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24 avril 2025 4 24 /04 /avril /2025 10:21

 

Cascade du Saut de la Brame, Thiat, Haute-Vienne.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Henry-David Thoreau, de l'étang de Walden

 

au Journal de la désobéissance civile.

 

 

 

Henry-David Thoreau :

Journal 1837-1841, Journal 1841-1843, Journal 1844-1846, Journal 1846-1850,

traduit de l’anglais (Etats-Unis), annoté et présenté par Thierry Gillybœuf,

Finitude, 2012-2016, 256 p, 22 € ; 320 p, 23 € ; 320 p, 23 € ; 400 p, 25 €.

 

Henry-David Thoreau : Walden ou la vie dans les bois, traduit par Louis Fabulet,

Reliefs, 2024, 508 p, 31,90 €.

 

Henry-David Thoreau : Le Paradis à reconquérir, traduit par Nicole Mallet,

Les Mots et le reste, 2019, 96 p, 3 €.

 

Henry-David Thoreau : Marcher,

traduit par Sophie Rochefort-Guillouet, L’Herne, 2014, 90 p, 7,50.

 

Henry-David Thoreau : Résistance au gouvernement civil,

traduit par Sophie Rochefort-Guillouet, L’Herne, 2010, 72 p, 7,50.

 

 

     Jusqu'où peut-on être un chantre enthousiaste de la nature ? L'Américain Thoreau peut paraître excessif à cet égard, tant il est peu amène envers le progrès. Peut-être n'irons-nous pas naïvement vivre avec lui dans les bois de l'étang de Walden, malgré toutes ses beauté. Laissons-nous cependant porter par son Journal, qui est l’œuvre de la vie d’Henry-David Thoreau (1817-1862). C’est un archipel d’une quinzaine de volumes, dont huit sont parus aux Etats-Unis. Grâce à la bonne volonté, à la patience des éditions Finitude et de Thierry Gillybœuf, qui traduit, annote avec tant de ferveur son auteur favori, nous pouvons en lire les quatre premières livraisons, entre 1837 et 1850. Nous supposerons qu’elles se dérouleront jusqu’en 1862, année de la mort de Thoreau, qui ne publia de son vivant que deux volumes, dont Walden ou la vie dans les bois et le fameux La désobéissance civile, manuel libéral, quoique peut-être trop facilement invoqué comme protestataire. Son transcendantalisme, issu d'Emerson, auquel il n'adhère cependant que partiellement, le conduit à un isolement finalement anti-américain, ce qui nous permet de le penser comme un philosophe politique un brin discutable.

      « Mon journal contient de moi tout ce qui, sinon, déborderait et serait perdu : des glanures du champ que je moissonne à travers mes actes », écrit-il en 1841. Cette éthique restera toujours sienne, au long des trente-neuf cahiers pour lesquelles il fabriqua une caisse en pin, simple écrin pour un immense trésor littéraire. D’abord bribes et notations, fragments d’essais et poèmes, le Journal évolue peu à peu vers sa plus pure expression : les évocations de la nature et la place modeste d’une sagesse humaine éphémère en son sein. Car ce marcheur des frontières naturelles et des espaces sauvages, cherchait les bouts du monde. Comme lorsqu’il escalade les 1605 mètres du Mont Ktaadn[1], ou Kathadin, dans le Maine, pour découvrir l’immensité d’un désert forestier, sans contrat aucun avec l’homme. Ou lorsqu’il atteint une extrémité terrienne devant la fureur des vagues, ce qu’il relate dans les tableaux puissamment colorés de Cap Cod[2]. Il connaît intimement et de longue expérience l’art de la Marche[3], son rythme, sa cadence et son regard ouvert ; et c’est ainsi que s’écrit son Journal, comme en témoigne une conférence donnée en 1851, et sobrement intitulée Marcher, à la recherche d’une « littérature qui permette à la Nature de s’exprimer », car, ajoute-t-il « Ma soif de savoir est intermittente, mais mon désir de baigner dans des atmosphères que mes pieds ne connaissent pas est permanent et constant ». Ainsi vont les pages du Journal parmi lesquelles « tout est sujet […] de la planète et du système solaire jusqu’au moindre crustacé et au moindre galet sur la plage » (12 mars 1842).

      Philosophe transcendantaliste, dans la compagnie d’Emerson[4], Thoreau entretient avec la nature et la vie un lien quasi-mystique. Emporté par « la fièvre poétique », il compose « L’invitation de la brise », quand les auteurs de l’antiquité grecque veillent à son chevet. Sans jamais oublier sa devise du 26 juin 1840 : « L’état suprême de l’art est l’absence d’art ». Ainsi, « Une phrase parfaitement saine est extrêmement rare. Parfois j’en lis une qui a été écrite lorsque le monde tournait rond, quand l’herbe poussait et que l’eau coulait. » (10 janvier 1841). Des moments véritablement zen ravissent le lecteur, comme cette mise en abyme : il lit la piste d’un renard, « l’étang était son journal », où « la neige a fait tabula rasa » (30 janvier 1841).

      Parfois, le Journal se fait recueil d’aphorismes : « Il existe deux sortes d’auteurs : les uns écrivent l’histoire de leur époque, les autres leur biographie » (18 avril 1841). Son impressionnante culture littéraire se heurte cependant à des jugements pour le moins rapides, voire démagogiques : « L’ensemble de la poésie anglaise depuis Gower réunie dans un même écrin parait bien médiocre comparé à la nature la plus ordinaire aperçue par la fenêtre de la bibliothèque ». Ce qui ne l’empêchait pas de tenir à ses livres, y compris aux trente-neuf volumes manuscrits de ce Journal qu’il protégeait jalousement !

      L’éloge de l’espace naturel fait vibrer les pages. Le romantisme de Thoreau doit se lire dans la continuité des poètes lakistes anglais, mais aussi dans le cadre de l’exaltation du pionnier américain. La quête de la sagesse irrigue également le Journal. En effet le 27 juin 1840, au regard des bruits du labeur humain, il précise son éthique personnelle, inspirée par la pensée orientale de Manu et des Brâhmanes, aussi individualiste qu’hédoniste : « je ne veux rien avoir à faire ; je dirai à la fortune que je ne traite pas avec elle, et qu’elle vienne me chercher dans mon Asie de sérénité et d’indolence si elle peut ». Plus loin, le 27 mars 1841, il note : « Je ne dois pas perdre une once de liberté en devenant fermier et propriétaire terrien ». Heureusement pour lui qu’Emerson mit à sa disposition la pauvre cabane de Walden !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Si le ravissant Journal de Thoreau n’innove guère du point de vue générique, malgré l’éclatement des notations visuelles, sensibles, et la fluctuation des pensées, il faudra chercher en Walden ou la vie dans les bois, publié en 1854, l’horizon d’un nouveau genre au croisement du récit de voyage, de l’essai naturaliste et du traité d’éthique écologique ; à moins de penser dans une certaine mesure aux Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau. Nous trouvons l’occasion de le relire, avec le secours d’une récente traduction de Louis Fabulet, peut-être plus agile que celle de G. André-Laugier, quoique cette dernière eût l’avantage d’être publiée dans le cadre d’une édition bilingue[5]D’autant que cette perle des éditions Reliefs est bellement illustrée par Clément Thory de forêts et d’étangs richement colorés.

      Voici le récit de deux années passées dans une fruste cabane au bord d’un étang forestier du Massachussetts, à partir de juillet 1845. Il commence cependant par un réquisitoire contre la civilisation moderne, et, en contrepartie, par une plaidoirie enthousiaste à l’égard de la vie naturelle. La dimension pamphlétaire de Walden ou la vie dans les bois, dont le Journal est une matrice, s’insurge contre la culture artisanale, industrielle et urbaine. Quoique gagnant sa vie en pratiquant le métier d’arpenteur, le voilà « arpenteur, sinon des grandes routes, du moins des sentiers forestiers et des chemins de traverse », « inspecteur autoproclamé des tempêtes de neige et des orages de pluie ». Récit d’une expérience, ce livre est aussi un recueil de petits essais à la Montaigne, c’est-à-dire « à sauts et à gambades », avec des parties intitulées « Economie », « Lecture » ou « Considérations plus hautes », quand d’autres s’appellent plus humblement « Solitude », « Le champ de haricots » ou « L'étang en hiver ».

      Son centre du monde est en effet l’étang de Walden, auprès duquel il resta chaste et presque végétarien, vivant dans une relative autarcie, quoique bien proche de Concord et de ses amis, pour écrire dans une cabane aux poutres de pin taillées à la hache. Aussi s’agit-il dans une certaine mesure d’une réponse à l’expérience de George Ripley qui, dans le même temps, pensait améliorer l’homme et ses conditions d’existence au moyen de la collectivité agraire de Brook Farm. Thoreau choisit de vivre une expérience solitaire, comme, toutes proportions gardées, Robinson Crusoé. Or la seule vision mystique de la nature, telle que pouvaient la pratiquer certains romantiques comme Wordsworth, n’est pas son fait : il privilégie la vision du naturaliste.

      Il n’est pas sans avoir cependant des convictions discutables, comme préférer à toute éducation celle des forêts et de la construction d’une cabane ou d’un canif. Plaçant l’expérience bien au-dessus de la théorie, il rétrécit pourtant le champ de l’évolution humaine et technique. Mais fidèle à son éthique, il cultive son terrain dans le cadre d’une simple économie de subsistance, « car le commerce corrompt tout ce qu’il touche », dédaignant les plus fiers monuments de l’architecture et de l’Histoire, ne nous laissant rien ignorer de ses travaux manuels intenses, de sa nourriture et de son budget, modestes au demeurant. Aussi ne cesse-t-il de faire l’éloge de la frugalité, voire de la pauvreté. Pourtant, plus loin, il se contredit : « Ce qui me plait dans le commerce, c’est l’esprit d’entreprise et le courage », tout en célébrant la régularité du chemin de fer qui passe non loin de son étang.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Le Thoreau de Walden est également un moraliste, par exemple en doutant de la philanthropie, qui « est presque la seule vertu qui soit appréciée à sa juste mesure par l’humanité. Mieux voudrait dire qu’elle est grandement surestimée ; et c’est notre égoïsme qui la surestime ». L’argumentation morale glisse parfois jusqu’à l’aphorisme : « Ne vous obstinez pas à surveiller les pauvres ; efforcez-vous plutôt à devenir un digne habitant de ce monde ».

      Au bord de l’étang de Walden, il entend « le poème de la création ». La verve lyrique de l’écriture transporte le prosateur, qui découvre avec émotion que « sa maison se situait vraiment dans une partie de l’univers retirée mais toujours nouvelle et non profanée », même si l’on vient l’hiver scier et charrier la glace de son étang. Il accorde toute son attention aux « bruits », cloches lointaines, chant des engoulevents et des grenouilles-taureaux. Ainsi confie-t-il : « Je n’ai jamais trouvé compagnon d’aussi bonne compagnie que la solitude ». Ou encore : Ne suis-je pas en intelligence avec la terre ? »

      Il n’est pas tendre, quoique réaliste, à l’égard des habitants de Concord, le village voisin, qui ne lisent ni les indispensables grands classiques, ni les écritures saintes : « Il est temps que nos écoles soient des universités, et leur ainés des chargés de cours […] pour continuer des études libérales pour le restant de leur vie ». Nous apprécions son éloge de l’éducation libérale[6], tout en relevant qu’il faudra pour cela s’abstraire un tant soit peu de la « vie dans les bois ». Néanmoins, entre contemplation et art de la description paysagère, entre sarclage du champ d’haricots, pêche aux tacauds et cueillette des myrtilles et des airelles, il reçoit volontiers quelques visiteurs, étonnés ou compréhensifs. Il est poète en prose certes, ce qui ne l’empêche en rien d’être doté d’un solide esprit pratique, lorsque, par exemple, il prend tant de soin à construire sa cheminée, précieuse quand gèle le lac, lui consacrant tout un chapitre (« Pendaison de crémaillère ») comme le fit son contemporain Herman Melville dans Moi et ma cheminée[7]. Au rythme des saisons, des observations devant de paisibles perdrix ou de batailleuses fourmis, et des méditations lyriques et philosophiques, ces pages ne peuvent manquer de nourrir leur lecteur : « Aimez votre vie, si pauvre soit-elle », conclue-t-il…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      C’est dans Le Paradis à reconquérir (une réponse acide au projet d’utopie technique de John A Etzler) qu’il prononce des phrases dignes d’une conscience écologique d’aujourd’hui : « Nous nous comportons avec tant de mesquinerie et de grossièreté envers la nature ! Ne pourrions-nous pas la soumettre à un travail moins rude ? » Cependant l’utopie régressive de Thoreau, prophète rassis de la décroissance (quoiqu’il ne prétende pas l’imposer à autrui de manière autoritaire), ne vaut guère mieux, affirmant : «  Les inventions les plus merveilleuses des temps modernes retiennent bien peu notre attention. Elles sont une insulte à la nature ». Il termine cette recension critique d’une manière emphatique et un brin ridicule, car l’amour est une force qui « peut créer un paradis intérieur qui permettra de se passer d’un paradis extérieur ». Il y a cependant un louable versant scientifique chez notre naturaliste, lorsque dans un petit essai, La Succession des arbres en forêt,[8] il montre que ce n’est pas par magie et génération spontanée que poussent les arbres loin de leur habitat, mais parce qu’écureuils et oiseaux transportent graines et semences. L’explication naturelle succède aux élucubrations surnaturelles et créationnistes de ses contemporains.

      Diariste, conférencier et philosophe politique se liguent en lui au cœur d’une conscience américaine en gestation. Bientôt, il sera reconnu parmi les grands, entre Herman Melville, Walt Whitman et Emily Dickinson. Quoique caché sur le bord de son étang, il rayonne comme le chantre d’un espace et d’une conscience à préserver. Evidemment, toute la tradition du « nature writing », voire une bonne part de la pensée écologiste, découlent de notre poète-prosateur et philosophe des sentes forestières. La sensation intérieure et la conscience environnementale se fondent en un seul leitmotiv.

      Certes l’on aime Thoreau ; mais il faudra prendre garde à ne pas l’idéaliser, surtout en l’effleurant comme l’on révère une rumeur, faute de le lire. L’on est bien content que la révolution industrielle qu’il rejetait en préférant les bois de Walden, nous ait apporté un appréciable confort de vie. Lorsqu’il vitupère dans Marcher, « Je rêve d’un peuple qui commencerait par brûler les clôtures et laisserait croître les forêts », il ne s’embarrasse guère de la propriété, dans une rousseauiste nostalgie, et des investissements de la civilisation. Il n’aime guère non plus ni les beaux-arts, ni la technique, ni la division du travail, dans une optique passéiste accordée à une nature édénique. Pas tout à fait fou cependant il reconnait dans Walden qu’il vaut « certainement mieux accepter les avantages, aussi chèrement payés soient-ils, proposés par l’invention et l’industrie des hommes ». Bien que nous nous gardions de faire de sa pensée un système, encore moins une dictature écologiste, nous aimons Thoreau comme une pause fondamentale hors du bruit de la cité, comme un rêve de grandes vacances rustiques et éternelles parmi les forêts, comme une conscience nécessaire de l’homme dans la nature, et surtout comme un chantre farouche de la liberté : « je suis un citoyen libre de l’univers, qui n’est condamné à appartenir à aucune caste », écrit-il en 1842.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      La désobéissance civile, publiée en 1849, et aujourd’hui sous le titre Résistance au gouvernement civil, est-il un mythe pour adolescent frondeur ou une réelle philosophie politique ? Les libéraux classiques peuvent à juste titre revendiquer ce fulgurant essai. Notons qu’il fut publié dans la collection « Libertés » chez Jean-Jacques Pauvert, où il voisina avec le regretté Jean-François Revel[9]. De plus, si nous ouvrons la fabuleuse anthologie des Penseurs libéraux[10], nous en trouvons un bel extrait, titré « Désobéir aux lois ». Libéral, certes, mais anarchisant : « Il y a quelque chose de servile dans l’habitude que nous avons de chercher une loi à la quelle obéir », écrit-il dans Marcher. En ce sens, le concept de désobéissance civile peut être brandi aussi bien par l’anarcho-capitaliste que par le plus fruste libertaire, par le philosophe issu des Lumières et en butte à l’injustice et au despotisme, que par une gauche révolutionnaire. Cette remise en cause de l’Etat, certes à l’époque de Thoreau encore esclavagiste, mais absorbant moins dans les bras de sa pieuvre la vie économique qu’aujourd’hui, reste en butte contre les principes libéraux classiques de l’Etat régalien gardien de la liberté.

      « Le gouvernement le meilleur est celui qui gouverne le moins ». Voici la phrase inaugurale et trop peu célèbre de cet essai vigoureux, souvent suivi du « Plaidoyer pour John Brown », autant au service « des droits des plus pauvres et des plus faibles parmi les gens de couleur opprimés par l’esclavage, que ceux des riches et des puissants ». Le réquisitoire contre l’Etat, dans le cadre d’une protestation contre la guerre menée par les Etats-Unis au Mexique, est d’une puissance éthique et rhétorique remarquable. Décrivant un fusilier marin, « debout vivant dans son suaire », il proteste : « La masse des hommes sert ainsi l’Etat, non point en humains, mais en machines avec leur corps ». Plus loin : « Pas un instant, je ne saurais reconnaître pour mon gouvernement cette organisation politique qui est aussi le gouvernement de l’esclave ».

      Son refus de l’impôt, donc de l’Etat auquel il ne voulut pas souscrire, lorsqu’il sert à mener une guerre qu’il désapprouve, est à la source de ce bref et néanmoins vigoureux discours. L’actualité de ce texte reste considérable à l’heure d’une fiscalité confiscatoire et d’une économie plombée, sachant que Thoreau passa une journée en prison pour ne pas vouloir payer l’impôt (on le paya pour lui) : « quand […] l’oppression et le vol sont organisés, je dis : débarrassons-nous de cette machine ». Plus loin : « Il existe des lois injustes, consentirons-nous à y obéir ? » Ou encore : « Il faut que je veille, en tous cas, à ne pas me prêter au mal que je condamne », ce qui conduisit aux mouvements de résistance passive, et à la détermination de Martin Luther King. La conclusion reste mémorable : « Jamais il n’y aura d’Etat vraiment libre et éclairé, tant que l’Etat n’en viendra pas à reconnaître à l’individu un pouvoir supérieur et indépendant d’où découlerait tout le pouvoir et l’autorité d’un gouvernement prêt à traiter l’individu en conséquence ».

      Le principe de désobéissance civile, si héroïque soit-il, ne délivre pas du jugement sur le bien et le mal, entre le bon choix et le mauvais choix, en faveur du droit naturel et non du droit positif déterminé par les législateurs et les tribunaux, pour reprendre la distinction de Léo Strauss[11]. Désobéir contre la tyrannie, et au service de la vertu, de l’égalité devant le droit, de la liberté économique, des mœurs et d’expression, soit. Mais pas au prix du divorce d’avec une loi, une doxa, une courtoisie, une justice bonnes. Pas dans le but conscient ou inconscient d’installer une tyrannie pire que la présente…

      La désobéissance civile devient alors un sur-romantisme, dans laquelle l’indigné, le révolté contre le pouvoir, quelque soit sa représentativité et sa légitimité, devient une sorte de messie des temps nouveaux, démocratiques et libertaires, ou prétendument. Trop souvent d’ailleurs les médias ont tendance à sacraliser les révoltés contre un pouvoir inique ou non, qu’il s’agisse des printemps arabes, cairotes ou syrien, des places de Kiev ou de Nantes, d’un José Bové, s’appuyant indûment sur l’opuscule de Thoreau pour saccager de forts utiles champs de Plantes Génétiquement Modifiées.

      Sans compter que l’obéissant fait moins spectacle que le désobéissant, que les désobéissantes et pacifiques foules familiales de la Manif pour tous sont moins spectaculaires et dignes d’images que les pillages des casseurs fascistes, des anarchistes en noir, des écologistes en vert et autres jeunes racailles diverses. Quoique le traitement policier soit moins tendre pour les premiers que pour les seconds, parce qu’ils sont plus faciles à circonscrire, et considérés comme réactionnaires (ils n’ont pas la bonne désobéissance idéologique), parce le diktat de gauche sur le pouvoir qui compte s’allier les seconds le paralyse.

      Entendons-nous : par les temps qui courent, la désobéissance civile est bien mieux acceptée si elle obéit à la bonne conscience de gauche. Il faut craindre que ce concept phare soit mangé à toutes les idéologies. Au point de plus les servir que de servir celui à laquelle s’adressait l’auteur de Walden : l’individu et ses libertés. Si tous ceux qui invoquent le fantôme de Thoreau sur des barricades civiles et mentales avaient la modestie, l’intériorité et la capacité créatrice d’écrire un tel essai, un tel Journal, peut-être ne démériteraient-ils pas d’Henry-David Thoreau. Comme lui, le 26 février 1841, pouvons-nous dire aujourd’hui : « Ce bon livre aide le soleil à briller dans ma chambre » ?

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Dont on peut lire le récit dans Henry-David Thoreau : Les Forêts du Maine, José Corti, 2008.

[2] Henry-David Thoreau : Cap Cod, Imprimerie Nationale, 2000.

[5] Henry-David Thoreau : Walden ou la vie dans les bois, Aubier-Montaigne, 1982.

[7] Herman Melville : Moi et ma cheminée, Falaize, 1951.

[8] Henry-David Thoreau : La succession des arbres en forêt, Les mots et le reste, 2019.

[10] Voir : Du concept de liberté aux penseurs libéraux

[11]  Leo Strauss : Droit naturel et histoire, Champs Flammarion, 2008.

 

Etang Grenouilleau, Mezières-en-Brenne, Indre.

Photo : T. Guinhut.

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17 avril 2025 4 17 /04 /avril /2025 12:04

 

Biblioteca, Monasterio San Lorenzo del Escorial, Madrid.

Photo : T. Guinhut.

 

 

Les plaies illibérales de notre temps :

Etatisme, Islamisme, écologisme, wokisme.

Préface au Requiem pour les libertés.

 

 

Un livre est un palais habité d’idées belles et justes. Du moins peut-on l’espérer. Néanmoins il est visité, parfois à demeure, par des fantômes, des monstres, qu’il est nécessaire de reconnaître pour ce qu’ils sont, qu’il est impératif de chasser en tant qu’ils sont les ténors et les basses de l’illibéralisme.

À cet égard il faut entonner un Requiem pour les libertés. Même si un tel titre parait abusivement définitif, constat de décès actant pour toujours la disparition de ce qu’on appelait « libertés », ce dernier vocable dont plus aucun dictionnaire papier, a fortiori internetesque, ne voudrait plus se souvenir. En effet, d’évidence, puisqu’un tel livre peut encore paraître, un tel requiem est pour le moins prématuré, même si le silence qui conspire de l’accueillir ne fait pas résonner – encore moins raisonner – l’exercice de la liberté de penser et d’agir. Il s’agit alors d’un faisceau d’avertissements que l’on espère salutaire, explicitant ainsi tant de menaces actives, de plaies de notre temps, au service d’une rédemption, si le terme n’est pas trop spirituel, d’un jeu dont il faut espérer que les dés ne sont pas d’avance pipés, prêtant au lecteur une acuité intellectuelle propre à secouer les chaînes, ou tout du moins, à permettre un muet quant à soi.

De ce faisceau – dont il faut retenir l’étymologie latine d’où vient le fascisme – l’on retiendra quatre principales exactions et autres étranglements dont fait preuve notre contemporain, français, mais pas seulement. L’étatisme, l’islamisme, l’écologisme et le wokisme. Sans compter, au service de ceux-là, le conformisme grégaire de nombre d’intellectuels et de médias ; comme à l’époque où il était de bon ton d’avoir tort avec le proto-communiste Sartre, plutôt que raison avec le libéral Aron[1].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’étatisme, ou constructivisme, est l’hubris des gouvernants et des Princes. Grâce auquel il prétend tout penser, tout organiser, tout encercler, pour le bien et le mal des peuples, considérés collectivement. Il est un avatar des tyrannies antiques et orientales, tout en se régénérant au moyen de l’Etat hégélien omniscient. Ainsi en 1821, légitimant l’autoritarisme prussien, le verbeux philosophe Hegel pérorait : « L’Etat est la réalité effective de l’Idée éthique – l’Esprit éthique en tant que volonté substantielle, claire à elle-même, qui se pense et se sait  […] étant donné que l’Etat est esprit objectif, l’individu ne peut avoir lui-même de vérité, une existence objective et une vie éthique que s’il est membre de l’Etat[2] ». L’on ne peut mieux affirmer le collectivisme au dépend de l’individualisme. Les descendants logiques de ces despotes sont le marxisme, le socialisme et le communisme, dont on connait l’illibéralisme économique et politique, rapidement concentrationnaires et meurtriers. La descendance socialiste et fasciste d’un tel tropisme proclamait avec Mussolini : « Tout dans l’Etat, rien hors de l’Etat, rien contre l’Etat ![3] ». Si cet étatisme parait aujourd’hui plus doux, c’est pour mieux enserrer dans le lacis de la suradministration, des lois sociales, des normes, des taxes, de l’égalitarisme, entretenant par voie de conséquence dettes abyssales, chômage, assistanat, stagnation et inefficacité. Préférant, par laxisme et pusillanimité, sacrifier les fonctions régaliennes de l’Etat, défense, police et justice – ces deux-là dont les personnels sont menacés, attaqués – pour mieux pratiquer ce vol légal que l’on appelle consentement à l’impôt, ce dernier étant pléthorique et omnivore, et pour aboutir à une paupérisation croissante. Ne doutons pas qu’augmentés du surétatisme européen, la pléthore de fonctionnaires et de stipendiés du service public, en tête au ministère de l’économie, soit foncièrement nuisible, tant l’Etat n’a pas à immiscer ses incompétences dans la bonne marche de la créatrice liberté d’entreprendre. Ce dieu Etat, que révérait Hegel, s’est incarné dans la législation socialiste comme indiscutable théologie pour nombre de citoyens, tant la pieuvre de la prédation, de la redistribution et du gaspillage étouffe de ses tentacules un pays – parmi bien d’autres – qui a beaucoup perdu de son esprit critique. La France n’est-elle pas malheureuse 63ème sur le palmarès de la liberté d’entreprendre, alors que Singapour et la Suisse, sont les deux premières, cette confédération helvétique voisine dont nous ne voulons pas voir les qualités de modèle…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le colonialisme de l’islam antisémite voile nos rues, abrutit nos écoles et menace de mort nos professeurs, non sans parvenir à ses fins. Le Coran commande à de nombreuses reprises le meurtre ou la conversion des infidèles et le pillage conquérant. Pourtant être islamophobe est un crime par la pensée – pour employer un concept orwellien – et être islamophile vaut onction d’ouverture des cultures, alors qu’en vertu du paradoxe de la tolérance énoncé par Karl Popper[4] c’est accepter et protéger ce qui ne tolère pas l’autre et surtout pas, le judaïsme, le christianisme et la laïcité, destinés à être livrés aux attentats terroristes, exterminés, comme en Syrie, en Arménie et tutti quanti… Ce pourquoi nous ne sommes guère religieux, même si le christianisme – du moins selon le Christ des Evangiles – nous semble plus respectable. De plus ce dernier a permis en son sein l’éclosion de la démocratie libérale et de l’athéisme. Au contraire de l’islam : « La vérité, c’est que l’islam ne parviendra jamais à la démocratie ni au respect des droits de l’homme aussi longtemps qu’il s’en tiendra à la charia et qu’il n’y aura pas de séparation de l’Eglise et de l’Etat ». C’est ce que Ibn Warraq, dont le nom quoiqu’il soit un prudent pseudonyme, révèle assez son origine, conclue en son vaste essai argumenté, signalant un fait piquant, ce pour revenir à Orwell : « La Ferme des animaux est interdite dans les pays musulmans car les principaux personnages sont des cochons, même s’ils sont en fin de compte brutaux et tyranniques[5] ». Sans oublier les attentats à l’encontre de l’écrivain Salman Rushdie, y compris en Occident occupé, ce n’est là qu’une preuve parmi tant d’autres de l’obscurantisme islamique, de son appétit de censure et d’illettrisme, de son totalitarisme intrinsèque et conquérant. Car contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, le djihad, sixième pilier de l’islam, n’est pas un modeste combat spirituel, mais selon l’autorité de l’historien des religions Rémi Brague : « la moins mauvaise traduction serait « combat sacré [...] militance[6] ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’écologisme – que l’on ne confondra pas avec l’écologie scientifique – invoque la planète et son essence naturelle en une religiosité béate, afin d’éradiquer l’industrie, le développement scientifique, le capitalisme, s’armant de l’argument fallacieux du réchauffement climatique d’origine anthropique. Une cause supérieure, surpassant les dieux disparus et les horizons politiques déchus, sous prétexte d’écovigilance, voire d’extravagant « écoféminisme », opprime avec délectation ceux qui contreviendraient à leur doxa, s’armant encore une fois de taxes, impôts, réglementations et interdictions. L’escroquerie est juteuse, n’est-ce pas…

Bien des millénaires ont vu se succéder refroidissements et réchauffements, sans la moindre causalité humaine. De plus notre actuel réchauffement, fort modéré, ne mérite aucun catastrophisme, d’ailleurs démenti par les faits, alors que les glaces polaires se portent fort bien, que l’océan ne s’élève pas, quand le gaz carbonique, ou C02, n’a rien d’un polluant ni de ce quelconque effet de serre, claironné par Hervé Le Treut et Jean-Marc Jancovici[7] qui prétendent le voir changer le climat à nos dépens, ce au contraire de la vapeur d’eau qui est le responsable de cet effet de serre qui nous épargne une glaciation certaine. Un nouveau lyssenkisme enfarine les esprits, au service du croissant pouvoir coercitif et financier de ses thuriféraires allant jusqu’à prôner la décroissance. Selon l’avisé polytechnicien Bruno Durieux, « l’écologisme est essentiellement un gauchisme réactionnaire […] une religion de la culpabilité, du reproche et de la punition, une thérapie par la terreur[8] ». Pensons qu’en France, l’on interdit toute prospection et exploitation du gaz et du pétrole, à peu près inoffensives, et bien qu’abondants, sous prétexte de principe de précaution – ce dernier inscrit dans la Constitution – et de verts espaces sauvages. Ainsi l’écologisme s’impose en toute impunité aux Etats, communes, médias et éditions, sans omettre le grand vecteur de propagande : l’Education Nationale ! Les écologistes ne sont-ils pas les descendants d’Hans Jonas – également auteur d’Une Ethique pour la nature – qui déclarait, dans Le Principe de responsabilité : « Puisque la tyrannie communiste existe déjà […] nous pouvons dire que, du point de vue de la technique du pouvoir, elle paraît être mieux capable de réaliser nos buts inconfortable que les possibilités qu’offre le complexe capitaliste-démocratique-libéral[9] ». Bel aveu de tyrannie verte qui affiche sa volonté de contrarier, et finalement détruire, entreprises, emplois, voire les vies humaines !

