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26 octobre 2025 7 26 /10 /octobre /2025 15:46

 

Bibliothèque, varia. Photographie : T. Guinhut.

 

 

Du roseau de l’Antiquité aux Bibliocrimes

et Bibliothèques retrouvées,

jusqu’aux 150 ans de Flammarion :

une éthique du livre.

 

 

 

Tyto Alba & Irène Vallejo : L’Infini dans un roseau. L’Invention des livres dans l’Antiquité,

traduit de l’espagnol par Manuela Corigliano, Les Belles Lettres, 2025, 208 p, 25,90 €.

 

Marine Le Bail : Bibliocrimes. Le livre au cœur de l’enquête, La Baconnière, 288 p, 21 €.

 

Vanessa de Senarclens : La Bibliothèque retrouvée. Une enquête, Zoé, 2025, 256 p, 20 €.

 

Pascal Fouché : Flammarion. 150 ans d’édition et de librairie,

Flammarion, 2025, 288 p, 36 €.

 

 

Banque du savoir et de sa transmission, le livre est paré de toutes les vertus. À moins qu’au contraire il cache et révèle tour à tour ses vices, criminels parfois. Ouvrons les portes et les malles d’une bibliothèque infinie, voire secrète, qui, dans l’Antiquité, s’écrivit sur les roseaux, qui est parfois volée, puis retrouvée, pleine de bibliocrimes, de publications magnifiques depuis 150 ans comme chez Flammarion, voire délictueuses… Quelle éthique doit préserver le livre en son essence ? S’il peut aller jusqu’à documenter toutes les aberrations criminelles, politiques et religieuses, doit-il pour autant en être l’instrument, tant une éthique du livre doit se vouloir judicieuse…

El Infinito en un junco[1], tel fut le titre originel de cet essai d’Irene Vallejo (née à Zaragoza en 1979) qui fit un succès retentissant dans le monde hispanique. Traduit chez nous, cet Infini dans un roseau, soit le papyrus, se vit doublé par une adaptation dessinée par les soins de Tyto Alba, qu’à notre tour nous découvrons. Quoique colorée avec bien des variétés suggestives et quelques pages plus mystérieuses sur fond noir, cette œuvre à quatre mains brille modestement par le dessin, en particulier en ce qui concerne les visages fort sommaires ; mais elle sait emporter son lecteur, petit ou grand, dans l’odyssée des lettres et de l’Histoire.

De l’Egypte ancienne à notre ordinateur, le voyage du livre est brossé avec maints détails et va et vient. Le geste séminal de l’ouvrage est celui d’envoyés à la recherche de manuscrits, alors que les princes et surtout la bibliothèque d’Alexandrie cherchent à compléter jalousement leurs collections. L’opération est risquée, tant les voyages sont dangereux, tant le vol des précieux manuscrits est susceptible de représailles. Bientôt l’Empire romain voit éclore en ces cités des bibliothèques privées, aux rouleaux abondants nourris par des armées de copistes, puis publiques.

L’Antiquité commence ici par les champs de bataille d’Alexandre le Grand, les palais de Cléopâtre, mais aussi au moyen de retours en arrière jusqu’aux poèmes inauguraux d’Homère, d’abord confiés à l’oralité, avant qu’ils soient recueillis sur ces papyrus récoltés et préparés sur les rives du Nil, puis exportés au travers de la Méditerranée vers Rome et tout l’Empire.

Ainsi Irene Vallejo et son complice Tyto nous emportent avec ferveur dans l’aventure collective de la sauvegarde des livres depuis l’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie, lorsqu’un navire de César communiqua le feu de ses voiles à des entrepôts. S’ensuivirent des destructions par des Chrétiens bien peu chrétiens lorsqu’ils assassinèrent la savante Hypathie, puis l’ultime effacement par la barbarie de l’Islam. Qui d’ailleurs jeta des milliers de parchemins dans les eaux du Bosphore à l’occasion de la conquête de Byzance en 1453.

Peu à peu, le papyrus est concurrencé par le parchemin venu de Pergame, plus solide, mais onéreux ; puis par le papier venu de Chine, qui est encore le nôtre, quoique évoluant au cours des trouvailles technologiques. Malgré l’ombre de la chute de l’Empire romain et du Haut-Moyen âge, et malgré trop d’œuvres disparues, les classiques de l’Antiquité ressuscitèrent à l’aide des humanistes de la Renaissance, qui elle-même, au-delà des trésors médiévaux, et grâce à l’imprimerie, permit un essor des Lettres et des sciences, en passant par les Lumières et l’Encyclopédie, jusqu’à notre temps de démocratisation des savoirs. Du moins si des pouvoirs totalitaires ne tentent de les faire disparaitre. Au cours de cette Histoire, « l’espérance de vie des idées augmenta ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À la faveur d’allers et retours incessants entre le passé originel et tous les temps de l’Histoire, y compris le nôtre, entre Aristote et Walter Benjamin, nous furetons dans les premières librairies et les ateliers des copistes, mais aussi sur les bûchers où brûlaient les codex interdits, parmi la bibliothèque en ruine de Sarajevo et dans le labyrinthe souterrain d’Oxford. Aussi oppose-t-on les créateurs de livres, à leurs destructeurs, censeurs et fanatiques intolérants de diverses obédiences, jusqu’à Salman Rushdie soumis à une fatwa, attaqué au couteau pour avoir commis trop librement ses Versets sataniques. La menace renouvelée ne vient pas que des Nazis, Communistes et autres fascistes, que des obscurantistes religieux, pseudo chrétiens et surtout islamistes, mais du commerce numérique planétaire, lorsqu’en 2009, sans le moindre avertissement, Amazon retira subrepticement 1984, dystopie politique fameuse écrite par George Orwell, de sa liseuse Kindle.

Non loin de telles agressions anti-livres, Irene Vallejo dénonce avec un sens éthique remarquable les réécritures des chefs d’œuvres pour des raisons de politiquement correct moralisateur, de wokisme et de prétendues défenses de minorités plus ou moins opprimées : « si l’on applique de la chirurgie esthétique à la littérature du passé, elle cessera de nous expliquer le monde ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’ouvrage à quatre mains, dont le texte est une sorte d’anthologie de l’essai premier, n’obéit pas un strict déroulé chronologique. Il progresse par rhizomes. Des moments autobiographiques montrent combien notre Irène a le livre dans la peau. Par exemple, lorsqu’enfant, en bute aux harcèlements de ses camarades d’école, elle trouve refuge dans le livres. Par la suite, face à l’omerta qui présidait à de telles humiliations, elle répond : « Aujourd’hui je suis une moucharde professionnelle ».

La vertu pédagogique de cet ouvrage historique est indéniable. Même si l’on peut apporter un bémol lorsqu’elle affirme : « Les guerres favorisaient le commerce le plus lucratif de l’Histoire : l’esclavage ». Car les Etats-Unis ont bien montré que le Nord, basé sur le travail salarié, se soit montré bien plus efficace économiquement et militairement que le Sud esclavagiste. En outre l’Islam, reposant sur l’esclavage, n’a pas vu son Histoire économique et civilisationnelle progresser.

Aussi attrayant que profondément humaniste, dans lequel les classiques sont « la mémoire de l’avenir », le beau travail d’Irene Vallejo entretient de subtiles parentés avec l’Histoire de la lecture, d’Alberto Manguel[2], à laquelle elle fait d’ailleurs allusion. À son tour, elle invente « une patrie de papier pour tous les apatrides de tous les temps ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Depuis les assassinats pléthoriques que l’on trouve chez les historiens romains de la République et de l’Empire, jusqu’au genre conquérant du roman policier, nos bibliothèques regorgent d’actes criminels, à se demander s’il ne faudrait pas imprimer en lettres de sang. Un regard curieux oriente le lecteur vers des crimes plus livresques encore : Marine Le Bail place « le livre au cœur de l’enquête », au moyen du mot valise qui forme son titre si explicitement réussi : Bibliocrimes.

Ici les livres sont des agents du crime, des meurtriers à part entière, des indices indispensables à l’intrigue. L’on pense bien sûr au Nom de la rose d’Umberto Eco, dans lequel les coins empoisonnés des pages encouragent à saliver pour les tourner plus aisément. Forcément le topos du « cadavre dans la bibliothèque » est récurrent. Alors que la convoitise d’un livre rare peut pousser le bibliomane au meurtre afin de s’emparer. Bibliothécaires fanatiques, biblioclastes, « assassins devenus écrivains », l’on est stupéfait de découvrir tant de cas pendables. De surcroit, faut-il imaginer que le faux livre tue la vérité ? Que les livres diaboliques encouragent aux péchés capitaux rapidement criminels ?

À l’inverse d’une littérature visant à améliorer l’humanité, ou du courant « feel good » qui console et fait du bien, « les bibliocrimes exploitent de manière privilégiée le versant mortifère et menaçant des pouvoirs associés au livre ».

Sherlock Holmes des bibliophiles, des gourmets et autres pervers littéraires, Marine Le Bail nous offre un ouvrage aussi érudit que plaisant, à disposer auprès de celui de Thomas de Quincey : De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts.[3] Il faudrait ici ajouter ces volumes ornés d’un bel émeraude, tels qu’il étaient à la mode au début du XIX° siècle. Pensons à ce Keepsake de Prague, de 1834, muni d’un cartonnage vert fascinant obtenu grâce à l’arsenic. Crime involontaire de la part des fabricants, alors que ces livres destinés aux dames agressaient leurs doigts délicats…

 

Keepsake de Prague, 1834, cartonnage vert à l’arsenic.

Le Livre & la mort, Editions des Cendres,

Bibliothèque Sainte-Geneviève & Bibliothèque Mazarine, 2019.

 Photographie : T. Guinhut.

 

Hélas récurrent au cours de l’Histoire, le vol des livres trouve parfois une conclusion heureuse. Tel dans cette Bibliothèque retrouvée, au service de laquelle Vanessa de Senarclens se fait enquêtrice.

L’on sait que les Nazis ne se sont pas privés d’embarquer des bibliothèques françaises entières. L’on sait moins que l’Armée rouge soviétique exerça un rapt spectaculaire dans celle du château de Plathe, en Poméranie allemande. Notre enseignante en littérature française retrouve un meuble à tiroir familial qui abrite un catalogue ébouriffant. Il fait état de seize mille volumes venus de la « Prusse littéraire ou nouvelle Cythère » du siècle des Lumières. Friedrich Wilhelm von der Osten (1721-1786) fut le fondateur de cette splendeur, où régnait Aristote préfacé par Erasme, des « manuscrits rares et interdits », parce que fort peu théologiquement agréés, des Voltaire suspects, des poésie latines, des curiosa fort osés, comme L’Art de foutre de 1741…

Pendant les années de la montée du nazisme, Karl Graf von Bismarck-Osten (1874-1952) est « le dernier bibliophile ». Il continue à enrichir la bibliothèque, y compris avec la littérature anglaise, sans y extirper les ouvrages écrits par des Juifs, tant il avait « en horreur les actes arbitraires des Nazis ». Préservée, la collection s’évanouit cependant sous la période soviétique. Prétendument « réparation de guerre », le pillage généralisé en 1945 inclut, parmi « 4000 wagons de trophées », les livres pour « amputer de sa culture » l’Allemagne.

Plus tard, les bibliothèques russes révèlent un livre illustré de Maria Sybilla Merian sur les métamorphoses des insectes et des vers du Surinam, publié en 1705. D’autres moisissent, « tâchés d’excréments de pigeons, sous le toit d’une église », près de Moscou. D’autres encore, reviennent « au nom de l’amitié des peuples socialistes », à Berlin, dont l’Archontologia cosmica de 1649. D’autres enfin échouent à la bibliothèque universitaire de Lodz, en Pologne, où demeurent 13 000 livres d’une « collection disséminée ».

Quelques documents illustrent livre érudit et cependant palpitant, comme l’indique son « enquête » en sous-titre : une carte géographique, un arbre généalogique armorié, une poignée de pages de titre, et surtout le fameux « catalogue à fiches », aux tiroirs de bois miraculeusement conservé. Notre auteure garde haletant le récit de ses recherches, d’autant qu’il s’agit de sa « belle-famille ». Pitié familiale et indispensable bibliophilie se conjuguent au service d’une Histoire dépassant les turbulences des siècles. Il n’en reste pas moins que le château de Plathe n’a pas retrouvé – qui sait un jour – ni l’intégrité ni l’intégralité de sa bibliothèque, ce qui serait souhaitable, dans le cadre d’une éthique démarche.

Les maisons d’édition plus que centenaires sont peu nombreuses. Au-delà de Gallimard, née en 1919, sous le nom de la Nouvelle Revue Française, voici Flammarion qui fête ses cent cinquante printemps. Romans, livres d’art, enfantina, littérature classique, explorations, sciences humaines ou physiques, philosophie, rien, ou presque, ne lui échappe. Il fallait bien célébrer la performance au sein d’un fort volume de près de 300 pages, illustré comme il se doit d’une foultitude de documents historiques, depuis 1875, et de couvertures, chatoyantes ou discrètes, au service d’auteurs plus ou moins prestigieux.

Par les soins de Pascal Fouché – en collaboration avec Alban Cerisier – il s’agit d’une stèle élevé en hommage au fondateur, Ernest Flammarion. Plus largement, « de Zola à Houellebecq, l’on parcourt une aventure souvent fort glorieuse, seulement parfois discutable.  

Dès la troisième année, commence la série de l’Astronomie populaire de Camille Flammarion, aux cartonnages ornés. C’est ainsi que s’amorce, outre la fonction de divertissement, l’éthique de cette maison de librairie et d’édition, tournée vers le progrès scientifique et social. En une remarquable continuité, cette Astronomie populaire orne désormais la collection « Champs », prodigue en Histoire, science, ethnologie, philosophie politique…

De prestigieux auteurs sont tour à tour attachés à Flammarion : Emile Zola, Guy de Maupassant, Alphonse Daudet, Jules Renard, alors que la guerre de 14-18 suscite la publication du Feu d’Henri Barbusse. En 1922, le pourtant assez sage ouvrage de Victor Marguerite, La Garçonne, suscite le scandale. Doit-on s’étonner de la coexistence d’œuvres édifiantes et morales avec des textes licencieux, sulfureux, polémique ? La liberté auctoriale et éditoriale est à ce prix.

Les dames, comme Colette bien entendu, ne sont pas privées de publication ni de succès. Par exemple Raymonde Machard, trop oubliée aujourd’hui, dont La Possession. Roman de l’amour, fut vendu, en 1927, à 190 000 exemplaires ! Cependant des collections à bon marché favorisent la popularité des auteurs, alors qu’une nouvelle génération fait surface : Kessel, Morand, Romains, Mauriac. Les enfants ne sont pas oubliés, avec « Les albums du Père Castor ». Mais un peu trop de littérature patriotique, militariste, voire collaborationniste, entraîne en 1946 les éditions Flammarion devant la Cour de Justice pour ses activités pendant l’Occupation allemande. L’affaire se dégonfle lorsque l’on admet que l’on s’est « efforcé par tous les moyens de mettre obstacle aux efforts de la propagande ennemie ».

Après-guerre, Henri Flammarion redore le blason de la maison avec de nouveaux auteurs, des collections de poche, comme « J’ai lu » et « GF ». Plus tard, « le temps des sciences humaines, valorise Derrida, Jankélevitch, Furet… Chez « le quatrième éditeur français », qui devient bientôt « le troisième », l’on publie Françoise Sagan et François Mitterrand, qui ne sont peut-être pas des talents remarquables, et plus récemment, en reprenant 48 % des éditions Pygmalion, l’immense Trône de fer de l’Anglais George R. R. Martin. Des éditeurs actifs, comme Françoise Verny, Raphaël Sorin, Teresa Cremisi, renouvellent le cheptel, en particulier avec le controversé Michel Houellebecq, peut-être surestimé. Entre temps, il faut l’avouer, les couvertures ont parfois perdu de leur superbe esthétique. Mais en 2012, au travers du Holding Madrigall, Flammarion est achetée par Gallimard, pour une nouvelle ère à venir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’on découvre en ce patient volume de piquantes curiosités, tel une « Bibliothèque physiologique », associant « intention médicale à la manière grivoise », et lorsque le facétieux docteur Gérard, en 1890, illustre la couverture de La Grande névrose, avec une dame nue, hors les bas aguichants, qui agite un cerveau comme la marotte de la Folie.

Récemment, ce furent des monstres philosophiques magnifiques. En un unique volume, relié ou solidement broché, tout Platon, tout Aristote, tout Nietzsche, en des traductions révisées. Soit d’immanquables références.

Loin de se contenter d’élever une stèle à la gloire de son éditeur et commanditaire, Pascal Fouché ne cache pas que Flammarion prit la responsabilité d’éditer en 1886 La France juive de Drumont. Essai verbeux, calomniateur, nanti d’un index recensant 3000 personnalités juives ou complices, n’est-il pas responsable de crimes commis en son nom, alimentant le fiel de l’antisémitisme ? L’on peut concevoir que les Œuvres et discours de Mussolini soit publiés en tant que document nécessaire à la compréhension du temps politique ; à moins que l’on doive considérer qu’il s’agisse de bibliocrimes encore,

Est-ce encore un assassinat des livres[4], tel que le perpétuent la numérisation, l’internétisation, conduisant à l’abstraction du papier et des reliures, à la dématérialisation de l’objet, à la volatilité de l’écran et à la menace d’une panne qui effacerait le savoir. Heureusement, à l’instar du retour en grâce des disques vinyles, la présence réelle du livre garde et renouvelle ses amateurs passionnés. L’éthique de la connaissance, qu’il s’agisse de science ou d’imaginaire, est à ce prix.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Irene Vallejo : El Infinito en un junco, Siruela, 2020.

[2] Alberto Manguel : Une Histoire de la lecture, Actes Sud, 2000.

[3] Thomas de Quincey : De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts, L’Imaginaire Gallimard, 2002.

[4] Cédric Biagini : L’Assassinat des livres, L’Echappée, 2015.

 

Bibliothèque, reliures vélin, XVI° & XVII° siècle.

Photographie : T. Guinhut.

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13 octobre 2025 1 13 /10 /octobre /2025 14:44

 

Abbatiale de Saint-Maixent-l’Ecole, Deux-Sèvres.

Photographie : T. Guinhut.

 

 

Alexis de Tocqueville,

voyageur et acteur des révolutions libérales.

Par Françoise Mélonio, Michel Onfray

& Raymond Boudon.

 

 

Françoise Mélonio : Tocqueville, Gallimard, 2025, 624 p, 27 €.

 

Alexis de Tocqueville : De la Démocratie en Amérique, Œuvres II,

La Pléiade, Gallimard, 2001, 1232 p, 68,50 €.

 

Alexis de Tocqueville : Quinze jours au désert, Le Passager clandestin, 2011, 112 p, 16 €.

 

Michel Onfray : Tocqueville et les Apaches, Autrement, 2017, 208 p, 18 €.

 

Raymond Boudon : Tocqueville aujourd’hui, Odile Jacob, 2005 304 p, 29,90 €.

 

 

L’on croit connaître Tocqueville si l’on a dit qu’il est l’auteur de De la démocratie en Amérique, dans laquelle il fait l’éloge de la constitution et de la libre entreprise des Etats-Unis. Tout en s’interrogeant sur la passion démocratique de l’égalité qui peut conduire, via la tyrannie de la majorité et l’état tutélaire, à l’acceptation de la servitude. Mais qui est cet homme, comment est-il devenu le penseur et l’acteur des révolutions libérales que nous connaissons trop peu, par quelles enquêtes et voyages ? Opportunément, Françoise Mélonio nous livre une roborative biographie, quand, quoique l’on puisse trouver ce texte en Pléiade, un éditeur qui se veut « clandestin », ose mettre en avant les Quinze jours au désert américains de notre cher Tocqueville. Aussi verra-t-on comment, au milieu du XIX° siècle,  il considère avec une empathie diverses les Indiens américains, les noirs et les Algériens, ce qui suscite l’ire de Michel Onfray. Reste à considérer, à l’aide Raymond Boudon, l’héritage trop oublié d’un Tocqueville libéral que la France d’aujourd’hui méconnait absurdement.

Les biographies de Tocqueville ne manquent pas ni ne sont sans mérites, telles celles de Brigitte Krulic[1] ou d’Olivier Zunz[2]. Mais elles pâlissent devant l’apparition de celle de Françoise Mélonio, opus tout autant soigneusement documenté, foisonnant, qu’agréable à lire, tout entier en faveur de cet « éducateur de la démocratie ».

Lorsque l’on nait en 1805 dans une famille d’aristocrates normands, l’on a forcément derrière soi « un héritage d’échafaud », mais aussi, après 1815, lors de la Restauration, un père, Hervé, plusieurs fois préfet. Très vite, le jeune homme devient déiste, et au conservatisme de l’aristocratie légitimiste il préfère les valeurs issues des Lumières. Une fois acquis son diplôme de Droit, en 1826, il entame un grand tour en Italie, de Naples à la Sicile, où il est frappé par « le despotisme politique et social ». Nommé juge à Versailles, il se fait en ce milieu un ami de toute la vie : Gustave de Beaumont. Navré par l’étroit conservatisme de Charles X, puis la révolution de 1830, il accepte le régime de Louis-Philippe, tout en restant attaché au concept d’une monarchie parlementaire plus libérale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est alors qu’il part, en 1831, avec son ami, en Amérique, sous couvert d’y étudier le système pénitentiaire, dont le taux de récidive et le coût sont plus faibles qu’en France.  Ce qui donnera lieu à une publication en 1833. Mais il s’agit surtout de savoir pourquoi « une vaste république est praticable ici, impraticable là ». Il découvre une démocratie égalitaire unique au monde, mue par la nécessité de faire de l’argent, « critère plus souple que la naissance », et traversée par des courants réformateurs « en faveur de l’abolition de l’esclavage, de l’humanisation des prisons, du droit des femmes et du développement de l’instruction publique ». Il explore les forêts lointaines, le Canada français, Boston, le Mississipi. Le voilà choqué par la pauvreté brutale, minée par l’alcool, des Indiens, par la déportation des tribus, par la ségrégation à l’encontre des Noirs.

C’est en deux parties que parut cet essai devenu classique du libéralisme et de la sociologie : De la Démocratie en Amérique, en 1835 puis 1840. Au-delà de la mission qui l’envoya observer le système pénitentiaire américain, Tocqueville élargit sa réflexion et prit de la hauteur pour offrir une pensée politique d’une étendue considérable. La première partie est essentiellement une analyse de la confédération, quand la seconde est plus critique, non sans proposer des comparaisons avec les modes de vie et les législations de l’ancienne Europe. Mue par la passion de la liberté, avertie des vexations imposées par l’Etat, depuis l’indépendance gagnée de haute lutte sur l’impérialisme anglais, les Etats-Unis d’Amérique usent du libéralisme politique et économique au service du progrès humain, à condition de ne pas souffrir avec excès de la différence entre le riche et le pauvre. L’égalité des conditions, civile et juridique, est un gage de démocratie, ce en quoi Tocqueville est fidèle à Benjamin Constant. Voilà la perspective proposée à l’Europe et à la France.

Mais cette passion de l’égalité, peut devenir dangereuse pour les libertés des citoyens, encourageant le conformisme et menaçant les différences et réussites individuelles. L’empire de la majorité fait mieux que les bûchers pour détruire les livres subversifs, « elle a ôté jusqu’à la pensée d’en publier ». Ce qui est une préfiguration des concepts d’autocensure et de l’intimidation par la masse.

Bientôt, Tocqueville en arriva au concept de « despotisme démocratique », étant donné l’emprise de la tyrannie de la majorité : « Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire (…) Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire (…) il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre-arbitre (…) le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d’un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule, il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète (…) un pouvoir unique, tutélaire, tout puissant, mais élu par les citoyens[3] ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Françoise Mélonio n’a pas tort de penser que notre philosophe et sociologue tire de l’Amérique, «  une vision exagérément irénique », du moins par contraste avec la France de son temps. Cependant l’on a compris que la démocratie recèle en son sein de dangereuses espérances…

Moins célèbre est L’Ancien régime et la révolution. Livre d’historien, certes, mais aussi d’analyse politique, qui « traque l’origine du penchant des Français pour les Bonaparte », soit pour les hommes providentiels, voire les tyrans…

Pour revenir à la savante biographie de Françoise Mélonio, grâce à elle l’on sait tout ou presque sur la famille de notre cher Alexis de Tocqueville, ses deux frères, moins brillants, sa carrière judiciaire déçue, son travail de parlementaire. Mais aussi sur sa maîtresse Marie, qu’il finira par épouser, alors que sa fidélité lui permettra de veiller – avec l’ami Beaumont – sur ses manuscrits et leur publication, après la mort précoce de notre sociologue et philosophe politique, en avril 1859, soit à l’âge encore tendre de 54 ans.

Et loin de n’être qu’une biographique narrative, il s’agit là d’une biographie intellectuelle et conceptuelle. C’est « éclairer, à travers un parcours individuel, l’Histoire politique et intellectuelle du XIX° siècle et celle, en amont, de la Révolution », mais plus encore permettre au libéralisme économique et politique de se voir justifiés par l’acuité de l’observation et de la pensée. Tocqueville ne fut romantique que dans sa passion des libertés et des grands espaces américains, mais plus exactement un héritier des Lumières, tant la liberté individuelle et de la presse devait être pour lui le pilier de la démocratie libérale.

