiers thématiques de notre ouvrage, l’escalade et la brutale désescalade côtoyant le duel, les sports, les transports terrestres et aériens, le cirque, toutes activités à risques assurés, sans compter le suicide, lui longtemps associé au Diable.

Certes nombre d’œuvres, gravure oblige, sont en noir et blanc. Mais la couleur sait fanfaronner. Voyons le rouge et le violacé sur fond nocturne de « La Mort et le Diable » d’August Heumann en 1911. L’on a beau être romantique, symboliste ou Art déco, la vie n’abolira jamais les représentations de la mort. Des plus tragiques, répugnantes, et finalement d’une noire mélancolie, aux plus naïves, satiriques, ironiques et humoristiques, comme chez Rowlandson.

Bible monstre et splendide, fol et prodigue ossuaire esthétique, cimetière fracassé de noirs et de couleurs, ossuaire de près de mille pages, l’ouvrage étonnamment documenté de Vincent Wackenheim mérite bien son titre : La Mort dans tous ses états. Cette stèle de l’art et de la mortelle condition ornera la bibliothèque mieux que toute urne vaine.

« Vanité, tout est vanité », dit dans la Bible L’Ecclésiaste. L’on pense d’abord à ces tableaux du XVII° siècle dans lesquels un crâne aux orbites vides côtoie un bouquet aux pétales chutant, quelque objet d’art et de luxe, un instrument de musique, cet art du temps. « De Pompéi à Damien Hirst », pour reprendre un sous-titre[5], une mosaïque polychrome ricane en sa figure blafarde, des crânes sont couverts de poussière de diamant ou de mouches.

Pourquoi tant de représentations mortuaires ? Parce que nul n’y échappe, parce qu’il faut apprivoiser la Camarde, la regarder en face, l’ironiser, le tout en une catharsis salutaire, quoiqu’elle-même périssable. Morituri te salutant !

 

Thierry Guinhut

Un vie d'écriture et de photographie

La partie sur David Wagner est parue dans Le Matricule des anges, octobre 2016,

celle sur Touché, Greffé, janvier 2025.


[1] Hanif Kureschi : Le Bouddha de banlieue, Des Bleus à l’amour, Christian Bourgois, 1991, 1998.

[2] Par exemple : L’Amour carnassier, Crescendo, Le Cherche-Midi, 2008 et 2009.

[3] Fritz Zorn : Mars, traduit de l’allemand par Gilberte Lambricht, Gallimard, 1980.

[4] Susan Sontag : La Maladie comme métaphore, traduit de l’anglais par Marie-France de Paloméra, Christian Bourgois, 2005.

[5] C’est la vie ! Vanités de Pompéi à Damien Hirst, Skira Flammarion, 2010.

 

Oropesa, Toledo, Castilla la Mancha. Photo : T. Guinhut.

 

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13 janvier 2025 1 13 /01 /janvier /2025 10:42

 

Azulejos, palácio de Buçaco, Luso, Portugal.

Photo : T. Guinhut.

 

 

Explorations géographiques,

des côtes inconnues à l’Amazonie :

Jean-Jacques Bavoux, Hubert Sagnières,

Dr Tony Rice & Márcio Souza.

 

 

Jean-Jacques Bavoux : Les Nouveaux visages du monde,

Armand Colin, 2024, 384 p, 25,90 €.

 

Hubert Sagnières : Routes nouvelles, côtes inconnues,

Flammarion, 2023, 400 p, 75 €.

 

Dr Tony Rice : Voyage. Trois siècles d’explorations naturalistes,

Delachaux et Niestlé, 2014, 334 p, 45 €.

 

Márcio Souza : Amazonie, traduit du brésilien

par Stéphane Chao, Danielle Schramm, Hubert Tézenas,

Métailié, 2024, 464 p, 25,50 €.

 

 

Au-delà des colonnes d’Hercule, les océans rugissent de monstres tempétueux, gardant de lointaines côtes inconnues. Bien du courage fut nécessaire aux explorateurs et naturalistes. En particulier de Christophe Colomb à Alexandre de Humbolt qui dévoilèrent « les nouveaux visages du monde », selon le titre de Jean-Jacques Bavoux. Ils sont Espagnols, Portugais, Allemands, mais aussi Français à la recherche de « routes nouvelles, côtes inconnues », telles que les déploie Hubert Sagnières. Ils ne convoitent pas seulement l’or et des territoires, ils collationnent la faune et la flore, particulièrement au cours de « trois siècles d’explorations naturalistes », comme nous les révèle le Dr Tony Rice. Et si nous sommes jusque-là restés dans l’ère immense qui va du XV° au XIX° siècle, maintenant que toutes les terres et tous les océans sont connus, quoiqu’il manque toujours quelque affinement des connaissances, ne sommes-nous pas en proie à de nouveaux défis ? En effet exploration, exploitation, cultures, biodiversité, voici des exigences parfois contradictoires, complémentaires cependant. Un exemple particulièrement flagrant et préoccupant de ces rivages et terres américains en tension est celui de l’immense Amazonie, dépliée par Márcio Souza, « de la période précolombienne aux défis du XXI° siècle », pour reprendre le sous-titre son vaste essai. Explorer, oui pour le bien de la connaissance et de l’amélioration du sort de l’humanité, mais aussi avec respect…

Indubitablement, à l’occasion de l’aventure de Christophe Colomb, dont le Journal de bord[1] fut splendidement édité chez nous, la planète s’est découvert de nouvelles dimensions. Ce sont, pour reprendre le titre de Jean-Jacques Bavoux, Les Nouveaux visages du monde. Même si les voyageurs de l’Antiquité ou arabes ont contribué à repousser les frontières des espaces connus, c’est entre Christophe Colomb, à partir de 1492, et Alexandre de Humboldt (1769-1859) que le visage de la terre a connu ses plus grandes expansions, des Amériques à l’Océanie en passant par l’extrême Asie. Ce dernier ayant narré sa navigation sur le fleuve Orénoque et son ascension du Chimborazo, en Equateur, dans un livre célèbre[2].

