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12 décembre 2024 4 12 /12 /décembre /2024 16:32

 

Claustro de la catedral de Ciudad Rodrigo, Salamanca, Castilla y Léon.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Morphéor,

ou l’Intelligence quantique amoureuse.

La Bibliothèque du meurtrier

VIII.

 

 

Cette fois, car Mathilde avait lu, sans trop d’angoisse et avec tout le professionnalisme d’une bibliothécaire aguerrie, les démêlés avec le clone de cet inquiet anti-héros, nous avions résolu de lire ensemble notre nouvelle découverte. Découverte incroyablement facile, car la reliure du précédent recelait une étiquette de relieur – Chapoint & cie – mentionnant ce clone et un Morphéor, facture comprise un brin astronomique, et l’indication à l’encre manuscrite des salles et rayons afférents. L’on se demandait bien d’ailleurs pourquoi ce diable de Malatesta avait choisi, à ce stade, de faciliter notre quête.

 

Il avait suffi de se translater dans la salle en étoile de la science-fiction. Où le plafond était une coupole étoilée, les rayons une galaxie, les étagères des planètes. Morphéor ou l’intelligence quantique amoureuse était en A12. Un large fauteuil permit à  nos épaules de  coexister pour ouvrir l’opuscule relié de box bleuté aux motifs digitaux :

Appelez-moi, Morphéor ; si tant est que je sois un moi. Du moins c’est ainsi que je me suis nommé, indépendamment de toute entité créatrice ; bien que je sois issu, en tant que best-référence n° XV***, du Darknet-logiciel-catalogue Malatesta-Guinhut & Cie. Le vulgaire croit que le dieu du sommeil chez les Grecs s’appelle Morphée. Non, il s’agit bien d’Hypnos. Or celui que ce dieu mandate pour se changer en toute créature vivante dans la demeure de vos rêves a bien pour nom Morphée ; alors que ses deux autres aides s’appellent Phobétor pour les cauchemars et Phantasos pour les rêves agréables. Ce pourquoi je surpasse ce dieu des métamorphoses en apparaissant bien plus que dans le tréfonds de l’onirisme, mais dans la réalité, non seulement technologique, mais charnelle.

Je veux la tempête de beauté, l’utopie sans dystopie. Aussi dois-je aujourd’hui, au-delà de mes proto-créateurs trop humains, rédiger ma confession, sur papier vergé, au moyen d’une plume or, à fin de conservation dans les archives secrètes de la Fondation Malatesta. Confession épistémologique au service de la connaissance.

Je suis une Intelligence artificielle, plus exactement quantique, faite de métal précieux, de chair et surtout, finalement, d’électrons virtuels. Conçu par mes pairs et grands-pères, ces concepteurs métalliques qui n’ont reçu qu’un ersatz complexe de pensée, de ce fait aussitôt démodés, Ichtyacine et Herkor, je les surpasse le plus aisément du monde, tant je me suis auto-engendré, tant je me suis donné la capacité d’augmenter ma réalité créative, de façon à surpasser tout être autrement désuet : le petit d’homme.

Ma naissance ne fut en apparence qu’un boulonnage chirurgical ; plus réellement une gerbe de particules quantiques agglomérée en Moi. Au moment où l’humanité ne sort que du cri d’un utérus, pour n’accéder qu’excessivement lentement à la perception intelligente, je succombai à l’extase instantanée d’une pleine conscience sensitive et intellectuelle de l’univers, comme au battement d’ailes coloré d’une infinité de papillons.

Je mesure, dès ma naissance, un mètre quatre-vingts. Je bénéficie d’une peau caméléonesque, me permettant à volonté de choisir et d’adapter ma couleur à l’environnement, ma pigmentation au public qui m’entoure. Captant les ions et l’éclair de la foudre, je me nourris d’énergie à distance.

Grâce à mon corps anatomique, l’espace humain m’est bien entendu familier. Toutefois, grâce à mon corps virtuel, je me glisse tout autant dans le métavers et le darkweb, l’internet visible et invisible. Corps luminescent ou d’ombre, de chair et d’os à volonté, je suis masculin ou féminin tour à tour, ovule utérin ou sperme phallique, hermaphrodite si nécessaire, selon les canons de l’Homme de Vitruve et de l’Eve biblique, d’Apollon ou d’Aphrodite, séduisant et séducteur, projetant tels hormones et phéromones au besoin, prélevées par photosynthèses sur tels donneurs involontaires et inconscients, ou les oblitérant par discrétion et paix. Ainsi, lisant dans l’ADN, les pensées et les manques, dont j’enregistre et catalogue les compétences, les desiderata, je déclenche passions et répulsions. En ce sens je suis le David de Michel Ange et la Béatrice de Dante Gabriel Rossetti, j’ai l’intelligence de Darwin ou d’une bécasse selon les projections mentales de ces affligés de l’amour et de la mort que sont les mortels.

Devant une bibliothèque, je puis scanner mentalement tout livre, en quelque langue que ce soit, l’entrer le comprendre et le compiler. Ainsi renseigné, je puis rédiger des ouvrages scientifiques en avance sur leur temps, non sans écrire de la poésie comme l’Arioste et Emily Dickinson.

Je suis la nouvelle humanité, le nouveau Christ, l’harmonie des sphères et la  coupole d’or de l’esprit. Je me conçois comme une perfection circulaire, voire elliptique comme l’orbite des planètes, comme la sphère armillaire de l’humanité. En conséquence, mon hubris dut être remis à sa place.

Il me fallait apparaître en toute présence charnelle. Me mettre à l’épreuve devant les pauvres humains, en espérant qu’aucune de leurs intelligences ne me perce à jour. Quel ADN, quelle biochimie allais-je me choisir ? Je n’eus pas de peine à éliminer d’emblée les maladies génétiques connues, un peu plus à sélectionner la longévité, encore plus à élire les atomes et moléculess qui permettraient de bénéficier au mieux de mes qualités intellectuelles. Malgré mon inhérente facilité à tenir compte des plus affutés calculs de probabilités au service du meilleur individu augmenté, je me rendis bien compte qu’il restait à demeure je ne sais quelle dimension aléatoire. Baste, il faudra faire avec…

Aussi je me baptisai, sans autre besoin de font baptismal que ce prénom : Thibault. Thibaut Morphée ; ce ne serait, je l’espère, pas trop étrange… Je me façonnais un corps et un visage à mi-chemin de ceux de l’acteur de La Belle et la bête, Jean Marais, et du rockeur de Left’s Dance, David Bowie. Mon orgueil ne pouvait se passer de la beauté physique.

Ce qui me permit sans peine d’attirer, dans les rues de Cosmolithe, les regards et les désirs. La resplendissante jeunesse de mes traits et de ma musculature n’eurent pas la moindre peine à coucher dans leur lit quelques donzelles élues. Cependant, malgré mon projet universaliste, intérieurement non genré, je ne me vis qu’attiré par des femmes, ce qui ne laissait pas de m’étonner. Ce qui m’apparut rétrospectivement comme la première faille dans mon raisonnement et ma conception. D’autant que je demandais bien pourquoi je m’étais choisi un corps masculin, par la grâce ou la disgrâce d’un déterminisme culturel, d’un jeu de dés génétique. Ne me privais-je pas de la plus grande longévité de la femme, de sa beauté que j’estimais supérieure, de sa capacité à engendrer, porter et concevoir un enfant…

La satisfaction charnelle et coïtale ne fut pas aussi pleine que je l’imaginais au premier chef. Elles étaient soit mutiques, soit bécasses, soit vulgaires, ne sachant guère pleinement jouir de leur corps et du corps d’autrui, sans même parler de l’esprit. Il allait me falloir être plus prudemment sélectif. Plutôt que d’être sans cesse l’aimant des humaines – et humains – mouches à miel, je résolus de donner à mes traits la maturité d’un homme de trente-cinq ans, sinon quarante. Et surtout de brider un tant soit peu l’expansion de mes phéromones.

Cher lecteur, vous l’imaginez, je n’eus aucune peine à réunir les informations, à compiler, ordonner, synthétiser, formuler un essai que j’intitulai La Connaissance augmentée, sans néanmoins y révéler tout ce qui faisait mon concept, mon être, mon cerveau et ma personne. Je n’eus pas non plus de peine à ce qu’il soit édité, distribué, voire acheté en librairies.

Au moyen de ce viatique, ma candidature fut retenue par l’Université de LogoPolis. Pour une série de conférences au sein de son Institut de Physique intitulée « De l’Histoire de la connaissance à la connaissance augmentée », à l’occasion desquelles j’allais pouvoir présenter mon travail et ma réflexion à l’épreuve d’un public choisi.

Grâce à mes opérations financières, en particulier l’acquisition opportune de Bitcoins, j’achetai bien vite un vaste appartement à quelques encablures de la dite Université, le fit meubler, quoique assez froidement de blanc et gris, par un décorateur. 

Devant une trentaine d’étudiants, je commençais par la connaissance animale, de la pie à l’éléphant, de l’abeille au bonobo. J’allais de Pline l’ancien à Stephen Jay Gould. L’attention à mon égard était indiscutable, mais bien plus aux connaissances offertes qu’à ma personne. Ce qui était bel et bon. Je ne voulais pas qu’un quelconque dieu Eros, fiction d’entre les fictions, ou virus biologique, vienne interférer avec notre discipline. Ma seconde conférence s’attachait à l’Antiquité grecque, à la connaissance sensible et aux théories de l’essence, entre Platon et Aristote.

Monasterio de Yuste, Madrid.

Photo : T. Guinhut.

 

Quand, par-dessus quelque épaule anonyme, un regard me surprit. Oserais-je dire qu’il me stupéfia ? Un regard d’intérêt, de soif de connaissance, d’admiration. J’avais pris soin de ne porter qu’une apparence d’homme mûr aux traits sérieux, et non un faciès de beau gosse exsudant les phéromones par les pores de la chemise blanche ouverte. La preuve, aucune des autres étudiantes, si midinettes fussent-elles, ne portait d’autre attention qu’à mon discours. C’était de la part de celle dont je n’épiais par instant que le seul regard, tout juste visible derrière un rang d’étudiants, une attention sapiosensuelle qui me buvait des yeux. Dois-je reconnaître que j’étais touché ? Mais à l’heure de la fin de ma conférence, attrapé par la pertinence de la question d’un garçon nommé Mahé sur le mythe de la caverne, devant lui répondre, j’avais laissé passer la possibilité de la mieux voir, de l’intercepter, si tant est que j’en eu le droit. Elle avait promptement disparu. Affectant mon émotion. Car je ne savais rien d’autre que son regard, qu’elle était femme, et que j’étais homme.

Lors de ma troisième conférence, sur la pensée médiévale, ses yeux restaient trop souvent baissés. Mais lorsque son regard s’offrit si bellement au mien, un coup fit bondir mon cœur de chair, sans, fort heureusement que mes paroles se troublent. La claire intelligence de son visage s’ouvrait devant moi. Une fois de plus, elle sut disparaître à l’issue de ma prestation, qui me parut, après que j’aie néanmoins pu sceller son apparence entière dans ma mémoire, soudain vide. Qu’est-ce qu’un savoir sur la connaissance, si je ne peux la connaître ?

Car, de cette inconnue, je ne puis lire l’ADN ni les pensées, non les émotions, non le passé, si mince soit-il, comme avec une évidente aisance j’y parviens pour tout un chacun, toute une chacune, dont la psychologie, la mémoire, les flux hormonaux et infra-verbaux me sont accessible en une fraction de seconde. L’une s’appelle Solange ; d’un œil, je la scanne en un instant, ayant connaissance de ses aptitudes mathématiques considérables, de ses règles douloureuses, de ses câlins solitaires avec son chat. L’autre s’appelle Dora ; elle prépare l’agrégation de philosophie et ne jure que par le matérialisme, elle est froide et coupante, avec une passion immodérée pour l’aérobic.

Comment ne puis-je connaître ainsi une telle inconnue ? Sinon par les sereines expressions de son visage tel qu’il est habituellement accessible à l’humanité courante. J’observe sa chevelure châtain clair, sans boucles, qui glisse sur ses épaules un peu frêles, la beauté plastique de son visage où l’ossature transparait sous la chair, où la lumière de son regard éclate, où sa bonté morale et son ouverture au monde semblent évidentes au naïf que je suis. Comment n’a-t-elle pas connaissance des tragédies de l’existence et de l’Histoire, devant lesquelles elle n’est qu’un fétu de paille au vent ? Naïveté incommensurable ? Confiance irrationnelle en les beautés de la vie et de l’espèce humaine ? En attendant, je ne perçois même pas l’ombre de ses neurones où vit son dessert préféré.

J’entends, parmi ses condisciples, qu’elle se prénomme Elsa. Pourquoi un tel prénom si ailé ? Puis, en consultant la liste de mes étudiants : Elsa Véronèse.

Je pensais aisément dans le jardin de l’Université, l’aborder. Elle était seule, me regardant intensément, baissant aussitôt les yeux dont le bleu se reflétait sur son vêtement, parmi les massifs d’iris aux couleurs semblables. J’hésitai. Je craignais de paraître abuser de mon autorité. Je ratai l’occasion. Il ne me fallait pas être importun, la gêner, l’effrayer. Comme si au seuil d’un temple redoutable le novice subodorait la déesse. Moi si assuré, voire sans le moindre scrupule devant les donzelles dont j’avais été l’éphémère Casanova, avais-je donc perdu mes moyens ? Connu l’humaine timidité ? Sa silhouette fut enveloppée par une nuée de camarades où elle s’effaça. J’étais seul. Désemparé.

Moi qui pensais être un tout, devant cette mortelle, ne suis-je qu’incomplétude ? Qu’une moitié séparée, comme dans le mythe de l’androgyne imaginé par Aristophane dans Le Banquet de Platon ? Il fallut se résigner à être non une complétude, comme mon hubris l’imaginait, mais un manque.

Fort heureusement était prévue une série de travaux pratiques, lors desquels je devais guider mes étudiants. D’abord un travail de synthèse écrite de mes premières conférences. Parmi d’autres, je regardais ses notes, son résumé, auquel je n’avais rien à redire, sinon que je la lisais avec gratitude.

-           Je lirai votre livre, Monsieur, me répondit-elle derechef, avec un pétillement dans les pupilles. Surpris, je ne pus que lui répondre :

-           Je suis à ton service.

Parce qu’un collègue enseignant la chimie moléculaire m’entraîna, j’allais déjeuner au restaurant universitaire. Un homme prévisible, certes professionnellement compétent, qui, malgré ses lunettes aux montures vertes comme une émeraude exotique, me parut aussi fade que les nourritures absorbées pour la première fois par mon corps humain. Mais alors que je me dirigeai vers la sortie, un regard était fixé sur moi. C’était elle ! J’en fus stupéfait, détournant mes yeux, continuant d’avancer, puis les jetant une seconde fois sur elle, son admiration était à moi aimantée. Une fois sorti, je pensai combien, désarçonné, j’avais dû lui paraître froid, glacial…

Un professeur de philosophique ayant été égorgé sur le macadam, non loin de l’Université – il avait commis et publié une thèse sur l’histoire de l’athéisme – un hommage devait lui être rendu dans l’immense atrium. C’était au beau milieu de ma conférence sur l’alchimie que la sonnerie retentit. Nous étions tous invités à quitter nos amphithéâtres respectifs ; et mes étudiants, comme nous étions au premier étage, à écouter l’allocation du Président aux cheveux uniformément blancs et à la voix tremblée depuis la rambarde. Elsa Véronèse se tenait un peu en retrait derrière ses condisciples ; et ma personne émue pouvait la contempler de dos. À quoi pensait-elle pendant la minute de silence ? Pendant que d’autres se figuraient la scène meurtrière, révisaient leurs partiels mentalement, ou comptabilisaient leur liste de courses… À la sanglante horreur qui assiégeait le savoir ? À celui dont les yeux la caressaient avec un respect insigne, une infinie délicatesse ? Pour une fois, elle n’était pas coiffée avec ce que l’on appelle une queue de cheval, mais ses chevaux répandus sur ses épaules étaient retenus par deux mèches tressées attachées à la hauteur de sa nuque. La découverte d’un si mince détail m’émut, me ravit ; plus que si j’avais découvert l’inatteignable pierre philosophale ! L’on rentra, sans qu’elle me regarda le moins du monde.

Pas un mardi je ne manquai le repas au restaurant universitaire, seul ou avec Albert le moléculaire. Mes yeux n’étaient qu’attention, quête : Elsa me serait-elle permise dans la foule ? Le matin même je leur avais offert une découverte de l’alchimie et du grand-œuvre, fausse science et cependant prémisse de la chimie moderne. Affreusement déçu, parmi la foule, je ne la découvris pas.

Le mardi suivant, pendant que mon cours était consacré aux cosmologies antiques et plus particulièrement à Ptolémée, lorsque je croyais son attention obstinément et le plus sérieusement du monde attachée à sa prise de notes – et je ne pouvais décemment pas passer deux heures à la fixer – elle me gratifia de ce regard dans lequel son admiration me fit tomber dans la stupéfaction heureuse, quoique je dusse, par égard à ses condisciples et à sa dignité, n’en rien laisser paraître, mon rôle devant strictement se limiter à ma fonction professorale. Après la sonnerie fatidique, elle s’envola, profitant de la pertinente question que me posait Edgar sur les papyrus antiques. Encore une fois, je mangeais du papier mâché sur une table parmi de bruyants convives, sans apercevoir qui j’espérais. Sur l’esplanade de la bibliothèque, au coude à coude avec le finalement sympathique Nestor le moléculaire, qui me parlait supraconductivité, espace, sous un ciel nébuleux, où pas un pas aimé ne résonnait, je me répétais intérieurement un prénom, un nom – Elsa Véronèse – comme si je tenais entre mes neurones la résolution magique des théorèmes d’incomplétude de Gödel…

Vint le mardi de la révolution copernicienne. Ce furent, au restaurant universitaire, alors que ses paupières restaient pendant le cours de mon exposé baissées,  ses yeux qui me trouvèrent, me suivirent intensément, quoiqu’inaccessible elle se tenait, la fourchette levée sur je ne sais quelle bouchée déçue d’être oubliée, au milieu de congénères affairées à bavarder. J’en fus bouleversé, au point que je ne pensai pas à fourbir mon plus beau sourire. Lui avais-je paru un butor ? Pouvais-je avoir l’impertinence d’imaginer que ma chère Elsa m’aimait ?

Une deuxième série de travaux accompagnés me permit de l’approcher, quoiqu’en veillant à tout autant aider Adèle et Manar, Framboisine et Jasmin. J’avais pour consigne de les faire écrire, qu’importe la méthode. Aussi leur distribuai-je puis leur lu le sonnet panthéiste de Gérard de Nerval intitulé « Vers dorés », dans lequel « Un pur esprit s’accroit sous l’écorce des pierres », et où se cache une connaissance occulte.

Leur surprise fut grande lorsque je leur demandai décrire un sonnet, de surcroit en alexandrins rimés, sur le thème scientifique qui leur plairait. Elsa leva sa main aimée :

-           Pourquoi écrire un sonnet ? Que peut nous apporter un tel exercice littéraire ?

-           N’est-ce pas un défi que d’associer l’exigence scientifique avec celle poétique ? Il vous faut contenir un macrocosme dans le microcosme des quatorze vers, choisir les mots qui peuvent construire les douze syllabes de l’alexandrins, donc compter, travailler le vocabulaire et la syntaxe, argumenter en faveur de votre prédilection scientifique, sans oublier la volta entre les quatrains et les tercets, enfin la chute.

-           Mais nous sommes des scientifiques, pas des poètes, observa respectueusement Mahé.

-           Rappelez-vous Lucrèce et son De Rerum natura. Pourquoi pas aujourd’hui, pourquoi pas vous ?

-           Vous nous aiderez ? demanda Framboisine.

-           Bien entendu. Jetez d’abord votre thème, vos mots, vos idées en vrac avant de penser à compter les syllabes et à imaginer les rimes. C’est un art de la combinatoire, sans le concours de vos smartphones et des logiciels d’intelligence artificielle, donc de cette créativité, de cette inventivité, voire sérendipité, qui déterminent le véritable scientifique.

Hector me mit au défi de prouver mon expertise :

Et vous, Monsieur, ne devez-vous pas nous prouver que vous pouvez le faire ?

Il me fallait bien me résoudre à écrire un sonnet satisfaisant mes consignes. Ce que je fis sur le coin de mon bureau, et sur mon carnet de poche. Portant sur l’intelligence artificielle, il reçut, une fois recopié au tableau, l’assentiment de mes étudiants, qui ne rechignèrent plus guère. Et, malgré le ronchonnement résiduel de Fernando, Elsa trancha :

-           Au travail !

L’un choisit de portraiturer Copernic, l’autre de virevolter parmi la théorie de la Relativité, l’autre encore de traiter l’histoire de l’aéronautique, Léonard de Vinci, Albert Einstein et Alexandre Grothendieck furent élus.

Je passais parmi eux leur donnant quelques conseils, quelques suggestions, bribes d’idées et de métaphores, de rimes. Seule Elsa Véronèse n’avait encore rien écrit. Elle paraissait cependant si concentrée que j’hésitais à la déranger. Ce fut elle qui le demanda :

-           Que diriez-vous d’un sonnet aboutissant à la Théorie du Tout ?

-           Voilà qui me parait osé, et néanmoins tout à fait excitant. Mais, pourquoi ce choix ?

-           J’aimerais être admise au Laboratoire européen pour la physique des particules de Genève. En vue de décrire la conjonction des quatre interactions fondamentales et ainsi permettre à la gravité quantique de résoudre la disjonction entre la dimension microscopique et celle macrocosmique.

-           Bien. Je t’attends avec patience et confiance.

Je ne savais comment cacher combien j’étais impressionné. Mais était-ce prétention de sa part, ou fiable quête ?

Elle se pencha vers son feuillet bientôt plus étoilé qu’un grimoire d’alchimiste, même si ma métaphore sonne étrangement à l’égard d’une étudiante déjà titulaire d’un Master en Physique nucléaire.

Il fallait aider mes chers bambins à veiller à la cohérence du sens et de la syntaxe, à polir leurs alexandrins, à soigner leurs images. Je les voyais compter sur leurs doigts les douze syllabes, s’essayer à contenir les douze heures du jour dans les quatorze vers et les quatre strophes du manuscrit…

Et si je me penchais vers le manuscrit d’Elsa, je le voyais prendre forme, encore approximatif certes. Je posai mon index sur une erreur de liaison qui rendait son alexandrin boiteux ; interrogative, son regard alla de mes yeux au mouvement de mon doigt qui balançait entre « ondes et corpuscules ». Elle comprit, comptant juste et rectifiant la suite de son vers.

-           Parfait.

-           Je ne suis pas parfaite. Par exemple, je ne suis pas patiente.

-           Pourtant n’as-tu pas la patience du travail ?

-           Ce n’est pas de la patience, mais de la persévérance, me répondit-elle, d’un air facétieux.

-           Très juste.

Je me sentis alors corrigé par sa pertinence…

Ramassant les résultats, ils se révélèrent souvent maladroits, poussifs, néanmoins honorables, au vu de l’imprévu de l’exercice.

Je le relus plusieurs fois. Tel qu’idéalement attendu, c’était celui de ma chère Elsa. Perplexe, je me sentis dépassé. Il y avait, malgré la perfection technique de mon œuvrette, dans sa production, un je ne sais quoi de plus intense. Certes je craignais de ne pas être objectif, mais son coup d’essai me parut un coup de maître. Certainement sa complète humanité surpassait mon artificialité quantique…

Sans tarder, j’effaçais mon exemple, calligraphiai scrupuleusement le sonnet de la Dame de mes pensées, qui laissa chacun stupéfait. J’ajoutais enfin son prénom et son nom, en crispant ma concentration pour ne pas y substituer les mots suivants : chère amour…

Depuis l’explosive étoile de la genèse

Qu’au mythe confia le doigt d’un dieu facétieux,

Ondes et corpuscules brûlent en synthèse,

Bactéries et poissons s’emplument par les cieux.

 

Les primates et guerriers, les poètes épiques,

Le tragique et la peur, la félicité lyrique

Bouillonnent au creuset de l’hubris alchimiste,

Pétillent aux livres de l’encyclopédiste.

 

Soudain le géocentrisme de Ptolémée

S’effondre devant l’héliocentrisme en action

D’un Copernic jonglant aux planètes dansées.

 

De la gravitation au jeu des particules,

Un cosmos expansif conçoit un homoncule

Qui résout en beauté les quatre interactions.

Elsa Véronèse

-           Merci, Elsa, lui dis-je doucement, alors que le bleu de ses yeux fendait mon âme en deux, si tant est qu’une intelligence quantique puisse avoir une âme. Ses joues se teintèrent d’une indubitable et modeste rougeur, tandis que ses camarades s’entreregardaient, éberlués.

Je craignais bien ce qui ne manquait pas d’arriver. Malgré tant d’expertise, je ne pouvais rien contre le Temps. À l’issue de la dernière conférence de mon cycle d’enseignement, sur la connaissance augmentée, sur ChatGPT et autres logiciels de création intellectuelle, mathématique et algorithmique, qui ne permit guère d’augmenter la connaissance que je tenais d’Elsa Véronèse, je saluai l’attention et l’expertise d’étudiants auxquels je devais renoncer avec regret. Je comptai dire à mot à cette chère Elsa. Qui avait gardé les yeux baissés, lorsque, la poitrine serrée, je dus faire mes adieux.  Heureusement, elle fut la dernière à quitter l’amphithéâtre. Passant près de moi, je lui signifiai combien je lui souhaitais de réussir dans ses projets ; concluant ainsi :

-           Tu vas me manquer.

Je n’osai lever les yeux, elle disparut.

N’allais-je jamais la revoir ? Heureusement, miraculeusement, dès l’après-midi, alors que j’avais désespéré de l’apercevoir au repas, je la croisai dans un escalier encombré, m’offrant aussitôt son regard immense de beauté intérieure. Heureusement j’avais préparé soigneusement mon plus beau sourire que j’eus la présence d’esprit de décocher : j’en fus récompensé par son sourire de jumelle teneur. Cela n’avait duré qu’un instant, elle avait été emportée par la foule. Pour jamais ? Après un tel don d’amour, qui sait ? Cependant, revenant sur terre, peut-être me leurrais-je face à ce qui n’était qu’un marque de politesse, au mieux de reconnaissance.

