Parador de San Ildefonso de La Granga, Segovia, Castilla y León.
Photographie : T. Guinhut.
La Bibliothèque du meurtrier,
versus Bibliothèque Hespérus,
roman.
XIX
La vraie vie d’Allan Malatesta
- Et puisque l’affreux Zeldon nous a livré sa version des faits, avança Mathilde Bénédicte, ne faut-il pas nous dire quelle fut votre vie, et, surtout, nous offrir le cheminement de la vocation qui vous a conduit à édifier cette bibliothèque ?
- Eh bien, vous n’avez plus qu’à m’écouter vous lire ce nouvel écrit, en ce volume soigneusement relié de pourpre, soit ma vraie vie, foi d'Allan Malatesta ; en quelque sorte le memento de la Bibliothèque Hespérus :
Comme vous ne l’ignorez plus, loin de moi ce Zeldon Malatesta, meurtrier en série des bibliophiles de mauvais goût, qui crut pouvoir me mettre ses crimes sur le dos et dont vous avez découvert le corps définitivement défunt dans le Mausolivres.
Mon nom, Allan Malatesta, d’origine médiévale, viendrait de quelque brute avinée, ou d’un condottière de la Renaissance, ce qui n’est guère contradictoire. Comme quoi, du moins je l’espère, il n’a pas de fatalité induite par le patronyme. Le solstice de juin vit ma naissance. Alors que Zeldon Malatesta avait éclos un 21 décembre, du moins selon la date de son adoption. Mes parents, impatients d’attendre un enfant qui ne venait pas, l’avaient adopté au moyen d’une obscure agence spécialisée dans les orphelinats roumains. Il n’avait sur ses langes, qu’une étiquette de carton sur laquelle cet étrange prénom était maladroitement calligraphié, comme à demi mouillé de larmes séchées. Je naquis trois ans plus tard. Mère et père ne faisaient pas la moindre différence à cet égard entre leurs deux garçons ; et ils s’efforcèrent de tenir parole.
Et je n’étais pas seul. Puisqu’après une vaine attente, c’étaient des jumeaux que le ventre de ma mère portait, et que mon père écoutait et sentait bouger au bonheur de ses baisers attendris. Ma sœur s’appelle Angelina. Et si nous n’étions pas semblables, ne serait-ce que par le sexe, nous fumes longtemps complices.
À l’âge de vingt ans, ma chère Angelina crut bon de s’acoquiner avec un homme qu’elle aimait selon ses dire « à s’en tordre les tripes ». Un étudiant en Lettres qui ne jurait que de devenir écrivain, dont les phrases, prétendait-il, coulaient dans ses veines créatrices. Mais à la déception de tous, et d’Angélina la première, c’était surtout l’alcool qui nourrissait et pourrissait ses artères. Faute d’autre inspiration, Oxyel Dreamend ne réussit qu’à narrer ses traumatismes et ses alcools forts dans un pseudo-roman, qui put persuader un éditeur de le publier. Ce fut un échec désastreux. Une presse muette, soixante-et-onze exemplaires vendus, des retours par centaines dans les presses à recyclage, un refus net et poli de l’éditeur d’envisager une autre publication… Malgré les tentatives de consolation raisonnable d’Angélina, qui arguait que l’échec d’un premier livre ne présageait pas de l’échec des suivants, qu’il y avait d’autres éditeurs, qu’il fallait se tourner vers d’autres sources d’inspiration, qu’elle serait sa Muse, le drôle aux traits déjà émaciés cherchait à compenser le sang de l’écriture perdue par les abysses des cocktails violemment alcoolisés, jusqu’au désastre glorieux et rapide du delirium tremens. Personne ne sut si le balcon avait été complice d’une chute écrasante. Ne restaient à ma sœurette que des larmes. Qu’elle sécha un peu plus tard en jurant de ne jamais plus aimer ; de ne se consacrer avec ferveur qu’à sa galerie d’art qui commençait à trouver une clientèle aussi fortunée qu’avisée. Ce qu’elle fit avec constance et sagacité. Pourtant elle céda aux avances d’un Professeur d’Université spécialisé dans l’Art contemporain. Bien lui en prit, puisque cet homme lui permit, outre un mariage harmonieux, d’enfanter deux filles, qui sont également mes nièces préférées, Alice et Gisèle.