Ainsi une géographie des Temps modernes déploie quatre siècles durant des visions incroyablement diverses, voire antinomiques. L’ère médiévale des chimères et prodiges aux lointains inaccessibles et fantasmés des mers imagine l’emplacement du Paradis, le sixième continent antipodal, l’Eldorado ou les îles Fortunées. Ensuite vient l’ère des utopies de la Renaissance, entre More et Campanella, dont les îles abritent des politiques idéales. Progressivement, tout cela fait place à l’émergence d’une scientificité de plus en plus précise : méridien, pesanteur, déclinaison magnétique, tout converge de façon à précisément mesurer l’espace terrestre, à décrire les continents éloignés et bientôt accessibles à la connaissance exacte. La planète est méthodiquement cartographiée, à l’aide des latitudes et des longitudes, elle est démystifiée pour accéder au rang d’objet des sciences mathématiques, astronomiques, botaniques, zoologiques et ethnologiques. Si d’aucuns pensent encore la terre comme un « être vivant capricieux », comme « le centre unique et glorieux du cosmos », elle devient avec Copernic et Galilée une périphérie du centre solaire. L’on démontre ainsi qu’elle n’est qu’un minuscule amas géologique dans l’infini de « la pluralité des mondes », pour reprendre l’entretien de Fontenelle. En sus, les dogmes chrétiens doivent céder la place aux sciences naturelles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La dimension mythique ne s’efface pourtant pas : pensons au mythe du bon sauvage qui faisait accroire qu’en leur séjour idyllique les habitants des îles du Pacifique étaient aussi pacifiques que le nom de leur océan. De manière concomitante l’on continua longtemps à penser le monde comme œuvre divine, que les sociétés étaient de purs produits de la nature. L’on devine alors que l’abordage occidental suscite de  considérables chocs culturels, prétendant que l’on doive reconsidérer la barbarie supposée des autres peuplades, que l’on doive conquérir, exploiter, coloniser. Cela dit les Occidentaux sont loin d’être les seuls en ces genres d’exercices, même si cela n’excuse pas tout.…

Cependant, la géographie, longtemps trop soumise à l’autorité des Anciens, peu à peu s’en extirpe. « De la montagne apprivoisée aux îles magnifiées », le monde, au moyen des découvertes, est en quelque sorte déballé, expliqué. Tel l’étagement de la végétation andine qu’une célèbre gravure en couleur venue des œuvres d’Alexandre de Humboldt explose avec un talent aussi pédagogique qu’esthétique. Des lieux infimes jusqu’à « l’immense machinerie terrestre », de « l’infini cosmique jusqu’au cœur de la Terre », la planète se voit « mise en chiffres jusqu’au système-monde ». Ainsi la thèse judicieuse de Jean-Jacques Bavoux se déploie de chapitre en chapitre, les explorations géographiques permettent un savoir peu à peu universel, au-delà des cultures jusque-là séparées. Sans nul doute l’ouvrage, structuré de manière thématique et non chronologique, entre « monde imaginé » et « monde expliqué », soigneusement documenté, illustré de cartes et gravures en noir et blanc dans le texte, mais aussi de deux généreux cahiers en couleurs, qui n’est pas qu’un livre d’Histoire et de géographie, mais de surcroit d’Histoire des sciences, tient sa promesse : il est à lui aussi un monde ouvert, en expansion.

Toutefois, de manière inquiète, sans compter des questions méthodologiques encore en devenir, notre essayiste note en sa conclusion combien le statut scientifique de la géographie n’est toujours pas assuré. Fascination pour l’irrationnel et croyances religieuses tenaces restent encore prégnantes. Nous ajouterons un exemple atterrant, tant la platitude de la terre[3] séduit les crédules et naïfs, les bornés et abrutis…

Soyons encore plus précis avec Hubert Sagnières, dont les Routes nouvelles, côtes inconnues, choisit de nous accompagner parmi seize explorations françaises autour du monde. Elles se déroulent entre 1714 et 1854, par les soins de fortes personnalités, immensément célèbres, comme Lapérouse, Bougainville et Dumont d'Urville. Au-delà de  ces incontournables, des explorateurs méconnus méritent notre admiration et notre reconnaissance, tels le premier d’entre eux au si joli nom : Le Gentil de La Barbinais, qui fut le premier Français ayant réalisé un tour du monde entre 1714 et 1718. Le second, Bougainville, découvreur de Tahiti, est bien plus connu, ne serait-ce qu’avec le concours du Supplément de la main de Diderot.

Le plus étonnant est peut-être Pierre-Marie François Pagès, un marin qui, lors d’une escale dans l’île d’Haïti,  joue le déserteur et parcourt, souvent à pied, le monde entier, naviguant de Brest à Marseille, traversant le Mexique et le Moyen-Orient. Indubitablement un exploit ; solitaire de surcroit, dont il ramène d’incroyables documents[4].

Le Chili et l’Alaska sont les objets de circonspectes observations par Roquefeuil, entre 1816 et 1819. Lorsqu’à bord de son vaisseau « la Coquille » Duperrey contourne à peu près tout l’Amérique latine, il rapporte maints spécimens de plantes et animaux inconnus. À cette occasion, les aquarelles de paysages, les portraits à vocation ethnologique sont d’une beauté enivrante, y compris de roses crustacés. L’Inde, la Chine et la Tasmanie sont la cible de Laplace, quoique les velléités coloniales françaises soient contraintes par les expansions anglaises…

Savions-nous que le sauveur de la Vénus de Milo, Jules Sébastien César Dumont d’Urville, explora les abords de l’Antarctique, pour nommer la Terre Adélie ? Quant à celui qui ferme glorieusement cet ouvrage, Gaston de Roquemaurel, trop oublié il fut pourtant le dernier à voyager à bord d’un voilier, en 1854, un trois-mâts, du côté du Japon et du Kamtchatka, dont il cartographie les côtes avec soin, avant que la marin à vapeur prenne le relais.

Même si Jean-Jacques Bavoux prend soin de citer bien des explorateurs, géographes et autres scientifiques, cette fois l’attention d’Hubert Sagnières nous permet d’accéder à une flopée d’extraits des journaux de voyage de ces grands aventuriers – publiés dans de rares  éditions[5] – qui ne cessent d’observer, de recueillir et de penser le monde sous leurs yeux. Nous voici immergé non seulement dans les océans que fendent leurs navires, mais au sein de leurs vies aventureuses, dangereuses. Sans compter que l’aventure est également intellectuelle, tant les questions afférant aux colonisations, aux religions, aux routes commerciales, aux problématiques diplomatiques et géopolitiques, jusqu’à la condition des femmes, pullulent. Autrement dit ce passé où l’esprit voyage fait écho à nos préoccupations les plus contemporaines.

Somptueusement illustré, judicieusement mis en page, ce bel ouvrage d’art regorge de gravures et  de cartes, souvent inédites, accompagnant ces récits qui nous invitent à découvrir ou redécouvrir ces grandes expéditions scientifiques, diplomatiques ou commerciales qui ont marqué l’histoire de la découverte du monde par l’Occident.

Collectionneur de documents, de volumes anciens, dont cet ouvrage exceptionnel est le reflet, voyageur parmi les archipels et remué par tant d’expéditions et d’aventures, Hubert Sagnières ne manque pas de faire l’éloge des grandes heures de l’histoire de la marine française.

Encore plus exceptionnel peut-être, voici l’album du Dr Tony Rice : Voyage. Trois siècles d’explorations naturalistes, dont la couverture bellement illustré ne donne qu’une idée partielle de la richesse iconographique inouïe.

De 1687 à 1876, de la Jamaïque aux abysses, bien des expéditions ont permis de rassembler nombre de spécimens, botaniques et zoologiques, au service de nouvelles connaissances scientifiques et encyclopédiques. L’on s’accompagnait de dessinateurs talentueux, au service d’illustrations somptueuses. Peintures et gravures, ensuite coloriées, sont ici parmi les plus rares et séduisantes dans la discipline de l’histoire naturelle. Darwin n’a pas seulement œuvré au service de la sélection naturelle, mais en voyageant à bord du Beagle, afin de présenter les spectaculaires pinsons découverts dans les îles Galapagos, mais aussi de curieux fossiles.