Glissons vers des versants méconnus parmi l’œuvre de ce chantre du libéralisme.  Par exemple grâce aux éditions Le Passager clandestin de nous ouvrir des yeux curieux. Car ces Quinze jours au désert sont un précieux journal de voyage dans les profondeurs du Michigan, en 1831. L’auteur parcourt une nature qui le stupéfie par sa vide immensité, en une perspective digne du sublime romantique, où les colons font preuve d’une force physique et morale extraordinaire en vue d’y construire un pays neuf « qui marche à l’acquisition des richesses ». Mais admirant ces villages qui deviennent des villes, déplorant l’abattage des arbres, il est « en quête des sauvages et du désert ». Qui eût cru qu’un tel penseur allait faire preuve de tant d’empathie envers les Indiens, ce « peuple antique, le premier et légitime maître du continent », qu’il allait s’alarmer du comportement des blancs, de leur « égoïsme froid et implacable lorsqu’il s’agit des indigènes » ? Sa première rencontre est pourtant décevante : « Aux vices qu’ils tenaient de nous se mêlait quelque chose de barbare et d’incivilisé qui les rendait cent fois plus repoussants encore ». L’eau de vie qui dévaste leur santé permet aux nouveaux Américains de se déculpabiliser, bien qu’ils la leur vendent… Enfin, il est touché par leur « charme réel », leur fierté, leur bonté, leur attachement à la vie dans la nature, leur « indépendance barbare ». Sans céder au mythe du bon sauvage, Tocqueville, sociologue perspicace, est un humaniste attentif à la condition humaine, y compris des femmes des colons, des métis, ainsi qu’à la variété des religions chrétiennes qui n’empêchent malheureusement pas « le sort final réservé aux races sauvages », soit les massacres, l’exil vers de pauvres pâturages, des réserves arides…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous ne partagerons pas forcément les convictions de Tocqueville sur la colonisation de l’Algérie. Pourtant il ne faut en rien oublier que la prise d’Alger, en 1830, fut orchestrée pour mettre fin aux pirateries, pillages et réductions en esclavage par les navires barbaresques venus de ce même port. Ainsi cessèrent enfin ces violences séculaires. Est-ce à dire qu’il fallait compléter la chose par la colonisation de l’Algérie ? Une expédition guerrière coûteuse mobilise des effectifs militaires importants et des moyens financiers considérables. Parmi les personnalités politiques, certaines exigent le retrait des troupes françaises, d’autres préconisent une occupation limitée, d’autres enfin sont en faveur de l’extension de la domination et de la colonisation.

Rappelons-nous à cet égard que Jacques Marseille[4], pensant d’abord établir les bénéfices de la colonisation en faveur de la France, finit par s’apercevoir qu’au contraire, en exportant hommes, matériaux, capitaux et subventions, l’affaire fut largement déficitaire… L’on se doute que, malgré le travail scrupuleusement documenté de l’historien, une cohorte de bien-pensants gauchisants le vilipende à l’envi.

Pour revenir à notre Tocqueville, alors qu’il était déjà nanti d’une abondante documentation, il est nommé membre d’une commission extraordinaire attachée à l’Algérie. En 1841, puis 1846, son enquête soucieuse lui permet de découvrir villes, villages, de faire connaissance avec la population indigène, et d’abord « l’état social et politique des populations musulmanes et orientales : la polygamie, la séquestration des femmes, l’absence de toute vie publique, un gouvernement tyrannique et ombrageux[5] ». Découvrant également les acteurs français, et sans guère hésiter, Tocqueville approuve la colonisation, y compris avec le recours de tribunaux d’exception qui relèvent du droit de la guerre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le prolixe et bavard Michel Onfray, familier une fois de plus de l’emporte-pièce, n’hésite pas à déboulonner la tocquevillienne mémoire, usant du réquisitoire à l’envi. Tocqueville et les Apaches, sous-titré « Indiens, nègres, ouvriers, Arabes et autres hors-la-loi », permet de dévoiler un penseur de la démocratie et de la liberté qui justifie le massacre des Indiens d’Amérique, l’apartheid entre Noirs et Blancs, la violence coloniale en Algérie, le coup de feu contre les ouvriers quarante-huitards. Pour Michel Onfray, « si l’on est blanc, catholique, Européen, propriétaire, Tocqueville est le penseur ad hoc », trois qualificatifs fort exagérément dépréciatifs.

Tocqueville désapprouve moins « la grande plaie » de l’esclavage par empathie humaniste que pour cause d’une rentabilité économique bien moins efficace que la liberté et le salariat. Mais Michel Onfray omet de faire allusion à des pages plus clémentes, plaidant la cause des Noirs du Nord des Etats-Unis : « Ainsi le Nègre est libre, mais il ne peut partager ni les droits, ni les travaux, ni les douleurs, ni même le tombeau de celui dont il a été déclaré l’égal[6] ».

Il est, pour Michel Onfray, celui qui justifie et légitime « ce que l’on nomme aujourd’hui ethnocide ou crime de guerre », en particulier dans le cas de l’Algérie. En effet Tocqueville ne se lasse pas de démonter « que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays » que « des voyages meurtriers [lui] paraissent quelquefois indispensables[7] ». Certes Michel Onfray n’a pas tort de dénoncer un « manuel de guerre coloniale », mais c’est négliger la dangerosité de l’islam et des conquêtes arabes, quoiqu’il écrivit un volume brouillon pas toujours cohérent, néanmoins passablement informé, peu amène envers son objet d’étude, intitulé Penser l’islam[8].

C’est pourtant exiger de Tocqueville qu’en dépit de son inscription dans son siècle il soit en tout parfait et conforme à quelque notion du bien absolu qu’un Onfray ne peut représenter péremptoirement, à l’instar du modeste critique qui joue sur son clavier pour produire cette lecture et cette réflexion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le sociologue Raymond Boudon est à juste titre beaucoup plus sensible à la pensée de notre Alexis. Dans Tocqueville aujourd’hui, il se pose les indispensables questions suivantes. « Pourquoi est-il si difficile de réformer l’État français ? Pourquoi y a-t-il beaucoup plus de fonctionnaires en France qu’en Allemagne ? Pourquoi les Américains sont-ils beaucoup plus religieux que les Anglais ou les Français ? Pourquoi le culte de l’égalité prend-il le pas sur celui de la liberté ? » Tocqueville prédisait et expliquait l’apparition du culte des droits de l’homme, l’éclatement des religions, le succès de la littérature facile, les effets pervers de l’État-providence, les résistances au libéralisme. Ce dernier avait vu juste tant les choses ont empirées en notre XXI° siècle. Aussi Raymond Boudon accuse-t-il les intellectuels et gouvernants français de ne pas lire Tocqueville, tant le marxisme et l’étatisme centralisateur obèrent la liberté et la croissance françaises.

Pauvre Tocqueville, si tu revenais parmi nous… Voulant assurer « le mirage de la justice sociale » – selon la formule de Friedrich August Hayek[9] – l’égalité économique, écrêter les riches pour donner aux pauvres assistés et autres immigrés importés par flottilles, notre Etat dévoyé, notoirement incompétent, dévore ses enfants et n’en rejette que les os, à force de se dévouer à une obèse sociale redistributive, non seulement dispendieuse, mais contreproductive, car ruineuse, tant sur le plan de la dette appauvrissante que sur le plan civilisationnel. Voici fleurir, sous nos yeux pour le moins inquiets, pour revenir à notre Tocqueville, « les périls que l’égalité fait courir à l’indépendance humaine[10] ». Reste à longuement méditer sa distinction entre la centralisation administrative, liberticide, et la centralisation politique, indispensable pour la sécurité nationale. Et combien « le résultat général de toutes ces entreprises individuelles dépasse de beaucoup ce qu’aucune administration ne pourrait entreprendre. […] Le plus grand soin d’un gouvernement devrait être d’habituer peu à peu les peuples à se passer de lui[11] ». Nous en sommes bien loin, hélas…

Thierry Guinhut

 La partie sur Quinze jours au désert fut publié

dans Le Matricule des Anges, juin 2011

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Brigitte Krulic : Tocqueville, Folio 2016.

[2] Olivier Zunz : Tocqueville. L’homme qui comprit la démocratie, Fayard, 2022.

[3] Alexis de Tocqueville : De la Démocratie en Amérique, II, IV, VI, Œuvres II, Pléiade, 2001, p 836-838.

[4] Jacques Marseille : Empire colonial et capitalisme français, Points, 1989.   

[5] Alexis de Tocqueville : Notes du voyage en Algérie de 1841, Œuvres I, La Pléiade, 2001, p 660.

[6] Alexis de Tocqueville : De la Démocratie en Amérique, II, IV, VI, Œuvres II, Pléiade, 2001, p 398.

[7] Alexis de Tocqueville : Notes du voyage en Algérie de 1841, Œuvres I, La Pléiade, 2001, p 706.

[8] Michel Onfray : Penser l’islam, Grasset, 2016.

[9] Friedrich August Hayek : Droit, législation et liberté, II, PUF, 2013.

[10] Alexis de Tocqueville : De la Démocratie en Amérique, II, IV, VI, Œuvres II, Pléiade, 2001, p 849.

[11] Alexis de Tocqueville : Voyage en Amérique. Cahier non alphabétiques 2 et 3, Œuvres I, Pléiade, 2001, p 66

 

 

Photographie : T. Guinhut.

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7 octobre 2025 2 07 /10 /octobre /2025 10:16

 

 Parador de San Ildefonso de La Granga, Segovia, Castilla y León.

Photographie : T. Guinhut.

 

 

 

La Bibliothèque du meurtrier,

 

versus Bibliothèque Hespérus,

 

roman.

 

 

XIX

La vraie vie d’Allan Malatesta

 

 

      - Et puisque l’affreux Zeldon nous a livré sa version des faits, avança Mathilde Bénédicte, ne faut-il pas nous dire quelle fut votre vie, et, surtout, nous offrir le cheminement de la vocation qui vous a conduit à édifier cette bibliothèque ?

      - Eh bien, vous n’avez plus qu’à m’écouter vous lire ce nouvel écrit, en ce volume soigneusement relié de pourpre, soit ma vraie vie, foi d'Allan Malatesta ; en quelque sorte le memento de la Bibliothèque Hespérus :

 

Comme vous ne l’ignorez plus, loin de moi ce Zeldon Malatesta, meurtrier en série des bibliophiles de mauvais goût, qui crut pouvoir me mettre ses crimes sur le dos et dont vous avez découvert le corps définitivement défunt dans le Mausolivres.

Mon nom, Allan Malatesta, d’origine médiévale, viendrait de quelque brute avinée, ou d’un condottière de la Renaissance, ce qui n’est guère contradictoire. Comme quoi, du moins je l’espère, il n’a pas de fatalité induite par le patronyme. Le solstice de juin vit ma naissance. Alors que Zeldon Malatesta avait éclos un 21 décembre, du moins selon la date de son adoption. Mes parents, impatients d’attendre un enfant qui ne venait pas, l’avaient adopté au moyen d’une obscure agence spécialisée dans les orphelinats roumains. Il n’avait sur ses langes, qu’une étiquette de carton sur laquelle cet étrange prénom était maladroitement calligraphié, comme à demi mouillé de larmes séchées. Je naquis trois ans plus tard. Mère et père ne faisaient pas la moindre différence à cet égard entre leurs deux garçons ; et ils s’efforcèrent de tenir parole.

Et je n’étais pas seul. Puisqu’après une vaine attente, c’étaient des jumeaux que le ventre de ma mère portait, et que mon père écoutait et sentait bouger au bonheur de ses baisers attendris. Ma sœur s’appelle Angelina. Et si nous n’étions pas semblables, ne serait-ce que par le sexe, nous fumes longtemps complices.

À l’âge de vingt ans, ma chère Angelina crut bon de s’acoquiner avec un homme qu’elle aimait selon ses dire « à s’en tordre les tripes ». Un étudiant en Lettres qui ne jurait que de devenir écrivain, dont les phrases, prétendait-il, coulaient dans ses veines créatrices. Mais à la déception de tous, et d’Angélina la première, c’était surtout l’alcool qui nourrissait et pourrissait ses artères. Faute d’autre inspiration, Oxyel Dreamend ne réussit qu’à narrer ses traumatismes et ses alcools forts dans un pseudo-roman, qui put persuader un éditeur de le publier. Ce fut un échec désastreux. Une presse muette, soixante-et-onze exemplaires vendus, des retours par centaines dans les presses à recyclage, un refus net et poli de l’éditeur d’envisager une autre publication… Malgré les tentatives de consolation raisonnable d’Angélina, qui arguait que l’échec d’un premier livre ne présageait pas de l’échec des suivants, qu’il y avait d’autres éditeurs, qu’il fallait se tourner vers d’autres sources d’inspiration, qu’elle serait sa Muse, le drôle aux traits déjà émaciés cherchait à compenser le sang de l’écriture perdue par les abysses des cocktails violemment alcoolisés, jusqu’au désastre glorieux et rapide du delirium tremens. Personne ne sut si le balcon avait été complice d’une chute écrasante. Ne restaient à ma sœurette que des larmes. Qu’elle sécha un peu plus tard en jurant de ne jamais plus aimer ; de ne se consacrer avec ferveur qu’à sa galerie d’art qui commençait à trouver une clientèle aussi fortunée qu’avisée. Ce qu’elle fit avec constance et sagacité. Pourtant elle céda aux avances d’un Professeur d’Université spécialisé dans l’Art contemporain. Bien lui en prit, puisque cet homme lui permit, outre un mariage harmonieux, d’enfanter deux filles, qui sont également mes nièces préférées, Alice et Gisèle.

Vous savez maintenant où j’ai puisé l’inspiration de mon récit L’Ecrivain voleur de vie.

Lorsque Zeldon se révélait turbulent, préférant jouer les chenapans plutôt que d’étudier, à chacun de mes petits succès scolaires je réclamais d’enfantines encyclopédies, que père et mère m’accordaient volontiers.

Bientôt, à la faveur de mes aptitudes scientifiques et mathématiques, en sus de mon cursus de Finance internationale, j’accédais à l’Ecole Fédérale Polytechnique de Zurich, puis au saint des saints de la banque Burgenstein & Valais. Entretemps, sans compter allemand, français et anglais, j’avais appris le latin par jeu et surtout de façon à pouvoir lire dans l’original Copernic – De Revolutionibus orbium coelestium – et Newton – Philosophiæ naturalis principia mathematica – tout en sachant combien l’argent meut les étoiles humaines…

Pendant ces années de jeunesse, Zeldon avait cru bon de fuguer, de revenir, de frôler la prison pour usage et revente de drogue, de désespérer mes parents, qui, de guerre lasse, lui avaient alloué à sa majorité une pension mensuelle suffisante, hélas pour préférer l’alcool certain et les filles douteuses, des boulots de courtier plus ou moins fallacieux et des bricolages d’informaticien filou. Il vaquait le plus souvent loin de Zurich. L’on croyait en être ainsi débarrassé. Mais il obsédait de son ombre mes parents, qui culpabilisaient, comme s’ils avaient commis un crime d’adoption indu, alors qu’ils n’avaient rien à devoir se reprocher ; ce que je disais régulièrement, finissant par les apaiser.

Vous devinez là d’où j’ai tiré l’insistante inspiration qui me fit écrire Le Clone du couloirdelavie.com.

Pourtant il revint un jour, affublé d’un vilain tee-shirt noir à l’effigie de Che Guevara, ce trop fameux portait photographique aux cheveux romantiques, vantant l’effigie ornant sa poitrine comme le libérateur des peuples opprimés, comme la revanche des mal-aimés, hurlant des outrages insensés, jurant d’abattre le capitalisme dont nos parents étaient le modèle et le véhicule, alors qu’il en suçait chaque mois l’argent sans la moindre contrepartie. Depuis qu’il fut jeté dehors par le majordome et garde du corps, nous ne le revîmes plus. De loin en loin, l’écho de ses frasques nous parvenait : rendez-vous louches dans des clubs de poker, des courses hippiques truquées, diverses inculpations pour trafics de drogues multiples et séjours sous les écrous, club anarchiste dissous par les autorités.

Vous avez deviné que là j’ai tiré l’inspiration du récit que vous avez lu : Le Club des tee-shirts politiques.

Je ne voudrais pas véhiculer des clichés manichéens entre deux frères si dissemblables, mais la réalité est parfois ainsi faite. Certes je ne pouvais prétendre à aucune perfection. N’étais-pas un brin infatué de ma personne, voire hautain ? Aux côtés de mes entreprenants congénères de promotion, ne prétendais-je pas à l’austérité asexuelle ; face aux jeunettes et plus mûrettes qui m’auraient volontiers capturé, j’affectais la froideur, baladant un long faciès de plomb…

Qu’allais-je faire de ma vie ? Absolument produire des richesses, gagner beaucoup d’argent, et par voie de conséquence en faire gagner aux acteurs économiques environnants, à leurs employés, à leurs familles. Par exemple, parmi les laboratoires de l’Ecole Fédérale Polytechnique de Zurich, plus particulièrement à bord de ceux de physique nucléaire, en œuvrant au service de systèmes de distribution quantique de clé pour sécuriser les données bancaires, ainsi inviolables.

J’étais, par je ne sais quelle grâce de la génétique et de l’éducation, une machine à apprendre. Ne devais-je pas alors penser à la transmission ? Aussi mes compétences en termes de finance internationale et la thèse que je publiais sur les cryptomonnaies allaient me permettre d’être chargé de cours à l’Université de Zurich.

Vous devinez là, outre mon hypermnésie bien digne d’un omnivore bibliophile, l’une des sources d’inspiration du personnage de Morphéor en l’un de mes récits.

Château de Chaumont-sur-Loire, Loir-et-Cher.

Photographie : T. Guinhut.

 

Bien qu’avec un prénom européen, Giseline était asiatique, d’origine chinoise, ses parents ayant pu fuir sur une jonque pourrie la tyrannie de Mao Ze Dong. Je ne vis qu’elle parmi mes étudiants, je l’aimais, ne n’osais tant elle était réservée, elle n’osait, et pourtant ce fut elle, sous le prétexte d’une question sur la variabilité des taux de change, qui laissa sur mon col de chemise la trace de son rose à lèvres, aussitôt donnée, aussitôt enfuie. Pour que nous nous retrouvions étroitement pendant huit années, seulement…

C’est un accident, route mouillée, chauffard drogué, plombé d’amphétamines et de cannabis, qui causa son décès. Et si je n’ai pas changé ma tristesse, mon souvenir d’elle, quoique j’y ai ajouté le jeu des Pokémons inspiré par mon neveu, j’ai changé l’accident en l’attentat islamiste que vous avez lu. Ce n’était qu’un affreux accident, cela devint dans la fiction, un reflet des conflits civilisationnels qui nous ballotent.

Vous savez ainsi comment j’ai cru devoir écrire Les Neiges du philosophe.

Quant à l’étudiante Elsa Véronèse, qui n’avait évidemment ni ce nom ni ce prénom, tout s’est passé comme je l’ai dit, sauf que je ne suis pas Morphéor et que je n’enseignais par l’Histoire de la connaissance, sans oublier que dans le cadre de cours sur l’Histoire des échanges monétaires je ne pouvais penser à faire écrire un sonnet. Sauf la seconde partie, car jamais elle n’est venue, en toute logique au regard des trois décennies qui me séparaient d’elle et que je n’aurais pas eu le cœur de lui imposer. Seul le tableau est venu. Je ne l’ai jamais revue. Mais mon petit Instagram me dit un jour qu’elle avait trouvé un amoureux, qui, semble-t-il, la comblait. J’en fus à la fois stupidement mélancolique et fort heureux pour elle. Savait-il caresser son visage comme il le méritait ? La fiction compensatrice du conte de fée lyrique a joué son rôle n’est-ce pas… N’est-ce pas la raison d’être de nombreux livres ?

Encore une raison d’être de mon récit Morphéor ou l’intelligence quantique amoureuse.

J’eus donc très tôt le sentiment d’être infiniment différent. Je vous accorde qu’une vanité de caste en même temps qu’une fatuité préadolescente y furent pour quelque chose, mais c’est lorsque l’impression confuse et continue de ne rencontrer que des êtres limités – idées courtes, clichés et comportements codifiés – se heurta à son contraire au cours de mes lectures que je me sentis aspiré dans un univers d’élection, d’aventures, d’intellections et de passions. Certes j’éprouvais plus tard et parfois les mêmes sensations au contact des grands films, sans parler des musiques, quoique la précision du mot, de la syntaxe et de l’outil rhétorique me parût plus à même de me dire et de dire le monde.

Ainsi, mes lectures enfantines et adolescentes m’emmenèrent sur cent îles au trésor, parmi voyages extraordinaires et mille et une nuits, de la terre à la lune et au centre de la terre. Et bientôt entre raison et sentiment. Je vécus la guerre des mondes et des liaisons dangereuses, je fus tour à tour Meaulnes et Fabrice del Dongo, Emma Bovary et Anna Karenine. Trop tôt peut-être, je trouvai le lys dans la vallée, la Vénus à la fourrure et l’assassinat considéré comme un des beaux-arts. Voyez comme je suis fidèle à la mission éducative, pacificatrice et pervertisseuse des littératures… Il me fallut alors faire catleya, vivre les grandes espérances, sachant bien qu’il ne suffisait pas, pour faire œuvre de génie, d’imiter ses modèles par les plus savants pastiches. Il me fallait vivre pour faire vivre mes contes et récits.

Très vite, cependant, vivre m’apparut un brin vulgaire. L’art, seul, est l’élite de la vie. J’abandonnais volontiers les manifestations triviales de l’existence à la plupart de l’espèce humaine qui m’entourait avec la distance requise, pour ne m’attacher qu’aux plus hautes et durables manifestations de l’humanité. Un livre pouvait contenir et dépasser une vie, soixante-dix-neuf ans de vie ne valaient la plupart de temps pas même un sonnet de Shakespeare, pas une éphémère gorge féminine ne valait Les Belles endormies de Kawabata. Et si, d’aventure, l’art du typographe, du graveur, de l’illustrateur et du relieur, avait doublé avec une harmonieuse audace la qualité de l’œuvre littéraire, historique, religieuse ou scientifique que le lecteur y déchiffrait, c’était pour moi summa con laude. Sans compter que tenir entre ses doigts, comme le plus délicieux et pérenne des fétichismes, la première édition où la main de l’auteur avait caressé l’émoi de sa naissance, ajoutait une incomparable valeur d’Histoire et d’émotion…

Alors, tout en gérant pour les plus grandes banques de Lucerne et Genève, de Bâle et Zurich, des portefeuilles fabuleux aux potentialités inouïes, je mis ma fortune familiale et personnelle au service de la constitution de ce que j’eus le projet de voir devenir la plus belle bibliothèque privée d’Europe, sinon du monde.

Tout cela me semblait encore insuffisant. Quelle serait l’œuvre de ma vie ? Comme dans le nord scandinave, au Svalbard, l’on avait créé une banque génétique de semences, en entreposant, dans une mine de charbon abandonnée devenue chambre forte sécurisée, plus de 10 000 échantillons, soit 2 000 cultivars de 300 espèces différentes sur plusieurs années, j’allais en concevoir l’équivalent pour le savoir et la créativité humains.

Il me fallait alors patiemment non seulement construire selon un plan soigneusement médité avec mon architecte Mario Botta cette bibliothèque, mais la remplir avec méthode. Laquelle dissimulée au flanc de la presque circonférence d’une montagne rocheuse et arbustive, en sacrifiant le moins d’arbres possible. Alors que la maison qui la surmonterait, villa modeste et seule aisément visible, serait de plain-pied exposée au sud. En cette villa je ne dormirai guère, puisque la bibliothèque comporterait une salle intitulée « Hypnos », dont les divans seraient entourés de livres de littératures et de sciences consacrées au sommeil, aux rêves, autour des Belles endormies du Japonais Kawabata.

Un octogone central, consacré aux encyclopédies, manuscrits médiévaux parfois enluminés et incunables, duquel partent huit couloirs vers autant de salles, ce sur deux niveaux, sans compter la crypte évidemment souterraine, que vous connaissez sous le nom du « Mausolivre ».

Tandis que les murs des couloirs seraient garnis d’ouvrages de géographie, voyages et explorations, les salles seraient enrichies chacune de littératures. L’Extrême Orient, les Amériques, l’Europe, l’Arabie, l’Inde et l’Afrique. Il y aurait aussi un espace pour la philosophie, pour la poésie, un autre pour la Musique, un autre enfin pour l’Histoire de l’art.

Le sous-sol, ou soubassement de la connaissance et de la culture, serait voué aux mythologies, aux religions et aux sciences, par exemple chimie, physique, médecine, botanique, zoologie, géologie, ce dernier comprenant un pavillon offert aux montagnes et un autre aux mers, alors que l’Histoire couvrirait les murs des couloirs.

Lorsque fut achevée la construction, l’aménagement intérieur, je pus faire venir ce que j’avais déjà entrepris d’accumuler sans ordre. De plus, avec constance, je parcourais les librairies, modernes et d’ancien, voire les brocantes, les catalogues, à la recherche des pièces indispensables, courantes ou plus rares. Je visais une complétude impossible, associant aux grands textes universels, leurs papiers soignés, leurs reliures précieuses…

Bientôt j’imaginais qu’à cette bibliothèque universelle en formation par mes soins éclairés, il me fallait ajouter mes propres et indispensables créations : écrire. Et ainsi lui donner une personnalité plus singulière, inédite. Le défi est probablement insoutenable. Lorsque je résolus d’écrire les livres qui manqueraient – non sans cet orgueil qui me défigure – dans la bibliothèque, je me sentis animé par la foi de l’écrivain. Il faudrait plutôt y voir la stratégie du génie incompris, de laquelle l’injuste esprit du temps est le seul coupable. Certes, je vous vois déjà arguer que cette incompréhension a pour source ma seule incompétence. Peut-être. Mais il faut plutôt diagnostiquer l’incapacité chronique des lecteurs professionnels, à se faire à une œuvre nouvelle, surprenante, et peut-être trop caparaçonnée d’art.

Une fois achevé mon premier conte, je ne voulus pas croire qu’il puisse paraître comme une maigre nouvelle ; même si parmi toutes les lettres de refus, un seul éditeur me proposa de le publier dans une revue, parmi d’autres textes, narratifs et argumentatifs… Non, il me fallait la solitude et l’orgueil du livre, les pages blanches et les pages de titre préliminaires, les grandes marges et le colophon, tout ce qui lui donnerait l’intensité spatiale du roman, sa vastitude polynarrative, bien que contenue dans l’écrin concis du conte. L’Artiste en maigreur déplut s’il fut lu. « Trop satirique et cynique », m’écrivit le seul qui eut la perfide courtoisie de motiver son refus.

