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20 février 2025 4 20 /02 /février /2025 15:25

 

Catedral de Zamora, Castilla y León.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Les champs de l’humanisme,

d’Aldo Manuzio à Coménius,

en passant Guillaume Budé et les byzantinistes.

 

 

Verena von der Heyden-Rynsch :

Aldo Manuzio, le Michel-Ange du livre, L’art de l’imprimerie à Venise,

traduit de l’allemand par Sébastien Diran, Gallimard, 2014, 206 p, 23,50 €.

 

Romain Martini & Luigi-Alberto Sanchi :

L’Antiquité selon Guillaume Budé, Les Belles Lettres, 2025, 248 p, 25,90 €.

 

Anne-Mary Cheny : Le Cercle des byzantinistes, Les Belles Lettres, 2024, 304 p, 26 €.

 

Iohannes Amos Comenius : Image du monde sensible,

Les Belles Lettres, 2025, traduit du latin par Lucien X. Polastron, 328 p, 25,50 €.

 

 

« Rien de ce qui est humain ne m’est étranger », disait Montaigne d’après le dramaturge latin Térence ; de même rien de ce qui est l’Antiquité n’est étranger à l’humaniste, du moins dans le cadre de ce qui lui était accessible, du XIV° siècle de Pétrarque au XVI° siècle d’Erasme. Or, outre les chercheurs, philologues et écrivains, les Lettres antiques durent une grande part de leur renom lors de la Renaissance grâce à un grand imprimeur vénitien : Aldo Manuzio. Certes le terme « humaniste » n’apparut, sous la plume de Georg Voigt, qu’en 1859 en Allemagne, mais il désigne ce mouvement de redécouvertes renaissante des langues anciennes et cet appétit des connaissances qui embrasèrent l’Europe de l’ouest. L’actualité éditoriale révèle une figure également méconnue de l’humanisme, Guillaume Budé, alors que le rôle considérable des explorateurs des Lettres grecques et latines découvertes à Byzance, soit les « byzantinistes », conduit par ricochet à découvrir combien ce territoire de l’Empire romain d’Orient, hélas conquis par les Ottomans, recelait de richesses intellectuelles. Le champ de l’humanisme ne s’est  pas clos au XVI° siècle, ne serait-ce qu’avec Coménius dont le talent pédagogique rendit bien des services aux jeunes latinistes. Que nous devrions être encore…

Alde Manuce, ou plus exactement Aldo Manuzio (1449-1515), est un jalon essentiel dans le développement de l’œuvre d’Erasme, donc de l’humanisme. Un beau livre de Verena von der Heyden-Rynsch lui rend un indispensable hommage, en un essai-biographie particulièrement aisé, brossant autant le portrait d’une cité-état que d’un homme d’exception.

Dans Venise, micro univers de « culture et luxure », un helléniste romain devint l’imprimeur le plus éminent de la Renaissance. Là s’étaient installés les disciples de Gutenberg. Entre 1494 et 1515, sans compter ses descendants, Aldo Manuzio publia plus de cent cinquante livres en grec, latin, italien, mais aussi en hébreu. Non content de ce talent, il inventa des fontes d’imprimeries en grec ainsi que les caractères de l’italique, l’apostrophe et le point-virgule. Artisan autant qu’intellectuel de goût, parmi ses collaborateurs, dont Griffo son graveur de caractères, il évolua parmi un réseau d’érudits, dont certains rapportèrent des manuscrits de Constantinople (tombée en 1453), de mécènes et de clercs, et fut le centre du bouillonnement humaniste. Liberté politique, alphabétisation et floraison des arts dans la cité des doges permirent ces avancées, ce succès. Songeons que Dürer, qui grava le portrait d’Erasme, vint à pied d’Innsbruck, dès 1494, pour y découvrir Bellini.

Notre Aldo, dit le Romain, étudia dans Ferrare, pour y briller avec Pic de la Mirandole, théoricien du libre-arbitre, avec Ange Politien, poète de la Fable d’Orphée, avec des collectionneurs, avant d’assoir sa réputation. Les éditions aldines furent remarquées pour leur format in octavo, peu coûteuses, ancêtres de nos livres de poche. Une fois de plus une révolution intellectuelle ne va pas sans une révolution économique. Aristote en cinq volumes, Lucrèce et Ovide, la Divine comédie de Dante, chaque ouvrage était tiré à mille exemplaires ! Certes, la corporation des copistes se plaignit de cette concurrence, comme lorsque toute nouveauté bouleverse le marché.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tant Aldo Manuzio étendait la réputation de son talent, tant on lui envoyait des manuscrits pour qu’il les imprime avec son soin coutumier : Platon, Plutarque, Aristote, Sophocle, le Talmud en hébreu, Virgile, Bembo… Mais c’est avec Erasme[1] qu’il rencontra son meilleur complice, convaincus tous les deux de la nécessité intellectuelle et morale de la langue grecque et de ses auteurs. L’imprimeur, parmi son « Académie aldine », parmi son atelier « presque capitaliste », bruissant d’une trentaine de collaborateurs, publia d’abord la traduction d’Euripide de « l’humaniste critique et tolérant », avant de contribuer à la fortune de ses Adages.

Probablement le chef-d’œuvre d’Aldo Manuzio est-il l’Hypnerotomachia Poliphili, ou Songe de Poliphile[2], ce prestigieux incunable publié en 1499, vase récit allégorique de Francisco Colonna qui conte en cinq mystères le chemin de l’amour entre Poliphile et Polia. Le texte, en un italien polyglotte et complexe, décrit des châteaux, des jardins et des ruines somptueux, sert avec une grande subtilité néoplatonicienne cet « amour en songe », puis son dialogue, dans le cadre du « culte de l’antiquité et de l’Eros comme maître es arts de l’univers ». Typographie, mise en page, les cent soixante-douze gravures (longtemps attribuées à Giovanni Bellini, puis à Benedetto Bordone), les hiéroglyphes, tout concourt à l’élégance, à la perfection. De plus c’est là que l’on vit naître l’ancre aldine, symbole de l’imprimeur devenu mythique…

Hélas, Aldo Manuzio dut en 1508 fuir Venise, menacée par la Ligue de Cambrai. L’ « humaniste vagabond » y revint en 1513, pour imprimer encore et encore, non sans avoir inventé le principe de l’index et ajouté de précieuses préfaces de sa propre main. En 1515, « le cercueil de l’imprimeur fut entouré en guise de trophées par des livres de son atelier ». Au-delà de ce précurseur génial, Verena von der Heyden-Rinsch n’omet pas d’évoquer ses descendants, moins talentueux, et surtout ses héritiers spirituels : Plantin et Grolier en France, Froben à Bâle, sans compter les bibliothèques européennes qui s’enrichirent de ses volumes devenus légendaires. Au point que ses petits formats aient été glissés par Thomas More dans la poche de son héros et narrateur, Raphaël Hythlodée, parmi les pages de son Utopie[3]

Avide des éditions aldines entre tous, un humaniste incroyable mérite notre attention. L’existence du parisien Guillaume Budé, entre 1467 et 1540, lui permit de devenir le phare de la première Renaissance française et de la politique culturelle du royaume. La dimension encyclopédique de ses travaux est stupéfiante : fine connaissance de la langue grecque ancienne et de sa lexicologie, vénerie, mathématiques, philologie du Digeste (une somme du droit romain), patristique, rhétorique, érudition numismatique, histoire économique, pédagogie... Soit un regard au plus large des civilisations antiques. Il fut non seulement l’un des fondateurs du Collège de France, encore actif de nos jours, mais éditeur de la première société française d’édition des Belles Lettres. Deux érudits d’aujourd’hui, Romain Menini et Luigi-Alberto Sanchi, qui rivalisent de notes et de bibliographie, sans omettre un « tableau chronologique des œuvres » du maître du XVI° siècle, brossent le portrait intellectuel de l’érudit originel de l’humanisme en France, quoique son importance considérable rayonnât bien au-delà, puisqu’Erasme lui rendit hommage, puisqu’il était l’ami de Thomas More et de Rabelais. N’omettons pas que ses mérites furent reconnus par François Ier, qui l’invita à l’accompagner à l’occasion du Camp du Drap d’Or, en 1520.

Qu’est-ce que « l’encyclopédie budéenne » ? S’il traduisit également Plutarque en latin (une travail de titan),  elle est surtout composée de trois volumes : Annotationes in Pandecta, soit des études juridiques, De Asse, traité des monnaies et des mesures anciennes, Commentarii linguae graecae. Ces derniers, dont il n’est guère besoin de traduire l’évident titre, s’attachent à restituer le texte en le débarrassant des gloses accumulées par la tradition médiévale. Pour lui le lexique grec est « corne d’abondance », ce dont témoigne par ailleurs l’étymologie de la langue française. Il dépoussière ainsi l’éloquence de Démosthène, s’intéresse à la dimension fondatrice du droit romain, s’interroge pour décider si Platon est « un inadmissible païen ou un sage préchrétien », ce qui nous semble toutefois dans les deux cas plus que spécieux. L’on n’est pas étonné que sa foi chrétienne l’entraîne également à lire et établir les textes des Pères de l’Eglise, en particulier les Pères cappadociens, « figures tutélaires », ce au service de la « philologie de l’ascèse » ; et surtout le Pseudo-Denys l’Aréopagite. Ce dernier lui sert longtemps de référence, tel qu’il réunissait « dans la langue hautement novatrice de sa théologie négative (il avait lu Proclus), le néoplatonisme tardif et la mystique chrétienne ». Mais l’on peut compter également ses dissertations philosophiques, telles Du mépris des choses fortuites et De l’institution du Prince, que l’on aimerait lire, peut-être pour le joindre à celui, ultérieur, de Machiavel. L’essai de Romain Menini et Luigi-Alberto Sanchi a le mérite de redonner toute sa stature à celui qui compila tant de merveilles, quoiqu’il écrivît en un néo-latin délicat qui le rend peu accessible.