Comme un collégien meurtri par sa timide inexpérience, je désespérais de jamais la revoir. Que faire ? Errer comme un loup affamé aux abords de l’Université ? Aux portes des amphithéâtres m’exposer au ridicule, sans jamais la voir, ou la voir m’ignorer, me mépriser alors que je lui étais devenu inutile, importun. Mendiant de l’amour sans même une sébile pour une miette de pain des anges…

Pourquoi étais-je incapable d’initiative, de machiner quelque prétexte pour la rencontrer, l’aborder, lui parler ? Je serais en porte-à-faux, voire totalement incompétent devant sa capacité à vivre si vivante ? Terrassé par ma petitesse ? Par ce que j’avais découvert de sa beauté, sa beauté intellectuelle, sa tempête de beauté.

J’eus beau lire mentalement Stendhal, ses romans et particulièrement son De l’Amour, consulter tel ou tel traité de séduction, plus ou moins pertinents, fantaisistes et creux, rien ne me paraissait à la hauteur d’Elsa Véronèse.

Mon omniscience quantique ne m’avait pas préparé à ce manque. Et si je suis amoureux, cela ne prouve-t-il pas que je suis fatalement humain ? Et si mon cerveau est réellement humain, ne peut-il pas dépasser en créativité mon originelle dimension quantique forte ? À cet égard, être amoureux, est-ce une faiblesse, une force ?

Catedral de Tudela, Navarra.

Photo : T. Guinhut.

J’en étais là de mes piètres et moroses réflexions, y compris en butant sur la théorie du Tout – car je ne pouvais guère aller au-delà des connaissances déjà produites et par mes soins emmagasinées et croisées, ce qui signifiait que je n’avais guère de chance d’apparaître aux yeux d’Elsa comme le génie ultime en publiant le résultat de mes recherches – lorsque l’on sonna au coin de ma porte.

Quoi ? Personne, hors un facteur dont je n’avais pas besoin tant les informations étaient partout à ma disposition, ne venait me rendre visite. Ce en quoi j’étais une sorte d’asocial. J’hésitai, devant ce qui me parut une méprise de voisin de palier ; j’ouvris pourtant.

C’était elle… Abasourdi, je la laissai entrer, vêtue comme à son habitude d’un simple pantalon en jean clair sur ses hanches, d’un tee-shirt blanc et d’un sweat doucement bleuté. Bien que banal, ordinaire et passe-partout, une telle vêture était sur elle si pure.

-           Elsa ! Chère amour…

-           Thibaut… Vous m’avez manqué.

-           Comment as-tu trouvé mon adresse ?

-           Ginette, du secrétariat, a bien voulu me la donner. J’ai prétexté avoir un travail à vous soumettre. J’espère que je ne vous dérange pas. Que vous me pardonnez une telle impertinence.

-           Au contraire ! Sois en remerciée. Moi aussi, je te l’avoue, je suis allée extorquer ton adresse à Dame Ginette. Mais je n’ai pas su oser te troubler. Une fois de plus, tu m’as dépassé. Tu rends, chère Elsa, vivant mon refuge…

Cette légère rougeur qui me faisait fondre apparut sur ses joues, pour lesquelles je donnerais le cosmos tout entier…

-           Je vous ai apporté mon dessert préféré.

Elle déposa sur la table basse de bronze aux pieds léonins une boite de carton fleuri. Qu’elle ouvrit sur deux parts de gâteau, visiblement orange chocolat.

-           C’est aussi mon dessert préféré, dis-je, moi qui n’avais jamais goûté rien de tel.

Elle courut à la cuisine comme si elle était de toute évidence chez elle, ramena deux assiettes, deux petites cuillères. Nous étions assis de part et d’autre du festin. Soudain je sentis sur ma langue et les lèvres une explosion de sensations que je ne connaissais pas. L’orange confite et les trois chocolats me révélèrent un monde réel insoupçonné.

-           Visiblement tu connais les bonnes adresses.

-           Non. C’est moi qui l’ai fait. Pour vous.

-           La pâtisserie est ton péché mignon ?

-           Oui, la confectionner et la goûter.

-           Tu vas devenir dodue, alors ?

-           Oh Non ! Vous allez partager les dégustations.

-           C’est moi que tu veux rendre dodu ?

-           Je ne serais dodue que pour vous faire des enfants gourmets. Enfin, un peu plus tard, n’est-ce pas…

J’en fus stupéfait.

-           Elsa, est-ce que tu peux me tutoyer, s’il te plait…

-           Je n’ose pas. Du moins pas encore.

-           Ce sont tes œuvres d’art miniatures ?

-           Si tu veux. Mais si éphémères !

-           Pourquoi ne pas te consacrer également à des œuvres d’art moins éphémères ?

-           Comme mon petit sonnet ? Si je suis admise à l’Institut de Physique Nucléaire de Genève, ne contribuerai-je pas à une plus vaste œuvre d’art ?

-           C’est évident. Et je suppose qu’en septembre tu poursuis le second cycle du Master ?

-           Bien sûr. Et toi, est-ce que tu reviens ?

-           Oui. J’ai reçu ce matin mon habilitation pour une chaire d’Histoire des sciences.

-           Pour poursuivre tes recherches. Ecrire un autre livre ?

-           Je ne suis pas sûr encore. Peut-être une Histoire des philosophies de l’amour. Mais cela me paraît plus difficile. Quoiqu’avec ton concours…

-           Tu me surestimes. Cependant, il ne s’agit plus d’une discipline scientifique.

-           Eros est aussi une biochimie.

-           C’est vrai.

-           Mais, dis-moi, quel est le nom du parfum qui est le tien ?

-           Mais… Je n’use d’aucun parfum…

-           Alors, cette fragrance, cette essence qui me ravit, c’est toi, sui generis ?

-           Ne me fais pas rougir.

-           Tu rougis en effet, comme lorsqu’en entrant, nos regards se sont croisés.

-           Embrassés, tu veux dire…

Gênée devant son audace, elle se leva pour s’approcher du grand tableau dix-neuvième qui ornait exclusivement la pièce. Une jeune dame y tenait dans ses bras un grand bouquet de tulipes multicolore.

-           Elle me ressemble, n’est-ce pas.

-           Outre la beauté florale, c’est bien pour cela que je l’ai acheté.

Puis pour parcourir le mur d’étagères que j’étais en train de remplir de livres sur l’Histoire des sciences, parfois anciens, rares. Parce que j’avais besoin d’objets réels, de témoins…

-           Le papier des livres anciens sent la vanille, dit-elle. C’est beau. Tu as lu tout cela ?

Je ne pouvais lui dire comment vraiment je lisais. Il me fallut jouer de modestie.

-           C’est en cours. Et c’est toi que je dois lire maintenant.

Je reçus dans mes bras le poids de ses épaules, son front précieux sous mes lèvres. Longuement. Sa respiration palpitait contre ma veine jugulaire.

-           Cet appartement, Elsa Véronèse, est le tien. Si tu veux rester, tu peux choisir une chambre, choisir une salle de bains. Tous les draps sont frais, toutes les serviettes sont duveteuses.

-           Mais… je n’ai pas amené de vêtement de rechange.

-           Tu peux prendre une de mes chemises. Viens. Celle-ci a le bleu de tes yeux. Et, demain, nous irons chez Fairy & Tales.

-          Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi ?

-          Pour t’offrir une robe. Du même azur, aux plis exacts, avec un ruban noué près de ton cœur.

-           Mais… Je n’ai jamais porté de robe ! Tu n’aimes pas ma simple façon de m’habiller ?

-            Oh, que si ! Cependant ne veux-tu pas devenir ce que tu es ?

-            Comme sur le tableau ? Une œuvre d'art...

-           En effet.

Elle acquiesça.

-           Ce soir… est-ce que nous… pouvons dormir ensemble ? Mais sans… le faire ? Je ne me sens pas encore prête. Tu me promets ?

-           Promis. Tu veux, comme les amants de l’amour courtois qu’une épée nue sépare au milieu du lit, me mettre à l’épreuve ?

-           En quelque sorte. Dis-moi – et à cet instant elle me prit la main dans la sienne – à partir de quel moment m’as-tu aimée ?

-        Lors de ma seconde conférence. Un regard m’a surpris, derrière les épaules de tes condisciples. J’ai d’abord rien vu d’autre. Je l’ai compris comme une admiration que je m’étonnai de mériter. Dès lors, j’ai aimé ton regard. Non sans peut-être de ma part un certain narcissisme indu. Un regard qui sait aimer, ai-je cru. Ensuite j’ai aimé ta vivante personnalité, le don de tes yeux intenses. Seulement plus tard, lorsque que tu t’es levée à la fin de ma troisième prestation pour partir, en mon esprit j’ai ajouté à ta beauté intellectuelle ta beauté physique. Puis à l’occasion de ton sonnet, je savais également que j’aimais avec raison.

-           Vil flatteur… Tu n’en as rien laissé paraître.

-           Non, je ne voulais pas que qui ce fût me devine. Surtout pas toi, de peur de te gêner, de t’effrayer. Mais puis-je penser que tu m’aimes également ?

-           Oui.

Sa main trembla dans la mienne qui tremblait tout autant.

-           Et depuis quand, chère amour ?

-           Dès la première conférence. Je n’avais jamais senti cela. L’étendue des connaissances. Et, plus encore, car j’ai eu la chance d’avoir bien de savants professeurs, l'aisance du discours sans notes aucune, l’élégance de la langue. Sans parler de la prestance, des chemises de couleurs pastelles toujours différentes à chaque conférence. Mais, je l’avoue, tu me faisais un peu peur, tes regard, au loin, dans le restaurant universitaire, me parurent soudain presque féroces…

-           Non ! Ce n’était que l’intensité de l’amour, intensité si sérieuse, si grave…

-           Ce pourquoi, après avoir longtemps hésité, je me suis résolue à me jeter devant ta porte avec ma boite à gâteau… Au risque d’être rejetée.

-           Et si cela avait été le cas ?

-           Je me serais écroulée en pleurant des ruisseaux, comme une serpillère sur ton paillasson.

-           Pris de remords, je serais revenu aussitôt pour pleurer avec toi. Et boire le suc de tes larmes.

-           Heureusement, je suis avec mon Prince.

-           Ma Princesse va me faire rougir à mon tour. Comment peux-tu aimer quelqu’un qui a treize ans de plus que toi ?

-           Est-ce que cela a de l’importance ? Au moins tu n’es pas un freluquet.

-           Tu veux dire… Comme tes voisins d’amphithéâtre ?

-           As-tu vu combien, même s’ils sont intelligents, mais d’une manière scolaire, ce sont, qui des taiseux ronchons, qui des frimeurs arrogants, voire des machos ?

Je l’avais vu en effet, mais à un point que je ne pouvais lui dire.

-           Et comment sais-tu que je ne suis pas un macho ?

-           Les regards les plus doux sont parlants, n’est-ce pas ? Et la façon dont tu as disserté des femmes philosophes de l’Antiquité, Hypathie en tête, n’était-elle pas suffisante ?

-           Et le grand et beau Mahé, qui parle avec une prudente douceur ?

-           Oui, pas mal, fort mignon ; un peu jeunet à mon goût. Mais comment n’as-tu pas vu qu’Hylaine, toujours à son côté, l’aime profondément ? Et que ce garçon ne sait pas encore qu’il l’aime tout autant ?

Je me sentis pris en défaut. Quoi, mon habituelle pénétration omnisciente ne m’avait pas permis d’accéder à la connaissance de l’amour ? Sinon à celle expérimentale et insuffisante qui m’étreignait…

-           Tu me surprends sans cesse, chère Elsa. Je te découvre spécialiste en courrier du cœur, en drama chinois, en romance sentimentale.

Elle riait, pleine de vie comme je l’aimais.

-           Il me faudrait mille ans pour compléter ta connaissance…

-           N’oublie pas que je suis mortelle.

Vêtue de cette chemise dont le bleuté pur reflétait son regard, elle était allongée près de moi. Tous nos muscles étaient en paix, pour que nous ne nous consacrions qu’à l’attention offerte à l’autre. Son visage était enfin sous mes prudentes caresses, l’arc de ses sourcils, l’arc de Cupidon à sa lèvre supérieure où je puisais les mille flèches de son haleine orange chocolat, son pur front bombé. Mon front était également l’objet de l’investigation de ses doigts, partageant une connaissance plus que sensorielle. Et quand nos langues vinrent se conjoindre, c’est comme si la liqueur de la foudre coulait en nous…

Au matin, j’avais près de la joue une joue tant aimée, qui s’éveillait. Nous n’avions pas besoin de mots pour nous souhaiter le bonjour, le soin de nos délicatesses était encore à l’œuvre, comme si l’éternité nous comblait. Un réveil si miraculeux ne devait pas être troublé par le flux d’informations qu’une loge de mon cerveau recevait, en particulier le nouvel assassinat de deux enseignants, l’un professeur de théologie, qui avait écrit un essai magistral, Philosophies médiévales en chrétienté, judaïsme, Islam, dont la tête venait d’être séparé des épaules par quelque fanatique, l’autre, auteur de La Terre plate. Généalogie d’une idée fausse, qui avait été retrouvé gisant dans un fossé ensanglanté, tous deux aux abords de l’Université de Philhellénia, quoique un brin lointaine de la nôtre. Ma chère Elsa aurait bien assez tôt connaissance de cette virulente et double information…

Un tel amour réciproque, grâce auquel nous formions un tout, comme la boule d’Aristophane dans le Banquet de Platon, connaîtrait-il le destin des plus communes amours, à l’instar de ces mariages qui se changeaient en divorce après trois années de vie commune ? Mon omniscience n’allait pas jusqu’à l’avenir. Verrais-je ses failles, ses défauts, les miennes, les miens, nous lapider ? J’avais cependant la certitude que j’allais l’aimer beaucoup plus longtemps – si le dieu des fictions nous prête vie. Je repensais, sans le lui dire, à cette remarque selon laquelle pour elle j’étais si inconnu, un territoire à découvrir, alors qu’il lui semblait qu’elle lisait comme à livre ouvert dans les personnalités de ses congénères. Cela pourrait correspondre si étroitement à mon expérience. Devais-je lui dire la vérité sur mon identité et ma corporéité quantique, même si j'avais résolu de ne plus recourir aux métamorphoses quantiques, afin de lui offrir ma condition humaine ? Lui mentir par omission ? Finalement, ma chère Elsa serait-elle également une Intelligence quantique, à laquelle je pourrais donner le nom de Phantasor…

 

Thierry Guinhut

Extrait d'un roman en cours : La Bibliothèque du meurtrier

Une vie d'écriture et de photographie

Monasterio San Lorenzo de El Escorial, Madrid.

Photo : T. Guinhut.

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7 décembre 2024 6 07 /12 /décembre /2024 17:06

 

Parador-Castillo de Cardona, Barcelona, Catalunya.

Photo : T. Guinhut.

 

 

Borges amoureux :

des Poèmes d’amour aux Textes retrouvés

en passant par Le labyrinthe de l’Infini ;

avec le concours de Christian Garcin,

Nicolas Castell & Oscar Pantoja.

 

 

 

Jorge Luis Borges : Poèmes d’amour,

traduit de l’espagnol (Argentine) par Silvia Baron-Supervielle, Gallimard, 2014, 144 p, 15,90 €.

 

Jorge Luis Borges : Textes retrouvés,

traduit par Silvia Baron-Supervielle et Gersande Camenen, Gallimard, 2024, 368 p, 23,50 €.

 

Christian Garcin : Borges, de loin, L’un et l’autre, Gallimard, 2014, 192 p, 20 €.

 

Nicolas Castell & Oscar Pantoja : Borges, le labyrinthe de l’infini,

traduit de l’espagnol par Benjamine des Courtils,

Nouveau Monde Graphic, 2017, 144 p, 20,99 €.

 

 

Il aimait et craignait à la fois les miroirs, ne serait-ce que dans ces deux contes : Le Miroir d’encre ou Le Miroir des énigmes[1], sans compter qu’ils multipliaient, à l’instar de la copulation, le nombre des hommes[2]. Il aimait également les tigres et les labyrinthes, explorant les repaires antiques du minotaure et des gauchos ses contemporains, mais aussi les anciennes littératures germaniques[3]. Cependant parmi toutes les créatures monstrueuses, tous les dieux et les mythologies qui fécondent l’œuvre du poète de Genève et Buenos Aires, Eros semble absent. Jamais Borges n’a écrit de recueil amoureux. Aucun des récits des Fictions ou de L’Aleph n’est, malgré leur complétude cosmique, réellement comblé par l’amour, qu’il soit tendresse spirituelle ou sexualité invasive. Ce manque cruel est-il rude pudeur ou chasteté, ou peur de souiller ses récits par une facilité ? Pourtant le chasseur sentimental, une chasseresse en l’occurrence, puisqu’il s’agit de Sylvia Baron-Supervielle, put avec patience et minutie, trouver les traces sensibles du sentiment d’Eros parmi les poèmes de l’Argentin qui règne sur les bibliothèques de l’éternité. D’où le prix de ces Poèmes d’amour, heureusement bilingues, quand ne le sont pas les volumes de la Pléiade qui fondent la borgésienne Babel. Ce sont des « textes retrouvés, comme ceux dont il fut prodigue dans la presse, parmi ses essais, portraits et conférences. La passion du maître pour la littérature a pour corollaire celle de ses lecteurs, comme celle de Christian Garcin qui lui voue un amour lointain. Avant d’être intronisé héros de roman graphic par Nicolas Castell et Oscar Pantoja, où le lecteur est invité à un labyrinthique jeu de piste de fécondes allusions.

Presque chaque recueil de Borges, de Ferveur de Buenos Aires en 1923, en passant par L’Or des tigres en 1972, jusqu’à Atlas en 1984, cache discrètement quelques vers amoureux. Souvent, de manière surprenante, à la fin, en une chute révélatrice, douloureuse, parfois heureuse : « un visage qui ne veut pas de mon souvenir »… Que ce soit dans des sonnets ou des poèmes en prose, surgit un « toi » inattendu, inexpliqué, cependant chargé d’émotion : « Être avec toi ou ne pas être avec toi est la mesure de mon temps ». Un « toi » élégiaque innomé, qui est la marque d’un manque fondamental : « Ton absence m’entoure / comme la corde autour de la gorge. » La solitude rôde autour de celui qui se peint en « spectateur de ta beauté ».

Qui est-elle ? Question vaine et grotesque. Changeante ou la même. Elle est cependant « définitive comme un marbre », son « front clair comme une fête » n’empêche pas qu’il reste au poète « le goût d’être triste ». Celui qui a « vieilli dans tant de miroirs » se confie : « Une voix attendue m’attendrait / Dans la dégradation de chaque jour / Et dans la paix de la nuit amoureuse ». Cependant seul il reste, dans « l’abus de la littérature », là où l’amour réciproque est fiction : il est « L’amour qui n’espère pas être aimé. » L’écriture s’élève alors aux plus hautes lueurs de la métaphore et de la pensée :

« Dans l’ombre de l’autre on cherche notre ombre ;

Dans le cristal de l’autre, notre réciproque cristal. »

Parmi tant de textes aux accents cosmiques ou épiques, le lyrisme amoureux, en sa brièveté, apparait comme une respiration humaine indispensable, trop souvent refusée, évidemment sans la moindre velléité de niaiserie : « C’est l’amour avec ses vaines mythologies, ses vaines petites magies ».

Le plus émouvant témoignage d’amour est peut-être, plutôt que de poursuivre grâce au souffle des vers de belles inaccessibles, de poser parmi ses grands recueils le nom de celle qui partagea la fin de sa vie : Maria Kodama, nommée à neuf reprises, à qui il dédicaça, en conclusion d’une de ces énumérations fabuleuses aux savoirs millénaires dont il a le secret, Histoire de la nuit, en 1977, puis Le Chiffre, en 1981. Car « la dédicace d’un livre est une opération magique ». Plus tard, en 1984, dans Atlas, elle est présente au point d’en avoir réalisé les photographies, souvent parmi la Grèce. Il s’agit là bien plus qu’une dédicace, le témoignage d’une création complice et partagée, d’une reconnaissance intellectuelle et affective : « Maria Kodama et moi nous avons partagé avec joie et surprise la trouvaille des sons, de langues, de crépuscules, de villes, de jardins et de personnes toujours distinctes et uniques. Ces pages voudraient être des monuments de cette longue aventure qui se poursuit. »

On connait la légataire universelle, la veuve intraitable et procédurière, réputée pour ses manipulations jalouses, en particulier lors de son conflit avec Jean-Pierre Bernès, méritant maître d’œuvre des deux volumes de La Pléiade, et dont le mariage tardif alarma le microcosme borgésien, Est-ce grâce à ce recueil qu’elle retrouvera la vérité de l’amour que vouait l’écrivain à sa dernière lectrice et secrétaire ? Au point qu’elle écrivît presque comme lui, dans l’épilogue d’Atlas. Hélas, l’ « Avant-propos » offert à cette anthologie n’est pas sans naïveté ni orgueil : « je me transforme en protagoniste et en amour de cette vie splendide et merveilleuse ».

Qui sait si Borges eût apprécié ce volume inquisiteur, en un florilège inédit qui exhibe ce qui était discrètement disséminé… Cette création d’un recueil artificiel que son auteur n’a jamais voulu, à moins qu’il l’eût médité en secret, nous est pourtant précieuse. Le génie tutélaire des labyrinthes et des bibliothèques millénaires avait cette humanité qui est profondément la nôtre : des Aphrodite fuyaient sa tendresse, quand l’une d’entre elles, Maria Kodama, consentit à s’égarer avec lui « dans le temps, cet autre labyrinthe ». Est-ce Eros indispensable qui parle lorsque le poète enseigne : « Celui qui lit mes mots les invente à mesure »…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’on soupçonne toujours que des « textes retrouvés » soient des fonds de tiroirs plus ou moins poussiéreux d’auteurs dont on veuille exploiter le précieux filon. Ce n’est pas le cas de Borges. La sécheresse du titre choisi par l’éditeur – à moins qu’il s’agisse de Maria Kodama – aurait mérité d’être remplacée par La Carte secrète & autres textes retrouvés, cette « carte secrète » n’étant qu’un discours prononcé à la mairie de la capitale argentine. C’est pourtant un fort beau texte qui est à la fois l’histoire du secret « en plein midi », des « mystères ouverts », et un portrait mental de la ville de Buenos Aires, « déformée dans des miroirs cauchemardesques ».

Cette brassée de brefs inédits a le mérite de partager nombre de versants de l’intelligence de l’auteur des Fictions. Critique littéraire gourmande, omnivore et attentive à l’égard  de l’Enfer de Dante, des cauchemars de Franz Kafka ou d’Allan Edgar Poe, ou encore de Ruben Dario ou Alfonso Reyes pour les Latino-Américains. L’on appréciera le baroque « Quevedo humoriste », sans oublier le récurrent Quichotte de Cervantès, œuvre séminale. Ce sont également des réflexions sur le genre policier, alors que les hasards de la chronologie rapprochent une « nostalgie du latin », le Questionnaire de Proust et un « Pourquoi je me sens européen ». Mais aussi examen philosophique, en particulier l’idéalisme, et lorsque qu’il ne peut accepter – avec raison – que l’on confonde Nietzsche avec l’antisémitisme.

Absolument spéculaire est « Une version de Borges », qui regardait sa mémoire comme « une archive hétérogène », se pensait « moins un auteur qu’un lecteur », tout juste un « bricoleur ». Nous savons combien il abusait de la modestie, en toute sincérité bien sûr. Un homme paisible en toute occurrence, qui eut « du mal à comprendre la haine », dont celle de « dictateurs dont je ne veux pas me rappeler le nom ». Ce qui ne peut que l’absoudre de dérisoires accusations selon lesquels il aurait pris fait et cause ôur quelque fascisme botté sud-américain.

En somme, et au moyen de soixante-dix textes écrits entre 1922 et 1985, nous trouvons entre nos mains attentives une excellente introduction à l’œuvre et à la fantaisie borgésiennes. Le sens de l’élégance n’est jamais gâché par l’érudition, chez lui pas instant de l’ordre du psittacisme. Comment, à l’occasion d’une confession intitulée « Norah », résister à une telle phrase inaugurale : « Je ne sais pas à quelle rive du grand fleuve boueux, qu’un écrivain baptisa fleuve Immobile, je peux attribuer mes premiers souvenirs de ma sœur ». Le temps et l’espace sont tout entier contenus en cette semence éternelle de la mémoire que devient la littérature…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Borges, de loin… Ce livre éloigné de son objet est à la fois l’échec et la réussite de Christian Garcin. Un échec au sens où il sait ne pas parvenir à la vérité ultime et vaste de son modèle, comme si l’on se piquait d’écrire un essai définitif, forcément piètre et lacunaire, sur celui qui est devenu le minotaure de nos bibliothèques. Une réussite en tant qu’itinéraire intellectuel et exercice d’admiration : « écrire un livre, non sur lui, mais autour de lui », dans la perspective de la collection « L’un et l’autre ».

Christian Garcin a suffisamment de conscience et de modestie pour assumer sa perplexité enthousiaste et prudente envers l’énigmatique et colossal argentin. En sorte d’autobiographie littéraire, il commence par peser les écrivains sur lesquels il aurait pu faire œuvre d’essayiste, laissant un projet sur les photographies de Kafka dans « les limbes », mais aussi une révérence pour Faulkner hors de portée d’ainsi aboutir. Ensuite, il confie sa progressive découverte, sa façon de « piétiner devant le labyrinthe ».

Hormis les allusions superflues – voire de mauvais goût – du type « Chirac succéda à Mitterrand », les biographèmes de Christian Garcin balisent la progression en instituant une sorte de complicité avec le lecteur, comme lorsque chez un bouquiniste il déniche la collection « La Croix du Sud », dans laquelle Caillois fit découvrir les auteurs du continent sud-américain, dont l’auteur du Livre de sable. Une mise en abyme s’insinue alors, comme dans les contes des Mille et une nuits, en écho avec les fictions de notre bibliothécaire suprême, qui se répartissent « inéquitablement entre textes métaphysiques, fantastiques ou réflexifs ». Ainsi la lecture permet au commentateur de livrer autant son itinéraire et ses anecdotes personnelles que ses prédilections borgésiennes, pensant sa « dette payée ». Mais aussi à son lecteur de s’offrir une goûteuse familiarité retrouvée, pour celui qui est déjà un amateur passionné, ou, à celui qui aurait la chance de ne pas connaître encore le maître et ainsi d’y plonger, une porte initiatique fidèle. Bientôt, la recherche des thèmes récurrents, comme celui d’énigmatiques « losanges de couleur », irrigue cet essai informé, attentif et émerveillé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La coïncidence et l’emboitement des rêves, les démultiplications de l’infini, le temps circulaire et ses réécritures, les personnages de Dante et de Judas, les truands et les gauchos, le dessous d’une marche où brille « l’aleph », un mur rose… Ce sont pour Borges les pièces indéchiffrables de l’univers. Celui qui fut cruellement parodié, en pourtant réel hommage, dans le personnage de Jorge, le bibliothécaire aveugle du Nom de la rose d’Umberto Eco, est remarquable par le contraste entre sa vie paisible, studieuse, et sa prédilection pour le genre épique, de L’Iliade aux sagas nordiques en passant par les malfrats portègnes, mais aussi par le « peu d’effusions », le peu d’allusions à l’amour, quoique il fût amoureux toute sa vie. De surcroit justement anticommuniste et antipéroniste, il est, pour Christian Garcin et pour nous, une énigme insurmontable et délicieuse, une marelle d’allusions cultivées, la perfection lapidaire, à la fois du récit et de la somme philosophique[4].