Il me faut livrer ici également, après cette autobiographie prétestamentaire du bibliophile, mon testament d’écrivain. J’aurais voulu écrire comme Jean-Sébastien Bach écrivit ses suites pour violoncelle seul. Mais j’ai été et je suis plus seul que ce violoncelle. Il avait son Dieu ; et je n’en ai pas. N’est-ce qu’une froide constatation, ou le drame qui brise le fil d’or des sonates ? Pendant des années, des heures, des décennies, j’ai ciselé des œuvres brèves, le pensant plus aptes à approcher la perfection. Vanitas vanitatum. Je ne me suis guère écarté du genre le plus pur, le plus concis et le plus riche à la fois : le conte ou apologue. Sa dimension réaliste, sa portée magique, voire son enseignement initiatique vers ces régions supérieures de la transcendance qui, sans regret, m’otn toujours fait défaut, sont idéalement à égale distance de l’imitation photographique et de la création enlevée ex nihilo. Vous avez pu constater, cher lecteur caressé dans le sens du fantasme des plumes des anges, que j’ai rangé mes sept livres en quelques paniers de fruits, du plus suave au plus amer : l’Art, la Politique, la Science, la Mort. Un carré magique aux termes palindromes. Un quatuor aux deux violons, un alto et un violoncelle. Mais au sommet, j’ai rangé les récits amoureux, volupté amère, idéalisation délicieuse… Ce pourquoi le récit du parfait accord d’Héléna Venezia et Romain Monts-sur-Guesne est une pure fiction ; sans le moindre ancrage autobiographique.

Lecteur, sans toi, il faut imaginer que de ma bibliothèque, que de tous mes livres, ceux que j’ai collectionnés autant que ceux que j’ai écrits, les lettres se sont peu à peu détachées de leurs pages. Comme des ailes aux plumes noires tombées en miettes sur le sol, il ne te resterait, si tu venais trop tard, après la consommation des millénaires, après que ces langues ne soient plus lisibles par les yeux absents des disparus, plus qu’à pelleter sur le sol ces millions de nouilles en lettres de jais passé pour tenter d’en reconstituer le sens perdu, irrattrapable. Comme des seiches qui auraient perdu leur encre dans un dernier combat inutile et flasque contre la mort de l’océan abandonné par sa planète que l’explosion du soleil aurait ignifiée. Les livres ne seraient plus que des torchons absents où le sens et le poème ne pourraient même plus s’essuyer… Lecteur, tu dois être celui qui de son souffle aspire ces rébus autrefois noirs pour les restituer d’un seul cri de joie au bonheur des pages et aux noms des reliures !

Comme vous avez pu le constater, il subsiste encore des étagères clairsemées, voire des salles vides, au service du futur. Et, puisque j’atteins un âge déjà bien avancé, il me faut penser à ma succession. À qui donc léguer cette Bibliothèque et la Fondation que je suis en train de mettre sur pied pour continuer de la financer ? Mes comptes bancaires pourvoiront plus que suffisamment à cet usage. Quoique je commence à fomenter à cet égard ma petite idée… À charge pour l’heureux et compétent élu de la faire vivre et croître, en l’ouvrant à la disposition des chercheurs et autres amateurs passionnés et délicats.

- Voilà qui est plus clair, en effet…

Thierry Guinhut

La Bibliothèque du meurtrier, versus Bibliothèque Hespérus. roman

Une vie d'écriture et de photographie

 

Bibliothèque Arts & varia.

Photographie : T. Guinhut.

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30 septembre 2025 2 30 /09 /septembre /2025 15:53

 

Iglesia San Agustin, Almagro, Ciudad Real, Castilla la Mancha.

Photographie : T. Guinhut.

 

 

Boccace, père des récits humanistes du Décaméron

chez Diane de Selliers.

Suivi par Les Femmes illustres

et Les Nymphes de Fiesole.

 

 

Boccace : Le Décaméron. Illustré par l’auteur et les peintres de son époque,

traduit de l’italien sous la direction de Pierre Bec, Diane de Selliers, 2025, 660 p, 68 €.

 

Boccace : Les Femmes illustres,

traduit de l’italien par Jean-Yves Boriaud, Les Belles lettres, 2013, 464 p, 47 €.

 

Boccace : Les Nymphes de Fiesole,

traduit de l’italien par Patrick Mula, Les Belles lettres, 2012, 366 p, 55 €.

 

 

Quel prodige d’observation et d’imagination que de rassembler pas moins de cent récits ! Sur une « petite montagne couverte d’arbres variés et de plantes au vert feuillage », sept jeunes dames et trois jeunes hommes se livrent au bonheur des contes.  Ce fut entre 1349 et 1351 que Boccace, au sortir de la peste qui ravagea Florence, entreprit d’écrire, pour conjurer le sort fatal, se divertir et divertir ses contemporains, ce depuis lors fameux Décaméron, soit les dix journées. Mais au-delà de l’efficace divertissement, la dimension satirique, morale et humaniste est bientôt largement reconnue. Certes l’on peut se régaler du récit-cadre et des dix récits de dix personnages réfugiés, en une édition de poche, chez Folio, par exemple. Mais rien ne vaut l’écrin raffiné des éditions Diane de Selliers, dont on sait qu’elles ont publié en de comparables trésors éditoriaux les deux autres couronnes fondatrices de la langue et de la littérature italienne ; nous avons nommé Dante et Pétrarque. Réunissant cinq cents œuvres graphiques et picturales de l’aube de la Renaissance, la narration n’en est que plus fluide et vivante. Ce serait cependant être réducteur que de confiner Boccace à son immense Décaméron, tant il fait merveille avec ses Femmes illustres, son Corbeau et ses Nymphes de Fiesole. Reste que l’ingéniosité du Décaméron n’a pas fini de féconder les arts, tant depuis l’opéra baroque jusqu’au cinéma de Pasolini, voire demain…

Selon la légende, Giovanni Boccacio serait né à Paris. Mais plus certainement en Italie, à Certaldo, en l’an 1313. C’est de sa jeunesse à Florence que date son culte de Dante (1265-1321) l’auteur de la Divine comédie. Décevant la volonté paternelle, il se révéla inapte tant en droit qu’en commerce, et préféra se consacrer à la littérature auprès des érudits de la cour voluptueuse et raffinée de Naples. C’est là que naquit son amoureux roman : Fiametta. Suivirent, comme il se doit en ce temps d’humanisme naissant, des œuvres inspirées par l’Antiquité : Le Philostrate, La Thébaïde, De la Généalogie des dieux

Voilà qui contrastait avec la société florentine où pullulaient les marchands riches et rusés, qu’il retrouva, mais à l’occasion de la peste de 1347. Sa renommée croissante lui valut ensuite de devenir ambassadeur.

Il reprit l’inlassable filon du lyrisme amoureux, avec Le Songe ou le labyrinthe d’amour, ce à l’époque où il rencontre Pétrarque. D’où s’en suivirent d’innombrables conversations et correspondances. Pétrarque parlait à cet égard d’ « une même âme dans deux corps ». Revenu à Certaldo, son foyer devint un rendez-vous de l’humanisme heureux, où l’on découvrait des manuscrits de Martial, Tacite, Apulée…

Ce qui n’empêchait pas sa foi chrétienne. Pour preuve, il reçut les ordres mineurs. Resté fidèle à Dante, il en rédigea une biographie, puis un commentaire de L’Enfer. La mort de Pétrarque, qui l’affecta beaucoup, précéda de peu la sienne… Au faite de sa gloire, Andrea Castagno peignit son portrait, le regard élevé, la main sur un livre.

Les dix nouvelles contées en dix journées par chacun des dix narrateurs du Décaméron sont à chaque fois présidées par la « reine » ou le « roi » du jour, qui propose un thème à suivre, ou, selon, préfère le laisser libre. Chacun d’entre eux a sa personnalité symbolique. Philostrate l’amoureux désespéré, Dioné le jouisseur farceur, Pamphile l’âme sereine, Pampinée la sagesse florissante, Philomèle étant un peu sa sœur cadette, Laurette la maîtresse meurtrie, Emilie la Narcisse, Elise l’amoureuse insatisfaite, Fiamette la parfaite amoureuse, Néphile l’ardente et lascive.

Ces cent nouvelles vont avec plus d’allant que celles médiévales qui circulaient alors. S’il s’agit échapper à la morbidité de la peste – en tant que métaphore de l’iniquité de la population et du châtiment divin – en quittant la cité pour une villa de campagne, et au-delà du récit-cadre, la diversion des récits doit être complète. Aussi faut-il que la langue soit colorée, animée, les personnages variés et les situations piquantes. Or un affrontement constant entre les forces de la nature et les conventions sociales guide les histoires d’amour, de maris, d’amants et de de tromperies, de fausses et vraies vertus. Car l’amour est de la plupart des nouvelles, ce qui culmine avec l’exaltation de la « courtoisie », lors de la dixième journée.

Photographie : T. Guinhut.

Infiniment variés sont les registres, du comique le plus débridé au tragique. Les thématiques galopent de l’ignorance à la sagesse, depuis la sensualité graveleuse jusqu’à la spiritualité la plus sainte. Parallèlement, un initiatique chemin ascendant guide l’œuvre entière, de la dénonciation des vices des grands de ce monde à l’occasion de la première journée, jusqu’à l’éloge des hautes vertus lors de la dernière.

Des personnages hauts en couleurs frappent l’esprit du lecteur. Ciapolletto, un religieux escroc et criminel, devient pourtant une fois mort Saint Ciapolletto ! Le vertueux et riche marchand juif se convertit dans la vie dissolue de la Curie romaine. Un miséreux, Landolfo Russolo, se fait corsaire et ramène un coffret de diamants échappé d’un naufrage. Ferondo est persuadé par un abbé fourbe d’avoir succombé avant de ressusciter. Le cruel prince Tancredi fait boire à sa fille l’eau empoisonnée du cœur de son amant dans une coupe d’or. Natagio émeut celle qu’il aimait jusque-là en vain en lui montrant une fille implacable poursuivie et tuée par deux chiens féroces. Les farces abondent pendant la huitième journée, quand la suivante est volontiers licencieuse, prétexte à de futures illustrations érotiques, par Gravelot au XVIII° siècle, par Brunelleschi au XX° siècle…

Il faut alors prendre conscience, que sous l’égide de l’écrivain, les dix narrateurs dispensent une fresque de leur époque, y compris au sens historique du terme puisque des personnages célèbres y font leur apparition. Le tout surplombé par une éthique admirable, plus précisément grâce à l’autorité de Pampinea, la plus sagace, qui découvre les « richesses les plus chères derrière le paravent des métiers les plus vils », comme elle le met en scène avec l’histoire du boulanger Cisti, « rappelant Messire Geri Spina à la réalité des choses » à l’occasion d’un problème d’importance. De même, la nouvelle conclusive, soit celle de la parfaite Griselda, ne néglige pas d’offrir sa morale : « dans les pauvres chaumières descendent parfois du ciel des âmes divines, tout comme il y a, dans les demeures royales, des gens qui seraient plus dignes de garder les cochons que de gouverner des hommes ».

Celui qui, selon Todorov, est « à l’origine de la narration moderne », aurait-il ou non « mauvaise langue, et venimeuse, parce que, en quelque endroit, [il écrit] la vérité sur les religieux » ? La liberté de ton, parfois bien licencieuse, est réjouissante. En sa conclusion, Boccace se justifie à raison : « Ces choses ne sont dites nulle part entre religieux ni entre philosophes, mais dans des jardins, lieux faits pour la détente, par des personnes jeunes, pourtant sérieuses et irréprochables, et en tant que nouvelles, à un moment où se montrer avec les braies sur la tête pour sauver sa vie n’aurait pas été choquant même chez les plus honnêtes gens ». Le pivot intellectuel des narrations reste considérablement de tous temps : « Toute chose en elle-même est bonne à quelque chose et, mal employée, peut-être nocive à beaucoup d’autres ; et je dis qu’il en est ainsi de mes nouvelles. À quiconque voudra en tirer mauvais conseil et mauvaise conduite elles n’interdiront de le faire […] à qui voudra y chercher utilité et profit, elles n’en refuseront pas et il n’arrivera jamais qu’elles ne soient dites ou réputées autrement qu’honnêtes si elles sont lues dans les circonstances et par des personnes pour lesquelles elles ont été racontées ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En quoi Décaméron est-il humaniste ? Comme Montaigne qui, plus tard professait « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger », comme Erasme dans ses Colloques, il convoque toute une humanité, toutes classes sociales confondues. Ses personnages sont de nobles dames et damoiseaux, mais aussi des bourgeois, de commerçants, des humbles. En ce sens notre préfacier Vittore Branca peut annoncer à cet égard, au moyen d’une allusion balzacienne, une « épopée marchande » et une « comédie humaine ». Vices abjects, vertus aimables, voire héroïques, défilent pour notre amusement, mais également, au deuxième regard, pour notre édification morale. Car un pêcheur, un boulanger peuvent révéler autant de grandeur d’âme qu’un héroïque chevalier. Et nombre de religieux se révèlent d’hypocrites pécheurs, fort dignes du fouet de la satire.

Il est enfin de temps de célébrer le Décaméron, comme l’expression de la naissance du capitalisme marchand, banquier, artistique et littéraire dans la Florence d’un automne éclairé du Moyen âge. Est-ce, alors qu’il offre également un panorama géographique de l’Italie et de la France à l’Angleterre,  l’aube de la Renaissance ?

« Griselda », dernière nouvelle de l’ouvrage est restée justement célèbre. Epouse soumise, vertueuse jusqu’à l’abnégation, n’est-elle pas maltraitée par son mari afin de mettre à l’épreuve sa fidélité et sa patience, finalement récompensées par celui-ci ! Jean de La Fontaine et Charles Perrault réécriront l’édifiante nouvelle en vers, tandis que l’opéra d’Alessandro Scarlatti, puis d’Antonio Vivaldi s’en emparera brillamment.

Son histoire orne également des coffres de mariage, dont l’un, peint par Botticelli. Un autre représente celle de Nastagio degli Onesti, en notre volume entièrement reproduit pour la première fois. Notons que la couverture – mieux que dans l’édition précédente – s’orne de deux narrateurs dans les feuillages, un détail particulièrement signifiant d’une fresque d’Andrea Bonaiuti, soit une Allégorie de la Vanité et des plaisirs terrestres, venue de l’an 1368 et de l’Eglise Santa Maria Novella de Florence.

Outre Botticelli, ce sont Giotto, Lorenzetti, Pisanello qui brillent de vies et de couleurs en ces pages. Les processions, les danses, les navires, les artisans, tout cela pullule, qu’il s’agisse de vues d’ensemble ou de détails choisis. Sans oublier des manuscrits du début du XV° siècle, illustrés au moyen de l’aquarelle, ou par le Maître de la Cité des Dames, des dessins en vignettes noir et blanc au fronton de chaque nouvelle… Entre gothique tardif et pré-Renaissance, les illustrations ne sont jamais gratuites, elles dialoguent avec le texte, en une sorte de contrepoint musical et coloré.

Avouons-le, cette édition du Décaméron est d’une beauté incomparable. Outre la justesse de la traduction et la pertinence des préfaces, l’illustration est encore plus convaincante que dans la première édition en grand format, sous coffret et reliée toile. Car Diane de Selliers a revu la mise en page et la distribution des images, plus élégantes ; de surcroit certaines photographies d’œuvres picturales, de fresques, ont été refaites pour l’occasion, à la faveur de restaurations. Finalement « La petite collection », gagne en maniabilité, en charme enfin…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Inspiré par l’exemple des Hommes illustres de Plutarque, et rédigé en 1361 et 1362, le De mulieribus claris, est connu sous le titre Les Femmes illustres, ou parfois Des Dames de renom. C’est la première apparition, dans l’Histoire occidentale, d’une collection de biographies féminines, exactement cent-six. Novateur en la matière, Boccace y compose une compilation raisonnée des dames remarquables, aussi bien païennes que chrétiennes, dont l’excellence prime autant dans le bien ou le mal, non sans qu’une indispensable morale y soit générée. Elles sont puisées chez Tite-Live, Virgile, Tacite, Pline lʼAncien ou Suétone, ou encore saint Jérôme, et bien entendu dans la Bible. Car Eve trône aux premières pages de l’ouvrage, Jeanne de Naples aux dernières. Entre temps, l’on découvre la Papesse Jeanne, la naïve Paulina, une Romaine qu’aima le dieu Anubis. L’on devine que les femmes y subissent parfois des jugements dépréciatifs traditionnels et fort misogynes, leur faiblesse de caractère étant proverbiale, leur luxure également. Cependant, à l’occasion de l’éloge de figures comme celles de Nicostrata ou Epicharis, les mentalités sont comptables d’un regain de faveur, grâce à la réflexion humaniste sur les vertus féminines. Un tel ouvrage bénéficia aussitôt d’une réelle célébrité. Aussitôt traduit en français par Laurent de Premierfait, y puisèrent aussi bien Chaucer au service de ses Contes de Canterbury que Christine de Pisan, en 1405, pour son Livre de la cité des dames. L’on goûte en cette lecture, l’alliance de l’érudition historique et la légèreté plaisante du conte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Parmi Les Nymphes de Fiesole sont chantées en octosyllabes des amours nobles et pures, dans un cadre inspiré par une mythologie délicieuse que surmonte la chaste Diane. Tout au long de l’immense coulée de 473 huitains, Amour est le dieu, non pas généré au moyen d’une lourde érudition, mais d’une réelle finesse psychologique et lyrique. Récit, monologues et dialogues s’entrelacent au service de l’expression du sentiment.

Une telle poésie pastorale est parcourue de pâtres solitaires, nymphes des bois et diverses divinités champêtres. Cette étrange société voit coexister hommes, dieux et autres êtres, à mi-chemin entre le naturel et le surnaturel, ce parmi les temps primitifs du mythe. Là cependant les élans naturels de l'amour sont contrecarrés par des règles rigides. Car Diane, déesse de la chasse et de la chasteté, sépare rigoureusement les sexes, d’où l’expression d’un irrésistible désir passionné autant que rigoureusement celé. Aussi l'érotisme est-il mesuré entre Africo, un jeune berger, et Mensola, une nymphe bien décidée à éviter toute relation masculine. La séduction parvient à porter ses fruits et l’idylle se noue, quoique la jeune fille doive regretter de s’être laissée prendre. Honteuse, elle se cache si bien que son amant désespérée jamais ne la retrouvera. Courroucée face à cet affront à la loi de virginité, Diane change celle qu’elle découvre mère d’un beau bébé en source :

« Tu ne pourras échapper à mes flèches

Si je tends mon arc, sotte pécheresse !

Mais pour autant Mensola n’a de cesse

de dévaler la pente à toutes jambes ;

une fois au fleuve, elle entre dans l’eau

pour le traverser ; mais Diane profère

certains mots qu’elle adresse à la rivière,

ordonne de retenir Mensola.

 

La pauvre, au milieu du fleuve elle était,

Quand elle sentit ses pieds lui manquer ;

là, par Diane selon sa volonté,

Mensola fut en eau changée ;

et son nom resta toujours par la suite

à cette rivière, qu’à travers elle

Mensola on nomme encore aujourd’hui.

Et voilà de son nom l’origine. »

La métamorphose fait bien entendu penser à celles qu’illustra en ses vers Ovide. Voilà qui met en exergue la dichotomie entre la froide Diane et une Vénus insidieuses aux amours chaleureuses hélas interdites... 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Beaucoup moins connu est Le Corbeau. Roman satirique et onirique à la première personne, il met en scène Boccace lui-même. Econduit par une femme, il doit voyager avec l'âme du mari de cette dernière. Il est ainsi censé l'aider à se libérer de ce « labyrinthe d'amour » bien sombre, infernal en fin de compte, qui l’emprisonne et le tourmente. Car au cours de ce périple souterrain, le roman n’est pas tendre avec ces dames, dont la nature luxurieuse met en péril ces messieurs. Heureusement, lorsque notre écrivain se réveille de son cauchemar, il se sent guéri de toutes ses peines. Ici le noir corbeau, issu du bestiaire médiéval, est allégorique, puisqu’opposé à la blanche et fidèle colombe, stigmatisant les natures perverses, évidemment féminines, ce dans une perspective misogyne une fois de plus. Reste que l’œuvre ne manque ni de verve ni de couleur, quoique intensément noire.

Notre fleuron de l’humanisme naissant écrit autant en prose qu’en vers, en latin qu’en cette langue vulgaire, qui devient après Dante et conjointement avec Pétrarque la langue noble de la péninsule italienne. Il est étonnant, sept siècles plus tard, de pouvoir apprécier à ce point une œuvre divertissante et morale à la fois, qui est une somme des conditions et des passions de notre humanité.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

Boccace : Décaméron, illustré par Brunelleschi, Gibert Jeune, 1934.

Photographie : T. Guinhut.

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18 septembre 2025 4 18 /09 /septembre /2025 10:43

 

Obra anonima, siglo XXI, Parador de Lorca, Murcia.

 Photographie :T. Guinhut.

 

 

 

 

Sorcières diaboliques :

Histoire & représentations féministes.

Robert Muchembled, Julio Caro Baroja,

Dominique Labarrière, Catherine Clément,

Silvia Federici, Mona Chollet, Françoise d’Eaubonne

 & Venko Andonovski.

 

 

Robert Muchembled : La Sorcière au bûcher,

Les Belles Lettres, 2025, 432 p, 26,50 €.

 

Julio Caro Baroja : Les Sorcières et leur monde,

traduit de l’espagnol par Marie-Amémie Sarrailh,

Folio, 2025, 464 p, 9,50 €.

 

Dominique Labarrière : Le Diable. Les origines de la diabolisation de la femme,

Pygmalion, 2021, 224 p, 21,90 €.

 

Catherine Clément : Le Musée des sorcières, Albin Michel, 2020, 304 p, 19,90 €.

 

Silvia Federici : Caliban et la Sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive,

traduit de l’anglais (Etats-Unis)  par le collectif Senonevero, Entremonde, 2017, 464 p, 24 €.

 

Françoise d’Eaubonne : Le Sexocide des sorcières, Au Diable Vauvert, 2023, 80 p, 12 €.

 

Mona Chollet : Sorcières. La puissance invaincue des femmes, La Découverte, 2018, 240 p, 19 €.

 

Venko Andonovski : Sorcière  traduit du macédonien par Maria Béjanovska,

Kantoken, 2014, 482 p, 22 €.

 

 

En 1862, empoignant son romantisme exacerbé, sensuel en diable, Jules Michelet publia non sans remous La Sorcière[1]. Ce rejeton diabolique de la sibylle antique, était pour lui une protestation de la liberté contre les tyrannies catholiques médiévales. Se livrant à Satan, elle est l’esprit de la nature, et l’on ne s’étonne pas que l’ouvrage, adoubé par un succès de scandale, subît les foudres de la censure impériale. Prenons plus largement la mesure de l’ensorceleur phénomène avec un historien avisé, Robert Muchembled, comme il se doit effaré par les milliers de bûchers de la Renaissance. Aujourd’hui c’est le féminisme qui s’empare de la figure symbolique de la sorcière. Aussi un pandémonium de diaboliques sorcières gangrène l’édition, pour notre plus grand plaisir, quoiqu’avec un brin de scepticisme. Car elles ont bien le diable dans la peau, lorsqu’avec Dominique Labarrière l’on fouille « les origines de la diabolisation de la femme ». Cependant en son Musée des sorcières, Catherine Clément déploie celles honnies du passé et celles célébrées du présent. Pour dénoncer ce qu’elle appelle Le Sexocide des sorcières, Françoise d’Eaubonne empreinte la voie vigoureuse du pamphlet. Non loin de la verve de Mona Collet, qui célèbre la « puissance invaincue des femmes ». Cependant, face à l’omniprésent défilée de suppliciées de l’Histoire, le Macédonien Venko Andonovski ajoute un éclairage romanesque en forme de plaidoirie. Il est à craindre cependant que ce retour en grâce des sorcières soit l’aube d’un nouvel obscurantisme.

Peut-être l’essai de Robert Muchembled (né en 1944) est-il la somme la plus précise et documentée qui soit sur ces dames embrasées par une furieuse tyrannie masculine. La Sorcière au bûcher est un titre qui, en sa concision, laisse entendre l’énormité des 40 000 bûchers meurtriers, pour la plupart entre 1580 et 1620, qui enfumèrent et brûlèrent surtout des femmes, mais aussi des enfants, soit 80 % des victimes. Alors que, l’on s’en doute, « la part des femmes jugées puis punies criminellement est partout et toujours inférieure à celle des hommes ».

Une prétendue science fit autorité, la démonologie, et principalement celle « masculine et prophétique » de Jean Bodin[2] qui publia son brûlot en 1580 : « Sorcier est celui qui par moyens diaboliques sciemment s’efforce de parvenir à quelque chose ». Le livre de ce Français, amplement réédité, fut pourtant bien plus suivi hors de nos frontières, soit dans la Franche-Comté, la Lorraine, les Pays-Bas espagnols et surtout dans le Saint Empire germanique. L’on allait jusqu’à appeler l’arc allant de la Mer du Nord aux Alpes « route du diable » ! L’affreux juriste ne préconisait-il pas de faire exécuter les enfants dès douze ans ?

Après avoir proposé un panorama de l’univers de « la magie de survie au village avant les grandes chasses aux sorcières », Robert Muchembled dresse un tableau édifiant de « la mission exterminatrice des fanatiques ». Tous ces théologiens et juges surexcités contraignent les tribunaux laïcs à torturer et cuire à grand feu. Leur virilité perverse pourchasse principalement l’hérésie féminine avec une application insensée.

Comment expliquer ce phénomène ? Alors que précédemment les religieux restaient indulgents envers les savantes en sorts et potions, voici venir l’ère de la concurrence des « efforts d’évangélisation des campagnes « païennes » par les confessions rivales du temps des guerres de Religion ». Ce sont principalement les Dominicains qui sont à la manœuvre et prétendent à une « mission sacrée ». Fort heureusement, le glas des bûchers infligés à la sorcellerie sonne définitivement en 1682.

En attendant cette extinction des feux, nous saurons tout sur la « Grande vauderie d’Arras », autour de 1460, où l’on exécuta force hérétiques adorateurs du diable. Sur « Clauda Brunyé, la vagabonde des Alpes », guérisseuse et empoisonneuse, nantie d’un « génie familier », qui finira en cendres. Et lorsque l’on dit que « toute femme est sorcière », l’infâme Jean Baxius est un dénonciateur hors-pair. Ce denier dénonce en 1593 « la nonchalance de la justice face à la très horrible abomination de sorcellerie, divination, enchantement, désenchantement, éblouissement des yeux et semblables horreurs qui provoqueront la fureur de Dieu sur tout un peuple ». Ce fanatique prophète, obsédé et sans aucun doute sadique, tentait de surcroit de « s’enrichir aux dépens des condamnés à mort qu’il avait dénoncés ». Passons sur les sabbats, les vieilles femmes accusées, « le catéchisme de la peur », les enfants sorciers – des petites filles qui produisent des tempêtes – et les couvents ainsi contaminés…

Malgré l’apparente désuétude de la sorcellerie, notre historien montre que les campagnes du XIX° siècle regorgeaient de guérisseurs, envoûteurs et désenvoûteurs. Les années 1950 font état en l’espèce d’une recrudescence allemande. La même année, le guérisseur Paul Hareng fut requis par un procès pour exercice illégal de la médecine dans le Loiret ; il s’en tira avec de minces amendes et avec la ferveur de ses patients. L’on pourrait ajouter que ces peu rationnels praticiens n’ont pas disparu dans nos provinces du XXI° siècle, et en particulier en Berry.