Peint par François Clouet, le portrait hiératique de « l’inventeur de la monographie savante », qui illustre bellement la couverture, ne lui fait pas un faciès très engageant : lèvres étroites et pincées, austérité vestimentaire. Mais son regard, concentré sur la pensée, reste intrigant. Il n’avait qu’une « maîtresse » : la philologie – qui n’était guère la fille d’Eros. Est-il un brin mélancolique en pensant aux œuvres perdues de l’Antiquité, comme la partie sur la comédie de la Poétique d’Aristote…

Quelle preuve donner de l’importance de Guillaume Budé ? Sinon qu’aux éditions des Belles Lettres, depuis bien des décennies, les « Budés » sont des références en termes de publications des classiques antiques, de surcroît bilingues…

Un autre versant de la quête humaniste s’est tourné vers Byzance. D’une part la chute de Constantinople en 1543 a entraîné la fuite de nombreux érudits emportant des manuscrits vers l’Occident et en particulier la Venise d’Aldo Manuzio. D’autre part au cours des XVIe et XVIIe siècles, la recherche de la Grèce antique pousse de nombreux et aventureux savants à voyager vers l’Orient. Ils ont soif de compléter leurs connaissances et d’abonder leurs bibliothèques en  manuscrits. Mais en collationnant les auteurs anciens, c’est par rebond et sérendipité que les chercheurs en viennent à s’intéresser aux « études byzantines », soit l’étude de la langue, de l’histoire, de l’art et de la civilisation de l’Empire romain d’Orient qui bénéficia de douze siècles de prestige, entre 330 et 1453. C’est à cet univers que s’attache Anne-Marie Cheny dans Le Cercle des byzantinistes.

Pour reprendre le sous-titre – « Comment bibliothécaires, savants et voyageurs inventèrent Byzance » – l’on comprend bien qu’il s’agit autant d’une découverte que de la constitution d’un corpus. Tous ces religieux, diplomates, marchands, érudits, libertins, capitaines de navires, sillonnent l’Empire ottoman pour débusquer des manuscrits grecs. Mais, ô ironie du sort, leur méconnaissance du grec antique leur permet de se fourvoyer et de recueillir des textes grecs médiévaux. Alors qu’ils rêvaient de la bonne fortune de la Grèce classique, ils ont, dans leur heureuse maladresse, ramené le Moyen Âge grec et la civilisation byzantine, dont on ne sait guère ce qu’ils seraient devenus sans eux, étant donné la brutalité ottomane et le peu de goût de l’Islam pour la chrétienté et la culture européenne.

Claude Dupuy, un lettré parisien, Johannes Löwenklau, qui édite « pour ne pas mener ici-bas une sotte vie routinière et inutile », tous ils préservent Chrysostome, Justinien, Léon, parmi « les vingt-sept tomes de la Byzantine du Louvre en grand papier ». Chrysoloras, Chalcondyle et Lascaris, professeurs de grec en Occident, Ogier Ghislain de Busbecq, un ambassadeur voyageur, Hieronymus Wolf, philologue irascible, qui trouve en Anton Fugger un banquier mécène, tous contribuennt à cette fête de l’érudition. L’on découvre Lukas Holste, un bibliothécaire du Vatican au service du Pape, et des « petits géographes grecs », puis La Popelinière qui, entre autres, traita des « Historiens des Grecs  Chrestiens et Byzantins ». Et surtout « un historien de Byzance qui ne souhaitait pas l’être », c’est-à-dire Montesquieu. Le tout dans le cadre de la République des Lettres et de son réseau épistolaire[4].

Ainsi découvre-t-on les « bibliothèques byzantines » de la capitale ottomane, qui en 1565, conservent encore, malgré le vandalisme, de nombreux textes grecs, comme celle de Michel Cantacuzène riche de classiques et autres théologiques. Et celle du fameux érudit aixois Peiresc (1580-1637), en particuliers ses « précieux papiers ». Il fit en effet venir « l’ivoire Barberini » représentant probablement l’empereur Constantin à cheval et fit acheter à Chypre un volume venu de la bibliothèque impériale de Constantinople, soit une Encyclopédie compilée au X° siècle. Alors que le philosophe des Lumières Condorcet poursuit cette quête intellectuelle, l’épopée trouve sa reconnaissance officielle avec la création d’une chaire d’Histoire byzantine à la parisienne Sorbonne, en 1899, par les soins de Charles Diehl. Ce qui montre que l’humanisme trouve sa continuité – et bien entendu son renouvellement – dans le mouvement des Lumières, dont par ailleurs l’inflexion vers le libéralisme et la philosophie politique n’est plus à démontrer.

Une fois de plus les éditions des Belles Lettres savent joindre l’utile et l’agréable, tant ce byzantiniste ouvrage savant et néanmoins accessible s’agrémente d’illustrations documentaires ainsi que d’un vert lumineux pour emplir les pages des têtes de chapitres et les caractères des sous-titres et citations. Manuscrits, imprimés, enluminures, gravures et portraits pullulent quand la couverture est d’une ékégante beauté.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si l’on cherche le plus ancien livre pour enfants, il faut remonter au milieu du XVII° siècle, soit 1658. Il ne s’agit pas d’une bande dessinée humoristique, avec quelque Bécassine ou Babar, mais d’un volume autrement sérieux : Image du monde sensible. Un humaniste, nommé Iohannes Amos Comenius, plus exactement Komensky (né en 1592 en Moravie et mort à Amsterdam en 1670) conçut un ouvrage à vocation pédagogique au service de la formation de jeunes gens bientôt capables d’user de la langue latine. Précédé par une « Invitation », puis par l’alphabet, l’on va, de manière bien ordonnée, de « Dieu » au « Jugement dernier », en passant par « toutes les choses fondamentales du monde et des actions de la vie ». Par exemple « les insectes rampants », « la librairie », « l’armée et le combat », sans oublier les allégories comme la « Prudence », la « Justice » ou l’« Ethique »…

Les garnements du siècle de Louis XIV apprirent ainsi la langue de Cicéron. Mais n’est-ce pas pour nous l’occasion de raviver nos minces talents de latinistes ? Ecoutons Comenius en sa préface : « L’instruction est le moyen d’expulser la grossièreté ». De surcroit, « les enfants intelligents ne considéreront pas la fréquentation de l’école comme un supplice, mais comme un mets délicat ».

Loin de n’être qu’un sévère opus didactique, cette Image du monde sensible est ornée à chaque page de gravures, un brin naïves certes, mais explicites, fouillées et pittoresques, dont chaque motif est numéroté, de façon à faire correspondre l’image et le mot latin afférant, au moyen d’un petit texte explicatif. Ce volume, dont il s’agit de la première édition française (bilingue donc), est ici orné d’une noire couverture illustrée aux lettrages blancs et rouge vif, soit parmi les plus curieuses et élégantes publications des Belles Lettres, fidèles à leur vocation de ranimer les beautés de la culture antique et humaniste.

Reste à jeter plus qu’un coup d’œil à une précieuse anthologie intitulée Bibliothèque humaniste idéale[5]. Car, depuis toute l'Europe, les Humanistes ont initié les valeurs qui sont encore les nôtres : la connaissance et la paix au premier chef. Ce volume conte l'histoire de ce grand mouvement intellectuel né dans l'Italie du XIVe siècle avec des textes aussi fameux que le Discours de la dignité de l'homme de Pic de la Mirandole, l'Éloge de la folie d'Érasme ou le truculent Gargantua de Rabelais, agrémentés de quelques perles aussi rares qu'inattendues, telles que les Facéties obscènes en latin élégant du Pogge[6] ou encore L'Art d'élever des poules en période de guerre civile de Le Choyselat, au titre rare si délicieusement ironique.

Certes, il y eut des humanistes avant Erasme et Aldo Manuzio ; ne serait-ce que le poète et épistolier Pétrarque au XIV° siècle. Mais la rencontre inouïe de l’auteur des Adages et d’un imprimeur prolixe, tous deux animés d’un même amour pour les auteurs grecs et latins, fait de ce tournant du XVI° siècle, à Venise, un moment phare des humanités antiques retrouvées. Ce qui est en cohérence avec un intérêt nouveau pour l’homme considéré comme fin, en dépit de la théologie qui prend Dieu pour centre : « Homme je suis, rien d’humain ne m’est étranger[7] ». Montaigne choisit cette citation du romain Térence pour la faire figurer sur l’une des poutres de sa librairie, la plus proche de son écritoire. Nous n’oublierons pas que l’humanisme est aussi celui d’une conscience politique et philosophique, telle celle d’Erasme, tenant du libre-arbitre et d’une démocratie inspirée de la Grèce antique ; au-delà de laquelle de grands textes, comme le Discours de la Servitude volontaire de La Boétie[8] et l’Areopagitica Pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure de Thomas More[9] viendront ouvrir les voies du libéralisme classique et des Lumières.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Coménius fut publiée dans

Le Matricule des anges, février 2025


[2]  Francisco Colonna : Discours du songe de Poliphile, Les Fermiers généraux (avec les bois gravés par Jean Goujon et Jean Cousin) 1956.

[5] Bibliothèque humaniste idéale, Les Belles Lettres, 1018.

[7] Térence : L’Héautontimoruménos, I, 1, 77, Comédies, Garnier, sans date, p 194.

[8] Etienne de La Boétie : Discours de la Servitude volontaire, Tel Gallimard, 2016.

[9] Thomas More : Areopagitica Pour la liberté d’imprimer sans autorisation ni censure, Aubier, 1956.

 

Catedral de Salamanca, Castilla y León.

Photo : T. Guinhut.

 

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31 janvier 2025 5 31 /01 /janvier /2025 14:52

 

Biblioteca del Monasterio San Lorenzo del Escorial, Madrid.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Eloge du fol Erasme,

père des Adages & des Colloques.

 

 

Erasme : Eloge de la folie, traduit du latin par Jean-Christophe Saladin,

Les Belles Lettres, 2018, 228 p, 75 €.

 

Erasme : Adages, traductions du grec & du latin, et édition dirigée par Jean-Christophe Saladin,

Les Belles Lettres, 2013, coffret de cinq volumes, 5592 p, 199 € pour l’Editio minor.

 

Erasme : Colloques, traduit du latin par Olivier Sers et Danielle Sonnier,

Les Belles Lettres, 2025, 1372 p, 79 €.

 

 

Peut-on concevoir une bibliothèque humaniste, donc universelle, sans la présence du fol Erasme ? Dès son enfance, l’un des régents de Deventer lui promit : « Courage, vous arriverez un jour au plus haut faîte de l’érudition ». En effet Érasme de Rotterdam (1469-1536) cultiva très tôt ses talents exceptionnels en usant du latin et du grec avec ferveur. Le « prince des humanistes », tel que le qualifiaient ses contemporains, unissait les prodiges du philologue, du pédagogue et du pamphlétaire, allons jusqu’à dire du fin philosophe. Certes il ne fut pas toujours en odeur de sainteté tant la vigueur de ses critiques contre les abus de l'Église lui valut d'être condamné par l'Index du concile de Trente. Ne disait-on pas qu’« Érasme a pondu les œufs que Luther a couvés[1] » ? Ce qui lui valut la disparition de la plupart de ses œuvres des rayons des libraires pendant une poignée de siècles. Cependant, dès le siècle des Lumières, l’on rééditait et traduisait  l’Eloge de la folie. A fortiori aujourd’hui, si bien que justice lui est entièrement rendue. Car voici les Adages, trésor d’érudition des proverbes savants et populaires venus de l’Antiquité grecque et latine, puis les Colloques, dialogues philosophiques et de mœurs, divertissants et utiles, non seulement pour le public de la Renaissance, mais également pour nous, cinq siècles plus tard. Soit des merveilles d’édition.