Salamanca, Castilla y Léon.

Photo : T. Guinhut.

 

Se prétendant éveillé à l’encontre de tout ce qui serait racisme, colonialisme, misogynie, fascisme, le wokisme chasse l’incorrect, présent, passé et à venir. Jusqu’à l’extrême-gauche, à l’Histoire pourtant chargée, manifestant et guerroyant contre quiconque aurait le front de lui déplaire, le prétendant « fasciste », en une grotesque reductio ad hitlerum. En un remarquable renversement des valeurs, le woke non genré parvient à faire peser le poids de la honte sur le mâle blanc occidental, comme le bolchevik chargeait de tous les péchés du monde le bourgeois. Sa « Cancel culture », appesantit les esprits, leur faisait croire à une croisade pour les droits civiques, alors qu’elle vise d’abord à effacer, annuler, abattre, qu’il s’agisse de statues anciennes, d’œuvres d’art et de libertés intellectuelles, corrigeant d’importance les musées, ces lieux de mémoire et de savoir. Une « génération offensée » - pour reprendre le titre de Caroline Fourest – se scandalise de moindres mots, de moindres allusions à des faits historiques, s’érige en « police de la culture[10] », au titre de la repentance et de la dignité exacerbée des homosexuels, des Noirs, des intersexuels, que l’Histoire a spoliés de leurs droits. Sonia Mabrouk liste les rongeurs avides de détruire notre civilisation : « décoloniaux, anti-sécuritaires pavloviens, féministes primaires, écologistes radicaux fous du genrisme et islamocompatibles », qui grouillent en un bouillon de déconstructeurs acharnés. Leur « idéologie inquisitrice[11] » a la pouvoir d’un marteau-pilon. « La religion woke[12] » s’est emparée de la place laissée vide par la déshérence du christianisme, mais aussi de la soif de pouvoir, de la faim d’oppression que fourbit trop souvent la nature humaine.

N’ignorons pas que les avatars des ennemis des sociétés libres, dont « l’intersectionnalité des luttes fait florès, en particulier l’islamogauchisme, font collusion pour favoriser le narcotrafic et pratiquer la bénédiction de la délinquance, comme lorsque les léninistes, nazis et autres mussoliniens usaient des bras armés des délinquants pour abattre les démocraties et assurer leur pouvoir matraqueur…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce n’est pas par vanité historiciste que l’on revient ici sur l’Histoire de la censure. En effet son retour, pas forcément d’origine étatique, mais délinquant, associatif ou fascistoïde, comme chez les black blocs par exemple, ne laisse pas d’accompagner des attentats contre des bibliothèques, des épurations de rayons, y compris parmi ces mêmes bibliothèques et les librairies qui n’achètent ni ne présentent tout simplement pas ce qui contreviendrait à leur doxa, a contrario de leur devoir de pluralisme et d’honnêteté intellectuelle. Mais aussi sur l’histoire des autodafés et du blasphème, des religions, de la novlangue politique, mais parce qu’ils sourdent pour longtemps de l’esprit humain, se réactivant sans cesse, par atavisme despotique, tant l’on aime exercer, mais aussi subir la tyrannie, ses violences et son confort en tant qu’il libère de la peine de la liberté et de l’individualité.

Construit à partir de quelques dizaines d’articles pompeusement affiliés à la rubrique philosophique de mon blog, l’on pourrait dire de ce livre au titre alarmant, Requiem pour les libertés, dont on pardonnera quelques redites, ce qu’avançait Michel Foucault, dans Les Mots et les choses, « Son existence ne se définissait pas tant par le regard que par la redite, par une parole seconde qui prononçait à nouveau tant de paroles assourdies[13] ». Faire entendre au mieux ces paroles dédiées à la quête de la vérité serait la vocation de cet essai, convaincus de la nécessité de la sauvegarde et de la renaissance des libertés.

Liberté d’expression, de pensée et de rire de tout, libertés économiques et politiques, libre échange, en cet essai prolixe aux chapitres écrits depuis l’an 2011, cependant forcément incomplet, tant les occurrences à l’encontre des libertés se multiplient, s’aggravent, elles sont ici consciencieusement et impertinemment défendues. Qu’ils trouvent leurs origines dans les résurgences impérialistes telles qu’en Russie et en Chine, qu’ils se concentrent dans des factions militantes extrême-gauchistes, dans des vagues de fond islamistes, les  ennemis du commerce, au sens du débat intellectuel comme économique y trouveront le miroir de leurs iniquités militantes. Mais aussi, ce qu’ils ne veulent lire ni comprendre, l’analyse des vertus du libéralisme, au travers de son histoire, de ses auteurs, qui ont inspirée des politiques qui se sont avérées au service de la prospérité des nations et des individus.

 

Requiem pour les libertés, essai, sommaire et extraits

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] La formule vient d’un roman de Jean Daniel : La Blessure, Grasset, 1992.

[2] Hegel : Principes de la philosophie du droit ou Droit naturel et science de l’Etat en abrégé, Vrin, 1998, p 258-259.

[3] Benito Mussolini : Discours à la Chambre des députés, 1927.

[4] Karl Popper : La Société ouverte et ses ennemis, Seuil, 2011, t I, p 222.

[5] Ibn Warraq : Pourquoi je ne suis pas musulman, L’Âge d’homme, p 235, 395.

[6] Rémi Brague : Sur l’Islam, Gallimard, 2023, p 199.

[7] Hervé Le Treut & Jean-Marc Jancovici : L’Effet de serre. Allons-nous changer le climat ? Champs Flammarion, 2009.

[8] Bruno Durieux : Contre l’écologisme, De Fallois, 2019, p 46, 56.

[9] Hans Jonas : Le Principe de responsabilité, Cerf, 1990, p 200.

[10] Caroline Fourest : Génération offensée. De la police de la culture à la police de la pensée, Grasset, 2020.

[11] Sonia Mabrouk : Insoumission française, L’Observatoire, 2021, p 115.

[12] Jean-François Braunstein : La Religion woke, Grasset, 2022.

[13] Michel Foucault : Les Mots et les choses, Œuvres I, La Pléiade, Gallimard, p 1181.

 

Biblioteca, Monasterio San Lorenzo del Escorial, Madrid.

Photo : T. Guinhut.

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10 avril 2025 4 10 /04 /avril /2025 17:47

 

Porcelaine chinoise, Château de Valençay, Indre-et-Loire.

Photo : T Guinhut.

 

 

 

Les Lois et les nombres

du continent politique chinois.

Suivi par les Gardes et Fantômes rouges.

Avec le concours de trois Traités sur le portrait.

 

 

Romain Graziani : Les Lois et les Nombres, Gallimard, 2025, 512 p, 24 €.

 

Luo Ying : Le Gène du garde rouge,

traduit du chinois par Shuang Xu et Martine de Clercq, Gallimard, 2015, 240 p, 20 €.

 

Li Chengpeng : Confessions d’un traître à la patrie,

traduit du chinois par Hervé Denès, Liana Lévi, 2015, 240 p, 19 €.

 

Tania Branigan : Fantômes rouges, Stock,

traduit de l’anglais par Lucie Modde, 2024, 432 p, 23,90 €.

 

Wang Yi, Jiang Ji & Ding Gao : Trois Traités sur le portrait,

Traduits du chinois par Yolaine Escande, Les Belles Lettres, 2025, 496 p, 49 €.

 

 

Peut-être la Chine est-elle en passe de devenir prochaine première puissance économique mondiale. Hélas pas le moins du monde une démocratie libérale, tant les Lois et les Nombres – pour reprendre le titre de Romain Graziani – y règnent de manière immémoriale et coercitive. D’autant que les « fantômes rouges », dont Tania Branigan réveille les masses sanguinolentes n’ont pas perdu de leur puissance traumatique. Aussi, au ridicule de la rouge propagande communiste, préférons les écrivains courageux, poètes et essayistes. Quoique dire la vérité en Chine soit une mission à peu près impossible. Que ce soit sur le passé ou sur le présent. Deux écrivains, s’armant de genres littéraires fort différents, tentent de forcer le bâillon de la censure. Luo Ying, afin de dresser un édifiant tableau du maoïsme fondateur, fait œuvre de poète, avec Le Gène du garde rouge, quand Li Chengpeng, avec ses Confessions d’un traître à la patrie, puise dans son infatigable activité de bloggeur, pour dénoncer le pêle-mêle de corruptions et d’exactions liberticides. Est-ce à dire qu’il faudrait repenser le portrait ancestral du Chinois, dont l’art avait également ses lois et ses nombres ? À moins que la Chine, monstre des technologies et des forces armées, soit un géant aux pieds d’argile ?

Un ordre immuable est censé régir le cosmos, l’Empire et la vie quotidienne du continent chinois. Dès le III° siècle avant notre ère, les penseurs légistes – soit les experts des lois et des méthodes de gouvernement – affirment une implacable vision de l’Etat et de l’autorité souveraine. Six siècles plus tard, l’idéologie confucéenne, prônant l’exemple personnel et le gouvernement par la vertu, ne fait que renforcer ce tropisme. En effet Romain Graziani nous avertit : « dès cette époque ont été institués des dispositifs de de sécurité et de surveillance qui s’emploient à tenir tout sujet sous l’œil de l’Etat et à instiller une inquiétude permanente parmi les éléments de la population les plus enclins à la corruption et à l’incurie ». Et, ajouterons-nous à la dissidence, à la liberté de pensée. La poésie chantait « Le Ciel dont l’œil voit tout », il trouve de nos jours son accomplissement dans le contrôle numérique satellitaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Romain Graziani, professeur en études chinoises, fonde sa compréhension de l’Empire du milieu sur l’association des « Lois et des nombres ». Sauf que ces nombres ne peuvent être réduits à des quantités, et que ces lois ne correspondent pas à la conception occidentale du droit. Mathématiques, divination, spiritualités, codes pénaux, taoïsme, poésie, et bien entendu arts de la guerre, si l’on pense à Sun Tzu, tout est au service de ce « logos chinois », de ce « culte de l’Un », qui « régit de même l’ordre du cosmos. Ce qui se manifeste par le credo « Enrichir l’Etat, renforcer l’armée ». De surcroit, essentielle est la « mercantilisation du pouvoir ». Ainsi travail de la terre, bureaucratie, méritocratie et capitalisme sont les maillons d’une chaîne continue. Quoique les aléas de l’Histoire, les invasions et autres changements de dynasties, sans parler de la « lourde dette du système héréditaire », voire du « génie de l’inutile », mais surtout de l’absurde Révolution culturelle communiste, aient souvent enroué la machinerie…

Pour ce faire, notre essayiste use de sources rares, comme les Ecrits des Maîtres Guan et Han Fei. Il montre combien « l’intelligence numérique », la « pensée algorithmique », la naissance de la statistique, la numérisation du militaire, participent non seulement du « calcul de la vélocité », mais aussi de « la criminalisation du retard ». Ce jusqu’à l’artillerie lourde du levier pénal et de la décapitation. Entre « Primes et châtiments » - pour jouer sur un titre bien connu – la société chinoise avance avec la lourdeur de la tortue. Rien cependant n’empêche la survenue des corruptions, des échecs, des désertions…

L’on ne s’étonne pas dès lors que le communisme se soit implanté avec tant de force en Chine. Il s’est en quelque sorte accommodé avec le néoconfucianisme. Son collectivisme, son culte de la personnalité, en particulier à l’occasion de Mao Ze Dong, sa conception verticale et englobante de l’Etat, tout – ou presque – est cohérent avec une tradition multimillénaire du politique. Ce pourquoi la Chine n’a jamais connu la démocratie libérale, sauf récemment dans son versant économique qui permit un développement prospère et de dimension mondiale, bien qu’étroitement surveillé par la tutelle du Parti communiste.

Basé sur de tels lois et nombres, il s’agit bien d’une fondation politique aboutissant à l’Etat total, englobant l’armée et la société au travail, jusqu’au rapport de l’individu à lui-même. Le plus étonnant enfin est de constater combien un tel projet de société fut très tôt structurée par des techniques d’information, de surveillance et de sécurité, qui sont, quoiqu’avec des moyens technologiques pointus, à la racine de ceux d’aujourd’hui, tant la reconnaissance faciale par exemple, l’examen à la loupe des réseaux sociaux, s’infiltrent dans le contrôle des individus au détriment de leur autonomie intellectuelle et politique.

Romain Graziani n’en est pas à son premier examen de la culture chinoise, non sans la comparer à celle européenne[1]. Aussi prétend-il avec justesse que « le paradigme de l’Unité force à considérer la prolifération des libertés essentielles comme autant de mauvaises herbes » et « sape le projet d’une modernité politique définie par l’incertitude, l’indéfini et le conflit ». Son essai fort dense permet de mieux comprendre le présent chinois, grâce à une vaste perspective historique. Voire son avenir ? Car la surveillance digitale, nouvel « âge du fer », associée à l’exponentielle infiltration du Parti, aux limites sévèrement imposées aux capitalismes libéraux, risque de voir son efficacité décroître sous les coups d’une économie trop corsetée. Cette « unitotalité » entraînerait bien des insatisfactions populaires, sans compter un ennemi redoutable : la démocratie défaillante, alors que l’on fait bien moins que deux enfants par femme. Ainsi le colosse repose-t-il peut-être sur des pieds d’argile. Qui sait si, à l’instar de l’écroulement du régime soviétique, ce communisme verra-t-il son hubris s’affaisser,  …

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Existe-t-il un gène du mal ? Luo Ying semble définitivement le penser. La Révolution culturelle chinoise des années Mao en est l'illustration et la preuve. Ce que nous pensions avoir compris en lisant Le Livre noir du communisme[2] et en y découvrant le trou rouge de ses quatre-vingts millions de morts chinois, soit Le Gène du garde rouge. Cependant la façon de mener sa démonstration fait du livre de Luo Ying une piqûre de rappel aussi efficace qu'incroyablement originale.

Ecrit entre Pékin et Los Angeles, entre octobre et novembre 2012, ce récit autobiographique prend la forme peu usitée d'un ensemble d'une centaine de poèmes d'à peu près égale longueur, soit une page et demie. Ce sont de longs vers libres, plus exactement ce que l'on appelle, avec le Claudel des Cinq grandes odes[3], mais aussi, conformément à bien des pages bibliques, des versets. A l'instar de nos poèmes historiques médiévaux (pensons à la Chanson de Roland [4], Luo Ying retrouve un lointain atavisme épique pour chanter l'Histoire. Sauf que cette Histoire fait grincer des dents.

Ce sont des souvenirs d'enfance (Luo Ying est né en 1956) par petites touches, anecdotes, scènes d'horreurs quotidiennes et nationales. Il n'y a guère de page sans délire idéologique, sans vexation, torture ou cadavre, ce « butin de la Grande révolution »… La « dictature prolétarienne » n'est qu'un prétexte où s'engouffrent les pires pulsions violentes, les délinquants et les criminels avérés. L'enthousiasme, les positions hiérarchiques acquises assurent l'impunité de tous ceux que le totalitarisme arme au service de la répression, avec le secours d’une institutionnalisation du mensonge : « On nous faisait préférer l'herbe du socialisme aux blés du capitalisme ». On arrête son père, en tant que « contre-révolutionnaire », et cette tache déteint sur le fils qui tente de se dédouaner : « Au nom de la révolution nous avons brisé toutes les vitres de l'école primaire. » Quand involontairement briser « l'effigie en porcelaine du Président Mao » vaut à un élève quatre ans de prison. On coupe les cordes vocales au criminel politique avant de le fusiller...

Pourquoi écrire un tel livre ? Bien qu'il ne puisse être publié qu'en Occident, son auteur réclame « que la Chine purge totalement sa mémoire de son Histoire pour que sa société progresse. » Loin de s'égarer dans les afféteries lyriques, dans un impossible esthétisme, le poète reste essentiellement factuel, sans indulgence pour les Chinois endoctrinés par le « marxisme léninisme » et leur bien aimé Mao ; sans indulgence également pour lui-même, dans la mesure où il a participé autant qu'il a subi cette litanie d'abjections. Pourtant, jeune « voleur de livre », au-delà d'un art bassement au service de l'idéologie, il trouve sa liberté et sa fierté dans cet implacable réquisitoire au ton glacial. Ce qui ne l'empêche pas, en ce récit-poème, et dans un recueil intitulé Lapins, lapins[5], d'être critique envers le matérialisme d'un capitalisme sans libertés politiques, où trop d'ex-révolutionnaires se sont reconvertis sans états d'âme. Lui-même aujourd'hui est un homme d'affaires talentueux, de surcroît passionné d’alpinisme.

 La contre-épopée hallucinante se fait leçon d'Histoire et d'humilité. Luo Ying avoue en sa postface combien il a « été imprégné de son esprit de combat ». Il faut alors entendre en son euphémisme la Révolution culturelle qui ne fut qu'une tyrannie anti-culturelle, conspuant la culture bourgeoise, les intellectuels et les lettrés, pour les remplacer par une propagande éhontée. S'il est « depuis toujours un garde rouge » (même s'il n'a « ni tué, ni mis le feu »), en une définitive imprégnation génétique, il reste contaminé. Comme la société chinoise, point à l'abri de retrouver régulièrement le chemin de la rouge abjection. C'est nous dire que chacun d'entre nous est susceptible de choir en ce travers. Les circonstances aidant, qui sait si ne va pas se réveiller le « gène du garde rouge », ou noir, ou vert, qu'importe la couleur du mal, humain, trop humain...

Photo : T Guinhut.

Hélas l’histoire de la tyrannie chinoise ne s’arrête pas là. Si le judicieux encouragement au capitalisme a propulsé la Chine au rang de la première puissance mondiale et permis à des centaines de millions de Chinois d’accéder à un niveau de vie meilleur, la chape de plomb du régime communiste et de ses nombreux affidés règne toujours sur l’Empire du milieu. Il faut alors un courage surhumain pour aller à l’encontre de la censure, de l’arrestation toujours possible, de la prison, pour n’y échapper que par l’exil, si possible. Li Chengpeng est de ces héros du verbe, de ces hérauts de la liberté.

La satire qui veine les Confessions d’un traître à la patrie est aussi pleine d’amertume que d’humour. En une vingtaine de textes au ton vif, Li Chengpeng se livre à une charge sans concessions à l’encontre de la corruption et du mensonge communiste, tous deux omniprésents. Ce ne sont là qu’une mince partie d’un volume plus vaste réunissant les billets de son blog, qui fit un triomphe sur Weibo, un réseau social chinois, avec plus de six millions d’abonnés. Jusqu’à ce qu’il soit suspendu en 2014. Sans se décourager, notre web-journaliste, publie sa production en volume. La sanction ne tarde guère : le voilà interdit. Heureusement Taiwan permet sa reparution, cette fois sans l’ombre d’une censure. Quant à son auteur, interdit de se présenter à des élections locales, il convole avec la liberté en recevant le « German Best Bloggers Award », puis en étant invité parmi les frais gazons de Harvard Kennedy School, même s’il ne souhaite pas quitter son pays. À ses risques et périls…

Tout commence par un tremblement de terre. Pourquoi un immeuble récent s’effondre-t-il, « effrité comme un biscuit », au milieu d’immeuble anciens intacts ? Soudain, la propagande communiste ne fait plus effet : « ce n’étaient pas les impérialistes qui étaient venus voler en douce les armatures métalliques des décombres ». Quand un « Inspecteur des travaux » est digne de confiance, des dizaines d’autres sont corrompus. Dénoncer cette impéritie nationale vaut alors à Li Chengpeng d’être lui-même dénoncé comme « traitre à la patrie », pour reprendre son titre-choc. Cependant, dit-il, « Pour moi, le patriotisme, c’est donner à chacun selon ses besoins et dépouiller les usurpateurs de leurs rapines. Alors, le pays pourra devenir florissant ». On passera sur l’illusion marxiste de la première partie de cette profession de foi pour retenir l’engagement en faveur de la probité.

Combien de fonctionnaires corrompus sont à l’origine des scandales du « lait frelaté », des scandales immobiliers et sanitaires, des vagues de pollutions aux métaux lourds, des tsunamis de suicide dans des usines, des « petits marchands illégaux » balayés parce qu’ils ne peuvent payer leur licence, des vies affligées par les traînées sulfureuses de la révolution ? Une mère qui fut membre d’une troupe d’opéra témoigne de ce qu’elle fut envoyée dans une aciérie, aux fins de rééducation de classe. L’on devine ce que veut dire : « l’argent de l’Etat est utilisé pour soigner tous « les malades mentaux du pays ».

Toutes ces tragédies, qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg rouge, sont cependant contées avec une ironie sagace, un humour proliférant : « Si l’on reste agenouillé trop longtemps, on oublie les avantages de la station debout ». Fonctionnaires, « gardes urbains », « barrage des Trois-Gorges » font partie du chapelet communiste des calamités offertes au « citoyen de quatre sous ». Là où les bulletins de vote « ne sont qu’une décoration », notre polémiste « se sert de son stylo comme d’une hallebarde du dragon vert »…

Mieux, pour Li Chengpeng, « le patriotisme, c’est ne jamais léser l’individu au nom de l’Etat ». En dernière analyse, la même conviction autobiographique et politique anime Luo Ying, dont Le Gêne du garde rouge doit être conjuré. Une fois de plus, les voix des écrivains, qu’il s’agisse d’user des genres les plus anciens, le vaste poème épique aux cent bras, ou les plus neufs, la chronique du bloggeur, secouent avec vigueur les chaînes avariées d’un communisme qui, s’il a sagement lâché prise en autorisant le développement capitalisme, n’a pas su se suicider au service du bien des patries et des individus, en accordant ce qui doit être complémentaire à la liberté économique : la liberté politique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cependant l’horizon de la liberté politique reste bien sombre, d’autant qu’il ne peut advenir sans que soit judicieusement examinée « la mémoire hantée de la révolution culturelle », selon le sous-titre du livre de Tania Branigan : Fantômes rouges. Cette journaliste du Guardian, dont elle fut la correspondante entre 2008 et 2015, dévoile les fondements d’un traumatisme irréfragable et cependant soigneusement tu par le pouvoir. En effet, un demi-siècle plus tard, la rage meurtrière du maoïsme, entamée en 1966, peuple bien des mémoires, du moins de celles qui ont échappé à la mort.

De l’histoire de Chow, à la recherche du squelette de son beau-père, à la purge de 2008 à l’encontre des dissidents, des enseignants, avocats et médias, les récits ici recueillis parmi onze chapitres développent un effrayant tableau. Car les entretiens réalisés avec des rescapés, dont les noms ont été changés – surveillance oblige – révèlent combien les opposants, disgraciés,  rebelles et « coupables héréditaires » furent impitoyablement humiliés, massacrés. Sans compter « tout un tas d’enfants obligés par les gardes rouges de s’en prendre à leurs parents ». Au point que « Zhang fut adulé pour sa trahison. Sa ville organisa une exposition en son honneur », alors que sa mère est fauchée par une balle. Où l’on voit comment l’emportement grégaire est terrifiant.

« Comment peuvent-ils être restés si puissants ? Comment peuvent-ils contrôler les souvenirs des gens ? », se demande Wang Youqin, alors que le souvenir lui-même n’appartient plus qu’aux sujets tabous : la propagande régnant, « le Parti a gommé les catastrophes infligées par Mao à la Chine et grossi celles imputables aux étrangers ».

Il est bien évident que l’expression « révolution culturelle » est un oxymore, une antiphrase, tout ce que l’on voudra de mensonger, de pervers, tant la négation de toute culture noble et de tout esprit éclairé reste là patent en cette « croisade idéologique ». La tentative du pouvoir chinois d’effacer de son Histoire les ressorts et les conséquences d’une tragique tyrannie, ressortit à une volonté totalitaire, qui, en dépit de sa puissance, comporte des failles, dont ce volume, construit avec empathie par Tania Branigan, est la preuve nécessaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour un portrait du Chinois d’hier et d’aujourd’hui faut-il travailler en fonction de lois et de nombres ? C’est que semblent penser Wang Yi, Jiang Ji & Ding Gao avec leurs Trois Traités sur le portrait, qui s’échelonnent entre le XIV° et le XVIII° siècle. Cet art, pendant de nombreuses dynasties, est une véritable institution, surtout d’usage privé, mais aussi parfois officiel. Par exemple de nombreux personnages célèbres, dont des lettrés, des sages des Ming et des Quing, sont ainsi honorés. « Marqueur social », le portrait, et parfois l’autoportrait, témoigne de la « valeur spirituelle » individuelle, mais aussi d’une région, voire de l’Etat. C’est à cet égard qu’il faut entendre le titre du second traité : Secret pour transmettre l’esprit.

Il faut, pour réussir un bon portrait, « la reconnaissance formelle », mais aussi « le souffle ». Cet art de la physiognomonie ne se sépare guère des principes du yin et du yang, tel que dans la peinture des « montagnes et eaux ». D’ailleurs quelques-uns apparaissent dans un paysage. Est-ce à dire qu’un Occidental ne pourrait en tirer profit ? Les nombreux croquis et dessins explicatifs nous permettent de former des yeux, des lèvres, de façon à suggérer une expression, une émotion, sans compter un catalogue des divers nez. L’on trouve des sourcils en fore de « sabre » ou de « ver à soie ». La « méthode pour saisir le rire » est particulièrement curieuse.

Entre théorie et pratique, Wang Yi, Jiang Ji & Ding Gao vont à la recherche de l’exactitude, non sans parfois savoir « compléter et embellir ». L’on peint en noir, avec le secours du blanc, en couleurs, de façon à accorder le visage aux « trois astres », sur papier ou sur soie.

Publié par les Belles Lettres, éditions aussi savantes qu’élégantes, ce trio de portraits à la chinoise fourni par Yolaine Escandre, sinologue avertie – qui fournit également un Esquif sur l’océan de la peinture[6] – est illustré de manière fort documentée, de surcroit bilingue. Le dernier s’intitulant Secrets pour tracer la vérité, il n’est pas sans ironie face au mensonge orchestré depuis un demi-siècle par le communisme chinois.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Luo Ying a été publiée dans Le Matricule des anges, mars 2015

 


[1] Romain Graziani : L'usage du vide ; essai sur l'intelligence de l'action, de l'Europe à la Chine, Gallimard, 2019.

[2] Le Livre noir du communisme. Crimes, terreur et répression, Robert Laffont, 1997.

[3] Paul Claudel : Cinq grandes odes, Gallimard, 1936.

[4] La Chanson de Roland, Mame, 1875.

[5] Luo Ying : Lapins, lapins, Le Castor astral, 2013.

[6] Shen Zongqian : Esquif sur l’océan de la peinture, Les Belles Lettres, 2019.

 

Lao-Tseu : Tao Tö King, Jean de Bonnot, 1990.

Photo : T. Guinhut.

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7 avril 2025 1 07 /04 /avril /2025 09:46

Château de Perreux, Nazelles-Négron, Indre-et-Loire.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Petite Porcelaine bleue II.

 

La Bibliothèque du meurtrier

 

versus Bibliothèque Hespérus XIX.

 

 

 

Suite de : Petite porcelaine bleue I

Au travail, je dois me consacrer à la révision des épreuves des mangas en traduction tout en comparant avec le texte original japonais, de celles du manga d’Axel Revelles, une réécriture graphique d’histoires de samouraïs belliqueux, sans compter le bavardage avec Ada, ma chère voisine de clavier. Le soir, vu l’affluence des consommateurs et l’absence de Gisèle, enceinte jusqu’aux joues, je dois assurer le service au côté de Maman. Le week-end enfin je puis retrouver mes carnets et mes encres, au service de ce que je suis, sui generis : Petite porcelaine bleue. Je ne sais pourquoi je me sens une soif d'aquarelle et de pastel rouges, pour qu'une petite mésange bleue se métamorphose en phénix hyacinthe.

Le lundi est un événement. L’on présente à la presse et aux libraires une nouvelle publication de notre département manga : La Vengeance de Kitsune, conçue par notre chef, Maxence Degreffe, le revêche en chef, diplômé par erreur d’aiguillage en management et gestion éditoriale, qui, s’il est possible, se revêt de jais plus noir et absolu que l’enfer, et surtout que notre Président – auquel, je suppose, il essaie de plaire à l’aide de huileuses flagorneries – certainement inaperçues. Alors que Monsieur Armfeld sait, lui, tempérer sa monochromie par le soin d’un col de chemise crémeux et d’une petite broche d’argent représentant une feuille d’acanthe. Monsieur le supérieur hiérarchique, qui visiblement me déteste jusqu’aux crocs de sa barbe sursoignée, de même pour Ada qui a le front de s’habiller façon cosplay japonais. Seuls les chiffres de nos ventes nous protègent. Peuh, l’affiche, calligraphiée plus lourdement que le dessin, est explicite : encore une énième variante sur le mythe de la femme-renarde. J’ai bien fait de jeter la mienne aux oubliettes.