Pourvu de notes, d’une abondante bibliographie, l’ouvrage de Robert Muchembled – qui a fouillé bien des archives – est édifiant, affreusement pittoresque, passionnant en un mot. Il se paie le luxe d’être en outre illustré par une explicite carte des bûchers (la ville de Cologne brillant avec ses 200 par an) et par des reproductions de peintures et de manuscrits. En particulier les Œuvres de Johann Jacob Wick, un pasteur de Zurich autour de 1570. L’on y goûte d’épouvantables poisons concoctés par le diable et ses sorcières, dont quelques-unes s’embrassent l’anus. De surcroit les variations colorées sur les piles de bois enflammés où gisent les coupables ne manquent pas de donner le frisson.

Concluant son essai par une question rhétorique, notre sorciérologue élargit sa perspective, tout en faisant allusion à Hobbes : « Sous la conduite d’un chef de meute masculin dont le pouvoir se mesure à la férocité qu’il déploie, en la justifiant par la survie du groupe qu’il représente, l’homme n’est-il pas toujours un loup pour l’homme ? » Les sectataires du communisme et de l’islamisme sont leurs dignes successeurs ; non sans complicités féminines, ne nous leurrons pas…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Historien, ethnologue et anthropologue, Julio Caro Baroja (1914-1995) est en Espagne connu pour ses ouvrages de référence, en particulier Inquisition, sorcellerie et cryptojudaïsme[3], hélas non traduit en français. Fort heureusement nous bénéficions de son essai Les Sorcières et leur monde, qui étend le cercle de ses recherches depuis les primitifs et l’ère gréco-romaine jusqu’au XX° siècle.

En fait la figure de la sorcière évolue avec les mythes, les cultures et les mentalités, ce dans le cadre d’une « conception dramatique de la nature ». Elle est magicienne, comme Médée, parfois bénéfique et vénérée, parfois redoutée, dans l’Antiquité ; elle devient diabolique avec le christianisme, exécrée, soumise à l’Inquisition, brûlée. C’est à partir de l’aube du siècle des Lumières que l’on remet en question cette furia de condamnations de femmes le plus souvent innocentes. Car l’on a trop tendance à « lui attribuer en bloc tous les maux dont souffre la société ».

Entre démons et sabbats, « culte du bouc » et « nuit de Walpurgis », elle marque de longtemps l’imaginaire. De manière très précise, Julio Caro Baroja étudie la sorcellerie en pays basque, où règne encore une « démonolâtrie moderne ». Il interroge psychiatrie et théologie, balaie l’Allemagne et l’Irlande, lit pour nous De la démonomanie des sorciers de Bodin, qui écrivait à charge de manière fort prolixe, examine attentivement la peinture de Jérôme Bosch et de Goya généreux en vieillardes effrayantes. En fait, plutôt que la fantasmatique abomination des sorcières, mieux vaut se scandaliser des harcèlements, des tortures et des bûchers. Une somme qui ensorcelle son lecteur…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il n’a pas de sorcière sans diable. Il faut donc le percer à jour pour connaître ces dames sulfureuses. Quand est né le diable ? Séparant radicalement le bien et le mal, le prophète perse Zarathoustra opposait à Ahura Mazda le maléfique Ahriman. En conséquence Dieu et le diable seraient, selon la tradition manichéiste, deux puissances indépendantes. De plus le second pourrait venir de Seth vaincu par Horus, deux dieux égyptiens, alors que Seth représentait le temps féminin et matriarcal de l’humanité. À cette relation entre la féminité et l’engeance diabolique s’ajoute celle de la tradition biblique, lorsqu’Eve, tentée et tentatrice, entraîne l’humanité à venir dans sa chute, ainsi vouée au mépris alors que la Genèse fait d’elle la « chair de la chair » d’Adam. Outre Satan, prince des ténèbres, puisque Lucifer il succomba au péché d’orgueil, les démons inférieurs succombèrent à luxure pour avoir trouvé belles les filles de la terre. Ce sont ces « incubes », dont ne doutèrent ni Saint Augustin ni Saint Thomas d’Aquin, néanmoins philosophes et grandissimes pères de l’Eglise, et qui séduisent infiniment les femelles de l’homme. Ainsi, confirme Dominique Labarrière, « le lien entre diable, femme et sexe est constamment réaffirmé ».

De plus Adam aurait eu une première épouse, Lilith : venue de la démone babylonienne et trop orgueilleuse égale, ou stérile qui sait, ce pourquoi elle fut châtiée et se serait vengée en envoyant le serpent auprès d’Eve. Les archétypes de la femme entachée de diabolisme sont en place. Voilà qui « nourrira l’hystérie de la chasse aux sorcières », pour reprendre la belle formule de notre essayiste renvoyant l’hystérie au masculin.

Si au Moyen Âge l’on peut berner Satan, l’église a bientôt l’esprit malin de réaffirmer sa puissance pour assurer sa propre autorité. Il faut le traquer parmi les hérésies, qu’elles soient cathares ou individuelles. C’est là que l’Inquisition se régale des turpitudes féminines avec le démon, car belle au dehors et « putride en dedans », la femme est selon Odon de Cluny, au X° siècle, un « sac de fiente ». La métaphore est galante, n’est-ce pas ? Pourtant le Moyen Âge accorde noblesse aux femmes, qui ont ce que l’on appelle la « capacité juridique » et ne manquent pas de figures d’exception, ne serait-ce qu’Hildegarde de Bingen et Christine de Pizan.

Au XV° siècle, ce sont les Dominicains qui écrivent Le Marteau des sorcières[4], de façon à pouvoir guider l’impétrant en sa chasse gynophobe. Car les « turpitudes sexuelles », c’est bien connu, sont féminines, pour dérober la semence masculine et pour jurer allégeance à Satan lors des sabbats, quoiqu’il s’agisse de « réminiscences de cultes de la fertilité ». L’imagination des « démonologues » est trépidante ; car pour enduire d’onguent le manche chevauché par les amatrices d’anus de Satan,  il faut « faire bouillir un enfant » et en prendre la graisse ! Soupçonnées de commerce sexuel et de messes noires avec le diable, des milliers de prétendues sorcières furent brûlées avec le soin de cet acte d’accusation…

Au prosélytisme démoniaque s’associent le diable fornicateur et la fureur utérine que l’Inquisition accuse et condamne à sa guise avec l’aval du peuple, gourmand de dénonciations et autres sombres vengeances : « Il suffit de déplaire ou de trop plaire », pour accuser l'une de voler en chevauchant un balai et l'autre de copuler avec le démon. Ainsi le juriste Jean Bodin édicte sans vergogne, dans La Démonomanie des sorciers, en 1580 : « Le soupçon est une base suffisante pour la torture, car la rumeur populaire n’est presque jamais mal informée ». Il faudra attendre 1682 pour que Colbert interdise « aux tribunaux d’admettre l’accusation de sorcellerie », moins par bonté d’âme du roi Louis XIV que pour protéger sa favorite, Madame de Montespan, compromise dans la trouble Affaire des Poisons. Vient alors le temps pour les libertins du « satanisme mondain », mais aussi de « l’emprise mentale et sexuelle d’un confesseur, d’un directeur de conscience, d’un moine », tout ce qui trouvera son acmé dans les romans du Marquis de Sade. L’essai devient ensuite une petite anthologie des plus curieuses histoires de sorcelleries, telles « L’horloge de Saint-Placide », de la « veuve noire de Kilkenny », puis, cerise sur le gâteau, de « l’excrément sacré ».

Documenté de maints contes de femme-louves démoniaques et autres rapports sur  les méfaits des sorcières et leurs grotesques histoires de « possédées », par exemple de Loudun, l’ouvrage historique témoigne d’une théologie devenue folle, puis des fantasmes et superstitions, mais aussi des mœurs érotiques. Illustré d’un cahier de gravures et peintures, augmenté du texte de l’ « Exorcisme contre Satan et les anges apostats » édicté par le Pape Léon XIII (associé à celui valide encore aujourd’hui) et pratiqué sans discernement, il est sommé par un indispensable « Hymne à Satan » d’Iwan Gilkin. L’essai de Dominique Labarrière, quoique cédant un peu trop à l’anecdote au dépend de la rigueur historique, est aussi instructif que distrayant ; et effrayant ; tant il témoigne du meurtrier opprobre longtemps jeté sur la femme et sa sexualité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le réquisitoire de Catherine Clément est bien plus vigoureux, dénonçant un « crime contre l’humanité » en son Musée des sorcières. Avec notre essayiste, le mot « sorcière » passe de l’exécration médiévale à l’élogieuse réhabilitation chez nombre de femmes d’aujourd’hui, d’où ce titre qui n’est pas seulement historique mais de l’ordre de l’éloge. Car, dans une perspective féministe devenue respectable, elle dresse un impressionnant tableau du rejet de l’individualité des femmes par un pouvoir à la fois religieux et masculin, dont, prétendument, « le membre viril est en danger ». Bourreaux et bûchers n’ont eu de cesse de châtier les femmes et leur « hystérie », un terme qui connut encore le succès chez Freud au XX° siècle.

Qu’elle soit magicienne ou sorcière, il suffit qu’elle « pense seule », selon Le Marteau des sorcières, pour être mise à mal depuis l’Antiquité. Le Christianisme déplorait le maléfice des déesses et figures femelles du paganisme : Isis l’Egyptienne, puis Hérodiade et Salomé qui obtint la tête de Saint Jean Baptiste. Ce malgré les nombreuses figures féminines positives de la Bible, comme Esther, Judith, Marthe et tutti quanti. En 1326, Jean XXII rédige « la bulle pontificale qui assimile la sorcellerie à une hérésie ». Contre la « peste féminine », l’Inquisition dominicaine doit sévir. Une fois dénoncée, la malheureuse, persuadée d’user de philtres et de sorts, de jouir d’une sexualité attentatoire à la chasteté, était le plus souvent considérée comme « la catin d’Asmodée », l’un des lieutenants du diable. Même ses hurlements sur le bûcher étaient entendus comme des manifestations diaboliques.

Entre autres nombreuses occurrences, l’essayiste rapporte le cas de Pierre de Lancre, qui en 1609 fut chargé par Henri IV de vider de ses sorcières le Labourd basque. Ce pieux serviteur de Dieu glosait sur « le Malin sodomisant les gueuses aux cheveux libres ». Aussi offrit-il à la bénédiction publique des flammes quatre-vingt maudites païennes qui aimaient danser la sarabande et se comporter de façon un tantinet légère. Ce qui permet à Catherine Clément de pointer le sadisme libidineux du bonhomme. D’autres préfèrent offrir leurs filles « contorsionnistes » en spectacle pour faire merveille de possession soudain guérie. Les récits de mortifications des nonnes, de leurs « crêpages de chignons », des exorcismes spectaculaires sont quant à eux assimilés à des cas de névroses. Alors que ces dames cloîtrées ne répugnent pas à la bagatelle, au point qu’une « Angélique d’Estrées, abbesse de Maubuisson, éleva dans son abbaye douze enfants qu’elle avait eus de douze pères différents ». 

Il fallut au Catholicisme mettre en œuvre un contre-modèle : la Vierge Marie, dont le dogme de l’Immaculée Conception date de 1854. C’est à cette époque que les apparitions mystiques jettent quelques hallucinées dans l’extase. Alors que les « possédées » continuent de fleurir, que bientôt Charcot s’intéresse aux transes des hystériques autant en médecin qu’en amateur de phénomènes de foire.

Suffit-il que les chasses aux sorcières appartiennent à un lointain passé, pour que le mot lui-même ne soit plus cause d’effroi ?  Malgré le renversement à la mode qui fait des sorcières des icônes et des modèles d’un féminisme passablement exalté il est d’évidence que les femmes ne sont toujours pas indemnes de toute chasse ; au point que Catherine Clément aille jusqu’à comparer le sort de ces ancestrales malheureuses à celui des victimes de « sauvages féminicides » d’aujourd'hui ; même si comparaison n’étant pas toujours raison l’on pourra lui rétorquer que ce phénomène est d’une part de nature différente et d’autre part qu’il est hélas de toute époque.

L’essai est profus à souhait, chassant par retour du bâton tout ce qui pourrait s’apparenter encore à l’accusation de sorcellerie pesant sur les femmes, dans une orientation féministe militante. Il est cependant parfois confus, empruntant une progression erratique aux parcours et arguments sinueux télescopant les siècles ;  et par instants encombré de vocabulaire psychanalytique : il est vrai que c’est, outre la philosophie, une part de la formation de l’auteure. Le risque est alors de ne pas réellement faire œuvre d’historienne et de choir dans l’anachronisme. Reste que « la sorcellerie tue » encore, par exemple en Afrique où l’on accuse les uns et les unes de « voler le pénis des hommes » ! Et que plus inoffensive elle est devenue, sous le nom de « Wica », une pratique officielle aux Etats-Unis et au Canada, depuis son fondateur Gérald Gardner, dans les années trente. Gare à l’esbroufe, aux superstitions, au ridicule… Cependant, en ce Musée des sorcières nourri d’abondantes « diableries » et ensorceleuses aux prouesses magiques nombreuses, l’érudition bienvenue, le choix des anecdotes édifiantes, riment avec indignation.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vicié par une omniprésente perspective marxiste, l’essai calibanesque de l’italo-américaine Silvia Federici, fait un sort aux sorcières jusque dans les Amériques. La phraséologie pâteuse de la préface et de l’introduction pourrait décourager le lecteur de bonne volonté. Sans compter, ensuite, de nombreux vices de pensée : d’où vient et quel est ce capitalisme dont il assuré à longueur de pages qu’il est le coupable originel et perpétuel ? Pourquoi marxisme et féminisme, en quoi oppression capitaliste et sorcières paraissent-ils irrévocablement liés ? Dommage encore. Et pourtant, poursuivant avec un méritoire courage notre lecture de cet essai, que de perspectives historiques s’ouvrent ici à nous, que de questions sont soulevées… Débarrassé de ses oripeaux idéologiques, ce Caliban et la sorcière, commis par une universitaire et militante féministe radicale née en 1942, serait, en vue de rendre justice aux Caliban opprimés et aux sorcières brûlées, hautement recommandable.

Par ailleurs le titre est discutable. Si l’on sait que le personnage de Caliban est devenu le symbole des indigènes colonisés et persécutés, c’est méconnaître la pièce de Shakespeare. En effet, dans La Tempête, Caliban n’est réduit en esclavage par Prospéro, qui lui fait bénéficier d’une bienveillante éducation, qu’après avoir trahi la confiance offerte en tentant de violer Miranda. Certes, on arguera qu’il s’agit là d’une diabolisation du colonisé. Cependant l’on comprend mieux le titre, sachant que Caliban est devenu le symbole des exploités et des opprimés, quand la sorcière est celui des femmes diabolisées, également opprimées et sacrifiées. Ce qui résume parfaitement la thèse de Silvia Federici, appuyée par le verbeux sous-titre, Femmes, corps et accumulation primitive, dont la connotation décolonianiste et féministe affirmée permet de ranger l’ouvrage dans la bibliothèque américaine des women studies.

L’ouvrage pêche par l’absence de définition précise (et c’est un comble pour un tir de barrage marxisant) du capitalisme. Plus exactement, s’agit-il de celui né avec les banquiers florentins et flamands au XV° siècle, ou de son expansion au moyen de la révolution industrielle anglaise au XVIII°, ou des artisans, de leurs ateliers, voire des seigneurs et exploitants agricoles ? Notre auteure emploie indifféremment, dans un flou non artistique, les termes de capitalisme et de « précapitalisme » pour caractériser la période qu’elle étudie, du Moyen-Âge à l’aube du XIXème.

Evidement le capitalisme est le coupable sine qua non, le grand Satan postulé les yeux fermés, in fine le sorcier ultime digne d’être brûlé. Certes, « l’accumulation primitive » du capital se fait trop souvent, au cours de l’Histoire, à coups d’oppression, d’exploitation, d’esclavage. Ce en quoi on ne peut qu’approuver le réquisitoire de Silvia Federici. Mais elle semble n’avoir aucune lueur du capitalisme libéral - donc en opposition au capitalisme tyrannique qui s’appuie sur la force, sur l’état monarchique, voire sur le clergé - qui permet à partir des Lumières anglaises une sortie, progressive et inégale selon les régions, de la pauvreté et des exactions, pour la plus grande part de l’humanité. Il faut admettre pourtant que, parfois, notre auteur mentionne des contre-arguments venus, par exemple, d’Adam Smith qui défendit les enclosures en arguant de leur meilleure rentabilité et productivité agricole.

Ces précautions prises, et dépassant la pâteuse introduction dont la doxa marxiste est encore une fois du plus piteux effet, il faut tout de même, et avec conviction, conseiller la lecture de Caliban et la sorcière. Car il s’agit d’un panorama impressionnant des misères de l’humanité. Entre servage, guerres, famines, pestes noires, la condition du « prolétaire » est tout sauf reluisante. Il faut là se souvenir à travers quoi sont passés nos ancêtres pour que nous puissions parvenir à notre société d’abondance et de relatives libertés.

D’après Silvia Federici, le Moyen-Âge, une fois désagrégé le servage, est un presque havre de prospérité pour les ruraux, qui peuvent jouir des « communaux », là où la vie paysanne communautaire parait bien trop idéalisée par notre essayiste, dont le rêve communiste perdure jusqu’à la déraison. Mais, à la fin du XVI° siècle, les propriétaires anglais mirent en place les « enclosures », « privatisant les terres ». Même si Thomas More, au début de son Utopie, en a justement déploré les conséquences, jetant nombre de paysans dans le vagabondage, la faim et la délinquance, notre auteure en fait le péché originel du capitalisme, à l’égal de la propriété chez Rousseau qui, pour lui, est la cause de l’inégalité. Mais les enclosures sont un phénomène anglais, et non européen, et bien d’autres causes peuvent être à la source de la paupérisation des campagnes, ainsi que des ouvriers des villes. Encore une fois, guerres (de Trente ans par exemple), famines, pestes, baisses démographiques, contribuent au désarroi économique. Bientôt les richesses affluant d’Amérique, obtenues en partie grâce à l’esclavage, contribuent à faire baisser les salaires des ouvriers européens. Sans compter le refroidissement climatique du règne de Louis XIV dont notre auteure ne tient absolument pas compte. Hélas la croissance démographique revenue, elle contribue à égarer les pauvres sans terre, dont les femmes, souvent prostituées par nécessité.

Il faut attendre la page 180 pour entendre sérieusement parler de la condition féminine. Il n’est pas étonnant que celles que Marx et Foucault ont oubliées, (remarque faite avec justesse par Silvia Federici) subissent de plein fouet les dégradations générales. D’autant que l’Eglise et l’Etat se préoccupent de natalité, jetant l’ostracisme sur les femmes non mariées, sur les naissances hors mariage, les abandons d’enfants, les méthodes contraceptives et abortives des fameuses sorcières… La vision de la femme comme mégère va peu à peu faire place à l’idéalisation punitive de la femme chaste, de la serviable et corvéable femme au foyer. Quoique, faut-il rétorquer, une plus charmante idéalisation perdure, depuis la Vierge Marie, en passant par l’amour courtois, jusqu’au romantisme…

Ainsi, « la persécution des sorcières fut le point culminant de l’intervention de l’Etat contre le corps prolétaire de l’époque moderne ». Leur magie, associée aux superstitions populaires, que semble regretter notre auteure, doit pourtant s’effacer devant la montée du rationalisme, pourtant plus efficace. Même s’il faut avec elle déplorer cette hécatombe de femmes non conformes, elle semble idéaliser ces sorcières favorites, oublier leur versant de délinquance et de criminalité, ainsi que celui des Caliban délinquants et criminels qui infestent cours des miracles, campagnes et faubourgs.

De même, la sorcière est éradiquée sur les terres du Nouveau monde, dans le cadre d’une mise au pas par les grands propriétaires, par la religion, et au moyen d’une discrimination sexuelle et raciale. Sans oublier le génocide, qu’il soit guerrier, sanitaire ou à cause des mines, dont de mercure, où les Indiens étaient, de fait, sacrifiés. Les Européens ne se font pas faute, à travers l’évangélisation, de castrer également leur liberté sexuelle, d’un bout à l’autre du continent américain.

Le bilan est confondant : « La chasse aux sorcières était aussi un instrument pour la construction d’un nouvel ordre patriarcal où le corps des femmes, leur travail, leurs pouvoirs sexuel et reproductif étaient mis sous la coupe de l’Etat et transformés en ressources économiques. »

Il n’en reste donc pas moins que Silvia Federici, malgré nos peu indulgentes réserves, fait œuvre utile et roborative. Il suffit, outre le texte lui-même, toujours fort nourri, généreusement illustré de gravures, de se plonger dans les notes, aussi savantes qu’abondantes, aussi précises que disertes, pour être convaincu du sérieux scientifique, quoiqu’affreusement partisan, de la démarche historique. Certes, il y a eu de forts réussies Histoires des femmes en Occident[5], mais faire le lien entre l’oppression des pauvres, celle des femmes et des sorcières reste une perspective originale, même si discutable. Sans compter la réhabilitation des figures de la sorcière, trop souvent méprisée, ostracisée. Mais pourquoi enchaîner marxisme et féminisme ? Alors que le capitalisme a fait plus pour les femmes que tous les régimes mortifères issus des perspectives tyranniques du cerveau de Karl Marx exprimées dans son Manifeste communiste ! L’imprimerie, les appareils ménagers, la contraception, ne sont-ils pas, après tout, des réussites universelles du capitalisme libéral au service de la liberté féminine, non seulement matérielle, corporelle, mais aussi intellectuelle ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette mouvance féministe, d’un radicalisme anticapitaliste moins enragé, s’empare de l’aubaine que représente le bûcher infligé à ces dames prétendument inspirées par le diable. En témoigne Le Sexocide des sorcières de Françoise d’Eaubonne, qui emprunte la voie vigoureuse du pamphlet, en ce bref essai d’abord paru en 1999.

Du XV° au XVII° siècle, l’Europe chrétienne, aussi bien catholique que protestante, fut prise d’une frénésie contre la sorcellerie. Tortures et flammes prennent pour cible, parmi les victimes châtiées, une immense majorité de femmes. Françoise d’Eaubonne  affirme qu’il n’y pas là de hasard, ce pourquoi elle emploie le néologisme « sexocide ». Ce dans la continuité des mots  « phallocrate » et « écoféminisme » qu’elle créa. Les formules frappantes abondent, comme lorsqu’il s’agit de faire du Marteau des sorcières « le Mein Kampf de l’inquisition ». Elle soutient l’hypothèse que la chasse aux sorcières est avant tout une guerre contre les femmes, quelques soient leur corps, leur âge, ou leurs savoirs ancestraux, afin d’asseoir la domination patriarcale par la terreur. Probablement n’est-ce que partiellement vrai tant de nombreuses époques et civilisations se sont comporté avec bien moins de malignité.

Mona Chollet quant à elle défend la personne et le talent des sorcières, soit prétend-elle « La puissance invaincue des femmes ». Effectivement notre temps goûte avec volupté les jeux sorciers, les Harry Potter et son école. Le pittoresque ensorceleur côtoie la séduisante ensorceleuse.

Ces dames vendent des grimoires sur Etsy, vantent leurs autels ornés de cristaux sur Instagram, ou bien, en toute innocence politique, se rassemblent pour jeter des sorts à Donald Trump. Ainsi d’à peu près inoffensives sorcières prolifèrent, par goût du cosplay – ou déguisage – par jeu au moyen de ludiques oracles ou de cocktails abusivment intitulés « philtres ». Par exhibitionnisme et orgueil un brin revanchard, avouons-le, les féministes actuelles, ou postféministes,  révèrent la figure emblématique de la sorcière. Elle est la victime absolue de l’Histoire, dont les malins incendiaires sont impardonnables. Elle est aujourd’hui celle pour qui l’on réclame justice, elle est la rebelle admirable aux savoirs à retrouver, sans s’alarmer du retour d’un pittoresque irrationnalisme. Notre essayiste retrouve dans nos préjugés et nos représentations trois types de femmes exécrées : l’indépendante, veuves et célibataires ayant été particulièrement visées ; la femme sans enfant qui contrôle voire nie sa fécondité ; et bien entendu la femme âgée réputée objet d'horreur. La malédiction reste à lever. La réflexion de Mona Collet ne manque pas de pertinence, quoiqu’un brin caricaturale et un brin fantaisiste, tant la sorcière est un topos de la littérature de fantasy.

 

Au-delà des essais, le roman peut permettre d’entrer dans l’esprit de nos malheureuses héroïnes, grâce à l’écriture à la fois historique et contemporaine d’un Venko Andonovski : Sorcière  Venu d’une contrée littéraire peu explorée, la Macédoine, voici un objet d’art bifide. Ses deux langues sont celle d’un roman historique situé au XVIIème siècle et d’un récit contemporain. Sorcière  avec son point exclagorratif, signifiant certitude et doute des protagonistes, met en scène une interrogation existentielle sur le mal : « on veut vérifier si le diable est matériel et réel, venimeux et créé. »

Le Padre Benjamin parcourt la Croatie et Macédoine. Quoique émissaire du Pape, ami de savants et philosophes représentant la raison, comme Descartes et Galilée, il est confronté à l’obscurantisme d’un Grand Inquisiteur fanatique, dont la passion dogmatique traque les sorcières séduites par le Malin. Mais c’est une sexualité rentrée qui anime les procès ordonnateurs de sévices. Car « l’origine des films porno se trouve dans ces témoignages de l’Inquisition sur le sexe de groupe et les orgies ». De plus, « l’homme aux yeux de serpent » est l’incarnation de la violence absolue : « la vérité lui appartenait, car il avait entre les mains… le bûcher. »

À cet écho lointain du Nom de la rose d’Umberto Eco, répond une intrigue amoureuse : le Padre Benjamin est séduit par une intelligente rousse que son mari accuse de le rendre stérile et d’être une sorcière. Le prêtre bientôt défroqué écoute alors l’histoire de Jovana, qui fut l’esclave d’un bey islamique, puis d’un marchand, sans vouloir renier sa religion. Jusqu’où Benjamin devra-t-il manœuvrer pour sauver sa sorcière et écrire son livre sur les sciences diaboliques ?