Peut-on prendre au sérieux la prosopopée de la Folie et ses bavardages vaniteux, surgis en l'an 1511 ? Peut-on encore lire avec pénétration et volupté de tels joyeux auto-éloges, critiques vigoureuses d'un clergé fou d'orgueil et d'argent, moquant le luxe et les Indulgences vendues par l'Eglise afin de gagner d’illusoires années de Purgatoire ? Sans oublier la morgue des théologiens, « race extraordinairement sourcilleuse et irritable » maniant la « foudre » contre celui qu’ils dénoncent comme hérétique. Parmi les pages gaillardes de l’Eloge de la folie, le lait de l’antiphrase, plutôt que le vinaigre des philosophes scolastiques férus d'Aristote jusqu'au trognon dont il est fait la parodie, permet de goûter une sapience qui écorne tous les orgueils, tous les vices de son temps. Mais aussi, ne nous y trompons pas, du nôtre. Car si la truculente Folie parle, c’est pour que nous entendions la voix de la Raison, de la vertu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme l’affirme la « déclamation » saluant Thomas More – l’auteur de l’Utopie – notre humaniste s’inscrit dans la tradition des satires sociales et autres gaillardises issues non seulement de l’Antiquité, par exemple Lucien et ses éloges paradoxaux de la mouche et de la calvitie, mais aussi du Décaméron de Boccace, du Gargantua de Rabelais ou des Facéties du Pogge. Erasme n’épargne aucune strate de la société : femmes coquettes, vieillards libidineux et « chiennes en chaleur », « fureur des amants », savants grotesques, « fous des rois », soldats matamores, princes gonflés d’hubris, tous fous, tous désastreux, tous moqués, ridiculisés.

La prédication de celui qui publiera les Ecclesiastes se veut en fait rétablir celle du Christ, ce qui est particulièrement sensible à la fin de l’Eloge de la folie, à l’occasion d’une apologie lyrique de l’extase mystique. Cependant, faut-il en croire la déesse de la Folie et son « fatras de mots », lorsqu’elle conclue en s’adressant aux initiés de ses mystères (Moria signifiant la folie en latin) : « Donc, Salut, innombrables mystes de Moria ! Applaudissez, vivez, buvez ! »

Ainsi le maître humaniste répond à la question de la vérité par un paradoxe : la verve déclamatoire de la folie, tout entière fausse, dit le vrai par la pirouette de l’ironie. Voilà qui nous est d’autant plus accessible que cette belle édition bilingue est nantie non seulement des célèbres illustrations des frères Hans et Ambroise Holbein jaillies en 1515, mais aussi de notes inédites : outre tous les commentaires d’Erasme lui-même, ce sont les remarques de Listrius et Myconius ses contemporains. La folie de la collection « Le Miroir des humanistes » si bien nommée aux Belles Lettres, n’est-elle pas ainsi délectable ? Sans vouloir diminuer en rien le mérite d’une édition d’art somptueuse, chez une éditrice sagace[2].

Erasme : Eloge de la Folie, illustré par Dubout, Gibert Jeune, 1951.

Photo : T. Guinhut.

 

« De mémoire d’homme », « Jeter de la poudre aux yeux », « Hâte-toi lentement », « C’est l’intention qui compte »,  « Regarder dans le vide », « Il ne vaut même pas un bout de ficelle », « Aussitôt dit, aussitôt fait » ; combien de ces adages sont encore aujourd’hui sur toutes les lèvres ? Sans savoir un instant d’où ils viennent… Ainsi, auriez-vous imaginé que « Youpi ! », vient du « péan » grec qui est un hymne victorieux, et dont on trouve la trace chez Ovide et Horace ? Ce sont quelques-uns, parmi des milliers, des Adages, venus des auteurs grecs et latins, rassemblés et commentés avec précision, érudition, humour, sagesse et ferveur par le légendaire humaniste Erasme. Qui dut une part de son renom grâce à un grand imprimeur vénitien également humaniste : Aldo Manuzio. En effet, après une édition parisienne en 1500 avec 820 adages, pour atteindre progressivement le chiffre de 4151, en 1536 à Bâle, chez Frobein, ils trouvèrent dans la Sérénissime leur plein achèvement avec pas moins de 3000 exemplaires publiés, tirage impressionnant à l’époque. Nous voici comblés, dans la mesure où il s’agit là de la première édition française (et bilingue) intégrale, où plonger et voyager sans retenue.

Car Erasme de Rotterdam n’est pas seulement l’auteur célébré de l’Eloge de la folie (qu’il rangea avec autodérision parmi les livres « futiles[3] »), cet éloge paradoxal où sauront lire les sages. Ces derniers cultivent des adages aussi vifs que parlants, et souvent bien moqueurs : « De la farine, non des mots ! », « C’est la richesse qui fait l’homme », « Un âne affamé se moque du bâton », « C’est ton propre rêve que je te raconte », « Le vin porte ombrage à la sagesse », « Risquer la peau des autres », « Avoir les mains sous la toge » (pour les oisifs). D’autres sont d’une rabelaisienne verdeur : « Puni pour de la bouse », nous dit Aristophane, « Tussis pro crepitu » ou « Tousser pour péter ». Nous saurons ravis d’apprendre que « Se prendre un doigt d’honneur », « une injure et un mépris suprême » qui « consiste à montrer le doigt du milieu tout en repliant les autres, en guise d’insulte », vient d’Aristophane et de Juvénal. Quant à « L’argent a bonne odeur d’où qu’il vienne », il s’agit d’un mot de l’empereur Vespasien, « qui avait inventé un impôt sur l’urine, en homme honteusement cupide qu’il était ». Ce pourquoi il est nécessaire de « Mordre avec son vote », comme le dit Aristophane dans Les Acharniens. Et comme nos lecteurs seront ravis de le faire, à condition de ne mordre l’un que pour ne pas avaler l’autre…

Guère d’apparence d’ordre en cette somme : ni chronologique, ni par auteur ou par genre originel, à moins de déceler quelques traces d’organisation alphabétique ou thématique. Que ces quatre mille cent cinquante et un adages, ou proverbes et maximes, plus exactement notes de lectures, soient venus du théâtre d’Aristophane et de Plaute, du dialogue philosophique de Lucien ou de Platon (on apprend au passage qu’il existe un « Platon le comique »), des traités d’Aristote et de Cicéron, ou de la poésie d’Homère… Seuls comptent le souci de la variété, de façon à dérider l’ennui et la mélancolie, à stimuler la joie d’apprendre, parmi l’Histoire, la fable, l’ethnologie, la philologie, les sujets moraux et politiques. Brièvement, en un style enlevé (grâce en soit rendue aux traducteurs) il offre des anecdotes, cite dix mille vers, dénonce l’hypocrisie sociale et les perversions de la vie chrétienne, éclaire des controverses et des scandales religieux contemporains, grâce à des parallèles entre paganisme et christianisme, car à partir de 1515 apparaissent des références bibliques. Il s’agit d’une œuvre hybride et ouverte, toujours prête à se multiplier, se gonfler, se disséminer, pour laquelle les index du cinquième tome sont bien précieux. Cependant, au début de chaque centaine ou milliers, de chaque tome, se trouvent des adages d’importance. Au point que leurs commentaires soient de véritables traités (car on ne dit pas encore « essai » avant Montaigne).

L’adage 3001, par exemple, « La guerre parait douce à ceux qui n’en ont pas l’expérience », compte une quinzaine de pages fort abondantes. « Rien n’est plus impie, plus funeste, plus largement destructeur, plus obstinément tenace, plus affreux ni plus complètement indigne de l’homme, pour ne pas parler du chrétien. Or il étonnant de voir aujourd’hui comme on l’engage partout, à la légère, pour n’importe quelle raison, et comme on la fait avec cruauté et barbarie : pas seulement les païens, mais aussi les chrétiens, pas seulement les laïcs, mais aussi les prêtres et les évêques ; pas seulement les jeunes gens sans expérience, mais aussi les vieillards qui en ont fait tant de fois l’expérience ; pas seulement le peuple et la foule mobile par nature, mais en premier lieu les princes, dont le devoir serait de contenir par la sagesse et la raison les mouvements irréfléchis de la sotte multitude. » (tome IV, p 2) Voilà qui reste d’une brûlante actualité, cinq siècles plus après ce sommet d’humanisme politique, digne de côtoyer La Boétie, Montaigne et Thomas More ; voilà qui propose au lecteur maints fils de méditation, sans compter la parfaite somptuosité rhétorique des anaphores, des antithèses et de la période…

Cette édition bilingue, où rien n’est « L’ombre de l’âne » (chose insignifiante), reprenant la dernière de son auteur, en 1536, est autant un trésor de travail des éditeurs et traducteurs, qu’un trésor de divertissement, d’érudition et de sagesse philosophique pour le lecteur. La postface de l’« adagiomaniaque » Jean-Christophe Saladin, « La révolution humaniste », au début du tome V, est aussi claire qu’érudite, non sans humour. Feuillant à loisir ce coffret aux merveilles, voici une ludique manière de renouer avec la culture antique dont Erasme pouvait en son temps avoir connaissance. Il disposait en effet de la plupart des manuscrits médiévaux qui avaient recueilli les auteurs anciens. Quoique l’on estime que 90% des textes aient été perdus, probablement irrémédiablement, méprisés, oubliés, dévastés, brûlés par de trop susceptibles chrétiens puis musulmans… Cela dit, Erasme lui-même, pour avoir osé traduire le Nouveau testament depuis le grec en s’écartant de la Vulgate, ainsi que pour avoir fait la promotions des auteurs païens, fut mis à l’index par la papauté, lors du Concile de Trente en 1559. Ce qui explique qu’après la floraison éditoriale de son siècle, le flux se tarit. Il faut alors remercier Les Belles Lettres de pouvoir nous offrir à vil prix (à moins de préférer l’édition reliée et numérotée à 400 €) cet éléphantesque coffret, autant pour le poids que pour la mémoire…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quant à celui qui ne voudrait pas ouvrir les Adages, sous peine de déciller les yeux de ses préjugés contre les vieilleries savantes, on pourrait lui opposer ce petit dernier : « On persuaderait plus vite un scarabée de changer d’avis », qui vient du Pseudologiste de Lucien…

De la première édition parisienne en 1500 à l'édition de 1536, les Adagia ont connu dix révisions et enrichissements, de 800 à 4151 adages, notamment dans l'atelier d'Alde Manuce en 1508 : c'est cette édition aldine que copia Johann Froben en 1513 et qui lui permit de rencontrer Erasme, et de collaborer avec lui jusqu'à la mort de l'imprimeur en 1527.