En 1687, par exemple, Sir Hans Sloane s’est rendu à la Jamaïque en 1687, récoltant des plantes et arbres alors insolites, comme le poivre sauvage, le poirier épineux, la rose patate douce et le cacaoyer. C’est à Ceylan, que Paul Hermann & Joan Gideon Loten s’intéressent aux palmeraies et à des oiseaux paradisiers chatoyants. En 1699, Maria Sybilla Merian découvrit au Surinam des insectes époustouflants, aux formes fantasmagoriques. La sauvage Amérique du Nord fut explorée par William Bartram, observateur précis des plantes carnivores et du rossignol de Virginie. Dans les confins du Pacifique sud, dont Cook avait déjà découvert bien des archipels, en particulier Tahiti, Matthew Flinders sut réaliser la cartographie de l’Australie, pendant que son assistant, Ferdinand Bauer, révélait ses dons artistiques en s’attachant à des fruits et des fleurs aux jaunes extravagants. Enfin l’expédition du Challenger plongea dans les abysses pour identifier d’étranges crustacés et des baudroies spectrales.

Boite aux trésors lointains, cabinet de curiosités exotiques – le plus souvent conservés au British Museum – nanti de commentaires érudits et éclairants, l’incomparable ouvrage de Dr Tony Rice déploie une collection stupéfiante venus des Terra incognita, des fonds marins, des forêts et des monts. Des livres anciens sont ouverts sous nos yeux, des herbiers incroyables sont exposés, des cartes dépliées, avec le concours d’une impeccable qualité d’impression. Ainsi art et science confluent pour se sublimer l’un l’autre, de l'aquarelle la plus colorée jusqu’à l'invention de la photographie.

L’on entend sans cesse que la forêt amazonienne brûle, qu’elle décroît comme peau de chagrin, qu’elle ne serait plus bientôt le nécessaire poumon de la planète ! Faut-il autant s’alarmer ? Plutôt raison garder… Outre que le véritable poumon d’oxygène réside dans les océans, il est loin d’être certain que toute cette forêt puisse s’effacer, en particulier dans les zones humides et montagneuses fort peu accessibles. Or c’est oublier trop vite les humains qui luttent pour leur survie agricole, quoique leur agriculture, soit primitive, soit intensive à coup d’étendues de soja, soit peu respective de la biodiversité.

L’essai historique de Márcio Souza vient à point. Sobrement intitulé Amazonie, il conjugue exploration naturaliste et économique, archéologie et ethnologie, depuis, selon le sous-titre, « la période précolombienne [jusqu’aux] défis du XXI° siècle ». Car en fait, depuis la préhistoire, ce territoire grand comme douze fois la France, loin d’être un désert démographique, fut occupé, exploité par une agriculture florissante, en particulier dans les « terres noires », le long du fleuve Amazone, ainsi que nous le dévoilent des trouvailles archéologiques. Peuples guerriers, colonisateurs avides quêtant l’Eldorado, esclavage et abolition, coups d’Etat et « bains de sang », fièvre du latex, voies ferroviaires et route transamazonienne en perdition, extractivisme et sous-développement, marché capitaliste et développement miraculeux, narcotrafic et guérilla, « institutionnalisation du génocide », cultures locales vivantes, favelas, tout un « puzzle tropical » se lève pour un procès aux multiples accusés… Comme lorsqu’une esclave indienne osa intenter un procès au Gouverneur !

Aujourd’hui « l’avancée des fronts destructeurs » menace de plus en plus des trésors biologiques et finalement économiques. S’agit-il d’annoncer une apocalypse » ? Au catastrophisme doit être préférée une « rentabilité raisonnable et stable », toutefois – ce que l’auteur ne dit pas – au risque d’une planification socialiste. À la conclusion négativiste de notre essayiste – « L’humanité mérite-t-elle de survivre ? » – ne faut-il pas penser à une prévisible baisse démographique, donc moins menaçante, mais aussi à ce qui manque dans la plupart des Etats latino-américains, dont le Brésil, soient une démocratie libérale et un capitalisme libéral, qui doivent permettre un développement plus savant et plus humain, tels qu’ils font leurs preuves, même imparfaitement, aux Etats-Unis et en Suisse par exemple.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 S’occupant des mythes, des peuples indigènes et de leur persistance difficile, de la conquête portugaise et autres colonisateurs, du rôle pacificateur mais aussi mystificateur de l’Eglise, des décisions absurdes du pouvoir colonial, des initiatives désastreuses des hauts fonctionnaires, mais aussi des décisions positives qui ont œuvré au développement de cette Amazonie fascinante, Márcio Souza, né à Manaus, la ville centrale, fait œuvre impressionnante, en une somme historienne à consulter méditer et choyer. Car l’antagonisme entre « la plus grande ferme du monde face à la plus grande forêt du monde » reste criant, à moins de connaître la réalité du terrain ; ce à quoi s’attelle avec constance notre conteur qui fait ainsi référence. Cet auteur ne prétend pas à une solution miracle, mais ouvrant la boite – de Pandore ? – des complexités historiques, présentes, voire future, il nous permet d’être moins niais, moins tranché, moins définitif.

Romancier, metteur en scène de théâtre et d’opéra, Márcio Souza (1946-2024) fut l’artisan de la réouverture extraordinaire de l’opéra de Manaus. Son parcours s’enrichit de la Bibliothèque nationale du Brésil, de l’enseignement de la littérature dans des universités américaines et européennes. L’on ne s’étonnera pas que son roman le plus représentatif s’appelle L’Empereur d’Amazonie[6], dans lequel Galvez, conquistador burlesque, se trouve au cœur de l’épopée du caoutchouc, de sa fortune et de ses déceptions…

Le monde naturel est infiniment précieux. Mais pas au point qu’il faille sacrifier le bien-être et la prospérité de l’humanité. Espérons qu’au grand dam des écologistes dogmatiques et sacrificiels, un équilibre puisse se faire jour, notamment grâce à la rigueur et à l’inventivité de la recherche scientifique.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Christophe Colomb : Journal de bord, L’Imprimerie Nationale,

[2] Alexandre de Humboldt : Voyages dans l’Amérique équinoxiale, Libretto, 2023.

[4] Pierre-Marie François Pagès : Autour du monde. 1767-1771, Imprimerie Nationale, 1991.

[5] Nouvelle bibliothèque des voyages anciens et modernes, Duménil, 1841, 12 volumes.

[6] Márcio Souza : L’Empereur d’Amazonie, Métailié, 2017.

 

Azulejos, palácio de Buçaco, Luso, Portugal.

Photo : T. Guinhut.

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2 janvier 2025 4 02 /01 /janvier /2025 17:40

 

Caceres, Extremadura.

Photo T. Guinhut.

 

 

De Dorian Gray à L’Amour entre hommes.

Oscar Wilde & Benjamin Lacombe,

Franck Delorieux & Tomás Castro Neves.