Abruptement, le roman est périodiquement interrompu. Par des considérations en italiques, passablement oiseuses de l’auteur impécunieux, dont l’éditeur demande des histoires policières vendables. Le procédé narratif - plus exactement la métalepse - parait une affèterie postmoderne gratuite, bientôt plus fine : « Il est toujours temps de mourir d’une narration classique, ampoulée, stylisée ! » Jusqu’à ce que l’on perçoive, après des dizaines de pages, que les deux arguments, historique et contemporain, se répondent par un lien ténu : deux femmes rousses, à quatre siècles de distance, fascinent le personnage et son narrateur : « les amants se retrouvent après des siècles, après que la mort les a séparés […] dès leur renaissance, ils se cherchent mais dans d’autres corps. » Ainsi, de celle qui ensorcelle d’amour Padre Benjamin à l’étudiante en médecine, un écho subtil se noue, inscrivant l’ouvrage dans une esthétique digne du réalisme magique. « En fait, ce n’est qu’une recette pour écrire un roman ». Qui, enfin, se retourne sur lui-même pour être offert et dédicacé à « la rouquine ». Ce pourquoi Milan Kundera est un préfacier enthousiaste, quoique trop peu disert.

Sans nuire à la fluidité romanesque, la richesse intellectuelle et métaphorique imbibe la langue, les pages. De la « fille-lettrine » à Jovana « la rousse, belle comme une lettrine », en passant par le séminariste et futur « doctor angelicus », grâce à sa connaissance du doute, tout s’inscrit « dans l’objet le plus secret de la magie diabolique qui du mensonge fait la vérité : le livre. » Là où bientôt l’Inquisiteur est démasqué : il est le Diable ! Dans une langue aisée, les débats théologiques éclairent les problématiques du roman, à l’instar de l’apologue nietzschéen, lorsque le Padre Benjamin dévoile l’illusion du théâtre d’ombres. L’œuvre polyphonique, à la lisière du conte, de la chronique et de l’essai encyclopédique, dénonçant ce grand massacre des femmes prétendues sorcières, oppose la terreur documentée des tortures à l’érotisme brûlant du poème en prose.

Il faut explorer ces marges de l’Europe, où des auteurs surgissent à nos yeux soudain dessillés, aussitôt ébahis. Venko Andonovski, né en 1964, qui enseigne les littératures d’Europe centrale et la théorie narrative à l’université de Skopje, est chamarré d’une bibliographie impressionnante : Sorcière ‽ cet étonnant roman philosophique, en est à sa huitième édition en Macédoine, Le Nombril du monde à sa douzième, ses volumes de nouvelles à la sixième, son théâtre et ses essais jouent dans la cour de l’abondance. Hélas, seule sa pièce Cunégonde en Carlalande[6], imaginaire pays où la promise de Candide découvre la folie de l’Occident, est traduite en français. Il tient de surcroit dans un quotidien une chronique  hebdomadaire: « Le dictionnaire des passions humaines ». Un univers à soi seul et à découvrir, parmi lequel ce dont nous ne lisons que le titre, L’Alphabet des désobéissants, semble ainsi particulièrement fascinant…

Nous l’avons dit, l’on estime à plus de quarante mille exécutions capitales, entre 1430 et 1630, le passif de la persécution de celles qui furent trop libres. S’il est justice de réhabiliter la mémoire de ces victimes de la tyrannie religieuse et mâle, gardons-nous cependant d’idéaliser les sorcières. Ce serait délire d’imaginer qu’elles étaient toutes d’innocentes prunelles des yeux de la liberté sexuelle. Il y avait probablement parmi elles, comme parmi leurs délatrices, de nombreuses mégères et furies criminelles, comme il en existe bien des équivalents masculins, quoique notoirement plus nombreux. Plutôt que les violences du pouvoir mâle, quoiqu’il faudrait prendre garde qu’un pouvoir féministe n’ait pas de telles velléités, prônons la tolérance et la paix des libertés. Et plutôt que la réhabilitation de l’irrationnel au travers de l’éloge des sorcières, que ce soit parmi les romances de la fantasy pour adolescentes ou parmi une mode d’un féminisme exacerbé, ne perdons pas de vue la raison scientifique et des Lumières…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Andonovski a été publiée dans Le Matricule des Anges, juin 2015

Celle sur Julio Caro Baroja, juin 2025


[3] Institoris & Sprenger : Malleus maleficarum, 1486.

[10] Histoire des femmes en Occident, direction Georges Duby et Michelle Perrot, Perrin, 1992.

[12] Venko Andonovski : Cunégonde en Carlalande, L’Espace d’un instant, 2013.

 

Retablo anonimo, siglo XV, Museo de la Catedral de LeónCastilla y León.

Photographie : T. Guinhut

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9 septembre 2025 2 09 /09 /septembre /2025 12:39

 

Vaporetto, Punta Sabionni, Laguna, Venezia.

Photographie : T. Guinhut.

 

 

 

Cyrano de Bergerac par Gérard de Cortanze

et Edmond Rostand :

amours au balcon, commentaire littéraire.

 

 

Gérard de Cortanze : Savinien de Cyrano, sieur de Bergerac,

Albin Michel, 2025, 432 p, 22,90 €.

 

Cyrano de Bergerac : Histoire comique des Etats et des empires de la Lune,

GF, 1970, 190 p, 4,90 €.

 

Cyrano de Bergerac Histoire comique de la République du Soleil,

GF, 2003, 288 p, 2003.

 

 

Ce voyageur des Etats et des Empires de la Lune et du Soleil, est-il plus célèbre par le héros qu’en fit le dramaturge Edmond Rostand que par son propre personnage, de surcroit auteur ô combien curieux ? Le libertin du XVII° siècle, duelliste aux aventures dramatiques, au point d’être poursuivi par la terrible Congrégation de l’Index, ne peut que tenter le biographe. Mais aussi un agile romancier, comme Gérard de Cortanze, dont le Savinien de Cyrano, sieur de Bergerac, réjouit son lecteur. Sans nul doute, outre les récits science-fictionnels trop oubliés de ce dernier, faut-il associer ce roman biographique à la pièce d’Edmond Rostand, dont une scène iconique au balcon mérite bien tout un commentaire littéraire, certes académique, mais prêt à monter au ciel de l’amour ; à moins de préférer celui de l’astronomie de notre Hector Savinien.

C’est avec raison que Gérard de Cortanze prétend devoir ressusciter celui « que le fabuleux avatar créé par Edmond Rostand a bien failli ensevelir à jamais ». La brève existence de Savinien de Bergerac (1619-1655), soit trente-six années, est ici généreusement brossée, de la prime enfance du « demi-sauvage » à la veille du dernier souffle alors qu’il avait été grièvement blessé par une poutre. L’écrivain parisien, qui n’avait en vérité rien de périgourdin, devient sous la plume de notre romancier contemporain un être moins réaliste que fantasmagorique. Ce qui n’empêche pas que le sordide des lieux et de la condition humaine soit décrit à l’envi.

La jeunesse de Savinien, « qui n’a pas un tempérament à se plier sous le joug »,  est surveillée par un curé tyrannique et sermonneur qui prétend le « préparer à la mort », au moyen de récits morbides. Malgré une éducation rudimentaire, le jeune et dangereux prodige découvre le théâtre en de « pieuses tragédies », les Vies parallèles de Plutarque et la géométrie d’Euclide. Mais nous sommes au temps de la famine, de la peste et des séditions, peu après les guerres de religion. Aussi, maltraité, contraint, il se jure de passer sa vie à se venger de l’univers, à insulter le Christ, à braver le pouvoir royal, à prêcher le libre examen ».

Les aventures picaresques, glorieuses ou moins glorieuses, se succèdent entre guerre, Fronde et paix troublée. L’on croise Richelieu et Mazarin, la Marquise de Sévigné, Condé, tandis que « l’odeur des cadavres en décomposition devient irrespirable ». Le tragique côtoie le burlesque et le lyrique. Sans compter que nous ne pouvons qu’être touché par un héros si brillant et pourtant pathétique : « Puisque l’échec l’entoure – échec amoureux avec Tourterelle Diamant, échec littéraire avec ses écrits dont personne ne veut – autant faire ce qu’il sait faire : se battre avec l’épée à la main ». Tout cela bruit de désillusion, de manuscrits perdus, de scènes que lui aurait volées Molière, y compris avec le concours d’une intrigue policière, soit la recherche « du Tâteur, le tueur d’adolescents ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 L’une des scènes les plus fortes et les plus émouvantes – et il n’en manque pas – est celle de la dernière visite d’Angélique, qui, femme douloureusement aimée, préfère plutôt que céder à son cœur, mortifier ses sens et prononcer ses vœux religieux les plus austères : « Je m’avance vers Dieu. Et toi vers le Diable ». En fin de compte, un amour impossible entre une pauvre fille fanatisée par un catholicisme caricatural, castrateur, et un libertin en avance sur son temps ; un tel contraste étant l’un des efficaces moteurs de ce livre : « un autre monde où le Bien et le Mal, le Réel et le Fantastique s’allient et font bombance ».

Gérard de Cortanze rend son héros plus vivant que le biographe exact et scrupuleux pourrait le faire. Ne lui fait-il pas lire, dès l’adolescence, un livre interdit, soit La Cité du soleil de Campanella, « hérétique comme cochon », ne fait-il pas de son héros un tenant d’une rare éthique littéraire, pourfendant les plagiaires ? Certes, quoique s’appuyant sur une réelle documentation, sur tout un panier d’auteurs, toute une joyeuse érudition, jusqu’à imaginer une secrète bibliothèque alchimique, il en fait peut-être parfois un peu trop. Qu’importe. Ce Cyrano devient plus libertin qu’il était possible, truculent même, bien digne de l’art baroque de son époque. En ce sens Gérard de Cortanze, dont la bibliographie pléthorique enregistre les succès parmi plus de quatre-vingt-dix volumes, nous offre un éloge de la liberté de penser, qui, si elle s’inscrit dans le cadre du XVII° siècle, ne peut que résonner avec notre aujourd’hui, quand tant de menaces la cernent. Avouons-le avec lui : « Les écrivains qui veulent changer le monde resteront toujours des écrivains malheureux ».

 

Illustration de Gorguet pour Edmond Rostand : Cyrano de Bergerac,

Editions Pierrre Lafitte, 1910.

Photographie : T. Guinhut.

 

Il est un autre Cyrano, époustouflant sans nul doute. Et s’il paraît entendu que la beauté du cœur est supérieure à celle du physique, l’expérience montre trop bien souvent que l’esthétique d’un corps et d’un visage prime sur les qualités morales. Affecté d’un nez fort protubérant, digne de sa tirade légendaire, Cyrano de Bergerac est dans la pièce d’Edmond Rostand, publiée en 1897, la preuve de la tyrannie de l’apparence physique. Que faire lorsqu’on est amoureux de sa cousine Roxane, sinon déclarer au balcon sa flamme par l’intermédiaire d’un jeune homme plus favorisé par la nature et donc par la belle ? La scène dix de l’acte III est à cet égard un moment aussi poétique que dramatique. Comment Rostand confronte-t-il lyrique et pathétique en ce moment crucial du drame romantique ? Etudions la déclaration poétique de Cyrano, puis le triste quiproquo, avant de nous attacher au mélange des genres dans un drame romantique tardif.

Depuis l’acte d’exposition, nous savons Cyrano poète : il l’a prouvé à de nombreuses reprises, en particulier lors de la fameuse tirade du nez. Mais c’est dans la poésie amoureuse, l’essence de la poésie selon le sens commun, qu’il est attendu, d’autant plus que nous n’ignorons pas qu’il est amoureux de sa cousine, sans espoir de voir sa déclaration écoutée. Aussi l’occasion est trop bonne de suppléer à l’incompétence de Christian qui balbutie au lieu de parler d’amour à celle qu’il a élue. Le flot de paroles lyriques est alors la preuve par la persuasion du sentiment amoureux.

Faire l’éloge du baiser, c’est par ricochet faire l’éloge de celle à qui il est dédié. Le champ lexical de l’amour concourt au registre épidictique, grâce à la répétition séductrice du mot « baiser », grâce à la cascade de métaphores qui lui sont associées : il est « serment, « promesse », « aveu », « point rose », « secret », mais aussi à travers l’oxymore, « un instant d’infini ». Ce à quoi contribue le lexique du corps érotisé : « lèvres », « bouche », oreilles ». Sans oublier la comparaison méliorative où le poète se voit en « Buckingham », héros des Trois Mousquetaires de Dumas, ce qui lui permet d’associer l’hyperbole « reine » à Roxane…

La pièce étant tout entière en vers, les alexandrins aux rimes suivies résonnent ci de suaves sonorités, au point de renouveler la « sorcellerie évocatoire » dont parlait Baudelaire dans son texte sur « Théophile Gautier ». « Baiser », « bouche », « bruit d’abeille » : l’allitération en « b » mime la réception du baiser par Roxane qui répète cette dernière image. Sans oublier le « cœur », réitéré pour affirmer l’indispensable sentimentalité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais il n’y a pas d’amour sans désir blessé ; ce pourquoi « Du sourire au soupir, et du soupir aux larmes » est un chiasme insistant à la fois sur les pleurs de bonheurs et sur la tristesse inhérente au manque de celui qui désire.

En effet ce discret pathétisme perceptible dans l’exaltation de Cyrano est augmenté par le dramatisme de la situation. Ce n’est pas lui qui est l’aimé de Roxane, il ne se fait que le souffleur d’un Christian porte-voix, en une métaphore théâtrale et une mise en abyme. Cette déclaration par procuration est déchirante, car, si elle atteint son objet, c’est pour le compte de l’autre. Le quiproquo apporte une dimension dramatique, sans compter la supercherie. Car Roxane trompée par les accents de Cyrano, ouvre ses bras à Christian qu’elle a cru entendre parler. L’amour est bien aveugle, s’il n’est pas sourd.

Un degré de pathétisme supplémentaire est franchi quand le spectateur, complice de cette mise en abyme, de ce théâtre dans le théâtre, où Cyrano joue le rôle de Christian, éprouve de la pitié pour les trois personnages. Et surtout pour Cyrano, qui use de l’aparté pour jouer de l’autodérision, avec « C’est vrai, je suis beau, j’oubliais ! », et qui découvre, amer, la jalousie, non sans la pincée d’humour de l’ironie : « Aï, au cœur, quel pincement bizarre ! » L’exclamation se double d’une allusion biblique au personnage de Lazare, pauvre et malade, qui vivait des restes des festins d’autrui. Le sacrifice presque christique du personnage ajoute à sa grandeur d’âme…

Chef-d’œuvre incontesté d’Edmond Rostand, la pièce de théâtre est censée se dérouler au XVIIème siècle, empruntant le personnage du militaire et écrivain Cyrano de Bergerac, auteur de l’Histoire comique des Etats et Empires de la lune. Dans la tradition de Victor Hugo, d’Hernani et de Ruy Blas, le canevas historique et guerrier ne peut se passer d’une grande histoire d’amour. Bien que le romantisme ai jeté ses dernières fleurs avec Baudelaire en 1857, il reste vivace au point de faire rejaillir sous les doigts d’Edmond Rostand les feux du drame romantique. Car, tel que présent sur la scène le 28 décembre 1897, Cyrano est un personnage éminemment romantique : amoureux passionné aux élans généreux, héros qui se sacrifie autant sur le champ de bataille que sur celui de l’amour par fidélité envers son ami Christian. Mais aussi pour sa belle cousine qu’il ne veut pas décevoir.

Drame romantique également par le mélange des genres. Lyrisme et pathétique en cette scène résonnent déjà de la tragédie annoncée. Mort et chagrin seront au rendez-vous du dernier acte. Mais le panache du comique héroïque n’est pas en reste. Ici, le quiproquo concourt au comique de situation, le comique de mots s’invite quand Christian bégaie, quand Roxane répète un « Taisez-vous » qui invite à continuer, quand Cyrano pousse son ami avec une animalisation affectueuse : « Monte donc, animal ! », contrastant avec le registre de langue noble et élevé. La tirade amoureuse aux vastes alexandrins se casse en une stichomythie plus légère.

La survivance du théâtre romantique qui eut son heure de gloire en 1830 peut paraître décalée en 1897, quand ont triomphé le théâtre de boulevard, le théâtre naturaliste, quand Alfred Jarry en 1888 avait dynamité le théâtre par les outrances potaches de son Ubu roi. Mais l’union de l’humour et de l’amour, de l’alexandrin, du lyrisme et du tragique, portent dans toutes les mémoires ces morceaux de bravoure que sont la tirade du nez et cette scène de déclaration par voix interposée. Une part de son succès ne vient-elle pas de ce qu’on puisse la lire comme une réécriture de la célébrissime scène du balcon de Roméo et Juliette de Shakespeare ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Revenons au réel Cyrano, plus précisément le romancier, qui emporte le narrateur en son Histoire comique des Etats et des empires de la Lune, puis de la République du Soleil. Ce serait bien exagéré que de faire de lui un représentant de la science-fiction moderne. Tout au plus un précurseur. Quoique son ascension céleste soit plus redevable d’un  fantaisiste merveilleux : « J’avais attaché autour de moi quantité de fioles de rosée, sur lesquelles le Soleil dardait ses rayons si violemment, que la chaleur qui les attirait, comme elle le fait les plus grosses nuées, m’éleva si haut, qu’enfin je me trouvai au-dessus de la moyenne région ». Cette terre renversée est en fait la lune, où ses habitants prennent Cyrano pour un singe méprisable. Heureusement l’un d’eux, qui se prétend le démon de Socrate, prend sa défense et l’enlace afin de le ramener finalement sur terre.

Cocasses sont les nombreuses anecdotes : les alouettes touchées par une spéciale arquebuse tombent toutes rôties, les vers poétiques servent à payer les hôteliers, l’on se nourrit d’odeurs, le langage des nobles n’est que musique…

Pourtant la dimension scientifique est loin d’être absente puisque l’auteur et ses amis se réfèrent aux connaissances des Anciens, puis de Copernic et de Kepler sur les astres qui paraissent nous entourer. L’on discute également de métaphysique, sur l’immortalité de l’âme, l’existence de Dieu ou l’origine du monde. L’on remarque une satire bien sentie de l’orgueil de l’espèce humaine. Aussi bien c’est avec pertinence que le démon de Socrate prouve au roi et aux juges lunaires l’inutilité de contraindre notre Cyrano à renier ses propres idées.

Hélas lacunaire et inachevée, l’Histoire comique des Etats et Empires du Soleil, imagine une machine volante munie d’une voile et contenant un « icosaèdre transparent » attirant la lumière. Ainsi s’évade-t-il de la ville de Toulouse et s’élève-t-il jusqu’au soleil, là où les oiseaux mènent une parfaite et heureuse vie au moyen d’une harmonieuse organisation politique. Là, seuls les philosophes conservent le privilège insigne d’être ce qu’ils sont et de vivre après leur mort. Cette utopie entretient en conséquence un certain voisinage avec celles de Thomas More et surtout celle de Campanella intitulée La Cité du soleil ; ce dernier étant en effet l’un des personnages clefs du roman, un « sage » qui joue le rôle du guide…

Peut-être peut-on considérer que le plus beau descendant de cette Histoire comique des Etats et des Empires de la Lune et su Soleil, soit en fait Les Voyages de Gulliver, de Jonathan Swift, dans lequel le moins connu des épisodes est « Le voyage à Laputa », plus précisément le pays des astronomes fous. Libertin philosophe, imaginatif romancier, Cyrano de Bergerac, tel qu’en ses ouvrages trop méconnus, et tel qu’avec brio Gérard de Cortanze le ressuscite, mérite bien plus que la réputation théâtrale de son nez.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

Savinien Cyrano de Bergerac, 1619-1655 : Oeuvres,

Le Club Français du Livre, 1957.

Photographie : T. Guinhut.

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29 août 2025 5 29 /08 /août /2025 13:27

 

Mezquita-catedral, Cordoba, Andalucia.

Photographie : T. Guinhut.

 

 

Les Ecrits de Fernand Braudel, le Méditerranéen ;

ou l’éthique de l’Histoire.

Avec le concours de la Grammaire des civilisations

et de Samuel Huntington.

 

 

Fernand Braudel : Ecrits,

Les Belles Lettres, 2025, 1366 p, 59,90 €.

 

Fernand Braudel : L’Aube, la terre, la mer,

Flammarion, 2025, 160 p, 14,90 €.

 

Fernand Braudel : Grammaire des civilisations,

Champs Flammarion, 2024, 768 p, 13 €.

 

Fernand Braudel : La Méditerranée, Champs Flammarion, 2017, 384 p, 10 €.

 

Fernand Braudel : L’Identité de la France, Flammarion, 2011, 1184 p, 25,40 €.

 

 

 

Elle ne fait pas que se dérouler. Elle se construit, elle se pense. C’est l’Histoire. Déesse impavide, exigeante, elle attend de ses étudiants, de ses professeurs, de ses essayistes, une abnégation pleine de curiosité, cependant – s’il est possible – vide de marottes idéologiques. Elle a ses multiplicités temporelles et ses territoires mouvants. Il faut alors au moins une vie pour avec soin et acharnement en délivrer non seulement les événements conséquents mais le sens. Soit une soixantaine d’années d’Ecrits, collectionnant les textes rédigés entre 1927 et 1985 par l’historien Fernand Braudel (1902-1985). Ce sont des mises à l’épreuve des sources avec pérégrinations « Autour de la Méditerranée », mais également des réflexions sur « Les ambitions de l’Histoire », renouvelant profondément cette discipline. Il ne se contente évidemment pas du récit historique, préférant aller à la recherche de problématiques autour de « l’identité de la France » ou de « la grammaire des civilisations », pour reprendre ses titres iconiques. N’est-il pas nécessaire, pour penser l’Histoire, non seulement ancienne et moderne, mais aussi en train de se faire, de la heurter avec l’immigration islamique, et la confronter avec Le Choc des civilisations de Samuel Huntington ? Car l’Histoire est une géopolitique.

En ce copieux volume d’Ecrits, Fernand Braudel, d’abord à l’occasion d’un séjour de recherche au Brésil, plus exactement à Sao Paulo, propose un parallèle entre la Méditerranée et l’horizon Atlantique. Espaces d’échanges et de conflits, ils obéissent à ces dynamiques démographiques et économiques qui resteront des constantes de son regard et de son travail.

Conçue lors des premières années d’enseignement et de formation de l’historien, la première partie, Autour de la Méditerranée, regorge d’articles et de comptes rendus de lectures. Ses recherches se tournent d’abord vers l’Afrique du Nord et la présence des Espagnols entre 1492 et 1577, où d’ailleurs il professa entre 1923 et 1932. Ensuite, ce sont l’Espagne de Philipe II et l’Italie qui aimantent son esprit, ce pour longtemps, en particulier autour de l’histoire économique des XVI° et XVII° siècles. Il revient à l’Algérie, pour se centrer sur les prédations et chasse aux esclaves par les « Barbaresques », sur la Prise d’Alger qui, en 1830, en est la conséquence, puis la colonisation lors de la monarchie de Juillet. Le tout pour aboutir à l’un de ses ouvrages sommitaux, La Méditerranée, en grande partie écrit pendant sa captivité au cours de la Seconde Guerre mondiale, donc nourri par la mémoire. De surcroit, en 1976, son émission télévisée en douze volets sur la Méditerranée obtint un franc succès.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Civilisation matérielle, économie et capitalisme voit son étude se focaliser sur deux cité-Etats fondamentales, Venise et Gênes. Dans ce cas, la Renaissance permet d’établir un parallèle avec les vertus d’un miracle économique dans la seconde moitié du XX° siècle. Ce qui ne l’empêche en rien d’étudier le capitalisme de l'âge moderne et la place des ouvriers à l’ère de l’industrialisation.

Notre historien pense la manière dont l’histoire se fait, s’écrit et s’enseigne en France, ce également dans le cadre de l’École des Annales. Or, la seconde partie, Les Ambitions de l’Histoire, consiste en la réflexion théorique de l’auteur, imputable à une objectivité désirée, inscrite dans la perspective d’une « plus grande histoire », c’est-à-dire encline aux sciences sociales. L’ambition globalisante a quelque chose de noble autant qu’hyperbolique, embrassant toute culture, y compris populaire. L’on refuse de se limiter à des explications monocausales. La critique de l’Histoire événementielle permet de passer à une plus profonde Histoire, avec ses réalités collectives, l’évolution lente de ses « structures ». En somme « Une grande Histoire cela signifie une Histoire qui vise au général, capable d’extrapoler les détails, de dépasser l’érudition et de saisir le vivant, à ses risques et périls et dans ses plus grandes lignes de vérité ». Reste que « l’impérialisme de l’Histoire » est peut-être inévitable ; à moins de se diffracter, de se briser par éclats en histoires alternatives, concurrentes, idéologiques…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plus éclectique, voire erratique, la troisième partie, L’Histoire au quotidien, comme de juste, est plus hétéroclite : son expérience brésilienne, ses relations avec les mondes universitaires et scientifiques français et étrangers, sa direction des Annales jusqu’en 1970, enfin son expérience d’enseignant, du lycée jusqu’au Collège de France, tout concours à multiplier les regards croisés sur le champ historique. Et que l’index, en fin de volume, permet non seulement de mesurer, mais de parcourir, tant de manière thématique que par auteurs…

Ainsi « vie matérielle et comportements biologiques » côtoie un questionnement sur la « géographie de l’individu biologique ». Plus concrètement, « la double faillite coloniale » – quoique des XV° et XVI° siècles – n’est pas loin de la « Faillite de l’Histoire ». Est-ce à dire qu’il n’existe guère un « triomphe du destin », comme le prétendit l’historien Gaston Roupnel ? Notre essayiste critique avec pertinence cette conception déiste de l’Histoire, héritée de l’Essai de théodicée de Leibniz. Mais en prétendant que Le Capital est une « thèse magnifique », ne commet-il pas l’erreur d’être aveugle au dessein totalitaire du Manifeste communiste, tel que signé par Karl Marx ?