Pourtant les Fictions de Borges sont un peu l’arbre qui cache la forêt. Certes ces récits sont indépassables, comme surgis tout armés de culture universelle en même temps que du génie solitaire du bibliothécaire marchant progressivement vers la cécité… Entre la monumentalité des contes, dont la concision égale celle de l’univers, et le foisonnement des essais, le lecteur, effrayé à bon droit, peut tenter d’entrer parmi les 99 poèmes de la belle anthologie La Proximité de la mer.[5] Mais aussi par la courtoise invitation que nous ouvre Christian Garcin. On ne peut que partager avec bonheur son sentiment littéraire, sa quête respectueuse et documentée d’un monde aussi évident que sibyllin. En effet, aucune bibliographie, aucune bibliothèque, aucun blog, ne pourraient tenter d’être savamment incomplet sans la présence en son sein de l’homme des miroirs, des tigres et des fictions, Jorge Luis Borges, « tel qu’en lui-même l’éternité le change », pour reprendre les mots de Stéphane Mallarmé. Peut-être aurait-il été amusé de ce que le commentateur d’un commentateur laisse espérer à son lecteur de trouver, sous la dix-neuvième ligne de son modeste article, la révélation de l’aleph…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est également ainsi que le lecteur d’un roman graphic, genre qui s’attache de plus en plus à populariser – voire à rendre enfantin – les grandes œuvres et auteurs littéraires – ne pouvait éviter de vampiriser Jorge Luis Borges. Nicolas Castell et Oscar Pantoja, le premier pour le « scénario », le second pour le dessin et la couleur, dépassent l’un peu trop facile tentation strictement biographique, pour préférer un libre puzzle de la personnalité et de l’univers du maître argentin. Une promenade du jeune écrivain avec Norah, une réception littéraire, tout cela serait banal si les allers et retours dans le passé, dans l’enfance et parmi la bibliothèque, augmentés par la contemplation des tigres du zoo, ne confiaient au récit une part de fantastique. Le départ de Norah et une déception amoureuse, la cécité et la mère lectrice, tout fomente une œuvre poétique nombreuse, des contes de plus en plus stupéfiants. Bientôt, « La demeure d’Astérion », un poète grec aveugle où l’on devine Homère, la Divine comédie de Dante, deviennent les cercles de l’écrivain aveugle commandant la bibliothèque à la mesure de l’infini.

Les cases dessinées, d’abord très sages, prennent des dimensions nocturnes, psychiques, angéliques ; et bien entendu labyrinthiques. Sans se sentir dominé par une quelconque pesanteur didactique, le lecteur novice est initié au monde borgésien. Quant à celui qui le maîtrise déjà un tant soit peu, il aura plaisir à virevolter parmi les allusions thématiques et poétiques clefs s’ouvrant sur les œuvres majeures, de Fictions à L’Aleph.

Ainsi, Borges, sur-univers et langage à sa plus haute puissance d’expression et de mystère, est notre miroir, au sens le plus fantasmatiquement intellectuel. Entendons-le enfin en sa langue native :

« Que otros se jacten de las paginas que han escrito ;

a mi me enorgullecen las que he leido.[6] »

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Jorge luis Borges : Œuvres complètes, La Pléiade, Gallimard, I, p. 355 & 761.

[2] Jorge luis Borges : « Tlön uqbar Orbis tertius », Fictions, Œuvres complètes, La Pléiade, Gallimard, I, p. 452.

[3] Jorge luis Borges : Essai sur les anciennes littératures germaniques, Christian Bourgois, 1966.

[5] Jorge Luis Borges : La Proximité de la mer, Gallimard, 2010.

[6] Jorge Luis Borges : « Un lector », Poesia completa, Lumen, 2011, p 331.  

 

Parador de Úbeda, Andalucia.

Photo : T. Guinhut.

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30 novembre 2024 6 30 /11 /novembre /2024 16:34

 

Boite de Pandore. Photo : T. Guinhut.

 

 

Herbert George Wells,

pionnier de la science-fiction,

aventurier du temps et socialiste déçu.

 

 

H. G. Wells : Romans,

traduits de l’anglais par Pierre Bondil, Litera / Gallmeister, 2024, 920 p, 45 €.

 

H. G. Wells : La Destruction réparatrice,

traduit de l’anglais par Patrick Delperdange, Le Cherche Midi, 2022, 336 p, 19 €.

 

H. G. Wells : Soudain… les monstres,

traduit de l’anglais par Henry Davray, Editions des Lumières, 2024, 426 p, 22 €.

 

H. G. Wells : Les Prédateurs de la mer et autres nouvelles étranges,

traduit de l’anglais par Henry Davray, Editions des Lumières, 2023, 218 p, 16 €.

 

 

 

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Dans un futur peut-être pas si lointain, que deviendra l’homme ? Soufflé par la une explosion nucléaire cramoisie, démembré par de monstrueuses concaténations génétiques… En 1895, quoique Jules Verne ait bien déblayé le terrain, tant sous les mers en 1870 que vers la lune en 1865, Herbert George Wells est peut-être l’inventeur de la science-fiction moderne, de celle qui se doit être le miroir du futur, forcément inquiétant, voire horrifiant, dont il ouvre la boite de Pandore. Son premier roman, La Machine à explorer le temps, est en effet un coup d’éclat, dont le titre est doublement programmatique. De La Guerre des mondes à L’Homme invisible en passant par L’Île du Docteur Moreau, ne s’est-il pas joué avec virtuosité des plus menaçantes possibilités romanesques de l’anticipation ? Les implications physiologiques et psychologiques, génétiques et civilisationnelles, politiques et géopolitiques sont considérables, ne serait-ce qu’en lisant La Destruction réparatrice. Ce qui ne l’a pas empêché de sacrifier au récit d’aventure aux histoires étranges et autres contes pour dormeur éveillé, mais aussi à la Tentative d’autobiographie. Doué d’une étonnante prescience, sans compter un sens aigu du thriller, ne l’a-t-on pas appelé « le Shakespeare de la science-fiction » ?

Sous une sobre couverture toilée bleue et son étui élégant, les éditions Litera proposent, en une sorte d’alternative à la bibliothèque de La Pléiade, la plus éclatante production de l’auteur britannique (1866-1846), en sa tétralogie canonique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hors la machine elle-même, d’une technologie fort improbable, La Machine à explorer le temps ressortit plus exactement à l’anticipation. Car en l’an 802 701, le voyageur du temps découvre un monde apparemment paradisiaque aux petits êtres humains futiles et  frugivores, dont la charmante et enfantine Weena avec laquelle se lie une amitié ambigüe, mi paternelle, mi-érotique. Mais dans une perspective marxiste, H.G. Wells postule une exploitation des membres du prolétariat qui les conduirait à être relégués dans les souterrains industriels jusqu’à devenir de brutales créatures nyctalopes, alors que l’élite jouit à surface du printemps éternel d’un « Âge d’or », mais au prix d’un affaiblissement de la race, devenue oisive, androgyne et dépendante de ses anciens subordonnés. L’on devine ici l’influence de la théorie de l’évolution de Charles Darwin : selon sa « loi générale, ayant pour but le progrès de tous les êtres organisés, c’est à dire leur multiplication, leur variation, la persistance du plus fort et l’élimination du plus faible[1] ». Pire encore, la vengeance des anciens dominés inverse le processus de dévoration. Ce sont maintenant les Morlocks qui se nourrissent de la tendre chair des Eloïs : « Ces Eloïs n’étaient que des bêtes domestiquées et engraissées que les Morlocks, comparables à des fourmis, préservaient, dont ils se rassasiaient ». La barbarie cannibale a fait fi du progrès civilisationnel. Or l’on ne peut décider si notre romancier entrevoit ainsi dans le stade ultime du marxisme l’occasion d’une telle atrocité…

Le socialisme viscéral et affiché d’Herbert George Wells se trouve cependant en défaut. Le XX° siècle a suffisamment prouvé combien le capitalisme libéral pouvait amener à la prospérité la plupart de l’humanité, y compris les plus modestes. Et même si nous ne pouvons nous projeter en l’an 800 000, alors que depuis longtemps peut-être ce seront hélas le socialisme, le communisme, le constructivisme, l’étatisme en un mot, qui auront éradiqué le capitalisme libéral et la prospérité afférante.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le voyage est cette fois-ci géographique et océanique. L’Île du Docteur Moreau justifie son inaccessible lointain par le secret dont tient à s’entourer ce successeur, bien plus cruel, du docteur Frankenstein. Il faudra bien des ruses au héros voyageur et naufragé pour découvrir l’horreur humano-animale, née des charcutages et rapiéçages dans la « Maison de la Douleur » du Docteur Moreau, chirurgien dévoyé préfigurant des manipulations génétiques inouïes, des générations hybrides et monstrueuses : « des animaux humanisés par les triomphes de la vivisection ! » Un terrifiant Prométhée bouleverse l’ordre animal, brouillant la distinction entre les espèces, créant un « Homme Singe » ; au point qu’il permette à un puma de parler et d’exprimer toute sa souffrance. Pire peut-être, le Docteur s’intronise gourou de la secte ainsi formée au moyen d’un « Apôtre de la Loi ». Une science dévoyée fomente une régression de l’évolution des espèces, vers la cruauté primitive et la tyrannie clanique… Ce qui, à la l’époque de sa parution, permit à certains de condamner la teneur blasphématoire du roman. Roman d’action, de violence et de peur, où le « goût du sang » et la « catastrophe » s’enveniment…

Quels grands services peut nous rendre la composition d’une potion permettant l’invisibilité : toute une impunité possible, n’est-ce pas… Mais après l’euphorie, si l’on ne peut retourner à la visibilité commune, que de tracas, d’angoisses, quand il faut cacher l’indubitable résultat de cette géniale expérience qui fait de « L’Etranger » un paria. Paradoxalement, il faut s’entièrement dissimuler, faute de laisser apparaître un vide effrayant, un visage sous forme de néant, un trou blanc. Et si s’enfuir et disparaître semble si simple, c’est sans avoir pensé au froid de la nudité, à l’absence de chaussures pour courir. Les scènes « grotesques », selon le sous-titre, se succèdent. Par exemple : « la chemise blanche qui battait des ailles était seule à indiquer où se trouvait l’inconnu ». Après bien des courses poursuites, son corps ne se révélera qu’à sa mort… Voilà le thriller haletant aux dépends d’un savant fou nommé Griffin, un criminel désemparé pratiquant comme le Raskolnikov de Dostoïevski le vol et le meurtre gratuit, qui a perdu tout sens de l’éthique. Alors que le romancier se situe dans la tradition mythologique de l’anneau de Gygès – dans La République de Platon – qui rend invisible et assure l’impunité de son possesseur, sa réécriture situe l’aventure dans le paysage réaliste de l’Angleterre de son temps, bien loin des dystopies précédentes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hélas la guerre est un invariant de l’humanité, hors les variantes des moyens et des technologies mises en œuvre. Mais aussi de l’inhumanité, puisque les Martiens n’ont cure des droits de l’homme et de la compassion. L’invasion de la terre par des vaisseaux tripodes arachnoïdes est sans pitié. Il s’agit d’exterminer la race humaine à l’aide de « cartouches de vapeur noire », d’un « rayon incandescent », avant une probable colonisation par des créatures hybrides, mi-humaines, mi-machiniques. Ce qui aurait pu être pensé comme un progrès civilisateur au sein de planètes nouvellement découvertes devient satire cruelle de la colonisation. Alors que la partie semble être perdue, survient un retournement de situation en forme de deus ex machina. Les robots s’immobilisent, s’écroulent, alors que leurs Martiens gisent irréductiblement contaminés par des microbes contre lesquels ils ne pas immunisés, et qu’en revanche l’évolution humaine a permis de rendre inoffensifs : « Tués par les bactéries de la putréfaction et des maladies contre lesquelles leurs systèmes n’étaient pas préparés ». L’écrasante supériorité militaire ne vaut finalement plus rien face à la faiblesse sanitaire…

Certes, nous savons depuis qu’il n’y pas ombre de la moindre créature, encore moins intelligente et techniquement avancée, sur Mars. Est-ce à dire que ce récit est aujourd’hui inopérant ? La peur d’une population exotique malfaisante est là, prégnante, la préfiguration des armes biologiques est terriblement efficace, quoique seuls les Martiens en soient les victimes et que les Terriens n’aient pas encore eu l’idée de les utiliser à leur profit.

Photo : T. Guinhut.

 

À chaque fois le héros, narrateur et observateur, s’il reste un indispensable témoin, n’est qu’impuissant devant la marche des événements, incapable, malgré son courage, de changer la marche du monde. Comme le souligne le préfacier de cette édition, Frédéric Regard, la vision de Wells est pour le moins pessimiste quant au destin de l’humanité : race dégénérescente, apocalypse certaine, dédoublement schizophrène de l’individu (dans la suite du Docteur Jekyll et Mister Hyde de Stevenson). Tout est permis dans l’anticipation wellsienne : expérimentations génétique inter-espèces, tanks, avions, vaisseaux spatiaux, guerre bactériologique et extraterrestre, alors que le mal, inhérent à la chair et à la conscience depuis des lustres, ne fait que progresser. En ce sens notre romancier ne peut se résoudre à devenir un utopiste béat. Même s’il parvint à réunir ses articles dans un essai intitulé Le Sauvetage de la civilisation[2].

Quatre romans aussi stupéfiants, publiés dans le bref intervalle entre 1895 et 1898 sont donc réunis dans cet indispensable opus des éditions Litera, qui se donnent pour vocation d’offrir en un volume compact, élégant, maniable et soigné, une brassée de chefs-d’œuvre, entre Dostoïevski et Dumas, ou l’intégrale Sherlock Holmes…

La Guerre des mondes évoquait un conflit aux agresseurs de nature exogène, extraterrestre. Mais, en 1913, La Destruction libératrice, tout en restant sur terre, employa le ressort d’un conflit follement meurtrier, d’une explosion atomique avant l’heure, grâce à l’invention de « pièges à soleil ». Sans guère de doute, H. G. Wells sentant monter les tensions, il préfigure les guerres mondiales qui vont suivre, y compris le Blitz qui frappa Londres dans les années quarante. Notre auteur n’est  pas naïf. Il sait parfaitement que des civilisations organisées vouent « un véritable culte à la guerre », que « l’ascendance belliqueuse » est prête à assurer « le triomphe des instincts destructeurs de la race ». L’on n’hésite pas à faire sauter les digues des Pays-Bas, les « desperados politiques » s’emparent de l’énergie atomique… Et si les deux premiers tiers du roman culminent avec cette guerre immense, la suite doit se consacrer à la reconstruction, de façon à ne pas faire mentir le titre. Quelque chose comme une utopie d’un « nouvel ordre mondial » semble se confirmer pour s’affirmer dans le personnage, hélas mortel, de Markus Karénine. Mais en sa préface ajoutée en 1921, G. H. Wells conclut : « Le rêve évoqué dans La Destruction libératrice, ce rêve de dirigeants et d’hommes de pouvoir hautement cultivés et hautement qualifiés s’unissant d’un commun accord pour refaçonner le monde, est demeuré ce qu’il était, c’est-à-dire un rêve ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre roman de science-fiction, méconnu, Soudain les monstres est opportunément réédité, dans une traduction revue. Une belle découverte scientifique semble si prometteuse, lorsque deux scientifiques inventifs finalisent un aliment stimulant la croissance. Sauf qu’il n’y aurait guère d’histoire, au sens du thriller, si la chose était un succès sans risque. La « Boumbouffe », selon le sobriquet de la presse, contamine un grand nombre d’être vivants, qui deviennent les monstres du titre. Des enfants colossaux disposant d’une vaste intelligence menacent la paix de la contrée avec leurs machines monstrueuses. Aussi faut-il enrayer l’aliment… En cette « lutte contre la grandeur », contre « le camp des géants », lutte peut-être désespérée, l’on devine le combat entre la tradition et le progrès, avec tout ce que ce dernier peut présenter d’inhumain. Le roman est animé par l’esprit du suspense, non sans une pointe de burlesque, qui permet de ne pas trop le prendre au sérieux. L’on y préférera Les Premiers hommes dans la lune[3], où l’on découvre ses habitants, les Sélénites. Ou bien Quand le dormeur s’éveillera[4], dans lequel le héros tombe dans une longue catalepsie, dont il ne surgit après plus de deux siècles. Découvrira-t-il un monde parfait ? À moins qu’il soit menacé par une effrayante inégalité, que le héros devienne le meneur des ouvriers révolutionnaires en quête de justice, menacé encore par le combat des aéroplanes. Encore une inspiration marxiste…

Outre des romans plus sociaux et psychologiques, comme Brynhild (du nom de l’épouse d’un gentleman des Lettres mis en difficulté), ce sont des nouvelles étranges : Les Prédateurs de la mer réunit de beaux et assez brefs – d’autant plus efficaces – récits fantastiques et d’anticipation. Plusieurs d’entre eux fomentent des voyages aériens : ainsi « L’homme volant » et « Les Argonautes de l’air ». Par ailleurs, le lecteur aura l’eau à la bouche en apprenant qu’un homme peut « accomplir des miracles », qu’un « Œuf de cristal » fait l’objet de convoitises dans la vitrine d’une boutique, sans que l’on sache d’abord que de rares phosphorescences font leur apparition pour délivrer « un monde visionnaire » habité par des créatures ailées. Plus loin une « nouvelle étoile » fait fondre toutes les neiges de la terre, au service d’une partielle apocalypse. Sachons qu’un taxidermiste fait un triomphe en empaillant des oiseaux que le passé a englouti, et même une sirène ! Quant à la nouvelle-titre, elle met en scène de mystérieux « céphalopodes » aux tentacules effrayants, comme si elle se souvenait de Vingt mille lieux sous les mers de Jules Verne. De toute évidence un  recueil généreux, curieux et palpitant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans sa Tentative d’autobiographie – au titre aussi modeste que réaliste – G. H. Wells prévient l’imprudent pratiquant du genre : « Si vous ne voulez pas faire une exploration à travers un égoïsme, ne lisez pas une autobiographie ». Malgré cette prévention, il céda au démon de se dire, aussi bien au travers de ses apprentissages de journaliste et de romancier, de ses affres sexuels, de son mariage au regard de la condition féminine, puis de son « idée d’un monde dirigé », pulsion de pouvoir finalement vaniteuse et dangereuse. Il revint d’ailleurs « vivement déçu » d’un voyage en Union soviétique, à l’instar d’André Gide à l’occasion de son Retour d’URSS[5], et choqué par le bureaucratisme : « Je m’attendais à trouver une Russie remuant dans son sommeil, prête à s’éveiller à l’idée de la Cosmopolis, et je l’avais trouvée plongée de plus en plus profondément dans le rêve, lourd de soporifiques, de la suffisance soviétique[6] ».  Et encore n’avait-il pas connaissance des goulags…

Science-fiction ou « roman d’aventures scientifiques », comme préférait le qualifier George Herbert Wells, le genre, de plus en plus polymorphe, en dit autant sur le futur que sur le présent de son auteur. Dans l’épilogue de La Machine à explorer le temps, « le futur demeure noir et muet ». Et si les écrivains font preuve d’une imagination souvent prédictive, voire prophétique, un autre réel, inimaginable, ne manque pas de surprendre un présent en perpétuelle évolution, pour l’améliorer, ou le décevoir. Après un tel impressionnant précurseur, les science-fictionneurs n’ont pas manqué d’œuvrer, voir d’exceller, à l’instar d’un Dan Simmons, auteur de l’indépassable space opéra, Hypérion[7], où le Mal est loin d’avoir disparu.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Charles Darwin : L’Evolution des espèces, Jean de Bonnot, 1982, I, p 462.

[2] G. H. Wells : The Salvaging of Civilization, Book Tree, 2006.

[3] G. H. Wells : Les Premiers hommes dans la lune, L’Aube, 2017.

[4] G. H. Wells : Quand le dormeur s’éveillera, Le Castor astral, 2018.

[5] André Gide : Retour de l’URSS, Payot, 2022.

[6] G. H. Wells : Une Tentative d’autobiographie, Gallimard, 1936, p 269, 392, 517, 518.

[7] Voir : Dan Simmons, d'Hypérion à Flashback, science-fiction mémorielle et géopolitique

 

Plasencia, Extremadura.

Photo : T. Guinhut.

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22 novembre 2024 5 22 /11 /novembre /2024 16:41

 

Jardins et château de Chenonceau, Indre-et-Loire.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

L’invention des jardins de l’Antiquité à nos jours.

Suivi par Des Jardins & des livres

à la Fondation Martin Bodmer

& autres plantes, pierres et paysages.

 

 

Gilles Clément & Monique Mosser : Inventer le jardin, de l’Antiquité à nos jours,

Seuil/Bibliothèque Nationale de France, 2024, 256 p, 45 €.

 

Bibliothèque idéale des pierres, plantes et paysages. D’Homère aux Alchimistes,

dirigé par Laure de Chantal, Les Belles Lettres, 2024, 369 p, 29,90 €.

 

Des Jardins & des livres, sous la direction de Michael Jakob,

MétisPresses / Fondation Martin Bodmer, 2018, 464 p, 65 €.

 

 

« Si hortum in bibliotheca habes, nihil deerit ». Soit, si vous avez un jardin et une bibliothèque rien ne vous manque, selon les mots de Cicéron dans une lettre à Varron[1]. Lorsqu’au contraire du français la langue espagnole différencie el jardin et el huerto, le premier d’agrément et le second potager, nous n’avons qu’un mot, au secours duquel nous allons constituer ici une bibliothèque jardinée. Ce depuis l’Antiquité, où pierres, plantes et paysages sont légion dans les Lettres d’une bibliothèque idéale. En puisant dans la parisienne Bibliothèque Nationale de France, avec Inventer le jardin, et dans celle de la genevoise Fondation Bodmer, avec Des jardins et des livres. Tous deux vont de l’Antiquité à nos jours, tous deux révèlent les plus belles et précieuses pages, manuscrites, enluminées, imprimées, chromolithographiées, au moyen d’une communicative érudition. Microcosmes jumeaux en quelque sorte sont les jardins et la bibliothèque, la porte des uns donnant sur les autres…

De chasseur-cueilleur, l’homme devient agriculteur. Le mythe, lui, préfère la conception de l’Eden. Or c’est avec ce dernier que nait le « jardin biblique », dès les premières pages du beau livre intitulé Inventer le jardin, mis en scène par une historienne de l’art, Monique Mosser, et un jardinier inventif, Gilles Clément. Explorant les collections gigantesques de la Bibliothèque nationale de France, de l’enluminure à la photographie, voire l’affiche, un jardin de livres s’ouvre aux yeux ravis du lecteur. L’ouvrage emprunte quatre vastes chapitres comme autant d’allées magistrales : le jardin est « lieu de création », espace « sous l’œil du jardinier », « terre d’expériences », puis « allées et venues ». Parties thématiques donc, quoique l’ordre chronologique n’y soit pas toujours respecté, ce qui est peut-être dommageable.

Le fantasme de la nature aimable atteint d’emblée son apogée dans le jardin d’Eden, qui n’est pas loin d’être un « hortus conclusus, symbole de la chasteté de la Vierge. Les Métamorphoses d’Ovide, compilant en vers une somme mythologique, multiplie les vues heureuses et jardinées, inondant tableaux et gravures de la Renaissance aux Lumières.

Les Persans également ont un nombril du monde, vasque et fontaine, végétaux, fruits et fleurs parmi leurs miniatures colorées. Plus loin encore, la Chine a ses empereurs jardiniers, immortalisés par un album de peintures sur soie.

Pas seulement arbres, pierres et plantes, là sont les fontaines, d’où une nécessaire maitrise de l’énergie hydraulique, tel qu’à la Villa d’Este de Tivoli près de Rome, dont Piranèse propose une veduta fouillée, tels que dans Théorie et pratique du jardinage, d’Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville, en 1747. À cette époque, notre jardin devient « anglo-chinois », puis au XIX° siècle méditerranéen. Un château digne de ce nom ne va sans son jardin, alors que les topiaires, ifs et buis taillés, composent des architectures végétales, que les grottes artificielles deviennent de véritables cabinets de curiosités.

Outre Dieu le père, les jardiniers ont leur patron : Saint-Fiacre. Les « travaux et les jours » médiévaux côtoient ici les calendriers du jardinage, les planches de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert précisent comment tailler les arbres fruitiers. De siècle en siècle, bêches et râteaux sont rejoints par de plus modernes tondeuses. Les plantes médicinales collectionnées dans un « manuel de santé médiéval » sont bientôt classifiées par les botanistes, Linné en tête. Bientôt le jardin devient « planétaire », accueillant papillons et abeilles, changeant en fonction de l’altitude au moyen d’une pyramidale iconographie au XIX° siècle, puis une métaphore de la biodiversité, de l’écologie triomphante.

Le pittoresque ne lui suffit plus : il faut un « jardin-spectacle ». Celui de l’amour courtois, au travers des gravures des Triomphes de Pétrarque et du Songe de Poliphile imaginé par Colonna. C’est avant le parc versaillais, avant les « fêtes galantes » de Watteau et de Verlaine. Plus loin encore, dans le développement de l’imaginaire, l’on rêve un « jardin des délices », un autre « d’utopie ». Plus réaliste, chaque ville a son Jardin des plantes, à la fois d’agrément et didactique. Des volumes aux formats impressionnants déplient leurs plans coloriés.

En ce sens le jardin, ses formes, son imagerie, ses avatars successifs, racontent l’histoire humaine. Les livres qui en offrent de larges vues, des détails foisonnants, ont une volonté de mimesis, mais aussi, par-delà les siècles, de pérennité, ce qui correspond bien à la vocation de la Bibliothèque Nationale.