 

 

Oscar Wilde : Le Portrait de Dorian Gray,

traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Jean Gattégno,

illustré par Benjamin Lacombe,

Papillon noir, Gallimard, 2024, 248 p, 35 €.

 

Oscar Wilde : Teleny, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), Le Pré aux Clercs, 1996.

 

Franck Delorieux & Tomás Castro Neves :

L’Amour entre hommes, Seghers, 2722 p, 29 €.

 

 

Longtemps réservées aux bas-fonds, aux publications confidentielles et sous le manteau, les manifestations de l’érotisme homosexuel, hors périodes plus clémentes, comme à l’occasion des sonnets de Michel-Ange, se virent frappées d’interdiction, d’infamie pénale. Si ce ne fut pas exactement le cas pour Le Portrait de Dorian Gray, son auteur prit des précautions, sans cependant pouvoir laisser ignorer que ses amours fussent contre-nature, du moins selon le vocabulaire répressif de l’ère victorienne. Oscar Wilde (1854-1900) néanmoins commit un écrit secret, un roman brûlant qui ne lui fut attribué que de manière posthume : Teleny. En revanche le poète de La Ballade de la geôle de Reading ne semble pas avoir mis en vers ses émois charnels. A contrario bien des versificateurs ne s’en privèrent pas, ce dont témoigne une anthologie bienvenue intitulée L’Amour entre hommes, quoiqu’elle se limite à la poésie de langue française. Lorsqu’il n’est nul besoin de partager de tels goûts et pratiques sexuels pour apprécier de si bons livres, comment conjuguer érotisme et esthétique ?

Trois dimensions se font concurrence dans Le Portrait de Dorian Gray : fantastique, esthétique et érotique.

L’on sait que le portrait du titre est doué d’une étrange et délétère vitalité, morbidité même. Ne vieillit-il pas au fur à mesure des années et des vices de son modèle, ce dernier étant préservé des outrages du temps : « Si c’était moi qui toujours devait rester jeune, et si cette peinture pouvait vieillir !… Pour cela, je donnerais tout !… Il n’est rien dans le monde que je ne donnerais… Mon âme, même ! » Voici bien, en ce contrat presque faustien, l’essence du fantastique, selon laquelle l’incertitude obsède les personnages et le lecteur. N’est-ce qu’une réaliste illusion née de la peur de vieillir, une paranoïa, sinon une conscience morale, ou une surnaturelle interversion des propriétés de l’objet pictural et de celles de l’être humain, sinon inhumain ?

Le pari esthétique est non moins flagrant. L’éloge de la beauté du jeune Dorian Gray, certes physique au détriment d’autres considérations, ne peut que tenter le défi pictural, celui de Basil Hallward en l’occurrence, espérant accomplir la parfaite mimésis, la restitution en deux dimensions d’un être en trois dimensions, la plasticité des traits résolue dans l’œuvre d’art. En outre, entre dandysme et décadentisme, surgit une dimension morale tant la beauté ne saurait sans impunité se souiller de la vilénie, puis du crime. Car excédé par les remontrances morales de Basil à qui il a révélé l’enlaidissement du tableau, il en vient à le tuer.

De surcroit, sa fascination pour l’actrice Sybil Vane ne dure qu’autant que son jeu l’enchante. En l’aimant elle perd son talent, ce pourquoi Dorian la rejette, entraînant le suicide de la malheureuse pour laquelle il n’a que mépris, alors qu’il ne voit dans ce dénouement qu’une belle « tragédie grecque ». L’esthétique a tué la compassion, signant la première marque de cruauté sur le tableau. À la recherche de plaisirs infâmes et d’opium, il court les bouges londoniens, tandis que le frère de Sybil le poursuit de sa vindicte, sans reconnaître dans sa jeunesse l’homme qui aurait dû pour le moins mûrir. Malencontreusement tué lors d’une chasse, ce frère désespéré est un poids de plus sur la conscience de Dorian qui prétend s’amender, ajoutant au portrait rongé la pire hypocrisie. L’on sait comment de rage il poignarde le portrait, comment à la hideur du cadavre, reconnaissable à ses bagues, correspond la sublime délicatesse retrouvée du tableau. Avec « le couteau qui avait transpercé Basil Hallward […] il tuerait l’œuvre du peintre et tout ce qu’elle signifiait ». L’apologue tragique en miroir est également l’acmé de la tragédie esthétique.

Quel est l’alter ego romanesque de l’auteur, s’il en est un ? Dorian lui-même ? Lord Henry Wotton, qui l’apostrophe : « Un nouvel Hédonisme, voilà ce que le siècle demande. Vous pouvez en être le tangible symbole ». Le peintre Basil enfin ? Le chassé-croisé d’attirances, de passion, de jalousie, empêche qu’aucun personnage soit objectif, s’il est possible. Mais peut-être le peintre, réalisant ce qu’il sait être son « chef-d’œuvre », est-il la métaphore de l’écrivain. Sans que l’on puisse espérer une complète correspondance entre l’image du tableau et celle du roman. Quoique Lord Henry lui aussi prétende à « l’idéal hellénique » et avance à sa façon non dépourvue de cynisme : « la seule façon de se débarrasser d’une tentation, c’est d’y céder ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’érotisme tout en nuance frémit à chaque pulsation du langage décrivant le jeune homme, d’autant plus admirable et désirable puisque sublimé, voire éternisé par l’œuvre d’art. Sa stature, sa chair, son expression, séduisent, tant que le lecteur est doué d’imagination, fantasmant le beau jeune homme, le caressant de ses yeux et de ses mains au moyen de l’imaginaire. Sans compter l’aisance du style, la richesse des mots d’esprits et des aphorismes, voire des paradoxes, l’on devine que l’écriture d’Oscar Wilde est à cet égard limpide et aphrodisiaque. Trop peut-être, pensa notre auteur, lorsqu’il se résolut à effacer quelques paragraphes jugés trop explicites en termes d’érotisme homosexuel qui entachaient la publication en feuilleton, pour afficher un livre plus présentable à cet égard.

Or l’une des réussites de cette édition est d’insérer les lignes disparues dans le roman au moyen d’un encrage grisé, plus pâle que la noire typographie, tout en restant fort lisibles et ainsi révélées. Par exemple, page 115, lorsque Basil s’adresse à Dorian : « Assurément je t’ai adoré, j’ai éprouvé pour toi de tendres sentiments qu’un homme ne saurait éprouver pour un ami. D’une certaine manière, je n’avais jamais été amoureux d’une femme ».