Parfois nourri d’inédits, de textes restés dans des publications confidentielles et difficiles d’accès, cet impressionnant volume d’Ecrits est une malle aux trésors ; sans compter le soin apporté à la reliure ornée d’une vue marine du peintre réaliste Gustave Courbet. Le professionnalisme et le sens esthétique des éditions des Belles Lettres n’est plus à prouver.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une aube de la civilisation, telle est bien la Méditerranée. Or voici L’Aube, la terre la mer, qui réunit les quatre chapitres écrits par Fernand Braudel à l’occasion d’un ouvrage collectif, La Méditerranée, l’espace et l’Histoire, publié en 1977. Mer intérieure, elle est une « géologie encore bouillonnante », entre fosse marines, montagnes et volcans, péninsules et détroits. Au milieu, « une Italie tournée vers le Ponant et une Italie qui regarde vers le Levant ». Les vigoureux contrastes géographiques ont permis d’engendrer des sociétés diverses, entre Egyptiens et Grecs, Byzantins et Sarrasins, Romains et Vénitiens… Des littoraux ouverts contrastent également avec des arrière-pays parfois fermés. Le tout permettant ou contraignant les prospérités et les échanges. La « révolution du Proche-Orient » et la transition du nomadisme aux villes productrices précède une Méditerranée marchande. La Crète a Cnossos, La Phénicie l’alphabet, le troc prépare la venue de la monnaie, Athènes brille et Carthage menace Rome. « Recouvrements » et « conflits de civilisations » ne cessent de fluctuer, tandis qu’apparaissent des épisodes surprenants et peu connus, telle « la conquête de la Méditerranée par les Nordiques ». L’ouvrage en forme de quadriptyque se conclue sur un événement majeur, l’ouverture du Canal de Suez en 1869.

Cette Aube didactique devient ainsi l’un des livres les plus accessibles et les plus synthétiques de notre historien, face à l’immensité de ses recherches méditerranéennes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un tel titre ferait aujourd’hui hurler d’indignation hystérique ceux qui conspuent les « identitaires », présumés d’extrême-droite, en une exaltation woke et pro-islamique. Publié à partir de 1986, L’Identité de la France, en trois copieux volumes, trouve ses fils conducteurs dans la démographie et l’économie. S’agit-il, selon un fragment de L’Histoire de France inachevée, de « la France dans sa plus haute et sa plus brillante histoire ». N’est-ce pas là arborer un idéal nécessaire, sans cependant ignorer les faux pas et les abjections… Car Fernand Braudel aime son pays, sans distinguer entre « ses vertus et ses défauts », ce qui ne signifie pas que son indulgence soit sans borne.

De la Gaule, en passant par « le cataclysme démographique » de la peste noire médiévale – couplée avec la guerre de Cent Ans – jusqu’au baby-boom des années cinquante et soixante, l’expansion, bridée par la Terreur révolutionnaire et les guerres napoléoniennes, celle de 1914-1918, en fait le pays le plus peuplé d’Europe, et doté d’une économie en marche, à partir d’une « économie paysanne » pour aboutir à l’industrialisation commerçante.

Une France multiséculaire apparait alors, au service de sa destinée au XX° siècle. Cependant depuis cette somme, la société a bien changé, tout en faisant de moins en moins société. Fernand Braudel, à la fin de son volume deuxième de L’Identité de la France, et à l’occasion de son chapitre sur l’immigration, ne voit que le racisme français et n’a « rien contre les mosquées ». Concédons qu’il écrit en 1986, quoiqu’il ne fasse pas ici preuve de connaissance de la nature du Coran et de l’Islam. L’irruption et l’importation de l’immigration islamique – non loin de 20% de la population actuelle –  venue d’Algérie et d’Afrique subsaharienne, puis de Syrie, d’Afghanistan, de Somalie et tutti quanti, entraîne une nouvelle colonisation dont la tolérance est la moindre des vertus, lui préférant le pillage et le « butin » (pour reprendre le titre d’une sourate) des aides sociales, le terrorisme et l’infiltration religieuse, l’éradication programmée du judaïsme, du christianisme et de la laïcité. Donc un basculement de civilisation intolérable, antinomique des Lumières. Ainsi verrions-nous l’inversion du phénomène  architectural, qui vit la mosquée de Cordoba, en Andalousie, être surmontée par les arcs gothiques du christianisme et de sa Reconquista.

Sestiere Cannaregio, Venezia.

Photographie : T. Guinhut.

 

Le foisonnement et la longue durée de l’Histoire peuvent seuls, au-delà du seul événement, aider à comprendre le présent, voire le futur. C’est bien ce dont on retrouve la vérité dans sa Grammaire des civilisations, publiée en 1963. Une civilisation se caractérise par quatre réalités fondamentales : « les civilisations sont des espaces […] des sociétés  […] des économies  […] des mentalités collectives ». À cet égard, considérons son analogie entre la grammaire et l’Histoire. Par exemple, à l’occasion de la partie consacrée à l’Europe, l’événement de la Révolution française, est symbolisé par le 14 juillet 1789 et la prise de la Bastille, puis « le 14 juillet 1790, quand le peuple a célébré la fête de la Fédération au champ de Mars ». De telles actions momentanées engagent cependant le mouvement révolutionnaire qui parcourt l’Europe, avec des conséquences durables pendant les décennies et les siècles suivants, et sont des révélateurs de l’histoire européenne et mondiale. La grammaire braudelienne de l’Histoire obéit ainsi à une dimension théorique, eut égard au regard de reconnaissance, en grec theoria. De surcroit Fernand Braudel utilise les catégories grammaticales pour évoquer les trois temps de la marche de l’Histoire. Temps bref, catégorie du verbe, à l’action immédiate, par exemple la bataille d’Hernani le 25 février 1830, si importante pour le romantisme. Temps lent, catégorie de l’adjectif, à la qualification plus soutenue : l’art roman, l’art gothique, l’art baroque… Temps long et passablement immobile, selon l’échelle humaine, la catégorie du substantif, donc la substance permanente de la civilisation, soit « un humanisme qui a [ses] préférences », creuset européen en cohérence avec les Lumières  du XVIII° siècle où l’universel a pris conscience de soi. Voilà l’une de ces « unités brillantes » de l’Europe, au-delà de celles aléatoires nationales et politiques, alors que les « unités solides » constituent les centres économiques, sans oublier les « unités violentes », engendrées par les guerres meurtrières, qui sont ruptures civilisationnelles. Mais, pour notre historien, ce sont les « unités brillantes », celles de l’art, de la culture, du goût et de l’esprit, qui définissent souverainement la culture originale et pollinisatrice de l’Europe. Et, malgré les contempteurs de l’européanocentrisme, nous ne pourrons que le conforter sur ce point…

La coïncidence des unités brillantes, soit les œuvres saillantes, et des unités catégoriales, soit les temps distincts qui parcourent l’Histoire, permet d’assurer la theoria et le logos dans un idéal d’universalité. L’Europe, dont l’industrialisation est un modèle pour le monde entier, étant de surcroit un « idéal culturel à promouvoir », au-delà de l’esclavage constitutionnel de l’humanité, et au service des libertés, permet-elle d’éclairer le sens de l’aventure humaine, voire de signifier que cette culture est supérieure aux autres ?

La civilisation, qui est d’abord géographie, est sociologie, économie et psychologie, se répartit, outre l’Europe et ses alter ego américains, en quelques grandes civilisations mondiales : l’Islam et le mode Musulman, les Afriques Noires ; l’Extrême Orient.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À cette Grammaire des civilisations faut-il adosser son corollaire, soit Le Choc des civilisations de Samuel Huntington[1] ? Notre historien n’aura pas connu ce choc éditorial controversé, puisque paru en 1996. L’Histoire est un champ géopolitique où s’affrontent des blocs culturels et surtout religieux. En un monde multipolaire, huit foyers civilisationnels perdurent. Russie et états orthodoxes, sphères musulmanes et islamistes, civilisations extrême-orientales, soit sinisante et japonaise, Inde, Amérique latine, Occident, et enfin Afrique, quoique le concept soit à cet égard flou, tant les ethnies, les religions et les conséquences des colonisations le rende plurivoque. En la demeure, la réussite économique de l'Extrême-Orient prend sa source dans la culture asiatique ; a contrario, la culture musulmane entraîne l'échec démocratique, quand les cultures issues du christianisme latin ou calviniste-luthérien sont à même de concevoir la prospérité économique, même si c’est là oublier le poids délétère de la gangrène socialiste et étatique…

De toute évidence, Samuel Huntington récuse la thèse de Francis Fukuyama dans La Fin de l'Histoire et le dernier homme[2], ce dernier estimant que la destination de l’Histoire était la généralisation de la démocratie libérale. Hélas ce n’est pour le moment que partiellement vrai, tant les empires, chinois, russe, islamiques, menacent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

S’il y a bien une grammaire des civilisations, elle ne va pas sans une profonde incompatibilité de nombre de noyaux civilisationnels, dont l’éthique, en particulier de la dimension historiquement autocratique de la Russie, de la Chine, et de l’essence fondamentaliste de l’islam, sont irréductiblement incapables d’accéder à la civilisation au sens universel du mot. L’illusion irénique qui verrait advenir la paix perpétuelle, pour reprendre le vœu d'Emmanuel Kant[3], en prend hélas un sacré coup dans l’aile.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Samuel Huntington : Le Choc des civilisations, Odile Jacob, 1997.

[2] Francis Fukuyama : La Fin de l'Histoire et le dernier homme, Flammarion, 1992.

[3] Kant : Vers la paix perpétuelle, Vrin, 2007.

 

Iglesia San Agustin, Almagro, Ciudad Real, Castilla la Mancha.

Photographie T. Guinhut.

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11 août 2025 1 11 /08 /août /2025 16:21

 

Carmona, Sevilla, Andalucia.

Photographie : T. Guinhut.

 

 

Dernier silence et vents de Mario Vargas Llosa.

 Je vous dédie mon silence, Les Vents,

Le tour du monde en 80 textes,

Journal de guerre & Un demi-siècle avec Borges.

 

 

Mario Vargas Llosa : Je vous dédie mon silence,

traduit de l’espagnol par Annie Vignal, Albert Bensoussan et Daniel Lefort,

Gallimard, 2025, 288 p, 23 €.

 

Mario Vargas Llosa : Les  Vents,

traduit de l’espagnol par Albert Bensoussan,

L’Herne, 2023, 94 p, 14 €.

 

Mario Vargas Llosa : Le Tour du monde en 80 textes (ou presque),

traduit de l’espagnol par Anne-Marie Casès & Bertille Hausberg,

L’Herne, 2023, 256 p, 18 €.

 

Mario Vargas Llosa : Journal de guerre,

traduit de l’espagnol par Annie Vignal, La Martinière, 2022, 144 p, 18 €.

 

Mario Vargas Llosa : Un demi-siècle avec Borges,

traduit de l’espagnol par Albert Bensoussan, L’Herne, 2010, 112 p, 9,50 €.

 

 

Nous avons tous un dernier silence. Ainsi Mario Vargas Llosa, né en 1936, nous offrit son dernier roman avant de nous quitter en avril 2025. La stèle immense du coffret aux deux volumes de la Pléiade veille sur son souvenir, bien qu’elle ne soit qu’un choix parmi son œuvre immense et polymorphe, où domine la sphère romanesque, mais aussi le théâtre, les essais. Quoique paru dans le monde hispanique en 2023, nous arrive de manière posthume son dernier roman : Je vous dédie mon silence. Auprès de ce retour aux sources péruviennes, ce sont, non sans autodérision, les soucis d’un vieil homme, dans Les vents, écrit en 2020. Les deux extrémités de la vie sont rédimées par le souvenir et le constat. À ce parcours sensiblement autobiographique correspondent des périples géographiques, entre un Journal de guerre en Irak et un Tour du monde en 80 textes. N’oublions pas que notre immense créateur trouve également son inspiration parmi les penseurs du libéralisme économique et politique, ainsi qu’à l’autre extrémité du spectre de la pensée, en fréquentant Jorge Luis Borges. Soit un esprit complet.

Une valse romanesque emporte dans son mouvement narratif ce livre intitulé Je vous dédie mon silence. En effet, non seulement le sujet, mais aussi la composition, emprunte la forme d’une danse musicale, voire du contrepoint. L’on peut comprendre ce silence, comme celui qui reste après l’écoute émue.

Ni musicien ni danseur, Toño Azpilcueta est cependant un musicologue, quoiqu’impécunieux. Il sait tout sur la valse péruvienne, ses compositeurs, ses interprètes et publie des articles spécialisés dans les revues éphémères qui le paient chichement. Ce sont « marineras », « tonderos », « huaynos » et autres polkas de Piura.

 Soudain, lors d’une soirée peu achalandée, un jeune guitariste inconnu le bouleverse. Hélas, l’inattendu prodige qui enchante bientôt les foules meurt presque aussitôt ; ce qui pousse Toño à partir à la recherche des origines et des témoignages du talent de Lalo Molfino. Pas seulement à Lima, la capitale, l’enquête nostalgique se poursuit dans tout le pays, y compris dans les montagnes andines. Parviendra-t-il à changer les notes de son calepin en un ouvrage sommital ? Son ambition n’est pas mince : « il conterait la vie fugace de Lalo Malfino tout en composant un grand essai sur la culture et les coutumes du Pérou ». Ce serait en effet répondre à un défi. Car faisant ses adieux sous la lumière du spectacle, l’artiste conclue par un ultime accord et offre au public comblé et cependant estomaqué ces derniers mots : « Je vous dédie mon silence »…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme dans le grotesque destin chevaleresque de Don Quichotte, cela pourrait être une épopée, mais l’on glisse dans sa parodie. La malheureuse épouse du musicologue, Matilde, s’épuise aux lessives et repassages pour nourrir la famille. De surcroit Toño est une sorte de maniaque obsessionnel, qui, à l’occasion d’une émotion trop vigoureuse se sent parcouru depuis les mollets jusqu’à son dos par des bestioles répugnantes au point de devoir se déshabiller et se gratter comme un frénétique. Une chanson d’ailleurs en témoigne : « J’ai une grosse trouille / de la souris et du cancrelat / car ce sont des bestioles/ qui se mettent dans le matelas ». Les maniaques sont d’ailleurs des topoï chez Mario Vargas Llosa. Par exemple Don Rigoberto[1], maniaque de la propreté, qui, chaque jour circonscrit soigneusement les « oboles » de sa toilette corporelle à heure fixe. Et plus encore les dictateurs délirants absolus, comme le caudillo de Saint- Domingue dans La Fête au bouc[2].

Mieux vaut en rire. La preuve, le portrait satirique du psychanalyste qui tente de soigner la gratouille incessante de Toño vaut son pesant d’humour. Cette affection est évidemment une métaphore de son admiration inconditionnelle – revers de sa propre déréliction et incapacité créatrice  – à l’égard de l’artiste dont il n’a côtoyé le talent qu’une unique fois…

C’est à tel point que ce « scribouillard » - pour reprendre l’un des premiers titres[3] de notre romancier –  poursuit sans relâche ses recherches, y compris après la parution de son livre, auquel il veut sans cesse ajouter chapitre sur chapitre, au cours des quelques rééditions, et le métamorphoser en un monstre indigeste, infiniment ridicule, dont l’impossible succès le vouera au pilon. Là encore la dimension satirique est impayable.

« Les veines les plus profondes de la nationalité péruvienne, ce sentiment d’appartenance à une communauté unie par les mêmes décrets, les mêmes nouvelles, tout cela baignait dans la musique et les chants populaires ». En ce sens si cet hommage au folklore national peut nous sembler d’un pittoresque un peu lointain, le personnage est attachant, dérisoire et drolatique, la narration toujours agréablement lisible, y compris dans des parties plus précisément didactiques, qui sont d’ailleurs complétés en fin de volume par un glossaire des termes locaux et musicaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En dépit d’un titre apparemment poétique, Les vents, il ne s’agit pas de phénomènes atmosphériques, mais d’un euphémisme pour les flatulences d’un vieux monsieur perdu dans un Madrid qu’il ne reconnait guère, tant il a du mal à retrouver son chemin. Le naufrage est tragique, mais il est traité en ce récit de manière douce-amère, avec un humour désabusé, par le narrateur-personnage. Non seulement il est affligé de « vents » récurrents, mais il devient « l’homme-caca, des fesses aux talons.

Le voilà parcourant en boucle les rues madrilènes. Mais sa mémoire le trahit : où est donc son domicile ? La déambulation, qui a des airs d’adieu au monde,  permet de voir défiler toutes les séductions de la vie et de la ville, tels les plaisirs de la jeunesse du théâtre et du cinéma.  Si la volupté de la lecture et de l’imaginaire libérateur et rédempteur parait encore ardente, la chose hélas se voit effacée, rayée, dans le cadre d’une dystopie où la littérature est dépréciée, oubliée, empêchant toute lucidité. Le parcours désabusé, amer, est cependant animé par l’humour, la mise à distance ironique de soi. Alors que ce domicile finalement retrouvé – mais pour combien de temps ? – s’avère être le propre appartement de Mario Vargas Llosa, calle de la Flora, à Madrid. La dimension autobiographique est ainsi particulièrement émouvante.

Là encore la satire de la crise de la culture – pour reprendre le titre d’Hannah Arendt[4] – est patente. Une exposition intitulée « Sculptures pour l’odorat » occasionne ce commentaire bien senti : « Je n’aurais jamais pensé que la métaphysique puisse sentir le pet […] j’ai bien assez des miens ». Le théâtre et l’opéra sont devenus « une pitrerie pour y fourrer des écrans, comme tout dans ce monde électronique et digital où nous avons atterri grâce au progrès ». Même le sexe a disparu : « il a perdu sa magie et les jeunes y répugnent ». L’Etat « verbalise et envoie en prison » ceux qui contreviennent à l’interdiction de manger de la viande. Les attentats terroristes contre les animaux domestiques se multiplient. En conséquence, « Ce que les religieux sérieuses faisaient avec élégance, beauté, science intellectuelle, est maintenant le gagne-pain d’une mafia d’imposteurs analphabètes et d’illusionnistes amateur ». À la « la lente décomposition de l’organisme », répond celle de notre civilisation. En ce très beau récit, non loin d’Orwell ici explicite, un terrifiant futur éradicateur né de quelques délires de notre présent se met à exploser…

Carmona, Sevilla, Andalucia.

Photographie : T. Guinhut.

 

 

En compagnie de son cher Phileas Fogg, Jules Verne effectua un brillant Tour du monde en quatre-vingts jours, que Julio Cortazar subvertit en un Tour du jour en quatre-vingts mondes[5] ; voici avec notre cher Mario Vargas Llosa un Tour du monde en 80 textes. Homme livresque ou homme de terrain ? Parcourant le globe, y compris sur ces terrains les plus brûlants, Mario Vargas Llosa se fait également reporter engagé auprès des champs de bataille, en Irak, d’où il ramène un Journal de guerre, voyageur au regard affuté, des Andes à Berlin, d’Hawaï au Japon. En même temps que créateur d’épiques romans incontournables, tel La Guerre de la fin du monde[6], il n’oublie pas d’être un lecteur des fictions de ses pairs, en particulier, et non des moindres, Jorge Luis Borges, durant un demi-siècle.

Traditionnellement, la plume parlait devant l’épée, le plus souvent en vain. Le clavier aujourd’hui tente de discourir face à la guerre. Le titre de ce Journal de guerre est plus explicite en l’original : Diario de Irak. De plus, dans l’édition espagnole[7], il est accompagné des clichés pris par sa fille Morgana, photographe de guerre de son état. Il est dommage d’ailleurs que notre éditeur n’ait pas eu ce soin.

Nous sommes parmi les tout premiers temps de le Guerre du Golfe, en l’été 2003 ; alors que l’on ignore qu’elle allait perdurer huit ans. Mario Vargas Llosa va-t-il rester sur ses positions, condamnant l’intervention militaire américaine ?

De façon provocatrice, Mario Vargas Llosa lance dès l’introït : « L’Irak est le pays le plus libre du monde, mais comme la liberté sans ordre et sans lois n’est que chaos, c’est aussi le plus dangereux ». La fin du régime de Saddam Hussein coïncide avec « l’anarchie généralisé de ce pays sans Etat, sans services, sans police ni autorité ». Débauche de marchandises, d’argent liquide, de presse fantaisiste, d’internet et de paraboles sont de l’ordre d’une liberté nouvelle après la chute du tyran. Quand les « Ali Baba » du vol et de l’agression sont légion (ou plus exactement les quarante voleurs), « la masse hurlante des croyants » foisonne parmi le chaos terroriste. Les ordures voisinent avec les femmes couvertes de leurs noires abayas tandis que l’on psalmodie le nom d’Allah de manière hystérique. Alors que ce berceau de l’humanité, la Mésopotamie, fut aussi celui de l’écriture et des tablettes encyclopédiques…

Comment pouvoir prôner la paix et la démocratie libérale dans un tel contexte ? La gageure est de taille. Notre écrivain espère cependant que l’homme armé de raison saura évacuer dictature et fanatisme. Il n’est cependant pas certain – et c’est plutôt peine perdue – que l’irruption d’une force étrangère puisse permettre une telle évolution, d’autant que se réveillent les monstres des tyrannies religieuses et nationalistes. Et notre romancier de se résigner au scepticisme : « C’est là le Moyen Âge pur et dur, et l’idée que ce pays puisse parvenir à une démocratie moderne et fonctionnelle en peu de temps est illusoire ». Quoique l’on puise lui faire remarquer que ce Moyen Âge n’a rien de celui de la chevalerie et de nos cathédrales…

Contrairement à ce que le titre laisserait penser, ce journal n’est pas organisé au jour le jour, à la façon du diariste, mais au moyen de huit chapitres, de « La liberté sauvage » à « Le vice-roi », en passant par « Les croyants ». Ce vice-roi étant Paul Bremer, chargé par le Président Bush d’organiser « la démocratisation et le reconstruction de l’Irak », au-delà du « socialisme étatique » de Saddam Hussein. « Ce rêve peut-il se concrétiser ? » Notre auteur « pense que oui ». Mais la passivité américaine face aux pillages pèse lourd dans la balance. De plus, un Conseil de gouvernement composé de chiites, Kurdes, sunnites, Turcomans, chrétiens, communistes, peut-il imaginer de taire ses différents, ses casus belli permanents, ses fanatismes ? La suite hélas a fait de ce rêve un dépotoir oublié, grêlé de terrorisme, finalement liberticide…

Pourquoi ne traduire que vingt ans après cet opuscule ? Les esprits chagrins y verront du réchauffé. D’autres, plus perspicaces, sauront son intemporalité, lorsqu’il s’interroge sur le concept de guerre juste, dans la tradition philosophique, de Saint-Augustin, Saint-Thomas d’Aquin et Hugo Grotius. Selon ces derniers elle doit relever de l’auctoritas principis, la puissance publique et non privée, de la causa justa, la cause juste, de l’intentio recta sans intentions ni causes cachées mais uniquement dans le but de faire triompher le bien. L’on y ajoute la proportionnalité de la violence, la forte probabilité de succès, et enfin les accords de paix qui doivent être équitables pour toutes les parties. Or Mario Vargas Llosa s’interroge : était-ce « une idée juste ou une erreur de s’opposer à la guerre » menée par les Etats-Unis ? Avec notre écrivain d’abord dubitatif, l’auteur de ces modestes lignes pensait alors qu’il était toujours bon d’éradiquer un dictateur génocidaire, donc de soutenir cette intervention ; certes. C’était méconnaître l’islam inhérent à ces contrées, l’atavisme nationaliste et tyrannique, le mépris des femmes, tout ce qui n’a guère amélioré l’Irak, laissé aux détritus de l’Histoire. Pourtant, à l’issue de son voyage d’investigation, Mario Vargas Llosa se découvre favorable à l’intervention américaine. La capacité à faire évoluer son jugement, sa conviction – même si nous ne la partageons pas – n’est pas une des moindres qualités de l’auteur.

De surcroit, le plus étonnant peut-être de ce modeste journal - douze jours ne suffisant peut-être pas à comprendre et juger avec une expertise suffisante - est ce qui nous permet de retrouver des types humains tels que les romans avaient permis de les portraiturer. L’ayatollah Al-Hakim est un halluciné qui parle « avec la tranquille détermination de qui se sait en possession de la vérité », exactement comme, dans un autre contexte historique et géographique, le fou de dieu qui parcourt le Brésil, traînant l’enthousiasme de « trente mille sectateurs » à sa suite, dans La Guerre de la fin du monde. Le reporter et témoin ne va pas sans l’expertise du romancier et de la fiction.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plus éclectique, plus cosmopolite est ce Tour du monde en 80 textes. « Ou presque », le mot étant à prendre avec humour et modestie, puisque l’on ne lit ici que vingt-neuf déambulations, en démarrant à partir de la « peur de l’avion », heureusement vaincue grâce la lecture de romans prenants, donc d’une « pharmacopée littéraire ». Jusqu’à « Stanley à terre », soit le Congo martyrisé, où l’on travaille dans des entreprises fantômes : « quand la réalité est insupportable, la fiction est un refuge ». Là-bas règne encore le souvenir délétère de Léopold II, roi des Belges, où l’écrivain puisa l’inspiration du Rêve du Celte[8]. Comme à Saint-Domingue où se dessina La Fête au bouc, hallucinant portrait de dictateur sud-américain.

Heureux (ou presque) est le voyageur, puisque tous les continents sont visités, de New-York à Berlin, de Rome à Dublin, haut-lieux de culture, à Londres où hélas une bibliothèque ferme ses portes ; mais aussi parmi les « cauchemars andins » et les enfants gazaouïs endoctrinés à lancer des pierres plutôt qu’à édifier la démocratie libérale. Les fractures politiques et fanatiquement religieuses font partie du monde comme il va et ne va pas. En 1997, et aujourd’hui encore, « les flammes de l’apocalypse menacent de nouveau à l’horizon du Moyen-Orient ». Les « vérités contradictoires » des Israéliens et de ceux que l’on appelle faussement les Palestiniens doivent impossiblement coexister, à l’encontre des folies homicides.