Bras-dessus, bras-dessous, Ada me conduit à la réception, dans l’atrium. Il y a des moshis glacés à la noix de coco, j’adore… Monsieur Lord Degreffe arbore une exubérante broche de cravate en argent grosse comme un placard, qui s’illumine à chaque flash des photographes. Ses dents se pâment de sourires au dentifrice du Groenland comme la Vanité en personne. Elles ne valent pas ce moshi glacé au thé blanc, et celui-ci au muscat noir, mm…

- Petite porcelaine bleue, viens voir, vite !

      - Ada, non, je ne veux pas voir la médiocrité d’un manga sous-griffé Degreffe. Ce doit être pire que le précédent, qui s’était vendu peau de banane. Comment c’était déjà, Talons aiguilles de fer, dessiné à la fourche à foin…

      - Regarde, je te dis !

      - La Vengeance de Kitsune : la silhouette en couverture me rappelle quelque chose, mais quoi ?

      - Ouvre, feuillette !

      - Incroyable ! Le vampire…

      - Ce sont, n’est-ce pas, tes dessins, ton scénario, ce travail que tu avais, de dépit, jeté à la poubelle ?

      - Le raticide ! Il n’a fait que des changements mineurs. Croit-il que le forfait va passer inaperçu ? Comment lui faire rendre gorge, en public de surcroît ?

      - Il nous faut des preuves irréfutables

      - Aller chercher mes planches originales dans ma cabane ? Cela prendrait trop de temps, n’est-ce pas…

      - Et si nous allions fouiller dans son bureau, des fois que…

      - Ada, tu crois ? Il serait assez bête pour conserver les scans que j’avais froissés ?

En quelques secondes nous voici courant, grimpant en trépignant dans l’ascenseur, poussant de nos épaules conjointes et obstinées la porte aussitôt craquée de Mister Degreffe, fouillant ses étagères bourrées de dossiers, de collections de fume-cigarettes et de bottines noires, de broches de cravates en tôle de Patagonie et de lunettes de soleil griffées, ouvrant les tiroirs de son bureau dont les pattes grêles comme un héron tremblent sous notre assaut… Rien.

      - Nous n’allons tout de même pas rester bredouilles ! Pourtant, ne semble-t-il pas que les tiroirs soient plus profonds que leur intérieur… Je te laisse officier, pour filmer le processus et la découverte à venir…

      - Oui, Ada, tu as un œil de phénix ! L’on va s’y casser les ongles, non, les pinces à épiler de Maxence Degreffe. Je sens qu’il va sourciller d’importance. Une fois soulevée la planchette, une pochette : mes dessins imprimés, défroissés, encore avec ma signature ! Le sale ptérodactyle !

      - Faisons de même avec les autres tiroirs. Petite porcelaine bleue, fais chauffer le smartphone. Je m’emballe peut-être, mais je sens le gros poisson. Miam-miam, voici des contrats qui sentent le dessous de table. Gagné, lis-moi ça, dix pour cent concédés à l’imprimeur et dix pour cent à l’arnaqueur en chef ! Qui de plus s’est permis de me mettre une main aux fesses. Et une autre fois de me proposer son bisou baveux en échange de billets gratuits pour le Japan Show…

      - Quoi, tu ne m’avais pas dit cela !

      - T’inquiète, je lui offert une mandale qui lui a retourné la barbe.

      - Sommes-nous assez fortes pour attaquer de front le diabolus en pleine réception, devant les caméras ? Je sais. Attends de voir, Ada ! Mon smartphone pétille d’impatience : Monsieur Armfeld ? C’est Petite porcelaine bleue. Pouvez-vous venir immédiatement dans le bureau du chef du département des mangas ? Merci.

Ada me regarde avec des yeux plus grands que la pleine lune et plus effrayés que des moshis congelés…

      - Tu téléphones à Monsieur Armfeld ? Directement ? Au Président de la planète Saturne ! Au grand Cannibale du capital ! Et il t’obéit ? C’est insensé ! Que m’as-tu caché ? Meilleure amie ou cachottière ?

      - Promis, je te dirai tout. Ou presque…

Devant la silhouette obombrée qui s’étonne de la porte dégondée, Ada fléchit sur ses genoux, fort soucieuse de trouver un trou de termite pour s’y cacher…

     - Regardez. Voici le prétendu manga de Maxence Degreffe, qu’il signe à tours de poignet dans l’atrium et devant la presse.

     - Mais, mais, ce sont les dessins de La Rédemption de Kitsune, que j’ai compulsés dans votre cabane !

      - Et voici les scans imprimés que j’avais poubellés. Nos vidéos détaillent la manière dont nous avons assuré la découverte. Mieux, s’il se peut, demandez à Ada ce qu’elle tient dans la main.

Il observe avec circonspection Mademoiselle Ada, vêtue du virevoltant costume bleuté, crème, rouge et or de Ganyu, venu de Genshing Impact, me jette un regard interrogateur auquel je réponds par un acquiescement. La main d’Ada tremble comme un lapinou dans l’apocalypse. Y compris lors de la lecture impavide et attentive du maître de la pyramide.

- Petite porcelaine bleue, c’est votre amie, je suppose.

      - Ma meilleure amie, l’auteure des mangas pour enfants, ludiques et pédagogiques bien connus : Lilianne, celle qui bavarde avec les animaux et La vie de Chatounet… Il serait bon d’ailleurs de chercher si le Sieur ne s’est pas contenté de harceler à plusieurs reprises la seule Ada.

      - Elle pourrait être détective, non ? Mes félicitations à toutes les deux ! Suivez-moi. Avec nos pièces à conviction.

Intimant à Madame Yolanda de faire apporter quelques caisses de nos mangas, il nous entraîne jusque dans l’atrium. Lorsque de rares initiés s’avisent de le reconnaître, fendant la foule, ils s’écartent, se taisent, alors que les murmures en cascade le voient approcher, puis se planter devant l’estrade sur laquelle siège le Dracula des bureaux.

      - Oh, cher Monsieur Armfeld, vous venez assister au triomphe de ma Vengeance de Kitsune ! Je suis comblé…

      - Je sens que l’orgasme qui lui brûle la barbe va bientôt s’effondrer, glissé-je à l’oreille d’Ada.

      - Tu t’y connais en orgasme, toi ?

Nous prenant toutes deux par la main, l’aigle sévère d’EuroTradefunds entreprend l’ascension de l’estrade. L’assurance du vampire, nous voyant aux côtés de Maître Armfeld, se fendille instantanément, laissant tomber les écailles de son fond de teint comme une momie cramée par le soleil. Monsieur Armfeld lui dérobe le micro :

      - Nos amis journalistes, libraires, fans et lecteurs, voudront bien pardonner cette interruption. Permettez-moi de vous présenter nos plus talentueuses mangakas : à ma droite, Petite porcelaine bleue, à ma gauche Ada Lozère. La Vengeance de Kitsune que vous célébrez ici et maintenant n’est qu’un honteux plagiat, un vol qualifié. En effet, moi, Gustav Armfeld, Président d’EuroTradefunds, ai vu de mes yeux vu les planches originales de La Rédemption de Kitsune, dans la cabane-atelier de Petite Porcelaine bleue, de surcroit dans un carton scellé par les toiles d’araignées. Elle vous présente, à main levée, les scans signés que Maxence Degreffe a dérobés à la corbeille à papiers de l’auteure insatisfaite de son travail. Scans qu’elle a retrouvés enfouis dans le bureau de l’inqualifiable plagiaire. Ada Lozère, quant à elle, exhibe les preuves de continus détournements de fonds et autres fausses factures, en complicité avec l’imprimeur, sans compter les harcèlements sexuels dont il serait bon de connaître l’ampleur.

Un murmure ébahi s’élève dans le public, qui devient un grondement scandalisé, pendant que le vilain s’écroule sur lui-même, livide, dévasté, avant que trois gardes de sécurité, vengeurs comme les Erinyes, évacuent de l’atrium le vieux chiffon déshydraté.

      - En conséquence, mon service juridique va derechef instruire les plaintes et les exigences de remboursements, de dédommagements, tant à l’égard de la compagnie que de l’artiste spoliée. Ceux d’entre vous qui ont acheté La Vengeance de Kistune seront au choix immédiatement remboursés, à moins qu’ils préfèrent les échanger contre les volumes que vous voyez la remplacer sur nos tables : Lilianne, celle qui bavarde avec les animaux et La vie de Chatounet, d’une part, la trilogie de Blue Princess, d’autre part. En attendant de voir prochainement paraître, si Petite porcelaine bleue y consent, sa Rédemption de Kitsune, amendée, et accomplie, car vous n’êtes pas avoir remarqué que la fin de l’ouvrage est un désastre, dont seule le plagiaire est l’auteure, faute de l’achèvement de notre vraie créatrice…

      - Oh, certainement, répons-je, mutine, je sens que je bouillonne d’idées !

Les caméras ronronnent de plaisir, les flashs crépitent d’excitation. Nous voilà toutes deux à signer nos œuvrettes à profusion, pendant que notre prestigieux salvateur répond aux questions de la presse en ébullition.

Une fois la tempête événementielle apaisée, Monsieur Armfeld se tourne vers nous deux :

      - Venez avec moi ! Ah, Yolanda, convoquez de suite Norbert, du service juridique, Olev de l’édition, Pavel du pôle financier et Séverine, notre experte informatique et hackeuse patentée…

En un vol d’ascenseur, nous voici au vingt-huitième étage, dans l’immense et confidentiel espace au Bouddha noir. Je n’y ai jamais vu autant de monde, soit sept personnes assises en demi-cercle face au bureau d’ébène. Ada tire la manche de mon blouson animé de coquelicots :

- Dis, Petite Porcelaine bleue, nous sommes en Paradis, ou en Enfer ?

Amusé, le Maître de la pyramide lui sourit, ce qui plonge Ada dans la confusion. Je remarque alors que parmi tous ces costumes et tailleurs aux teintes de froide obsidienne, Yolanda n’a plus son serre-tête habituel : il est d’un doux cobalt.

      - Norbert, puisque les nouvelles vont vite, mais moins encore que le châtiment, vous êtes chargé du dépôt de plaintes pour plagiat, vol et détournement de fonds, non seulement pour le compte d’EuroTradefunds, mais aussi de Petite porcelaine bleue, sans oublier le harcèlement, au moins pour le compte d’Ada Lozère. Pavel, vous chiffrerez le montant du préjudice subi et les dédommagements afférents à prévoir. Olev, vous retirerez du marché cette infecte Vengeance de Kistsune, et assurerez à Petite porcelaine bleue toute liberté pour parachever son travail. Quant à vous, Séverine, il vous faut infiltrer les comptes du vampire et nous établir ces dépenses et recettes, y compris en liquide auprès des boutiques de luxe auxquelles il a sacrifié son âme. Pour revenir à nos deux héroïnes qui viennent de révéler le pot aux roses, Pavel, vous verserez un bonus égal à deux mois de salaire sur le compte d’Ada Lozère.

      - Merci, merci, Monsieur le Président, mais c’est moins ma minuscule contribution que celle de Petite porcelaine bleue qui mérite récompense…

      - C’est juste. Vous êtes, Ada, une véritable amie. La même chose pour Petite porcelaine bleue. De plus, dites-moi, Pavel, à combien se montent habituellement les droits d’auteur ?

      - Président, au-dessous de vingt-mille exemplaires, rien, puisque le salaire en tien lieu. Au-delà, cinq pour cent du prix public hors taxes.

      - Seulement ! Passez à dix pour cents, y compris avec les arriérés.

      - Nous vous sommes reconnaissantes, Monsieur Armfeld, balbutie-je. Par ailleurs, Axel Revelles, le favori des mangas de samouraïs belliqueux, en bénéficiera.

       - Bien. Vous pouvez disposer, merci. Sauf nos deux héroïnes et Yolanda.

Les gros bonnets noirs, ventripotents ou maigres, rasés ou chauves, hors Séverine aux cheveux empétardisés, rendent l’espace à un peu plus d’intimité, si un tel lieu le permet. Dans la quiétude retrouvée, notre mentor reprend :

      - Il me semble que Petite porcelaine bleue n’a pas encore reçu la lettre de sa banque. Le reliquat du prêt contracté aux dépens du restaurant maternel pour financer ses deux ans d’études à Osaka vient d’être réglé par mes soins ; et plus précisément par mes fonds privés.

      - Mais, je ne peux pas accepter ! C’est trop ! Je ne veux rien vous devoir.

      - Vous me devez une planche originale format grand aigle, en couleurs, de votre prochain manga en gestation, au-delà de La Rédemption de Kitsune bien sûr. Vous pouvez aussi me dessiner Grondoudoux. Marché conclu ?

       - Vous me prenez par les sentiments.

      - Je l’espère bien. Hélas, je dois vous abandonner d’urgence, car j’ai un rendez-vous ministériel ce soir. Ce bureau, Petite porcelaine bleue, est cependant toujours à votre disposition. J’ai pu constater avec plaisir que vous y êtes inspirée. Nous nous revoyons ici à 18 heures, après-demain. Bonne soirée à vous deux. Oh, Yolanda, préparez-leur un thé et des cookies, vous voulez-bien…

À peine avons-nous le temps de le remercier encore, qu’il s’éclipse, comme la lune derrière l’ombre de la terre.

      - Dis-moi, Petite cachottière de porcelaine bleue… Il est venu dans ta cabane. Il connait Grondoudoux. Il rembourse ton emprunt. Tu dessines dans son bureau phénoménal et fastueux. La trilogie de Blue Princess est exposée, bien en vue entre deux livres de marbre blanc. Il supporte nos vêtements aux couleurs extravagantes. Il te sourit. Se peut-il que, entre toi… et lui… Ce disant, précautionneusement, riant de toute l’aimable coquinerie de ses joues bombées, elle dessine de ses pouces et index réunis : un cœur.

      - Ada, n’importe quoi ! Comment serait-ce possible ? Je ne suis qu’une petite porcelaine bleue. N’oublie pas : il est le Maître du Pouvoir. Entre nous, le fossé, non ce n’est pas un fossé, mais une tranchée, un abîme, l’abysse des grands fonds aux poissons monstrueux et aveugles, est irréfragable.

      - Ta ta ta ta… Quel grand mot !

      - Je t’interdis, Ada, une telle supposition. Sinon je dis à Axel que tu le dessines en secret !

      - Mais non ! Tu confonds avec un fantasme ! Comment pourrais-je apprécier un macho post-adolescent ? Eh, ne détourne pas la question. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

       - Mystère, mystère, je te raconterai cela avec le dessin grand aigle, que je m’en vais commencer ce soir. Bises. À demain.

(...)

 

Abbatiale Notre-Dame-la-Blanche, Selles-sur-Cher, Loir-et-Cher.

Photo : T. Guinhut. 

 

Comme promis, mais avec mon carton grand aigle sous mon petit bras – heureusement mon scooter rose est muni d’un porte-bagage adéquat – j’entre dans un bureau que Madame Yolanda s’empresse de m’ouvrir.

- Chère Petite porcelaine bleue, que m’apportez-vous ?

- La planche en couleurs demandée. J’espère que ce n’est pas trop osé…

Je repousse l’ordinateur, mon exemplaire de L’Eloge de l’ombre, quelques dossiers. Ouvert, le carton s’étale sur 110 par 150 cm. Une serpente crème préserve le dessin. Avec délicatesse, je découvre le calme drame de la vaste planche. Elle présente deux pages accolées, plusieurs cases et fort peu de bulles, qui sont des silences. La première ne montre que la faible lueur d’un écran dans l’ombre d’un openspace désert. La seconde éclaire la nuque, le visage endormi sur les coudes et le clavier, les lunettes, le chemisier aux bleuets et le carnet ouvert sur quelque dessin de phénix. La plus grande exhibe un homme de haute stature, portant dans ses tendres bras la belle endormie, les plis de la jupe glissant contre ses jambes, alors que s’estompe la silhouette d’une dame serviable. Sur les suivantes, je reconnais bien entendu l’ascenseur, la traversée du bureau, la chambre où pudiquement déposer Petite porcelaine bleue, et, seul anachronisme, la boite de macarons ouverte sur la table de nuit. Dans toute cette encre noire et blanche, les nuances bleutées de la jupe et du chemisier, les petites touches pâtissières, sans oublier la pointe d’écarlate du carnet de cuir, luisent et éclatent. Le tout avec un sens du trait et des courbes, un sens des émotions, incomparables.  

Monsieur Armfeld se tait longuement ; profondément concentré. Comment va-t-il le prendre ?

      - Si Yolanda veut bien se charger de faire encadrer cette planche comme il se doit…

      - Croyez-vous que cet inconséquent travail le mérite ?

      - Je ne saurais dire combien vous me touchez, Petite porcelaine bleue. Voilà qui ne peut se payer avec quelque argent que ce soit. C’est moi qui ne mérite pas d’être un héros de votre œuvre…

       - Vous allez, Monsieur Armfeld, écorner ma modestie. Et je n’ai pas encore réussi à dessiner Grondoudoux...

Nos regards se coulent dans nos regards, au point que je ne sois pas loin de perdre conscience.

      - Ce soir vous m’accompagnez à une réception de gala, sur les dallages de marbre de l’Athénée.

      - Vous plaisantez ! Parmi des grandes dames en robes du soir spectrales et chargés de joailleries grosses comme des banques suisses ?

      - Pas le moins du monde. Et même si votre bustier-pantalon chamarré de grappes de lilas me ravit, vous ne pourriez entrer sans une robe longue.

      - Mais je n’ai pas une telle chasuble dans mes placards ! Et surtout pas noire !

      - Nous avons parfaitement le temps de nous consacrer à l’acquisition de la soirée, bleutée de surcroît. Ascenseur, voiture avec chauffeur, vous êtes mon invitée.

      - Mais qu’est-ce que j’ai fait à l’univers pour être votre jouet ?

      - N’oubliez-pas combien un tel événement peut inspirer vos créations.

      - Vous me touchez au point sensible, Gustav. Vous êtes un vil manipulateur. Je me rends à votre argument.

      - Montez. Et demandez-vous qui manipule qui. Quoiqu’il n’y ait pas la moindre ombre de perfidie, ni de tyrannie, nous le savons bien…

Je n’ai pas le temps de réfléchir qu’aussitôt je me trouve environné de vêtements affriolants. De haute-coutures dont les beautés ailées dépassent l’entendement, dont l’une me vêt comme une caresse…

       - Comment vous trouvez-vous en cette robe Fortuny ?

      - Regardez comme je tourne devant le miroir ! Elle volète autour de mes chevilles…

      - Comme les saints des fresques romanes, dont les plis des vêtements dansent pour les rehausser…

      - Ces iris dont les tiges et les feuilles montent le long de mon corps jusqu’aux fleurs ! Est-ce que je mérite ce rêve ?

    - Prenons également le sac-à-main Gioia Ventagli assorti.

      - Mais vous avez dépensé une fortune ! Vous retiendrez donc un peu chaque mois de mon salaire.

      - N’y pensez pas un instant. C’est pour vous que les conceptrices, les couturières et les brodeuses de Venise ont travaillé avec diligence. Et fermez les yeux.

Je sens alors glisser quelque chose de froid sur ma nuque.

      - Regardez-vous.

      - C’est splendide !

      - Un collier David Yurman, or 18 carats et topazes bleutées Marbella.

      - Vous êtes fou. Je suppose que ce n’est qu’un prêt…

      - Peut-être. Vite. Yolanda nous attend.

Je n’ai pas le temps de penser plus avant, tant je ne sais plus qui je suis. Ada aurait-elle raison ? Non, je ne suis que décorative. Je reconnais à l’entrée du salon Madame Yolanda dans une robe de velours noir semée de fines étoiles, à l’instar de son chignon grisonnant que le serre-tête cobalt sécurise. Elle me sourit avec tendresse.

- Prenez mon bras et ne le quittez pas.

Je constate alors que tous les yeux sont rivés sur nous. Comme s’ils jaillissaient, exorbités, des bouquets de smokings et de robes tous invariablement noirs et blancs. Comme s’ils ne reconnaissaient plus l’homme dont je tiens le bras timidement et convulsivement, comme si j’avais commis une transgression, celle qu’il est hors de question d’imaginer pouvoir commettre pour quelque mortelle que ce soit. Une seule femme, immense, ose se gainer dans un oripeau violemment teinté d’un roux aussi animal que sa chevelure, ose s’approcher, me bousculer brusquement, s’agripper au bras de mon cavalier, en se coulant contre son bassin comme une couleuvre venimeuse, feulant :

      - Gustav, mon Gustav, je suis à vous ; à vous pour sûr ; je suis votre sexe ouvert et votre désir incendié !

Alors que Yolanda me soutient, chue sur le marbre que je suis, je la reconnais : la Femme renarde ! Un instant pétrifié de dégoût, il la jette d’un revers dans un canapé qui semble couiner de honte…

Dans un silence sépulcral qui fige l’assemblée, Gustav s’ébroue comme un lynx qui a pris l’orage. Puis il se penche vers moi, pendant que Yolanda recueille mes lunettes heureusement intactes, me prend la main, me relève et confie ma confuse personne à ses bras…

      - Petite porcelaine bleue, vous allez bien ? Pardon de vous avoir embarquée dans ce traquenard. Cette gourgandine se prétend mon amie d’enfance, ma destinée, ma fourrure et autres balivernes obscènes… La voix de Gustav tremble dans toute sa grande corpulence.

Pendant ce temps le personnel de sécurité empoigne aux épaules la fauteuse de trouble glapissante pour la jeter dehors manu militari.

      - Je vais bien. Pas d’inquiétude. Ce n’est rien, Gustav, ne vous laissez pas impressionner par une renarde vêtue d’une robe demi-nue en peau de serpent roux, à la poitrine en obusier et à la cervelle de crapaude…

Enfin il sourit :

      - « Cervelle de crapaude », c’est tout à fait cela. Quand je pense que ma grand-mère a commis l’erreur de me la présenter en espérant une fois de plus me coller une épouse sur le dos.

      - Peut-être a-t-elle cru bien faire. Et sûrement maintenant ne l’approuverait-elle pas.

D’une voix posée, grave, résonnant dans l’espace de marbre, mon cavalier reprend sa dignité :

      - Chers amis, veuillez oublier cet incident incongru. Effaçons ce rien avec quelques bulles de Champagne. Permettez-moi de vous présenter mon amie : Petite porcelaine bleue. J’aurai dans un instant le plaisir de palabrer un moment avec chacun d’entre vous.

Un murmure d’approbation, puis un concert d’applaudissements lancé par une petite dame aux cheveux poudrés accueillent ce préambule. Pendant ce temps, je rêve d’être une petite, toute petite, souris bleue pour pouvoir me cacher dans la poche de poitrine de Gustav, sans le déranger…

      - Yolanda, ne la quittez pas d’un doigt. Je dois lancer les bases d’une poignée de contrats, négocier et cultiver quelques connexions et relations. Petite porcelaine bleue, profitez du buffet. Ah, voici ma grand-mère ! Je vous l’offre.

      - Vous êtes un miracle ! Vous vous appelez vraiment ainsi : Petite porcelaine bleue ?

      - Oui Madame, Xiǎo Qīng Huā, en chinois.

      - Comment avez-vous fait pour apprivoiser mon grand ours à poil dur de petit-fils ?

      - Je n’ai rien fait. C’est lui tout seul. Et je ne suis que moi-même, une petite mangaka de sa compagnie.

      - Vous êtes une fée Saperlipopette ! Je vous adore ! Quant à la greluche en roux, que l’on avait prétendue digne de sa bonne famille, c’est une désaxée, une vixen, un cloaque de concupiscence, une croqueuse d’hommes et une casseuse de lingots. N’ayez surtout pas crainte d’elle. Je suis certaine qu’après ce coup d’éclat son père va se charger de la corriger d’importance. Votre robe est d’une beauté vénitienne incroyable ! Oh pardon, vous êtes encore plus mignonne… Et vous avez réussi à l’imposer à Gustav !

      - Non, Monsieur Armfeld l’a choisie avec moi.

      - Voulez-vous bien l’appeler Gustav en ma présence ! Ou la moutarde au poivre va me monter au nez… Ma petite, tu es un prodige, mon prodige préféré…

      - Grand-Mère, n’ennuie pas Petite porcelaine bleue.

      - Mais qu’attends-tu, grand Diable de Gustav, pour lui tenir la main ? Tout de suite, sinon je vais te corriger avec mon balai à poussière ! Bien.

      - C’est pour faire plaisir à Grand-mère, me glisse-t-il à l’oreille…

      - Et pas à moi ! Vous y allez un peu fort de saké.

      - Redonnez-moi cette main, je vous prie.

      - Gustav, demain, que tu le veuilles ou non, demain, je remets ma robe vieux-rose en ta présence.

      - D’accord Mère-Grand. Au fait, Yolanda, je vous prie, faites-changer le Blanc de Blanc pour du Champagne Rosé. Veuillez m’excuser : je retourne auprès de mes partenaires.

      - Vous êtes un génie, Petite porcelaine bleue. Vous me l’avez métamorphosé. L’arbre de fer se met à fleurir. Inespéré ! Faites voir là votre frimousse ; vous permettez que je vous bise sur la joue ?

      - Euh, si vous voulez. Et si nous goûtions un peu ces huitres en gelée ? Ou ces gâteaux au cœur de chocolat…

      - Et je suppose que Gustav est le parrain de ce collier qui te transcende ? Ce lynx des tumulus sait enfin vivre !

      - Oui, oui, rassurez-vous, je le lui rendrai.

      - Comment ? Ma petite belle fille divorcerait déjà ?

      - Non, oui, non ; je ne sais plus ce que je dis. Grand-Mère, vous déraisonnez.

      - Viens t’assoir, nous allons champagniser…

Quelques douzaines de bavardages plus tard, quoique je ne perde pas mon acuité visuelle pour observer et prendre note du spectacle mondain, mais à peine pompette, je revois le regard de Gustav au travers des gerbes de bulles roses… Il me conduit vers la voiture, puis vers mon chez moi, sans oublier mon cabas gonflé par mes précédents vêtements, enfin me confie à Mère, ébahie :

      - Mais je ne reconnais pas ma Petite porcelaine bleue ! Monsieur, vous êtes aussi entrepreneur en contes de fées ? Vous changez les mésanges en Phénix ?

      - Je vous la confie, Madame. Avec mes respects. À demain, quand vous voudrez, Petite porcelaine bleue, dans votre atelier du vingt-huitième étage. Il s’incline et nous laisse confuses.

En entrant dans le bureau, je le vois glisser précipitamment un livre rose et bleu, titré La Délicatesse, sous une pile de dossiers aux lueurs funéraires. Il se lève pour m’accueillir.

      - Monsieur Armfeld. Je vous ramène le collier, précieusement enroulé dans une pochette de coton, puis dans mon bonnet.

      - Si vous le croyez nécessaire. Regardez, je le range soigneusement dans un papier de soie, puis dans cette boite chinoise aux montagnes de pierres bleues. Jusqu’à la prochaine fois.

      - J’avoue que je suis très inspirée dans cet espace. Aussi, puis-je en abuser, étaler encore mon cabas, mes plumes et mes cansons ?

      - Vous préparez le portrait de Grondoudoux ?

      - Non, pas ici, mais bientôt, si vous y consentez, vous viendrez le chercher dans ma cabane.

      - Volontiers.

      - Je travaille sur La Rédemption de Kitsune. La femme renarde médiévale devra payer ses venimeuses séductions en étant réincarnée de nos jours. Il lui faudra sauver douze femmes outragées par des rustres indélicats pour que le paradis lui soit ouvert.

      - Aura-t-elle les traits de notre prédatrice rousse ?

      - En effet ; avec quelque chose de notre plagiaire, tant elle peut se métamorphoser. Mais c’est seulement au pays de magie qu’une telle créature puisse accéder à ses traits spirituels et purifiés.

      - Intéressant. Ô combien ! Et avec une dimension morale. J’ai hâte de choyer ce livre entre mes mains… À mon grand regret, je dois vous abandonner ; mais ce lieu ne vous abandonne pas. Mon avion pour Berlin attend que mon hélicoptère décolle de la terrasse. Je ne pars pas sans votre trilogie. À bientôt, dans trois jours, chère Petite porcelaine bleue…

Curieuse comme une pie, pendant que j’entends et contemple vrombir les pales du gros bourdon noir, puis décroître dans un ciel aux cirrus d’altitude, je me précipite vers cette Délicatesse. De quoi s’agit-il ? La Délicatesse, sous-titrée Comment faire l’amour à une femme. Par Grisélidis & Arthur Recouvrance, aux « Editions secrètes ». Brusquement, je le replonge sous les dossiers, craignant que mon indélicatesse y laisse ses empreintes digitales, me sentant rougir jusqu’à la moelle épinière. Quoi ! il aurait une femme, serait marié ? À quoi joue-t-il avec moi ? Non, Grand-mère n’aurait pas eu cette attitude à mon égard ! Je m’évente les joues en agitant mes phalanges. Ouf, je dois reprendre mon calme et mon calame. Heureusement Madame Yolanda me distrait :

      - Vous prendrez bien un thé noir aux marrons glacés ? Et des biscuits roses de Reims ?   

       - Pourquoi êtes-vous si bonne pour moi ?

      - Eh bien, rie-t-elle, nous admettrons qu’il s’agit là d’un investissement nécessaire à la bonne rentabilité du département des mangas.

      - Cannibale capitaliste ! Oh, pardon, cela m’a échappé. Non ce n’est pas vrai, je dis des billevesées. Je ne répète que ce que m’a soufflé Ada, qui elle-même a répété ce que persiflent les envieux…

      - Vous me faites rire à perdre l’haleine, Petite porcelaine bleue. Ce bureau, depuis si longtemps n’avait rien vu ni entendu de tel. Si les lieux ont une âme, c’est sa rédemption. Comme pour votre manga… Travaillez bien.

(...)

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

Abadia Santa Maria de Montserrat, Catalunya.

Photo : T. Guinhut.

 

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27 mars 2025 4 27 /03 /mars /2025 17:59

 

Alexandre Jean-Baptiste Hesse : Nymphe à sa toilette, 1853,

Musée des Arts, Nantes, Loire-Atlantique.

Photo : T. Guinhut.

 

 

Oser le nu.