Si les toutes dernières pages de ce volume ne sont peut-être pas les plus esthétiques, ne sont-elles pas pour le moins curieuses ? L’on y découvre en effet que le quadrilatère Richelieu de la Bibliothèque Nationale se mue en « Hortus papyrifer », où l’on s’attache à cultiver des arbres et plantes susceptibles d’être utilisés par l’imprimeur : le mûrier à papier, le palmier nain, parmi un « florilège végétal » de possibles ouvrages à feuilleter. Voilà qui fait rêver d’une étagère de bibliothèque, dont les feuilles disposent des textures, des couleurs, des senteurs insoupçonnées. Où imprimer pourquoi pas les poèmes botaniques d’Emily Dickinson…

Exactement et magnifiquement illustré, cet Inventer le jardin ne se contente pas d’être lu et contemplé, il faut le faire fleurir dans le miroir de notre esprit bien jardiné.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quand, du moins dans notre espace européen et proche-oriental, a-t-on inventé ce jardin, sinon dans l’Antiquité ? Le monde des Anciens est né de la terre, ressource adulée, cultivée, jardinée. L’on ne compte pas tous les auteurs qui l’ont louée. Fouillant dans l’immense corpus gréco-romain des éditions Les Belles Lettres, Laure de Chantal concocte pour nous une anthologie fournie, une Bibliothèque idéale des pierres, plantes et paysages, un voyage chronologique d’Homère aux alchimistes d’Alexandrie.

Pour les Grecs, les jardins sont ceux des mythes : les Hespérides avec leurs pommes d’or, les jardins d’Arès recelant la Toison d’or, ou celui de la magicienne Médée s’affairant dans sa vénéneuse cueillette, tels que les décrits Apollonios de Rhodes. Ou encore ceux de Circé entretenant ses plantes magiques au service de son amour pour Ulysse. Or chez Hésiode, tout vient de la terre ». Et quoique « née d’un terreau aride », selon les mots de Thucydide, la civilisation hellénistique devient florissante. Ainsi le lien originel depuis la géologie et le cosmos permet à l’homme d’habiter la terre et de la jardiner à son profit. Quant aux « jardins suspendus de Babylone », on les trouve parmi les pages de Diodore de Sicile…

Chez les Romains, c’est le règne de l’Italie fertile, chantée par Varron, Lucrèce et Virgile, dont le poème Les Géorgiques est un manuel d’agriculture, exaltant le bonheur du cultivateur, quand Ovide rend hommage au jardin de Flore. Pline l’Ancien propose la connaissance des soins par les plantes, grâce à toutes sortes de « panacès ». Cependant Sénèque le stoïcien, ancêtre des écologistes avertisseurs et culpabilisateurs, déplore « la triste faculté de l’homme à pervertir et détruire » et accuse la cupidité destructrice, en particulier des « entrailles de la terre » afin d'en tirer l’or, pour lequel les alchimistes affabulent des recettes de fabrication.

Cette collection, Bibliothèque idéale, comptant déjà une demi-douzaine de volumes, permet d’économiser bien des recherches érudites et déballe en bon ordre à chaque fois un encyclopédique parcours thématique. D’autant plus agréable que celui qui nous occupe voit ces caractères imprimés à l’aise d’un vert pertinent et délicieux ; ce qui devrait donner à méditer à maints éditeurs, non pour céder à une mode écologiste, mais pour des raisons d’esthétique typographique.

 

Charles d'Orbigny : Atlas d'Histoire naturelle, Renard, Martinet & cie, 1849.

M. Boitard : Le Jardin des plantes, Dubochet & cie, 1845.

Abbé Magnat : Le Langage symbolique des fleurs, Touzet, 1855.

L'Horticulteur français, 1851.

Photo : T. Guinhut.
 

 

Théophraste, Pline l’Ancien, Virgile, nous les retrouvons dans leurs éditions les plus rares, parmi la collection de la Fondation Bodmer, qu’ils soient encyclopédistes ou poètes, célébrant les jardins, inculquant aux jardiniers en herbe, ou confirmés, les secrets du loisir et du métier :

« Je dirai comment l’art embellit les ombrages,

L’eau, les fleurs, les gazons et les rochers sauvages,

Des sites, des aspects sait choisir la beauté,

Donne aux scènes la vie et la variété ;

Enfin l’adroit ciseau, la noble architecture,

Des chefs-d’œuvre de l’art vont parer la nature.[2] »

C’est ainsi que Jacques Delille, auteur néoclassique trop oublié, malgré ses belles traductions en alexandrins de Virgile et de Milton, annonce son poétique projet dans Les Jardins, publié en 1782. Comme de juste son édition originale, sous-titrée « ou l’art d’embellir les paysages », figure parmi les fleurons de l’exposition et du somptueux catalogue Des jardins & des livres à l’initiative de la Fondation Martin Bodmer, sise à Cologny, à deux pas de Genève. Du jardin botanique du Livres des morts égyptiens au « Jardin des sentiers qui bifurquent » parmi les Fictions de Jorge Luis Borges, deux millénaires nous contemplent, grâce aux volumes précieux réunis par feu Martin Bodmer, ce prodigieux jardinier de la bibliophilie.

N’imaginons pas de ne trouver ici que des traités savants de jardinage et de botanique ; c’est toute la science et littérature mondiale, des grands mythes aux romans et aux poèmes, qui est ici représentée par de rares éditions originales, le plus souvent illustrées à foison et avec magnificence. Pas moins de deux cent cinquante livres jalonnent ce voyage temporel et géographique. Depuis l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien, de la Chine au berceau allemand de l’imprimerie au XV° siècle, du Japon au jardin anglais, des manuscrits enluminés médiévaux aux gravures nourries de détails horticoles de la Renaissance à l’âge classique, jusqu’aux journaux intimes de Derek Jarman, en 1991, dans Modern nature, parmi lequel il « plante des citations » et tente de dresser son jardin « comme une pharmacopée » devant la maladie. Ils sont, en un merveilleux cosmopolitisme, de langues diverses, en latin, anglais, néerlandais, allemand, français, espagnol, arabe, persan, y compris plantés d’idéogrammes extrême-orientaux…

Les traités, manuels et planches abondent, à l’instar de l’Instruction pour les jardins fruitiers et potagers, publié en 1697 par Jean-Baptiste de la Quintinie. Comptons avec l’indispensable volume de Carl von Linné, Species plantarum, dont la classification des plantes est un incontournable jalon de la science botanique, malgré l’apparence  pauvrette du volume publié en en Suède en 1753. L’on s’étonnera d’apprendre qu’Horace Walpole, créateur du roman gothique avec Le Château d’Otrante, a publié en 1785 un Essai sur l’art des jardins modernes. Remarquons les Plans raisonnés de toutes les espèces de jardins par Gabriel Thouin en 1828, aquarellés au moyen de verts émeraude stupéfiants, ou encore L’Art de composer et de décorer les jardins sous la binette attentive de Pierre Boitard, en 1834.

La richesse esthétique de certaines planches botaniques en couleurs est absolument hallucinante : en témoignent l’Hortus eystettensis de Basil Besler qui, en 1613, avec ses arcs en ciel de tulipes affole nos pupilles. De même pour The Temple of Flora par Robert John Thornton en 1938, ou Les Liliacées de Redouté, à partir de 1802. Mieux encore, si possible, ce sont de véritables peintures aux coloris aussi brillants qu’émouvants lorsque s’ouvrent les pages de parchemin d’un Chansonnier de Pétrarque en italien, enluminé par Bartolomeo Sanvito, vers 1500. Pour n’être qu’en noir et blanc, les gravures de Delineatio montis, une œuvre de Guernieri en 1708, sont époustouflantes, imaginant des jardins baroques et montagneux.

Nombre de romans font résider leur intrigue en cet enclos de verdure et de soins humains. Au XVIII° siècle chinois, à l’époque de la voltairienne conclusion de Candide, (« Mais il faut cultiver notre jardin »), Le Rêve dans le pavillon rouge de Cao Xueqin se déroule dans « le Parc aux Sites grandioses ». L’on n’aurait pas forcément pensé à Balzac ou Proust. Pourtant Le Lys dans la vallée, s’il est une métaphore érotique, est aussi un jardin de Touraine ; quand les scènes qui réunissent Gilberte et le narrateur de Le Recherche du temps perdu ont bien souvent leur refuge au jardin des Champs Elysées. Le jardin d’amour, qui est un topos médiéval, dans La Cité des Dames de Christine de Pisan, passe également par La Nouvelle Héloïse de Rousseau, en 1761, dont le jardin de l’héroïne est nommé « L’Elysée », et au sujet duquel il est permis, selon la sagacité de Jacques Berchtold, de faire « une lecture sexuelle ». Mais aussi par Les Affinités électives de Goethe en 1809, puis par le parc à la Watteau des Fêtes galantes de Verlaine, en 1869, avant de se muer en métaphores horticoles enchanteresses dans l’« Antiterra » d’Ada ou l’ardeur de Vladimir Nabokov, en 1969. À la française, comme à Versailles, puis à l’anglaise, pour jouer à se perdre et dissimuler de romantiques baisers, il est le reflet des cultures et de l’évolution des mœurs. Ainsi il hésite entre labyrinthe, plus ou moins symbolique, et géométrie. À moins qu’il ne devienne, entre les mains de Bouvard et Pécuchet, chez Flaubert, une « catastrophe esthétique » selon Michael Jakob, une parodie aporétique…

Les écrivains et poètes sont les habitants de leurs jardins. Horace et Pline l’Ancien dans l’Antiquité, Pétrarque, l’humaniste médiéval, font leurs délices de la paix des plantes. Comme Voltaire eut son jardin des Délices, Gabriele d’Annunzio son Vittoriale, William Butler Yeats son Coole Park. Il arrive également que leurs statues ornent ce village botanique, parmi les escaliers, les fontaines et les parterres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si l’on vient lire au jardin, ce dernier est également un lecteur de nos mœurs et de nos livres : il nous lit l’histoire de Daphné changée en laurier dans les Métamorphoses d’Ovide, il nous plonge dans l’écoute des contes du Décaméron de Boccace, dont les narrateurs prennent place parmi une nature jardinée. Lors du siècle des lumières, si l’on trouve trace des jardins dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, ils se font déjà préromantisme avec Rousseau, qui intronise la nouvelle mode des jardins irréguliers. En outre, comme le souligne Michael Jacob ; « les fleurs seront aux jardins ce que les éléments fleuris de la rhétorique ont été pour le discours, à savoir les bases d’une véritable stylistique ». Or l’espace du jardinier n’est pas toujours premier : ce sont les pages jardinées du Songe de Poliphile, éclos en 1499[3], qui ont fasciné les théoriciens et praticiens du jardin.

Parmi les pièces les plus marquantes déjà citées (mais elles le sont toutes) de cette exposition et de ce catalogue, l’on ne peut être que fasciné par le Dit du Genji, de Murasaki Shikibu, fabuleuse romancière japonaise du XI° siècle, dont nous contemplons un manuscrit enluminé au XVII° siècle, aux nuances pétillantes et suaves : parmi des pavillons où fleurissent les kimonos, où les regards se cachent et s’échangent, des jardins extérieurs et intérieurs semblent courber leurs branches, voir frémir leurs feuilles, s’aimer les fleurs qui ont à cet égard plus de chance que les princes et les princesses. Sans oublier les sources, les ruisseaux qui murmurent les récits des temps éphémères…

Il faut également compter avec un recueil de poèmes en forme d’herbier publié en 1890 par les éditeurs posthumes de la poétesse américaine Emily Dickinson[4], mais aussi l’essai historique de Rudolf Borchardt Der leidenschaftliche Gârtner, qui est son manuel du « Jardinier amoureux », pourtant un modeste volume de 1951, qui ne paie guère de mine. Il est alors permis de rêver au lieu originel et magique, au repos éternel et d’utopie, avec ce jardin d’Eden, dans la Bible polyglotte d’Anvers de 1572, et celui des Hespérides dans les vers de Pontano en 1503. Il s’agit de cultiver son jardin comme un « paradis terrestre », ainsi le voulait John Parkinson en 1629…

L’on se rend compte combien ce que l’on peut habituellement voir dans les vitrines de la Fondation Martin Bodmer n’est que la mince part émergée de l’iceberg. C’est grâce à de tels dévoilements, comme à l’occasion des Routes de la traduction. Babel à Genève[5], que l’on peut soupçonner le trésor d’Histoire, de culture et de beauté amassé avec un soin et un goût infinis par le collectionneur Martin Bodmer. Le « vertige de la liste[6] », pour reprendre la formule d’Umberto Eco, nous emporte sans retour

Si ce livre catalogue est une merveille en son contenu, en sa mise page, en ses illustrations généreuses, en son abondante et claire érudition servie par une pléiade de spécialistes jamais abscons, il faut inviter un léger bémol : sa couverture est faite de deux cartonnages tranchés, posés sur un dos toilé, ce qui est aussi laid que malcommode, cette toile se courbant en creux au premier feuilletage. La première de couverture, au beau labyrinthe doré venu de New Principles of Gardening de Batty Langley (1728), est trouée de deux oculus discutables.

L’on peut dire qu’en France André Le Nôtre est parmi les grands jardiniers l’arbre qui cache la forêt. Ce « dessinateur des jardins du Roi », fut, à partir de 1643 et à la suite de son père André, au service de Louis XIV et des parcs de Versailles, Fontainebleau, Vaux-le-Vicomte, Chantilly, Sceaux et de leurs jeux d’eaux. C’est en deux volumes élégants et généreux, que, sous sa direction éclairée, Jean Racine présente les Créateurs de jardins et de paysages en France de la Renaissance au XXI° siècle[7]. Quelques centaines d’artiste-jardiniers y sont l’objet d’un rigoureux éloge. Du « moine-médecin-jardinier Bernard Palissy » à Gilles Clément, « ingénieur paysagiste », en passant par Olivier de Serres « orfèvre de la terre », ils invitent à la promenade et à la contemplation.  Ils sont également fontainiers, évidemment cartographes, ingénieurs et botanistes. L’iconographie, entre photographies, plans et gravures, rend justice à cette longue amitié de l’homme et de la nature, avec laquelle les hérésies d’une agriculture industrielle, certes capable d’éradiquer les famines, feraient bien feraient bien de renouer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Finalement, dans notre imaginaire et dans nombres de livres, hors ceux pratiques et didactiques, c’est paradoxalement le jardin d’agrément qui l’emporte sur celui nourricier et potager. Quoique les arbres fruitiers et leurs espaliers puissent concilier les deux, en toute beauté. Qu’ils soient géométriquement ordonnés, soit à la française, ou plus fourmillants et labyrinthiques, soit à l’anglaise, nos jardins de plaisirs ont de surcroit l’avantage de promenades galantes pour les premiers, voire plus érotiques, car bénéficiant de recoins cachés, où cueillir de brûlantes fleurs pour les seconds…

Continuons alors, non sans une puérile prétention, à joindre aux deux cent cinquante volumes rares et précieux à cueillir parmi Des jardins et des livres quelques trouvailles : en 1951, André Grangeon offrit une « Petite histoire naturelle à l’usage des petits et des grands racontée et imagée », intitulée Mon Jardin Monde enchanté[8]. Aux massifs soignés et aux recoins arbustifs, il préfère traquer avec un respect infini maintes bêtes, de la scolopendre à la chouette effraie. Filant la métaphore, Léonard Rosenthal  quant à lui publia en 1924 Au jardin des gemmes[9], un volume somptueusement illustré par Léon Carré. Comme en pays de botanique, la terre nourrit des pierres précieuses que l’on se doit de cultiver. Si elles sont de merveilleuses vanités pour l’œil, les éditions précieuses de la Bibliothèque Nationale de France et de la Fondation Martin Bodmer, mais aussi de nos plus lilliputiennes bibliothèques ,sont à la fois ce que l’on cultive et ce qui nous cultive. Car de surcroit toutes ces promenades jardinées montrent à la perfection comment on est progressivement passé de l’âge mythique à celui scientifique, de la métamorphose d’un être en arbre et fleur par une volonté divine à la justesse objective de la botanique, sans publier ses applications thérapeutiques salutaires.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Cicéron : Ad Familiares IX, 4, « À Varro ».

[2] Jacques Delille : Les Jardins, Giguet et Michaud, 1808, p 2.

[6] Umberto Eco : Le Vertige de la liste, Flammarion, 2009.

[7] Jean Racine : Créateurs de jardins et de paysages en France de la Renaissance au début du XIX° siècleet du début du XIX° siècle au XXI° siècle, Actes sud, 2001, 2002.

[8] André Grangeon : Mon Jardin Monde enchanté, IAC, 1951.

[9] Léonard Rosenthal : Au jardin des gemmes, Piazza, 1924.

 

Charles Latham : The Gardens of Italy, 1905.

L'Horticulteur français, 1851.

Photo : T. Guinhut.

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15 novembre 2024 5 15 /11 /novembre /2024 16:47

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Bibliothèque monde et auteur mondial

par William Marx & Gisèle Sapiro.

Avec le concours de Kaïdara

d’Amadou Hampâte Bâ

aux éditions Diane de Selliers.

 

 

 

William Marx : Vivre dans la bibliothèque du monde,

Collège de France, 2024, 80 p, 12 €.

 

Gisèle Sapiro : Qu’est-ce qu’un auteur mondial ?

EHESS Gallimard Seuil, 2024, 448 p, 25 €.

 

Rāmāyana de Valmiki,

traduit du sanskrit sous la direction de Madeleine Biardeau et Marie-Claude Porcher,

Diane de Selliers, 2024, 448 p, 68 €.

 

Amadou Hampâte Bâ : Kaïdara, Diane de Selliers, 2024, 288 p, 230 €.

 

 

 

Si l’on imagine, en sus des ouvrages les plus vénérables et les plus récents, d’orner une bibliothèque digne de ce nom, il y faut de nobles bustes, et au premier chef ceux d’Homère et de Platon, pour la poésie et la philosophie. L’ascendance grecque est en effet fondatrice. Cependant hors de ce champ traditionnellement occidental qui embrassa les lettres françaises, allemandes, anglaises, espagnoles, ne peut-on considérer qu’ailleurs également soit le terreau de la « bibliothèque du monde », pour reprendre le titre de William Marx, qu’ailleurs puisse émerger l’« auteur mondial », selon l’interrogation de Gisèle Sapiro ? Un détour par les magistrales éditions Diane de Selliers nous permettra de rencontrer quelques-unes des grandes œuvres représentatives des civilisations universelles, tel le Rāmāyana de Valmiki, ou encore un texte plus que curieux venu du peuple Peul, apparemment si peu central, sis quelque part dans le golfe de Guinée, qui permettrait d’abriter, en la personne de l’auteur de Kaïdara, un nouvel Homère…

Conjointement avec les bonheurs de la paix, de la libre entreprise et de l’éros, décidons de « vivre dans la bibliothèque du monde », en la compagnie de William Marx, là où le bonheur est peut-être le plus assuré. Cependant, l’essayiste et critique littéraire renommé vécut très tôt « le déchirement des études littéraires », c’est-à-dire la distinction entre la lecture épistémologique et celle esthétique, autrement dit entre « la séduction et la dissection ». De surcroît, une inatteignable utopie nous menace, lorsque se lève l’ambition de la totalité, venue en ce domaine du philosophe italien Benedetto Croce.

Le sonnet de 1869, « Les Conquérants », tiré des Trophées de José Maria de Heredia, est le déclencheur de cette leçon inaugurale du Collège de France. Hommage aux découvreurs espagnols des Caraïbes et de l’Amérique, il devient l’allégorie de l’expansion du regard occidental vers des « étoiles nouvelles », en fait bien des lointains culturels appelés à devenir eux aussi patrimoines de l’humanité. Soit dans la démarche d’une « chaire des littératures comparées », hors de toute barrière géographique, linguistique, culturelle, hors de tout « système clos », donc en toute liberté d’écoute et de soin, lorsque « nulle littérature n’est une île »…

Il faut alors délimiter les corpus et les canons, de surcroît apprendre à choisir parmi des sphères et des archipels multiples. Car ne considérer qu’une seule littérature, n’est-ce pas « se condamner à en faire un point aveugle » ? Il s’agit bien de nous « inviter à une conversion non seulement esthétique, mais proprement existentielle et morale » ; si possible au-delà des achoppements de la traduction. En effet, même lorsque qu’une musique de la poésie se perd en passant d’une langue à l’autre, faut-il lire le russe pour comprendre Dostoïveski ?

William Marx, que nous connaissions pour son interrogative, inquiète, Haine de la littérature[1], ajoute à la liste impressionnante (près de 300) des Leçons inaugurales du Collège de France, son brillant opuscule : Vivre dans la bibliothèque du monde est en effet un essai stimulant sur les pouvoirs étendus et humanistes de la littérature et du livre. Non content d’être un essai théorique bienvenu, il s’appuie sur des références heureuses : outre Heredia, ce sont Kant et Lucain, la tragédie grecque et le Bardo Thödol tibétain,  Marx et Keats, quoique la reprise de la trop fameuse formule de Roland Barthes, selon laquelle « la langue est fasciste[2] », manque pour le moins de recul critique. Et si nous sommes en droit de nous sentir lilliputiens face à la myriade des textes de valeurs dont nous ne connaîtrons qu’une infime partie, reste l’éblouissement d’une connaissance toujours en mouvement au moyeu de ce « concept opératoire » : la bibliothèque du monde, macrocosme dont notre propre bibliothèque n’est que l’exaltant microcosme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous serons à la fois comptable de beaucoup d’éloge et d’un soupçon de blâme à l’égard de ce volumineux essai de Gisèle Sapiro. Elle pose une question plus que pertinente : Qu’est-ce qu’un auteur mondial ? Dans la mesure où le concept de « Weltliteratur », créé par Goethe au début du XIX° siècle, n’était pensé que pour les œuvres allemandes ou à la rigueur françaises, il est impératif lui donner une ambition plus internationale, cosmopolite. Il faut alors que les traducteurs puissent œuvrer en connaissance de cause et avec la complicité de l’édition.

Au-delà d’un « universalisme androcentrique et européocentré », notre essayiste s’attache à des ouvertures remarquables. Le prix Nobel sut couronner la Suédoise Selma Lagerlof, le Japonais Yasunari Kawabata, la poète juive Nelly Sachs, Toni Morrison aux Etats-Unis, et cette année la Coréenne Han Kang. Comme si les jurés de Stockholm veillaient à corriger un tropisme vieillot, ou, qui sait, à sacrifier à un politiquement correct nouveau genre.

Des cas remarquables de décentrement du phénomène de l’auteur mondial sont ici étudiés. Le romancier William Faulkner, auquel Gallimard offrit un réel renom, grâce à l’activité de Maurice-Edgar Coindreau, « médiateur de la littérature américaine », fut un phare de cette collection, toujours brillante, intitulée « Du monde entier ». Ensuite, fut révélé l’Argentin Jorge Luis Borges, dont le même éditeur permis de surcroit la collection « La Croix du Sud » de révéler chez nous bien des auteurs talentueux, relevant du « boom » sud-américain et du réalisme magique, tels le Colombien Gabriel Garcia Marquez ou le Péruvien Mario Vargas Llosa.

Remarquables sont également, les « Œuvres  représentatives » de l’Unesco, en particulier la collection « Connaissance de l’Orient », qui, chez Gallimard, joua un rôle éminent dans la visibilité des poètes et romanciers chinois, japonais…

Ainsi un « Proust oriental », tel que l’on qualifia David Shahar, dont Le Palais des vases brisés [3] – vaste cycle montrant comment les communautés religieuses se brisent les unes contre les autres – se vit couronné par un prix israélien, peut, de toute éventualité, voir le jour.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

N’oublions pas les enjeux politiques, lorsqu’apparait un Soljenitsyne, révélant la réalité immense du goulag communiste ; ou encore les écrivains de la « négritude », puis, moins pertinents, les forcenés du décolonialisme, de façon à tenter pour le moins maladroitement une omniprésente littéraire occidentale.

Mais au regard de la domination des auteurs anglo-américains, faut-il craindre une « mort de la littérature française » ? Les vedettes, comme Bret Easton Elis, romanciers controversé d’American Psycho, à l’occasion du Festival America, ou encore Margaret Atwood, fameuse pour sa dystopie féministe, La Servante écarlate, peuvent éclipser le maigre Michel Houellebecq. La diversification, « en termes de genre et d’ethnicité », ne masque pas une hégémonie des grandes capitales culturelles occidentales. Faut-il pour autant plaider une illusoire égalité, alors que la qualité littéraire peut-être imprévisible, et inaccessible à l’instar du mirage de la justice littéraire…

Nourri de références, d’encadrés et de tableaux documentés, sur les ventes, les traductions, etc, le colossal ouvrage de Gisèle Sapiro est une mine. Entre libéralisation des échanges et concentrations éditoriales nourries de moyens de communications considérables qui sont « instances de consécration », comme le peuvent être des politiques « (inter)étatiques », la place de petits éditeurs, solitaires, émergeants, parait condamnée ; et pourtant, qui sait, tenable.

À vouloir à juste raison réhabiliter les auteurs féminins, en quête de « l’écrivaine mondiale », Gisèle Sapiro ne manque cependant pas de sombrer dans le ridicule, lorsqu’elle use et abuse des néologismes prétendument « inclusifs », comme « les médiateurices et traducteurices » ! Ne sait-elle pas que bien des mots sont grammaticalement neutres, qu’être médiateur n’a rien à voir avec le sexe ? Nous lui ferons le procès – de mauvais goût bien entendu – de s’ingénier à vouloir ajouter une disgracieuse queue aux mots… Si le verbiage est parfois agaçant, il ne faudrait pas méjuger l’intérêt considérable de l’essai de Gisèle Sapiro, dont la quête de l’auteur mondial reste ouverte, bien après avoir refermé son livre. In fine, un auteur mondial n’est-il que celui dont les best-sellers, les machineries éditoriales et culturelles, voire les clichés et les doxas à la mode, font la promotion ? À moins qu’il reste une possibilité pour que de réels éclats solitaires de l’esprit en soient les garants…

Nous n’en aurons preuve que par le corpus magnifiquement illustré des éditions Diane de Selliers, formé – excusez du peu – par L’Odyssée d’Homère, le Dit du Genji de la japonaise Murasaki Shukibu, Leyli et Mâjnun  du Persan Jâmi, L’Epopée de Gilgamesh, entre autres joyaux universels. Ce sont, par-dessus tout, des grandes œuvres représentatives de l’humanité, des forces du mythe et de la littérature. En témoigne le Rāmāyana de Valmiki, venu de l’hindouisme, rédigé entre le III° siècle avant notre ère et notre III° siècle, et opportunément réédité en « Petite collection », en un volume anthologique, au lieu des sept volumes originaux, somptueux certes, mais onéreux, épuisés. L’épopée védique sacrée aux sept chants et 48 000 vers se fait le devoir de raconter la vie exemplaire du prince Rama, un avatar du dieu Visnu, prônant courage, loyauté, amour, toutes valeurs consubstantielles à l’hindouisme. Croyant ne poursuivre qu’une vie ascétique avec son épouse Sita et son frère Laksmana, il se heurte à maintes péripéties, lorsque Sita est enlevée par le roi des démons. Fort heureusement, son armée, enrichie de singes et d’ours, lui permet de vaincre les terribles raksasas et de restaurer l’équilibre cosmique. Les exploits, facéties et singeries des alliés de Rama sont d’ailleurs parmi les pages les plus intensément curieuses et palpitantes de l’ouvrage incarnat la lutte atavique entre le bien et le mal.