Notons d’ailleurs que l’adage 3001 d’Erasme, « Hâte-toi lentement » (tome II), rend hommage à celui qui le choisit pour devise, Aldo Manuzio, francisé en Alde Manuce, son imprimeur vénitien, dont l’emblème s’illustre d’un dauphin enlaçant une ancre : « l’ancre symbolise le temps de la délibération et le dauphin la vitesse de la réalisation » (p 15). L’éloge de l’artisan cultivé est abondant, car il sert ceux « qui aspirent à une érudition vraie et antique, pour la restauration de laquelle cet homme semble né, fait et modelé par le destin même. […] il travaille avec un zèle si fatigable, il n’est aucune tâche qu’il ne refuse pour restaurer notre bagage littéraire intégralement, sans que le texte soit altéré ou corrompu, à l’usage des gens de bien » (p 8). Il « relève la littérature de ses ruines […] il est en train de construire une bibliothèque qui n’a pas de murs, sauf ceux du monde lui-même » (p 9). Notre monde en fait, et pour longtemps espérons-le…

Erasme : Colloques, À l'Enseigne du pot cassé, 1936.

Photo : T. Guinhut.

 

Apparemment moins érudits, mais plus vivants encore, les Colloques sont des dialogues philosophiques et de mœurs, d’abord conçus par Erasme sans intention autre que stimuler ses élèves. Peu à peu ils atteignirent un total de 62 compositions, dépassant le décor des salles de classe pour habiter l’auberge et le carrefour, la chambre de l’accouchée, l’église et le bordel, la halle ou le banquet, soit toute une société discourant dans la lignée des dialogues de Platon, de Lucien,

Tout d’abord, sous des dehors aimables de la conversation à l’adresse des adolescents, ce sont les profondes « Recommandations pédagogiques » et les préceptes de « La Piété de l’enfance » qui sont mis en avant dans les septième et neuvième colloques. Plus loin, en toute logique, « L’Apothéose » enseigne « les honneurs qu’on doit aux hommes d’exception qui ont bien mérité des études libérales ». Ce à quoi répondent « Le Banquet poétique », à la fois festif et studieux et le « Philodoxe » si bien titré.

Toutefois le blâme s’exerce à l’encontre du clergé dans « La Chasse aux bénéfices », à l’encontre de la soldatesque dans « La Confession du soldat ». De même l’alchimie, selon le titre du trente-troisième colloque, et les superstitions, comme dans « Le Fantôme » sont dénoncés en tant que moyens dont usent les escrocs. Il maudit la guerre entre les chrétiens, avec un titre explicite : « Charon » est en effet le passeur des enfers. Il dénigre vigoureusement « La richesse sordide » et « Les Mendiants opulents », affuble un sermonneur ventripotent du sobriquet de « Merdard », flanqué d’un « troupeau d’imbéciles, qui couve de tels bestiaux ».

Quoiqu’à l’époque d’Erasme le divorce soit presqu’impossible, il défend ces dames, stigmatisant dans « La Vierge misogame » (ennemie du mariage), ceux qui attirent captieusement au couvent des garçons et des filles. Dans « « Celle qui se plaint du mariage », ne conseille-t-il pas de corriger les mœurs du mari par l’intelligence et la bonté ? Conseils qui ne devraient pas épargner les maris eux-mêmes. C’est à l’occasion de « L’Adolescent et la putain » que le souci de pudeur et de sollicitude envers celles qui se donnent pour de l’argent est patent. Et si l’on se choque du « nom d’affection » que donne la fille de mauvaise vie à un garçon qu’elle appelle sa « petite quéquette », voici l’adresse de notre humaniste aux pudibonds et autres coincés : « Que celui qu’insupporte ma petite quéquette écrive à ma place ma volupté ou ce qu’il voudra d’autre » !

Toujours, même sous des dehors amusants, voire triviaux, il s’agit de « philosophie éthique ». Autant vaut « apprendre par ce livre, que par l’expérience, maîtresse des cancres », y compris s’il s’agit d’une « Demoiselle érudite ».

Si ces Colloques, dont nous sommes loin d’avoir épuisé les richesses et saveurs piquantes, bénéficièrent de quelques éditions plus ou moins récentes en français, aucune jusque-là n’était bilingue, au latin s’ajoutant quelques mots en grec. De surcroit, tant à l’Imprimerie Nationale qu’au Pot cassé, l’on omettait la finale « Utilité des colloques », soit une douzaine de pages, à la fois déclaration d’intention et résumé. Saluons encore le soin des Belles Lettres à nous proposer de si soigneuses éditions, sans compter qu’en marge les notes indiquent non seulement bien des références, mais également les adages adéquat.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Outre un Essai sur le livre arbitre[4] que Les Belles Lettres pourraient publier de manière là aussi bilingue, une preuve supplémentaire de la dimension humaniste d’Erasme est son essai L’Education du prince chrétien. Ou l’art de gouverner,[5] dont on a dit abusivement qu’il s’agissait d’un anti-Machiavel, car ce dernier, quoique rusé, visait à la vertu. Erasme s’adressait au jeune Charles Quint, auquel il conseillait de gouverner dans l'intérêt de tous et de s'affranchir des désastreuses idéologies de conquête et d'honneur qui n'ont  apporté que ruine européenne. Plutôt que de pratiquer l’art désastreux de la guerre, la Prince doit savoir l’éviter et consacrer toute son énergie aux arts de la paix, ainsi qu’il en fait un plaidoyer dans un essai[6]. Combien, de la Russie à la Chine, de la bande de Gaza aux pays islamistes, nos princes et tyrans d’aujourd’hui devraient méditer de tels préceptes…

Reprenons à cet égard l’incipit de l’« Utilité des colloques » : « La calomnie, compagne des Furies, rôde aujourd’hui à ce point contre tous et partout que nul ne peut publier de livre en sécurité s’il n’est pourvu de gardes du corps, et encore, qui peut être assez en sécurité face à la morsure de sycophantes bouchant, tels l’aspic à la voix du charmeur de serpent, leurs oreilles à toutes sortes de justification, fût-elle la plus fondée ? » Si Erasme au début du XVI° siècle faisait allusion à un clergé ayant pour profession de pourchasser les hérétiques et de mettre leurs œuvres à l’index, voire à quelque prince sourcilleux, il ne pourrait cinq siècles plus tard que reprendre ces mêmes mots à l’égard de maints propagateurs de doxas idéologiques et autres saints homicides commis par une religion conquérante…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Dictionnaire des auteurs, Laffont-Bompiani, 1957, II, p 471.

[2] Erasme : Eloge de la folie, illustré par les peintres de la renaissance du nord, Diane de Selliers, 2018.

[3]  Adage 1001, Tome II, p 11.

[4] Erasme : Essai sur le libre arbitre, Robert et René Chaix, Alger, 1945.

[5] Erasme : L’Education du prince chrétien. Ou l’art de gouverner, Les Belles Lettres, 2016.

[6] Erasme : Plaidoyer pour la paix, Arléa, 2004.

 

Erasme : Adages, Les Belles Lettres. Photo : T. Guinhut.

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24 septembre 2024 2 24 /09 /septembre /2024 11:55

 

Orazio Gentileschi : Diane chasseresse, 1631, Musée des arts, Nantes, Loire-Atlantique.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Ce que la philosophie doit aux Femmes :

De Gilles Ménage

à Laurence Devillairs & Laurence Hansen-Løve,

jusqu’à Maria Zambrano.

 

 

Gilles Ménage : Histoire des femmes philosophes,

traduit du latin par Manuella Vaney, Arléa, 2021, 128 p, 8 €.

 

Laurence Devillard et Laurence Hansen-Løve :

Ce que la philosophie doit aux femmes,

Robert Laffont, 2024, 496 p, 22,50 €.

 

Maria Zambrano : Philosophie et poésie,

traduit de l’espagnol par Jacques Ancet, Corti, 2024, 128 p, 18 €.

 

 

Platon, Aristote, Thomas d’Aquin, Friedrich Nietzsche, Foucault, Peter Sloterdijk… Tous philosophes, ils n’en sont pas moins hommes. La sphère de la philosophie ne serait-elle le fait que de Messieurs ? Alors que - faut-il le rappeler ? - il n’est en rien interdit de philosopher au féminin, ce dont témoignèrent l’Antiquité et la mise au point de Gilles Ménage, il y a de cela trois siècles. Si occidentalocentrée elle est, alors combien est-elle phallocentrée ! L’histoire de la philosophie comptant pourtant nettement plus de femmes qu’attendu. Il n’est jamais trop tard, sans vouloir céder à une mode idéologique, comme lorsque les compositrices doivent certes retrouver une place centrale dans l’Histoire de la musique mais sont exhibées au service d’une démarche revancharde, de considérer « ce que la philosophie doit aux femmes », pour reprendre le titre de Laurence Devillairs et Laurence Hansen-Løve. Démarche fort judicieuse qu’il ne faudrait pas confondre avec un militantisme contre-productif. Car la philosophie, en dépit d’un Schopenhauer qui arguait d’un « sexe laid » et des « limites de leur intelligence[1] », n’est et ne doit être ni masculine ni féminine, mais humaniste. Malgré l’indéniable richesse d’un tel rachat de nos penseurs au féminin, nos deux maîtresses d’œuvre n’ont-elles pas oublié Ayn Rand et Maria Zambrano ?