Entre Priape & Forberg

jusqu’au Mauvais genre au Musée.

 

 

Camille Morineau : Oser le nu, Flammarion, 2025, 232 p, 39 €.

 

Maurice Olender : Priape. Le phallocrate impotent, Seuil, 2025, 304 p, 24 €.

 

Friedrich Karl Forberg : De Figuris veneris. Manuel d’érotologie classique,

Les Belles Lettres, 2025, 560 p, 43 €.

 

Sylvie Chaperon, Catherine Deschamps, Emmanuelle Retaillaud, Christelle Taraud :

Histoire des sexualités en France, Armand Colin, 2024, 520 p, 26,90 €.

 

Didier Rykner : Mauvais genre au musée,

Les Belles Lettres, 2025, 280 p, 21,50 €.

 

 

Nu ou exhibition sexuelle ? Raffinement de la chair, de l’esprit, ou cloaque d’impudicité ? Que l’Histoire de l’art soit couverte de nudités, nul n’en disconviendra ; mais au prix de penser que seuls les peintres et autres sculpteurs masculins en fussent les auteurs. Pourtant nombre de dames ont su « Oser le nu » pour reprendre le titre de Camille Morineau. Osons donc rester nus, en osant de larges rebondissements dans le temps, au moyen d’un retour à l’Antique, avec Priape et les romaines Figuris veneris de l’érotologie classique, jusqu’à la sexualité des Français, tandis que pour répondre au nu représenté par les artistes féminines la question du « mauvais genre au musée » se fait cruciale. Ainsi de la mise en question du nu et du phallocrate dans les lettres et sur les cimaises, l’argumentation conduit le modeste essayiste à interroger d’anciens mécanismes de censure qui, de déconstruction en wokisme contemporains, revêtent les habits neufs d’un ersatz de totalitarisme…

Le nu est-il toujours érotique, suscitant le désir ? Sauf à l’égard des jeunes enfants et des vieillards, bien entendu. Aussi sa représentation a-t-elle quelque chose de transgressif, même si l’état de nature d’Adam et Eve est censé relever du sacré. Il l’est plus encore, lorsque les femmes elles-mêmes s’avisent de peindre les corps sans voiles, alors qu’une chape patriarcale croit devoir interdire une telle pratique.

Au rebours du préjugé, « le nu représenté par les femmes artistes » – pour reprendre le sous-titre de ce volume – est loin d’être une rareté absolue. La couverture, ayant choisi une discrète silhouette sépia, aux fesses cependant charmantes, ne donne qu’une faible idée de la richesse des peintures ici offertes, des photographies, installations et autres performances, ce pour la période contemporaine. En revanche assez peu de femmes avaient avant Suzanne Valadon (1865-1938) représenté un homme dépourvu de ses vêtements.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dès le Moyen âge, avec les enluminures d’Hildegarde de Bingen, soit vers l’an 1220, le corps nu est une œuvre divine. La Renaissance et le classicisme aiment les pures allégories sensuelles et aussi nues que la Vérité, voire jusqu’au symbolisme. Les XX° et XXI° siècles sont évidemment plus abondants, voire provocateurs, en un féminisme qui associe le « Black naked », le « vagin étendard », le « pénis domestiqué » et « l’homme odalisque ». L’on dit son désir, telles Annette Messager et Sophie Calle « qui parlent ouvertement de leur désir des hommes », l’on interroge le genre, l’on vante les « sexualités fluides ». Mieux encore Niki de Saint-Phalle propose en 1965 une Crucifixion dont le Christ est une femelle fleurie d’érotisme.  Ainsi depuis les nudités mythologiques de l’âge baroque jusqu’aux Fillettes en forme de phallus conçues par Louise Bourgeois, un vaste et édifiant panorama se dévoile. Hélas, à l’instar de leurs homologues masculins, bien des femmes en leur art, si tant est que cela en soit encore, semblent avoir délibérément abandonné, voire ignoré, la beauté et la tendresse, pour préférer se vautrer dans la laideur, la cruauté, la vulgarité. Est-ce l’image de la sexualité que nous voulons recevoir et renvoyer ?

Il n’en reste pas moins que l’aventure picturale féminine, bien que plus discrète, se fait parallèlement à celle des hommes. En ce sens guère de différences. Ce que confirme l’ouvrage de Martine Lacas : Elles étaient peintres[1]. Même s’il ne se consacre qu’au XIX° et au début du XX° siècle, il témoigne d’une pléthore de pinceaux féminins, entre Paris et Russie, Etats-Unis et Scandinavie. Romantisme, réalisme, orientalisme, symbolisme, jusqu’au fauvisme, aucun mouvement pictural ne leur échappe, avec un talent que bien des maîtres pourraient leur envier. Talent que l’on ne demande qu’à rendre au jour.

De même, à la question « Pourquoi si peu de nus peints par les femmes dans les musées ? » Camille Morineau répond brillamment en forme de démenti : il suffisait de les découvrir. Reste qu’au-delà d’une vaine correction infligée à la muséalité masculine la meilleure réside, plutôt que dans la censure, dans la créativité ancienne, présente et à venir de ces dames…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rien de plus nu que Priape. Venu du fin fond de l’ère hellénistique, il est le fils de Dionysos et d’Aphrodite. Mais loin d’avoir reçu de leur beauté, il n’est qu’un laid petit dieu relégué au fond des jardins, afin d’effrayer les oiseaux, affligé d’un inconvenant phallus. Aussi n’est-il que son membre viril disproportionné, destiné à la stérilité, sans descendance possible. Sans le moindre partenaire, il ne lui reste que la masturbation. Ainsi l’historien Maurice Olender fouille les textes grecs et romains pour dénicher le caractère paradoxal de cette entêtante érection qui ne peut être féconde. Mais aussi, au travers d’une vingtaine d’illustrations, venues des coupes attiques et des fresques pompéiennes.

Cet « enfant impudique » et rustique, cet « enfant déjà vieux », rejeté par ses parents, qui bande perpétuellement comme un âne rouge, n’est-il pas l’acmé de la nudité, dans son excitation, son désir, entre abondance et manque, comme le « Poros » et Penia » du Banquet de Platon, mais aussi entre énergique beauté et honteuse et nerveuse intimité… En quelque sorte, Priape exhibe la nudité du désir. Car son érection est sans jouissance, ce qui a donné lieu au terme « priapisme », soit une affection douloureuse. « Obscénité pétrifiée », il a quelque chose de pathétique, face aux diktats de la pudeur et de la convenance, représentant une « figure politique de l’obscène ». Quoiqu’insolent et autoritaire, le voici paré du « degré zéro du phallus ».

Sur un sujet pour le moins curieux, passablement inédit, Maurice Olender nous confie, de manière posthume (il est mort en 2022) un essai qui ose d’étonnant parallèles avec l’Egyptienne Osiris et le Kama Sutra indien. Plus étonnant encore lorsque Jésus croise un Priape créateur originel engendrant Adam et Eve, donc « au sommet de cette architecture gnostique ». Rassurons-nous, il ne s’agit que d’une élucubration hérétique d’un certain Justin. Cet essai profus prétend plutôt faire de son dieu, et d’après le sous-titre, « un phallocrate impotent ». Est-ce une façon de se moquer de plus de deux millénaires de phallocratie ? Il fallait oser le nu priapique, n’est-ce pas. Ce que n’a pas su faire la moche couverture, ornée de quelque gribouillage de l’essayiste, alors qu’aller puiser dans le Musée secret de Naples[2], où abondent les phallus, eût été si excitant. Il est vrai que l’on aime se croire supérieur et moral en vidant les musées de ce qui fâche…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’on retrouve cette malheureuse allégorie de la nudité obscène dans le Manuel d’érotologie classique de Friedrich Karl Forberg, plus exactement selon le titre latin, De figuris veneris. Car en voici une édition bilingue, bourrée de notes, sous la direction d’Etienne Famerie, en ce sens plus exacte et savante que celle que nous connaissions précédemment[3], d’autant que la traduction d’Alcide Bonneau, d’abord parue en 1882, est ici revue. Au sérieux de l’affaire, documentant des dizaines d’auteurs et de références de l’Antiquité, s’associent joliment les facéties, voluptés et obscénités nombreuses, cependant classées par catégories. De la « futution » (soit « l’œuvre qui s’accomplit au moyen de la mentule introduite dans la vulve ») au « coït avec les bêtes », voici le catalogue des pratiques sexuelles mises à nu. Entre temps, la « pédication » (« la mentule au moyen de l’anus) précède « l’irrumation » (« mettre dans la bouche le membre en érection »), puis la « masturbation », les « cunnilinges » et les « tribades » (lesbiennes aux baisers particuliers), sans oublier en conclusion les « postures sprintiennes » à plus de deux partenaire. Le tout complété par un « Essai sur la langue érotique » aux bons soins du traducteur. Les amateurs de postures visuelles, auront droit, en fin de volume, à quelques gravures venues du XVIII° siècle, fort explicites…

Même si la pédérastie et l’homosexualité sont absentes en tant que chapitres à part entière, il en est question de ci-de-là. Car la pénétration anale est le plus souvent considérée infamante et donc conspuée. Alors qu’à l’instar de la fellation la hiérarchie entre actif et passif est sévère pour ce dernier. Ce qui conduisit Michel Foucault, dans son Histoire de la sexualité, à systématiser la classification entre dominant et dominé. Et quoiqu’il convoque à dessein bien des auteurs antiques, Forberg est curieusement absent de sa bibliographie.

 Publié par l’ingénieux compilateur et philosophe Karl Friedrich Forberg en 1824 – qui fournit également une édition commentée de l’ « Hermaphroditus » hélas ici omise – ce traité des figures amoureuses est un remarquable blason d’érotologie classique, où abondent les citations érotiques d’Ovide, celles nettement plus épicées et vigoureusement satiriques de Martial, ou encore des poètes méconnus comme Pacificus Maximus. Il est à la fois une anthologie littéraire et un prélude à ce qui deviendra ensuite la sexologie. L’on devine que ce De figuris veneris est longtemps resté une discrète publication à petit nombre, plus ou moins sous le manteau, car scandaleuse. Comme quoi la philologie exhale un aphrodisiaque parfum dont nous aimons profiter avec appétit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mise à nu, la sexologie devient une discipline sociologique et anthropologique au bon soin d’un quatuor d’auteures qui parcourent les XIX° et XX° siècles pour nous proposer une roborative Histoire des sexualités en France. D’une manière tout à fait judicieuse, l’on ne contente pas ici des pratiques, mais aussi des discours, dominants ou hétérodoxes, des façades et des écarts, sans oublier l’impact des événements historiques sur les comportements et les regards. De la Révolution française à la loi bioéthique de 2021, le « resserrement des normes sexuelles », « l’emprise croissante de la médecine », les répressions, en particulier de l’homosexualité et de l’avortement, lors de la « guerre froide du sexe » entre 1947 et 1967, jusqu’à « la vie en rose », puis la popularisation de la notion de genre et l’expansion des droits libéraux, le panorama est stupéfiant, documenté avec scrupule.

Les parties opposant « les oies blanches » et la prostitution au XIX° siècle, celles sur le « despotisme marital », les violences conjugales et l’inceste, sont édifiantes. Alors que de telles dérives et crimes sont loin d’avoir disparu. Rappelons-nous par ailleurs que le divorce par consentement mutuel ne date que de 1975. Nos auteures notent avec raison que « la plus grande visibilité de l’homosexualité a été émancipatrice pour toutes et toutes », au sens où cela rebondit sur d’autres libertés en particulier féminines. De plus, et heureusement, le sida – et la mort afférente de Michel Foucault – ne débouche pas sur une répression des queers et autres LGBT. « Maternité heureuse », « Planning familial », mouvement Metoo, contribuent à l’indépendance sexuelle des femmes. Mais aussi au respect de soi et d’autrui quelque soit sexe et genre, sans vouloir interdire séduction et jouissance. Ainsi « toutes les déclinaisons de sexualité sont envisageables du moment qu’elles ne relèvent pas de l’abus d’autorité, s’accompagnent de consentement ». Nous conclurons que « la reproduction cesse d’être l’alpha et l’oméga de cette vie sexuelle ».

Le tableau est-il trop irénique ? Une minorité musulmane n’étant guère encline à de telles libertés, il eût fallu envisager en cet ouvrage un tel frein dangereux. Cependant le féminisme paraissant un progrès dans la liberté des sexualités, il est nécessaire de prendre garde à ce que Catherine Deschamps garde en réserve à la fin du dernier chapitre à propos de ses « multiples divisions » : « souvent absolutistes dans un sens ou leur contraire, également volontiers surplombantes dans leur façon de décréter le bien des femmes parfois contre elles-mêmes »…

Est-ce à dire que tout peut être mis à nu, en respectant cependant les limites des sphères privées et publiques ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour répondre, revenons au musée, à ses représentations affichées ou balayées. Car le « mauvais genre » est au musée ! Directeur de La Tribune de l’Art, Didier Rykner livre un titre en forme de jeu de mot, tant il s’appliquait auparavant au mauvais goût, alors qu’il s’arroge aujourd’hui droit d’effacer dans le cadre d’une assignation genrée, correcte ou incorrecte selon les nouveaux censeurs. Car l’art est politique, quoiqu’une fois entré dans l’Histoire, il perde sa vocation propagandiste. Or, bien que les œuvres du passé paraissent à l’abri d’une telle assignation, elles redeviennent aujourd’hui l’objet d’un combat revendicatif.

En effet l’on s’aperçoit que nos musées n’ont plus guère de mission consistant à exposer et enrichir les collections dans un cadre éducatif. Ils ont pour préoccupation principale de se prétendre « inclusifs », en faveur des « communautés opprimées », de se demander où sont les femmes, si l’histoire de l’art est raciste, si l’on est suffisamment décolonial. Autrement dit « une France de plus en plus woke ». Il s’agissait d’éveiller (awake en anglais) les esprits faces aux discriminations indues, au racisme, à la misogynie, il n’en résulte plus que dénigrement haineux du mâle blanc occidental, au point de vouloir en épurer toute trace jusque sur les cintres muséales, non sans se parer d’une intelligence exigeante, arrogante et spécieuse. L’on fomente des accrochages idéologisés. Lorsqu’« une histoire de l’art sans Noirs et sans gays, et sans femmes, c’est mal », l’on remplace les œuvres marquantes par des plus ou moins œuvrettes privilégiant ces trois qualités (qui d’ailleurs n’en sont pas en soi). En vandalisant des sculptures, l’on prétend effacer les symboles honnis du passé, alors que c’est l’Histoire et le patrimoine que l’on éradique. Soit une aberration intellectuelle et civilisationnelle. La relecture morale, voire écologiste et climatique, est celle d’une « moraline », qui ne vise, sous couvert de revanche et d’auto-culpabilisation, qu’à s’arroger le pouvoir, donc fonder les prémices d’un totalitarisme. Heureusement l’administration Donald Trump, quoique peut-être avec un rien d’excès, veut en finir avec les « délires wokes ».

Par exemple l’absurde affirmation face aux statues grecques blanchies par le temps, alors qu’elles étaient peintes de couleurs vives, ne doit pas travestir la vérité : « Quelle différence y a-t-il au fond entre quelqu’un qui pense que la terre est plate et un autre certain que les sculptures grecques étaient racistes ? » Ou encore cette Femme buvant du thé peinte en 1735 se voit affublée à Glasgow d’un cartel prétendant qu’elle est la preuve de « l’expansion coloniale » ! Pensons plutôt aux bienfaits du commerce selon Montesquieu et Adam Smith, ainsi qu’à la paisible esthétique du peintre. « Cachez ces œuvres que nous ne saurions voir », y compris si les nus féminins sont peints par des hommes, semblent proclamer nombre de musées – ou plutôt « locaux de partis politiques » - qui préfèrent des vidéos pédagogiques méprisant l’art de penser par soi-même, des gags pitoyables et des installations de tas de déconstructions…

Illustré d’une soixantaine de reproductions en couleurs, montrant que les individus noirs peints ou sculptés ne le sont pas par mépris, l’ouvrage fait mouche. Bien digne de son auteur qui se permit un joli réquisitoire dénonçant l’enlaidissement de Paris[4]. De plus, muni de cahiers cousus et de rabats, le tout pour un prix modique, sans oublier une explicite couverture montrant un cadre doré vidé de son contenu, cet essai montrant « comment le wokisme s’infiltre partout », mérite plus que la curiosité : si le musée est une institution publique, n’est-il pas de salut public de pointer avec vigueur ses dérives, petitement idéologiques, finalement incultes et grossièrement désastreuses…

Peut-on mettre entièrement à nu le nu ? Il est à craindre que la liberté d’oser la nudité et les sexualités soient menacées. Y compris en prétendant réhabiliter les unes et les uns. Honteux, Priape n’aurait plus qu’à se cacher, se castrer, castrant au passage les musées, l’art, l’esthétique et l’intellect.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Martine Lacas : Elles étaient peintres, Seuil, 2022.

[2] Musée royal de Naples, Cercle du Livre Précieux, 1959.

[3] Friedrich Karl Forberg : Manuel d’érotologie classique, Joëlle Losfeld, 1994.

[4] Didier Rykner : La Disparition de Paris, Les Belles Lettres, 2022.

 

Gustave Moreau : Le Poète et la Sirène, Musée Sainte-Croix, Poitiers, Vienne.

Photo : T. Guinhut.

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15 mars 2025 6 15 /03 /mars /2025 13:40

 

Retablo de San Millan, Las Balbases, Burgos, Castilla y Léon.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Bandes dessinées

fantastiques et science-fictionnelles :

 

Le Dieu vagabond, 47 cordes, La Tour,

L’Arpenteur, Eternum, Apogée,

Carbone & Sicilium.

 

 

Fabrizio Dori : Le Dieu vagabond, Sarbacane, 2019, 156 p, 26,90 €.

 

Thimothé Le Boucher : 47 cordes, Glénat, 2021, 380 p, 25 €.

 

Schuiten-Peeters : La Tour, Casterman, 2024, 112 p, 27 €.

 

Victor Hachmang : L’Arpenteur, Casterman, 2025, 88 p, 20 €.

 

Jaouen-Bec : Eternum. Intégrale, Casterman, 2025, 152 p, 29 €.

 

F.Duval-Emem-F.Blanchard :

Apogée. 1 Les Boucles de Céladon, Dargaud, 2025, 64 p, 17,95 €.

 

Mathieu Bablet : Carbone & Sicilium, Ankama, 2020, 272 p, 22,90 €.

 

 

Cases héritées des retables, bulles héritées des phylactères, la bande dessinée naquit en 1831, sous les doigts du Suisse Rodolphe Töpffer. Son Histoire de Monsieur Jadot usa d’une d'articulation scénique des textes et des images montées en séquences, quoiqu’il ne s’agisse pas encore de bulles. Elle était l’un des prémices d’une aventure esthétique d’abord plutôt destinée aux enfants, qui conquit peu à peu l’horizon d’attente des adultes. Si l’histoire de la bande dessinée est celle désormais d’un art, digne d’une encyclopédie couvrant presque deux siècles[1], au travers de multiples métamorphoses et efflorescences, nous nous intéressons ici à de récentes parutions, marquées par un fort penchant pour le fantastique, parmi Le Dieu vagabond de Fabrizio Dori, les 47 cordes de Thimothé Le Boucher, et les âges de La Tour de Schuiten & Peters. Mais aussi à une pente science-fictionnelle, telle que L’Arpenteur et Eternum, Apogée ou Carbone & Sicilium l’envisagent. En ces occurrences, le débat classique entre primauté de la couleur et du dessin en peinture, à l’époque du Titien et de Poussin, ne peut qu’être aujourd’hui réactivé à l’occasion de prouesses narratives, efficacement dessinées, suggestivement colorées. 

L’inspiration mythologique court depuis la plus haute Antiquité au sein des littératures, des arts, et pourquoi pas la bande dessinée. Nous n’en aurons pour preuve que Le Dieu vagabond de Fabrizio Dori, dont une précédente création était intitulée Le Fils de Pan. Ce serait du merveilleux si l’on restait dans les hauteurs des divinités et des mythes, mais lorsque notre réalité en est étreinte, nous voici dans les demeures troubles du fantastique.

Il n’est rien d’autre qu’Eustis, le sans domicile fixe, le clochard des champs de tournesols. Pourtant, d’après les prostituées locales, ne serait-il pas un devin ? Il s’avère que, dernier de sa lignée divine, le satyre ainsi nommé Eustis mène une vie oisive et solitaire, tombé qu’il dans notre monde d’aujourd’hui. Aussi, lorsqu’il apprend qu’il n’est pas le seul dieu à avoir survécu, il se met en quête de son ami Pan, disparu depuis bien longtemps. Ne semble-t-il pas cristalliser l’entière attention du nouveau panthéon de l’« Hôtel Olympus » ? Peut-être le modeste Eustis s’est-il fourvoyé dans une affaire qui le dépasse, voire dangereuse. D’autant que ce malheureux membre de la cour de Dyonisos –  dieu bien connu du vin et de l'ivresse –  comptable d’une faute malencontreuse, s’est vu maudire par les dieux, au point d’avoir été condamné à vivre parmi le quotidien des humains dépourvu de magie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En cette épopée fantaisiste, il faut une rocambolesque descente aux Enfers, comme dans Les Métamorphoses d’Ovide et L’Enéide de Virgile. Car la spectrale Hécate confie à notre Eustis une mission délicate. Et comme cette aventure se déroule à la fois sur les deux plans du réel et du merveilleux, il est accompagné par un vieux professeur ronchon à la vue basse qui somnole dans une bibliothèque où sont « Tous les livres jamais écrits et qui ne le seront jamais ». Une extravagante galerie de personnage gravite autour d’une fête foraine, dont les moindres ne sont pas un bouquet de fantômes et un minotaure. Soyons rassurés, au sortir de ce bric-à-brac initiatique, Eustis pourra rentrer « à la maison »…

Dès que sa dimension divine et dionysiaque revient et éclate, le dessin et la couleur se métamorphosent, se chargent de circonvolutions psychédéliques. L’on n’est pas étonné, sachant que Fabrizio Dori a consacré un album à Paul Gauguin, que les clins d’œil picturaux soient nombreux, du côté de Van Gogh et ses tournesols, mais aussi Dufy, Monet, voire Mondrian… Tableaux graphiques enchanteurs, récits captivant, rythmé comme un film d'aventure, tout conspire à la volupté du lecteur. Poétique et ludique, sans mièvrerie, onirique et humoristique, évidemment artistique, ce Dieu vagabond, lancé par la « sarbacane » de son éditeur, mérite de colorer notre bédéthèque, d’autant que l’illustration  de couverture ne donne qu’une faible idée de sa pétillante esthétique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il s’était fait remarquer au moyen de Ces jours qui disparaissent, dans lequel le temps est le personnage principal. L’on sait que l’affolement ou la répétition du temps sont des topoï de la littérature fantastique. En effet le jeune Lubin Maréchal comprend soudain qu’il ne lui reste qu’un jour sur deux à vivre. Pire, pendant son absence hypnotique, une autre personnalité prend possession de sa personne, vivant une vie bien différente. Aussi lui faut-il apprendre à communiquer avec cet autre moi, via une caméra. Peu à peu le second supplante le premier, jusqu’à une disparition programmée qu’une histoire d’amour ne parviendra pas à contrecarrer. L’album est poétique, angoissé, hanté par les mystères de la double personnalité, dessiné pastel avec une certaine qualité adolescente.

Thimothé Le Boucher revient, cette fois nanti d’un brio narratif et graphique incontestable, en nous proposant ses 47 cordes. Ambroise, un jeune harpiste, est l’objet soudain de l’amour d’une « métamorphe ». Est-elle femme ? En tous cas, elle peut changer de forme à volonté, de façon à assurer la réussite de ses caprices et ambitions. Toutefois, l’entreprise ne se révèle pas aussi simple qu’attendue : quel corps, quel visage doit-elle incarner pour être également aimée ? Sa proie sera-t-elle séduite ? Au moyen de quels rituels sexuels, voire morbides, lui fera-t-elle courber l’échine ?

Notre Ambroise, qui « n’arrive pas à tomber amoureux », ne sait rien de la créature qui l’environne et l’engage dans un trouble marché. Lorsqu’il intègre un orchestre dont il est le harpiste, il fait la rencontre  de Francesca Forabosco, une cantatrice aussi excentrique que célèbre… et fort charnue, plantureuse. Celle-ci se fait son mentor, son agente, lui proposant un étrange contrat : pour obtenir la harpe de ses rêves, il lui faudra relever 47 défis, parmi « le triangle des Bermudes des secrets ». À chaque fois le succès devra suivre, indubitable, de façon à engranger successivement les 47 cordes de l’instrument. Faute quoi, ce dernier lui restera inaccessible…

Exceptionnelle par son ampleur – près de 400 pages – l’œuvre ambitieuse de Timothé Le Boucher ne manque pas de cordes à son arc artistique. Car le défi imposé au musicien s’impose en quelque sorte au scénariste-dessinateur et coloriste. Elle est musicale et poétique, érotique et angoissante, entre beau jeune homme tendre et femme fatale aux multiples incarnations, mince ou hautement dodue, mûre ou fragile… L’ambigüité sensuelle est joliment suggérée par la couverture, dont le jeune homme est le harpiste de la chevelure de la belle flamboyante.

Le dessin a gagné en sensualité trouble, en psychologie, tant les visages sont disposés à exprimer de subtiles et intenses émotions tout à fait adéquates au texte, à la situation. Hélas, au moment où Ambroise est sur le point d’accéder au mystère de sa séductrice, et selon les procédés suspensifs du roman feuilleton, ce premier tome s’interrompt. Sans que l’on sache quand – et si – le second fera encore vibrer les cordes les plus intimes de l’éros et de l’intellect…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre mythe, cette fois biblique, celui de Babel qui hante l’opus de Schuiten & Peeters : La Tour. L’édifice est pire que celui des peintures de Brueghel et des gravures de Piranèse, qui sont des références assumées. Car dans les entrailles déglinguées du titanesque édifice à la limite de l’infini, un homme d’âge mûr, passablement bedonnant, esseulé, tente de rafistoler la carcasse de pierre. Giovanni Battista (ce sont les prénoms de Piranèse) parcourt et grimpe les arches, les voûtes, les couloirs et les escaliers, à la recherche d’un inspecteur qu’il ne trouvera jamais et au risque de se rompre le cou. Cette première partie, à la lisière du Château  de Kafka – dont on retrouve l’univers à l’occasion du faciès barbu qui rappelle nommément celui d’Orson Welles adaptant Le Procès – est cependant un peu longuette et répétitive…

Heureusement de nouveaux personnages réactivent le suspense. Un certain Elias Aureolus Palingenius, au nom signifiant, alchimiste à ses heures, « marchand de rêves et de savoirs, détenteur des secrets de la Tour ». Et surtout Milena en qui il trouve une tendre amie pour l’accompagner entre escalade et désescalade. Ce n’est qu’en entrant dans des tableaux d’histoire et de batailles, en couleurs, qu’ils pourront sortir de cet univers fantomatique en noir et blanc. Les textes de Peeters se souviennent également de Borges, tandis que les dessins de Schuiten, assez classiques, graphiquement maîtrisés, se souviennent de l’esthétique de la série Blake et Mortimer. Le fantastique onirique et architectural se veut également une mise en abyme de l’art, puisque c’est la peinture qui permet de recouvrer le réel. Architectures romaines et médiévales, bibliothèques et astrolabes, tout est bouleversé lorsque les tableaux débouchent sur des scènes de batailles venues du Second Empire…

Aux côtés de cette Tour envoûtante, L’Archiviste est un volume pivot de l’univers des Cités obscures, aux nombreux volets, qui ont fait des complices Peeters et Schuiten des incontournables de la bande dessinée cultivée, ce depuis 1982. Un certain Isidore Louis travaille ardemment à l’Institut Central des Archives. Lui échoit la tâche d’élaborer un rapport sur les mystérieuses « Cités obscures ». Existent-elles vraiment ? Fiction superstitieuse, demeures d’un culte inconnu ? Entre paperasses et documents, notre archiviste se livre à une recherche qui devient une quête, fascinante, dangereuse, où l’ombre borgésienne est rarement absente…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le fantastique science-fictionnel semble glisser vers la dystopie lorsque V. Hachmang concocte L’Arpenteur. L’étrangeté de cet album est dû à une sorte de monologue intérieur continu, tant la solitude du personnage est irréductible. Aux abois sur une planète Terre poubellisée, il ne doit cet exil qu’à sa condition d’employé bas de gamme du service assainissement. Car les privilégiés de la fortune vivent parmi la cité d’Avalon, dont le nom est une allusion à la mythique cité celtique. Ce sont des résidences luxueuses situées sur un satellite artificiel sphérique, lui-même à l’abri sous un dôme protecteur. Là, parcs et jardins sont soigneusement entretenus par des milliers d’employés à l’inférieur statut. Ces derniers, un peu comme les Morloks de La Machine à explorer le temps de Wells, vivent dans un dédale de tuyauteries et d’infrastructures crasseuses et répugnantes. L’un d’entre eux, symboliquement nommé Géo, un jeune homme, use de ses rares loisirs pour jouer aux échecs contre un robot, alors qu’il doit  acheminer les déchets d’Avalon sur Terre.

Le destin du malheureux éboueur spatial bascule lorsqu’au cours d’une livraison vers un site terrestre de traitement des ordures, sa navette s’échoue, à cause d’on ne sait quelle panne, dysfonctionnement ou orage magnétique. Sans aucun moyen de communication, une longue errance s’amorce, à la recherche d’une rivière, d’un littoral, de façon à espérer rejoindre le site de traitement des déchets. Avec son sac à dos et quelques rations de survie, il marche à travers des plaines désertiques et stériles, couvertes de déchets, d’immondices toxiques, sous des brumes acides…

Le récit-tableau se veut une allégorie ultime du monde abominable de demain. Le périple pédestre, qui a quelque chose de survivaliste, dure une année entière, ce qui permet de découper l’ouvrage en ses quatre saisons. Même poursuivi par des chasseurs de prime sans pitié, sa solitude absolue contraint sa psyché à penser à voix haute, au moyen de quelques bulles poétiques et angoissées : « Tu n’es rien d’autre qu’une vapeur… prisonnière d’un masque creux ».