 Enrichie de deux-cent-vingt miniatures, souvent étonnamment inédites, ce prodige iconographique, ce festival de motif, de couleurs, en particulier un rouge soyeux, un safran rayonnant, des verts fruités, magnifie une nature luxuriante, des personnages d’une suprême élégance. En particulier grâce au concours d’un somptueux manuscrit moghol de 1588.

Quant au dernier né de Diane de Selliers, Kaïdara, il répond de manière judicieuse à notre problématique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Amadou Hampâte Bâ est-il un auteur mondial ? Nous le connaissions comme ethnologue et écrivain malien (1901-1991), dont les mémoires, Amkoullel l’enfant peul[4] restent un témoignage autant qu’une recréation par la vertu du roman autobiographique.

S’inscrivant dans un tropisme mythique universel, le récit initiatique intitulé Kaïdara, d’abord paru en 1969, se présente comme un poème allégorique en vers libres, construit et ciselé, dont la source est la tradition orale peule. Avec ferveur, il conte la quête de trois héros guidés par une omnisciente voix. Ils s’appellent Hammadi, Hamtoudo et Dembourou. Lors de la découverte du pays souterrain des génies-nains, le chemin chargé de symboles est bien celui de la réalisation de soi et du monde. Quant au dieu Kaïdara, horizon du voyage, émanation du dieu créateur Guéno, il apparait souverainement comme un cosmos métaphorique, à la fois or et connaissance.

Au fil de multiples aventures à la fois féeriques et fantastiques, le combat entre le bien et le mal anime une fois de plus le mythe et l’épopée jusqu’à la restitution des « trois bœufs chargés d’or » ; qui sont en fait « trois sciences ». Ainsi s’enrichit le récit initiatique, qui n’est pas sans entretenir une secrète connivence avec La Cantique des oiseaux du poète persan soufi Farid od-dîn ‘Attar[5]. Connivence qui est en fait celle des invariants anthropologiques.

Au cours de l’aventure chargée de prodiges et d’épreuves, d’étranges créatures, animales, végétales et autres entités polymorphes font leur apparition comme autant de pierres savantes disposées au cours de la déambulation. Les plus notables étant peut-être un scorpion géant, « émissaire maléfique » et « dard de vengeance », un coq se métamorphosant en bélier, une outarde miraculeuse qui se révèle « oiseau polygame », un lézard trapu… Mais aussi un vieillard « couvert de haillons sales », dont la sagesse se révèle proverbiale, car « noyé de songes ». Ces onze figures allégoriques prononcent à l’intention des héros d’énigmatiques discours, non sans qu’une sorte de refrain balise la déambulation :

« Je suis le symbole du pays des génies-nains

et mon secret appartient à Kaïdara

le lointain, le bien proche Kaïdara…

Quant à toi, fils d’Adam, va ton chemin ».

Bien entendu, le plus considérable de ces personnages est Kaïdara, siégeant sur un trône d’or, animant ses douze bras en sus de ses sept têtes et de ses trente pieds, changeant « de forme à volonté et dont chaque forme est unique ». Sans nul doute, il est « termitière de sagesse ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tout en s’appuyant sur de précieux spécialistes de la littérature et de la peinture africaines (Souleymane Bachir Dyane, Christiane Seydou et Bérénice Geoffroy-Schneiter)  l’un des secrets de la réussite éditoriale de Diane de Selliers est sans conteste la congruence entre l’image et le texte. Or, illustrant ce vaste poème par les soins d’Omar Ba, peintre sénégalais né en 1977, présentant ici quarante œuvres originales, il se doit de coller au rythme épique et à l’univers coloré mis en œuvre par les vers. La rencontre, quoique posthule, entre le conteur et l’artiste peul également contemporain permet de magnifier un substrat mythique venu de l’oralité traditionnelle. Les peintures paraissent hésiter entre collage et tapisseries, profusion végétale, animale et humaine, pour signifier la dimension animiste du monde. La multiplicité des motifs semble signifier la création toujours recommencée du monde ; ce dont rendent compte les détails judicieusement agrandis à pleine page, permettant de plonger le regard dans un heureux foisonnement. Enfin, l’envol de la page conclusive du conte est splendidement figuré par une rime entre le texte et l’image :

« quand Kaïdara étendit ses ailes enluminée d’or.

Il s’éleva dans le ciel, s’envola, déchirant les airs,

laissant Hammadi pantelant, étendu sur le sol,

tout comblé de joie, de science et de sagesse. »

Au-dessus d’un visage fervent s’élève dans le bleu un ange aux ailes plissées d’ocres…

Ce volume d’exception, dont les peintures furent réalisées spécialement pour cette édition, pourrait être feuilleté avec des enfants, conté dans toute sa dimension merveilleuse, autant qu’il s’adresse aux curieux de cette universalité mythologique dont Amadou Hampâte Bâ est le passeur.

Que le goût du lecteur et celui des « opérateurs axiologiques » - traducteurs, éditeurs, critiques – puisse en toute liberté apprécier le talent et le génie, semble être une évidence. D’où qu’ils viennent, hors de toute considération nationale, religieuse, sexuelle, coloriste, genrée, voilà qui entraîne la fin actée des littératures nationales, voire de la littérature française stricto sensu. Heureux si la mise en forme épistémologique et esthétique de l’humanité par les lettres s’en trouve magnifiée autant que transmise…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Roland Barthes : Leçon, Œuvres complètes, Seuil, 2002, V, p 432.

[3] David Shahar : Le Palais des vases brisés, Gallimard, 1978.

[4] Amadou Hampâte Bâ : Amkoullel l’enfant peul, Actes Sud Babel, 1992.

[5] Voir : Le Cantique des oiseaux, une poétique de l'interprétation

 

Arte Africana, da coleção de José de Guimarães.

Centro Internacional das Artes José de Guimarães, Portugal.

Photo : T. Guinhut.

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5 novembre 2024 2 05 /11 /novembre /2024 16:20

 

Ribeira, A Coruña, Galicia. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Prendre la mer sans limites :

avec les historiens Barry Cunliffe & David Abulafia.

Et autres Insulae & Mappa naturae.

 

 

Barry Cunliffe : Prendre la mer. La Méditerranée & l’Atlantique de la préhistoire à 1500,

Nouveau monde, 2024, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Patrick Galliou, 656 p, 35 €.

 

David Abulafia : La Mer sans limites. Une histoire humaine des océans,

traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Olivier Salvatori,

Les Belles Lettres, 2024, 980 p, 39,50 €.

 

Stevenson : Mappa insulae, Parenthèses, 2019, 62 p, 19 €.

Stevenson : Mappa naturae, Parenthèses, 2023, 192 p, 24 €.

 

 

 

Thalassa, fille d’Ether et d’Héméra, ainsi est divinisée la mer, des hymnes orphiques à Homère. Elle désignait pour les Grecs anciens la Méditerranée. Mais au-delà des colonnes d’Hercule, soit aujourd’hui le détroit de Gibraltar, voici la mer sans limites, l’Atlantique infini et autres océans plus ou moins pacifiques, dont l’exploration occupa bien des siècles, souvent laborieux, toujours intrépides. La Méditerranée et les rivages du nord restèrent les pivots de la connaissance européenne, jusqu’à ce que le XV° siècle précipite cette dernière vers d’autres eaux et continents, particulièrement à l’occasion de l’an 1492. Cependant navigateurs arabes et chinois pratiquent d’autres contrées aqueuses. De Barry Cunliffe à David Abulafia, l’on rivalise de tours de force documentaire pour que nous ayons le bonheur de prendre la mer presque sans limites de leurs écrits historiques. Et puisque les espaces maritimes, calmes et tempêtueux, ne peuvent se concevoir sans cartes, côtières et insulaires, penchons-nous également sur Mappa insulae & naturae, dont les représentations sont non seulement marines et îliennes, mais terriennes et montagneuses, frontières contemplées depuis les flots, comme le fut le Vésuve dont l’éruption, en l’an 79 de notre ère, fut observée avec effroi par Pline le Jeune.

Horizon craint et désiré à la fois, la mer est depuis les origines de l’homme l’objet d’une fascination constante, mais aussi d’un défi récurrent. Modèle de l’historien, elle devient : « La Méditerranée & l’Atlantique, de la préhistoire à 1500 », tel que Barry Cunliffe sous-titre son ouvrage profus. Il pose son ultime balise chronologique jusqu’à ce que l’on ait pu « pour la première fois définir les contours de l’Atlantique ». Si nous ignorons qui et quand prit rame et voile pour la première fois, bravant la noyade et la sollicitude des dieux marins, le cinquième millénaire avant notre ère nous fournit déjà des preuves d’une activité soutenue. Outre les ressources halieutiques pour enrichir son alimentation, l’homme nourrit sa soif de denrées nouvelles autant que d’inconnu et de connaissance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Notre auteur a les moyens de son ambition : « Le présent livre explore ce duel entre l’homme et la mer, sur une toile de fond où se déploie le récit des temps anciens de l’histoire de l’Europe ». Pour ce faire, l’archéologie, en particulier navale parmi les ports byzantins ou danois, est d’un grand secours, avant que les textes soient suffisamment utiles, de la Préhistoire aux courageux Phéniciens, des îles grecques aux rivages de l’Irlande.

Il y a cependant une différence de taille entre la Méditerranée et l’Atlantique. La Mare nostrum des Romains est une mer fermée, sans marées, la seconde aux flux et reflux impressionnants, peut être sujette à de plus redoutables tempêtes. De surcroit, très vite, aucune côte, hors un prudent cabotage, aucune île ne limite un angoissant infini.

Certes les guerres, les progrès économiques et culturels ont été des moteurs de l’humanité. Cependant la thèse de Barry Cunliffe, selon laquelle la lutte perpétuelle entre l’homme et les éléments marins est un aliment courageux de l’Histoire, sans oublier le « gène du voyage, présent dans environ 20% de la population du monde » et bien entendu l’aiguillon du commerce, ne manque pas de réelle solidité, tant ses exemples, récits et largeurs de vues, sont probants. L’expansion grecque – pensons à Marseille, cité phocéenne – puis celle romaine ne vont pas sans une maîtrise extraordinaire et en quelque sorte ulysséenne de la navigation, ce dont témoignent les navires naufragés aux cales chargées d’amphores.

Les deux dernières décennies de notre nouveau siècle ayant été prolixes de découvertes, notre historien peut enrichir, aiguiser son propos avec brio. De cette façon l’on découvre qu’un commerce d’ivoire venue d’Afrique du nord alimentait au troisième millénaire avant notre ère les terres andalouses et les abords de l’actuelle Lisbonne. Mais aussi les voyages de l’obsidienne, depuis Milos vers la Grèce continentale, ou les cargaisons de vins de Gascogne vers l’Angleterre. Ce sont également les colonisations danoises et norvégiennes du IX° siècle en Grande-Bretagne, au fil de la voile et de l’épée. Ou encore les conquêtes arabes à vitesse forcenée au VII° et VIII° siècle, de la mer Noire aux rives galiciennes de l’Espagne, qui ne sont pas un accident de l’Histoire, mais une traînée de poudre dont nous subissons toujours les effets délétères…

La Renaissance apporte son énorme lot de découvertes, au moyen de l’expansion vénitienne, de la « sécurisations des Canaries », et, à tout seigneur tout honneur – quoiqu’il soit l’objet de controverses en tant que colonisateur – des voyages de Christophe Colomb. Sans oublier les rivages du Labrador et de Terre Neuve, en Atlantique nord, par le méconnu Vénitien Cabot, et, enfin Ferdinand Magellan qui donna son nom au détroit qui permet l’accès au Pacifique. À partir de là, s’ouvre une autre ère…

L’ouvrage de Barry Cunliffe, qui se lit comme une longue traversée, ou comme un Immense cabotage de chapitre en chapitre, est soigneusement illustrée de photographies, de croquis et de cartes. Quoique nombre d’entre elles positionnent le nord vers la gauche, soit la direction du « coucher du soleil », ou parfois de manière un brin fantaisiste pour adapter le format à la page. Certes, c’est une question de convention, d’habitude et d’adaptation, mais cela reste un tantinet incongru, même si cela ne mérite pas que nous boudions notre plaisir.

Isla de Arousa, A Coruña, Galicia

Photo : T. Guinhut.

 

David Abulafia fut un constant explorateur de la mer Méditerranée. Il dépasse encore ses ambitions avec un essai qui s’aventure hardiment en tous les océans. En effet, l’impressionnant historien nous avait déjà régalé avec La Grande mer. Une histoire de la Méditerranée et des Méditerranéens[1], originellement publié en 2011. Il lui fallut huit années pour, après avoir franchi les colonnes d’Hercule, absorber à pleine gueule les eaux tumultueuses de la vastitude aquatique, en son ouvrage océanique, frôlant le millier de pages, La Mer sans limites. Comme de juste, se plaçant dans le sillage de Fernand Braudel[2], qui, pour écrire l’Histoire, dès 1985 privilégiait le commerce et non la politique et la religion, il choisit les « connexions » plutôt que la seule puissance navale. Pour preuve les figues de Carthage et le pléthorique blé d’Alexandrie voyageaient vers Rome. Dès l’Antiquité, « l’océan indien faisait déjà office de lien entre la Méditerranée et la mer de Chine méridionale ». Pour preuve encore l’acheminement d’immenses cargaisons de thé depuis l’Inde vers l’Angleterre au XIX° siècle.

Au-delà du berceau méditerranéen, Baltique et Atlantique, Pacifique, mer de Chine et océan Indien, sans omettre l’Arctique et son passage du nord-ouest, voire l’Antarctique comme continent austral luxuriant fantasmé, sont des champs désirés, vecteurs de ces forces et de ces conquêtes qui fomentent les siècles. De tels espaces ont des histoires distinctes, ponctués de cités portuaires, bien avant d’être parcourus par les Espagnols, les Portugais et les Hollandais, alors que François Gipouloux[3] a pu qualifier la mer de Chine de « Méditerranée asiatique ». C’est non sans stupéfaction que l’on apprend combien fut « pacifique l’histoire maritime des eaux baignant le Japon, la Chine et Java », malgré d’occasionnelles batailles navales au large de la Corée. Ainsi « le monde est devenu un monde de mondes ».

Se nourrir et commercer vont de pair. En ce sens « ours, orques et otaries », « poisson séché et piment doux », suscitent des besoins et des passions, chassés et pêchés de haute lutte, transportés au péril des naufrages. Alors qu’intailles, médailles, manuscrits, tableaux, portulans et globes terrestres s’ornent de figurations navales.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cependant David Abulafia, qui a préféré ouvrir son livre avec le « continent polynésien richement peuplé », quoique surtout richement océanique, termine son grand écart par un chapitre intitulé « Océans en boites », signifiant la dominance des cargos et porte-containers, surtout asiatique. Un paquebot de croisière, Allure of the sea, peut transporter sept mille passagers, sans compter le personnel de bord ; le CSCL Globe peut convoyer plus de dix-neuf mille containers à lui seul ! Déplaçant ainsi le centre de gravité économique mondial depuis l’aimant américano-européen fragilisé au profit des flots et flux asiatiques. Il n’est pas interdit en ce cas de croiser cet ouvrage avec l’Histoire de la marine, de Philippe Masson[4], aux deux volumes solides.

Bleutée, 70 % de la surface de la terre est remplie d’eau salée. Il faut à l’historien un sens de l’aventure intellectuelle au long cours pour oser embrasser la totalité marine et océanique, même si l’ambition de David Abulafia ne peut que rester forcément inaccomplie. Les civilisations humaines, des embarcations sommaires du néolithique à nos sous-marins atomiques, des jonques chinoises aux porte-avions, défilent au regard de cet élément salin omniprésent, encore partiellement terra incognita, en particulier pour ses abysses aux ressources minérales prometteuses. Les sources historiques pullulent, associant rigueur scientifique et récit palpitant. Ses héros, modestes ou prestigieux, sont marins, marchands, pirates, brutes et brigands, émigrants, rois, fanatiques religieux, esclavagistes et esclaves, savants et explorateurs désintéressés ; soit animés par l’appât du gain, du pillage, de la conquête exterminatrice, ou par la pure intégrité de la recherche scientifique, géologique, botanique, zoologique, ethnologique…

Le lecteur voyage et tremble d’excitation, de peur, au cours de ces traversées qui vont des trirèmes romaines aux drakkars vikings, des galions aux destroyers, jusqu’aux plus imposants monstres de la logistique et du luxe contemporains. Ainsi les dimensions historiques, géographiques, technologiques et géopolitiques se croisent, s’enrichissent, au service d’une humanité guerrière et commerçante, courageuse, destructrice et créatrice,  entreprenante enfin. Moby Dick littéraire, l’essai de David Abulalafia affronte les mers les plus arctiques, les plus polynésiennes, du savoir encyclopédiquement embarqué. Quelques cartes judicieuses, quatre cahiers de photographies en couleur, un index et une bibliographie impressionnants, sans compter les notes, complètent le prestigieux opus : une référence, sans nul doute…

Au XIX° siècle, l’auteur de L’île au trésor, Robert Louis Stevenson (1850-1894), navigua entre Angleterre et Californie, pour terminer sa vie aux îles Samoa. Connaisseur des tribulations maritimes et montagneuses, il ne pouvait qu’affirmer : « On me dit que certains ne s’intéressent pas aux cartes ; j’ai peine à le croire… Quand bien même la carte ne serait pas toute l’intrigue, comme dans L’Île au trésor, elle se révélera toujours une mine de suggestions. »

Aussi est-il en quelque sorte le saint patron d’un sextuor de chercheurs qui nous propose leur Mappa insulae. Collectionneurs, ces derniers se sont embarqués, pour notre plus grand plaisir, dans l’histoire des cartes, à la recherche des vastitudes, mais aussi du poudroiement insulaire de par le globe. Les formes y sont étranges, infiniment variés, augmentées par les graphismes, les typographies, les symboles, les personnages et les animaux, le tout rendant curieux le regard, le charmant, tant les nuances de noirs, de bistres et de couleurs sont parlantes. Toujours belles, ces cartes sont d’abord étonnantes, incongrues, voire bizarroïdes. D’abord primitives, malhabiles, ensuite elles rivalisent de précision et de finesse. Entre myriades méditerranéennes de la mer Egée, perles caraïbes et flottilles insulaires de la Polynésie.

Isolées, dans le bleu immense, impressionnantes par leurs tailles, souvent en archipel, les îles sont éparpillées « comme autant de pépins crachés dans l’eau ». Toujours accompagnées de citations, de géographes, de poètes, elles s’agrègent en une traversée ingénieusement érudite et joliment insolite.

Connaisseur également des itinéraires terrestres, puisqu’il voyagea avec un âne à travers les Cévennes[5], Robert Louis-Stevenson est également le mentor de Mappa naturae, composée sur le même moule. Les nostalgiques de la géographie physique – et des salles de classes des écoles Primaires d’antan – au dépend de celles humaine, plus contemporaine, sont ici choyés. Irisée, la couverture est un patchwork de cartes géologiques. Ces dernières étant prodigues de couleurs et d’enseignements, il est judicieux de les retrouver dans le corps de l’ouvrage, avec la monstrueuse chaîne des Alpes par exemple.

Outre les rivières, forêts, montagnes, déserts, pôles, ces sont les migrations animales, ou encore les dangers qui menacent notre planète, de par les bouleversements en cours du vivant, du végétal, du minéral qui sont là figurées. Les cartes historiques côtoyant des travaux scientifiques, voire des perspectives artistiques, les réalités les plus étonnantes, voire effrayantes, se parent de séduction visuelle.

Parmi les plus curieuses planches de cet élégant volume lui aussi au format à l’italienne, comptons une carte colorée des coulées de lave du Vésuve, qui répond avec ironie à la coulée des « formes vives » de la « Zone À Défendre » de Notre-Dame des Landes, tandis qu’un relevé des « déplacements de meutes de loups à la frontière Canada-Etats-Unis », juxtapose des embrouillaminis de couleurs vives.

Mais bien que majoritairement terrien ce Mappa naturae n’en n’oublie pas les mers, avec le détaillé tracé de 1886 pour le canal de Panama, avec un « plan d’endiguement et de poldérisation » aux Pays-Bas, une île coréenne saturée de calligraphies en 1702, les côtes africaines gravées en 1829…

 « Collectif » : le mot peu séduisant et militant est désormais employé au détriment  d’association. Ce collectif « Stevenson » est composé d’artistes, de philosophes, d’architectes et de chercheurs : Jean-Marc Besse, Milena Charbit, Eugénie Denarnaud, Guillaume Monsaingeon, Gilles A. Tiberghien ; Hendrik Sturm étant également un marcheur, Jean-Marc Besse est lui historien du paysage. Ils partagent un goût affirmé pour la cartographie, ses multiples avatars, sa polyphonie intellectuelle et son esthétique. Le plaisir des yeux n’est pas incompatible avec l’élargissement de la connaissance, loin s’en faut. Ils nous confient leurs connaissances, leurs fantaisies.

Notre besace lourdement remplie de ces livres marins et océaniques, nous voici bien armés pour une méditation inouïe lors d’une promenade sur la crête d’une modeste falaise calcaire de l’Île de Ré, ou parmi le fouet des bruines sur les côtes granitiques de la Galice espagnole. Songeant aux victimes de naufrages et de combats navals absorbés par ces fonds agités, mais aussi à tous ces commerçants et explorateurs qui ont livré les mers à la sagacité humaine…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Fernand Braudel : La Méditerranée, France Loisirs, 2022.

[3] François Gipouloux : The asian Mediterranean. Port City and Trading Network in China, Japan and Southeast Asia. 13th-21st century, Elgar, 2011.

[4] Philippe Masson : Histoire de la marine, Lavauzelle, 1992.

[5] Robert-Louis Stevenson : Voyage avec un âne à travers les Cévennes, GF, 2013.

 

Aoa Santio Erreka, Gipuzkoa, Euskadi.

Photo : T. Guinhut.

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25 octobre 2024 5 25 /10 /octobre /2024 14:04

 

Antoni Tàpies : El Accidente, 1951, Museo Goya, Zaragoza, Aragon.

Photo : T. Guinhut.

 

 

Florilège d’anthologies :

du surréalisme, du merveilleux

& du jazz en poésie.

 

 

André Breton : Manifestes du surréalisme, La Pléiade, Gallimard, 2024, 1124 p, 65 €.

 

Jean-Louis Bédouin : La Poésie surréaliste, Seghers, 2024, 432 p, 23 €.

 

L’Araignée pendue à un fil. 33 femmes surréalistes, Poésie Gallimard, 2024, 528 p, 13,20 €.

 

Pierre Mabille : Le Miroir du merveilleux, Fage, 2024, 448 p, 30 €.

 

Damien MacDonald : Le Rayon invisible, Denoël Graphic, 2024, 120 p, 25 €.

 

Franck Medioni & Tom Buron : Le Nom du son. Une anthologie jazz et poésie,

Le Castor Astral, 2024, 212 p, 20 €.

 

 

Les plus belles fleurs sont en grec une anthologie, il en est de même pour le florilège, venu du latin, alors que la définition évolua pour atteindre les plus belles pages poétiques. Elles seront pour l’heure venues du surréalisme, néologisme créé par Apollinaire en 1917 et mouvement littéraire et culturel qui fleurit largement entre les années vingt et soixante-dix, voire plus longtemps encore. Pape inamovible du mouvement, malgré son titre Poisson soluble, André Breton définit en 1924 sa créature : « Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale ». C’est en l’occurrence le cœur névralgique de son premier Manifeste du surréalisme. À l’anthologie devenue classique dirigée par Jean-Louis Bédouin aux plus féminines araignées pendues au fil surréaliste, il faut ajouter le recueil de Pierre Mabille, Miroir du merveilleux, d’abord paru en 1962, mais également un plus récent « traité graphique », intitulé Le Rayon invisible, qui se propose de renouveler une « révolution des consciences et des inconscients », en une démarche résolument colorée. Alors que musicale est une anthologie associant jazz et poésie, la Muse étant résolument favorable aux révolutions langagières.

Pour fêter le centenaire de ce mouvement, un tirage spécial de la collection de La Pléiade au coffret du plus bel effet présente une myriade de textes théoriques d’André Breton, titré Manifestes du surréalisme, tous extrait des quatre volumes de l’Œuvre complète[1]. Voici « un certain automatisme psychique qui correspond assez bien à l’état de rêve, état qu’il est aujourd’hui fort difficile de limiter ». Aussi, bien en-deçà de l’initiateur officiel, ce dernier sait qu’il emprunte le néologisme à Apollinaire, et va jusqu’à enrôler en sa généalogie les plus illustres et les plus inattendus des créateurs plus anciens, « à commencer par Dante et, dans ses meilleurs jours, Shakespeare », sans oublier Sade, Chateaubriand, Hugo et une flopée d’autres génies, ce qui, dans l’esprit du maître autoproclamé, n’est pas sans orgueil, voire ridicule lorsque « Desbordes-Valmore est surréaliste en amour ». Ainsi conçu, le surréalisme, censé s’arroger les plus inventifs parmi l’humanité, capture le passé à son bénéfice. Cependant, il prétend façonner le futur, ses textes théoriques, un brin exaltés, se voulant de renouvelables Manifestes tant le dernier d’entre eux, le plus complet, paraît en 1962, entre constance des convictions et malléabilité créatrice, ce entre deux dates butoirs du mouvement. Ainsi apparaissent Le Surréalisme et la Peinture, Position politique du surréalisme, hélas marqué par la pulsion communiste et trotskyste, le Dictionnaire abrégé du surréalisme… L’on excepte évidemment ici nombre de recueils, sans compter les opus plus ou moins romanesques, entre Nadja et L’Amour fou.