Pas de quoi fouetter un chat, nous direz-vous. Mais en cette fin du XIX° siècle, le puritanisme victorien était aux aguets. À tel point qu’Oscar Wilde, alors au sommet de sa gloire littéraire, dut subir les foudres du père de son amant Lord Alfred Douglas, qui l’accusa publiquement de sodomie. Notre écrivain, au lieu de faire prudemment profil bas, recourut à la justice, prétendant à la diffamation. Mal lui en prit. En 1896, malgré ses tentatives oratoires de défendre « l’amour qui ne dit pas son nom », selon la formule venue d’un poème de son amant, le voici condamné au bagne. Car en 1885, une loi avait définit les relations sexuelles entre hommes comme de « grandes indécences » en les condamnant jusqu’à deux ans de travaux forcés. Définitivement ostracisé, l’écrivain dut subir sa peine, dont le seul bénéfice fut la création d’une vaste lettre, De Profondis, et de La Ballade de la geôle de Reading. Il ne bénéficia d’aucune indulgence, y compris de sa femme Constance, et termina misérablement sa vie en France, où il mourut à Paris en 1900. Quelle affreuse époque n’est-ce pas ! Il fallut attendre les années 1960 et 1970 pour que l’homosexualité soit dépénalisée…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lord Alfred Douglas témoigna de tous ces démêlés dans un livre, dans lequel il cite l’une des lettres à lui adressées par Oscar Wilde : « Je suis sûr qu’Hyacinthe, qu’Apollon aima follement, était toi au temps des Grecs[1] ». Bel hommage croisé, bel aveu également…

Revenons donc à la dimension esthétique : lorsque le portrait, achevé sur une toile, n’est que fiction romanesque, il n’est pas douteux que les peintres soient dévorés par l’ardeur représentative. De façon à offrir un visage au service de la vision fomentée par le langage. Aussi le défi doit-il  être relevé par l’illustrateur. Pourquoi choisir cette édition du Portrait de Dorian Gray, illustrée par Benjamin Lacombe ? Là encore pour deux raisons, esthétique et érotique.

Il y a quelque chose de la naïve romance dans les portraits de Dorian par Benjamin Lacombe, voire de l’allusion au graphisme du manga. L’on peut arguer de la naïveté adolescente, voire de la mièvrerie charmante, devant cette façon de portraiturer les personnages, jusqu’à la frêle Sybil, mais n’est-elle pas plus allusive que réaliste, cette dernière hypothèse restant une impasse à éviter absolument. D’autant qu’un public de lectrices de romances aux éditions colorées ne peut manquer d’être séduit, au bénéfice de la lecture d’un roman qui dépasse de fort loin la dimension d’une œuvrette, émeut, tout en ouvrant aux problématiques que nous avons tenté d’effleurer ici.

Reste que le dessin de Benjamin Lacombe, pour ambigüe qu’il soit, nettement androgyne et sensuel, finalement sucré, vénéneux, ne propose aucune de ces caractéristiques de la pornographie. Rien de trop charnel, pas de sexualité visible…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pourtant, l’on suspecte fortement Oscar Wilde d’avoir commis, un an après Le Portrait de Dorian Gray, un roman publié anonymement en 1893, seulement à lui attribué en 1953 par Maurice Girodias, puis en 1975 par le scrupuleux biographe H. Montgomery Hyde : Teleny, sous-titré « Le revers de la médaille ». Ce grâce à de nombreuses coïncidences thématiques et stylistiques. Il fut de surcroit publié par Leonard Smithers qui était l’éditeur de La Ballade de la geôle de Reading.

Sous-titrée « roman physiologique », cette confession écrite à la première personne parait fortement autobiographique. Préparée par une prise de conscience « de l’inclination pour les hommes », elle conte les amours brûlantes entre le narrateur, Camille des Grieux, et le concertiste Teleny : « Le charme irrésistible de sa beauté était tel que j’en fus fasciné […] et les notes du pianiste murmuraient à mes oreilles avec le halètement d’une fiévreuse concupiscence, le bruit d’une roulade baisers ». L’on peut constater ainsi que l’auteur n’a pas abandonné le raffinement stylistique et émotionnel qui lui est coutumier. La réciprocité, non encore avoué, est telle que le génie pianistique s’étiole sans son auditeur préféré qui le lui rend grâce à sa présence parmi les spectateurs. Bientôt celui qui assume son penchant – « je ne pourrais jamais aimer une femme » – offre ses lèvres à son alter ego, qui confie : « Mes veines étaient encore gonflées, mes nerfs raidis, les conduits spermatiques gorgés à déborder »… Nous laisserons le lecteur pudibond fermer les yeux sur ces lignes ; et le lecteur vivant poursuivre ces pages fiévreuses aux ébats charnels parfaitement explicites, pourtant sans vulgarité aucune. Parmi les péripéties haletantes, quelques pages obscènes et répugnantes décrivent un bordel aux charmes lourdement faisandés, une jeunette se suicide en se jetant par la fenêtre sur le pavé parce que violée. D’autres font allusion à l’histoire universelle du péché sodomite. Plus loin une hallucinatoire vision laisse entrevoir à Des Grieux la façon dont Teleny copule avec une comtesse passionnée, sans qu’il le soit autant que cette dernière. Il le sera bien plus avec son amant, lorsque leurs chairs orgasmiques répondent à leurs âmes extatiques.

Loin de se contenter du récit, la plaidoirie pleine de bon sens n’effraie pas un instant Des Grieux : « Avais-je donc commis un crime contre nature quand ma propre nature y trouvait paix et bonheur ? » Hélas une infâme lettre anonyme le somme de lâcher Teleny pour ne pas être dénoncé comme un « enculé » ! Serait-ce du fait de la comtesse qui a pourtant engrangé un bel héritier au dépend de son vieux mari ? Scandale et tragédie seront au rendez-vous…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À notre connaissance, Oscar Wilde n’a pas écrit de poésie explicitement homosexuelle. Tournons-nous vers l’anthologie intitulée L’Amour entre hommes, qui présente un florilège étendu de vers français, du Moyen-Âge à nos jours, d’Eustache Deschamps, un proche de Guillaume de Machaut, jusqu’à un auteur né en 1986, Arthur Dreyfus.

Alors que Ronsard, se veut féroce dénonciateur – « Le Roy, comme l’on dit, accole, baise et lesche / De ses poupins mignons le teint frais nuit et jour » – et  se montre homophobe (pour utiliser un terme d’aujourd’hui), son contemporain Marc Papillon de Lasphrise préfère l’éloge :

« Mon mignon sera donc d’un poil blond brunissant,

Son front grand, élevé, d’un marbre blanchissant […]

Là je vaincs le vainqueur, et là superbement

Adextre au jeu d’aimer, par un beau remuement

Je me perds, je me meurs en si douce mêlée ».

L’on n’échappe évidemment pas au fameux « Sonnet du trou du cul » concocté par Rimbaud, aux classiques de Jean Cocteau, au « Sonnet foutatif » de Claude Le Petit, au « Condamné à mort » de Jean Genet, qui « enfile ton âme ». Autant d’attendus, de curiosités et de raretés en un tel volume, voilà qui est précieux. Saluons fort heureusement la liberté de publication d’un tel volume, qui témoigne que la formule de Maw Jacob, dans Le Cornet à dés, en 1927, est largement démodée : « Sodome ! La statue de sel porte un écriteau : sens interdit ».

Cependant, par les soins d’Alphonse Gallais, « la leçon d’enculage d’un beau garçon » est plus de l’ordre du manifeste et de la versification réussie que de la poésie au sens esthétique du terme. Le maître d’œuvre, Franck Delorieux, ratisse fort large. En effet l’« Ode à Priape » d’Alexis Piron est plus largement hétérosexuelle. Et la présence des superbes quatrains d’Albert Samain commençant par « Mon âme et une infante en robe de parade » est justifiée de manière spécieuse par une « ambigüité de genre » que l’on appellera plus tard « le queer ». À tous égards, le défi reste le même : préserver la plasticité esthétique de l’éros.