C’est grâce à la découverte fortuite d’un exemplaire illustré de la pièce de Shakespeare, La Tempête, qu’il hausse sa déshérence au rang du mythe. Non sans virtuosité, cet Arpenteur se veut une relecture post-moderne de l’ultime chef d’œuvre du maître élisabéthain.

Ne nous privons pas d’arguer combien cet ouvrage apocalyptique jongle avec des clichés catastrophistes, apocalyptiques et nihilistes, tant l’horreur a sa source dans un capitalisme férocement inégal et oppresseur, dans une pollution exponentielle. À cette irréfragable horreur apocalyptique, Victor Hashmang oppose parfois des bribes de nature originelle et paradisiaque : papillons, pétales de fleurs, insectes nécrophages. Mais dans une minuscule oasis où s’opère la nymphose, à moins que le tout n’ait lieu que dans un nostalgique muséum d’Histoire naturelle…

Les couleurs acidulées de verts et des oranges, et autres teintes fluorescentes, semblent parler le langage insistant des pluies acides, distribuant de page en page des rimes plastiques et des univers dangereusement astringents. La réussite plastique est indubitable, en ce qui atteint l’univers de la science-fiction…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Eternum. Le titre est beau, réunissant de surcroit la trilogie de manière intégrale : « Le sarcophage », « Les bâtisseurs », « Eve ». L’humanité a su coloniser la majeure partie de notre galaxie. Mais une série d’événements troublants affecte la réussite apparente. Dès l’incipit, dans les entrailles d’une planète rocheuse qui est explicitement celle de la genèse, un groupe d’explorateurs découvre un étrange « sarcophage », qui ressemble plutôt à une nymphe géante.

Par ailleurs, divers astronomes repèrent de mystérieux rayons cosmiques, venus de la Croix du sud et du Nuage de Magellan, qui pourraient frapper la terre. Parallèlement, c’est la base lunaire qui rompt tout contact avec la Terre. Les scientifiques et militaires y découvrent un carnage féroce. Quelque part dans des montagnes lointaines, un temple décrypte les signes de l’apocalypse à venir. Or le « Consortium d’exploration et d’exploitation spatiale » qui use des ressources minières prend l’aventureuse décision de rapporter sur Terre le sarcophage pour en connaître tous les pouvoirs. Mal va leur en prendre face à ce qui est peut-être l’envoyé d’une civilisation extraterrestre.  Car l’objet « insondable » par tous les moyens scientifiques connus livre enfin, après ouverture à la scie diamant, la femme « d’une perfection absolue », que l’on se résout à nommer « Eve ». Il se pourrait qu’elle « détienne la clef de l’immortalité ». Mais la violence prolifère, tant les comportements sexuels et sociaux sont  affectés jusqu’à l’acmé du crime…

Tout l’attirail de la science-fiction est bien là : vaisseaux complexes, scaphandres, robots anthropoïdes, construction en forme de flèche gigantesque sur une planète aride. Mais on a compris que le texte biblique irrigue cette épopée tragique, là rendant plus métaphysique que de prime abord.

Justifiant le titre, la morale de cette science-fiction pessimiste est explicite : « les bâtisseurs ont réalisés que l’immortalité n’était pas un cadeau à faire à l’homme. Et afin de limiter leur expansion… les laisser hommes, et non surhommes ! »

Les personnages s’expriment fort souvent à coups de vulgarités récurrentes et d’un pauvre vocabulaire. Certes, dans une ère datée de l’an 2297, ce sont des militaires piégés dans une situation pour le moins dangereuse, des machos belliqueux et durs à cuire – comme il en existe – et en cela le réalisme empreint la science-fiction échevelée.

Le dessin est de prime abord intéressant, associant de page en page des dominantes de bleus sombres, d’ocres crépusculaires et de quelques orangés et jaunes. Le suspense est angoissant, même s’il abuse des situations extrêmes. Malgré un récit parfois confus, tant il cumule les directions, cet Eternum est une réussite.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Encore une fois, la science-fiction intergalactique a frappé. F.Duval, Emem & F.Blanchard unissent leurs forces dans Apogée. 1 Les Boucles de Céladon. Parmi la fédération du « Complexe », la Terre est la 24ème parcelle.  Certes, au sein d’un tel conglomérat fondé par trois planètes, Thorgon, Köbalt et Skuall, de millénaires en millénaires les guerres interstellaires n’ont pas cessé d’exploser. Cette fois, il s’agit de la civilisation nommée Ouröbörös, qui, à la recherche de nouvelles ressources, engage la guerre spatiale. L’immense conflit s’incarne en une petite poignée de personnages : deux frère et sœurs originaires de la planète Kerath, Dame Eliz, une Ouröbörös qui ne partage pas l’hégémonique ambition de son peuple et Marcus Valerius, un humain qui fut enlevé lors de l’apogée de Rome par les Ouröbörös. Il faut alors se rappeler que l’Ouroboros est un mot qui vient du grec et désigne un serpent qui se mord la queue, signifiant l’éternel retour et l’éternité ; d’où le sens du titre avec ses boucles. Peut-être s’agit-il de l’éternel retour de « l’art  de la guerre, de l’art de tuer »…

En cette nouvelle épopée des créateurs de Renaissance, dont il ne s’agit ici que du premier tome au cours d’une trilogie en gestation, le souffle interplanétaire est avéré. Le choc entre des légionnaires romains et des androïdes aux faciès semi-animaux ou champignonesques est assez curieux, même si le dessin, la distribution des cases et les couleurs ne déménagent pas beaucoup.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Non loin de notre temps, soit en 2046, mais en l’an 1 de la naissance des intelligences artificielles, et dans la Silicon Valley, Mathieu Bablet imagine Carbone & Sicilium. Ces deux éléments sont en fait les derniers nés des laboratoires Tomorrow Foundation. Robots humanoïdes, Carbone et Silicium sont les prototypes d’une nouvelle génération destinés à prendre soin de l’humanité vieillissante. Cependant, leur cocon protecteur ne les empêche pas d’être séparés à l’occasion d’une tentative d’évasion. Ils tentent alors, et ce pendant plusieurs siècles, de trouver à s’établir sur une planète épuisée, envahie de déchets, lacérée de catastrophes climatiques et de bouleversements politiques criminels.

Une directrice de recherche à la « Tomorrow Foundation », Noriko Ito, insuffle la vie à ses deux « bébés » : Carbone et Silicium. Le savoir humain au complet leur est dévolu. Mais à leur corps est imposée une limite, soit une Date Limite d’Existence : pas plus de 15 ans. Cependant, péripéties et inquiétude narrative obligent, lors d’un voyage à la découverte du monde, le masculin Silicium s’enfuit. La féminine Carbone tente en vain de le retrouver. Lorsque son bref temps de vie parait révolu, la voici sauvée illégalement par Noriko. Elle se voit dotée de la possibilité de se réincarner dans d’autres Intelligences Artificielles. Dans le cadre d’une vaste ellipse narrative, il faut attendre 93 ans pour que Silicium réapparaisse. Voyageur exilé et prophète d’un nouveau genre humain, les voici partis pour des aventures encore inconnues. Y compris au cœur des émotions et des sentiments humains particulièrement bien suggérés, surtout lorsque la dimension fraternelles, amicale, voire amoureuse, des deux protagonistes est mise en avant.

Ce sont 272 pages généreuses pour un volume luxueux au dos toilé : Carbone et Silicium associe à une certaine dose de crédibilité scientifique une imagination largement débridée. Cette histoire de transhumanisme et d'émancipation de deux Intelligences Artificielles, humainement différentes malgré leur gémellité, est un prétexte pour pointer les travers de notre société malade. Plus précisément la pente vers l’apocalyptique extinction de la race humaine. Là encore, le topos du catastrophisme, en prétendant jouer sur nos peurs et nos culpabilités, est exploité sans guère de vergogne. La quête utopique, voire dystopique, « celle de la fusion de tous nos esprits vers une même conscience, une seule intelligence, éloignée des préoccupations matérielles et de la souffrance corporelle » semble compromise.

Mathieu Bablet a consacré quatre années à cet ouvrage. Pas en vain. Le dessin, méticuleux, énigmatique, séduit, frappe et trouble. D’intenses pages aux couleurs orangées et bleutées offrent un tableau des beautés géographiques et culturelles du monde dignes d’être préservées, voire au moyen d’une allusion à la tour de Babel. Alors que des nuances sableuses accentuent la désertique perdition d’une humanité désespérée. Ainsi va l’antithèse entre un passé idéalisé et un avenir où surconsommation et surexploitation déraisonnables ne conduisent qu’à la dévastation. C’est cependant céder au pessimisme, tant l’invention scientifique humaine, voire artificielle, peut conduire, ce qui est déjà partiellement le cas, à la restauration d’une planète où la prospérité humaine peut s’épanouir.

La gestation génésique et technologique du début est particulièrement bien rendue. À laquelle répond la magmatique extinction finale. Réelle étrangeté, Carbone & Sicilium unit l’ampleur scénaristique et l’imagination technologique, graphique et poétique.

Qu’attendre de la bande dessinée la plus mature ? Autre chose qu’une simple illustration d’œuvres littéraires déjà existantes. Plutôt une créativité qui engage la dimension narrative et  spéculative autant que l’affriolante copulation du dessin et de la couleur, parmi des pages aux cases construites avec pertinence et fantaisie. Plus qu’un accord, il faut une complicité réelle lorsque scénariste et dessinateur unissent leurs langues et leurs doigts, comme dans le cas de Peeters et Shuiten. À moins que l’idéal réside dans la collusion des deux talents en une unique main, ainsi Thimoté Le Boucher, Victor Hashmang, Mathieu Bablet, ténors de la bande dessinée, agitateurs du dessin et coloristes nés. Admettons à cet égard que les délicatesses du fantastique sont un défi désiré pour le neuvième art, alors que les fulgurances de la science-fiction lui sont particulièrement propices, voire une terre d’élection.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] L’Art de la bande dessinée, Citadelles et Mazenod, 2012.

 

Retablo de San Millan, Las Balbases, Burgos, Castilla y Léon.

Photo : T. Guinhut.

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6 mars 2025 4 06 /03 /mars /2025 17:57

 

Jaizkibel, Hondarribia, Guipuzcoa, Euskadi.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Métamorphoses du sonnet contemporain :

Robert Marteau, Bernard Deforge, Diane Seuss.

 

 

Robert Marteau : Ecritures, Champ Vallon, 2012, 304 p, 20 €.

 

Bernard Deforge : Roupie. Autoportraits à la pointe sèche,

Les Belles Lettres, 2025, 344 p, 25,90 €.

 

Diane Seuss : Frank : Sonnets,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sabine Huynh,

Le Castor astral, 2024, 140 p, 17 €.

 

 

« Un jour ce dieu bizarre, / Voulant pousser à bout tous les rimeurs françois, / Inventa du sonnet les rigoureuses lois[1]. » Ainsi Boileau imagina au siècle classique, plus précisément en 1674, qu’Apollon, dieu des poètes, allait faire leur désespoir s’il leur prenait fantaisie de se soumettre aux contraintes des deux quatrains et des deux tercets, de la volta et de la chute. Pétrarque en fut, au XIV° siècle, sinon l'inventeur, le génial propagateur, louant avec ardeur la blonde Laure dans son Canzoniere. De Ronsard à Shakespeare, de Quevedo à Gongora, jusqu’à Baudelaire ou Hérédia, la fortune du sonnet fut considérable ; mais le XX° siècle, si l'on excepte Henri de Régnier, Pablo de Neruda ou Yves Bonnefoy, lui fut plutôt hostile. Vieille lune classique, il fascine toutefois, non sans se voir infliger des métamorphoses, voire des camouflets. Aujourd’hui, ils sont en France Robert Marteau et Bernard Deforge, mais aussi Diane Seuss, aux Etats-Unis, au risque de tordre le coup à l’architecture exactement sculptée du sonnet.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bien avant l’ « Ode à un rossignol[2] » de John Keats, les poètes ont cru imiter de leur plume le chant des oiseaux, s’inspirer de leurs ailes pour animer leurs « écritures ». Celles de Robert Marteau, en contradiction avec l’apparente convention du projet poétique contemporain amateur de vers libres et autres proses, choisissent l’inactuel sonnet, quoique en conscience de l’exigence de quotidienneté, voire d’attention au banal qui croit aujourd’hui assurer sa légitimité. « Pour sa jubilation vocale », tenant sur le sol et vers le ciel un journal de bord et de promenades poitevines, ce diariste s’applique moins à la description qu’à la traduction du monde de feuillages et de présences qui l’entoure. Ainsi Robert Marteau sait assurer, dans le laconisme de son titre, Ecritures, l’exercice du sonnet quotidien, comme dans son recueil Rites et offrandes au titre en l’occurrence bienvenu :

« J’ai bien peur d’être aussi ennuyeux que n’importe

Qui avec tous ces faux sonnets que j’accumule

Pour qui ? pour quoi ? et qui me viennent sans que j’y

Songe, allant à mon pas sur le lopin de terre

Où je me trouve à tel ou tel moment. Qu’y faire ? »

Dans la continuité patiente, opiniâtre et assumée d’un précédent recueil, Le Temps ordinaire[3], Robert Marteau marche à l’écoute des oiseaux, tel un modeste Messiaen du sonnet, des arbres et des horizons de campagne. Mais si l’on pouvait craindre les clichés bucoliques, que l’on soit rassuré : l’inspiration se pose sur une herbe, sur une mousse, une salamandre, pour, « Consacrant ses loisirs à la métaphysique », prendre, comme Rainer Maria Rilke, son envol en des thèmes cosmiques. Et prendre assise en des convictions chrétiennes : « Dans le jardin clos tu entends le rouge-gorge / Affirmer face au ciel le triomphe du verbe / Révélé. » Mais aussi en des instants satiriques (parfois un peu lourds, sinon vieillots) à l’encontre de la civilisation contemporaine : « les positivistes / Sont devenus les négateurs ». Pourtant Robert Marteau sait avec retrait cultiver le paysage, non pas dans le projet d’un écologisme militant, régressif et hyperbolique, mais dans la simple et nécessaire attention à la nature qui l’entoure et le fait respirer, humainement et poétiquement, son carnet en main sur les chemins :

« Mêlée à la mélodie ouverte qu’expulse

La gorge du merle, un épanchement de l’âme

Humaine par le biais d’un piano : bois, cordes

Qu’un clavier meut sous les doigts de qui, interprète,

D’une partition chiffrée induit le souffle

Que contenait le cahier du poète mort,

Plus vif que le vivant le restitue aux sources,

Aux chemins infréquentés sans aucune trace

De qui que ce soit dont il nous arriverait

De côtoyer le corps. Gerbe accueillie où à

Satiété il y a de quoi se nourrir même

Si on sait que la moisson ne suffit pas à

Assouvir la faim quand d’abord on a goûté

Aux confitures dont les anges ont la clé. »

Que devient le sonnet en cette démarche ? Certes, il a perdu la stricte noblesse de ses deux quatrains et de ses deux tercets séparés par une blanche ponctuation. De même pour ses rimes, comme souvenir d’un retour musical et rythmique obligé trop artificiel. Ne reste, excusez du peu, comme pour ne pas se faire ostensiblement remarquer en sonnet, que le bloc des quatorze vers, que le respect pour le juste alexandrin, vers noble cependant adapté ici à l’humilité de l’écrivain, sans compter le scrupuleux usage de la diérèse. En outre, il n’hésite pas à terminer un vers par « c’est », « dans »  ou « qui », jouant avec un brin d’humour avec la trop régulière scansion. Faux ou vrais sonnets ? Sans oublier de dater chacun d’entre eux, nanti parfois d’un lieu, petite ville ou musée, où « Sonne le sens si les sons résonnent en si- / Lence. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Deux années, 560 sonnets, sans compter ceux des précédents recueils, puisqu’il s’agit du sixième volume d’une longue série : « Liturgie VI, 2001-2002 ». Les 154 de Shakespeare, les 336 de Pétrarque, dépassés, pulvérisés, et cependant fondateurs et inoubliables… Mais qu’importe la quantité, même si quelques poignées peuvent sembler moins nécessaires, une telle application à la mesure de l’observation, du souffle et de l’intensité, vaut bien cette avalanche tranquille qui ne s’est arrêtée qu’au dernier souffle du poète, en 2011 :

« Et chacun chante du fond de la nuit pour être

Reconnu de la postérité qui n’est qu’une

Société anonyme au bord du désastre. »

L’écriture de ces Ecritures tend à vouloir faire oublier qu’il s’agit de poésie, ce en usant du langage de la prose en ces vers. Comme Wordsworth en 1800, il pourrait plaider sa cause : « certains des passages les plus intéressants des meilleurs poèmes sont écrits strictement dans le langage de la prose, pour autant qu’elle soit de qualité[4] ». En ajoutant : « En réponse à ceux qui défendent encore la nécessité d’agrémenter le langage versifié de certaines couleurs de style qui lui permettraient d’atteindre son but (…) peut-être suffira-t-il de faire observer que des poèmes sur des sujets plus humbles et dans un style plus dépouillé et simple que ceux que j’ai visés survivent encore, lesquels poèmes n’ont cessé de procurer du plaisir, d’une génération à l’autre.[5] » Mais, en usant de modestie rhétorique, dans le cadre d’une attention au spectacle quotidien des champs, des bois et de la transcendance, le poète ne risque-t-il pas d’omettre de nous emporter dans une musicalité supérieure, dans des fulgurances langagières décalées et somptueuses ? Le risque est, comme pour de trop nombreux poètes contemporains, de verser dans la continuité de la banalité, dans la quotidienneté langagière de ce qui aurait pu être élagué. Reste au lecteur à picorer sonnets et vers pour que « Quelques gouttes de rosée apaisent sa soif », en décrochant bien des moments éblouissants :

« Astronautes, ils avaient invoqué la grâce,

L’art et l’intercession des ombellifères ».

Comme Corot, puis les impressionnistes, il versifie sur le motif. Lui qui a écrit sur les peintres, Cézanne, Le Brun, sur le musée du Louvre, il est ici plutôt aquarelliste. Loin du romantisme exalté devant la nature sauvage, c’est en au réalisme attentif et sensuel du naturaliste que nous sommes invités. Le sens du détail et de la couleur, de la sensation et de l’émotion, est au service d’un repliement sur l’essentiel. Mais pour y puiser une « louange », une « liturgie[6] ». Celles de chaque identité de vie de la nature autant que du respect d’un regard qui fixe l’éphémère dans le poème ; ce pour le relier à l’universel et au divin, oiseaux et arbres vers le ciel, dans une esthétique presque taoïste : « C’est l’échelle où la Création / Se renouvelle perpétuellement neuve, / Fontaine jouventielle où ce qui est rien / Revit ayant extrait le vide du divin. »

La comparaison avec le Catalogue d’oiseaux d’Olivier Messiaen est alors justifiée. Mais on s’en tiendra à ce vaste cycle de pièces pour piano. C’est déjà une rare louange à offrir aux cendres de Robert Marteau. S’il n’a que parfois atteint dans ses vers la dimension orchestrale fabuleuse du Saint François d’assise du compositeur, peut-être l’a-t-il, dans la fiction de son Dieu, trouvée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La roupie étant une monnaie indienne de peu de valeur, l’on peut deviner quel crédit accorde Bernard Deforge (né en 1947) à ses œuvrettes. « De la roupie de sansonnet », dit le proverbe populaire, soit une bagatelle, qui n’engage que la modestie du poète : « Ces sonnets c’est de la roupie. / À mes amis je les dédie. », avoue-t-il dans son centième exercice parmi 322, précédemment publiés au travers de cinq volumes rédigés depuis 1979 jusqu’en 2014. Des vers forts inégaux, souvent brefs, qui ne dépassent que rarement l’ampleur de l’alexandrin sacrifié, de façon à économiser les mots, mais pas la parole…

Les éléments personnels, culturels, voire sociétaux, s’entrecroisent, visitant la nature, entre paysages maritimes et forestiers. Eros et Thanatos sont d’inéluctables entités et créatures bien charnelles. Et si l’on utilise des noms grecs, c’est parce que les mythes, la tragédie (en particulier d’Eschyle) saupoudrent le discours. Ce qui n’a rien d’étonnant puisque notre auteur est également helléniste et essayiste, par exemple avec un titre explicite : Je suis un Grec ancien[7]. Ce dont témoigne sa « Naissance d’Aphrodite », dont il ressent « L’honneur d’être devant le tremblement de son derme ». Mais en sus de Pindare, il aime Pétrarque, Baudelaire, Mallarmé, Whitman, tout en flirtant par instants avec une légère pente surréaliste, non sans se départir de sa définition du « poète espiègle », qui, à la semblance d’un Parnassien, prétend parler « Jusqu’au grand Comptable du Beau ». Le tout non sans ironie, voire autodérision : Je me préserve de la modernité. / Me croyant volatil, / Je suis Sosthénès le guerrier ».

Intitulé « Les outils parfaits », son inaugural sonnet est volontairement programmatique :

« Sonnets qui avez l’expérience

Qui contenez l’exacte mesure

Et la patience de l’homme

Et l’humilité de ses orgueils,

 

Outils parfaits que posèrent les maîtres,

À leur chevet si nous vous reprenions

Tout luisants des mains illustres

Et votre bois de mémoire

 

Et l’aigu de votre acier

Sonnets économes,

En la fragilité de ce siècle

 

Peut-être dans vos vaisseaux survivrons-nous,

À la garde de votre emboîtement,

Contre la guise des eaux mortes. »

Le recueil a quelque chose de composite, tant les allusions littéraires y sont nombreuses. Au symbolisme avec « Cathédrale d’automne », au genre du blason du XVI° siècle : « J’ai achevé ce blason / Commencé par la poétesse-au-nom-perdu / Avec des tétons comme des dragées. » Et ce n’est pas sans justesse que la satire politique pointe le bout de son curare : « Ô peuple défait, / Voici que défèque / Le grand Etronome / Les lois du non sens / Sur ce que je nomme / De rage non France ».

Le registre élégiaque renforce le lyrisme, d’un classicisme délicieusement inactuel et cependant universellement d’aujourd’hui et de toujours. Car « le tricot des mots » est un exercice amoureux autant qu’une foi dans la vie. Quoiqu’une tentative d’immortalité conclue l’ouvrage : « Je traverse ce monde / Indemne du mal qu’il suinte/ Dans le mépris du temps qui passe. » Malgré « L’incendie des Belles lettres » – ce qui est à la fois allusion à la bibliothèque d’Alexandrie et à l’incendie de l’entrepôt de son éditeur en mai 2002 – le défilement des sonnets conserve le feu du phénix…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bien plus iconoclastes sont les éclaboussures poétiques d’un recueil qu’elle titre Frank. Sonnets. Diane Seuss, une Américaine née en 1956, ne pratique pas l’espace entre les strophes, ni les rimes. Ce sont cependant comme de juste 127 fois 14 vers, nettement autobiographiques, depuis son enfance dans une famille ouvrière du Michigan marquée par la pauvreté, le fanatisme chrétien et la mort du père, en passant par son « premier béguin » et la drogue, par les avortements et un éprouvant accouchement, puis par la découverte de la vie artistique à New-York. Les fantômes d’un ami, Mikel, que le sida emporta, d’un fils, Dylan qui fut toxicomane, concourent à la confession autant qu’à la fresque sociale en dégringolade.

Diane Seuss est cependant toujours « À la recherche d’une définition simple du Sublime ». Avec virtuosité, elle échappe aux « pièges de la forme en poésie », en écrivant sans peur, et force ironie : « Les poètes célèbres venaient vers nous, ils éjaculaient sur nous », alors qu’elle était « cette écrivaine qui s’appelait Anonyme »…

Si ce sont à chaque fois quatorze lignes, il n’est pas tout à fait sûr que le vers soit autre chose qu’un fantôme arbitrairement glissé dans la césure d’une prose ponctuée. Désaveu du sonnet ou nostalgie ? Parfois ces vers sont tellement longs qu’il a fallu à l’éditeur concevoir quelques pages dépliantes. La volonté d’originalité individuelle est indubitable, à la mesure du défi : « Artiste indépendant. C’est ce que tu dis quand on te demande ce que tu fais dans la vie. Tiens-toi prêt à sortir cette carte de ta poche »…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quoique le réalisme, le tragique et la trivialité quotidienne, voire la vulgarité, parcourent le travail poétique – où le poème est « ce coup d’un soir » – l’envol offre un voyage au long cours. Car « la pauvreté, comme le sonnet, est une bonne prof ». Or le lyrisme fuse étonnement, en particulier lors de la chute, ce dernier vers que choyaient les poètes baroques : « la prière que j’ai adressée. C’était du sexe et de la poésie ». Par-delà les vicissitudes crues d’une vie peu gâtée, par-delà son usage explosif et peut-être abusif de la forme du sonnet, la beauté surprend soudain le lecteur conquis.

Le coffret sculptural du sonnet, malgré sa concision rédhibitoire, peut accueillir tout l’espace, toutes les souffrances, toutes les beautés du monde. S’il a aujourd’hui le plus souvent perdu ses rimes, ses strophes, ses vers mesurés, il garde son magnétisme chez les poètes les plus sages, es plus philosophes, comme les plus déjantés. Exercice de style, il est une esthétique qui n’a que l’obligation de l’éthique pour être réussi.

 

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Diane Seuss fut publiée dans Le Matricule des anges, mars 2024

 

[1] Nicolas Boileau : Œuvres, Art poétique, II, Jean-François Bastien, 1805. p 219.

[2] En 1819. John Keats : Poèmes, L’Imprimerie nationale, 2000, p 371-377.

[3] Robert Marteau : Le Temps ordinaire, Champ Vallon, 2009.

[4] William Wordsworth : Préface aux Ballades lyriques, José Corti, 1997, p 74.

[5] William Wordsworth : Ibidem, p 90.

[6] Pour reprendre deux titres de Robert Marteau : Liturgie, Louange, Champ Vallon, 1992 et 1996.

[7] Bernard Deforge : Je suis un Grec ancien, Les Belles Lettres, 2016.

 

Jaizkibel, Hondarribia, Guipuzcoa, Euskadi.

Photo : T. Guinhut.

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27 février 2025 4 27 /02 /février /2025 19:01

 

Parador Monasterio de Santo Estevo, Orense, Galicia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Petite porcelaine bleue I.

La Bibliothèque du meurtrier

versus La Bibliothèque Hespérus.

roman

XVIII & XIX

 

 

La Bibliothèque Hespérus

XVIII

 

      Perplexes, nous devisions sous la coupole centrale, à l’intersection des allées étoilées de la bibliothèque, lorsqu’à notre grande surprise apparut un homme comme surgi de nulle part, soudain deus ex machina…

    - Qui êtes-vous ? Comment êtes-vous entré ?
    - Allan Maladeta lui-même.

      Abasourdis, nous regardions l’individu vêtu d’un costume trois-pièces en laine peignée anthracite, une très courte barbe grise soigneusement taillée, un chapeau à la main, une bague étrange au doigt, probablement une intaille romaine.

      Allan Maladeta lui-même, répéta-t-il un exhibant une carte d’identité parfaitement valide sous nos doigts incrédules, qui revient des Etats-Unis où il s’était retiré dans un monastère zen des Rocheuses. Pas d’ordinateur, pas de smartphone, pas de courrier, pas même de livres, le silence, les rayures du râteau dans le sable granitique, les rochers épars, l’ikebana et les haïkus.
     - Comment êtes-vous entré ?
    - Par la porte de la forêt.
    - Comment, quelle porte ?
    - Visiblement vous ne connaissez que celle dissimulée dans le salon, et confiée aux soins de Mathilde Bénédicte ; que voici. Je me trompe ?
    - Non, non, balbutia-t-elle, je suis bien celle que vous avez engagée.
    - Vous ne pouviez évidemment voir, cher Monsieur Bertrand Cominges, enquêteur de son état – car dès mon retour mon Fondé de pouvoir zurichois ne m’a rien caché, y compris des progrès de vos investigations – que le flanc rocheux et forestier dissimule de fort vitrages, qui de l’extérieur ne présentent qu’un trompe-l’œil de branchages, de houx et de feuillages. Regardez au bout de cette allée, ma véritable porte est bien là :

      Son index manipula un je ne sais quoi à l’ombre d’un incunable, alors qu’un chuintement trahissait l’écartement de deux étagères, soudain illuminée par la lumière forestière.

        Voici enfin le propriétaire de la Bibliothèque du meurtrier !
    - Quoi ! C’est ainsi que vous l’appelez… Cependant, puisque vous ne vous êtes pas jeté sur moi pour me claquer les menottes aux poignets, je suppose que vous avez découvert « Le Mausolivres » et la confession de Zeldon, mon piètre demi-frère défunt, qui ne saura passer à la postérité qu’à la vertu d’une douzaine de meurtres de piteux bibliophiles. Et que vous avez scrupuleusement établi sa culpabilité.
    - En effet.
    - Regardez :

      Aussitôt Allan Maladeta leva le doigt et me découvrit le sommet peint de la coupole, avec le dieu grec de l’étoile du soir, le Phosphoros porteur de lumière, et entouré d’un phylactère portant l’inscription « Bibliothèque Hespérus ».

    - Comment ne l’aviez-vous pas vu ?
    - Mais oui, renchérit Mathilde en se moquant de ma sagacité mise en défaut, malgré toute votre expertise, vous n’auriez pas su voir ce qui saute aux yeux !

      J’en restai confondu.

    Cette bibliothèque étant bien la vôtre ; vous en êtes bien le concepteur ? s’inquiéta Bénédicte…

      Allan Malatesta hocha la tête et tendit le bras vers un volume passablement dépenaillé, un traité de perspective du XVI° siècle, dans l’encoignure duquel il actionna une manette de bois. Les deux étagères se déplièrent avec un doux chuintement, s’ouvrant sur un vaste bureau. Sans nul doute le bureau de travail du maître.