Parfois, des personnages charismatiques ou loufoques marquent les lieux, tel cet illuminé sympathique qui se prend pour Jésus, à Port-au-Prince, en Haïti. Mais d’autres sont autrement marquants. Car le parcours en pointillé trouve sa dimension littéraire, dans la mesure où les écrivain-phares sont des prétextes pour découvrir une exposition Marcel Proust à la Bibliothèque Nationale de Paris, le Chili du poète Pablo Neruda, la Russie avec la maison de Dostoïevski, ou encore le peintre Gauguin parmi « les homme-femmes du Pacifique », à Tahiti, où l’on est pourtant fort homophobe, le théâtre Nô japonais, en autant de pèlerinages et d’initiations…

Ce puzzle de chroniques, publiées en divers journaux, dont El Pais, entre 1965 et 2008, aux agréables brièvetés, ne peut qu’enchanter le lecteur, voyageant ainsi en pensée, sans exotisme vain, encore moins celui « tapageur en carton-pâte » d’Hawaï. Car là rien n’est gratuit : une question cruciale surgit toujours. Avec un regard à chaque fois aigu sur les mœurs, le caractère des lieux et des temps, les fractures civilisationnelles ; et – d’autant plus s’il s’agit des lieux d’une gestation romanesque nouvelle pour l’écrivain –  ce qui peut apparaître comme une solution : les ouvertures vers l’art et la littérature.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout semble séparer, mis à part leur qualité de latino-américains, l’un péruvien l’autre argentin, Mario Vargas Llosa et Jorge Luis Borges. Le premier, dont le maître est Gustave Flaubert, pratique les vastes fresques romanesques, nanties de thématiques politiques omniprésentes ; le second, amateur de Léon Bloy, de Gibbon et des Mille et une nuits, préfère les contes passablement brefs et les essais intemporels. Le premier se montre féru de réalisme et d’Histoire, le second goûte le fantastique et l’onirisme. Pourtant Mario Vargas Llosa le lit et relit avec ravissement. Une découverte, une admiration, une dégustation se consolident entre 1964 et 1999, tant le mystère de la perfection n’a jamais rien d’aussi haletant que chez l’amateur de miroirs, de labyrinthes et de tigres, sans oublier les bibliothèques babéliennes[9].

Bien qu’il dédaignât le genre romanesque, hors Henry James et le Cervantès de Don Quichotte, Mario Vargas Llosa le loue sans réserve : « Je n’ai jamais été déçu avec Borges », confie-t-il, et à cet égard il ne peut qu’avoir notre assentiment devant un art narratif si singulier, un gemme littéraire inoubliable. Aussi réitère-t-il les entretiens, les hommages, la visite du monacal appartement où les livres les plus nombreux sont dans la mémoire. Qu’il s’agisse de malfrats de Buenos Aires maniant le couteau, de controverses mythologiques ou théologiques, de ruines circulaires et mentales ou de fictives  bibliographies, les contes de Borges sont des « joyaux artistiques », dont la parfaite architecture saisit le lecteur. Et malgré la réputation extraordinaire de son œuvre, de ses Fictions et autres Aleph[10] et Histoire universelle de l’infamie[11], il se révèle d’une stupéfiante modestie, approuvant les jurés du prix Nobel de l’avoir délaissé.

La quasi absence d’engagement de l’aède aveugle ne rebute guère le libéral qui faillit être élu à la présidence du Pérou. À l’égard des positions politiques de Borges, il nuance avec justesse l’idée selon laquelle il aurait soutenu des dictatures militaires : « Le soulèvement militaire d’Aramburu a mis fin à l’odieuse tyrannie populiste et nationaliste de Perón qui, non contente de confisquer la démocratie argentine, s’était arrangé pour plonger dans la pauvreté et le sous-développement un des pays les plus modernes trente ans plus tôt et les plus prospères du monde ». Hélas il tarda à reconnaître que ce nouveau gouvernement se montrait tout aussi tyrannique ; et c’est seulement plus tard qu’il « a pris ses distances avec le régime militaire et l’a critiqué ». L’on ne sait expliquer ce passager aveuglement, sinon par le doute qu’il exprimait non sans justesse face à la capacité démocratique du continent latino-américain. Du moins en son temps, car depuis, le Chili, par exemple, au-delà d’Allende et de Pinochet a su s’élever à la démocratie libérale…

Ne reste plus qu’à traduire in extenso ce Demi-siècle avec Borges, qui en cette édition française ne compte que six parties, puisque qu’une plus récente édition espagnole[12] en propose rien moins que onze. Alors que Mario Vargas Llosa ne nous a pas habitué à se montrer en poète, Jorge Luis Borges en quelque sorte féconde son écriture, puisqu’il y propose, en ouverture, un poème intitulé « Borges dans la maison des jouets » : « Trop intelligent / pour écrire des nouvelles / il se démultiplie en contes insolites, / parfaits, / cérébraux […]  Il fait de l’espagnol / tumultueux / plein de bruit et de fureur / une langue concise, précise / puritaine / lucide et bien éduquée […] C’est un aristocrate / un peu anarchiste / et sans fortune, / un conservateur, / un agnostique / obsédé par la religion, un intellectuel érudit, / sophiste, / joueur[13] ». L’on peut considérer ces vers libres comme une synthèse de ce livre élogieux et séminal.

Romancier des libertés[14], romancier engagé en faveur du libéralisme[15], Mario Vargas Llosa, qui préfère à la civilisation du spectacle celle de la culture[16], ne dédaigne jamais d’observer les réalités du monde, qu’elles soient politiques ou livresques, au bénéfice bien entendu de la fiction et de la littérature, en une démarche éthique. Avec Jorge Luis Borges, il représente l’une des deux faces de l’épanouissement littéraire latino-américain. Sans nul doute, son œuvre, malgré la dimension aporétique de cette fiction aux couloirs, escaliers, étagères et volumes presqu'infiniment nombreux et presque toujours illisibles, figure dans un recoin choyé de la Bibliothèque de Babel.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Mario Vargas Llosa : Les Cahiers de Don Rigoberto, Gallimard, 1998.

[2] Mario Vargas Llosa : La Fête au bouc, Gallimard, 2002.

[3] Mario Vargas Llosa : La tante Julia et le scribouillard, Gallimard, 1980.

[4] Hannah Arendt : La Crise de la culture, Folio, 1972.

[5] Julio Cortazar : LeTour du jour en quatre-vingts mondes Gallimard, 1980. 

[6] Mario Vargas Llosa : La Guerre de la fin du monde, Gallimard, 1983.

[7] Mario Vargas Llosa : Diario de Irak, Aguilar, 2003.

[8] Mario Vargas Llosa : Le Rêve du Celte, Gallimard, 2011.

[9] Jorge Luis Borges : Fictions, Gallimard, 1952.

[10] Jorge Luis Borges : L’Aleph, Gallimard, 1977.

[11] Jorge Luis Borges : Histoire universelle de l’infamie, Christian Bourgois, 1985.

[12] Mario Vargas Llosa : Medio siglo con Borges, Alfaguara, 2020.

[13] Traduit par mes soins

 

Carmona, Sevilla, Andalucia.

Photographie : T. Guinhut.

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1 août 2025 5 01 /08 /août /2025 13:01

 

Abbatiale Notre-Dame-la-Blanche de Selles-sur-Cher, Loir-et-Cher.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Ut pictura poesis.

Ou les noces de la peinture et de la poésie.

La Bibliothèque du meurtrier

versus La Bibliothèque Hespérus.

 


Le conciliabule des écrivains

 

 

      Le souffle de la lecture s’exhala un dernier instant, avant que Mathilde me livre ses yeux un peu inquiets…
      -    Votre récit, Mathilde, me laisse pantois ! Stupéfiante, vous êtes. Vous m’aviez caché ce talent…
      -    Pensiez-vous, Monsieur Comminges, que je puisse confier la Bibliothèque Hespérus à n’importe quelle péronnelle ? J’aurais pu engager des dizaines de bibliothécaires érudits et soigneux pour dresser le catalogue. Voilà pourquoi elle a plus que ma confiance, mon admiration.
      -    C’est trop d’éloges, Monsieur Malatesta, je vais rougir de la nuque aux orteils.
      -    Qui suis-je, pour être parmi vous ?
      -    Mais Monsieur Comminges, vous êtes l’enquêteur, celui qui a sauvé notre vivante auteure ; celui qui a parcouru avec brio le jeu de piste des livres dont eu la présomption d’être l’indigne auteur. De surcroit, ne l’oubliez pas, vous êtes le narrateur. En cela fort précieux. Et grâce à qui un nouvel opus s'adjoindra aux livres clefs de la bibliothèque.
      -    Ecrivez-vous une nouvelle œuvre ? demanda Bénédicte, visiblement pleine d’espoir…
      -    Je ne veux plus écrire des tableaux de dépressifs suicidaires, d’alcooliques maladifs, de meurtriers invétérés, d’ambitieux politiques totalitaires ou encore de délires scientifiques menaçants. Plus d’histoires cruelles… Seulement plus que des récits d’art et d’amour. Quoi d’autre sinon l’Eros néoplatonicien et la beauté des chairs ? Mais je n’oserais faire lire à qui que ce soit mon immature ébauche. 
       -    Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
      -    Lisez-nous, Allan, votre manuscrit, l’exhorta une impatiente Mathilde, que conforta mon acquiescement.
      -    Mais il est encore brouillon, inabouti…
      -    Allons, je suis sûre que vous saurez improviser !
      -    Soit. Aux risques et périls de mes auditeurs et surtout du malhabile écrivain. Je laisserai un omniscient narrateur organiser et alterner les récits :



Ut pictura poesis


Ou les noces de la peinture et de la poésie

 


      Pourquoi ai-je cédé à l’art désuet de l’autoportrait ? Si tant est que ce soit un art, sinon panne d’inspiration et vanité… Je me suis peinte dans un halo doré qui n’a rien à envier aux madones des primitifs italiens. Mais avec un effacement sensuel qui révèle et dissout à la fois mon visage. Qui suis-je sinon une apparence éphémère ? Aussi le balancement entre abstraction lyrique et figuration charnelle est-il si parlant, du moins pour moi seule. Et la petite moi qui ne consent qu’à exposer dans de rares galeries consacrées au paysages à la limite de l’abstraction, elle regrette déjà de s’être laissée persuader par ma grande sœurette, Mira, de confier à cette bizarre galerie post-conceptuelle ce moi pictural fleuri de nuées…

      Pourquoi suis-je entré dans une exposition intitulée « Portraits et autoportraits », à l’heure de la photographie, du smartphone et du selfie ? Bien que cette galerie soit passablement renommée, plutôt consacrée à l’art conceptuel, elle semble céder aux croutes les plus malhabiles, à moins que je n’aie pas compris le propos parodique. Ce sont des coups de brosse vulgaires où s’échinent des silhouettes, où se cassent et se floutent des visages, comme s’ils sortaient de smartphones avariés, le tout amalgamé de bandes de caoutchouc noir, de métal rouillé, de plâtras.
J’allais définitivement sortir, fuir ce lieu de ravage pictural, lorsqu’une lumière me frappa le coin de l’œil. Un véritable visage au fond de l’allée. Véritable pas seulement au sens de la représentation, d’ailleurs rédimée par une abstraction sidérale, mais de la vérité intérieure qui en émanait. Epoustouflant me parut ce tableau, cette femme, ce visage peint aux dimensions d’un miroir pour elle seule, mais qui pourtant n’était qu’à moi, selon un désir que je m’ignorais auparavant, comme si la fiction de l’âme sœur s’incarnait dans l’huile et le vernis. L’arrière-pays du paysage doré par un crépuscule matinal en devenir était animé par un vent qui faisait vibrer sa chevelure. Sa bouche avait un dessin de vanille et un goût de baiser. Ses yeux enfin semblaient percevoir leur admirateur, tout en le fuyant dans l’abstraction pure du front…

Anonimo, siglo XIV, Museo de la catedral de Jaén, Andalucia.

Photo : T. Guinhut.


      -    Qui est l’auteur de cet autoportrait ? demandé-je au galeriste qui paraissait se gausser de moi, me voyant là tétanisé depuis de longues minutes. En un miracle intemporel, je m’étais senti coincé entre l’éternité et l’instant.
      -    Vous ne voyez pas la signature, le cartel ?
      -    Bien sûr, mais « Helena Venezia »… N’est-ce pas un pseudonyme ? Ce serait trop beau pour être vrai… Qui est cette artiste ?
      -    Je n’en sais pas plus. Je ne peux rien vous dire.
      -    Ou vous ne voulez…
      -    Qu’importe. De toute façon, il n’est pas mon préféré. Une esthétique vieillotte, que seule une indulgente collusion postmoderne peut autoriser à participer à cette exposition. Un repoussoir. Il n’est là que pour être moqué.
      -    Vous voulez dire une inédite esthétique, un futur de l’art ici réalisé…
      -    Un Béotien, vous êtes, non ?
      -    Puis-je l’acheter ? Combien ?
      -    Il n’est pas à vendre… Ma galerie contemporaine se déshonorerait. De plus son auteure l’a expressément défendu.
      -    Puis-je au moins acquérir une reproduction ?
      -    Il n’y en pas.
      -    Le photographier ?
      -    Grand bien vous fasse. À condition de ne le publier, ni sur papier, ni sur un quelconque écran. Excusez-moi, j’ai du travail.
      Le plus soigneusement possible, je m’acquittai de ma révérence photographique avec mon EPhone, lui-même étrangement ému. La galerie fermait, je dus sortir, à regret. Depuis la rue, au travers de la vitrine, je ne voyais que l’ironie des croutes bardées de déchets urbains.
      Même si ma photographie était assez bonne, je ne pouvais me départir de la sensation qui m’avait saisie devant l’autoportrait d’Helena Venezia, aussi lumineux qu’énigmatique. Aussi, dès le lendemain, après la sortie de mon travail de géomètre, je courus à la galerie Goliath Muffat. Pour faire face à une incommensurable déception : le tableau n’avait disparu ! La cimaise était vide, veuve, morte. J’apostrophai le galeriste :
      -    Où est passé l’autoportrait d’Helena Venezia ? 
      -    Bon débarras. La pécore l’a remporté.
      -    Mais pourquoi ?
      -    Elle prétend avoir été flouée, moquée. Ce par les œuvres réellement contemporaines qui jouxtaient sa vieillerie.
      -    N’est-ce pas la vérité ?
      -    Peuh ! Seules les négations de la vanité humaine, les ratures, les brisures et les déchirures plastiques sont encore art. L’art, l’homme et la planète meurent à petit feu, sous la brûlure climatique dont le capitalisme est coupable. Regardez ce tableau de bois cramé où le visage craquelle et fond. Voilà notre contemporain, notre demain.
      -    Vous êtes aussi fou qu’atrabilaire… Bref, je n’échangerai pas d’arguties avec vous. Comment puis-je contacter Helena Venezia ?
      -    L’on ne peut pas. Elle est venue, elle a vu, a été vaincue. En saurais-je plus que je ne vous le dirais pas.
      Bouillonnant d’indignation à l’encontre du butor, je sortis dans l’air heureusement frais de la rue.

      D’une manière époustouflante, qui m’étonne et me submerge, je conçois qu’après mon autoportrait, ma peinture a déjà pris un autre tour. C’est tellement inattendu. Tout ce qui est derrière elle ne mérite que l’oubli de la cave. Car auparavant je croyais peindre de pures abstractions, alors qu’essentiellement influencée par Paul Klee et Olivier Debré. Suis-je cette peinture ? me dis-je, en observant mon esquisse vide, comme m’apparut soudain la précédente série. Je saisis un miroir sur son trépied pour le placer à coté de mon chevalet. C’est ainsi que, sans réellement en prendre conscience, naquit dans le nuage, mon autoportrait. J’en fus tout étonnée. Mais il me faut aller de l’avant, tant cet autoportrait en Madone nuageuse de la Peinture est moins une signature conclusive qu’une projection vers d’autres développements. Que peindre encore ?
      Ce recueil de sonnets que je viens de découvrir pourrait-il m’aider ? Je l’aime tellement. Le titre est pourtant d’une telle banalité : Les Plaisirs de la vie. Mais au travers de chapitres consacrés à la gastronomie, aux promenades urbaines et campagnardes, aux musées, aux terrasses de café, aux femmes vues dans la rue, sa richesse et sa sensibilité sont sans cesse patentes. Par exemple :
            « Plage de nostalgie

La plage sous le vent se hérisse de sable,
Embrouillant ma paupière : une plage intérieure
Accueille la vision, au filtre du bonheur,
De mon enfance aux oubliés châteaux de sable.
Un goûter framboise lychee et madeleines
Par la main maternelle, une patouille d’eau,
Des traces de pattes et des envols d’oiseaux,
Le théâtre des vagues et de la mer pleine…
C’est ailleurs que le ciel voyage et déménage,
Vers des châteaux d’écume blanche et d’océan,
Vers des châteaux d’Espagne aux princesses d’antan ;
C’est dans la mémoire où s’endorment les enfants
Que les eaux des nostalgies et des coquillages
Du temps, deviennent œuvres d’art et mots chantant. »

      Peindre, brouillant le pastel, l’huile et le vernis, cette plage intérieure. C’est là où ma destinée picturale doit aller.

      -    L’on m’a écrit pour me demander de l’autoriser de peindre une série de tableaux correspondant à chacun de vos sonnets, m’annonça Danielle Darras, mon attachée de presse aux couette-couettes perpétuellement agitées.
      -    N’importe quoi ! La poésie n’est pas comme la peinture. « Ut pictura poesis », ce n’est qu’un mythe venu d’un vers d’Horace. Mais l’on sait depuis Lessing et son Laocoon, en 1766, que ces deux arts ont des langues et des outils essentiellement dissemblables ; leur fusion est donc impossible.
      -    Monsieur Monts-sur-Guesnes. Ne soyons pas trop fermement érudit. Peut-être devriez-vous y réfléchir. Qui sait si une exposition de qualité pourrait permettre une consécration supplémentaire, une nouvelle édition illustrée…
      - Non, puéril, vous dis-je. Laissons le lecteur allumer son imagination visuelle au contact de la seule suggestion du seul texte.
      En revanche, de retour chez moi, sous la lampe où luisait la photographie, soigneusement encadrée, de l’autoportrait d’Helena Venezia, sans y même penser, comme si j’allais résoudre l’inéquation entre l’image et les mots, je me mis à écrire un sonnet d’un nouveau genre.
      Qu’importe si en vertu d’un brin d’idéalisation esthétique, ma chère Helena Venezia n’est pas aussi belle que veut le faire accroire son autoportrait. Sa beauté créatrice est l’essentiel. À moins qu’elle ait travaillé d’après une ancienne photographie, où qu’elle aie réalisé ce chef-d’œuvre il y a bien des décennies, à l’époque d’un surréalisme magique totalement inédit. Auquel cas elle serait aujourd’hui une petite grand-mère au visage brouillé de rides arachnéennes…
      Après tout, pourquoi ne pas être amoureux d’après un seul portrait, comme le troubadour médiéval, le Prince de Blaye, Jaufré Rudel, de Clémence, Comtesse de Tripoli. Pour le seul bien qu’il entendit dire d’elle. Paraphrasant Platon, j’avance que nul n’est sonnettiste s’il n’est géomètre ; tant ma formation et mon métier me permettent d’approcher la poésie au moyen d’une forme parfaitement mesurée. De plus, conséquence du beau platonicien, je dirais aujourd’hui que l’amour a le visage autant de la peinture que du sonnet.

      Rien de nouveau sur le site Internet de Romain Monts-sur Guesnes ! Quelques-uns de ses sonnets, la couverture de son livre, pas la moindre biographie, encore moins de photographie, c’est discret, nu, austère. Seuls ses sonnets brillent intérieurement. Y-a-t-il un onglet contact sur son site ? Non, absolument rien. De toute façon je n’oserais jamais. De plus, il est peut-être vieux comme un grenier, laid comme un cafard kafkaïen… Mais son âme créatrice est si belle. 
      Vérification faite, il n’y a dans la presse, ni sur son site, pas la moindre photographie de sa personne. Quel excès de pudeur, de prudence, voire de misanthropie ! Serait-il si banal, ou monstrueux ? J’aurais tant aimé le peindre…
Une fois de plus, dans cette exposition, j’ai l’impression de détonner, d’être le vilain petit canard au milieu des cygnes de l’hyperréalisme. Les portraits et autoportraits sont exacts, millimétrés, léchés et brillants, cartonnés, au point d’être vides de toute aura. Si ce n’était pour faire plaisir à ma grande sœur Ernestine, qui m’inscrit encore d’autorité, jamais je n’exposerais en de telles exhibitions où je suis immanquablement en porte-à-faux…

Marie Laurencin, Musée des Arts de Nantes, Loire-Atlantique.

Photo : T. Guinhut.


      -    C’est pour vous.
      Qui est-ce ? Je reconnais aussitôt dans sa main le recueil de Romain Mont-sur-Guesnes. Pourquoi me l’offrir ?
      -    Merci. Mais…
      -    Ouvrez-le, je vous prie.
      -    Il m’est dédicacé. Comment avez-vous obtenu ce livre ? Vous connaissez son auteur ?
      -    Peut-être. 
      Ses yeux me foudroient comme l’ultime coup de pinceau qui achève un tableau. Heureusement, dans ma soudaine panique échevelée, l’organisatrice de l’exposition me saisit par l’épaule pour me présenter à un journaliste local. Je balbutie un « Excusez-moi », emportant le livre providentiel… Répondant sans originalité aux questions convenues du journaleux malpropre aux lunettes énormes, j’essaie de me remémorer les traits de mon donateur, passablement anonymes au demeurant… Une fois débarrassé du plumitif au carnet crasseux, je parcours la salle, la foule minuscule, rien, il a disparu. Mince alors, et si c’était bien lui ? Non ! la coïncidence serait trop énorme. Romain Monts-sur-Guesne lui-même ne se commettrait pas dans une aussi dérisoire exposition.

      Visiblement, mon offrande est un échec. Elle est froide et pincée comme la face cachée de la lune. Mon malheureux livre ! Au mieux, ce sera pour elle un bouquin qui ne sert plus qu’à caler une étagère. Mais si je l’ai à peine vue, la tête humblement baissée, elle parait belle, fidèle à son autoportrait, quoique sans la lumière qui aurait dû la singulariser… Je crains que le supplément manuscrit et le carton d’invitation que j’y ai glissé soient en pure perte ! J’ai à peine pris le temps de revoir cet autoportrait qu’affreusement déçu de son accueil je me suis stupidement enfui comme un pleutre. Mais comment ai-je pu un instant imaginer qu’elle allait me recevoir comme pain béni ? Je n’ai rien d’un Adonis, elle ne lit pas de poésie, et encore moins la mienne, qui n’est pas même digne du bois de son pinceau…

      Sidérée je suis. Et si c’était Romain Monts-sur-Guesne en personne ? La dédicace est laconique : « Pour Helena Venezia, avec admiration ». De retour dans mon atelier, je couvre ce recueil précieusement dédicacé d’un papier cristal pour le protéger. Seulement ensuite, je l’ouvre avec mille précautions, le feuilletant comme si mes doigts sonnaient en musique de sonnets. Soudain, je découvre, face à la page de garde, manuscrit :


« Eloge de l’autoportrait d’Helena Venezia ».

Qui sait l’ensorcelant mystère des visages,
Comme Vierge au fond d’or de la pré-Renaissance,
Aux cheveux Voletant autour d’une conscience :
Son front est une clarté entre les nuages.
Comment un visage fait de pleins et déliés 
Peut-il défier le fleuve avalancheux du temps ?
L’expression de l’intelligence est dans le chant
De la couleur, quand le dessin est animé.
Or une transcendance, une invincible aura,
Abstraction, symétrie, équilibre esthétique,
Font d’Helena Venezia un être lyrique.
Face à cet autoportrait peint, si lumineux,
Face au visage créateur, suis-je amoureux
D’un portrait d’or ou d’Helena Venezia ? »


      Incroyable. Quel est cet effet miroir ? J’ai l’impression de lire mon tableau, non plus avec des couleurs, mais avec des mots. C’est tellement beau… Il ne peut qu’exagérer son éloge au derniers vers, tant l’on sait combien là doit être la pointe du sonnet…
      De plus, un autre cadeau ! Un carton d’invitation ornée de libellules transparentes. Une soirée dédicace, la semaine prochaine, vendredi, dans une grande librairie : La Tempête des Mots… Puis-je donc supposer à juste titre que c’était lui ? J’ai à peine aperçu son visage, grisé par ma timidité, la tête baissée que je tenais. Qu’importe, je l’aime tel qu’il est, comme une adolescente énamourée. J’aimerais tellement peindre son portrait, où l’on devinerait, même si c’est une gageure, ses sonnets…
      J’avais cru pouvoir briser le plafond de verre de ma timidité avec ce tableau. Mais je ne peux pas plus longtemps le laisser dans cette exposition inappropriée. Seul son digne admirateur mérite qu’il lui soit montré ; et en même temps qu’il lui soit caché tant il est intime…

      Idiot d’avoir quitté précipitamment l’exposition, certes si provinciale, j’y retournai aussitôt le lendemain. Evidemment, elle était absente. Pire, le tableau avait été retiré. La dame replète qui siégeait à l’entrée prétendit ignorer l’adresse de l’atelier convoité, arguant que l’artiste avait préféré quitter l’écrasant voisinage de parfaits chefs-d’œuvre. La sotte !

      Les quelques jours me séparant de la soirée de dédicace me permirent de mener à bien le tableau « Nostalgie de plage », tout ensoleillé de la brume du souvenir. Je l’exhibai pour moi seule auprès de mon autoportrait. Il ne manquait plus, afin d’affirmer un triptyque complet, que le portait encore à peindre de Romain Monts-sur-Guesnes. Allais-je me rendre à La Tempête des Mots masquée, voilée ? Un masque chirurgical blanc, une voilette de perles noires ? J’optai pour les deux à la fois, sans me rendre compte tout d’abord que je serais ainsi plus visible qu’à visage nu. Aussi abandonnai-je de telles élucubrations en arrivant à la librairie, où la tempête était autant dans ma poitrine que dans ses mots.
      Alors que je me dissimulais parmi  la petite file d’attente, je vis d’abord ses mains élégantes ouvrir le livre, signer avec élégance, comme s’il écrivait dans mes paumes. Ensuite, approchant, je pus l’observer entre deux épaules anonymes. Pas précisément un Apollon, mais un visage régulier, humble et posé, déterminé cependant, rassurant. Je notais son front et ses yeux comme deux quatrains, son nez légèrement aquilin et ses maxillaires soigneusement rasés comme deux tercets. Si jusque-là je ne l’avais aimé que grâce au choix et à l’ordonnancement de ses seuls mots, soudain je ressentis ce que l’on appelle l’amour au premier regard, le flux hormonal irradiant d’un amour sapiosensuel ! Lorsqu’il caressa de ses lèvres la bakélite du capuchon de son stylo plume, je crus en sentir la vibration sur mes propres lèvres…
      -    Monsieur Monts-sur Guesne, pardonnez-moi. Je ne viens pas pour que vous dédicaciez votre livre. Vous me l’avez déjà offert. C’est moi qui ai quelque chose pour vous.
    