Vous savez maintenant où j’ai puisé l’inspiration de mon récit L’Ecrivain voleur de vie.
Lorsque Zeldon se révélait turbulent, préférant jouer les chenapans plutôt que d’étudier, à chacun de mes petits succès scolaires je réclamais d’enfantines encyclopédies, que père et mère m’accordaient volontiers.
Bientôt, à la faveur de mes aptitudes scientifiques et mathématiques, en sus de mon cursus de Finance internationale, j’accédais à l’Ecole Fédérale Polytechnique de Zurich, puis au saint des saints de la banque Burgenstein & Valais. Entretemps, sans compter allemand, français et anglais, j’avais appris le latin par jeu et surtout de façon à pouvoir lire dans l’original Copernic – De Revolutionibus orbium coelestium – et Newton – Philosophiæ naturalis principia mathematica – tout en sachant combien l’argent meut les étoiles humaines…
Pendant ces années de jeunesse, Zeldon avait cru bon de fuguer, de revenir, de frôler la prison pour usage et revente de drogue, de désespérer mes parents, qui, de guerre lasse, lui avaient alloué à sa majorité une pension mensuelle suffisante, hélas pour préférer l’alcool certain et les filles douteuses, des boulots de courtier plus ou moins fallacieux et des bricolages d’informaticien filou. Il vaquait le plus souvent loin de Zurich. L’on croyait en être ainsi débarrassé. Mais il obsédait de son ombre mes parents, qui culpabilisaient, comme s’ils avaient commis un crime d’adoption indu, alors qu’ils n’avaient rien à devoir se reprocher ; ce que je disais régulièrement, finissant par les apaiser.
Vous devinez là d’où j’ai tiré l’insistante inspiration qui me fit écrire Le Clone du couloirdelavie.com.
Pourtant il revint un jour, affublé d’un vilain tee-shirt noir à l’effigie de Che Guevara, ce trop fameux portait photographique aux cheveux romantiques, vantant l’effigie ornant sa poitrine comme le libérateur des peuples opprimés, comme la revanche des mal-aimés, hurlant des outrages insensés, jurant d’abattre le capitalisme dont nos parents étaient le modèle et le véhicule, alors qu’il en suçait chaque mois l’argent sans la moindre contrepartie. Depuis qu’il fut jeté dehors par le majordome et garde du corps, nous ne le revîmes plus. De loin en loin, l’écho de ses frasques nous parvenait : rendez-vous louches dans des clubs de poker, des courses hippiques truquées, diverses inculpations pour trafics de drogues multiples et séjours sous les écrous, club anarchiste dissous par les autorités.
Vous avez deviné que là j’ai tiré l’inspiration du récit que vous avez lu : Le Club des tee-shirts politiques.
Je ne voudrais pas véhiculer des clichés manichéens entre deux frères si dissemblables, mais la réalité est parfois ainsi faite. Certes je ne pouvais prétendre à aucune perfection. N’étais-pas un brin infatué de ma personne, voire hautain ? Aux côtés de mes entreprenants congénères de promotion, ne prétendais-je pas à l’austérité asexuelle ; face aux jeunettes et plus mûrettes qui m’auraient volontiers capturé, j’affectais la froideur, baladant un long faciès de plomb…
Qu’allais-je faire de ma vie ? Absolument produire des richesses, gagner beaucoup d’argent, et par voie de conséquence en faire gagner aux acteurs économiques environnants, à leurs employés, à leurs familles. Par exemple, parmi les laboratoires de l’Ecole Fédérale Polytechnique de Zurich, plus particulièrement à bord de ceux de physique nucléaire, en œuvrant au service de systèmes de distribution quantique de clé pour sécuriser les données bancaires, ainsi inviolables.
J’étais, par je ne sais quelle grâce de la génétique et de l’éducation, une machine à apprendre. Ne devais-je pas alors penser à la transmission ? Aussi mes compétences en termes de finance internationale et la thèse que je publiais sur les cryptomonnaies allaient me permettre d’être chargé de cours à l’Université de Zurich.
Vous devinez là, outre mon hypermnésie bien digne d’un omnivore bibliophile, l’une des sources d’inspiration du personnage de Morphéor en l’un de mes récits.