    - Le tableau de Morphéor, son Elsa Véronèse en sa robe bleue ! s’écria Bénédicte. Je ne l’imaginais pas si grand. Etait-elle vraiment aussi belle ? Comme elle respire l’intelligence ! Et la modestie…
    -  C'est en achetant ce tableau qu'il a suscité la deuxième vie de mon personnage. Ainsi veille-t-elle sur mon travail, sur mes recherches en vue d’acquisitions nouvelles, sur mes écrits.
    - Ecrivez-vous une nouvelle œuvre ? demanda Bénédicte, visiblement pleine d’espoir…
    - Je ne veux plus écrire des tableaux de dépressifs suicidaires, d’alcooliques maladifs, de meurtriers invétérés, d’ambitieux politiques totalitaires, ou encore de délires scientifiques menaçants… Seulement plus que des histoires d’art et d’amour. Quoi d’autre sinon l’Eros néoplatonicien et la beauté des chairs ? Mais je n’oserais faire lire à qui que ce soit mon immature ébauche.
    - Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
    - C’est l’histoire de « Petite Porcelaine bleue »…
    - On dirait un conte chinois…
    - Il y a un peu de cela.
    - Lisez-nous, Allan, votre manuscrit, l’exhorta Mathilde, que conforta mon acquiescement.
    - Mais il est encore brouillon, inabouti…
    - Allons, je suis sûre que vous saurez improviser !
    - Soit. Aux risques et périls de mes auditeurs et surtout du malhabile écrivain :


XIX


Xiǎo Qīng Huā, Petite Porcelaine bleue.


      La Puissance : celle du Président d’un empire financier. Son nom est à la fois secret et bien connu : Gustav Armfeld. Je suis un homme minéral. Excessivement réservé, glacial, rigoureux jusqu’au sang d'encre de la monomanie. Sans nul doute ergomaniaque, ou workaholic, comme l’on dit en anglais. Mon visage est beau disent certains – surtout ma chère grand-mère qui n’est bien sûr pas objective – taillé dans le bois poli d’un pin noir, a dit un jour une séductrice déçue, formule qui me laisse froid. Je suis sorti plus jeune diplômé des Hautes Etudes Commerciales, avec un double cursus anglais allemand, ainsi que d’Harvard Business School, sans compter un Master en Sciences économiques. Aussi ai-je pu reprendre à 25 ans le groupe familial EuroTradefunds qui végétait avec le concours de fondés de pouvoir bedonnants comme des larves et affligés de siestes interminables. Une régence mollassonne qui laissait se dégonfler l’entreprise en attendant ma majorité puis mes diplômes. Seule Yolanda Wachman, la secrétaire de confiance de la famille, a su résister, puis me seconder efficacement. Conquérir et conserver les compétences, sans merci pour les canards boiteux et les brebis paresseuses. Aujourd’hui, assurances, cryptomonnaies, édition, médias, satellites de communication, Intelligence Artificielle, immobilier, Fonds spéculatifs... Indubitablement du solide, du pérenne.

      Mon bureau démesuré, au vingt-huitième étage, n’est meublé que de métal inoxydable et de bois noir, d'onyx et d'obsidienne. Les ordinateurs sont en acier gris brossé, les carnets de cuir sont ombreux, les stylos ténébreux. Derrière moi, les étagères noires ne sont garnies que de livres de marbre blancs. Parfois, plutôt que de rentrer dans ma villa muséale, je préfère dormir dans le lounge adjacent dont vous pouvez avec raison deviner la couleur immaculée de la couette et de l’oreiller. Alors que mes costumes, taillés sur mesure, semblent porter un deuil irréfragable. Je parle peu et net. Et vous saurez bientôt pourquoi je deviens ici prolixe. Même les rumeurs d’homosexualité et de misogynie monacale maladive me laissent de granit, quoiqu’elles prennent garde à ne pas m’approcher un instant. Je suis détesté comme monstre météorique du capitalisme et envié comme un cliché. Je ne bois que du thé noir ; mais mon ascétisme affectionne les crustacés et les forêts noires, ces pâtisseries bien connues.

    - Mais où est donc cette « Petite Porcelaine bleue » ?
    - Attendez.

      Las des injonctions à me marier pour ne pas laisser s’éteindre la lignée familiale, injonctions répétées chaque jour par ma grand-mère désespérée, je ferme obstinément les yeux sur les croqueuses de diamants, les donzelles vaniteuses, les Madame Autorité, les courtisanes de luxe, les timides constipées, les filles de famille aux breloques de dentelles noires sur l’arrogante peau nue…

      J’aime assez, avant de quitter l’immeuble, parcourir quelques étages. Leur silence, leur ombre, où les ordinateurs se refroidissent sur leurs secrets – auxquels je puis accéder depuis l’omniscience de mon bureau – ne sont ponctuées que de lueurs de sécurité. Comme si je sentais encore bruire le travail de centaines d’employés qui rejoignent le soir leurs amis, leurs familles, leurs enfants. Alors que j’étais encore un loup solitaire. Mais, étonnamment, ce vendredi soir, un ordinateur luisait encore dans le département édition. Intrigué, je m’approchais.

      Son écran s’orne d’une silhouette de superhéroïne de manga aux cheveux étalés comme un vent tempêtueux, mais avec quelque chose de plus personnel, de plus pictural qu’accoutumé, quoique je ne prétende pas être un connaisseur en la matière. Elle porte une longue jupe d’azur plissée, un chemisier abondamment fleuri de bleuets. Elle dort sur ses avant-bras ; la nuque, découverte par la courbure de la position, est ravissante et pure, comme une porcelaine rare. Deux crayons noirs sont tombés de la finesse de sa main, qui repose alanguie sur un grand carnet couvert d’esquisses de déesses des cimes aux robes couvertes de phénix. Ses lunettes, accrochées sur le bout de son nez, remuent très légèrement au rythme de sa respiration. Ses yeux fendus d’asiatique sont obstinément fermés dans un visage reposé, pur et lisse. Prudemment, je me permets de prévenir son avant-bras du toucher de ma main pour la réveiller et ainsi lui permettre de quitter le bâtiment avant la clôture du week-end. Sans réaction aucune. Je n’ose la brusquer. Que faire ?

      Saisi de je ne sais quelle impulsion, je glisse mes bras sous ses genoux, sous ses épaules, et l’emporte, intimant d’un regard Yolanda effarée de recueillir ses affaires, sac et cabas roses, carnet, smartphone et crayons… Spectral, je marche dans la pénombre vers l’ascenseur qui nous emporte vers notre vingt-huitième étage. Pourquoi ne ressens-je aucune répulsion en tenant ce corps contre moi ? Elle respire dans mes bras et contre ma poitrine sans crainte, comme si elle était la fille d’Hypnos. J’espère soudain que le battement de mes pas et le bourdonnement de mon muscle cardiaque ne vont pas la réveiller. Yolanda nous ouvre mon bureau, puis mon lounge. Elle comprend mon intention et ouvre le lit dont elle veille à la propreté absolue. Délicatement, j’y pose cette si légère jeune femme, dont j’ôte les chaussures, puis rabat la couette sur elle, tant il fait frais. Elle ne se pelotonne qu’un instant pour poursuivre son sommeil, alors que Yolanda dépose son butin à ses pieds et sur la table de nuit. Je ne reviens que pour calligraphier un message que je veux rassurant et hospitalier. Nous pouvons fermer les lieux et quitter l’immeuble.

       Qu’ai-je fait ? Ai-je attenté à sa liberté ? Me suis-je trompé en étant ému ? Et si c’est pour risquer de me faire piéger par une hypocrite dévoreuse de fortune…

Château de Valencay, Indre. Photo : T. Guinhut.


      Quelle est cette belle chambre ? Ce lit large et confortable, ce blanc, ce gris et ce noir autour de moi ? Un peu froid tout cela, sévère, mais rassurant tellement j’ai dormi comme une mésange en son nid. Qui m’a déposé ici alors que je dormais ? Dois-je avoir peur, très peur ? Non, toutes mes bricoles sont là, près de moi. Avec, sous mes lunettes, un mot manuscrit :

      « Veuillez, Mademoiselle, accepter mon hospitalité. Nous n’allions pas vous laisser dormir comme une pierre et toute la nuit sur votre clavier, dans cet openspace qui fraîchissait dans la nuit du week-end. Aussi me suis-je permis de vous emporter dans mes bras. Cette chambre, cet impeccable lit, la salle de bains chaleureuse, sont à vous. Vous trouverez dans la cuisine adjacente tout ce qui est nécessaire à votre petit-déjeuner et à un agréable séjour. Je viendrai vous délivrer à neuf heures et serai votre serviteur pour vous reconduire dans votre chez vous. Respectueusement. Gustav Armfeld »


      Qui est-ce ? Qui a commis cette séquestration ? Mais comment n’y ai-je pas pensé ? Mon Iphone ne me cache pas qu’il est notre grand patron, le boss, le cristal noir de la pyramide, le Président du groupe EuroTradefunds, que personne ou presque ne voit jamais, en tout état de cause pas moi, petite puce de porcelaine parmi des milliers de subordonnés. Un type que l’on dit froid comme un mur d’acier, un célibataire farouche et  gynéphobe, qui ne rit jamais, laconique comme un pain brûlé, et cependant courtois.

      Voyons ce petit déjeuner. Thé noir, cookies au chocolat noir, lait et crème, confiture de mûres, c’est gourmand, quoique pas très coloré. Après tout, un grand personnage tel que lui ne peut pas prendre le risque d’un rapt. Et puis, dans mon cabas, il y toujours ma bombe au poivre. Pif, un coup de poing sur le nez ; Paf, un autre dans l’estomac ; Pouf un genou bien appliqué dans les parties honteuses. Et voilà le bonhomme au tapis ! Après cette dégustation et une douche, au secours de laquelle je pioche dans une collection de shampoings, de déodorants masculins, d’une lotion après-rasage Lynx for man, je peux tranquillement dessiner dans mon carnet… Ne nous laissons pas intimider par cette immense calligraphie de jais qui emplit la moitié du mur ; regardons plutôt par les baies vitrées au-dessous desquelles pétille l’immense panorama des lumières urbaines.

      Pourquoi ne pas griffonner un grand homme sombre portant dans ses bras une petite porcelaine bleue profondément endormie…

      On frappe. Est-ce mon ravisseur ? Je ne peux pas dire autre chose que :

    - Entrez, je vous prie.

      Un costume plus sombre que le Styx apparait dans l’entrebaillement de la porte. À peine un filet d’argent sur la cravate.

    - Avez-vous passé une bonne nuit, pris un bon petit-déjeuner ? J’espère ne pas vous avoir effrayé. Je suis tellement confus. Pardonnez mon invitation cavalière…
    - Vous êtes ?
   -  Gustav Armfeld lui-même. Et vous : Xiǎo Qīng Huā, ou plutôt Petite Porcelaine bleue.

      Il ne sait pas sourire, me dis-je en catimini. Saurais-je lui apprendre ?

    - Vos proches, je l’espère, ne se sont pas inquiétés…
    - Non, non… Ma mère a cru que j’étais allée dormir dans la cabane du jardin, comme je le fais parfois.
    - Par ce froid ?
    - Oh, il y a du bois et une petite cheminée. Et des duvets. En tous cas, merci pour ce sommeil au sommet de la pyramide du pouvoir, pour cette harmonie de thé, de gâteaux et de confitures, tous plus noirs les uns que les autres.
    - Je vais vous reconduire chez vous. Sauf si vous voulez encore profiter de l’inspiration de l’espace pour dessiner.
    - Pas la peine, le bus est en bas à ma disposition.
   -  N’y pensez pas un instant. Votre chevalier servant se doit d’assumer jusqu’au bout son indélicatesse de la veille au soir. Je ne le dirai pas deux fois.
    - D’accord. Mais pensez qu’une chevalière se suffit à elle-même.

      Il prend mon cabas, me conduisant au travers de son bureau grand comme un mausolée égyptien, dont les livres de marbre blanc me surveillent pompeusement, dont l’astrolabe d’acier luit dans la lumière d’hiver sous les paravents calligraphiés. Le noir et le blanc absolus règnent en maître. Est-il chromophobe ? Dans l’ascenseur, de sa voix profonde, il reprend :

    - Rassurez-moi, vous n’allez pas me poursuivre pour séquestration ?
    - Je ne sais pas encore, cher Monsieur Armfeld. Mais si vous m’offrez une demi-douzaine de nouvelles invitations en me laissant entrer de mon plein gré et sur mes deux jambes, je penserais à être indulgente. Je dessinerais votre bureau, mais en taisant le nom redouté du propriétaire.
    - Rassurez-moi encore, si j’avais été un affreux kidnappeur, qu’auriez-vous fait ?
    - Action, bombe au poivre. Pif, un coup de poing sur le nez ; Paf, un autre dans l’estomac ; Pouf un genou bien appliqué dans les parties honteuses. Et voilà le bonhomme au tapis !

      Le sévère maître de la pyramide se met à rire.

    - Petite porcelaine bleue, vous êtes douée ; vous m’avez fait rire. Il faut dire que tout le monde me parle les lèvres contrites.
    - Peut-être parce que vous vivez avec un glaçon dans la gorge et une armure noire autour du corps ! Ô pardon, mille pardons, ma répartie m’échappe. Je ne veux pas vous froisser.
    - Décidément, vous êtes une drôle d’oiselle bleue. Mais, je vous aime bien. Ma voiture est là. Montez.
    - Votre véhicule est noir, y compris le cuir des sièges. Seriez-vous monomaniaque ?
    - C’est une Porsche Phantom. Où habitez-vous ?
    - En fait, j’aimerais que vous me déposiez au garage où mon scooter vient d’être réparé. Avenue Pimpet.
    - Bien. Je lirai cet après-midi votre série à succès Blue Princess, que je suis allée prendre tout à l’heure au magasin.
    - Je parie que ce sera le premier manga de votre vie. Vous allez trouver ça puéril.
    - Qui sait ? Même si en effet je ne lis que des publications économiques et financières. Et – vous ne le direz à personne – des traités d’esthétique, de la poésie métaphysique, des haïkus.
    - Oh là là, comme j’ai tout à apprendre…
    - Nous voici à votre garage. J’attendrai, avant de partir, de constater que vous avez bien repris le guidon de votre scooter en état de vol.
    - Comment vous remercier ?
    - Invitez-moi à dîner. Oh, non, non, je ne veux pas que vous fassiez des frais.
    - D’accord. Demain soir, à 20h ; je vous enverrai l’adresse. Mais ce sera modeste. Et délicieux je vous promets.
    - Pour ce faire, il vous faut ma carte strictement privée. Confidentielle. La voici. À demain.

      Quelques minutes plus tard, je vis partir Petite porcelaine bleue, emmitouflée dans son blouson aux jacinthes bleutées, sur son scooter rose, qui, sous son casque également rose, me fit un sourire espiègle et un signe de la main, comme si elle agitait un éventail de papier. La neige qui commençait à tomber effaçait sa disparition…

      J’avais pris soin de prendre quelques autres mangas de notre département pour faire une comparaison avec Blue Princess. Aussi mon après-midi fut studieux à sa manière. Face à mon cher triptyque d'encres de Zao Wou Ki, je parcourus les pièces à conviction, puis les relus. C’était une histoire un brin féérique, heurtée au réalisme, parfois comique, contant les aventures sentimentales d’une jeune étudiante, que pas un seul garçon ne savait reconnaître dans sa dignité intérieure de princesse. Visiblement Petite porcelaine bleue savait viser son public. Je dois dire qu’à ma honte, le pyramidal masque de bronze d’EuroTradefunds crut s’identifier à l’héroïne. De surcroît son dessin avait quelque chose de plus délié, souple et raffiné que celui de ses concurrents, qui avaient le tort d’être rapidement systématiques, sans compter un sens rare de la psychologie.

      J’accédai en trois clics à la base de données omnisciente : Petite porcelaine bleue – c’était bien son nom traduit du chinois – était diplômée de l’École Européenne Supérieure de l’Image d’Angoulême, de l’Ecole Autograf – deux ans à Paris et deux ans à Osaka – avec un Bachelor de Design Graphique option Illustration. Sa trilogie Blue Princess, achevée il y a peu, caracolait déjà parmi les sommets des ventes de notre département. Vingt-cinq ans, célibataire. À moins qu’elle ait un petit ami ; ou une petite amie… Décidément cette base de données est bien ignorante ! Ah, je reçois à l’instant un courriel avec l’adresse d’un minuscule restaurant chinois. Les rares commentaires sont élogieux. Mais je n’irai pas ; ôtons-nous cette Petite porcelaine bleue et son casque rose de la tête. Solitaire, je dégusterai plutôt des sushi aux algues noires et au riz sauvage en relisant l’Eloge de l’ombre de Tanizaki.

      Le lendemain soir, j’ouvris, très exactement 20 heures, la porte du « Taiwan Delices ». J’eus un mouvement de recul, tant le rouge s’étalait sur le mur du fond. J’allais ressortir, quand Petite porcelaine bleue me retint par la manche :

    - C’est bien ici Monsieur Armfeld.

      Elle m’entraîna en zigzagant entre la promiscuité de la douzaine de tables populairement et bruyamment achalandées ; pour m’indiquer une encoignure près de la fenêtre. Comme sa main sur mon épaule me faisait fermement assoir, elle demanda :

    - Pourquoi regardez-vous fixement cette banderole au-dessus du comptoir ? Non, non, il ne s’agit pas du rouge communiste, mais en Chine d’un symbole immémorial de prospérité.
    - Me voici rassuré, balbutiai-je, en fixant les coquelicots de sa veste qui moulaient son petit corps de façon troublante. Je n’osais en même temps pas plus regarder ses grands yeux au travers de la lumière de ses lunettes.
    - Ne soyez pas contrit ; je vais croire que, condescendant, vous vous forcez à descendre parmi le peuple des cols bleus.
    - Non, non. Comment mon col blanc pourrait-il se passer d’eux ?
    - Toujours du noir, n’est-ce pas. Des chaussures vernies à la cravate. Mais choisissez, la nappe de papier présente tous nos plats.

- Je pensai combien j’étais habitué aux nappes de coton immaculé, aux verres et aux décanteurs de cristal, à l’argenterie, aux jonquilles blanches dans un vase de Gallé. Les prix ridiculement bas me sidérèrent alors que mes voisins inconnus, coude à coude, engouffraient des pelletées revigorantes.

    - Je prendrai comme vous, vos plats préférés.
    - Je ne vous ferai pas l’injure du tofu puant, pourtant délicieux. Alors, nids d’hirondelle, canard laqué, vermicelle aux huitres, gâteau de lune, et thé aux perles, n’est-ce pas…
    - Vous avez un si grand appétit ? Croyez-vous que je pourrais manger tout cela ?
    - Taratata ! Si j’ai un estomac de passereau, votre grand corps d’aigle doit être affermi !
    - Un grand aigle qui ne mange pas les petits oiseaux…
    - Combien mesurez-vous ?
    - Un mètre quatre-vingt-cinq. Et vous ?
    - Ne respirez pas trop fort, ou mon mètre soixante va s’envoler…
    - Xiǎo Qīng Huā, tes nids d’hirondelles sont servis. C’est ton boyfriend, ton amoureux, mon futur gendre, n’est-ce pas.
    - Maman ! ne dis pas n’importe quoi. Monsieur Armeld est mon patron, le grand patron, le suprême patron, le pharaon en costume noir d’EuroTradefunds. Je ne suis qu’une petite subordonnée.
    - Madame, mes respects, m’inclinai-je. C’était une dame dans un tablier violet presque plus grand qu’elle, une frimousse plissée tout sourire. Les plats suivants furent par ses soins apportés avec discrétion, tant elle paraissait impressionnée.

      Je fis raconter ses études et sa vie à Petite porcelaine bleue. Elle ne parlait qu'un peu chinois avec sa mère. Prolixe, elle avait appris le japonais à Paris en cours du soir à l’Institut Guimet pendant ses deux premières années de l’Ecole Autograf, puis avait vécu dans un dortoir partagé avec ses condisciples d’Osaka. Postulant avec ses planches encrées et la maquette de son premier manga bien abouti, elle fut derechef engagée dans notre département édition. Visiblement, elle n’était pas née comme moi avec une cuillère d’argent dans la bouche. Sa mère s’était, toute jeune, jetée dans une jonque pourrie pour fuir le communisme. Et, confondue avec des réfugiés vietnamiens, elle avait été recueillie par la France. Son père, qu’elle n’avait pas connu, était un autre de ces boat-people, dont on ignorait jusqu’au nom. Et pour revenir à sa mère, à force de travail acharné et d’économies drastiques, de cuisinière dans un restaurant clandestin dans le XIII° arrondissement, elle était parvenue à se rendre propriétaire de son « Taiwan Delices ».

          Regardez, voici Grondoudoux !
    - Il a une oreille cassée, le pauvre…
    - C’est un matou des rues. Il vient manger des restes et dormir dans ma cabane. Il n’y a que moi qui puisse le caresser. Et Maman, bien entendu.
    - C’est un beau tigré. Plus précisément un Tabby marbré.
    - Décidément vous savez tout ! Hop, le voici sur mes genoux. Il ronronne comme votre Porsche Phantom. Attention à vous : il est observateur, soyez-sûr d’être radiographié. Ah, tu me quittes déjà, scélérat ! Comment, il vient humer vos doigts ? Et vous savez le cajoler sous le menton ! D’un bond, le voici sur vos genoux ; non, non, il va couvrir de poils votre austère et parfait costume.
   -  Laissez-le faire. Je me suis fait un ami…
    - Je n’aurais jamais cru cela… Etait-ce bien délicieux, comme promis ?
    - Vous avez rempli avec succès votre part du contrat. Quand vous inviterai-je à mon tour ?
    - Quand vous voudrez. À charge pour vous de me présenter votre dîner préféré. Mais, je n'exigerai pas une Tour d’Argent dans de la vaisselle d’or… Non, restez tout simple.
    - C’est promis. Mais, je ne sais pas si je saurais faire comme il le faudrait. Et, dîtes-moi, hors les logiciels de l'open space, où dessinez-vous ?
    - Dans la cabane du jardinet, derrière.
    - Montrez-moi. Je suppose que Grondoudoux va nous accompagner. J’aimerais voir vos dessins, vos brouillons.
    - Mais c’est tout fourbi ! Vous risquez les toiles d’araignées sur votre costume griffé. Bon, venez. Mais enfournez votre pardessus, il y fait froid comme chez les loups, les braises de la cheminée doivent être empoussiérées.
    - Et vous dessinez là, vous écrivez, sans craindre que l’encre et vos doigts gèlent ? Sans avoir peur que l’humidité endommage vos œuvres ? Il vous faudrait un atelier digne de ce nom.
    - J’ai des mitaines. Regardez, une plume de bambou, un pinceau, hop, et je vous dessine dans votre bureau-mausolée.
    - C’est votre prochain manga ?
    - Je ne sais pas encore. J’ai plein d’idées, mais ce sont des bribes, sans lien.
    - Et cette chevelure de princesse dans la neige que vous jetiez sur le papier ?
    - Oh, ce sont  mes récits de la montagne au renard !
    - Vous avez là tout un carton cadenassé par les toiles d’araignées. Des planches inédites ? Pourquoi n’est-ce pas encore devenu un manga que nous publierions ?
    - Eh bien, je… C’est un ensemble que j’ai situé dans le Japon médiéval, à partir de la légende de la femme-renard séductrice. Mais, lorsqu’il y a quelques mois, j’ai transféré cette Kitsune dans le logiciel du bureau, une fois tout imprimé, j’ai trouvé que ce n’était pas assez original. D’un tel mythe, tellement de variantes ont été publiées. La poubelle a mangé les épreuves, sans retour.
    - Peut-être avez-vous raison. Mais cela me semble dommage. En attendant, vous devriez revenir dans mon bureau, tant votre esquisse manque de matière. Merci Petite porcelaine bleue, pour cette visite enrichissante. Je dois partir…
    - À bientôt.

      En quittant « Taiwan Delices », je glissai une courbette à Madame la restauratrice toute intimidée, puis, sans me faire voir, quatre billets de cinquante euros soigneusement pliés en quatre dans la boite des pourboires, ce qui excédait outrageusement la note. Me glissant à mon tour entre ma couette et mon oreiller, tous les deux d’un blanc irréprochable, je regrettai, ayant laissé ses mangas au bureau, de n’avoir rien dans mes mains – ou sur mes murs – qui vienne de Petite porcelaine bleue…

Photo : T. Guinhut.


      Quel homme étrange, me dis-je. Pourquoi fait-il mine de s’intéresser à ma petite personne ? Je ne suis qu’un caprice de son Ennui souverain. Et si je le dessinais ? De mémoire, et forcément en noir, sur un vélin blanc format grand aigle. Et la petite bleue, en forme de signature en couleurs dans un coin du bas… Ses traits ne sont pas faciles à saisir. Comme une vénérable écorce de pin noir dur et polie, mais avec la tendresse intérieure d’un dessert à la gelée de menthe. Ses mâchoires avaient l’air si serrées lorsqu’il m’écoutait entre chaque bouchée. Pourquoi donc n’y a-t-il aucune couleur dans son bureau présidentiel, dans la chambre et la salle de bain adjacente ? Est-il si mélancolique ? Il faut que je tente quelque chose…

      Je connais le chemin. Allons-y : montée au vingt-huitième étage. Et s’il n’était pas là ? J’aurais l’air fine, avec mon cabas à dessin et ma petite boite. Je frappe… ou non... Allons-y.

    - Entrez.

- Aïe, c’est une voix de dame, un peu rogue. Je vais être jetée comme une gamine inconsciente…

    - Vous êtes Petite porcelaine bleue, n’est-ce pas ? Bien qu’aujourd’hui vêtue de pistache et d’émeraude. La dame est passablement âgée, en tailleur gris-souris, chignon serré par un tour de perles. Sa mère? Sa secrétaire ? Sa gouvernante ?
    - Oui. Comment le savez-vous ?
    - Je vous ai vue dormir dans des bras protecteurs. Et Monsieur Armfeld vous a confié à mon attention. Avancez. N’ayez crainte. Ce bureau est le mien ; une sorte d’antichambre grise avant celui où vous pouvez entrer. Vous venez pour dessiner, n’est-ce pas.

      Interloquée, je me risque à pas de belette :

    - J’apporte aussi un tout petit quelque chose. C’est pour remplacer les cookies que j’ai mangés.
    - Posez votre cadeau sur le bureau de Monsieur Armfeld. Installez-vous, étalez vos crayons, vos carnets. Notre Président sera là dans un moment.
    - Merci Madame. Je ne veux pas déranger. Juste m’exercer sur ce tabouret.
    - Appelez-moi Yolanda. Je vous laisse, travaillez bien.

      Un peu angoissée, je prends possession du lieu qui m’est accessoirement et provisoirement dévolu. Je me résous à crayonner furieusement. La lumière d’un grand jour d’hiver asperge les baies ; d’un côté la vue sur la ville et la courbe du fleuve, de l’autre une terrasse avec un hélicoptère noir que surmonte l’avancée d’un nuage violacé.  Certes j’avais noté les livres paradoxaux en marbre blanc. Mais s’élève également un grand Bouddha d’onyx, tandis que rêve une calligraphie d’un poème de Bashô. Plus loin, un Christ crucifié en ivoire. Des fauteuils de cuir perle, un bureau d’ébène grand comme une patinoire. Un ordinateur en acier fermé, des stylos Mont Blanc. Une mallette de cuir et un pardessus jetés sur un siège que je regarde comme un trône impérial, un piédestal d’inquisiteur, le centre vital d’EuroTradefunds. Car je me souviens de ce que m’a confié tout à l’heure Ada, ma voisine de clavier : il paraîtrait que le Maître de cet espace est d’une froideur barbare, d’une intransigeance aiguë, que jamais un sourire ne déforme son faciès, que les femmes – hors Madame Yolanda visiblement – sont pour lui persona non grata. Où me suis-je fourrée ? Je ne peux réprimer un frisson. Pourtant il est avec moi si gentleman… Nonobstant, mes dessins prennent forme. Serait-ce l’ébauche d’un nouveau projet ?

    - Vous avez choisi un tabouret inconfortable.
    - Vous m’avez fait peur, Monsieur Armfeld !
    - Tranquillisez-vous, Petite porcelaine bleue, je ne suis pas tout à fait le monstre qu’assure ma réputation. Et en l’occurrence, pas à votre encontre.
    - À quoi dois-je ce privilège ?
    - Vous êtes différente, Petite porcelaine bleue. Cela dit, ce tabouret de bronze aux pieds cannelés, dont vous aurez remarqué les petits chapiteaux corinthiens, est une antiquité romaine du premier siècle. Allons, ne sursautez pas. Il a supporté des esclaves, il peut bien soutenir une femme libre. Et vous n’êtes pas si lourde pour le menacer… Que m’avez-vous apporté là, dans cette boite oblongue et blanche, ceinte d’un ruban d’azur ?
    - Des macarons. Pour remplacer les cookies que je vous ai mangés.

      Il eut un bref mouvement de recul et de crispation en découvrant les objets du délit ; puis me regarda d’un air rasséréné.

    - Six macarons : Pistache et Safran, Rose et Curaçao, Framboise et Violette… Pourquoi ne pas mettre un peu de couleur dans votre vie ? Je n’ai pas l’intention de vous empoisonner, au contraire…

      Il ne répondit pas. Saisissant entre le pouce et l’index, avec circonspection, le macaron bleuté, il me regarda intensément, jusqu’à la racine de mon cerveau, pour le croquer soigneusement. Je me sentis baisser les yeux. Je détournai son attention :

    - Puis-je voir votre bague ? La dessiner peut-être ?