Faut-il cependant rappeler que l’Antiquité et le Moyen-Âge n’étaient pas le bouge du patriarcat, mais une ère où ces dames pouvaient penser. C’est au XVII° siècle, soit en 1690, que l’humaniste Gilles Ménage écrit en latin son Histoire des femmes philosophes, précieux recueil d’ailleurs dédiée à Madame Dacier, éminente traductrice d’Homère. Songeons qu’Aspasie de Milet, « maîtresse d’éloquence », « enseigna la rhétorique à Périclès et à Socrate, et à ce dernier la philosophie », rien de moins ! Elle avait de plus une « habile connaissance de la politique » selon Plutarque. Que Diotime est l’inspiratrice de Socrate dans Le Banquet. Que Sainte Catherine d’Alexandrie était « savante dans les lettres sacrées et profanes ». Il y eut des « platoniciennes », dont Hypathie d’Alexandrie qui « succéda à Plotin » et fut assassinée par la jalousie de Chrétiens particulièrement inattentifs au message du Christ ; elle écrivit un Commentaire sur Diophante, des « règles d’astronomie et un traité sur les Coniques d’Apollon ». Mais aussi des « académiciennes », des « dialecticiennes », des « stoïciennes », des « cyniques », des « pythagoriciennes », comme Théone, qui embrasa d’amour Pythagore lui-même ! Hélas l’on sait la philosophie orale et la mortalité des papyrus ne nous permirent guère de conserver tous les talents de ces dames.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De nouveaux Gilles Ménage ne ménagent pas leur peine pour ériger une nouvelle et plus contemporaine Histoire des femmes philosophes. Qui ferait la part belle à Simone Weil, la philosophe de L’Enracinement et de l’Etude pour une déclaration des obligations envers l’être humain, dans laquelle « l’univers mental de l’homme » est habité par l’« exigence d’un bien absolu ». Il faut d’elle méditer cette judicieuse pensée : « Parmi les inégalités de fait, le respect ne peut être égal envers tous que s’il porte sur quelque chose d’identique en tous[2] ».

Vient donc à point Ce que la philosophie doit aux femmes, sous la direction de Laurence Devillairs et Laurence Hansen-Løve, magistral volume, avec le concours d’une douzaine de leurs consœurs. Elles n’oublient pas de faire allusion à Gilles Ménage, d’aller chercher « les pionnières », elles ne confondent pas « philosophe » et « féministe », ni n’auraient l’incongruité de penser d’une manière essentialiste qu’une « nature féminine » singulariserait la pensée de celles « qui ne se présentent pas en victimes ». Elles savent penser le pouvoir et la liberté, le mal et la justice, l’utopie et la vérité...

A-t-on depuis Gilles Ménage amélioré notre connaissance des dames savantes de l’Antiquité, malgré tant de textes perdus ? L’on sait que les écoles philosophiques accueillaient les femmes, que Platon faisait de Diotime de Mantinée son égérie intellectuelle à la fin du Banquet, quoiqu’elle fût peut-être fictionnelle. Grâce en particulier à des recherches anglo-saxonnes, Mary Ellen Whaite[3] ou Dorothy Rogers[4], l’on découvre bien d’autres épicuriennes, pythagoriciennes, platoniciennes, etc. Outre Diotime, Hipparchie de Maronnée voit ici sa « volonté de savoir » réhabilitée. Et si ces dames ne semblent guère dévier de la pensée en cours à leur époque, quelques traités sont plus spécifiques, tels ceux de Phyntis de Sparte ou Périctioné, dont on retient Sur l’harmonie des femmes.

Ailleurs, bien loin de la Grèce, ce sont Maitreyi en Inde, ou encore Ban Zhao en Chine, qui disserte des mœurs confucéennes, de la vertu féminine comme « centre de la vie politique ».

Cependant, il y a bien pendant l’ère médiévale une « Cité des dames », pour reprendre le titre de Christine de Pizan[5]. Ce que montre la savante mystique Hildegarde de Bingen, sans compter Catherine de Sienne et Thérèse d’Avila qui ne se contentèrent pas de visions divines, mais furent comptables de bien des avancées conceptuelles, d’une étude de l’être humain, « articulée autour des relations entre sensibilité et intellect, charnel et spirituel, désir et transcendance, bonheur et volonté ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Et quoique la Renaissance et l’âge classique soient marqués par le sexisme de Fénelon dans son traité de l’éducation des filles, quoique Molière se moque en ses Femmes savantes, il est impératif de penser à Marie de Gournay qui ne fut pas que l’éditrice des derniers Essais de Montaigne ; mais, sachant vivre de sa plume, elle publia en 1622 une Egalité des hommes et des femmes, dans laquelle elle répond à La Servitude volontaire de La Boétie, qui fut le jeune ami de Montaigne. Ou encore à Gabrielle Suchon qui en 1693 publia rien moins qu’un Traité de la morale et de la politique, dans lequel elle dénonce la fiction de l’incapacité de gouverner attribuée aux femmes. Plus largement, elle prétendit à  une utopie : vivre sans emprise ni sujétion…

Ambivalent fut le siècle des Lumières, tant un Rousseau confina dans l’ignorance la Sophie de son Emile. Mais c’est oublier Emilie du Chatelet, qui ne fut pas que l’amante de Voltaire, mais la traductrice de Newton, faisant la preuve de la théorie cinétique de Leibniz, critiquant avec pertinence Locke… Il faut cependant attendre la fin de ce même siècle pour voir émerger la malheureuse Olympes de Gouges, qui fut guillotinée par la Terreur, dont on retient la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ; également Mary Wollstonecraft (la mère de Mary Shelley) qui s’attachait à défendre les droits de la femme. Le siècle de la révolution industrielle fut celui d’un difficile affranchissement, auquel contribuèrent Germaine de Staël, Harriet Taylor Mill. Elles peuvent être des révoltées politiques, comme Flora Tristan, Louise Michel et Rosa Luxembourg, quoique la Commune et le socialisme révolutionnaire ne soient pas des voies de liberté. Car elles peuvent aussi se tromper, au même acabit que leurs homologues masculins, tant ensuite la libératrice russe des mœurs sexuelles, Alexandra Kollontaï n’abjura pas le communisme dont elle fut pourtant victime, tant la Simone de Beauvoir du Deuxième sexe se soumettait le plus volontairement du monde avec son cher Jean-Paul Sartre à l’idéologie communiste. 

Prodigue fut le XX° siècle. Entre « l’étonnement philosophique » de Jeanne Hersch et « les besoins de l’âme pour Simone Weil. Mais surtout, au plus haut sommet, notre chère Hannah Arendt[6], grande dame philosophale, dont les écrits sur les totalitarismes sont indépassables, qui sut rendre compte du procès Eichman[7], qui sut assumer « responsabilité et jugement », et savait que « le vent de la pensée peut empêcher des catastrophes[8] ».

 

En notre période contemporaine pullulent nos philosophes. Les auteures de Ce que la philosophie doit aux femmes proposent des recensions généreuses, qui ont le mérite d’en montrer la richesse et la diversité, quoique l’on sache combien il est difficile de porter un jugement avisé sur les qualités du présent – l’auteur de ces modestes lignes n’échappant pas à la fatuité de l’exercice – au risque de ne pas voir, d’oublier, d’occulter ; de survaloriser également. Ce ne sont pas moins de trois vastes chapitres – soit la moitié de l’ouvrage – qui sont consacrés à nos contemporaines. Est-ce trop se glorifier de notre temps ?  Certes la démocratisation de l’enseignement, les progrès des mœurs permettent de propulser les talents. Il faut admettre avec bonheur que cette abondance ouvre des portes de recherche stimulantes.

La corporéité féminine est l’objet de toutes les attentions. Catherine Malabrou consacre son intelligence aux dimensions du vécu, du performé, de la plastique. Camille Froidevaux-Metterie examine un corps, qui, génitalisé, voit ainsi ses potentialités réduites. L’on ne perd pas de vue la grande théoricienne du genre, Judith Butler[9], la naissance  de l’écoféminisme avec Françoise d’Eaubonne, « la crise écologique de la raison » et « la sorcière philosophe » de Starhawk, même si c’est peut-être confondre irrationnalité et philosophie. Heureusement, alors que l’hypothèse Gaïa s’empare de nombre de pensées (dont celle d’Isabelle Stengers) une Catherine Larrère enjoint de « ne pas céder au catastrophisme ».

Par ailleurs, selon peut-être une nécessité – voire un cliché – maternelle, l’éthique sociale et politique devient celle du prendre soin (ce que l’on appelle en anglais le « care »). Ainsi « répondre à la vulnérabilité, promouvoir la liberté réelle », sont l’objet de l’attention de Martha Nussbaum. Hélas une Nancy Fraser associe « travail de care » et anticapitalisme. Sait-on combien le capitalisme libéral et la généralisation des machines ont contribué à l’émancipation féminine ?

De toute évidence – à moins qu’il s’agisse plus d’actualité que de philosophie – il faut penser le monde après #Metoo. Le viol, très majoritaire masculin, doit être analysé sous tous ses aspects, y compris celui du pouvoir structurel. À cet égard émerge la voie précieuse de Geneviève Fraisse, sans cependant tomber dans un « féminisme dogmatique ». Le consentement étant bien entendu une loi éthique, la « propriété de soi » un indépassable. Les femmes d’Iran et d’ailleurs, que le voile encercle, ampute et abrutit, ne sont-elles pas digne d’une cause universelle ?

Ce que la philosophie doit aux femmes ? Mais un monde insoupçonné, que nous révèle en sa profusion le volume concocté avec scrupule et patience par Laurence Devillairs et Laurence Hansen-Løve…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Certes, personne n’a le pouvoir d’être exhaustif. Et l’on sait que, selon l’adage, la critique est facile et l’art est difficile. Mais n’aurait-on pas oublié Ayn Rand ? Outre ses grands romans, dont Atlas Shrugged – traduit sous le titre français La Grève[10] – qui mérite bien sa qualité de roman philosophique, son essai au titre en forme d’oxymore, La Vertu d’égoïsme, paru aux Etats-Unis en 1964, mérite que l’on s’y arrête. En son tropisme libéral, y compris économique, elle récuse le collectivisme, le vice de l’altruisme et de la solidarité obligatoire, arguant que chacun se doit d’abord à soi-même, et que de surcroit c’est ainsi que la société peut bénéficier des progrès et de la prospérité, en cohérence avec le principe de la « main invisible » d’Adam Smith : « L'éthique objectiviste considère que ce qui est bon pour l'homme ne nécessite pas de sacrifices humains et ne peut être accompli par le sacrifice des uns en faveur des autres. (...) Elle considère que les intérêts rationnels des hommes ne se contredisent pas, et qu'il ne peut y avoir de conflits d'intérêts entre des hommes qui ne désirent pas ce qu'ils ne méritent pas, qui ne font ni n'acceptent de sacrifices et qui traitent les uns avec les autres sur la base d'un échange librement consenti, donnant valeur pour valeur[11]. » En conséquence il n’existe pas de droit à asservir quiconque, y compris au profit de l’Etat.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De même il est nécessaire de faire une place à une dame également libérale, dont les éditions Corti viennent de remettre au jour le bel essai Philosophie et poésie. L’Espagnole Maria Zambrano (1904-1991) fut d’abord la disciple d’Ortega y Gasset, libéral résolu, ce dont témoigne son Horizon du libéralisme[12], paru en 1930, avant que ses convictions évidement antifranquistes la conduisent à l’exil en Amérique du Sud et en Europe, entre 1939 et 1982. Celle qui reçut le Prix Cervantès pour l’ensemble de son œuvre en 1988 brilla parmi les pages de L’Homme et le divin[13], à moins que l’on puisse penser que Philosophie et poésie soit, malgré sa brièveté, son opus magnum.