Château de Chaumont-sur-Loire, Loir-et-Cher.
Photographie : T. Guinhut.
Bien qu’avec un prénom européen, Giseline était asiatique, d’origine chinoise, ses parents ayant pu fuir sur une jonque pourrie la tyrannie de Mao Ze Dong. Je ne vis qu’elle parmi mes étudiants, je l’aimais, ne n’osais tant elle était réservée, elle n’osait, et pourtant ce fut elle, sous le prétexte d’une question sur la variabilité des taux de change, qui laissa sur mon col de chemise la trace de son rose à lèvres, aussitôt donnée, aussitôt enfuie. Pour que nous nous retrouvions étroitement pendant huit années, seulement…
C’est un accident, route mouillée, chauffard drogué, plombé d’amphétamines et de cannabis, qui causa son décès. Et si je n’ai pas changé ma tristesse, mon souvenir d’elle, quoique j’y ai ajouté le jeu des Pokémons inspiré par mon neveu, j’ai changé l’accident en l’attentat islamiste que vous avez lu. Ce n’était qu’un affreux accident, cela devint dans la fiction, un reflet des conflits civilisationnels qui nous ballotent.
Vous savez ainsi comment j’ai cru devoir écrire Les Neiges du philosophe.
Quant à l’étudiante Elsa Véronèse, qui n’avait évidemment ni ce nom ni ce prénom, tout s’est passé comme je l’ai dit, sauf que je ne suis pas Morphéor et que je n’enseignais par l’Histoire de la connaissance, sans oublier que dans le cadre de cours sur l’Histoire des échanges monétaires je ne pouvais penser à faire écrire un sonnet. Sauf la seconde partie, car jamais elle n’est venue, en toute logique au regard des trois décennies qui me séparaient d’elle et que je n’aurais pas eu le cœur de lui imposer. Seul le tableau est venu. Je ne l’ai jamais revue. Mais mon petit Instagram me dit un jour qu’elle avait trouvé un amoureux, qui, semble-t-il, la comblait. J’en fus à la fois stupidement mélancolique et fort heureux pour elle. Savait-il caresser son visage comme il le méritait ? La fiction compensatrice du conte de fée lyrique a joué son rôle n’est-ce pas… N’est-ce pas la raison d’être de nombreux livres ?
Encore une raison d’être de mon récit Morphéor ou l’intelligence quantique amoureuse.
J’eus donc très tôt le sentiment d’être infiniment différent. Je vous accorde qu’une vanité de caste en même temps qu’une fatuité préadolescente y furent pour quelque chose, mais c’est lorsque l’impression confuse et continue de ne rencontrer que des êtres limités – idées courtes, clichés et comportements codifiés – se heurta à son contraire au cours de mes lectures que je me sentis aspiré dans un univers d’élection, d’aventures, d’intellections et de passions. Certes j’éprouvais plus tard et parfois les mêmes sensations au contact des grands films, sans parler des musiques, quoique la précision du mot, de la syntaxe et de l’outil rhétorique me parût plus à même de me dire et de dire le monde.
Ainsi, mes lectures enfantines et adolescentes m’emmenèrent sur cent îles au trésor, parmi voyages extraordinaires et mille et une nuits, de la terre à la lune et au centre de la terre. Et bientôt entre raison et sentiment. Je vécus la guerre des mondes et des liaisons dangereuses, je fus tour à tour Meaulnes et Fabrice del Dongo, Emma Bovary et Anna Karenine. Trop tôt peut-être, je trouvai le lys dans la vallée, la Vénus à la fourrure et l’assassinat considéré comme un des beaux-arts. Voyez comme je suis fidèle à la mission éducative, pacificatrice et pervertisseuse des littératures… Il me fallut alors faire catleya, vivre les grandes espérances, sachant bien qu’il ne suffisait pas, pour faire œuvre de génie, d’imiter ses modèles par les plus savants pastiches. Il me fallait vivre pour faire vivre mes contes et récits.