Là encore il s’agit d’une belle édition illustrée, cette fois au moyen du graphisme du Lisboète Tomás Castro Neves, aux grisés et bleutés vifs et savoureux, où les corps nus dansent et parfois s’enlacent, quoique leur nudité reste pudique, sans cette érection qui abonde parmi les poèmes. Sans nul doute, ce volume peut voisiner avec l’Anthologie de la poésie érotique par les soins de Marcel Béalu[2]. Ne reste plus aux éditions Seghers qu’à imaginer un volume en miroir, consacré à la poésie lesbienne, même s’il existe un Baiser vertige[3], quoique autant gay que lesbien…

Conjointement au Frankenstein de Mary Shelley, Le Portrait de Dorian Gray  est l’un des plus beaux romans fantastiques du romantisme et du décadentisme anglais. Il n’est guère de doute que la culpabilisation de l’éros homosexuel par une société aussi puritaine qu’hypocrite et vindicative ait joué un rôle crucial dans l’écriture d’Oscar Wilde. De cette culpabilité cependant, le roman et surtout la poésie, sous le manteau de l’allusion esthétique, mais aussi d’éditeurs confidentiels, ont su libérer avec volupté ce qui aujourd’hui peut se vivre et s’écrire librement dans les sociétés de démocraties libérales. Jusqu’à quand ? Ligues de vertu, fanatismes religieux, pulsions de pouvoir par l’enfermement dans les carcans des comportements majoritaires, voire minoritaires autant qu’autoritaires, qui sait si nous pouvons faire longtemps confiance en la capacité humaine à générer des libertés, esthétiques et érotiques.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Lord Alfred Douglas : Oscar Wilde et quelques autres, Gallimard, 1930, p 66.

[3] Baiser vertige, anthologie préparée par Nicole Brossard, Éditions Typo, Montréal, 2006.

 

Museo romano, Mérida, Extremadura.

Photo T. Guinhut.

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17 décembre 2024 2 17 /12 /décembre /2024 13:22

 

Porcelaine chinoise, château de Valençais, Indre.

Photo T. Guinhut.

 

 

 

Sous le ciel étoilé

des Poètes et Lettrés chinois.

De la Pléiade aux Rêves de printemps.

 

Sous le ciel étoilé de la poésie. 60 poètes chinois et français,

sous la direction de Gao Feng et Zhang Ruling, Gallimard, 2024, 396 p, 20 €.

 

Anthologie de la poésie chinoise, sous la direction de Rémi Mathieu,

La Pléiade, Gallimard, 2015, 1548 p, 65 €.

 

Poèmes chan, traduits du chinois par Jacques Pimpaneau,

Philippe Picquier, 2005, 96 p, 18 €.

 

À l’ombre des pêchers en fleur, traduit du chinois par Huang San et Boorish Awadew,

Philippe Picquier, 2015, 224 p, 18 €.

 

 

 

Bleue et rouge est la reliure – mais aussi les tranches – de cette élégante et symbolique anthologie biface. Car « sous le ciel étoilé de la poésie » ne pèsent pas les frontières. Certes, auprès du bleu républicain, nous nous serions volontiers passés du rouge au sens communiste du terme, puisque la Chine est continent totalitaire, mais au service de l’amitié des Lettrés, ces anthologies, bilingues ou non, ne nous permettront  pas de résister. D’autant que cet exceptionnel volume est une invitation pour un plus imposant ouvrage de La Pléiade, quoique toujours inévitablement incomplet. Une anthologie est toujours une gageure : songez à ces trois mille ans et à ce continent que quelques pages, fussent-elles 1500, ne sauraient dire. Pourtant, après les superbes anthologies de poésie consacrées en Pléiade à l’Allemagne, à l’Espagne, à l’Italie et à l’Angleterre, sans compter la France, il fallait bien franchir les anciens parapets de l’Europe. C’est évidemment à la Chine qu’il fallait songer, d’autant qu’elle est depuis la plus haute antiquité coutumière de la pratique anthologique : Confucius, au Vème siècle avant notre ère, aurait déjà compilé la sienne. Ce qui nous permet d’élargir notre curiosité à la culture et aux mœurs chinoises, jusqu’À l’ombre des pêchers en fleurs et auprès des Rêves de printemps, érotiquement gracieux.

Si le préfacier, en l’occurrence Amin Maalouf, est bien un membre titulaire de l’Académie française, l’on peut considérer que cette dernière a son répondant en l’espèce de l'Académie de poésie Hanlin. Il s’agit d’une institution héritière de milliers d'années d'histoire et de culture chinoises, qui ; « sous le ciel étoilé de la poésie », réunit en miroir classiques français et chinois. L’on se doute combien il s’agit d’un imparable défi que de sélectionner seulement 30 poètes français et autant de chinois pour donner la mesure des meilleurs lettrés en vers. Ainsi en France, nous allons de Ronsard – « Quand vous serez bien vieille » – à Yvon Le Men, qui, dans son « Désir de poème », évoque une île qui « Porte un nom couvert d’ailes / Et de cris ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’on ne s’étonnera pas de retrouver Baudelaire et Louise Labé,  « Le temps des cerises » de Jean-Baptiste Clément, Rimbaud, Apollinaire et Bonnefoy, un poète que le vent « avait désécrit ». À cet égard, le lectorat de la langue de Molière ne sera guère surpris, quoiqu’il ait le plaisir de trouver un condensé, un parcours éclair. La découverte est plus inédite pour nous côté chinois, en une traversée inversement chronologique, puisque l’on va de notre contemporain Chen Xianfa jusqu’au vieux Wang Wei, né en 701, dont le « Soir d’automne en montagne » est soudain le nôtre. Aujourd’hui encore, Shu Ting cherche le « sublime amour » :

« Aimer non seulement ta haute stature,

Mais ta stabilité et la terre à tes pieds. »

Il faut bien cependant convenir de notre caractère éphémère, tel que le constate « Avec sentiment », Li Jinfa :

« La vie est

Au coin des lèvres du dieu de la Mort

Un sourire. »

Le rapprochement de deux pays si éloignés géographiquement pourrait paraître de circonstance, mais outre que le sentiment poétique est universel, ne peut-on pas découvrir de subtiles affinités entre Soir d’automne en montagne, de Wang Wei, ou Printemps au Sud du fleuve, de Du Mu, et notre romantique Lac de Lamartine, quoique mille ans plus tard ? La mélancolie d’Il pleure dans mon cœur de Verlaine ne dialogue-t-elle pas avec La ruelle sous la pluie de Dai Wangshu ? Ce dernier en effet chante pour notre complice émotion :

« J’aimerais tant rencontrer

Une jeune fille portant la tristesse

Comme fait le lilas. »

Mieux encore, l’on peut considérer que le bilinguisme d’un tel ouvrage permette qu’il soit une référence dans l’enseignement croisé de deux langues, de l’Ouest occidental et de l’Est mandarin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De « l’aigle pêcheur » qui introduit (vers l’an -1045) une chanson d’amour, et « Laisse le soleil chasser l’aube / Bouger mon poème » qui, en 1988, ferme cette Anthologie de la poésie chinoise en Pléiade, la nature, son paysage de montagne et d’eau, est une constante rarement oubliée, comme chez Tao Yuanming :

« Longtemps j’ai vadrouillé par les monts et les lacs […]

L’humaine vie n’est rien, si ce n’est illusion.