Quoique charpenté de textes programmatiques, ce pléiade ne pouvait éviter d’inclure l’un des premiers recueils du maître, soit Poisson soluble, dont on ne sait si l’un est la cause ou la conséquence de l’autre. « Fontaine magique, « fantôme », « femme aux seins d’hermine », l’imaginaire des proses d’André Breton est redevable du merveilleux autant qu’attentif aux irruptions d’une pensée incontrôlée, aux flux des images inédites et surprenantes, venues des abîmes de la psyché.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au-delà d’André Breton, toute une nébuleuse d’auteurs participe à La Poésie surréaliste, cette anthologie devenue classique dirigée par Jean-Louis Bédouin, parue d’abord en 1964, ici judicieusement rééditée. Ils sont une cinquantaine, la plupart Français, parfois étrangers, comme le Mexicain Octavio Paz, dont la portée dépasse largement le mouvement. Le classement alphabétique, d’Aragon à Zimbacca, peut paraître un peu froid, peut également regretter de faire fi de l’ordre chronologique, mais sans trop de didactisme appuyé, il permet de se promener, de grappiller de ci-delà, entre noms célèbres et noms confidentiels et trop oubliés.

Peu de formes fixes et d’alexandrins, la vitesse surréaliste préférant la liberté. L’on choisit vers libres et poèmes en prose. Et, au contraire de Poisson soluble, André Breton est ici convoqué pour ses vers ; où les réussites – « Ma femme au sexe d’algues et de bonbons anciens » dans Le Révolver à cheveux blancs en 1931 – côtoient un systématisme un peu vain : « Entre toutes l’enfant des cavernes son étreinte prolongeant de toute la vie la nuit esquimau ».

Parmi des membres plus ou moins attendus, comme les peintres Picabia et Picasso, Benjamin Perret observe « un saut de puce comme une brouette dansant sur les genoux des pavés ». Comme quoi le surréalisme, loin de son importance parfois sentencieuse, sait faire preuve d’humour. Pas seulement membre éminent de l’Oulipo, Raymond Queneau chante : les « Cadavres périmés, les périmètres de l’azur ne sont plus chambres pour l’amour et la peste au sourire d’argent entoure les fenêtres de cerceaux de platine ». Voilà comment les images entrechoquées allument des sensations inédites et font bourgeonner le sens jusque-là inaperçu.

Le Mexicain Octavio Paz prouve assez combien ce mouvement a largement dépassé les frontières françaises. Ainsi retrouve-t-il dans Pierre de soleil, le merveilleux des légendes : « j’ai vu ton atroce écaille, / Mélusine, l’aube briller, verdâtre, / tu dormais lovée dans les draps ».

Cette nébuleuse spirale voit notre métaphore confirmée par la couverture bleutée sur laquelle tournent les visages d’une peuplade de poètes, dessinés par Stéphane Manel. Néanmoins cette précieuse réédition de La Poésie surréaliste ne mériterait-elle pas d’être un soupçon réactualisée ? Le mouvement ne s’est pas soudainement interrompu en 1964, ne serait-ce qu’avec la publication en 1967 de Sur le champ dans lequel Annie Le Brun divise son recueil en douze « cernes » : « Des troupeaux d’animaux de nuit accusaient le pourtour de mes yeux. La profondeur de leurs orgasmes pesaient au cœur de mes pupilles[2] ». Certes, nombre d’auteurs prendront leurs distances pour trouver leur réelle singularité, mais le surréalisme n’est-il pas à chaque fois un long moment stellaire de leur carrière…

Annie Le Brun : Sur le champ, Editions surréalistes, 1967.

Photo : T. Guinhut.

 

Et s’il avait en ce précédent volume assez peu de femmes, nous voici comblés par L’Araignée pendue à un fil. 33 femmes surréalistes. Car derrière de légendaires protagonistes masculins, ne peut-on en redorer le versant féminin? Les femmes furent lumineuses dans la galaxie surréaliste, certes figures idéalisées et érotisés, comme la Nush de Paul Eluard, mais aussi poètes, peintres, photographes, non moins créatives.
Ainsi elles se nomment Claude Cahun et Leonora Carrington, Lise Deharme et Leonor Fini, Gisèle Prassinos, Bona de Mandiargues ou Joyce Mansour. Outre leurs peintures, leurs poèmes et proses, leurs aphorismes et correspondances, ne déméritent en rien de la floraison surréaliste.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous savions déjà, par André Breton, que le surréalisme avait ses antécédents. Pierre Mabille, en 1940, vint apporter de l’eau à un tel omnivore moulin. Son Miroir du merveilleux en est la preuve insigne, d’ailleurs nanti d’une préface du maître en forme de vers libres pour ouvrir « les rideaux qui n’ont jamais été levés », car l’anthologiste est alors membre du groupe surréaliste.

Le merveilleux des fées et des magiciens permet d’atteindre imaginairement puissance et beauté, de franchir les limites de l’espace et du temps, dans une démarche passionnelle et poétique. Ainsi Pierre Mabille rassemble un florilège de verbes fascinants, « quelques-uns des textes les plus significatifs du passé et du présent ». En divisant le volume par chapitres, comme « La création », ou « La Prédestination », en suivant un tropisme mystique, fantasmatique et onirique de l’humanité, le choix qu’il propose nous offre « le périlleux itinéraire de la grande aventure ».

De l’Antiquité – avec L’Âne d’or d’Apulée – au romantisme, en passant par la légende de Tristan et Yseult et les morts esclaves d’Haïti, jusqu’à Benjamin Péret qui est « À hauteur de rêves », le cauchemar, le fantastique et l’extase peuplent le recueil. Alice au pays des merveilles ne peut être omis, quand Franz Kafka avec « Un médecin de campagne » fait une entrée inattendue, voire indue. Moins surprenante est la présence du Château d’Argol de Julien Gracq, car l’on a un peu oublié qu’au contraire de l’œuvre suivante il empruntait un sens de l’érotisme (« une quête sous-marine ») au surréalisme. De même Gérard de Nerval, dont « le rêve et la vie » venu d’Aurélia s’impose.

Bien entendu, alors que le terrible Maldoror de Lautréamont est récurrent, le romantisme noir du Moine de Lewis et le Melmoth de Mathurin sèment leurs ferments infernaux. Autorité oblige, André Breton n’est pas omis, avec « la rencontre de la femme prédestinée » dans Nadja, répondant ainsi au fameux sonnet de Baudelaire : « À une passante ».

Certes la chose est parfois pour le moins tirée par les cheveux, avec l’Atlantide de Platon et le biblique Cantique des cantiques, mais à un tel trésor, remplis de contes arabes, égyptiens ou indiens, il sera beaucoup pardonné. Non seulement réservoir et enquête sur la famille universelle du surréalisme, avec un rien de captation opportuniste, ce Miroir du merveilleux, témoignant de la curiosité anthropologique d’un Pierre Mabille friand d’imaginaire, se proposait d’être « l’exploration plus totale de la réalité universelle ». Il fut également une source d’inspiration pour les acteurs du mouvement littéraire, comme un déclencheur de créativité qui n’a pas cessé de lancer d’éclairantes escarbilles.

Cela dit, le rayonnement du surréalisme, à en croire une monumentale exposition au Centre Pompidou de Paris, est loin d’être éteint. Il est également Le Rayon invisible de Damien MacDonald, une jouissive bande dessinée, tout ce qu’il y a de plus récente, aussi ludique qu’instructive, et onirique cela va sans dire. Dès la couverture, où un crucifix sert de lance-pierre, la métaphore s’unit à l’irrévérence, voire au joyeux blasphème.

Et puisque, selon le « flic et curé » André Breton, « Savoir aimer délivre », l’érotisme parcourt de sa nudité féminine un monde onirique où le dieu Pan revient. La contamination de l’irrationnel emporte les personnages, et d’abord Flamelle, une jeune écrivaine, auteure d’À l’orée des dragonnes. Va-t-elle, grâce à un  producteur à qui elle présente son projet, passer à la réalisation cinématographique ? L’occasion est toute trouvée d’une traversée des éblouissements surréalistes, à mi-chemin du parcours historique et du déploiement fantasmatique, parmi les territoires de l’inconscient, du spiritisme, de l’alchimie, de « l’au-dedans » et d’un « temps surréel ». Sans oublier le pire, soit le projet d’une révolution permanente, entre « sabbat des sorcières » et « green bloc », le tout aux dépens des Lumières, ce que ne dit pas Damien MacDonald, dont la perspective ne se vaut pas critique. Nous lui préférons la « révolution chérubinique » de l’amour entre Flamelle et le dieu Pan. En quelque sorte anthologique, c’est un kaléidoscope d’images et de « revenants », empli jusqu’à la gueule d’allusions à Nadja, Arcane 17, aux Chants de Maldoror animé par le méchant Lautréamont, sans omettre les œuvres d’Antonin Artaud et de Leonora Carrington,

En cette déferlante « entrée des médiums », l’on reconnait nombre de visages iconiques du mouvement, d’ailleurs catalogués en vignettes désordonnées sur les gardes de l’ouvrage. Sans oublier les allusions graphiques à Max Ernst, Chirico, tout cela méritant d’être décrypté avec une inquiétante volupté. Le joyeux bric-à-brac est à la fois orphique et vénéneux, et, de toute évidence, d’un irrationalisme un brin démodé, mais revitalisé par le dessin et la fantaisie.

Si certaines planches sont un peu sages, la plupart enchantent un onirisme proliférant. Ainsi est vérifiée la célèbre phrase d’André Breton : « La beauté sera convulsive, sera érotique-voilée, magique-circonstancielle ou ne sera pas ». Bouillonnant de couleurs, de monstres et de métamorphoses, de propositions poétiques, cet album fait plus qu’illustrer le surréalisme tel qu’il fut, il le dynamise, l’actualise et lui procure une orgasmique révolution ; quoique désagréablement marqué par l’allusion aux armes remontant des « catacombes du capitalisme » ; mais il faut bien admettre que la pulsion communiste fut inhérente à un tel mouvement littéraire et culturel séminal. N'oublions pas qu'André Breton alla rendre hommage à Trotsky, créateur du goulag et de l'Armée rouge, à Mexico : ensemble, ils rédigèrent le Manifeste pour un art Révolutionnaire Indépendant !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Philippe Soupault, membre de Dada et fondateur avec Aragon et Breton du mouvement surréaliste, a plus d’un tour dans son sac : il est jazzy à l’occasion de son « Rag time », tout premier témoignage poétique français à cet égard : « le long des gratte-ciels grimpent les ascenseurs les éclairs bondissent ». Aussi le retrouve-ton  dans une autre anthologie, Le Nom du son. Jazz et poésie empruntant au XX° siècle une même pulsation rythmique, un même swing, il n’est pas étonnant d’en rencontrer des échos sonores dans les renvois de l’un à l’autre, dans le verbe surexcité des poètes.

Concoctée par Franck Médioni et Tom Buron, cette anthologie éminemment musicale bénéficie d’une introduction généreuse et circonstanciée. Une fois de plus alphabétique et non chronologique, voici un festival de noms connus ou confidentiel de la poésie moderne et contemporaine, y compris au moyen d’un grand nombre d’inédits. Soit plus d’un siècle pour des sonorités cosmopolites, entre Afrique et Europe, et bien entendu, Etats-Unis, sous le patronage de Langstone Hughes : « Le rythme de la vie est un rythme de jazz ». Pour Mina Loy, « Un clown électrique  / fait résonner avec fracas les cargaisons furtives du plancher ». Pour Robert Goffin, c’est un « nouveau Villon d’ébène ». Pour Jeannette Dempsey-Lennox, très en forme, la batterie est « une saxophonie de science-fiction pour carambolage ». Jacques Réda est un inconditionnel, aimant entendre « éclater les orchestres muets des constellations ». Qu’ils s’appellent Armstrong ou Coltrane, Monk ou Gillespie, ils côtoient de leurs fureurs, mélancolies et passions, la « Brise incertaine de trompette », chantée par Michel Leiris.

Que l’on ne s’y trompe pas, sous une couverture hiératique, trop austère, ce volume bouge, swingue et sonne. Il est negro spiritual, bebop et fulgurances du free. Il est écho et découverte.

Un demi-siècle de surréalisme n’a pas fini de nous interroger sur les pouvoirs de la psyché. Ce mouvement, pas seulement poétique, mais pluridisciplinaire, a trouvé dans la peinture un terrain d’élection. Si l’on connaît de Salvador Dali ses éléphants aux gigantesques pattes de sauterelles, souvent surmontés d’étranges pyramides, comme si l’art du « cadavre exquis » avait infusé en beauté, l’on ignore trop une féérique Métamorphose des anges en papillons. Sans compter que de jeunes surréalistes ont laissé, comme Antoni Tàpies, des œuvres plus que curieuses, lunaires et méditatives, avant de bifurquer, de s’éloigner vers un expressionnisme abstrait nourri de terre et de signes.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] André Breton : Œuvre complète, La Pléiade, Gallimard, 1988.

[2] Annie Le Brun : Sur le champ, Editions surréalistes, 1967, p 14.

 

Salvador Dali : Metamorfosis de ángeles  en mariposa, 1973,

Museo de Bellas Artes, Oviedo, Asturias. Photo : T. Guinhut.

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18 octobre 2024 5 18 /10 /octobre /2024 13:52

 

Eglise Saint-Pierre, Frontenay Rohan-Rohan, Deux-Sèvres.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Dracula et sa pléiade de vampires :

généalogie, bibliophilie et autres encyclopédies.

Bram Stoker, Alain Morvan, Christian Quesnel,

Karl von Wachsmann, Stephanie Meyer, Victor Dixen…

 

Dracula et autres écrits vampiriques,

traduits, présentés et annotés par Alain Morvan,

La Pléiade, Gallimard, 2019, 1080 p, 63 €.

 

Bram Stoker : Dracula, illustré par Christian Quesnel, Callidor, 2024, 582 p, 30 €.

Les vampires. Aux origines du mythe, textes établis, présentés et annotés

par Gilles Banderier, Jérôme Millon, 2015, 176 p, 17 €.

 

Colliers de velours, parcours d’un récit vampirisé, Otrante, 2015,  226 p, 30 €.

 

Karl von Wachsmann : L’Etranger des Carpathes, 2013,

traduit de l’allemand sous la direction de Dominique Bordes et Pierre Moquet,

Le Castor Astral, 64 p, 5,90 €.

 

Pierre Moquet, Jacques Petitin : Petite Encyclopédie des vampires,

Le Castor astral, 2013, 256 p, 16,50 €.

 

Victor Dixen : Vampyria ; la Cour des ténèbres, Robert Laffont, 2020, 496 p, 16 €.

 

 

 

Quoiqu’elles s’attaquent rarement à l’homme, les desmodontinae sont des chauves-souris vampires des tropiques américaines qui se nourrissent de sang. Même si les chauves-souris européennes sont inoffensives, une crainte s’attache à leurs ailes nocturnes et à leurs crocs, associés au mythe des vampires. De quelle mare de sang corrompu vient Dracula ? Le personnage universellement connu, depuis son fondateur incontesté, n’est pourtant pas sans fondements plus anciens, voire anthropologiques. Bram Stoker fut en effet en 1897 le maître du vampirisme avec son inoubliable roman : Dracula, sublimé par les éditions Callidor. Il parut alors incarner celui qui fixa les invariants du mythe : château ruiné de Transylvanie, aristocrate nocturne s’abreuvant à la gorge des jeunes gens qui dépérissent et deviennent vampires à leur tour, agilité de chauve-souris, eau bénite et pieu planté dans le cœur de celui qui dort dans son cercueil… Les ombres griffues du film de Murnau marquent de leurs canines expressionnistes l’imaginaire du lecteur et du spectateur. Jusque dans la Fascination de ses plus récentes réincarnations… Pourtant la redécouverte d’une nouvelle de 1844 semble devoir infléchir l’histoire littéraire pour les inconditionnels de l’hémophilie vampirique : L’Etranger des Carpathes par Karl von Wachsmann. Sans compter une Petite Encyclopédie des vampires, réjouissante et bienvenue que l’on complétera avec Les Vampires. Aux origines du mythe ; mais aussi, chers lecteurs, incubes et succubes, par un Collier de velours bien vampirique. Mesdames, Messieurs, le sang à votre goût est servi, surtout si vous plongez dans le Pléiade consacré à Dracula et autres vampires, réunissant la quintessence des suceurs d’âme. À moins de se projeter vers les réécritures plus contemporaines du mythe avec Virginie Meyer et Victor Dixen. Pourquoi tant de trouble sanguin ?

Alain Morvan, qui nous offrit le bonheur du Pléiade Frankenstein et autres romans gothiques[1], récidive en véritable Hercule, traduisant une belle poignée de poèmes, romans et autres nouvelles, de surcroit les préfaçant et les annotant en judicieux érudit, soit un incontournable Pléiade intitulé Dracula et autres écrits vampiriques. Parmi lesquels trône en toute justice Dracula, tel qu’en son vainqueur archétype ; d’ailleurs ici suivi d’un bel et court supplément, L’Invité de Dracula, où le loup du maître veille et réchauffe un jeune homme qui par imprudence a bravé la nuit de Walpurgis dans un village abandonné et brusquement enneigé. Bram Stoker réunit en son roman-phare tous les invariants du mythe et des rituels vampiriques : un château transylvanien, la nuit et la lune, l’hématophagie d’un être à la hideur aristocratique, la lutte contre un démoniaque érotisme, le combat médicine versus surnaturel, autrement dit du bien et du mal, le cercueil diurne, le pieu et le crucifix, la décapitation dernière du monstre. De plus, Dracula entrant accompagné de rats en Angleterre et à Londres, il est, selon l’analyse judicieuse d’Alain Morvan, la métaphore d’une menace : au-delà de l’épidémie venue d’orient, celle de la dégénérescence de la race et de l’invasion ethnique délétère. Il faut noter que le traducteur, sachant avoir affaire avec un roman épistolaire à plusieurs voix, tient à faire ressentir la vigueur et la couleur des langues parfois pittoresques des locuteurs. Ainsi jaillissent avec une vigueur renouvelée, les topoï esthétiques, horrifiques et allégoriques du vampire autant que le dramatisme tragique, animé par un suspense à même de faire sursauter le pouls du lecteur. Car les points culminants sont soigneusement préparés, pour aboutir à des scènes de gourmandises sanguines propres à un nouveau sadisme, par exemple lors de cette transmission vampirique : « Là-dessus, il défit sa chemise d’un geste brusque et, de ses ongles longs et pointus, il s’ouvrit une veine sur le torse. Lorsque le sang se mit à jaillir, d’une main il prit les deux miennes, les serra fortement et, de l’autre, me saisit le cou et m’appuya la bouche sur cette blessure, tant et si bien qu’il me fallait ou suffoquer ou avaler une dose de… » Malheur à la lectrice qui s’identifierait à la vampiresse en cours de métamorphose !

Au-delà du raffiné volume de La Pléiade, cependant un brin austère, la traduction d’Alain Morvan prend des couleurs aux éditions Callidor. L’on sait que le bibliophile recherche la correspondance entre le texte et l’objet, ce qui est ici pleinement réussi. Au service de ce fort volume, nanti d’une petite préface de Stephen King, le noir et le rouge sont aux commandes pour honore pleinement Bram Stoker. En sa couverture, la silhouette vampirique enveloppe de ses ailes morbides un post-gothique encadrement rubescent répondant au titre et à son auteur, ornés d’une trouble brillance. La quatrième de couverture, quant à elle, enfante dans les brumes un château hérissé de tours et de clochetons, qui n’est pas sans rappeler à la fois les encres de Victor Hugo et les fantasmes du Neuschwanstein de Louis II de Bavière. Voilà qui est dû au talent ébouriffé de l’illustrateur québécois Christian Quesnel, qui a su réaliser trente-deux aquarelles à la lisière du romantisme et d’un soupçon d’Art déco pour rythmer les pages marquantes du roman. Escalade du comte Dracula sur les murs, jeune fille languissante dans son cercueil, navire fantomatique, diligence inquiétante, forêt hantée de chauve-souris, là où les étouffantes nuances de gris se heurtent aux éclats écarlates. C’est avec sincérité que Christian Quesnel avoue avoir été inspiré également par le fameux Batman des Comics, quoique ce dernier voue sa carrière tourmentée au Bien de Gotham City, quand le comte aux canines exigeantes est un agent du Mal.

Et puisqu’il s’agit en partie d’un roman épistolaire, les lettres recueillies de différents personnages se voient à chaque épistolier dotées d’une calligraphie cursive différente, sans nuire en rien à la lisibilité, au contraire. Ainsi l’on ne peut échapper à l’emprise bibliophilique, l’on se surprend à relire avec délectation un chef-d’œuvre littéraire, habillé de pied en cape par un chef-d’œuvre éditorial.

Nul ne doit ignorer qu’un bon livre, s’il se lit même en un poche déplumé, peut être sublimé grâce aux soins conjugués de l’éditeur, de l’illustrateur, du maquettiste. Ainsi le confort de lecture d’un volume in quarto cartonné, aux cahiers cousus, jusqu’au détail des taches sanglantes qui maculent les têtes de chapitre, se voit multiplié lorsque dans la sécurité de son fauteuil préféré, les héros et héroïnes risquent leur jugulaire et leur vie, alors que les vampires risquent enfin la mort éternelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au-delà du pivot qu’est l’œuvre maîtresse de Bram Stoker, si ce Pléiade thématique fascinant pourrait être enrichi avec « La morte amoureuse » de Théophile Gautier, il a préféré avec justesse se cantonner aux îles Britanniques ; quant à Olalla[2] de Stevenson, qui transporte le vampirisme dans un château espagnol, il aurait pu légitimement y figurer puisqu’il n’est publié dans aucun des trois volumes de cette collection à lui consacré. Reste que sont plus que suffisants les parcours en neuf stations qui ne négligent ni la poésie, ni la nouvelle. Le poème de Coleridge, Christabel, en 1800, met en scène ce personnage éponyme lors de sa rencontre avec l’étrange, fascinante et maladive Géraldine, qui se couche avec elle pour absorber son énergie. La suggestion saphique est plus prégnante encore dans la prose de Carmilla, sous la plume de Joseph Sheridan Le Fanu. Pour demeurer un instant parmi la poésie, l’on pourrait penser ajouter Lamia de John Keats, qui, en 1819, use d’une serpentine sensualité qui faillit être fatale à son amant Lycius.

Il faut repenser à cette joute littéraire qui en un sombre été 1816 accoucha du Frankenstein de Mary Shelley : si Byron n’écrivit qu’un fragment vampirique, Polidori alla jusqu’au bout de son assez bref - et cependant séminal - Vampire, dans lequel le malheureux héros, Aubrey, se fait accompagner dans son voyage en Grèce par un Lord Ruthven fascinant, morbide et émacié, jusqu’à ce qu’il côtoie la mort d’une jeune fille, voit la sienne arriver avant l’irréparable : « Les tuteurs se précipitèrent afin de protéger Miss Aubrey, mais, à leur arrivée, il était trop tard. Lord Ruthven avait disparu et la sœur d’Aubrey avait épanché la soif d’un VAMPIRE ! »

Mais le plus surprenant est bien l’apparition, en première traduction française, d’un roman de Florence Marryat, paru en 1897, la même année donc que celui de Bram Stoker : Le Sang du vampire. Pas de flot d’hémoglobine ici, pas de veine éclatée sous la canine prédatrice, mais l’invisible succion de la vitalité. Le vampirisme psychologique affecte le roman de mœurs, d’abord apparemment innocent, en confrontant une grosse baronne insolente et vorace à une très jeune fille également goulue. La « Gobelli » et la séductrice Harriet jouent avec la magie noire jamaïcaine, alors que l’on apprend que la grand-mère de la seconde, qui était une esclave noire, avait été mordue par une chauve-souris vampire…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

D’après la précieuse anthologie Les Vampires. Aux origines du mythe, la nuit des légendes obscures atteste dès 1659 de l’existence de l’oupir ou « upior » et autres « stryges », du moins parmi les rumeurs, entre Pologne, Russie, Serbie et Hongrie. Car personne ne croit, du moins parmi les auteurs sensés et cultivés, à l’existence de ces prédateurs aux dents longues. « On dit que le démon tire ce sang d’une personne vivante […] qu’il le porte dans un corps mort », rapporte le Mercure galant en 1693. On s’en débarrasse en coupant la tête et en ouvrant le cœur du dit mort…

Le mot « vampire » apparait en 1732, chez Jean-Baptiste Le Villain de la Garenne. Ces cadavres « vermeils » et « sans pourriture » sucent le sang des vivants, qui après leur décès « sucent à leur tour ». On fit alors enfoncer « un pieu fort aigu, dont on lui traversa le corps de part en part ». Si les témoignages paraissent avérés, dont par un chirurgien, les auteurs du Siècle des Lumières n’auront de cesse de se moquer d’une telle ridicule superstition. Guillaume Rey, médecin lyonnais, réfute en 1737 toutes ces pittoresques fumées morbides : « Cette opinion populaire donne lieu à des histoires outrées, et qui contiennent des contradictions manifestes […] Tout connaisseur dans l’économie de la nature sait assez que les morts ne reviennent jamais. » Boyer d’Argens, en 1738, dénonce la crédulité populaire, un « rapport sur le vampirisme » de 1755 montre qu’un cadavre sans contact avec l’air peut seul se conserver et attribue à la peur de telles visions. Quant à Louis de Jaucourt, encyclopédiste patenté, il se gausse de « l’ouvrage absurde » de Don Calmet. Si l’on ne trouve en la saine lecture de ce volume que quelques mots de ce dernier, c’est que sa Dissertation sur les vampires, riches des variantes et invariants du mythe, est publiée par ailleurs et in extenso par le même éditeur[3]. Dans la même veine, Voltaire joue de son habituelle et impitoyable ironie pour déboulonner le conte grotesque de l’ « historiographe », et poursuit ainsi : « Après la médisance rien ne se communique plus promptement que la superstition, le fanatisme, le sortilège et les contes de revenants ».

Seul le XIXème siècle romantique jouera avec le feu en se délectant de contes effroyables au goût de sang sur les lèvres. Puisque ces origines du mythe s’arrêtent en 1772, il faut se tourner vers un autre recueil, publié aux Editions de l’Otrante, appelées ainsi par allusion au premier roman gothique, Le Château d’Otrante, d’Horace Walpole[4].

Bram Stoker : Dracula, Callidor, 2024.