Depuis la Grèce antique, Platon et Aristote, ce sont deux versants : « Aujourd’hui poésie et pensée nous apparaissent comme deux formes insuffisantes, nous semblent être deux moitiés de l’homme : le philosophe et le poète. L’homme entier n’est pas dans la philosophie ; la totalité de l’humain n’est pas dans la poésie ». Il s’agit alors de réconcilier et transcender ce qui n’est pas en soi une opposition, au contraire des esprits chagrins. Car les poètes n’ont jamais gouverné une république ; même si l’on peut objecter que la poésie ne protège pas de l’aveuglement politique, ce dont témoigne le communisme d’Aragon ou de Neruda, ce dernier étant comptable du Prix Staline de la Paix !

Lorsqu’elle énonce que « la philosophie est une extase qu'un déchirement fait échouer », elle postule une violence nécessaire au sein de la réflexion philosophique face au monde. Lorsque nous sommes face à « une justice qui n’est que violence […] la parole de la poésie est irrationnelle, parce qu’elle détruit cette violence ». Quand le poète – qui sait « ce que le philosophe a ignoré : qu’il est impossible de se posséder soi-même » – demeure dans l’étonnement face aux événements de la vie, le philosophe doit se faire violence pour émerger de cet étonnement, de façon à appréhender le réel. Aussi faut-il, pour dépasser la dichotomie entre logos et pathos, tenter une expérience qu’elle appelle « raison poétique », car la poésie, en subissant « le martyre de la lucidité, s’approche de la raison ». Est-ce en quelque sorte, à l’instar de Lucrèce, imaginer un poème philosophique ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En vertu de sa nature féminine, et en son scrupuleux prologue, María Zambrano qualifie d’« utopique » l’écriture de ce livre, comme l’est chez elle la vocation philosophique : « J’entends par Utopie la beauté irrésistible, et aussi l’épée d’un ange qui nous pousse vers ce que nous savons impossible, comme l’auteur de ces lignes a toujours su qu’elle ne pourrait jamais faire de Philosophie, et pas seulement parce qu’elle est une femme. » L’on constate ainsi que la prose de Maria Zambrano, à la faveur de son érudition ne perd rien de sa limpidité, et que cette dernière est une penseuse rare et précieuse…

Reste que la « poésie de la pensée », pour reprendre le titre de George Steiner, qui engage en quelque sorte un dialogue complice avec celui de Maria Zembrano, est celle qui innerve secrètement toute prose philosophique. Et quoique Platon n’aimât guère les poètes, « non moins que la poésie au sens catégorique, la philosophie a sa musique, sa pulsation tragique, ses transports, et même, bien que rarement son rire[14] ».

Le mouvement de mondialisation et de féminisation philosophiques est bien parti pour durer, du moins espérons-le, dans le cadre de démocraties libérales préservées. Si l’époque contemporaine a peu de femmes philosophes d’immense envergure, hors la sommitale Hannah Arendt, s’engage, au travers d’un bouillonnement de voix, une course à la judicieuse prétention d’être femme et philosophe, alors qu’il suffit d’être simplement humain, prétention qui ne manque pas de moyens entre Rosi Braidotti et son The Posthuman[15], ou L’Âge du capitalisme de surveillance sous le clavier de Shoshana Zuboff[16]. Prenons garde cependant que les préoccupations du temps, voire ses conjugaisons opportunistes, démagogiques et idéologiques, comme un radicalisme féminisme, le décolonialisme, ou ce que l’on appelle la crise climatique, ne donnent lieu à des livres que le recul décapera de leur opportuniste actualité pour laisser voir que le roi et la reine philosophiques sont parfois nus…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et  de photographie


[1] Arthur Schopenhauer : Essai sur les femmes, Parerga et paralipomena, Bouquins, Robert Laffont, 2020, p 1063.  

[2] Simone Weil : Etude pour une déclaration des obligations envers l’être humain, Folio Sagesse, 2021, p 82.

[3] Mary Ellen Whaite : A History of Women Philosophers, University of Minnesota, 1992.

[4] Dorothy Rodgers : Women Philosophers. Education and Activisme in Nineteenth- Century in America, Bloomsbury Academic, 2020.  

[8] Hannah Arendt : Responsabilité et jugement, Rivages, 2009.

[11] Ayn Rand : La Vertu d’égoïsme, Le Belles Lettres, 2008.

[12] Maria Zambrano : Horizonte del libéralismo, Alianza editorial, 2022.

[13] Maria Zambrano : L’Homme et le divin, Corti, 2006.

[14] George Steiner : Poésie de la pensée, Gallimard, 2011, p 17.

[15] Rosi Braidotti : The Posthuman, Polity, 2013.

[16] Voir : Surveillances étatiques et entrepreneuriales ou Le Citoyen de verre

 

Orazio Gentileschi : Loth et ses filles, 1628, Museo de Bellas Artes, Bilbao, Euskadi.

Photo : T. Guinhut.

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27 juillet 2024 6 27 /07 /juillet /2024 16:04

 

Pintor veneto : Doce sibilas. Dioses y Héroes del Barocco venetiano,

Fundación Barrié, A Coruña, Galicia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Fabrique du sexe et fabrique du genre

ou les avatars du féminisme.

Suivi par la haine du pénis et l’effacement des mères.

Thomas Laqueur, Judith Butler, Dr Kopte,

Marcela Iacub, Eve Vaguerlant.

 

 

Thomas Laqueur : La Fabrique du sexe,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Michel Gautier,

Folio, 2023, 576 p, 9,95 €.

 

Judith Butler : Trouble dans le genre,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Cynthia Kraus,

La Découverte, 2005, 288 p, 13 €.

 

Dr Kopte : Pubère la vie. À l’école des genres,

Editions du Détour, 2023, 320 p, 20, 90 €.

 

Marcela Iacub : Penis horribilis, Fayard, 2023, 144 p, 16 €.

 

Eve Vaguerlant : L’Effacement des mères,

L’Artilleur, 2024, 192 p, 18 €.

 

 

 

Né lors de la Genèse, d’Adam et d’Eve qui est la chair de sa chair, ou plus exactement des hasards et des déterminismes de la seule nature, le sexe est dualité anatomique, que l’on a longtemps pensé irréductible, hors quelques très rares cas d’hermaphrodisme. Mais au cours du XX° siècle, au-delà du genre grammatical, lui arbitraire, l’on s’est mis à penser le genre au sens culturel, moral, affectif, social… Assurant que les vertus et les rôles ne sont plus réductibles au sexe, que racines biologiques et racines psychologiques et culturelles peuvent ne pas coïncider. Ainsi lirons-nous les initiateurs, les détracteurs et les thuriféraires de la pensée du genre. Progrès des mœurs et des libertés, nécessité psychophysiologique, soin humanitaire ? Ou narcissisme exigeant, délire idéologique, endoctrinement, voire pulsion de grégaire pouvoir ? Les conséquences d’un tel bouleversement historique du féminisme genré, haine du pénis, effacement des mères, vont-elles dans le sens des libertés ou de nouvelles tyrannies ?

Pour poser les bases de notre réflexion, consultons l’essai de Thomas Laqueur. Making sex : body and gender, from the greeks to Freud fut publié en 1990 aux États-Unis. Traduit, l’ouvrage devint en 1992 La fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident. Notre historien se livre, depuis l’Antiquité, en particulier gréco-romaine avec Galien, à une enquête documentée, ce qu’atteste un liminaire cahier d’illustrations, mais, sans faute, sous le patronage de l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault[1].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En cette histoire du sexe, le « modèle unisexe », dominant depuis l’Antiquité et jusqu'au XVIII° siècle, prétend voir le vagin comme pénis inversé, l’utérus comme scrotum, les ovaires comme testicules, ce en négligeant les différences. Les organes féminins sont intérieurs alors que ceux masculins sont extérieurs, les premiers en une occurrence plus imparfaite. Ce qui n’est pas sans refléter le genre social admis pour chacun des sexes, pensé comme naturel. Mais cet a priori, dans lequel le « genre était fondateur quand le sexe n’en était que la représentation », s’est vu battu en brèche par la science anatomique des Lumières : « l’on cessa de prendre les ovaires pour des testicules femelles », rendant de cette façon compte de la différence sexuelle irréductible. Lui succéda donc un modèle à « deux sexes », au moment où « le sexe tel que nous le connaissons devint fondateur, le genre social n’en étant plus que l’expression ». Ainsi notre essayiste constate que le sexe est aussi culturel que le genre. « Des sciences que nous tenons aujourd’hui pour douteuses », y compris en s’appuyant sur la sélection naturelle de Darwin, corroboraient « la politique culturelle de la fécondité cyclique ». En effet, « Pendant le plus clair du XVIIe siècle, être homme ou femme c'est tenir un rang social, assumer un rôle culturel, et non être organiquement de l'un ou l'autre sexe. Le sexe était encore une catégorie sociologique, non pas ontologique. » Ensuite, à partir de l’ère des Lumières, le vocabulaire de l'anatomie génitale se précisant, la différence sexuelle impose une vision selon laquelle la femme est l'opposée de l'homme avec des organes, des fonctions et des sentiments irréductiblement différents. Ce qui permet de penser de manière naturaliste l'organisation rationnelle de la société du XIX° siècle. Jusqu’à ce que Freud prétende à une version moderne de la théorie du sexe unique, niant les formes biologiques pour arguer qu'une fille devenue femme voit le plaisir sexuel se déplacer du clitoris au vagin, conception d’ailleurs bien datée et justement ridiculisée. La culture religieuse, sociale, dicte un usage du corps féminin, bien entendu tourné vers la maternité. Comme le prétend Freud, Thomas Laqueur admet que le destin est l'anatomie, mais sans comme son prédécesseur ordonner une « sexualité correcte », quand le sexe est un artifice. Car « les deux sexes ne sont pas une conséquence naturelle et nécessaire de la différence corporelle ».