Et tout doit pour finir retourner au néant. »

Pour figurer l’ascension spirituelle, le marcheur monte vers le ciel ; non loin de la pensée du taoïsme et du bouddhisme. Ainsi, la poésie est le sceau de l’harmonie du monde, de l’homme et de la nature, au-delà même des convulsions politiques qui font changer les dynasties, depuis les Zhou, en passant par les Tang et les Song, suivis par les Yuan mongols, les Ming, et les Qing mandchous qui vinrent clore l’Histoire impériale en 1911. C’est ainsi, chronologiquement, que s’organise cette anthologie, guide des émotions par-delà les millénaires.

En Chine, la poésie a longtemps bénéficié d’une indéfectible reconnaissance sociale, du plus humble paysan qui chante les travaux et les jours, jusqu’au plus prestigieux lettré et au souverain, qui sont des calligraphes accomplis, et connaissent les « six arts », base de l’éducation en Chine ancienne. Liberté dans un monde corseté, refuge de la paix et de la beauté dans une Histoire où cicatrisent les guerres, le poème est une sorte de sacralité, d’ivresse intime. L’on se réfère toujours à Li Bai (701-162), y compris chez les écoliers, pour élire une paradoxale permanence de la sensibilité : « Nuages flottants, état d’âme du voyageur ». Dire son cœur avec une portée philosophique, telle serait l’ambition du poète. Surtout au cours de la période Tang, âge d’or poétique, parmi lequel fleurissent Du Fu (712-770) et Li Bai (dont l’art virtuose n’est pas loin de celui du haïkaï du japonais Bashô[1]) :

« Au pied du lit la lune étend son vif éclat ;

On croirait presque voir du givre sur la terre.

Si je lève les yeux, c’est la lune brillante.

Si je baisse les yeux, le pays de mes pères. »

Autres thèmes récurrents, l’exil, l’amitié, la poésie elle-même, le vin, la musique. Récurrente également l’imitation des textes anciens, en une posture cultivée obligée, ce qui n’interdit pas, comme chez Li Bai, l’invention de mots et d’images novateurs. Quand l’image picturale est souvent de la même main que celle du calligraphe et poète. La lecture de la nostalgie d’un des poètes du « Yuefu » suggère alors une peinture à venir :

« Je désire être l’un des deux cygnes jaunes,

Voler haut dans les airs et rentrer au pays ! »

Quoique célébrées, aimées, surtout si elles sont chanteuses ou danseuses, peu de femmes écrivent (à moins qu’elles n’aient pas été retenues par le temps) en poésie chinoise : Li Qingzhao (1084-1155) ou Qiu Jin (1877-1907) disent les amours perdues. Ecoutons la première :

« Les fleurs d’elles-mêmes fanent, se dispersent, les eaux s’écoulent à leur gré,

Une seule et même pensée amoureuse,

Deux lieux à notre peine sans fin.

Ce sentiment, nul leurre ne peut l’éliminer,

Sitôt tombé entre les sourcils,

Il remonte à la pointe du cœur ».

Vers de quatre ou sept syllabes, poèmes en prose parfois, que seraient-ils si nous traduisions littéralement ? « oiseau voler montagne forêt, lune briller tard ciel », propose en note Rémi Mathieu. Deux syntaxes, chinoise et occidentale, irréductibles, là où il faut pourtant préférer la mise en langue française, mais la plus allusive possible. Reste que les poèmes réguliers appelés « shi », sont ici en alexandrins, décasyllabes et octosyllabes : bel effort de la part de la demie douzaine de traducteurs de la langue han, qui ont œuvré pour quatre mille poèmes, et environ neuf cents auteurs. Ce sont, disent les sages amateurs : « jades parmi les cailloux ».

Avec le XX° siècle, la poésie chinoise connaît sa révolution : les poètes ne sont plus des fonctionnaires de l’Empire, mais de simples écrivains. À la suite de l’abject réalisme socialiste prôné par le maoïsme, la Chine de Taiwan poursuit une voie plus novatrice, bientôt rejointe par les nouveaux poètes qui n’ont pas connu l’inculte « Révolution culturelle », et ceux qui écrivent en exil. Plus contemporains sont les « poèmes de Tian’anmen », que l’on devine guère officiels, quand résonne « Le brasier de la révolution détruisant l’impureté », quand des anonymes ont des « larmes en place de paroles ». Né en 1949, Bei Dao semble incarner une nouvelle ère à lui seul :

« La liberté est couvercle doré de cercueil

Suspendu au plafond de la prison […]

L’exil des mots a commencé »

Auprès de ce volume, les Chinois adorant les anthologies, dont les visées sont autant morales, politiques, qu’esthétiques, nous nous sentons un peu Chinois, quoique avec le détachement de leurs sages qui se fient moins aux turpitudes des hommes qu’à la beauté des montagnes. Rassurons ceux que les forts et dignes volumes de La Pléiade impressionnent, effraient : cette anthologie est rafraichissante : on ne la lira pas obligé de se courber en toute son humilité devant toutes ces soigneuses pages et ces notes profuses. Mais, surpris du bonheur de ce voyage millénaire, au hasard d’une pérégrination, selon Bei Dao,

« Le verre des mots une fois bu

Donne plus soif encore. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une plus modeste anthologie s’intéresse à la production poétique d’une voie bouddhique chinoise, qui deviendra chez le Japon voisin le zen. Dans une édition joliment illustrée – il faut convenir qu’à cet égard La Pléiade est un peu austère –  surtout de peintures de paysages, ces Poèmes Chan s’échelonnent du VI° au XVIII° siècle, tous écrits par des moines, plus exactement des bonzes. Là où « vie et mort, l’une et l’autre, possèdent leur beauté », il s’agit de faire feu de tout bois pour poétiser en toute pureté.

Que l’on ne s’attende pas à une écriture mystique, telle que l’Occident sut la parfaire, par exemple avec Hildegarde de Bingen, mais plutôt à une métaphysique du vide et du plein, héritée du taoïsme, et à une allusive fugacité humaine :

« Le corps ressemble à une auberge

Et le destin au voyageur qui passe.

Le voyageur parti, l’auberge est vide ;

Si vous le comprenez, qui reste à l’intérieur ? »

Ainsi Wang Fanzhi conclue-t-il son quatrain par une chute énigmatique, bien digne du koan zen.