Très vite, cependant, vivre m’apparut un brin vulgaire. L’art, seul, est l’élite de la vie. J’abandonnais volontiers les manifestations triviales de l’existence à la plupart de l’espèce humaine qui m’entourait avec la distance requise, pour ne m’attacher qu’aux plus hautes et durables manifestations de l’humanité. Un livre pouvait contenir et dépasser une vie, soixante-dix-neuf ans de vie ne valaient la plupart de temps pas même un sonnet de Shakespeare, pas une éphémère gorge féminine ne valait Les Belles endormies de Kawabata. Et si, d’aventure, l’art du typographe, du graveur, de l’illustrateur et du relieur, avait doublé avec une harmonieuse audace la qualité de l’œuvre littéraire, historique, religieuse ou scientifique que le lecteur y déchiffrait, c’était pour moi summa con laude. Sans compter que tenir entre ses doigts, comme le plus délicieux et pérenne des fétichismes, la première édition où la main de l’auteur avait caressé l’émoi de sa naissance, ajoutait une incomparable valeur d’Histoire et d’émotion…
Alors, tout en gérant pour les plus grandes banques de Lucerne et Genève, de Bâle et Zurich, des portefeuilles fabuleux aux potentialités inouïes, je mis ma fortune familiale et personnelle au service de la constitution de ce que j’eus le projet de voir devenir la plus belle bibliothèque privée d’Europe, sinon du monde.
Tout cela me semblait encore insuffisant. Quelle serait l’œuvre de ma vie ? Comme dans le nord scandinave, au Svalbard, l’on avait créé une banque génétique de semences, en entreposant, dans une mine de charbon abandonnée devenue chambre forte sécurisée, plus de 10 000 échantillons, soit 2 000 cultivars de 300 espèces différentes sur plusieurs années, j’allais en concevoir l’équivalent pour le savoir et la créativité humains.
Il me fallait alors patiemment non seulement construire selon un plan soigneusement médité avec mon architecte Mario Botta cette bibliothèque, mais la remplir avec méthode. Laquelle dissimulée au flanc de la presque circonférence d’une montagne rocheuse et arbustive, en sacrifiant le moins d’arbres possible. Alors que la maison qui la surmonterait, villa modeste et seule aisément visible, serait de plain-pied exposée au sud. En cette villa je ne dormirai guère, puisque la bibliothèque comporterait une salle intitulée « Hypnos », dont les divans seraient entourés de livres de littératures et de sciences consacrées au sommeil, aux rêves, autour des Belles endormies du Japonais Kawabata.
Un octogone central, consacré aux encyclopédies, manuscrits médiévaux parfois enluminés et incunables, duquel partent huit couloirs vers autant de salles, ce sur deux niveaux, sans compter la crypte évidemment souterraine, que vous connaissez sous le nom du « Mausolivre ».
Tandis que les murs des couloirs seraient garnis d’ouvrages de géographie, voyages et explorations, les salles seraient enrichies chacune de littératures. L’Extrême Orient, les Amériques, l’Europe, l’Arabie, l’Inde et l’Afrique. Il y aurait aussi un espace pour la philosophie, pour la poésie, un autre pour la Musique, un autre enfin pour l’Histoire de l’art.
Le sous-sol, ou soubassement de la connaissance et de la culture, serait voué aux mythologies, aux religions et aux sciences, par exemple chimie, physique, médecine, botanique, zoologie, géologie, ce dernier comprenant un pavillon offert aux montagnes et un autre aux mers, alors que l’Histoire couvrirait les murs des couloirs.
Lorsque fut achevée la construction, l’aménagement intérieur, je pus faire venir ce que j’avais déjà entrepris d’accumuler sans ordre. De plus, avec constance, je parcourais les librairies, modernes et d’ancien, voire les brocantes, les catalogues, à la recherche des pièces indispensables, courantes ou plus rares. Je visais une complétude impossible, associant aux grands textes universels, leurs papiers soignés, leurs reliures précieuses…
Bientôt j’imaginais qu’à cette bibliothèque universelle en formation par mes soins éclairés, il me fallait ajouter mes propres et indispensables créations : écrire. Et ainsi lui donner une personnalité plus singulière, inédite. Le défi est probablement insoutenable. Lorsque je résolus d’écrire les livres qui manqueraient – non sans cet orgueil qui me défigure – dans la bibliothèque, je me sentis animé par la foi de l’écrivain. Il faudrait plutôt y voir la stratégie du génie incompris, de laquelle l’injuste esprit du temps est le seul coupable. Certes, je vous vois déjà arguer que cette incompréhension a pour source ma seule incompétence. Peut-être. Mais il faut plutôt diagnostiquer l’incapacité chronique des lecteurs professionnels, à se faire à une œuvre nouvelle, surprenante, et peut-être trop caparaçonnée d’art.