La fabrique sociale règle l’exercice de la reproduction ; lorsque faire naître, et faire être, sont des valeurs fondamentales. En ce sens le contrôle de la descendance surpasse l’érotisation du désir, afin de vaincre la mort individuelle et contrôler l’existence privée et publique. La conception du monde s’en trouve ordonnée par le masculin et le féminin, définissant ainsi les situations sociales, les rôles attribués aux  deux genres : «  Ce que l’on peut vouloir dire sur le sexe… contient déjà une affirmation sur le genre ». Il n’y a pas, d’un côté, de la nature, et, de l’autre, de la culture, mais une production conjointe : la différence sexuelle reçoit un contenu à travers les représentations, les symbolisations, les rhétoriques ». Le sexe devient une création sociale, un jeu de pouvoir, d’inégalité, de hiérarchie et de subordination, le tout s’inscrivant dans une anthropologie, tout ce dont Thomas Laqueur se fait l’historien perspicace.

Ainsi la fabrique du sexe s’entend comme une histoire intellectuelle. Le revers de la médaille étant, à l’occasion de la Révolution française, « la création d’une nouvelle sphère publique, exclusivement masculine, d’où leur essence corporelle même excluait les femmes ». Cependant le développement de la médecine permit plus récemment les progrès de la connaissance anatomique et de la physiologie de la reproduction, puis de sa maîtrise grâce à la contraception. Ce qui, associé à la montée du féminisme, permit enfin de nouvelles libertés, sociales et sexuelles à celles qui sont humainement nos semblables…

Thomas Laqueur nourrit son ouvrage d’anecdotes, par exemple pour illustrer l’idée ancienne selon laquelle l’orgasme féminin était indispensable à la conception, en contant l’histoire d’une beauté paraissant morte, ainsi insensible, qu’un chevalier ne put s’empêcher de déflorer : plus tard éveillée, enceinte, elle trouva en son nécrophile galant l’époux qu’il lui fallait ! Il étudie également la gestion des pratiques, comme en examinant la répression du « vice solitaire », soit la masturbation, au cours des XVIII° et XIX° siècles. Le tout appuyé par une érudition impressionnante, qui va de Plutarque à Wagner, de Galien à Foucault, comme il se doit…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aujourd’hui cependant, loin d’un discours dominant sur le sexe, une pluralité de vécus et de discours permet au genre de s’affirmer, de se fragmenter, de s’étoiler, comme autant de rhizomes deleuziens. C’est là que prend place l’essai fondateur, quoique controversé, de Judith Butler, Trouble dans le genre, initialement publié aux Etats-Unis en 1990. Le féminisme n’obéit plus lui-même à une identité stable, se départit des injonctions normatives, préfère à l’hétérosexualité obligatoire une contre-culture queer[2]. À nos vies troublées et troublantes répond ce Trouble dans le genre.

De la biologie à l’homosexualité et au lesbianisme, des écrivains Kafka et Bataille au philosophe Nietzsche, de la mélancolie à la psychanalyse – plutôt Lacan que Freud – jusqu’au structuralisme, sans oublier Foucault, Simone de Beauvoir et Luce Irigaray,  puis des dames aux talents avant-gardistes comme Julia Kristeva et Monique Wittig, quoiqu’elles soient parfois absconses, et dans le prolongement de la déconstruction derridienne[3], l’essai de Judith Butler balaie autant le corps charnel et sensoriel que le corps politique, au-delà d’un présupposé patriarcal et d’une langue phallocentrique.

Il est rapidement évident que notre essayiste remet en question « l’ordre obligatoire du sexe/genre/désir » et « la prohibition en tant que pouvoir », qu’elle interroge le langage, ses pouvoirs et ses stratégies, qu’au-delà du binaire l’identité s’en trouve bouleversée, que la discontinuité sexuelle – telle celle d’Herculine Barbin[4], femme puis homme – glisse vers autant vers la «  désintégration corporelle » et le « sexe fictif », que vers des « subversions performatives ». Tentant de penser une politique féministe qui ne soit pas fondée sur une identité féminine préconçue, la conclusion de Judith Butler reste ouverte, en se demandant « comment déstabiliser les prémisses de la politique identitaire et en restituer la dimension fantasmatique ? »

Il n’en reste pas moins que notre judicieuse Judith Butler n’est pas aussi dogmatique que certains de ses thuriféraires pourraient le laisser croire : « Il incomberait aux féministes d’explorer les prétentions totalisantes d’une économie masculiniste de la signification, mais aussi de rester critiques vis-à-vis des gestes totalisant du féminisme ».

De toute évidence, Judith Butler ne peut être confondue avec l’extrême radicalisme d’une Valérie Solanas, dont le SCUM Manifesto[5] prétendait en 1967 prôner la castration des hommes, quoiqu’il faille plutôt tenir compte de la dimension violente et parodique de la chose et de sa propension à promouvoir les relations entre femmes indépendantes ainsi que le refus des relations sexuelles. En revanche il faut constater que Judith Butler se montre complice d’un autre radicalisme, celui du terrorisme islamiste, puisqu’elle soutient le Hamas de la bande de Gaza, qualifiant l’attaque meurtrière du 7 octobre 2023 contre Israël, comme « un acte de résistance armée » !

 

Iglesia de Sante Pedro y Santa Maria, Olite, Navarra.

Photo : T. Guinhut.

 

Faut-il aller jusqu’à la transsexualité ? Si l’on se fie à la liberté de l’individu, du moins majeur, pourquoi pas. Si la disphorie de genre, soit le sentiment d’inconfort grave face au sexe assigné par la nature, entraîne une souffrance clinique, il peut être bon, lorsque la science le permet, de corriger les erreurs naturelles, comme l’on corrige une maladie génétique. Mais pas sans avoir conscience que le changement de sexe ne fait pas du sexe nouveau une anatomie entièrement opérationnelle, que l’espérance de vie en est peut être affectée, que l’on risque de regretter un choix sans retour… Mais pas sans se prémunir d’un militantisme persuasif qui veut s’assurer un pouvoir grégaire en s’agrégeant des adeptes, en particulier des adolescents fragiles et influençables. Là encore la geste du genre, ici le transgenrisme, peut être fort politique.

Hélas la réalité du terrain ne laisse guère de place aux libertés genrées. Si l’on ouvre le livre du Dr Kopte, Pubère la vie, dont les chapitres parcourent l’école, le lycée, les centres de formation d’apprentis, l’on s’aperçoit que le sexisme machiste le plus vulgaire et le plus virulent est monnaie courante. Pour arriver à un tel diagnostic, le Dr Kpote, « animateur de prévention en milieu scolaire », a rencontré des milliers d’adolescents. Leurs provocations, leur agressivité, leurs tabous, clichés, ignorances, injonctions patriarcales voire religieuses, sont effarants. Entre insultes, viols en tournantes, vidéos volées sans le consentement de la victime, la coupe est pleine : « Combien de porcs seront réellement condamnées ? Quels moyens vont-être réellement déployés pour combattre le sexisme ? », s’interroge l’auteur de ce reportage réaliste, édifiant. Fort heureusement, de loin en loin, des perspectives féministes, des tolérances plutôt que des « LGBTphobies », pointent leurs lueurs d’espoir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si l’on suit les observations de l’ouvrage du Docteur Kpote, le pénis peut-être un moteur dangereux. Quoiqu’il ne faille pas aller jusqu’à pousser de généralisateurs cris d’orfraie pour dénoncer ce Penis horribilis qui fait le titre de Marcela Iacub. Car paradoxalement la liberté féministe a pu accoucher d’un monstre, soit la criminalisation de la sexualité.

Elle n’y va pas avec le dos de la cuillère, notre polémiste : selon elle, les conquêtes féministes n’ont conduit les femmes qu’à un « statut de demi-esclave ». Elles sont victimes, ils sont agresseurs, d’où le devoir de se venger, y compris pour le crime ancestral de patriarcat, dont les descendants ne sont pas pardonnés au bout de sept générations, à la semblance d’un décolonialisme revanchard et ivre de pouvoir à conquérir, de répression à voluptueusement exercer.

Avec le mouvement #MeTwo, né en 2017, les sempiternelles agressions sexuelles allaient pouvoir être dénoncées, condamnées. Fort bien. Mais au risque d’en faire un mouvement de prévention contre la sexualité. Une « culture du viol » serait systémique, d’où ce pénis « horribilis » ; et ne parlons pas du phallus ! Les « prédateurs-nés » se voient-ils menacés d’une « croisade antisexuelle » ? Leur pulsion sexuelle maligne leur vaut d’être placés sous le joug d’une « nouvelle architecture des sanctions pénales ». Ainsi nombre d’actes qui relevaient jusqu’alors de l’agression sexuelle sont bientôt qualifiés comme des viols. Ainsi Marcela Iacub se scandalise de l’arbitraire fluctuant des âges légaux et illégaux, de l’élargissement des actes prohibés et du durcissement des peines. Progrès en faveur des victimes ? Abus du pénal ? Faut-il suivre complètement la polémiste dans sa diatribe…

 Une « censure féministe » vient éradiquer la voix du mal pensant et de la non conventionnelle. Voici notre polémiste nous mettant en garde : « après avoir transformé les femmes en purs objets de désir, au lieu de les sortir de cette triste prison, la révolution #MeTwo cherche à s’attaquer d’une manière frontale à la sexualité des mâles qui jouissent du privilège d’être les sujets de leur propre désir ». Et même si ce constant ne concerne qu’une frange de ce néoféminisme, fort de ses activistes et fer de lance militant, bruyante et comminatoire, elle bénéficie d’un pouvoir de persuasion grégaire, usant d’un dangereux virage antihumaniste au service d’une oppression déjà bien plus qu’en gestation.

L’on ne s’étonne alors pas que la vie de couple va en se délitant, en diminuant spectaculairement, au profit des vies en solo, y compris à l’encontre des mères divorcées, abandonnées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Lorsque Marcela Iacub, dont on connait Le Crime était presque sexuel[6], glose sur « les métamorphoses de la paternité », sur « le pouvoir d’avorter qui fait la mère », lorsqu’elle compatit à l’égard de ces femmes que leurs maternités conduisent à un taux d’emploi bien moins élevé que celui des hommes, elle anticipe en quelque sorte sur L’Effacement des mères d’Eve Vaguerlant. Cette dernière, mère et enseignante, constate qu’un féminisme dénaturé conduit à « la haine de la maternité ».