La dimension paysagère, particulièrement montagneuse, est omniprésente, par exemple grâce Baiyang Fashun :

« Etranges sont ces pics, ce cortège de nuages,

La source n’a pour cours que cette eau qui gargouille,

Marcher dans la montagne n’épuise pas ses monts,

D’autres massifs encore nous barrent le regard. »

La méditation, quoiqu’un soupçon mélancolique n’en est pas moins paisible et richement vivante. Mais sans la moindre prétention à dire en perfection, comme le rappelle Tianru Weize au moyen de ce qui devient chez nous un alexandrin : « Transmis sur le papier, le propos convient-il ? »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Venu du XVII° siècle, ce « roman libre » presque anonyme est un peu plus qu’un récit léger pour allumer les papilles érotiques du lecteur. Certes en cet À l’ombre des pêchers en fleurs il s’agit de la vie d’un jeune étudiant « affligé d’un amour immodéré des femmes », qui balance d’une belle à l’autre. Il s’enrichit de l’expérience des aînés qui lui transmettent les « rudiments » de l’art de l’amour. Même si l’on y trouve les poncifs habituels du genre – qu’il faudrait enrichir de la lecture de La Vie sexuelle dans la Chine ancienne de Robert Van Gulik[2] – l’on remarquera avec intérêt que le plaisir des femmes est réellement au rendez-vous des séances de « nuages et pluie », élégante métaphore pour suggérer de délicieuses copulations.

Cependant les mœurs chinoises, en particulier politiques, sont évoquées, voire brocardées, lorsque notre étudiant gravit les échelons de la hiérarchie administrative, en passant de nombreux examens pour devenir mandarin, puis gouverneur. Il ne se fait pas faute de pourchasser l’injustice et de démasquer un criminel. Cette veine satirique, assistée de nombreux rebondissements et d’aventures galantes ne suffit peut-être pas à propulser ce livre dans l’immortalité des Lettres. Cependant notre perspicace et fougueux amant s’attache à emmener avec lui ses épouses aimées au « pavillon des Dix Loisirs » avant de leur permettre de rejoindre le « paradis des immortels ».

Voilà donc un livre qui saura plaire et instruire, et réjouir par ses illustrations aussi chinoises que coquines. Il ajoute à l’abondante gamme extrême orientale des éditions Philippe Picquier un modeste volume qu’au vu d’une couverture au goût aussi exquis que démonstrativement suggestif nous n’aurons pas la cruauté de négliger.

Ce n’est pas quitter l’espace des lettrés et de la poésie que de découvrir l’art érotique chinois. Si l’on cherche à compléter l’essai magistral de Robert Van Gulik déjà cité, vient à point un album somptueusement illustré. L’on s’embrasse et se conjoint, sous le titre Rêves de printemps. L’art érotique en Chine[3]. Issus de la collection Bertholet, ces objets et peintures dessinent des personnages un brin stéréotypés certes, aux visages poupins, mais dont les câlins appuyés – qui ne cachent rien de l’union des sexes – sont empreints de délicatesse. L’on illustre ici des extraits de célèbres romans fort galants, tels le Jin Ping Mei[4], sous-titré « Merveilleuse histoire de Hsi Men avec ses six femmes ». De la vie sexuelle d’antan aux lupanars à Shangaï dans les années 1920, se déploie un monde passablement idéalisé de jours heureux, par la grâce de peintures savantes sur papier, mais aussi sur des laques noires rehaussées de feuilles d’or. Quelque coquine amusée épie des ébats fort explicites depuis un rideau, parfois même allègrement homosexuels. Les damoiselles et damoiseaux prennent visiblement bien de la volupté à de tels exercices, qui, ainsi magnifiés, ne devraient laisser personne insensible, non seulement esthétiquement, mais... Cet album, dont les judicieux commentaires convoquent la poésie, ouvre pour le lecteur sans préjugés un monde de raffinement et de talents artistiques où les perspectives diagonales des habitations et les couleurs pastelles des intérieurs et des jardins également sont à ravir…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Robert Van Gulik : La Vie sexuelle dans la Chine ancienne, Gallimard, 1977.

[3] Rêves de printemps. L’art érotique en Chine, Philippe Picquier, 1998.

[4] Kin P’ing Mei, Club Français du Livre, 1967.

 

Porcelaine chinoise, château de Valençais, Indre.

Photo T. Guinhut.

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Agonie scientifique et sophisme français

Impéritie de l'Etat, atteinte aux libertés

Retraite communiste ou raisonnée

 

 

 

 

 

 

Etats-Unis romans

Dérives post-américaines

Rana Dasgupta : Solo, destin américain

Bret Easton Ellis : Eclats, American psycho

Eugenides : Middlesex, Roman du mariage

Bernardine Evaristo : Fille, femme, autre

La Muse de Jonathan Galassi

Gardner : La Symphonie des spectres

Lauren Groff : Les Furies

Hallberg, Franzen : City on fire, Freedom

Jonathan Lethem : Chronic-city

Luiselli : Les Dents, Archives des enfants

Rick Moody : Démonologies

De la Pava, Marissa Pessl : les agents du mal

Penn Warren : Grande forêt, Hommes du roi

Shteyngart : Super triste histoire d'amour

Tartt : Chardonneret, Maître des illusions

Wright, Ellison, Baldwin, Scott-Heron

 

 

 

 

 

 

 

Europe

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

Fables politiques

Le bouffon interdit, L'animal mariage, 2025 l'animale utopie, L'ânesse et la sangsue

Les chats menacés par la religion des rats, L'Etat-providence à l'assaut des lions, De l'alternance en Démocratie animale, Des porcs et de la dette

 

 

 

 

 

 

 

Fabre

Jean-Henri Fabre, prince de l'entomologie

 

 

 

 

 

 

 

Facebook

Facebook, IPhone : tyrannie ou libertés ?

 

 

 

 

 

 

Fallada

Seul dans Berlin : résistance antinazie

 

 

 

 

 

 

Fantastique

Dracula et autres vampires

Lectures du mythe de Frankenstein

Montgomery Bird : Sheppard Lee

Karlsson : La Pièce ; Jääskeläinen : Lumikko

Michal Ajvaz : de l'Autre île à l'Autre ville

Morselli Dissipatio, Longo L'Homme vertical

Présences & absences fantastiques : Karlsson, Pépin, Trias de Bes, Epsmark, Beydoun

 

 

 

 

 

 

Fascisme

Histoire du fascisme et de Mussolini

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Haushofer : Sonnets de Moabit

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré, une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

VIII Morphéor intelligence quantique amoureuse

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com

XVIII Bibliothèque Hespérus et Petite porcelaine bleue

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme : Ages & Colloques

Manuzio, Budé, Byzantinistes & Coménius

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Vanité de la mort : Vincent Wackenheim

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

La Cité aux murs incertains, L'Incolore Tsukuru

 

 

 

 

 

 

Muray

Philippe Muray et l'homo festivus

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

Miscellanées littéraires : Cloux, Morrow...

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Pléiade & Sonnet pour Hélène LXVIII

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Les obsolètes face à l'intelligence artificielle

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science-fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Métamorphoses du sonnet contemporain

 

 

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Wells

Wells aventurier du temps et socialiste déçu

 

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

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