      Un peu  interloqué, je vis sous ce visage baissé, des mains extraordinairement fines, féériques, ouvrir une boite en cartonnage doré, délacer un ruban de même nuance, me tendre un feuillet enveloppé de papier de soie. Confus de cet hommage qui gênait ma modestie, je dépliais la matière souple et translucide pour découvrir une aquarelle au format in quarto, sur papier fort : une atmosphère marine aux lumières tourbillonnantes et nuancée d’objets suggérés, château de sable, goûter de madeleine et main maternelle : « Plage de nostalgie, pour Romain Monts-sur-Guesnes. Helena Venezia ».
      Je fus un moment stupéfait, séduit, ravi, bouleversé, avant de pouvoir lever les yeux vers ce visage qui se dérobait encore, entre les plis de son abondante chevelure châtain, et balbutier :
      -    Vous êtes Helena Venezia !
      -    Oui.
   
      Soudain, au contraire de cette paisible cérémonie, de cette respectueuse attention, lors de l’acmé de la dédicace la plus achalandée, un bruyant collectif fait irruption, agitant, arborant, des banderoles crabouillées, vêtus de surplus militaires, encagoulés de keffiehs, houspillant des slogans haineux :
       -    On est la Ligue des Poètes Extraordinaires ! On manifeste contre les sonnets ringards, la poésie commerciale au service du capitalisme financier, contre la réaction sioniste et fasciste ! La poésie contemporaine doit être le signe de la fin du langage. Le langage bourgeois et mort pourri par la tête.

      Ce fut aussi rapide qu’incompréhensible : je vis partir des seaux et des jets de peinture et d’encre, devant lesquels je m’interposai pour faire rempart de mon corps. Sentant moins la nappe unique et collante tout le long de mon dos, que la poitrine de Romain.
      -    Votre robe rose est toute couverte, dégoulinante, de peinture brune…
       -    Votre chemise blanche est imbibée d’encre noire…
      -    Qu’importe, puisque vous êtes là.
      -    Vous avez de la peinture sur le nez.
      -    Et vous, de l’encre sur le menton.
       -    Entre les deux, nos lèvres sont roses.
      Je sentis alors mes yeux s’embuer, mes glandes lacrymales jaillir, la salive du baiser me pénétrer…
      La librairie, le temps, le bruit et la fureur, le monde autour de nous, avaient tout disparu.
      L’obscène vulgarité des manifestants guenilleux fut bientôt refoulée par le service d’ordre, leurs banderoles de linge sale ébouées dans les containers à pilon, les professionnels du désordre basculés dans un fourgon de police, enfouissant la douzaine de paltoquets comme dans un sac à viande…
      La dédicace avait été oblitérée par les brutaux. Plusieurs dizaines de volumes – et pas seulement Les Plaisir de la vie – étaient maculés d’encre et de peinture, invendables. La libraire au chignon fou et aux lunettes de cristal était consternée :
      -    Comment peut-on ainsi revivre des offensives de censure ! Et laisser prospérer des vandales rabougris par le ressentiment, drogués à la violence…

      -    Heureusement, votre aquarelle n’est pas gâchée. Je n’ai pas eu le temps de vous remercier. Comment parvenez-vous à traduire ainsi mes vers ? Je suis, je ne sais dire, époustouflé.
      -    Je ne sais pas vraiment. Il me semble je vous comprends intimement.
       -    Il me semble qu’une telle compréhension est, j’aimerai dire, réciproque. Mais je ne suis pas sûr de faire bonne figure, ainsi salement recouvert de peinture…
      -    Rassurez-vous, c’est de la peinture à l’eau. Une douche, il n’y paraîtra plus.
       -    Comment le savez-vous ?
       -    J’utilise ce genre de peinture en classe maternelle, où j’enseigne.
       -    Vous aimez les enfants ?
      -    Qui pourrait ne pas les aimer ? N’avez-vous pas écrit un adorable sonnet sur nos bambins ?
      -    C’est juste.
      -    Je suppose que votre livre n’assure pas tous vos revenus. Que faites-vous ?
       -    En effet. Même si mes droits d’auteurs ne sont, étonnamment pas tout à fait négligeable, je suis géomètre ; je dirige un cabinet.
      -    La rigueur de la mesure est donc ce qui réunit vos travaux, si dissemblables soient-ils.
       -    Cool, les p’tits loups !
       -    N’ayez pas peur ! c’est mon attachée de presse, Diane Herbal.
       -    Tout est filmé, déjà diffusé sur les réseaux ! Un attentat d’activistes fous, un couple peinturluré. Le poète viral et une inconnue au visage dérobé par sa chevelure, s’embrassant tendrement. Une agence publicitaire n’aurait pas mieux fait !
       -    N’est-il pas temps, Helena, d’ouvrir le voile de votre abondante chevelure, et de me révéler votre visage ?
       -    Oui.
     Lentement, de ses deux mains aux finesses exemplaires, Helena Venezia leva la tête en écartant souplement les vagues châtain.
      -    Votre autoportrait n’a pas menti. Vous êtes magnifique !
      -    Vous me faites, Romain, rougir jusqu’aux clavicules…
      -    Bon les p’tits loups, trêve de romance. Monsieur Monts-sur-Guesnes, n’oubliez pas que nous avons un entretien radio dans un moment…
       -    Je ne veux pas m’imposer, je fuis. De toute façon, nous avons besoin d’une douche, de vêtements propres. Si j’osai, voulez-vous venir dans mon atelier, demain, à dix-huit heures ?
       -    Avec joie. Sans faute.
       -    Voici ma carte peinte pour vous. À demain…

      L’atelier était modeste, éclairé par un jardin de fruitiers.
      -    Ainsi ce furent d’abord de pures abstractions.
      -    Oui. Je ne sais pas pourquoi j’ai cédé à l’énorme prétention de l’autoportrait. Vous reconnaissez maintenant le tableau balnéaire dont vous n’avez eu hier que l’aquarelle.
      -    Est-ce vous qui avez demandé à mon attachée de presse l’autorisation d’illustrer mes écrits ?
      -    Oui.
       -    Dire que j’ai été assez stupide pour refuser sans réfléchir ni m’enquérir de… Pardon.
       -    Vous ne pouviez pas savoir…
       -    Si vous peigniez chacun de mes sonnets, nous pourrons publier une édition conjointe, n’est-ce pas.
      -    Seulement si j’en suis digne.
      -    Je n’en doute pas un instant. Mais si vous ne créez que d’après mes œuvrettes, où sera votre propre création ? Ne devez-vous pas fournir de nouveaux tableaux, pour que ce soit mon tour d’être inspiré par votre pinceau ?
      -    Cela va sans dire.
      -    Est-ce que je peux caresser votre visage ?

Il était temps de jeter d’un coup toute ma timidité aux orties :
      -    Oui. Vous pouvez caresser mon corps tout entier. Ainsi vous caresserez ma sensibilité, mon esprit, mon art. Car je vous aime.
      -    Helena Venezia, 
je veux être un homme délicat, attentionné, à votre disposition. Car je vous aime.

      Le temps est suspendu...

 

 

Retour au conciliabule des écrivains

 

      -    J’aurais aimé écrire cette histoire, dit rêveusement Mathilde.
      -    Elle aurait pu porter un autre titre : Le Miroir des coïncidences, observe Bertrand.
      -    Vous êtes trop indulgent ! Plutôt Les Coïncidences exagérées, se récrie Allan Malatesta.
      -    C’est peut-être l’un des privilèges de la fiction. Fiction consolatrice, reprend Mathilde.
      -    Je ne suis pas capable d’imaginer d’aussi beaux récits.
      -    Mais, Bertrand, pour ce que vous vivez et allez vivre avec Mathilde, n’oubliez pas que vous êtes et serez le narrateur.
       -    Narrateur fiable, espérons-le…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La Bibliothèque du meurtrier, versus Bibliothèque Hespérus. roman

Eglise Saint-Maixent, Prahecq, Deux-Sèvres.

Photo : T. Guinhut.

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20 juillet 2025 7 20 /07 /juillet /2025 16:59

 

Rioja Filarmonia, Monasterio de Valvarena, La Rioja.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Musiques baroques et de pouvoir,

entre Lully, Vivaldi et Boulez :

Frédérick Haas, Harriet Constable

& Maryvonne de Saint Pulgent.

 

 

 

Frédérick Haas : Musique baroque ? Les Belles Lettres, 2025, 396 p, 25 €.

 

Harriet Constable : La Virtuose,

traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Cécile Arnaud,

Albin Michel, 2025, 384 p, 21,90 €.

 

Maryvonne de Saint Pulgent : Les Musiciens et le pouvoir en France. De Lully à Boulez,

Gallimard, Bibliothèque illustrée des histoires, 544 p, 35 €.

 

 

« Art de combiner les sons d’une manière agréable à l’oreille », la musique ne mérite le vague concept du baroque que depuis assez peu, soit depuis son renouveau à partir des années soixante. Cependant qu’il y-a-t-il de commun entre Monteverdi et les fils Bach que deux vastes siècles séparent ? C’est avec un talentueux claveciniste, Frédérick Haas, que nous parcourons deux siècles astucieusement et brillamment sonores. Si le baroque emporte toute l’Europe de l’ouest, de la Venise de Vivaldi – telle que romancée par Harriet Constable – à l’Allemagne de Bach, en passant par l’Angleterre de Purcell, la France est marquée par la figure tutélaire de Lully, protégé par la « dictature musicale » de Louis XIV. Ce qui conduit Maryvonne de Saint Pulgent à s’interroger sur la récurrence des relations entre la musique et le pouvoir, de Jean-Baptiste Lully à Pierre Boulez. Est-il si nécessaire d’imaginer une mainmise étatique sur l’art des sons ?

Le clavecin n’est-il pas l’instrument allégorique du baroque ? Ses cordes pincées chatoyantes et moelleuses font résonner ricercares, sonates et partitas, sans compter les concertos. Comme de juste, Frédérick Haas est claveciniste et co-fondateur de l’ensemble Ausonia. Quoiqu’habitant à Avignon, il enseigne le clavecin au Conservatoire royal de Bruxelles. Non content de pratiquer le répertoire canonique, il fouille les bibliothèques, rencontre les experts et les facteurs d’instruments les plus pointus. Sa discographie rassemble des œuvres de François Couperin, Jean-Sébastien Bach, Domenico Scarlatti, Jean-Philippe Rameau… Car, selon le compositeur Giovanni Maria Trabaci dans son Secondo Libro de Ricercate (Naples, 1615). « Le clavecin est Seigneur de tous les instruments du monde, et l’on peut avec lui jouer toute chose avec facilité ». Ce que le modeste auteur de ces lignes ne contestera pas un instant.

Si le titre de Frédérick Haas est au mode interrogatif – Musique Baroque ? – c’est pour répondre à la difficulté de précisément définir ce qu’elle est. D’autant que l’on peut s’étonner de son éclipse brutale, hors le souvenir de Jean-Sébastien Bach au XIX° siècle, et surtout de son renouveau depuis le coup de force musicologique de Nikolaus Harnoncourt en 1953. Aussi faut-il nécessairement sonder la régénération des pratiques instrumentales qui nourrissent l’enthousiasme continu des interprètes, de William Christie à Jean-Pierre Malgoire, et des auditeurs mélomanes.

Au début du XVIIe siècle Monteverdi peaufine le madrigal, crée l’immense fresque des Vêpres de la Vierge et invente l’opéra, avec son Orfeo. Le baroque s’éteint lorsqu’il se mue en rococo, lorsqu’il voit les toutes dernières pièces de Jean-Sébastien Bach – en particulier L’Art de la fugue – se glisser vers ce qui deviendra le classicisme de Haydn et Mozart.

Joueuse de luth, Ecole française du XVII°, Musée Sainte-Croix, Poitiers, Vienne.

Photo : T. Guinhut.

 

Cependant Frédérick de Haas, en sa définition de l’art baroque reste un peu flou. En effet, au contraire de l’austérité protestante, la contre-réforme catholique privilégie la splendeur, l’excès architectural et pictural, ce qui se traduit en musique par un raffinement spectaculaire, des formes extravagantes qui s’envolent, en particulier en Italie. La basse continue, à laquelle notre essayiste consacre un chapitre, fonde l’écriture d’une sonate virtuose. Notons que la France, qui goûta longuement le luth, peut difficilement être qualifiée de baroque. En effet la tragédie lyrique de Lully et Charpentier reste classique, tant elle s’apparente au classicisme de Racine.

L’interprète scrupuleux s’appuie sur de nombreux traités, par exemple La Mécanique des doigts de Rameau (1724). Mais il a bien conscience que le baroque est un « artefact moderne », peut-être un peu trop figé. Une esthétique ancienne selon un modèle prétendument authentique, de façon à faire sonner comme il en était il y quelques siècles, voilà qui reste une utopie. Or il recherche un geste musical vivant. Une règle énoncée dans un traité ne peut selon lui être révérée comme une prescription absolue, idéalisée, mais à relativiser parmi d’autres sources. C’est bien l’élan poétique qui doit régir l’esprit et les doigts du concertiste. En ce sens l’orthodoxie historique n’est pas tout.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Frédérick Haas est amoureux de son clavecin, instrument sensuel, métaphysique même. Ce pourquoi il se penche sur la construction de ces instruments, pour lesquels Bach, Couperin et Rameau sont ses compositeurs favoris ainsi que les plus abondantes références de cet ouvrage. Or il s’agit d’en jouer sans « force musculaire », mais avec un « toucher lent et rapide ». La précision rythmique s’accorde avec les résonnances. Ainsi seulement le clavecin « fait parler la musique »…

Sa recherche se dirige également sur la querelle des styles français et italiens, quoique Les Goûts réunis de François Couperin veuille les réconcilier. Sans oublier « le temps chorégraphique » et la rhétorique musicale. L’improvisation et l’ornementation, qui sont des constantes de la musique baroque, n’échappent pas à son investigation.

En conséquence la transmission doit veiller à ce que l’enseignement musical ne forme pas que des exécutants brillants, mais des « musiciens habités ». Au-delà d’une certaine uniformité dans les concours, des récitals obligés, ne faut-il pas soigner sa quête personnelle, enrichie par la lecture, la rêverie, le goût du son, l’art de vivre enfin. Or, souvent son verbe s’avère vigoureux, sans ménagement pour les habitudes ou les conformismes, bien que jamais cette critique soit amère : elle est portée par l’urgence de défendre la musique comme expérience vivante, transformatrice, irréductible à l’archive ou à la démonstration, mais essentiellement poétique.

Loin de demeurer un académique essai, le livre profus de Frédérick Haas a quelque chose de vibrant ; il résonne comme un manifeste passionné. Construit sans progression linéaire, il joue de fragments, récits, méditations, voire vitupérations polémiques, pour offrir son adhésion entière au répertoire baroque, dans une langue aussi libre qu’une improvisation au gré des doigts et des cordes pincées de son instrument. Car il est fort critique à l’encontre d’un monde musical passablement corseté, obsédé par la perfection formelle et la rigueur des normes pédagogiques, mais aussi l’illusion de la fidélité historique. Il s’agit pour lui de ranimer l’élan originel, de rédimer les œuvres anciennes grâce au feu de l’interprétation. En particulier dans le cadre d’une « défense du clavecin », qui rend possible « une exquise maîtrise du jeu polyphonique ».

Plus largement, notre essayiste s’attache à une nécessaire éthique : « La musique, en nous déplaçant par-delà les bruissements contingents du monde, nous nettoie [des] turpitudes ».

Venise fascine. À juste titre, celui d’Harriet Constable : La Virtuose. Surtout au faite de sa gloire baroque, au XVIII° siècle, lorsque Vivaldi enflamme les foules avec ses concertos et ses opéras. Cependant, derrière la figure du prêtre, dont les « cheveux roux scintillent comme le bois d’un violon », se cachent les orphelines de l’Ospedale della Pieta, musiciennes et chanteuses remarquables. Parmi ces jeunes prodiges brille Anna Maria, qui obtient l’immense honneur d’être nommée « maître de musique ». Ainsi la voilà « préservée de toute perspective de mariage, de tout risque d’être arrachée à sa musique ». Pour elle « les notes ont toujours eu des couleurs » et son archet virevolte en jouant Les Trilles du diable de Tartini « mieux que le diable lui-même », selon l’aveu de son auteur. Il lui faut interpréter les abondantes compositions du Maître des Quatre saisons et de surcroit composer au secours de ce dernier repu de travail, alors que les femmes ne sont guère censées étudier la composition. Hélas il ne veut pas de son originalité : elle doit se contenter de l’imiter. Pire, le génie est à la fois adulé et dénoncé : « il se sert de nous et de nos idées ».

D’une prostituée inaugurale, tombé enceinte d’un de ses clients, en passant par une concertiste engrossée malgré elle, jusqu’à la féérie de « la virtuose », un vaste panorama urbain et de civilisation défile. Ce beau roman historique, plein de passion pour l’art musical, bruissant de toutes les bassesses et beautés de Venise, emporte le lecteur. Tout juste si l’on pourrait oser lui reprocher un air du temps qui consiste à survaloriser les femmes que l’Histoire a occultées. Mais sans vouloir rabaisser ou jalouser les génies masculins, n’est-il pas justice de réhabiliter les dames plus que méritantes ?

Une perspective plus politique que strictement musicologique anime Maryvonne de Saint Pulgent. Comme tous les arts, en particulier de représentation, la musique n’échappe pas à un pouvoir, mais aussi à une emprise politique. Si elle peut-être militaire, avec les fonctions rythmiques d’entraînement à l’enthousiasme, à la fureur et au combat – comme l’est aujourd’hui la virulence percussive et abrutissante du rap dont le maître chanteur doué de peu de chant enrégimente ses fans – elle est volontiers utilisée par les princes et les gouvernants. Le centralisme français et ses régimes autocratiques ont au moins depuis Louis XIV accouché d’une musique officielle. Mécénat d’Etat, commandes et nominations font, depuis quatre siècles, bruire les théâtres d’opéras et les salles de concert. Etrange exception culturelle…

Sous la férule directe du Roi Soleil, Jean-Baptiste Lully, d’origine italienne, devient le « Surintendant de la musique du Roi ». Il règne sur l’opéra français, mais aussi sur les grands motets. D’Alceste à Persée, en passant par Atys, dont l’air du sommeil est une indépassable page d’anthologie, il fait merveille, mêlant danse et chant, le Roi lui-même étant un fort danseur sur scène. Les ouvertures d’opéras, orchestrales et chorales, sont souvent des éloges obligés et appuyés au service de sa majesté elle-même. Seule la mort du maître permet à Charpentier de prendre le relais. Suite à l’influence de Madame de Maintenon, la religiosité royale délaisse le théâtre et vient à préférer les messes de Delalande.

Le siècle de Louis XV voit les oppositions politiques se calquer sur les querelles musicales, dont celles des « Bouffons ». Musique italienne contre française, le clan de la Reine et celui du roi, Rousseau contre Rameau. La Révolution française en use en termes de propagande, au gré des fêtes de la nation, tels les chansons et cuivres révolutionnaires sous la baguette de Gossec, lié au tyran Robespierre. Méhul, lui, « enseigne le Chant du départ au peuple de Paris », selon le tableau grandiloquent de Lefebvre. Napoléon Ier se veut le repreneur de la main louisquatorzième. En toute logique, il a ses compositeurs choyés, Lesueur et Spontini, qui, bien qu’en rien méprisable, n’ont pas brillamment marqué l’histoire de la musique, hors La Vestale du second. L’empereur veille lui-même à la programmation de ses théâtres officiels, armant le bras de la censure.

Ce tropisme de la monarchie absolue perdure pendant les empires et les monarchies du XIX° siècle, avec quelques éclipses à l’occasion des régimes parlementaires. Le pouvoir garde un œil sourcilleux. Pendant le triomphe de Wagner, la France devient soit suspicieuse, soit enthousiaste. Ne doutons pas qu’après la guerre franco-allemande cette question devienne fort politique. Autre triomphe, mais à Paris, celui d’Offenbach, volontiers satiriste. Une autre « guerre des écoles » s’instaure, entre Saint-Saëns, Fauré, d’Indy…

Toutefois n’allons pas croire que le XX° siècle fût exempt d’une telle  tentation dictatoriale. Car aussi bien le Groupe des Six fut dans l’orbite de l’aimant du pouvoir. Le Front Populaire, avec sa pente communiste, use des fêtes populaires, des chants collectifs, soit des codes de la propagande révolutionnaire.

Pendant la cinquième République, ce ne furent pas moins de quatre Présidents, à partir de Georges Pompidou jusqu’à Nicolas Sarkozy, qui s’entichèrent de Pierre Boulez. Le chef d’orchestre subtil, qui conduisit si bien Debussy et Ravel, fut fêté par les plus grands orchestres, y compris aux Etats-Unis, avant d’être rappelé en France pour présider à l’Ircam, un centre de recherche, en particulier électroaccoustique, et à l’Ensemble Intercontemporain. Elève d’Olivier Messiaen, compositeur aujourd’hui trop victime de désamour, il brille pourtant au moyen de ses Notations pour piano puis pour orchestre, de sa magique adaptation mallarméenne : Pli selon pli. Voilà cependant ce que notre musicologue appelle, peut-être avec ironie : « L’Etat-providence musical ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fidèle à la vocation de la collection – La Bibliothèque illustrée des Histoires – cet ouvrage est orné de dizaines de reproductions de gravures et tableaux, de photographies, jusqu’à des caricatures, dont Berlioz brocardé par Grandville en « Un Concert à mitraille »…

Si Maryvonne de Saint Pulgent ne regrette pas formellement cette mainmise du pouvoir sur l’art musical, elle n’en reste pas moins amère : « Toute la politique culturelle, après Malraux, a consisté,  puisque qu’on n’arrivait pas à populariser les chefs-d’œuvre, à déclarer chef-d’œuvre l’art populaire[1] ». Voilà qui est bien senti. Car le grand public, sous réserve d’être encore attaché à la musique du XVIII° au XIX° siècle, s’est détourné de celle du XX°, surtout s’il s’agit de sérialisme. Un certain et léger regain d’amour – et c’est heureux – se rapporte aujourd’hui au minimalisme d’un Philip Glass et de Steve Reich, « pur produit du libéralisme culturel américain ». Mais lorsque le pouvoir politique se désintéresse de l’art des sons, il ne reste plus que la variété, le rock, et pire encore, le rap pour animer – sinon détruire – les oreilles populaires.

Maryvonne de Saint Pulgent, qui de plus s’est consacré aux rapports du pouvoir et de la foi en écrivant La Gloire de Notre-Dame, conduit là un ouvrage érudit, bourré de notes, néanmoins efficacement lisible, à la perspective aussi originale que pertinente. Il n’en reste pas moins que la question de la dépendance de la musique – et plus largement des arts – à l’égard du pouvoir politique est, sinon moins d’actualité, impressionnante, quoique la servitude volontaire des artistes puisse être patente. Ceux-ci ont-ils besoin du pouvoir de l’Etat, de son cortège de prébendes et subventions, pour exister aux dépens de leur liberté ? L’on ne peut hélas compter sur le seul public, lorsque l’argent est le nerf de l’art. Aussi la variété des Fondations aux fonds privés, leur concurrence, peut avoir le mérite de susciter et entretenir la création, quoiqu’en leur sein les idéologies puissent être véreuses. Ne se préoccupe-t-on pas plus de causes sociétales que de causes scientifiques et culturelles, en arborant les grands chevaux de la parité, du climat ? Ainsi l’Elysée de Macron promeut les disc-jokeys, le pop-jazz, portant « un message de solidarité à la veille du Sommet pour un nouveau Pacte financier mondial en faveur de la réduction de la pauvreté et de la protection de la planète » ! La propagande du Roi-Soleil avait le mérite d’être moins creuse, musicalement plus glorieuse et poétique…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur La Virtuose fut publiée dans Le Matricule des anges, juillet 2025


[1] Maryvonne de Saint Pulgent : Le Point, 24 avril 2025, p 150.

 

Organo de Matapozuelos, Valladolid, Castilla y León.

Photo : T. Guinhut.

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Métamorphoses du colonialisme

Mario Vargas Llosa : Le rêve du Celte

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Enfer et Purgatoire de la traduction idéale

De la Vita nuova à la sagesse du Banquet

Manguel : la curiosité dantesque

 

 

 

 

 

 

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Daumal

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Defoe

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Démocratie

Démocratie libérale versus constructivisme

De l'humiliation électorale

 

 

 

 

 

 

 

Derrida

Faut-il pardonner Derrida ?

Bestiaire de Derrida et Musicanimale

Déconstruire Derrida et les arts du visible

 

 

 

 

 

 

Descola

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Dick

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Construire l’ennemi et autres embryons

Numéro zéro, pamphlet des médias

Société liquide et questions morales

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Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré, une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

VIII Morphéor intelligence quantique amoureuse

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com

XVIII Bibliothèque Hespérus et Petite porcelaine bleue

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme : Ages & Colloques

Manuzio, Budé, Byzantinistes & Coménius

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Vanité de la mort : Vincent Wackenheim

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

La Cité aux murs incertains, L'Incolore Tsukuru

 

 

 

 

 

 

Muray

Philippe Muray et l'homo festivus

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

Miscellanées littéraires : Cloux, Morrow...

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Pléiade & Sonnet pour Hélène LXVIII

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Les obsolètes face à l'intelligence artificielle

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science-fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Métamorphoses du sonnet contemporain

 

 

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Wells

Wells aventurier du temps et socialiste déçu

 

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

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