      La main tendue, il me laissa l’observer :

    - C’est une intaille d’onyx. Vous y reconnaissez l’aigle romain. Vous me faites trop d’honneur en la dessinant.
    - Oh, je ne suis pas sûre qu’ainsi je la fasse entrer dans l’Histoire de l’art. D’autant que ce n’est pas ici qu’un bureau, mais un véritable musée.
    - Ce n’est rien. Je vous ferai peut-être voir beaucoup mieux.
    - Si j’osais ? Puis-je également vous dessiner ?
    - Tout ce que vous voudrez.
    - Pourquoi êtes-vous si gentil avec moi ? Pourquoi me permettre d’exploiter votre image, votre vie, peut-être...
    - Parce je ne suis qu’un amateur d’art, un faiseur d’argent qui, certes le fait ruisseler et bourgeonner sur la société, mais pas un créateur. Parce que vous êtes une créatrice.
    - Le manga n’est-il pas un art mineur ?
    - Mais vous êtes ma mangaka préférée.

    - Tout de même fort loin de Rumiko Takahashi. Ou de Junji Ito. Et je n’ai ni leurs univers ni leurs styles. N’oubliez pas, je ne suis qu’une Petite porcelaine bleue.

    - Qui va, si vous le voulez bien, se rendre à mon invitation culinaire.
    - Moi ! M’exclamé-je en pointant un index hésitant sur ma poitrine menue. Habillée en gros collants de laine émeraude et ensemble assorti jupette-doudoune vert d’eau ?
    - Qu’à cela ne tienne. Suivez-moi. Et laissez votre cabas à dessins sur cette étagère, entre deux livres de marbre. Vous reviendrez continuer votre travail demain matin.
    - Mais…
    - J’ai dit !
    - Savez-vous, Monsieur Gustav Armfeld, que je suis un être libre ?
    - Vous le deviendrez encore plus.
    - Si vous le dites, Monsieur Grand Aigle… Mais il faudra tempérer votre caractère dominateur.
    - Je suis à votre service. Descendons.

      Le long de l’ascenseur, du vaste hall, de l’esplanade, où partout d’incrédules regards nous pistaient, nous étions silencieux. Je me demandais à quelle sauce j’allais être mangée, digérée, excrétée…

    - Mais où est donc passé ce satané chauffeur ?
    - Et si je vous emmenais sur mon scooter ?

    - Il me regarda d’un air incrédule, abasourdi. Parut réfléchir un instant, puis :

    - Chiche. Si vous jurez de me conduire sain et sauf. Rue Benjamin Constant, près de Sainte-Cécile.
    - Chapeautez ce casque. Chevauchez la licorne. Accrochez-vous à moi. Hop, roulez Messieurs-Dames…

       Point trop rassuré, me voici en virée sur un scooter rose, derrière une sorcière habillée en nénuphar. Alors que le Fondé de pouvoir du département des Assurances me regarde partir avec des yeux qui lui tombent en gelée sur les orteils. Je sens que bavardages et commérages font faire rage de bas en haut des vingt-sept étages… Cette fois elle ne porte pas de chignon, mais sa chevelure noire ornée de rubans cyan me volète dans le visage, achevant de m’ensorceler de parfums.

      Estomaqué, le portier doit prendre en charge un scooter rose un peu rouillé, deux casques en forme de fraise, alors que nous foulons un tapis d’orient. Deux maîtres d’hôtel un rien convulsés des globes oculaires en allant de l’une à l’autre de nos apparences, costume trois pièces Ermenegildo Zegna en laine noire centoventimila et fleur de lotus en chiffon jade, avancent nos chaises sous les lustres de cristal de Murano. Une table damassée de blanc nous sépare pour mieux nous rapprocher, alors que de loin en loin des couples compassés dégustent leurs confidences, peut-être ineptes, dans leurs assiettes en forme de quartier de lune.

    - Vous êtes dans l’un de mes restaurants préférés : « De Gustibus disputandum ». Qu’aimeriez-vous ?
    - Mais les prix de cette carte sont démesurés, astronomiques !
    - Voulez-vous, Petite porcelaine bleue, que mon argent se fossilise dans les caissons souterrains d’une banque blindée ?
    - Soit. En miroir de notre repas au « Taiwan Delices », je goûterai la même chose que vous. Je ne suis pas difficile. Il n’y a que l’ail et le wasabi que je haïsse.
    - Je les déteste également. Pensons plutôt à ce que nous aimons. Huitres de Cancale sur un lit de caviar de Gironde, tortellini à l’encre de seiche et bar de ligne d’Oléron, nuage de crème d’Isigny aux figues noires du Péloponèse. Nous boirons de l’eau du Pays de Galles et du Puligny-Montrachet…

      Je n’ose lever les yeux sur mon commensal, dont le teint, sous la lumière tamisée des candélabres, et sous ses chevaux bruns coupés très courts, a quelque chose d’une suavité un peu fauve. Lorsque je lève enfin mes paupières, la douceur de son regard me coule instantanément au travers du corps. Certainement ce sont « les papillons dans le ventre » dont parlent les mangas adolescents et dont l’idiote que je suis ne veut rien croire… L’arrivée du premier plat fait heureusement diversion.

    - Puis-je vous  poser une question, Gustav ?
    - Tout ce que vous voudrez. Et je vous remercie de prononcer mon prénom.
    - Même vos numéros de cartes bancaires ?
    - Vous êtes prête à prendre note ?
    - Non, non, non, c’est une galéjade, je n’oserais jamais. Dites-moi plutôt. Pourquoi exclusivement du noir et blanc, y compris dans votre assiette ? Et pourquoi n’avez-vous pas un instant protesté face aux couleurs mêlées des plats au « Taiwan Delices » maternel ? En particulier le doré du canard laqué ? Et de mes macarons provocateurs ?
    - Parce que c’était vous. Et pour la première partie de la question, laissez-moi du temps, si voulez bien.

      J’ai alors l’impression qu’une bouchée a du mal à passer…

    - N’avez-vous pas l’impression de vivre sur le plateau d’un jeu d’échec ? Oh, pardon, je ne veux pas vous…
    - Comment trouvez-vous mon menu ?
    - Que de saveurs pour moi inconnues ! J’adore. Et je vous pardonne volontiers le monochromisme.
    - D’autant que vous pourrez encrer ces mets sur vos carnets.
    - Je n’y manquerai pas.

      Une fois le dessert englouti sous mon petit palais, me raccompagnant auprès de mon scooter, il m’annonce :

    J’aurais le déplaisir de vous abandonner pendant quelques jours. Un voyage d’affaires à Londres. Nous nous enverrons des messages, des photographies de vos dessins, n’est-ce pas. Réservez-moi, lundi, votre soirée.
    - Puis-je vous refuser quelque chose ?

Thierry Guinhut

Lire la suite : Petite porcelaine bleue II
La Bibliothèque du meurtrier versus Bibliothèque Hespérus : synospsis, sommaire & prologue

 

Photo : T. Guinhut.

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20 février 2025 4 20 /02 /février /2025 15:25

 

Catedral de Zamora, Castilla y León.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Les champs de l’humanisme,

d’Aldo Manuzio à Coménius,

en passant Guillaume Budé et les byzantinistes.

 

 

Verena von der Heyden-Rynsch :

Aldo Manuzio, le Michel-Ange du livre, L’art de l’imprimerie à Venise,

traduit de l’allemand par Sébastien Diran, Gallimard, 2014, 206 p, 23,50 €.

 

Romain Martini & Luigi-Alberto Sanchi :

L’Antiquité selon Guillaume Budé, Les Belles Lettres, 2025, 248 p, 25,90 €.

 

Anne-Mary Cheny : Le Cercle des byzantinistes, Les Belles Lettres, 2024, 304 p, 26 €.

 

Iohannes Amos Comenius : Image du monde sensible,

Les Belles Lettres, 2025, traduit du latin par Lucien X. Polastron, 328 p, 25,50 €.

 

 

« Rien de ce qui est humain ne m’est étranger », disait Montaigne d’après le dramaturge latin Térence ; de même rien de ce qui est l’Antiquité n’est étranger à l’humaniste, du moins dans le cadre de ce qui lui était accessible, du XIV° siècle de Pétrarque au XVI° siècle d’Erasme. Or, outre les chercheurs, philologues et écrivains, les Lettres antiques durent une grande part de leur renom lors de la Renaissance grâce à un grand imprimeur vénitien : Aldo Manuzio. Certes le terme « humaniste » n’apparut, sous la plume de Georg Voigt, qu’en 1859 en Allemagne, mais il désigne ce mouvement de redécouvertes renaissante des langues anciennes et cet appétit des connaissances qui embrasèrent l’Europe de l’ouest. L’actualité éditoriale révèle une figure également méconnue de l’humanisme, Guillaume Budé, alors que le rôle considérable des explorateurs des Lettres grecques et latines découvertes à Byzance, soit les « byzantinistes », conduit par ricochet à découvrir combien ce territoire de l’Empire romain d’Orient, hélas conquis par les Ottomans, recelait de richesses intellectuelles. Le champ de l’humanisme ne s’est  pas clos au XVI° siècle, ne serait-ce qu’avec Coménius dont le talent pédagogique rendit bien des services aux jeunes latinistes. Que nous devrions être encore…

Alde Manuce, ou plus exactement Aldo Manuzio (1449-1515), est un jalon essentiel dans le développement de l’œuvre d’Erasme, donc de l’humanisme. Un beau livre de Verena von der Heyden-Rynsch lui rend un indispensable hommage, en un essai-biographie particulièrement aisé, brossant autant le portrait d’une cité-état que d’un homme d’exception.

Dans Venise, micro univers de « culture et luxure », un helléniste romain devint l’imprimeur le plus éminent de la Renaissance. Là s’étaient installés les disciples de Gutenberg. Entre 1494 et 1515, sans compter ses descendants, Aldo Manuzio publia plus de cent cinquante livres en grec, latin, italien, mais aussi en hébreu. Non content de ce talent, il inventa des fontes d’imprimeries en grec ainsi que les caractères de l’italique, l’apostrophe et le point-virgule. Artisan autant qu’intellectuel de goût, parmi ses collaborateurs, dont Griffo son graveur de caractères, il évolua parmi un réseau d’érudits, dont certains rapportèrent des manuscrits de Constantinople (tombée en 1453), de mécènes et de clercs, et fut le centre du bouillonnement humaniste. Liberté politique, alphabétisation et floraison des arts dans la cité des doges permirent ces avancées, ce succès. Songeons que Dürer, qui grava le portrait d’Erasme, vint à pied d’Innsbruck, dès 1494, pour y découvrir Bellini.

Notre Aldo, dit le Romain, étudia dans Ferrare, pour y briller avec Pic de la Mirandole, théoricien du libre-arbitre, avec Ange Politien, poète de la Fable d’Orphée, avec des collectionneurs, avant d’assoir sa réputation. Les éditions aldines furent remarquées pour leur format in octavo, peu coûteuses, ancêtres de nos livres de poche. Une fois de plus une révolution intellectuelle ne va pas sans une révolution économique. Aristote en cinq volumes, Lucrèce et Ovide, la Divine comédie de Dante, chaque ouvrage était tiré à mille exemplaires ! Certes, la corporation des copistes se plaignit de cette concurrence, comme lorsque toute nouveauté bouleverse le marché.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tant Aldo Manuzio étendait la réputation de son talent, tant on lui envoyait des manuscrits pour qu’il les imprime avec son soin coutumier : Platon, Plutarque, Aristote, Sophocle, le Talmud en hébreu, Virgile, Bembo… Mais c’est avec Erasme[1] qu’il rencontra son meilleur complice, convaincus tous les deux de la nécessité intellectuelle et morale de la langue grecque et de ses auteurs. L’imprimeur, parmi son « Académie aldine », parmi son atelier « presque capitaliste », bruissant d’une trentaine de collaborateurs, publia d’abord la traduction d’Euripide de « l’humaniste critique et tolérant », avant de contribuer à la fortune de ses Adages.

Probablement le chef-d’œuvre d’Aldo Manuzio est-il l’Hypnerotomachia Poliphili, ou Songe de Poliphile[2], ce prestigieux incunable publié en 1499, vase récit allégorique de Francisco Colonna qui conte en cinq mystères le chemin de l’amour entre Poliphile et Polia. Le texte, en un italien polyglotte et complexe, décrit des châteaux, des jardins et des ruines somptueux, sert avec une grande subtilité néoplatonicienne cet « amour en songe », puis son dialogue, dans le cadre du « culte de l’antiquité et de l’Eros comme maître es arts de l’univers ». Typographie, mise en page, les cent soixante-douze gravures (longtemps attribuées à Giovanni Bellini, puis à Benedetto Bordone), les hiéroglyphes, tout concourt à l’élégance, à la perfection. De plus c’est là que l’on vit naître l’ancre aldine, symbole de l’imprimeur devenu mythique…

Hélas, Aldo Manuzio dut en 1508 fuir Venise, menacée par la Ligue de Cambrai. L’ « humaniste vagabond » y revint en 1513, pour imprimer encore et encore, non sans avoir inventé le principe de l’index et ajouté de précieuses préfaces de sa propre main. En 1515, « le cercueil de l’imprimeur fut entouré en guise de trophées par des livres de son atelier ». Au-delà de ce précurseur génial, Verena von der Heyden-Rinsch n’omet pas d’évoquer ses descendants, moins talentueux, et surtout ses héritiers spirituels : Plantin et Grolier en France, Froben à Bâle, sans compter les bibliothèques européennes qui s’enrichirent de ses volumes devenus légendaires. Au point que ses petits formats aient été glissés par Thomas More dans la poche de son héros et narrateur, Raphaël Hythlodée, parmi les pages de son Utopie[3]

Avide des éditions aldines entre tous, un humaniste incroyable mérite notre attention. L’existence du parisien Guillaume Budé, entre 1467 et 1540, lui permit de devenir le phare de la première Renaissance française et de la politique culturelle du royaume. La dimension encyclopédique de ses travaux est stupéfiante : fine connaissance de la langue grecque ancienne et de sa lexicologie, vénerie, mathématiques, philologie du Digeste (une somme du droit romain), patristique, rhétorique, érudition numismatique, histoire économique, pédagogie... Soit un regard au plus large des civilisations antiques. Il fut non seulement l’un des fondateurs du Collège de France, encore actif de nos jours, mais éditeur de la première société française d’édition des Belles Lettres. Deux érudits d’aujourd’hui, Romain Menini et Luigi-Alberto Sanchi, qui rivalisent de notes et de bibliographie, sans omettre un « tableau chronologique des œuvres » du maître du XVI° siècle, brossent le portrait intellectuel de l’érudit originel de l’humanisme en France, quoique son importance considérable rayonnât bien au-delà, puisqu’Erasme lui rendit hommage, puisqu’il était l’ami de Thomas More et de Rabelais. N’omettons pas que ses mérites furent reconnus par François Ier, qui l’invita à l’accompagner à l’occasion du Camp du Drap d’Or, en 1520.

Qu’est-ce que « l’encyclopédie budéenne » ? S’il traduisit également Plutarque en latin (une travail de titan),  elle est surtout composée de trois volumes : Annotationes in Pandecta, soit des études juridiques, De Asse, traité des monnaies et des mesures anciennes, Commentarii linguae graecae. Ces derniers, dont il n’est guère besoin de traduire l’évident titre, s’attachent à restituer le texte en le débarrassant des gloses accumulées par la tradition médiévale. Pour lui le lexique grec est « corne d’abondance », ce dont témoigne par ailleurs l’étymologie de la langue française. Il dépoussière ainsi l’éloquence de Démosthène, s’intéresse à la dimension fondatrice du droit romain, s’interroge pour décider si Platon est « un inadmissible païen ou un sage préchrétien », ce qui nous semble toutefois dans les deux cas plus que spécieux. L’on n’est pas étonné que sa foi chrétienne l’entraîne également à lire et établir les textes des Pères de l’Eglise, en particulier les Pères cappadociens, « figures tutélaires », ce au service de la « philologie de l’ascèse » ; et surtout le Pseudo-Denys l’Aréopagite. Ce dernier lui sert longtemps de référence, tel qu’il réunissait « dans la langue hautement novatrice de sa théologie négative (il avait lu Proclus), le néoplatonisme tardif et la mystique chrétienne ». Mais l’on peut compter également ses dissertations philosophiques, telles Du mépris des choses fortuites et De l’institution du Prince, que l’on aimerait lire, peut-être pour le joindre à celui, ultérieur, de Machiavel. L’essai de Romain Menini et Luigi-Alberto Sanchi a le mérite de redonner toute sa stature à celui qui compila tant de merveilles, quoiqu’il écrivît en un néo-latin délicat qui le rend peu accessible.

Peint par François Clouet, le portrait hiératique de « l’inventeur de la monographie savante », qui illustre bellement la couverture, ne lui fait pas un faciès très engageant : lèvres étroites et pincées, austérité vestimentaire. Mais son regard, concentré sur la pensée, reste intrigant. Il n’avait qu’une « maîtresse » : la philologie – qui n’était guère la fille d’Eros. Est-il un brin mélancolique en pensant aux œuvres perdues de l’Antiquité, comme la partie sur la comédie de la Poétique d’Aristote…

Quelle preuve donner de l’importance de Guillaume Budé ? Sinon qu’aux éditions des Belles Lettres, depuis bien des décennies, les « Budés » sont des références en termes de publications des classiques antiques, de surcroît bilingues…

Un autre versant de la quête humaniste s’est tourné vers Byzance. D’une part la chute de Constantinople en 1543 a entraîné la fuite de nombreux érudits emportant des manuscrits vers l’Occident et en particulier la Venise d’Aldo Manuzio. D’autre part au cours des XVIe et XVIIe siècles, la recherche de la Grèce antique pousse de nombreux et aventureux savants à voyager vers l’Orient. Ils ont soif de compléter leurs connaissances et d’abonder leurs bibliothèques en  manuscrits. Mais en collationnant les auteurs anciens, c’est par rebond et sérendipité que les chercheurs en viennent à s’intéresser aux « études byzantines », soit l’étude de la langue, de l’histoire, de l’art et de la civilisation de l’Empire romain d’Orient qui bénéficia de douze siècles de prestige, entre 330 et 1453. C’est à cet univers que s’attache Anne-Marie Cheny dans Le Cercle des byzantinistes.

Pour reprendre le sous-titre – « Comment bibliothécaires, savants et voyageurs inventèrent Byzance » – l’on comprend bien qu’il s’agit autant d’une découverte que de la constitution d’un corpus. Tous ces religieux, diplomates, marchands, érudits, libertins, capitaines de navires, sillonnent l’Empire ottoman pour débusquer des manuscrits grecs. Mais, ô ironie du sort, leur méconnaissance du grec antique leur permet de se fourvoyer et de recueillir des textes grecs médiévaux. Alors qu’ils rêvaient de la bonne fortune de la Grèce classique, ils ont, dans leur heureuse maladresse, ramené le Moyen Âge grec et la civilisation byzantine, dont on ne sait guère ce qu’ils seraient devenus sans eux, étant donné la brutalité ottomane et le peu de goût de l’Islam pour la chrétienté et la culture européenne.

Claude Dupuy, un lettré parisien, Johannes Löwenklau, qui édite « pour ne pas mener ici-bas une sotte vie routinière et inutile », tous ils préservent Chrysostome, Justinien, Léon, parmi « les vingt-sept tomes de la Byzantine du Louvre en grand papier ». Chrysoloras, Chalcondyle et Lascaris, professeurs de grec en Occident, Ogier Ghislain de Busbecq, un ambassadeur voyageur, Hieronymus Wolf, philologue irascible, qui trouve en Anton Fugger un banquier mécène, tous contribuennt à cette fête de l’érudition. L’on découvre Lukas Holste, un bibliothécaire du Vatican au service du Pape, et des « petits géographes grecs », puis La Popelinière qui, entre autres, traita des « Historiens des Grecs  Chrestiens et Byzantins ». Et surtout « un historien de Byzance qui ne souhaitait pas l’être », c’est-à-dire Montesquieu. Le tout dans le cadre de la République des Lettres et de son réseau épistolaire[4].

Ainsi découvre-t-on les « bibliothèques byzantines » de la capitale ottomane, qui en 1565, conservent encore, malgré le vandalisme, de nombreux textes grecs, comme celle de Michel Cantacuzène riche de classiques et autres théologiques. Et celle du fameux érudit aixois Peiresc (1580-1637), en particuliers ses « précieux papiers ». Il fit en effet venir « l’ivoire Barberini » représentant probablement l’empereur Constantin à cheval et fit acheter à Chypre un volume venu de la bibliothèque impériale de Constantinople, soit une Encyclopédie compilée au X° siècle. Alors que le philosophe des Lumières Condorcet poursuit cette quête intellectuelle, l’épopée trouve sa reconnaissance officielle avec la création d’une chaire d’Histoire byzantine à la parisienne Sorbonne, en 1899, par les soins de Charles Diehl. Ce qui montre que l’humanisme trouve sa continuité – et bien entendu son renouvellement – dans le mouvement des Lumières, dont par ailleurs l’inflexion vers le libéralisme et la philosophie politique n’est plus à démontrer.

Une fois de plus les éditions des Belles Lettres savent joindre l’utile et l’agréable, tant ce byzantiniste ouvrage savant et néanmoins accessible s’agrémente d’illustrations documentaires ainsi que d’un vert lumineux pour emplir les pages des têtes de chapitres et les caractères des sous-titres et citations. Manuscrits, imprimés, enluminures, gravures et portraits pullulent quand la couverture est d’une ékégante beauté.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si l’on cherche le plus ancien livre pour enfants, il faut remonter au milieu du XVII° siècle, soit 1658. Il ne s’agit pas d’une bande dessinée humoristique, avec quelque Bécassine ou Babar, mais d’un volume autrement sérieux : Image du monde sensible. Un humaniste, nommé Iohannes Amos Comenius, plus exactement Komensky (né en 1592 en Moravie et mort à Amsterdam en 1670) conçut un ouvrage à vocation pédagogique au service de la formation de jeunes gens bientôt capables d’user de la langue latine. Précédé par une « Invitation », puis par l’alphabet, l’on va, de manière bien ordonnée, de « Dieu » au « Jugement dernier », en passant par « toutes les choses fondamentales du monde et des actions de la vie ». Par exemple « les insectes rampants », « la librairie », « l’armée et le combat », sans oublier les allégories comme la « Prudence », la « Justice » ou l’« Ethique »…

Les garnements du siècle de Louis XIV apprirent ainsi la langue de Cicéron. Mais n’est-ce pas pour nous l’occasion de raviver nos minces talents de latinistes ? Ecoutons Comenius en sa préface : « L’instruction est le moyen d’expulser la grossièreté ». De surcroit, « les enfants intelligents ne considéreront pas la fréquentation de l’école comme un supplice, mais comme un mets délicat ».

Loin de n’être qu’un sévère opus didactique, cette Image du monde sensible est ornée à chaque page de gravures, un brin naïves certes, mais explicites, fouillées et pittoresques, dont chaque motif est numéroté, de façon à faire correspondre l’image et le mot latin afférant, au moyen d’un petit texte explicatif. Ce volume, dont il s’agit de la première édition française (bilingue donc), est ici orné d’une noire couverture illustrée aux lettrages blancs et rouge vif, soit parmi les plus curieuses et élégantes publications des Belles Lettres, fidèles à leur vocation de ranimer les beautés de la culture antique et humaniste.

Reste à jeter plus qu’un coup d’œil à une précieuse anthologie intitulée Bibliothèque humaniste idéale[5]. Car, depuis toute l'Europe, les Humanistes ont initié les valeurs qui sont encore les nôtres : la connaissance et la paix au premier chef. Ce volume conte l'histoire de ce grand mouvement intellectuel né dans l'Italie du XIVe siècle avec des textes aussi fameux que le Discours de la dignité de l'homme de Pic de la Mirandole, l'Éloge de la folie d'Érasme ou le truculent Gargantua de Rabelais, agrémentés de quelques perles aussi rares qu'inattendues, telles que les Facéties obscènes en latin élégant du Pogge[6] ou encore L'Art d'élever des poules en période de guerre civile de Le Choyselat, au titre rare si délicieusement ironique.

Certes, il y eut des humanistes avant Erasme et Aldo Manuzio ; ne serait-ce que le poète et épistolier Pétrarque au XIV° siècle. Mais la rencontre inouïe de l’auteur des Adages et d’un imprimeur prolixe, tous deux animés d’un même amour pour les auteurs grecs et latins, fait de ce tournant du XVI° siècle, à Venise, un moment phare des humanités antiques retrouvées. Ce qui est en cohérence avec un intérêt nouveau pour l’homme considéré comme fin, en dépit de la théologie qui prend Dieu pour centre : « Homme je suis, rien d’humain ne m’est étranger[7] ». Montaigne choisit cette citation du romain Térence pour la faire figurer sur l’une des poutres de sa librairie, la plus proche de son écritoire. Nous n’oublierons pas que l’humanisme est aussi celui d’une conscience politique et philosophique, telle celle d’Erasme, tenant du libre-arbitre et d’une démocratie inspirée de la Grèce antique ; au-delà de laquelle de grands textes, comme le Discours de la Servitude volontaire de La Boétie[8] et l’Areopagitica Pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure de Thomas More[9] viendront ouvrir les voies du libéralisme classique et des Lumières.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Coménius fut publiée dans

Le Matricule des anges, février 2025


[2]  Francisco Colonna : Discours du songe de Poliphile, Les Fermiers généraux (avec les bois gravés par Jean Goujon et Jean Cousin) 1956.

[5] Bibliothèque humaniste idéale, Les Belles Lettres, 1018.

[7] Térence : L’Héautontimoruménos, I, 1, 77, Comédies, Garnier, sans date, p 194.

[8] Etienne de La Boétie : Discours de la Servitude volontaire, Tel Gallimard, 2016.

[9] Thomas More : Areopagitica Pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure, Aubier, 1956.

 

Catedral de Salamanca, Castilla y León.

Photo : T. Guinhut.

 

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9 février 2025 7 09 /02 /février /2025 17:02

 

Parador Palacio ducal de Lerma, Burgos, Castilla y León.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Les espaces oniriques et réalistes

d’Haruki Murakami :

La Cité aux murs incertains,

L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage,

Galette au miel & 1Q84.

 

 

Haruki Murakami : La Cité aux murs incertains,

traduit du japonais par Hélène Morita, Belfond, 2025, 560 p, 25 €.

 

Haruki Murakami : L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage,

traduit par Hélène Morita, Belfond, 2024, 370 p, 23 €.

 

Haruki Murakami : Galette au miel, traduit par Corine Atlan, Belfond, 104 p, 19 €.

 

Haruki Murakami : 1Q84,

traduit du japonais par Hélène Morita, Belfond, 2012,

coffret trois volumes, 1590 p, 69 €.

 

 

Espaces oniriques et espaces réalistes confluent dans l’œuvre d’Haruki Murakami. Non sans qu’une secrète porosité les confonde dans une dimension troublante. Avec l’impatience du lecteur enivré, l’on attend l’opus dernier de l’écrivain japonais, pour qu’un mystérieux enchantement nous séduise longtemps, avec une rémanence sans pareille. Malgré l’apparente fadeur des personnages qui nous ressemblent en un dénominateur commun de la banalité, ces derniers se découvrent finalement très expressifs et relevant d’une moderne condition humaine, entre inquiétude et sérénité, entre vacuité et œuvre d’art. Parfois ses romans entretiennent entre eux un système d’échos. À cet égard cette ample et récente Cité aux murs incertains rappelle en ses champs de licornes La Fin des temps, publié quarante ans plus tôt. Ne serait-ce qu’à cause de cela, il faut bien avouer toutefois que nous sommes un peu déçus. Cependant, même si l’originalité semble se dégonfler, et malgré des longueurs étirées, l’ample beauté de la conception et de la mélancolie s’y déploie. Fort heureusement l’opportune réédition de L’Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage vient nous réconforter, tandis qu’un plus mince récit, enfantinement intitulé Galette au miel, se propose de nous ravir. Avant de revenir à 1Q84, triptyque au service d’un roman-monde, mais aussi d’un roman-bibliothèque, ce dernier mot étant récurrent dans l’univers murakamien.

La narration par chapitres alternés, selon les personnages, les temps ou les espaces, est une technique romanesque souvent fructueuse. Haruki Murakami, en sa Cité aux murs incertains n’échappe pas à ce mode de construction. Entre rêve et réalité, entre identité questionnée voire menacée de disparition et mélancoliques amours, entre quotidien qu’éclaire une jeune fille et licornes moribondes, l’immense roman déploie une sorte d’autoportrait kaléidoscopique de l’écrivain.

Même si la volupté de la réitération continue est partie intégrante du plaisir de la lecture, et notoirement de son auteur favori, comme elle peut l’être pour les aficionados d’Haruki Murakami, l’impression d’une originalité perdue, d’un art de la variation en déshérence, reste prégnante, comme un arrière-goût d’un marmonnement monotone des thématiques préférées de notre auteur, malgré de loin en loin de forts beaux paragraphes. Il faut croire que la lenteur, le tempo immuable et répétitif, à la façon de la musique minimaliste américaine, au long cours des 548 pages de La Cité aux murs incertains fait partie de l’enchantement hypnotique, ou de l’ennui, selon…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La plupart des narrateurs des romans d’Haruki Murakami sont des jeunes hommes ou sur la voie d’une maturité désabusée, célibataires, solitaires. Cette fois, le protagoniste est un adolescent de 17 ans, amoureux d’une fille de son âge, dont « le cœur est gelé ». La romance est fort peu érotique tant elle garde ses distances, tant la chasteté côtoie une sensualité frappée d’incapacité. En effet, prétend-elle, son « vrai moi » existe dans une cité gardée de hauts murs. Soudainement, après une relation épistolaire aporétique, elle disparaît, sans que notre personnage ne la revoie jamais. Pourtant, tout au long de son âge adulte, elle ne cesse d’occuper sa pensée au point que cela l’empêche d’avancer dans sa propre vie. Aussi le récit parallèle, réminiscence des dires de la jeune fille ou fantasme autistique, nous présente ce même garçon reçu dans la cité qu’il avait imaginée conjointement avec la fille de son cœur. Hélas, pour pénétrer dans cette ville entourée d’un mur infranchissable, de surcroit gouvernée par un gardien impénétrable, effrayant, une loi immuable s’impose : l’on est contraint d’être séparé de son ombre, et d’être employé dans la bibliothèque aux cranes de licornes pour y lire les rêves qu’ils contiennent. Bien entendu, son assistante est la jeune fille de son adolescence, alors qu’elle parait ne pas être soumise aux atteintes du temps, alors qu’elle ne se souvient absolument pas de l’avoir connu. Bien plus tard, notre personnage, revenu dans le monde de la réalité quotidienne, rencontre un garçon qu’il appelle « Yellow Submarine » et dont « l’esprit n’est pas connecté à la réalité de ce monde ». Celui-ci ne désire rien d’autre que « se rendre dans la Cité ceinte de hauts murs et devenir l’un de ses habitants » ». En quelque sorte le double du narrateur. Ou le double de nombre de jeunes gens japonais repliés sur le vide d’eux-mêmes.