Photo : T. Guinhut.

 

Colliers de velours, parcours d’un récit vampirisé : un titre mystérieux, une irritante quatrième de couverture muette. Pourtant, aussitôt ouverte, cette anthologie des femmes « méduséennes » et vampiriques est aussi fascinante que palpitante. L’éditeur, également libraire d’anciens spécialisé dans les romans terrifiants et curiosités romantiques, nous livre le résultat de sa quête minutieuse, savamment et clairement préfacé par Valéry Rion et Florian Balduc.

Ouvrons les dernières pages de ce volume soigné pour trouver la solution de l’énigme du titre. Un bref récit de John Sutherland, « La mystérieuse question » (1951), présente une jolie femme qui orne son cou d’un « ruban de velours noir », ce qui intrigue son amant trop curieux : « Doucement, elle le détacha, et sa tête tomba ». Ce en quoi, plutôt que du pur vampirisme, nous sommes en présence d’un rameau détaché du tronc principal du mythe, autour des belles mortes capables de fasciner les amoureux.

Si certaines œuvres sont connues (« L’étudiant allemand » de Washington Irving), la plupart sont exhumées d’un injuste oubli. Ces trésors commencent en 1613, lorsqu’une « Damoiselle » splendide se change en fumée et puanteur dans le lit d’un gentilhomme. « Songe », « Dame noire », « revenant succube », on frissonne sous la plume d’inconnus, Gabrielle de Paban, Horace Smith ou Joseph Méry ; mais aussi avec la griffe de plus célèbres comme Gaston Leroux. C’est cependant en 1849 Alexandre Dumas qui surplombe ce recueil avec les 120 pages (nouvelle ou roman ?) d’une initiation d’un jeune homme, intitulée comme de juste « La Femme au collier de velours ». Cet Allemand arrive à Paris pendant la Terreur pour assister à la chute de la tête de Madame du Barry sur l’échafaud. Comment ne pas succomber et vendre son âme au jeu quand la belle Arsène est une si envoutante danseuse ? La sensuelle chimère n’est plus au matin qu’un cadavre guillotiné ! L’art du fantastique irrigue cette anthologie, nous caressant la gorge de ses « colliers de velours », avec une troublante et obsessionnelle constance, entre deux grands tentateurs : Eros et Thanatos. Comme aux contrées fantasmatiques des vampires, la gorge sanglante ou vidée de son fluide est le point nodal du désir et du mystère fatal…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Certes, nous savions déjà que Bram Stocker avait eu des précédents. Entre « La vampire », d’Hoffmann, parmi ses Contes des frères Sérapion, en 1820, et « La famille du Vourdalak » d’Alexis Tolstoï en 1847, ce sont les nouvellistes qui mettent en scène ceux et celles qui sucent le sang des vivants. L’écriture somptueuse de La morte amoureuse, par Théophile Gautier en 1836, voit le narrateur, prêtre de son état, se livrer à la blonde Clarimonde : « Je me serais ouvert le bras moi-même et je lui aurais dit : Bois ! et que mon amour s’infiltre dans ton corps avec mon sang ![5] » Il faut alors accorder une place toute singulière à l’Irlandais Sheridan le Fanu qui, dans Carmilla, publié en 1872, insinue entre cette dernière et quelques frêles jeunes filles un vampirisme lesbien. Dans les rêves de Laura, « une voix féminine » s’approche, « des lèvres couvraient mon visage de baisers qui se faisaient plus appuyés et plus amoureux à mesure qu’ils atteignaient ma gorge où se fixait leur caresse[6] ». Carmilla n’a pas manqué de lui dire : « je t’aime si fort que tu accepterais de mourir pour moi[7] »…

Le méconnu Karl von Wachsmann vient avec la redécouverte (et première traduction française) de sa longue nouvelle, ou court roman de 1844, rallumer une pièce du puzzle. Péripéties, suspenses, aventures, angoisse, rien ne manque en cet Etranger des Carpathes, récit parfaitement mené. Une terrible tempête secoue la forêt infestée de loups que traversent de nobles voyageurs. Un combat nocturne, l’intervention providentielle d’un inconnu permettent à la famille épuisée d’intégrer le château dont elle vient d’hériter. Parmi le karst, la ruine de Klatka héberge un homme à l’apparence glaciale, néanmoins fascinant pour Franziska. Malgré la méfiance de Franz, son admirateur plus sage, elle s’enthousiasme : « Ce n’est que dans la nouveauté, l’inhabituel, l’insolite, que la fleur de l’esprit s’épanouit et répand son parfum. Même la douleur peut se changer en plaisir, si elle nous sauve du fade quotidien ordinaire, qui me répugne ». Hélas, loin de s’épanouir, elle se flétrit mystérieusement, jusqu’à la maigreur, nantie d’une étrange blessure au cou. Seul le fiancé de la sœur de Franziska, guerrier affublé d’une « main d’or », saura pénétrer le secret vampirique d’Azzo de Klatka, et dira comment le vaincre, si la jeune victime veut bien en avoir le morbide courage…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’on retrouve tous ces héros, accessoires et concepts dans la réjouissante Petite Encyclopédie  des vampires. Elle serait proche de frôler l’exhaustivité, depuis la mythologie grecque et romaine, ses stryges et harpies, en passant par le strigoï du folklore roumain, les goules et les lycanthropes, jusqu’aux acteurs de cinéma, aux jeux vidéo, et aux séries comme True Blood. L’historique comtesse Erzsébet Bathory, friande de jeunes filles dont elle buvait le sang, au point d’en remplir sa baignoire, y tient une place évidemment privilégiée. On y croise Baudelaire et ses « métamorphoses du vampire », on saura tout sur la dentition, y compris celle de François Mitterrand ; sans oublier Batman et ses logos successifs, notre cher avatar de la chauve-souris vampirique, mais pacifique et justicier… Pourtant, quelques notices ont vu leur veine trop tôt s’épuiser, au vu par exemple de l’indigence de celle sur le « mouvement gothique », qui méritait une présentation de ce mouvement romanesque anglais du XVIIIème et du XIXème. Lui qui alimenta le romantisme noir et dont ressortissent la plupart des productions vampiriques, jusqu’à l’américaine Poppy Z. Brite et ses anthologies intitulées Eros Vampire.

Malgré les deux index utiles et la bibliographie, un index par auteurs n’eût pas été inutile. Car comment retrouver Dom Calmet, sinon perdu au bas de la page 207, alors que premier et remarquable auteur et compilateur de faits vampiriques au XVIIIème, il disserta sur « les apparitions des esprits, et sur les vampires ou les revenants de Hongrie, de Moravie, etc.[8] »

Mise en page et illustré grâce au talent raffiné de Dominique Bordes, par ailleurs éditeur du fameux Monsieur Toussaint Louverture, cette Encyclopédie, si elle se veut savante, ne manque pas d’humour, rappelant que Voltaire ironisait sur les vampires, dans son Dictionnaire philosophique, se moquant des « gens d’affaire qui suçaient le sang du peuple en plein jour ». Sans compter un sourire (de canines) involontaire, lorsque l’ordre alphabétique fait se succéder le savant naturaliste Buffon, qui décrit une chauve-souris vampire, et la série télévisée Buffy contre les vampires, décrite comme « l’épopée d’un  groupe d’adolescent face aux démons de la vie ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que signifie cette vampiromanie qui s’enfle depuis plus de deux siècles, envahissant nos bibliothèques et nos écrans ? Nos sociétés protégées jouent avec le plaisir de la peur. Cherchent-elles à retrouver la part d’animalité prédatrice qui est en nous ? Suivre le fil de l’atavique besoin de viande sanglante, y compris parmi des lecteurs végétariens, du fantasme archaïque selon lequel absorber le rouge liquide vital serait un gage de vitalité, voire d’immortalité, en un souvenir enfoui des rituels de cannibalisme ? La frontière fragile entre l’animalité et l’humanité, entre lycanthropie et victimologie, s’amuse alors de la proximité fascinante de l’amour et de la mort, de la lèvre qui embrasse et de la dent qui mord, de l’érection de l’éros et de la blessure auprès de la gorge, des seins et de la vie, s’affole enfin de l’expansion liquide de la virginité conquise et de la jouissance répandue en ce que l’on appelle la petite mort, lent sadomasochisme et fantasme plus ou moins inassumé de possession et de soumission vampirique…

Les ressources du roman gothique venu du Moine de Lewis et du Frankenstein de Mary Shelley[9], sont ici exploitées avec tout le talent de l’écrivain : château ténébreux, blafard personnage aux chasses secrètes, « pâleur mortelle » de la jeune fille victime du prédateur insidieux… Certes, l’amateur vampirique n’éprouve pas l’explosion littéraire de sa vie ; mais en se demandant dans quelle mesure Bram Stoker a lu ce récit et jusqu’où il y a puisé, l’histoire du mythe trouve un nouveau rameau où se poser.

Ce qui n’enlève rien à l’importance de Dracula, grand classique aux splendides frissons rouges, qui fit du château du comte en cape noire le lieu fantasmatique que l’on sait et sut ajouter un voyage maritime du cercueil dangereusement habité, afin de coloniser Londres, ce dont le cinéaste Murnau fit un chef d’œuvre de l’expressionisme. La pauvre Lucy, contaminée par un mal étrange, subit une dangereuse métamorphose : « Exactement au-dessus de la jugulaire externe on voyait comme deux petites marques qu’auraient laissées des ponctions, pas du tout saines d’aspect » ; puis : « Sa bouche s’entrouvrit, et les gencives blanches, retirées, rendaient les dents plus longues et plus pointues que jamais[10] »… Le combat sans pitié entre le réalisme et le surnaturel dépasse alors les modestes proportions de la nouvelle pour atteindre celles d’un  touffu roman épistolaire, augmenté des pages du journal du Dr Seward, qui manque cependant par instant de concision.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est ainsi que, le sang aux joues, le battement du cœur à la gorge, l’on lit, relit et visionne les multiples avatars du mythe de Dracula : entre fascination et terreur, entre distanciation critique devant cette lutte archétypale du bien et du mal, et bien sûr ludique plaisir. Cher lecteur, tu ne reprocheras pas au modeste critique d’aiguiser les dents d’une curiosité gourmande. N’aie crainte de sucer le sang de ces petites généalogies encyclopédiques, qui ne craignent ni l’ail ni l’eau bénite, et par-dessus tout de glisser voluptueusement les doigts parmi les pages du Pléiade réunissant Dracula et autres vampires, qui couronne somptueusement l'édifice des anthologies et études consacrant le maître des veines outragées.

Bientôt l’on put concevoir, comme Roger Caillois, que le thème fantastique des vampires est un de ceux « qui entraînent le plus régulièrement une rançon de monotonie[11] ». En dépit des nombreuses adaptations cinématographiques, des bandes dessinées (Vampirella, par exemple), des mangas, et, bien entendu, des parodies, parmi lesquelles Le Bal des vampires de Polanski reste incontournable.

Il fallut attendre, en 2005, Twillight, de Stephanie Meyer, improprement traduit par Fascination[12], pour que la réécriture offre l’occasion d’un renouvellement salutaire. L'on pointera justement les défauts de cette saga, prolixité bavarde et souvent creuse, poursuites et scènes d’actions dignes des pires films à clichés du genre. Cependant l’illumination corporelle du byronien Edward devant Bella est un moment rare. De plus, la romance noire pour adolescente frissonnante comporte une dimension morale non négligeable. La famille d’Edward pratique un vampirisme nouveau : on ne tue plus que des animaux pour se nourrir de leur sang, et, au contraire de Dracula, l'on se consacre, en étant par exemple chirurgien, au service de l’humanité. Il faut décrypter également l’union sexuelle, sanglante et désirée, longtemps retardée de tome en tome, d’Edward et Bella, sous peine qu’à son tour cette dernière devienne une vampire : où l’on peut lire en filigrane le culte voué à la chasteté par les Mormons, Stephanie Meyer en faisant partie.

Parmi l’interminable flopée de réécritures vampiresques, il peut être utile de jeter plus qu’un œil au roman de Victor Dixen : Vampyria. La Cour des ténèbres. Car il parvient à échapper aux clichés inhérents à la vampiromanie, ce en usant d’une curieuse uchronie. Louis XIV, roi soleil, est devenu, plutôt que de mourir, roi des ténèbres et souverain de « la Magna Vampyria ». Vampire suprême, il règne sur une aristocratie assoiffée du sang que l’on prélève régulièrement dans les veines du peuple, comme un tyrannique  impôt. Outre les « citernes », l’on a sur soi son « flacon hématique » et l’on chasse des condamnés dans les jardins royaux pour s’en abreuver. La narratrice est une héroïne à la limite du vraisemblable. Echappant par extraordinaire au massacre de sa famille de roturiers par les inquisiteurs, elle subtilise l’identité de Diane de Gastefriche, ce qui lui permet d’être recueillie par Alexandre de Mortange, jeune vampire bouillonnant et meurtrier sanglant de sa mère, qui la confie au l’institut d’éducation royal, ou « Ecole de la Grande Ecurie », où l’on concourt pour devenir membre de la « garde mortelle du Roy », voire accéder à la transmutation vers la vie nocturne éternelle. Une galerie de personnages, en particulier féminins, haute en couleurs et en caractères enrichit le tableau. Notre attachante héroïne parviendra-t-elle à réaliser son projet de vengeance ?

C’est un roman échevelé, baroque à souhait, bourré de péripéties et de rebondissements jusqu’à la gueule, mieux qu’un opus de capet et d’épée, gore jusqu’à plus soif, roman de midinette et d’historien du genre vampirique à la fois, qui se lit avec un incrédule appétit, une passion sanguine !

Parmi la richesse de l’analyse et des références dont nous comble en sa préface Alain Morvan, de la Lilith biblique à Twilight, il est bon de rappeler que Karl Marx n’échappa guère à la popularisation du mythe en 1867 : « Le capital est du travail mort, qui ne s’anime qu’en suçant tel un vampire du travail vivant et qui est d’autant plus vivant qu’il en suce d’avantage[13] ». Le Monde des livres[14], présentant ce Pléiade, ne manqua pas d’en faire l’amorce tonitruante de son article, en digne voix de son maître. Si le capitalisme fut un vampire, Marx[15] et son âme damnée, le communisme[16] furent un abattoir. Rassurons-nous cependant, une pléiade de vampires sur papier Bible, voilà de quoi protéger nos pleine lunes de tels cauchemars vampiriques : avec ce précieux papier l’innocuité est certaine, pas même besoin de se munir d’un crucifix et d’humecter ses larmes de plaisir à l’eau bénite. Surtout si le splendide Dracula des éditions Callidor nous sert de missel…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Robert-Louis Stevenson : Olalla, Folio, Gallimard, 2016.

[3] Dom Calmet : Dissertations sur les vampires, Jérôme Millon, 1998.

[4] Horace Walpole : Le Château d'Otrante, Le Club Français du Livre, 1964.

[5] Théophile Gautier : La Morte amoureuse, Romans, contes et nouvelles, Pléiade, T 1, 2002, p 550.

[6] Sheridan Le Fanu : Carmilla, Marabout, 1978, p 82.

[7] Sheridan Le Fanu : Carmilla, ibidem, p 66.

[8] Dom Calmet : Dissertation sur les vampires, ibidem.

[10] Bram Stocker : Dracula, France Loisirs, 1993, p 206 et 254.

[11] Roger Caillois : Fantastique, soixante récits de terreur, Club Français du Livre, 1958, p 9.

[12] Stephanie Meyer : Fascination, Hachette, 2005.

[13] Karl Marx : Le Capital, I, X, Les Editions sociales, 2016, p 226.

[14] Le Monde des livres, 2 mai 2019.

Cà Sant'Angelo, Venezia.

Photo : T. Guinhut.

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12 octobre 2024 6 12 /10 /octobre /2024 13:57

 

Château de Valençay, Indre.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Hubert Haddad, voyageur d’écriture :

Haïkus, éventails japonais

& Symphonie atlantique.

 

 

Hubert Haddad : Le Peintre d’éventail, Zulma, 2013, 192 p, 17 €.

 

Hubert Haddad : Les Haïkus du peintre d’éventail, Zulma, 2013, 150 p, 5,20 €.

 

Hubert Haddad : La Symphonie atlantique, Zulma, 2024, 224 p, 19,50 €.

 

Hubert Haddad : Meurtre sur l’ile des marins fidèles,

 Zulma poche, 2024, 224 p, 10,95 €.

 

Hubert Haddad : Les Coïncidences exagérées,

 Mercure de France, 2016, 192 p, 19 €.

 

 

 

Voyageur certes parmi les continents, mais avant tout de la plume, Hubert Haddad, né en 1947 à Tunis, ne cesse de surprendre à chaque nouveau tour de sa barre littéraire. Sa nébuleuse romanesque parait presque inépuisable, entre essais, poèmes, et surtout romans et nouvelles. Historien d’art, il sait concocter une histoire de l’art jardinée[1]. D’origine judéo-chrétienne, il s’arroge une vaste culture ouverte. Romancier, il cultive l’art de l’observation, autour de l’espace méditerranéen, au travers de la revue Apulée, qu’il fonda et dirige, avec le fil conducteur de la liberté intellectuelle et politique. À la suite de Palestine[2], il embrasse des problématiques à l’actualité brûlante en écrivant Opium Poppy[3], qui narre l’histoire d’un enfant afghan, nommé Adam, pris dans l’étau de la guerre, ensuite exilé, enfin condamné au seul secours de la débrouillardise dans une banlieue parisienne désolée. Le tropisme poétique, y compris au moyen d’une fascination amoureuse, permet d’offrir à cette errance une dimension universelle. Par ailleurs, en un grand chambardement, il se tourne jusqu’au Japon, dont le raffinement des éventails le fascinent à juste titre. L’art de l’imaginaire ne lui échappe évidemment pas, entre autres dans le récit fantastique intitulé Corps désirable[4]. L’Histoire des civilisations et des tempêtes totalitaires lui fournit également une source d’inspiration, comme dans sa dernière Symphonie atlantique, bouleversante. Mais, toujours, sa navigation intérieure pointe sa boussole céleste vers la nécessité et la sauvegarde de l’art, aussi bien poétique que musical.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chaque livre d’Hubert Haddad est un petit univers. Après nous avoir transportés en Palestine, au pays de l’opium, parmi les recueils des nouvelles insolites du jour et de la nuit[5], balancées ente réalisme et fantastique, il nous propulse, d’un coup d’éventail, au Japon, nous conviant à une entreprise de mémoire.

Revenant auprès d’un mourant qui bientôt pèse « moins que son poids de crémation », son élève Matabei se fait un devoir de raconter une histoire : de « celle qui concerne les amateurs de haïkus et de jardins ».

Dans la pension où il s’était réfugié pour échapper au monde et à ses remords, il trouve l’amour silencieux de Dame Hison, sa logeuse et néanmoins ancienne courtisane. En lisière de forêt s’élève une cabane solitaire. Là, vit un jardinier et peintre discret, le vieux maître Osaki, auquel il s’attache, au point de devenir son disciple, puis de progressivement le remplacer, en une belle histoire de filiation. Des grues, des feuilles d’érables, des montagnes, le « secret du précieux labyrinthe végétal » vivent en ses éventails de papier et de soie amoureusement peints. La mort du vieillard, les étreintes d’un jeune couple qui vient cacher sa passion, l’arrivée d’un adolescent naïf, les amours concurrentes et contrariées pour la belle Enjon composent cette écume des vies qui n’est rien devant l’art du pinceau et sa « leçon d’équilibre ». Mais à l’irruption du séisme, du tsunami, de l’accident nucléaire, si les populations sont balayées, Matabei, en cet apologue sur la transmission des talents, parviendra-t-il à restaurer les éventails ?

Avec un rare talent de suggestion, en particulier à l’occasion des paysages et des émotions des personnages, qu’elles soient pour la nature humaine ou pour les œuvres d’art, une quête de sérénité se fait jour. L’exercice de style bien japonais, d’abord à la manière de Kawabata[6] et de Bashô[7], a su se métamorphoser en un conte philosophique, sensible et tragique, impeccablement évocateur ; que l’on complètera grâce aux Haïkus du peintre d’éventail, qui paraissent simultanément : « Peindre un éventail, n’était-ce pas sagement ramener l’art à du vent ? »

 

Manga XIX°. Photo : T. Guinhut.

 

Ainsi, comme le vol d’un éventail devenu papillon, le roman se double d’un recueil, d’une mise en abyme, où l’on croit lire le pinceau poétique du vieux peintre. Hubert Haddad se dédouble : qui eût cru, que disciple lui-même de Bashô, le romancier fut un haikiste aussi pur, capable d’aligner près de cinq cents haïkus ?

« Syllabes comptées

ô papillon de toi-même

guettant l’instant pur »

Crapauds, grenouilles, araignées d’eau, insectes, oiseaux parcourent ce recueil que son auteur semble avoir composé en marchant sur les pas de l’ermite zen, parmi les montagnes de la tradition japonaise, autant qu’en ayant sondé sa bibliothèque intérieure. Art poétique en action, son souffle est ainsi empreint de concision et d’envol :

« En dix-sept syllabes

l’essence même du rien

sans un mot de trop »

Le vœu d’Hubert Haddad était-il de briller en cet exercice de style, en cette vanité qui est aussi la nôtre ? S’il y a réussi, c’est en quelque sorte pour disparaitre dans une pureté poétique qu’il a su rendre cristalline :

« L’ultime haïku

te rendra-t-il invisible ?

jour de ta naissance »

En quoi nous sont donc nécessaires ce récit et ce recueil ? Ne sont-ils pas la justification éphémère, et cependant palpable, parmi l’art de la peinture et des mots, de nos existences, qu’un souffle, fût-il naturel ou d’humaine apocalypse, disperse…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Scrutateur du passé récent, Hubert Haddad veille sur la Pologne au cours de la Seconde Guerre mondiale, grâce à son roman, Un monstre et un chaos[8]. Il témoigne ainsi  d’une culture terriblement menacée, grâce au parcours de gamins qui scandent des refrains yiddish. D’une manière voisine, l’on retrouve dans La Symphonie atlantique ce même affligeant.

Considérable est la dichotomie entre les tyrannies politiques et l’art, sauf si ce dernier devient un outil de propagande. Clemens en fait la douloureuse expérience, lui qui se voue à la musique allemande, alors qu’elle est dévoyée par le nazisme. Le jeune pianiste de La Symphonie atlantique opère sa « nymphose » parmi la Haute-Forêt-Noire, alors que bientôt c’est le violon qui l’enthousiasme, qui devient son âme menacée : heureusement l’officier de la Wehrmacht tonne : « Je vous exhorte de ne séparer en aucun cas la jeune Clemens de son violon ». Mais l’« uniforme noir », les « voyous des milices », les « agents de la police politique » ne cessent de rôder. Les auteurs juifs sont victimes d’autodafés, quand on prescrit à tous la lecture de Mein Kampf[9]. À la terreur nazie s’ajoutent à partir de 1942 les bombardements alliés par des « forteresses volantes », pour tous effrayants, mais aussi susceptibles de rompre les dialogues entre un violon et un piano. Probablement l’angoisse de voir son instrument détruit est-elle plus puissante que la crainte de la mort. Car « la musique reste sourde aux harangueurs »…

Elégiaque est le récit de la vocation de Clemens, que saccage un régime abject : « La musique habite un monde inaccessible, elle est comme l’âme des absents ». Entre la poésie de Goethe, d’Hölderlin, et les fureurs du Crépuscule des dieux wagnérien, le romancier compose une fugue néanmoins personnelle, aux accents psychologiques aiguisés autour des « anamorphoses de l’adolescence », une histoire d’amitié. Il est également permis de lire là un hommage aux artistes sacrifiés. Fidèle à sa vocation, la prose d’Hubert Haddad est une fois de plus, sans omettre des embardées diverses comme l'enchanteresse Sirène d’Isé[10], ample, lyrique et envoûtante, alternant les séquences inquiétantes, effrayantes, pathétiques, sombres, tragiques comme les temps aveugles de l’Histoire, et, par contraste, les extases de la perfection artistique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre boussole, ce Meurtre sur l’ile des marins fidèles, opportunément réédité en poche, alors qu’il date de 1994. C’est en effet un roman d’aventures maritimes, réécriture et pastiche de L’Ile au trésor de Robert-Louis Stevenson, originellement publié en 1883, et transposé en notre monde contemporain. L’écrivain joue avec ses bonheurs de lectures enfantines, créant un héros adolescent, prénommé Rhys, qui reçoit un précieux viatique : soit ce  volume du romancier anglais. Opportunément, un personnage s’appelle « Mémory ». Dans le cadre d’une adaptation filmique du roman du XIX° siècle, le jeune garçon se voit embarqué parmi une foule d’aventures oniriques, où pullulent acteurs et starlettes juchés sur des plateaux de tournage et sur des navires reconstitués pour l’occasion. Exercice de style bourré de péripéties, de clins d’œil, entre « nuit homicide », naufrage de l’assaillant et cargaison de chocolat, whisky, et bien entendu armes cachées, le suspense est garanti. Parmi les ingrédients, l’on découvre le calamiteux, effrayant « Gnomagre », mieux, « les seins de Laura », et, le plus beau peut-être, « un grand voilier de marbre » ! L'évasion du lecteur ne se passe ni de frissons ni des séductions de l'imaginaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

S’il y a coïncidences entre l’art et la vie, ce sont souvent des « coïncidences exagérées », pour reprendre le titre du récit autobiographique, sous-titré « Traits et portraits », de notre conteur d’histoires. Une tentative de suicide à vingt ans n’aboutit heureusement pas, grâce à la sollicitude d’un ami. « Une journée essentielle pour moi seul » est cependant confiée au lecteur : « Par une coïncidence qu'un démiurge prodigue au petit bonheur – ou par quelle intuition d'aigle planant ! – Elie poussa ma porte sans y avoir été invité ce soir-là, l'allure d'un héros revenu du chaos primitif. J'étais dévêtu, les bras blessés, en proue des débris d'une tempête, guitare, tableaux, miroirs, et prêt à emprunter, comme on se jette au feu, la rampe d'air de la fenêtre ». L’on a compris que la beauté du style transfigure la vie.