Une fois achevé mon premier conte, je ne voulus pas croire qu’il puisse paraître comme une maigre nouvelle ; même si parmi toutes les lettres de refus, un seul éditeur me proposa de le publier dans une revue, parmi d’autres textes, narratifs et argumentatifs… Non, il me fallait la solitude et l’orgueil du livre, les pages blanches et les pages de titre préliminaires, les grandes marges et le colophon, tout ce qui lui donnerait l’intensité spatiale du roman, sa vastitude polynarrative, bien que contenue dans l’écrin concis du conte. L’Artiste en maigreur déplut s’il fut lu. « Trop satirique et cynique », m’écrivit le seul qui eut la perfide courtoisie de motiver son refus.
Il me faut livrer ici également, après cette autobiographie prétestamentaire du bibliophile, mon testament d’écrivain. J’aurais voulu écrire comme Jean-Sébastien Bach écrivit ses suites pour violoncelle seul. Mais j’ai été et je suis plus seul que ce violoncelle. Il avait son Dieu ; et je n’en ai pas. N’est-ce qu’une froide constatation, ou le drame qui brise le fil d’or des sonates ? Pendant des années, des heures, des décennies, j’ai ciselé des œuvres brèves, le pensant plus aptes à approcher la perfection. Vanitas vanitatum. Je ne me suis guère écarté du genre le plus pur, le plus concis et le plus riche à la fois : le conte ou apologue. Sa dimension réaliste, sa portée magique, voire son enseignement initiatique vers ces régions supérieures de la transcendance qui, sans regret, m’otn toujours fait défaut, sont idéalement à égale distance de l’imitation photographique et de la création enlevée ex nihilo. Vous avez pu constater, cher lecteur caressé dans le sens du fantasme des plumes des anges, que j’ai rangé mes sept livres en quelques paniers de fruits, du plus suave au plus amer : l’Art, la Politique, la Science, la Mort. Un carré magique aux termes palindromes. Un quatuor aux deux violons, un alto et un violoncelle. Mais au sommet, j’ai rangé les récits amoureux, volupté amère, idéalisation délicieuse… Ce pourquoi le récit du parfait accord d’Héléna Venezia et Romain Monts-sur-Guesne est une pure fiction ; sans le moindre ancrage autobiographique.
Lecteur, sans toi, il faut imaginer que de ma bibliothèque, que de tous mes livres, ceux que j’ai collectionnés autant que ceux que j’ai écrits, les lettres se sont peu à peu détachées de leurs pages. Comme des ailes aux plumes noires tombées en miettes sur le sol, il ne te resterait, si tu venais trop tard, après la consommation des millénaires, après que ces langues ne soient plus lisibles par les yeux absents des disparus, plus qu’à pelleter sur le sol ces millions de nouilles en lettres de jais passé pour tenter d’en reconstituer le sens perdu, irrattrapable. Comme des seiches qui auraient perdu leur encre dans un dernier combat inutile et flasque contre la mort de l’océan abandonné par sa planète que l’explosion du soleil aurait ignifiée. Les livres ne seraient plus que des torchons absents où le sens et le poème ne pourraient même plus s’essuyer… Lecteur, tu dois être celui qui de son souffle aspire ces rébus autrefois noirs pour les restituer d’un seul cri de joie au bonheur des pages et aux noms des reliures !
Comme vous avez pu le constater, il subsiste encore des étagères clairsemées, voire des salles vides, au service du futur. Et, puisque j’atteins un âge déjà bien avancé, il me faut penser à ma succession. À qui donc léguer cette Bibliothèque et la Fondation que je suis en train de mettre sur pied pour continuer de la financer ? Mes comptes bancaires pourvoiront plus que suffisamment à cet usage. Quoique je commence à fomenter à cet égard ma petite idée… À charge pour l’heureux et compétent élu de la faire vivre et croître, en l’ouvrant à la disposition des chercheurs et autres amateurs passionnés et délicats.
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Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.