Il choisit enfin de s’isoler dans une petite ville de montagne, où une femme d’une trentaine d’année « s’enveloppe étroitement dans des sous-vêtements spéciaux [et] ne peut accepter de relations sexuelles ». À ce point, l’irrationnel, à la fois craint et désiré, viendra-t-il le saisir ? Au bout, « une obscurité infiniment douce…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette cité, ces cranes et ses rêves comateux ne sont-ils que l’image de l’inconscient du narrateur, de son incapacité sexuelle, ou de l’incapacité de l’écrivain à franchir les portes du rêve, comme le fit Gérard de Nerval dans Aurélia… En cette Cité aux murs incertains, un monde, certes impressionnant et imaginé de manière originale, mêùe si réitéré, nous apparait comme rétréci, rétrograde et finalement mortifère. Ces licornes, dépourvues de toute la symbolique érotique sise en l’occidentale tapisserie de La Dame à la licorne, n’existent que pour mourir dans un hiver qui verra l’enfouissement de leurs cadavres. Bien que leurs propriétaires originels puissent leur rendre visite et converser avec elles, les ombres détachées de leurs corps dépérissent peu à peu pour rejoindre le destin fatal des licornes. Hélas les individus n’ont aucune individualité et sont dévolus à dans une bibliothèque sans livre. Les crânes n’ont d’autre utilité passagère que d’être examinés afin de lire des rêves dont nous ne saurons rien. Sauf à l’occasion d’un cauchemar – une guerre sanglante où l’on veut « tuer leur conscience » – dont fait état notre personnage et qui leur est peut-être lié.  En conséquence rien n’affleure d’une quelconque interprétation des rêves, comme crurent bien laborieusement et pauvrement la réaliser des oniristes comme le Grec Artémidore de Daldis et le Viennois Sigmund Freud. De surcroit une telle existence et une cité sans innovation ni croissance, avec une économie fondée sur le troc, est évidemment rétrograde et régressive. L’antimonde étroit est en fait cauchemardesque et stérile, comme « au fond du lac agit un profond vortex qui entraîne tout dans ses gouffres sombres ».

À moins qu’il s’agisse d’une crise de mièvrerie de notre romancier, qui risque de susciter l’ennui du lecteur, à force de cultiver une romance fatiguée pour lectrices anorexiques. Entre des dialogues interminables du narrateur avec ses fantômes et la méticulosité de l’écriture qui ne s’embarrasse pas de vocabulaire sophistiqué et le manque récurrent de concision, le volume risque par moment de rester seul ouvert sur les genoux du lecteur ; et c’est ce sur quoi une bonne partie de la presse a insisté pour dénoncer « l’ennui ». Injustice caractérisée ? La beauté de la construction, l’étrangeté de l’imaginaire, la concrétion d’une condition humaine écartelée entre banalité de l’existence et miroir onirique grisâtre, sont pourtant les gages d’une réussite qui mérite d’être goûtée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il est à craindre que cet Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage soit le personnage d’un roman incolore. Cependant c’est loin d’être le cas. La particularité de cet opus est d’être un roman strictement réaliste, qui tranche étonnamment avec les récits fantastiques qui ont fait la renommée de notre romancier.

La clef du titre se trouve parmi les premières pages : « A considérer l'ensemble de leur vie, on pouvait affirmer que ces cinq amis avaient bien plus de points communs que de différences. Pourtant, le hasard faisait que Tsukuru Tazaki se distinguait légèrement sur un point : son patronyme ne comportait pas de couleur. Les deux garçons s'appelaient Akamatsu – pin rouge –, Ômi  – mer bleue –, et les deux filles, respectivement Shirane  – racine blanche  – et Kurono  – champ noir. Mais le nom de « Tazaki » n'avait strictement aucun rapport avec une couleur. D’emblée, Tsukuru avait éprouvé à cet égard une curieuse sensation de mise à l'index. Bien entendu, que le nom d’une personne contienne une couleur ou non ne disait rien de son caractère. Tsukuru le savait bien. Néanmoins, il regrettait qu'il en soit ainsi pour lui. Et, à son propre étonnement, il était plutôt blessé. D'autant que les autres, naturellement, s’étaient mis à s'appeler par leur couleur. Rouge. Bleu. Blanche. Noire. Lui seul demeurait simplement « Tsukuru ». Combien de fois avait-il sérieusement pensé que ç’aurait été bien mieux si son patronyme avait eu une couleur ! Alors, tout aurait été parfait ».

Car sans qu’il sache pourquoi, Tsukuru Tazaki se voit ignoré par ses quatre amis, ceci brisant l’euphorie des années universitaires. Solitaire, il se sent glisser vers la mort à laquelle il pense presqu’exclusivement pendant un an, morbidité qui est celle de l’absence d’amitié : « Vivre m’ennuie », dit-il. Conformément à son nom qui signifie « celui qui construit », il ne lui reste plus qu’à suivre sa vocation d’architecte et dessinateur de gares. Seize ans après ce paradis perdu, il rencontre Sara, trentenaire elle aussi, pour faire l’amour, quoiqu’elle le sente passablement hors d’atteinte dans son inframonde. Puis vient l’évocation d’un musicien dans un village de montagne. Autre clef en effet, Les années de pèlerinage du compositeur romantique Franz Liszt, jouées par un ami du père d’Haida (un nouvel ami de Tsukuru) nommé Midorikawa, pianiste émouvant, dont le talent « permet parfois de donner naissance à des choses qui témoignent d’un magnifique bond spirituel ». Ce qui lui rappelle le piano de Blanche.

C’est ainsi qu’en ne sachant « pas grand-chose de l’univers », Tsukuru Tazaki entame son pèlerinage entre la japonaise ville de  Nagoya et la Finlande. L’indétrônable nostalgie et l’incitation de Sara le poussent à se confronter au passé, pour essayer de comprendre comment et pourquoi l’amical quintette s’est brisé. Attentive, dévouée, elle parvient à localiser les membres du groupe initial, prépare le voyage de Tsukuru, à Nagoya, et jusqu'en Finlande où réside Eri Kurono, soit « Prairie noire ». Les ténébreuses raisons de l’incompréhensible rejet qui hante notre personnage finiront par être dévoilées. En particulier la fausse accusation de viol portée à son encontre par Blanche, à cause de sa jalousie, « psychologiquement dérangée », enceinte et plus tard étranglée. « Prairie noire » est la révélatrice de cet affreux passé, alors qu’elle a fondé une nouvelle vie en se mariant avec un Finlandais, en concevant deux enfants, ainsi que des céramiques d’art…

Ainsi Tsukuru Tazaki pourra-t-il panser les plaies du cercle d’amitié brisée, voire envisager un nouvel avenir, s’épanouir en couleurs avec Sara, qui sait...

À peine teinté de rares ombres fantastiques, le récit garde un soin classique et réaliste. Quête initiatique, ce roman n’est plus aussi incolore qu’annoncé. Quête de la vérité, quête de soi, compréhension du passé, rebond d’une destinée, il y a là quelque chose du roman philosophique. Et toujours empreint de la couleur de la mélancolie…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notre cher romancier pratique également parfois de plus brefs récits, où la concision est gagnante. Ainsi Galette au miel qui fait de loin songer au conte de Boucle d’or et les trois ours. Mais nous sommes au Japon, où le séisme de Kobé a marqué les corps et les esprits. En particulier une petite fille de quatre ans, réveillée toutes les nuits par ce cauchemar qu’elle appelle le « Bonhomme Tremblement de Terre ». Seul Junpei, un auteur de nouvelles, qui est amoureux en secret de sa mère, saura imaginer une histoire dans laquelle un ours amateur de musique et de galette au miel – qu’il vendra aux humains – peut apaiser les peurs et les peines. C’est une belle histoire d’amour, sentimentale, sexuelle, également paternelle, une histoire sur le pouvoir cathartique des histoires, à la fois une mise en abyme et un hymne à la tendresse. Car il s’agit peut-être du devoir de l’écrivain : « veiller sur ces deux femmes. Quelque-soit celui qui veut leur faire du mal, je ne les laisserai pas les enfermer dans ces absurdes boites ».

Très joliment illustré par Kat Menschik, ce conte rejoint dans le même format L’Etrange bibliothèque – également décoré par l’artiste berlinoise – dans laquelle un banal garçon pénètre dans une aussi banale bibliothèque municipale pour se documenter sur la fiscalité dans le royaume ottoman. Mais « au-delà de la grande porte, c'était aussi sombre que si l'on avait creusé un trou dans l'espace cosmique » ! Rien d’étonnant à ce que l’étrangeté du labyrinthe y amène un « homme-mouton », personnage récurrent dans le défilé romanesque d’Haruki Muralami, et un « gardien des livres » aux pouvoirs effrayants. Rassurons-nous, c’est une muette jeune fille qui lui permettra de se libérer de cette prison et de ses sortilèges délétères. Un récit prenant, quoiqu’une fois encore l’on aimerait bien en savoir plus sur les livres et leurs contenus, dont il faudrait inventer l’étrangeté…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rappelons-nous l’un des plus ambitieux opus d’Haruki Murakami : 1Q84. Le double espace-temps qui est un fil conducteur des romans de notre cher Japonais se situe cette fois entre l'année 1984 et l’univers hypnotique de 1Q84. Là, deux personnages, Tengo et Aomamé, liés par un pacte secret, voient leurs destinées se nouer à la jointure de deux mondes, de deux époques... L’on devine que le fantastique est tourbillonnant, que le thriller saura qui sait s’embraser en roman d'amour.

Une enseignante en arts martiaux, Aomame, 29 ans, affecte un ascétique célibat, tout en se livrant, à l’occasion  des commandes d'une charmante, riche et philanthrope vieille dame, à des meurtres parfaitement professionnels. Comment accepter une telle monstruosité ? Tout simplement parce ses victimes sont des sommets du Mal, des pervers absolus qui se sont plu à détruire la vie de leurs épouses.

Sur l’autre rive, un trentenaire ours solitaire – même s’il fréquente une femme mariée – Tengo, est un professeur charismatique de mathématiques, alors que la nuit il se veut écrivain. À son corps défendant, son éditeur lui confie la réécriture du roman d'une énigmatique adolescente de 17 ans, Fukaeri, géniale dyslexique. Le texte, étrange et maladroit, est censé devenir la parfaite Chrysalide de l'air. Le lecteur attend bien sûr l’improbable rencontre d’Aomane et Tengo, qui cependant n’aura pas lieu au cours du premier tome du triptyque. C’est enfin sur la surface du monde de 1Q84 que leur amour se dessine…

Le double univers aux multiples ramifications présente une galerie de personnages sans cesse curieux, voire mystiques : Tamaru, un garde du corps homosexuel, Ayumi une jeune policière en manque d'amitié, un berger Allemand fort gourmand d’épinards… Sans oublier les « Little People », dont la « voix » passe par l'intermédiaire du gourou de la secte des « Précurseurs ». Lorsqu’ils entrent dans la pensée sans que l’on n'en ait conscience, ils sont en quelque sorte un avatar du « Big Brother » d’Orwell.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Là encore les allusions musicales prolifèrent, en particulier avec Jean-Sébastien Bach. Mais aussi littéraires, puisque certains personnages lisent Proust ou Dickens. Cependant Tengo lit également un récit intitulé La Ville des chats, qu’il prétend être la métaphore de son destin et qui se révèle purement imaginaire. Le roman-monde se double d’un roman-bibliothèque.

Discrète science-fiction, uchronie probable, alors que les mystérieux « Little People » ont par instant quelque chose de la fantasy. Sous les deux lunes de la nuit, l’on reste toutefois un peu sceptique face à ce qui constitue des allusions au 1984 de George Orwell. Or la morale est explicite : « L'Histoire nous enseigne que, au fond, nous sommes les mêmes, autrefois comme aujourd'hui. Même si nos vêtements ou nos modes de vie ont beaucoup changé, nos pensées et nos actes ne sont pas très différents. L'être humain, finalement, n'est qu'un simple véhicule, ou un vecteur, pour les gènes. Nous sommes leurs montures tout au long de leur voyage, de génération en génération, exactement comme des chevaux que l'on remplace lorsqu'ils vont mourir. Et les gènes n'ont aucune notion de ce qui est bien ou de ce qui est mal. Ni la moindre idée de ce que nous éprouvons. Ils ignorent si nous sommes heureux ou malheureux. Nous ne sommes pour eux qu'un moyen. Leur priorité, c'est d'obtenir pour eux-mêmes le meilleur rendement. »

Lentement poétique, la narration contenue dans son impressionnant triptyque offre d’émoustillantes parades sexuelles et sentimentales. Malgré le peu d’action, les digressions, longueurs et redites, l’on se laisse embarquer dans le vaisseau attentivement construit. Le roman-fleuve emporte au bout de ses trois tomes des diatribes contre le fondamentalisme, la violence faite aux femmes, jusqu’à interroger la perversité de la création littéraire. Non sans poser la question du droit individuel à l’exercice de la justice. Là encore, Huraki Murakami frôle la dimension du roman philosophique.

C’est tout l’art d’Haruki Murakami que d’associer un confort de lecture particulièrement aisé avec les mystères et les béances de la personnalité, de la grise lumière du jour nippon jusqu’aux ténèbres du fantastique. Un brin kafkaïen (n’a-t-il pas écrit Kafka sur le rivage ?), il ne néglige ni les nouvelles, comme L’Etrange bibliothèque, ni les vastes massifs romanesques, comme la trilogie de 1Q84. Un opus, en deux volets, du romancier japonais emprunte son titre, non plus à George Orwell, mais à Mozart : Le Meurtre du Commandeur. Œuvres dans lesquelles les résonances musicales s’associent aux résonances picturales et littéraires pour former un art poétique. Peut-être cependant faut-il compter La Cité aux murs incertains comme un crépuscule de l’écrivain né en 1949, qui aurait enfermé son œuvre dans le souvenir d’une jeune fille disparue depuis longtemps et conservée dans le crâne aux rêves illisibles d’une licorne. À moins que cette déperdition finalement dépressive et suicidaire fasse partie de la rémanence de son charme mélancolique, voire testamentaire.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

Parador Palacio ducal de Lerma, Burgos, Castilla y Leon.

Photo : T. Guinhut.

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Nouvelles : un artiste de la science-fiction

 

 

 

 

 

 

 

Bande dessinée, Manga

Roman graphique et bande-dessinée

Fantastique et science-fiction

Mangas horrifiques et dystopiques

 

 

 

 

 

 

 

Barcelo

Cahiers d'Himalaya, Nuit sur le mont chauve

 

 

 

 

 

 

 

Barrett Browning

E. Barrett Browning et autres sonnettistes

 

 

 

 

 

 

 

Bashô

Bashô : L'intégrale des haikus

 

 

 

 

 

 

Basile

Le conte des contes, merveilleux rabelaisien

 

 

 

 

 

 

Bastiat

Le libéralisme contre l'illusion de l'Etat

 

 

 

 

 

 

Baudelaire

Baudelaire, charogne ou esthète moderne ?

"L'homme et la mer", romantisme noir

Vanité et génie du dandysme

Baudelaire de Walter Benjamin

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

Beauté, laideur

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai, La Mouette de Minerve éditeur

Art et bauté, de Platon à l’art contemporain

Laideur et mocheté

Peintures et paysages sublimes

 

 

 

 

 

 

Beckett 

En attendant Godot : le dénouement

 

 

 

 

 

 

Benjamin

Baudelaire par Walter Benjamin

Conscience morale et littérature

Critique de la violence et vices politiques

Flâneurs et voyageurs

Walter Benjamin : les soixante-treize sonnets

Paris capitale des chiffonniers du XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

Benni

Toutes les richesses, Grammaire de Dieu

 

 

 

 

 

 

Bernhard

Goethe se mheurt et autres vérités

 

 

 

 

 

 

 

Bibliothèques

Histoire de l'écriture & Histoire du livre

Bibliophilie : Nodier, Eco, Apollinaire

Eloges des librairies, libraires et lecteurs

Babel des routes de la traduction

Des jardins & des livres, Fondation Bodmer

De l'incendie des livres et des bibliothèques

Bibliothèques pillées sous l'Occupation

Bibliothèques vaticane et militaires

Masques et théâtre en éditions rares

De Saint-Jérôme au contemporain

Haine de la littérature et de la culture

Rabie : La Bibliothèque enchantée

Bibliothèques du monde, or des manuscrits

Du papyrus à Google-books : Darnton, Eco

Bibliothèques perdues et fictionnelles

Livres perdus : Straten,  Schlanger, Olender

Bibliophilie rare : Géants et nains

Manguel ; Uniques fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

 

Blake

Chesterton, Jordis : William Blake ou l’infini

Le Mariage du ciel et de l’enfer

 

 

 

 

 

 

 

Blasphème

Eloge du blasphème : Thomas-d'Aquin, Rushdie, Cabantous, Beccaria

 

 

 

 

 

 

Blog, critique

Du Blog comme œuvre d’art

Pour une éthique de la critique littéraire

Du temps des livres aux vérités du roman

 

 

 

 

 

 

 

Bloom

Amour, amitié et culture générale

 

 

 

 

 

 

 

Bloy

Le désespéré enlumineur de haines

 

 

 

 

 

 

 

Bolaño

L’artiste et le mal : 2666, Nocturne du Chili

Les parenthèses du chien romantique

Poète métaphysique et romancier politique

 

 

 

 

 

 

 

Bonnefoy

La poésie du legs : Ensemble encore

 

Borel

Pétrus Borel lycanthrope du romantisme noir

 

 

 

 

 

 

 

Borges

Un Borges idéal, équivalent de l'univers

Géographies des bibliothèques enchantées

Poèmes d’amour, une anthologie

 

 

 

 

 

 

 

Brague

Légitimité de l'humanisme et de l'Histoire

Eloge paradoxal du christianisme, sur l'islam

 

 

 

 

 

 

Brésil

Poésie, arts primitifs et populaires du Brésil

 

 

 

 

 

 

Bruckner

La Sagesse de l'argent

Pour l'annulation de la Cancel-culture

 

Brume et brouillard

Science, littérature et art du brouillard

 

 

 

 

 

 

Burgess

Folle semence de L'Orange mécanique

 

 

 

 

 

 

 

Burnside

De la maison muette à l'Eté des noyés

 

 

 

 

 

 

Butor

Butor poète et imagier du Temps qui court

Butor Barcelo : Une nuit sur le mont chauve

 

 

 

 

 

 

Cabré

Confiteor : devant le mystère du mal

 

 

 

 

 

 

 

Canetti

La Langue sauvée de l'autobiographie

 

 

 

 

 

 

Capek

La Guerre totalitaire des salamandres

 

 

 

 

 

 

 

Capitalisme

Eloge des péchés capitaux du capitalisme

De l'argument spécieux des inégalités

La sagesse de l'argent : Pascal Bruckner

Vers le paradis fiscal français ?

 

 

 

 

 

 

Carrion

Les orphelins du futur post-nucléaire

Eloges des librairies et des libraires

 

 

 

 

 

 

 

Cartarescu

La trilogie roumaine d'Orbitor, Solénoïde ; Manea : La Tanière

 

 

 

 

 

 

 

Cartographie, explorations

Atlas des mondes réels et imaginaires

Des côtes inconnues à l'Amazonie

 

 

 

 

 

 

 

Casanova

Icosameron et Histoire de ma vie

 

 

 

 

 

 

Catton

La Répétition, Les Luminaires

 

 

 

 

 

 

Cavazzoni

Les Géants imbéciles et autres Idiots

 

 

 

 

 

 

 

Celan

Paul Celan minotaure de la poésie

Celan et Bachmann : Lettres amoureuses

 

 

 

 

 

 

Céline

Voyage au bout des pamphlets antisémites

Guerre : l'expressionnisme vainqueur

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

 

Censure et autodafé

Requiem pour la liberté d’expression : entre Milton et Darnton, Charlie et Zemmour

Livres censurés et colères morales

Incendie des livres et des bibliothèques : Polastron, Baez, Steiner, Canetti, Bradbury

Totalitarisme et Renseignement

Pour l'annulation de la cancel culture

 

 

 

 

 

 

Cervantès

Don Quichotte peint par Gérard Garouste

Don Quichotte par Pietro Citati et Avellaneda

 

 

 

 

 

 

Cheng

Francois Cheng, Longue route et poésie

 

 

 

 

 

 

Chesterton

William Blake ou l'infini

Le fantaisiste du roman policier catholique

 

Chevalier

La Dernière fugitive, À l'orée du verger

Le Nouveau, rééecriture d'Othello

Chevalier-la-derniere-fugitive

 

Chine

Chen Ming : Les Nuages noirs de Mao

Du Gène du garde rouge aux Confessions d'un traître à la patrie

Anthologie de la poésie chinoise en Pléiade

 

 

 

 

 

 

Civilisation

Petit précis de civilisations comparées

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

 

 

 

 

 

 

 

Climat

Histoire du climat et idéologie écologiste

Tyrannie écologiste et suicide économique

 

 

 

 

 

 

Coe

Peines politiques anglaises perdues

 

 

 

 

 

 

 

Colonialisme

De Bartolomé de Las Casas à Jules Verne

Métamorphoses du colonialisme

Mario Vargas Llosa : Le rêve du Celte

Histoire amérindienne

 

 

 

 

 

 

Communisme

"Hommage à la culture communiste"

Karl Marx théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

 

 

 

 

 

 

Constant Benjamin

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Corbin

Fraicheur de l'herbe et de la pluie

Histoire du silence et des odeurs

Histoire du repos, lenteur, loisir, paresse

 

 

 

 

 

 

 

Cosmos

Cosmos de littérature, de science, d'art et de philosophie

 

 

 

 

 

 

Couleurs
Couleurs de l'Occident : Fischer, Alberti

Couleurs, cochenille, rayures : Pastoureau

Nuanciers de la rose et du rose

Profondeurs, lumières du noir et du blanc

Couleurs des monstres politiques

 

 

 

 

 


Crime et délinquance

Jonas T. Bengtsson et Jack Black

 

 

 

 

 

 

 

Cronenberg

Science-fiction biotechnologique : de Consumés à Existenz

 

 

 

 

 

 

 

Dandysme

Brummell, Barbey d'Aurevilly, Baudelaire

 

 

 

 

 

 

Danielewski

La Maison des feuilles, labyrinthe psychique

 

 

 

 

 

 

Dante

Traduire et vivre La Divine comédie

Enfer et Purgatoire de la traduction idéale

De la Vita nuova à la sagesse du Banquet

Manguel : la curiosité dantesque

 

 

 

 

 

 

Daoud

Meursault contre-enquête, Zabor

Le Peintre dévorant la femme

 

 

 

 

 

 

 

Darger

Les Fillettes-papillons de l'art brut

 

 

 

 

 

 

Darnton

Requiem pour la liberté d’expression

Destins du livre et des bibliothèques

Un Tour de France littéraire au XVIII°

 

 

 

 

 

 

 

Daumal

Mont analogue et esprit de l'alpinisme

 

 

 

 

 

 

Defoe

Robinson Crusoé et romans picaresques

 

 

 

 

 

 

 

De Luca

Impossible, La Nature exposée

 

 

 

 

 

 

 

Démocratie

Démocratie libérale versus constructivisme

De l'humiliation électorale

 

 

 

 

 

 

 

Derrida

Faut-il pardonner Derrida ?

Bestiaire de Derrida et Musicanimale

Déconstruire Derrida et les arts du visible

 

 

 

 

 

 

Descola

Anthropologie des mondes et du visible

 

 

 

 

 

 

Dick

Philip K. Dick : Nouvelles et science-fiction

Hitlérienne uchronie par Philip K. Dick

 

 

 

 

 

 

 

Dickinson

Devrais-je être amoureux d’Emily Dickinson ?

Emily Dickinson de Diane de Selliers à Charyn

 

 

 

 

 

 

 

Dillard

Eloge de la nature : Une enfance américaine, Pèlerinage à Tinker Creek

 

 

 

 

 

 

 

Diogène

Chien cynique et animaux philosophiques

 

 

 

 

 

 

 

Dostoïevski

Dostoïevski par le biographe Joseph Frank

 

 

 

 

 

 

Eco

Umberto Eco, surhomme des bibliothèques

Construire l’ennemi et autres embryons

Numéro zéro, pamphlet des médias

Société liquide et questions morales

Baudolino ou les merveilles du Moyen Âge

Eco, Darnton : Du livre à Google Books

 

 

 

 

 

 

 

Ecologie, Ecologismes

Greenbomber, écoterroriste

Archéologie de l’écologie politique

Monstrum oecologicum, éolien et nucléaire

Ravages de l'obscurantisme vert

Wohlleben, Stone : La Vie secrète des arbres, peuvent-il plaider ?

Naomi Klein : anticapitalisme et climat

Biophilia : Wilson, Bartram, Sjöberg

John Muir, Nam Shepherd, Bernd Heinrich

Emerson : Travaux ; Lane : Vie dans les bois

Révolutions vertes et libérales : Manier

Kervasdoué : Ils ont perdu la raison

Powers écoromancier de L'Arbre-monde

Ernest Callenbach : Ecotopia

 

 

 

 

 

 

Editeurs

Eloge de L'Atelier contemporain

Diane de Selliers : Dit du Genji, Shakespeare

Monsieur Toussaint Louverture

Mnémos ou la mémoire du futur

 

 

 

 

 

 

Education

Pour une éducation libérale

Allan Bloom : Déclin de la culture générale

Déséducation et rééducation idéologique

Haine de la littérature et de la culture

De l'avenir des Anciens

 

 

 

 

 

 

Eluard

« Courage », l'engagement en question

 

 

 

 

 

 

 

Emerson

Les Travaux et les jours de l'écologisme

 

 

 

 

 

 

 

Enfers

L'Enfer, mythologie des lieux

Enfers d'Asie, Pu Songling, Hearn

 

 

 

 

 

 

 

Erasme

Adages et Colloques

Eloge de vos folies contemporaines

 

 

 

 

 

 

 

Esclavage

Esclavage en Moyen âge, Islam, Amériques

 

 

 

 

 

 

Espagne

Histoire romanesque du franquisme

Benito Pérez Galdos, romancier espagnol

 

 

 

 

 

 

Etat

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Constructivisme versus démocratie libérale

Amendements libéraux à la Constitution

Couleurs des monstres politiques

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Socialisme et connaissance inutile

Patriotisme et patriotisme économique

La pandémie des postures idéologiques

Agonie scientifique et sophisme français

Impéritie de l'Etat, atteinte aux libertés

Retraite communiste ou raisonnée

 

 

 

 

 

 

Etats-Unis romans

Dérives post-américaines

Rana Dasgupta : Solo, destin américain

Bret Easton Ellis : Eclats, American psycho

Eugenides : Middlesex, Roman du mariage

Bernardine Evaristo : Fille, femme, autre

La Muse de Jonathan Galassi

Gardner : La Symphonie des spectres

Lauren Groff : Les Furies

Hallberg, Franzen : City on fire, Freedom

Jonathan Lethem : Chronic-city

Luiselli : Les Dents, Archives des enfants

Rick Moody : Démonologies

De la Pava, Marissa Pessl : les agents du mal

Penn Warren : Grande forêt, Hommes du roi

Shteyngart : Super triste histoire d'amour

Tartt : Chardonneret, Maître des illusions

Wright, Ellison, Baldwin, Scott-Heron

 

 

 

 

 

 

 

Europe

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

Fables politiques

Le bouffon interdit, L'animal mariage, 2025 l'animale utopie, L'ânesse et la sangsue

Les chats menacés par la religion des rats, L'Etat-providence à l'assaut des lions, De l'alternance en Démocratie animale, Des porcs et de la dette

 

 

 

 

 

 

 

Fabre

Jean-Henri Fabre, prince de l'entomologie

 

 

 

 

 

 

 

Facebook

Facebook, IPhone : tyrannie ou libertés ?

 

 

 

 

 

 

Fallada

Seul dans Berlin : résistance antinazie

 

 

 

 

 

 

Fantastique

Dracula et autres vampires

Lectures du mythe de Frankenstein

Montgomery Bird : Sheppard Lee

Karlsson : La Pièce ; Jääskeläinen : Lumikko

Michal Ajvaz : de l'Autre île à l'Autre ville

Morselli Dissipatio, Longo L'Homme vertical

Présences & absences fantastiques : Karlsson, Pépin, Trias de Bes, Epsmark, Beydoun

 

 

 

 

 

 

Fascisme

Histoire du fascisme et de Mussolini

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Haushofer : Sonnets de Moabit

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré, une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

VIII Morphéor intelligence quantique amoureuse

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com

XVIII Bibliothèque Hespérus et Petite porcelaine bleue

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme : Ages & Colloques

Manuzio, Budé, Byzantinistes & Coménius

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Vanité de la mort : Vincent Wackenheim

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

La Cité aux murs incertains, L'Incolore Tsukuru

 

 

 

 

 

 

Muray

Philippe Muray et l'homo festivus

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

Miscellanées littéraires : Cloux, Morrow...

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Pléiade & Sonnet pour Hélène LXVIII

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Les obsolètes face à l'intelligence artificielle

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science-fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Métamorphoses du sonnet contemporain

 

 

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Wells

Wells aventurier du temps et socialiste déçu

 

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

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