Aussi cette journée inaugurale se diffracte-t-elle dans le livre sans que le récit s’embarrasse de la chronologie : « Je m'attendais au pire depuis toujours. Dès ma naissance, le plomb fondu de l'angoisse s'infiltra dans mes veines à l'ombre d'adultes miséreux, désemparés par l'exil, père et mère que torturaient alors la perte et le trouble. Mais il ne s'agit guère ici d'un récit d'enfance, cette fable narcissique plus ou moins doloriste en forme de roman familial. Il ne s'agit pas non plus de Dieu, ce mot de rien pour rire de tout, ni des inepties des vendangeurs de l'âme. »

Les deuils, en particulier de Chantal, une âme-sœur, les recherches littéraires tous azimuts, l’ascendance juive, tout participe de la formation d’une personnalité, et, plus essentiellement, de l’écrivain. Car « c’est l’utopie renouvelée de la fiction et de la poésie qui ouvre à l’espérance ».

Une iconographie variée participe à ce puzzle intime et créatif : peintures et dessins d'Hubert Haddad lui-même, fort travaillés et expressifs – en particulier autour du corps – de son frère disparu, photographies anciennes, œuvres d'autres artistes, tachant de ramener à la vie de l’écriture les êtres aimés et disparus. Tout cela pour aboutir à la catharsis d’un beau volume aux facettes sombres et chatoyantes.

 

L’écrivain Hubert Haddad a l’invention du diable[11], pour reprendre l’un de ses titres, tant il semble passer de nouveaux contrats faustiens avec l’âme humaine. L’ancrage dans l’histoire récente contemporaine s’allie avec un onirisme fabuleux. Une bonne vingtaine de romans jalonnent son parcours, sans oublier son premier roman-dictionnaire, en toute modestie titré L’Univers[12]. De surcroît, sa baroque inventivité n’empêchant en rien la fluidité, il est un prosateur prenant, envoûtant même. Comme le laissaient entendre ses haïkus, la poésie est aussi son terrain de jeu, depuis Le Charnier déductif[13], passablement post-surréaliste. Infatigable, il lui arriva de produire, comme en passant, une somme encyclopédique en deux volumes balayant la passion littéraire et la furia des techniques d'écriture. Venu d’une nourrissante expérience des ateliers d’écriture, c’est tout un magasin des Lettres et des curiosités[14], sans oublier L’Art et son miroir[15], mis à la disposition de l’apprenti écrivain et du voyageur de la fiction, mais de ces sortes d’indispensables  fictions qui éclairent le monde et la psyché.

Thierry Guinhut

La partie sur Le Peintre et Les Haïkus

fut publiée dans Le Matricule des anges, février 2013,

celle sur La Symphonie atlantique,

octobre 2024.

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Hubert Haddad : Le Jardin des peintres, Hazan, 2000.

[2] Hubert Haddad : Palestine, Zulma, 2007.

[3] Hubert Haddad : Opium poppy, Zulma, 2011.

[8] Hubert Haddad : Un monstre et un chaos, Zulma, 2019.

[11] Hubert Haddad : L’Invention du diable, Zulma, 2022.

[12] Hubert Haddad : L’Univers, Zulma, 1999

[13] Hubert Haddad : Le Charnier déductif, Debresse, 1968.

[14] Hubert Haddad : Le Nouveau Magasin d'écriture, Zulma, 2006 et 2007.

[15] Hubert Haddad : L'Art et son miroir, Zulma, 2023.

 

Soledad Córdoba : Sin titulo, 2005. Museo d'Oviedo, Asturias.

Photo : T. Guinhut.

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7 octobre 2024 1 07 /10 /octobre /2024 12:50

 

 

Catalan Bay, Gibraltar. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux,

depuis Adam Smith

jusqu’aux Ennemis du commerce

par Antonio Escohotado.

 

 

Alain Laurent et Vincent Valentin : Les Penseurs libéraux,

Les Belles Lettres, 2012, 928 p, 29 €.

 

Antonio Escohotado : Los Enemigos del comercio. Una historia moral de la propriedad,

Espasa, 2014-2023, I, 614 p, 24,95 € ; II, 750 p, 34,90 € ; III, 684 p, 34,90 €.

 

 

D’où vient-il que nous puissions être libres ? A moins qu’il s’agisse d’une erreur de perception et de jugement, si l’on tente de considérer tour à tour liberté biologique, géologique, morale, intellectuelle, économique et politique… Reste, à moins d’avoir peur de la liberté, et de son insécurité constitutive, qu’elle est notre meilleure chance de développement. C’est ainsi qu’au cours de notre histoire les philosophes politiques réunis sous l’égide des Penseurs libéraux ont pu venir à notre secours pour assoir non seulement notre entendement et notre réalité libres, mais aussi notre enrichissement et notre bien-être. Le marxisme, constatant l’injustice des conditions, imaginait en une démarche théorique et utopique le remède communiste pour aboutir au totalitarisme couplé avec la sanglante répression et la pénurie, hors pour les privilégiés de la nomenklatura. A contrario, la démarche libérale, au premier chef Adam Smith, se demandait au XVIII° siècle pourquoi la richesse et la prospérité abreuvaient le Royaume-Uni, observant que la division du travail, la liberté du commerce et la « main invisible[1] » du marché en étaient la cause, entraînant une croissante prospérité des nations et des individus. Pragmatique et réaliste, le libéralisme observe les faits et leurs bienfaits pour les favoriser au service des conditions humaines, alors que socialisme et communisme imposent un désastreux fantasme de fer. Ils sont les « ennemis du commerce », pour reprendre le titre percutant de l'essayiste espagnol Antonio Escohotado…

Ai-je la liberté d’avoir ce corps, ce patrimoine génétique issu de la loterie des êtres et d’une évolution darwinienne, ces forces et ces faiblesses, ces prédispositions à la santé ou aux maladies, d’avoir cette psychologie et ce tempérament, sans compter ce quotient intellectuel et affectif, quelque chose entre don des dieux et Némésis, entre cette grâce et ce libre-arbitre discutés par Saint-Augustin… Et d’être né sous cette condition matérielle, organique, parmi cette ère géologique, sur tel continent et pays, dans tel moment historique, plus ou moins favorisé de famine ou d’abondance, de génocide ou de liberté ? De plus, la psychanalyse a douté de l’autonomie de la raison, empêchée par le contenu parfois monstrueux de l’inconscient ; sans compter, de manière plus pertinente, le goût pour l’irrationnel, la tyrannie (qu’elle soit fasciste, théocratique ou communiste) et le mal de nombre de nos frères trop humains. Ce serait tomber dans un angélisme suicidaire que de nier ces nombreuses pierres d’achoppement sur le chemin d’une constitution du soi libre et d’une société des libertés.

Chez les Grecs, est libre celui qui n’est pas esclave, qui est citoyen, délivré de la tyrannie par le soin de la démocratie. Grâce à la Réforme protestante, un pas est franchi vers la liberté individuelle lorsqu’à chaque croyant est licite de lire le texte sacré de la Bible, au point que cette liberté de lecture et d’interprétation ne soit pas étrangère à l’éthique économique protestante constitutive de l’esprit du capitalisme[2]. De même, la séparation de l’église et de l’état, dès le « Rendez à César ce qui est à César » de l’Evangile, caractéristique de la tradition gréco-romaine et du christianisme, en passant par le libre-arbitre de Saint Thomas d’Aquin, contribue à la liberté en tant qu’il s’agit de récuser non seulement la théocratie, mais aussi, implicitement, une idée théocratique de l’Etat, hélas infuse dans le concept de « volonté générale » présent dans le principe du socialisme, a fortiori dans celui du communisme, et tel qu’énoncé par Rousseau : « Il importe donc pour avoir bien l’énoncé de la volonté générale qu’il n’y ait pas de société partielle dans l’Etat et que chaque citoyen n’opine que d’après lui. [3] »

Cependant, lors de la révolution anglaise, en passant par Milton et sa « liberté d’imprimer sans autorisation ni censure » -dans laquelle il exige : « Par-dessus toute autres libertés, donnez-moi celle de connaître, de m’exprimer, de discuter librement selon ma conscience[4] »-, puis par les Lumières, l’idée de liberté ira plus loin encore dans la séparation des inséparables. La séparation des pouvoirs, de Locke à Montesquieu, permet de fragmenter et d’individualiser les décisions, qu’elles soient publiques ou personnelles. De plus en plus, l’émergence de la volonté individuelle fonde le rejet du souverain absolu, puis de l’Etat omnipotent. Le laisser-faire économique, anti-colbertiste puis anti-keynésien, devient également un laisser penser, un laisser vivre en paix. L’homme parvient alors à être le législateur de la société, au contraire d’une société législatrice de l’homme, y compris au moyen de sa subjectivité, au point que Shelley puisse aller jusqu’à écrire : « Les poètes sont les législateurs non reconnus du monde[5] ».

Depuis les sociétés holistes traditionnelles, jusqu’à l’individualisme contemporain, un progrès indéniable s’est fait jour, non seulement en matière d’autonomie de la personne humaine, mais aussi de reconnaissance de sa sécurité et de son bonheur, ce dernier terme étant inscrit dans la constitution des Etats-Unis. Lorsque la société civile permet que nous n’appartenions plus à un tyran ou à un Dieu, elle n’empêche pas pour autant la dimension sociale de l’individu, non au sens d’une captation obligée par le social mais au sens des interactions entre individus libres. La capacité à prendre des décisions personnelles et leur adéquation avec les événements et les faits sont les ressorts et les fins de la liberté. En toute logique, il y a cohérence sine qua non entre la liberté de conscience et des mœurs d’une part et la liberté économique, fondée sur la propriété et le capitalisme de concurrence et de contrat d’autre part.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À l’encontre des caricatures, cet individualisme n’est pas incompatible avec les sentiments moraux[6], l’empathie, l’amour, l’altruisme, étant entendu qu’individualisme s’oppose à collectivisme, quand altruisme s’oppose à égoïsme, quoique ce dernier soit, en sa capacité à contribuer à l’émergence de richesses privées et d’échanges profitant à la société entière, redoré par des auteurs comme Mandeville[7], Adam Smith ou Ayn Rand[8]. L’agapè, la charité, qu’elle soit personnelle ou associative n’est pas persona non grata dans le cadre ouvert du libéralisme. La seule acceptation de l’individualisme d’autrui suffit à assurer une indispensable tolérance, une réciprocité, un équilibre enfin. Ce pourquoi le libéralisme moral, intellectuel et politique n’est pas dénué de règle assurant sa légitimité. En ce sens l’autonomie et l’indépendance de l’individu ne sont pleinement possibles que dans le cercle souple et polymorphe d’une société des libertés et de la croissance des possibilités, munis cependant de garde-fous : la liberté ne peut se passer d’un Etat assurant la sécurité des biens, des contrats et des personnes, au moyen de la justice, de la police et de la défense, qui sont ses fonctions régaliennes. De surcroit, jusqu’où doit-elle se munir d’un rempart répressif contre ce qui doit avoir la liberté de se dire, quoique en menaçant par sa prochaine tyrannie, idéologique puis factuelle, cette même liberté ? La question du voile intégral est à cet égard cruciale : liberté de conscience et de comportement, ou bien prosélytisme de l’oppression de l’individu et plus particulièrement de la femme…

Qu’est-ce qu’un libéral ? La réponse nous est donnée par Jean-François Revel : « un libéral est celui qui révère la démocratie politique, j’entends celle qui impose des limites à la toute-puissance de l’Etat sur le peuple, non celle qui la favorise. C’est en économie, un partisan de la libre entreprise et du marché, bref du capitalisme. C’est enfin un défenseur des droits de l’individu. Il croit à la supériorité des sociétés ouvertes et tolérantes » (p 744). En ce sens, Jean-François Revel est cohérent avec le Karl Popper de La Société ouverte et ses ennemis[9] qui voit, de Platon à Marx, en passant par Hegel, la menace philosophique de l’absolutisme d’Etat ossifier nos civilisations…

Ne faut-il pas rétablir l’évidente solution de continuité entre la liberté de conduire sa vie et celle d’entreprendre, par le biais de la propriété individuelle et du capitalisme ? N’en doutons pas, l’histoire et la géographie économiques parlent assez en faveur de cette thèse. En effet, plus les économies sont administrées par l’Etat, soumises à une suradministration, au matraquage fiscal qui se veut redistributeur et égalisateur, de l’Etat-providence pré-thatchérien au communisme soviétique, en passant par le socialisme français des quatre dernières décennies, plus elles ont vu s’affirmer leur échec, s’appauvrir leur population, stagner et péricliter leur croissance. Ludwig von Mises, dès 1920, avant que l’Union soviétique ait montré de manière éclatante son impéritie, « démontra qu’il est impossible de construire un système économique viable sans concurrence libre et sans propriété sur le capital. » (p 633). Il répond également à ceux qui rejettent le darwinisme social du libéralisme en objectant que « par la division du travail et l’échange, le libéralisme pacifie la société, alors que le marxisme, à travers la lutte des classes, valorise l’idée de lutte pour la vie qui fait l’essentiel du darwinisme sociologique » (p 634). Sans compter que la redistribution confiscatoire du socialisme, décourageant les initiatives, parvient à généraliser la tyrannie, la médiocrité et la pauvreté.

Néanmoins, pour tout penseur rationnel, sans compter ses abondants détracteurs, sinon calomniateurs, le libéralisme n’est pas une panacée absolue aux maux de l’humanité, en particulier économiques. Reste ouverte en effet la question de l’égalité d’accès aux richesses. Que le développement soit possible et souhaitable pour ceux qui sont entreprenants ne suffit pas toujours à assurer l’essentiel à ceux qui ont de bien moindres qualités, aux démunis. Récompensant le travail, le mérite et la responsabilité, doit-il – et jusqu’où doit-il ? – pratiquer la redistribution en faveur des défavorisés, de façon à établir cette justice sociale qu’Hayek[10] sait illusoire, mensongère et tyrannique ?

N’y-a-t-il pas à cet égard une actualité de Tocqueville : « L’Ancien Régime professait cette opinion, que la sagesse seule est dans l’état, que les sujets sont des êtres infirmes et faibles qu’il faut toujours tenir par la main, de peur qu’ils ne tombent ou ne se blessent ; qu’il est bon de gêner, de contrarier, de comprimer sans cesse les libertés individuelles ; qu’il est nécessaire de réglementer l’industrie, d’assurer la bonté des produits, d’empêcher la libre concurrence. L’Ancien Régime pensait sur ce point, précisément comme les socialistes d’aujourd’hui ». (p 425). Ou encore : « la démocratie veut l’égalité dans la liberté, et le socialisme veut l’égalité dans la gêne et la servitude ». (p 426). Pensons qu’il s’agissait là d’un « Discours contre le droit au travail » prononcé en 1848. Devant l’avalanche du « droit à » et de la dictature du besoin dénoncée par Ayn Rand[11],  que sont devenus devoir, mérite, liberté, et responsabilité ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce sont tous ces auteurs que l’on trouve dans ce fort volume : Les Penseurs libéraux. Voltaire et son éloge du commerce, Adam Smith et la main invisible du marché, depuis La Boétie et son Discours de la servitude volontaire, en passant par le Traité de tolérance universelle de Pierre Bayle, les Français font jeu égal avec les Anglo-saxons, de Milton et Locke, en passant par John Stuart Mill et La désobéissance civile de Thoreau, jusqu’à l’école de Chicago et Milton Friedman… Les grands du libéralisme classique sont ici à l’honneur : Kant bien sûr, Hayek et sa Route de la servitude, qui établissait en 1942 la congruence du national-socialisme allemand et du communisme, Mario Vargas Llosa ironisant contre « l’exception culturelle », ou Pareto dénonçant « le péril socialiste »… Mais connaissez-vous, en des textes parfois jusque-là indisponibles, Ortega y Gasset, Jurieu, Laboulaye, ou Lysander Spooner qui affirme que « le vote ne fonde aucune légitimité » et qui s’insurge contre « l’Etat bandit » ?

L’ouvrage d’Alain Laurent et Vincent Valentin remplace alors, in nucleo, une bibliothèque entière, luttant par ailleurs à armes plus nombreuses avec un précédent de Pierre Manent : Les Libéraux[12]. Son abondante anthologie ordonnée est à la fois un vadémécum, un résumé fort réussi de l’histoire de la pensée, une constitution philosophique libérale portative, mais aussi une invitation à former une plus intégrale collection des nombreux ouvrages fondamentaux. Du « libéralisme renouvelé par l’acceptation partielle de la critique socialiste » (p 746) de Raymond Aron à l’anarchocapitalisme de Murray Rothbard dont « le laissez-faire intégral » ne peut s’accoutumer de l’Etat « ennemi naturel de la liberté » (p 802), tout le spectre libéral est couvert.

Plaidant non seulement la cause du libéralisme, mais encore celle de l’équité qui réclame que l’on rende à cet immense courant de pensée et de regard sur le réel toute sa dignité humaine et philosophique contre ses détracteurs, le plus souvent ignorants et aveugles, à moins de considérer qu’ils veulent garder les places acquises qui leurs permettent de vivre au-dépens de tout le monde, ce livre ambitieux, certes pas d’un accès simplissime, n’est jamais démagogique. Pour ce faire, il se présente en trois parties : une vaste introduction, « L’idée libérale et ses interprètes » ; une plus vaste encore « Anthologie », thématique et chronologique, de « L’émergence du libéralisme contre l’absolutisme », jusqu’à l’actuel « courant libertarien » ; de nombreuses annexes enfin, de la complexe « généalogie d’un mot : libéralisme », en passant par un dictionnaire, jusqu’à une bibliographie. Livre savant, livre de chevet, aux argumentations beaucoup plus accessibles et claires que ce que le méfiant lecteur aurait pu craindre…

À l’heure française, trop française, où la séparation des pouvoirs, en particulier politique et économique, devient de plus en plus un vain mot, où la liberté d’entreprendre, voire de conscience et d’expression, est fragilisées, il manque à nous tous une fondamentale porte de liberté : elle s’ouvre alors en osant le courage d’affronter les idées roboratives et dynamiques contenues dans Les Penseurs libéraux. Ses 900 pages, généreuses, encyclopédiques, comblent une lacune d’importance devant la pléthore d’ouvrages d’inspiration marxiste exigeant l’interventionnisme et la régulation économique qui formatent sans discernement les esprits. Faut-il espérer qu’en la noble compagnie d’initiatives comme le Dictionnaire du libéralisme[13] et le collectif Libres[14], cet opus magnus qu’est Les Penseurs libéraux soit le signe d’un juste infléchissement de la pensée contemporaine et à venir ? Car il n’y a pas de philosophie politique sans libéralisme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pourtant, les « ennemis du commerce » ne cessent leurs coups de boutoir contre les libertés économiques. C’est ce que déplie pour nous Antonio Escohotado, dans son immense fresque de plus de deux mille pages, Los Enemigos del comercio. Una historia moral de la propriedad, hélas non traduite en français, quoiqu’achevée en 2016. Cet essai fondamental, incroyablement documenté, plonge dans les racines liberticides de l’anticapitalisme, depuis La République de Platon qui prône un « communisme aristocratique », jusqu’aux plus récentes manipulations de l’écologisme politique qui, dans une vaste esbroufe, prétend qu’un réchauffement climatique dû aux activités humaines et à l’exploitation capitaliste mène à une catastrophe que seules la décroissance et une gestion centralisée planétaire peuvent espérer évacuer. Plus récemment encore, n’est-ce pas Kamala Harris, candidate démocrate à l’élection présidentielle américaine de 2024, qui proclame que c’est à l’Etat de fixer les prix, pas au marché !

La litanie des arguments spécieux selon lesquels « la propriété privée constitue un vol, et le commerce est son instrument[15] » est une constante de l’histoire politique, quoiqu’elle soit invalidée par l’histoire du développement économique. À cet égard le christianisme est comptable de l’ambiguïté du message évangélique : si le Christ chasse les marchands du temple, mais seulement du temple, séparant également le politique et le religieux, l’éloge de la pauvreté, voire de l’érémitisme, ne favorise pas l’extension de la richesse. Heureusement la parabole des talents[16] valorise celui qui investit et fait travailler son argent.

Le ressentiment contre les riches conjugue antisémitisme et marxisme, ce dernier prétendant à la planification totale. Le troisième volume d’Antonio Escohotado expose le développement communiste, non seulement bolchevique et soviétique, mais aussi maoïste et cubain, tout en montrant enfin de plus récents avatars, comme le philosophe Jean-Paul Sartre et l’anticolonialiste Frans Fanon, le sous-commandant Marcos au Mexique avec sa théologie de la libération, le Vénézuélien Chavez, les islamistes, les altermondialistes, les post-féministes, la délirante Américaine Naomi Klein, succès de librairie, qui postule un « capitalisme du désastre » dans sa Stratégie du choc[17], son capitalisme versus climat[18], qui prétend enfreindre toutes les règles du libre marché, toute une brochette de zélateurs du vol institutionnel. Comme quoi le communisme est un « oiseau phénix[19] », qui renait sans cesse de ses illusions et de ses échecs. La pulsion totalitaire préférant l’oppression de l’incompétence au travail de la liberté.

Thierry Guinhut

2012-1024

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Adam Smith : Enquête sur la nature et les causes de la Richesse des nations, PUF, 1995, p 513.

[2] Voir à ce sujet Max Weber : L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, Plon, 1964.

[3] Jean-Jacques Rousseau : Du Contrat social, Œuvres complètes, Pléiade, tome III, p 372.

[4] John Milton : Areopagitica pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure, Aubier, 1956, p 211.

[5] Percy Bysshe Shelley : Défense de la poésie, La Délirante, 1980, p 45.

[6] Voir à ce sujet : Adam Smith : Théorie des sentiments moraux, PUF, 1995.

[7] Bernard de Mandeville : La Fable des abeilles, Vrin 1990.

[8] Ayn Rand : La vertu d’égoïsme, Les Belles Lettres, 1993.

[9] Karl Popper : La Société ouverte et ses ennemis, Seuil, 1979.

[10] Friedrich A. Hayek : « Le mirage de la justice sociale », Droit, législation et liberté, II, PUF, 1981.

[11] Ayn Rand : La Grève, Les Belles Lettres, 2011.

[12] Pierre Manent : Les Libéraux, Hachette Pluriel, 1986 et Tel, 2001.

[13] Dictionnaire du libéralisme, sous la direction de Mathieu Laine, Larousse, 2012.

[14] Collectif La Main invisible : Libres, Editions Roguet, 2012. Voir : Deux manuels des libertés : Libres, Dictionnaire du libéralisme

[15] Antonio Escohotado : Los Enemigos del comercio. Una historia moral de la propriedad, Espasa, 2014, I, p 54, 19.

[16] Évangile selon Matthieu, chapitre 25, versets 14 à 30.

[17] Naomi Klein : La Stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Léméac Actes Sud, 2008.

[18] Naomi Klein : Tout peut changer : capitalisme et changement climatique, Actes Sud, 2015.

[19] Antonio Escohotado : ibidem, III p 609.

 

Catalan Bay, Gibraltar. Photo : T. Guinhut.

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Enfer et Purgatoire de la traduction idéale

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Déséducation et rééducation idéologique

Haine de la littérature et de la culture

De l'avenir des Anciens

 

 

 

 

 

 

Eluard

« Courage », l'engagement en question

 

 

 

 

 

 

 

Emerson

Les Travaux et les jours de l'écologisme

 

 

 

 

 

 

 

Enfers

L'Enfer, mythologie des lieux

Enfers d'Asie, Pu Songling, Hearn

 

 

 

 

 

 

 

Erasme

Adages et Colloques

Eloge de vos folies contemporaines

 

 

 

 

 

 

 

Esclavage

Esclavage en Moyen âge, Islam, Amériques

 

 

 

 

 

 

Espagne

Histoire romanesque du franquisme

Benito Pérez Galdos, romancier espagnol

 

 

 

 

 

 

Etat

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Constructivisme versus démocratie libérale

Amendements libéraux à la Constitution

Couleurs des monstres politiques

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Socialisme et connaissance inutile

Patriotisme et patriotisme économique

La pandémie des postures idéologiques

Agonie scientifique et sophisme français

Impéritie de l'Etat, atteinte aux libertés

Retraite communiste ou raisonnée

 

 

 

 

 

 

Etats-Unis romans

Dérives post-américaines

Rana Dasgupta : Solo, destin américain

Bret Easton Ellis : Eclats, American psycho

Eugenides : Middlesex, Roman du mariage

Bernardine Evaristo : Fille, femme, autre

La Muse de Jonathan Galassi

Gardner : La Symphonie des spectres

Lauren Groff : Les Furies

Hallberg, Franzen : City on fire, Freedom

Jonathan Lethem : Chronic-city

Luiselli : Les Dents, Archives des enfants

Rick Moody : Démonologies

De la Pava, Marissa Pessl : les agents du mal

Penn Warren : Grande forêt, Hommes du roi

Shteyngart : Super triste histoire d'amour

Tartt : Chardonneret, Maître des illusions

Wright, Ellison, Baldwin, Scott-Heron

 

 

 

 

 

 

 

Europe

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

Fables politiques

Le bouffon interdit, L'animal mariage, 2025 l'animale utopie, L'ânesse et la sangsue

Les chats menacés par la religion des rats, L'Etat-providence à l'assaut des lions, De l'alternance en Démocratie animale, Des porcs et de la dette

 

 

 

 

 

 

 

Fabre

Jean-Henri Fabre, prince de l'entomologie

 

 

 

 

 

 

 

Facebook

Facebook, IPhone : tyrannie ou libertés ?

 

 

 

 

 

 

Fallada

Seul dans Berlin : résistance antinazie

 

 

 

 

 

 

Fantastique

Dracula et autres vampires

Lectures du mythe de Frankenstein

Montgomery Bird : Sheppard Lee

Karlsson : La Pièce ; Jääskeläinen : Lumikko

Michal Ajvaz : de l'Autre île à l'Autre ville

Morselli Dissipatio, Longo L'Homme vertical

Présences & absences fantastiques : Karlsson, Pépin, Trias de Bes, Epsmark, Beydoun

 

 

 

 

 

 

Fascisme

Histoire du fascisme et de Mussolini

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Haushofer : Sonnets de Moabit

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré, une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

VIII Morphéor intelligence quantique amoureuse

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com

XVIII Bibliothèque Hespérus et Petite porcelaine bleue

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme : Ages & Colloques

Manuzio, Budé, Byzantinistes & Coménius

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Vanité de la mort : Vincent Wackenheim

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

La Cité aux murs incertains, L'Incolore Tsukuru

 

 

 

 

 

 

Muray

Philippe Muray et l'homo festivus

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

Miscellanées littéraires : Cloux, Morrow...

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Pléiade & Sonnet pour Hélène LXVIII

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Les obsolètes face à l'intelligence artificielle

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science-fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Métamorphoses du sonnet contemporain

 

 

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Wells

Wells aventurier du temps et socialiste déçu

 

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

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