Or les femmes ne font-elles pas de moins en moins d’enfants, du moins celles occidentales et d’Extrême Orient ? Un féminisme libérateur, et bien évidemment la contraception, ont permis de ne plus dépendre du père ou du mari et de ne plus être chargée d’une flopée de momignards. Mais l’excès du genrisme conduit à mettre en doute la différence sexuelle, voire à rejeter la conception, la reproduction ; sans compter par ailleurs que l’argument fallacieux du réchauffement climatique d’origine anthropique autorise d’aucunes et d’aucuns à diaboliser la maternité. « la mode de la stérilisation », le sacre de l’avortement – quoiqu’il faille en assurer la liberté, alors que la responsabilisation et la contraception ne jouent guère le rôle qu’elles devraient avoir – la dépréciation féministe des femmes qui préfèrent s’occuper de leurs chers enfants plutôt que combattre une souvent prétendue inégalité salariale, tout cela contribue à l’absence de l’enfant, à la perte de sens de l’humanité. Des réformes comme le congé parental pour les pères, aux dépens de celui des mères, « au nom de la déconstruction de préjugés sociaux », se montrent contre-productives. A contrario l’auteure plaide en faveur d’une politique nataliste, d’allocations universelles, d’accueil des jeunes mères, y compris dans les universités.

Certes il est loisible de regretter d’être mère, car cette condition peut opérer aux dépens de l’épanouissement personnel ; ce qui avouons-le, menace un peu moins les hommes. Cependant, non, la féminité n’est pas un ressenti, mais une réalité biologique, chromosomique et d’ADN, soit la nécessité d’enfantement, quoique là encore elle relève de la liberté individuelle. Au-delà d’un hédonisme qui est la conquête de la modernité, ne perdons pas le sens de la transmission et de l’éducation, par le don d’un enfant. Sinon, « l’homme moderne se retrouve dans une forme d’anomie, face à un vide qu’il  ne peut combler de ses propres forces ». Avec bon sens, Eve Vaguerlant introduit en son indispensable essai une dimension métaphysique.

Les descendantes de Simone de Beauvoir, qui, en 1949, prétendait « on ne nait pas femme, on le devient[7] », ont certainement gagné des libertés, tout en risquant de menacer des libertés, dont celle essentielle de donner un monde à nos enfants. Car devenir femme, c’est être libre d’embrasser le flux et la variété des genres, mais aussi de nous offrir les enfants et leur avenir, sans quoi nous n’aurions pas été, sans quoi nous ne serons plus.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La radicalité des discours et des mots d’ordre afférents au genre a quelque chose de spécieux. Dans la mesure où une démocratie libérale, et donc une société tolérante, laisse à chacun la liberté et le droit d’exercer ses pulsions et ses choix autant sexuels que comportementaux, tant qu’ils ne nuisent pas à autrui et dans le cadre du consentement mutuel, qu’importe que nous soyons lesbiens, plus ou moins hétérosexuels, transsexuels, voire asexuels, que des anatomies féminines préfèrent les camions de fort tonnage et que des Messieurs aiment collectionner les poupées Barbies, une limpidité de la multiplicité et de la variabilité des êtres ne doit être empêchée. Hélas des pouvoirs grégaires, masculinistes ou postféministes, politiques et religieux, de droite comme de gauche, où ne se cachent qu’à peine des pulsions tyranniques sans vergogne, n’ont pas la sagesse de l’entendre de cette oreille…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[5] Valérie Solanas : SCUM Manifesto, Mille et une Nuits Fayard, .

[6] Marcela Iacub : Le Crime était presque sexuel et autres essais de casuistique juridique, Champs Flammarion, 2009.

[7] Simone de Beauvoir : Le Deuxième sexe, Gallimard, tome II, p 13, 1949.

 

Iglesia de Sante Pedro y Santa Maria, Olite, Navarra.

Photo : T. Guinhut.

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29 avril 2024 1 29 /04 /avril /2024 14:33

 

Costa de Jaizkibel, Hondarribia, Guipuzcoa.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

De la Méduse de la peur à l’Apocalypse zéro.

Sous le regard de Méduse ;

Michel Maffesoli : Le Temps des peurs ;

Nicolas Bouzou : La Civilisation de la peur ;

Pascal Bruckner : Je souffre donc je suis ;

Michael Shellenberger : Apocalypse zéro.

 

 

Sous le regard de Méduse. De la Grèce antique aux arts numériques,

Direction : Emmanuelle Delapierre & Alexis Merle du Bourg,

In Fine/Musée des Beaux-Arts de Caen, 2023, 344 p, 39 €.

 

Michel Maffesoli : Le Temps des peurs, Cerf, 2023, 216 p, 20 €.

 

Nicolas Bouzou : La Civilisation de la peur, XO éditions, 2024, 224 p, 19,90 €.

 

Pascal Bruckner : Je souffre donc je suis, Grasset, 2024, 320 p, 22 €.

 

Michael Shellenberger : Apocalypse zéro,

traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Daniel Roche,

L’Artilleur, 2021, 528 p, 23 €.

 

 

Fille de Phorcus, elle est une des trois Gorgones, et seules ses deux sœurs Sthéno et Euryalé ont le privilège d’être immortelles. Le dieu des mers, Neptune, abusa d’elle et la rendit enceinte dans le temple de Minerve, ce pourquoi la déesse, irritée d’un tel sacrilège, métamorphosa les cheveux de la malheureuse en serpents et donna à sa tête le pouvoir de changer en pierre quiconque la regarderait. Seul Persée parvint à la décapiter, en usant du poli de son bouclier comme miroir. La tête orna celui d’Athéna ainsi que son égide. Aussi, depuis la Théogonie d’Hésiode, Méduse peut-elle passer pour l’indépassable allégorie de la peur. Ce qui se décline « de la Grèce antique aux arts numériques », pour reprendre le titre de l’ouvrage somptueux qui fascine le lecteur, les peintres, les sculpteurs et les plasticiens : Sous le regard de Méduse. Loin d’être une quincaillerie mythologique, elle continue de pétrifier notre aujourd’hui, qui, selon Michel Maffesoli et Nicolas Bouzon est celui du Temps des peurs et de la Civilisation de la peur, tant elle emprunte le visage de la guerre lointaine sinon proche, des cancers et autres affections, mais surtout d’une catastrophe climatique et écologique. Enfin nous ne nous laisserons pas intimider par « un nouveau sacré qui méduse », selon la formule de Pascal Bruckner, qui, dans Je souffre donc je suis, montre combien les victimes, ou prétendues telles, usent de la posture victimaire pour assurer leur hubris et leur pouvoir. Entre peurs rationnelles, utiles, et peurs irrationnelles, tout le monde, malgré les manipulateurs et le panurgisme, ne se laisse pas flouer par les agitateurs de Méduse, et surtout pas Michael Shellenberger, qui, dénonçant « les erreurs de l’écologie radicale » et annonçant que « la fin du monde n’est pas pour demain », titre Apocalypse zéro et avec une conviction assurée son essai. N’ayons donc pas peur des peurs ; de façon à les balayer, les affronter…

 

 

La « fortune iconographique » de Dame Méduse est considérable, et malgré des artistes à cet égard célébrissimes, tels Rubens et Caravage, bien d’autres se relèvent de l’oubli, au moyen de l’exposition qui se tint au Musée des Beaux-Arts de Caen lors de l’été 2023, et surtout grâce à ce pérenne ouvrage dont le titre fait déjà frémir : Sous le regard de Méduse. Rassurons-nous, l’impeccable papier glacé, miroir des œuvres, est inoffensif et nous ne serons pétrifiés que de beauté. Car si elle ne peut être directement regardée, il est fort possible de la représenter. Une histoire littéraire et surtout figurative de vingt-six siècles permet à Méduse, avatar de Phobos, dieu de la peur panique, de dépasser largement le renom du Sphinx et de la Chimère, pourtant choyées par Ingres et Gustave Moreau. Au point qu’elle retrouve sa coiffe de serpents chez les Furies, qui se délectent de poursuivre le coupable aux Enfers. Sans compter qu’un de ses doubles est la figure de l’Envie dont la langue serpentiforme s’étale sur une fresque de Giotto.

Elle est le visage de la mort, en voie de putréfaction, gluante comme les serpents de sa chevelure, voire d’une sexualité maléfique et serpentine en tant que figure-vulve castratrice selon le penchant freudien. Infernale, elle est conjuratoire et ambivalente, car son sang fatal peut avoir des vertus curatives. Elle protège le guerrier qui l’arbore, ainsi que les édifices et les foyers qui lui confient frontons et acrotères. L’idéal de beauté des Grecs doit composer avec la laideur bestiale du monstre…

Mais au-delà de l’Antiquité, ce sont l’art baroque, puis le dix-neuvième fin de siècle et décadent qui goûtent les formes délétères du chef sanglant de Méduse. Toutefois, d’affreuse, elle devient parfois séduisante beauté fatale, si l’on pense à l’hellénistique Méduse Rondanini ou au symboliste Fernand Khnopff. La voici blafarde ou noirâtre, criant ou vomissant, alors qu’elle peut être multicolore, ou limpide, trompeusement calme. Elle sait hurler furieusement sur l’armure de Julien de Médicis par Verrocchio, dégouliner en déliquescence dans le bronze vert-de-gris de Bourdelle…

Mais à cette pauvre femme punie pour avoir été violée par Neptune, ne faut-il pas rendre justice ? Aussi un féminisme humaniste lui permet d’implorer la pitié dans une photographie de Dominique Gonzalez-Foerster, dans laquelle elle se photographie (en 2021) en buste nu, blafarde, les yeux délavé bleus sous une lourde chevelure qui n’a de serpentiforme qu’une longue corde lamée noir et or. Ou Laetitia Ky dont la touffe crépue qu’on lui imposa de raser en côte d’Ivoire « parce qu’elle risquait de séduire les garçons et les professeurs », s’anime en 2022 de tresses à têtes de serpents. À moins de penser, comme Luciano Garbati, en 2023, qu’il faille représenter Méduse tenant la tête de Persée, en guise de féminisme offensif.

Ce bel ouvrage est un modèle du genre. S’il ne nous pétrifie pas – et c’est heureux- il nous enchante intellectuellement et esthétiquement. Son anthologie de textes antiques est médusante, d’Homère à Nonnos de Panopolis, en passant par Euripide, le Pseudo-Apollodore et Pausanias. Une iconographie époustouflante pullule en bon ordre. Amphores et bronzes, coupes et camées, rares enluminures médiévales, huiles sur toile bien entendu, marbres et affiches, photographies et vidéos enfin… Quant aux analyses et commentaires d’œuvres, ils ne sont jamais verbeux, mais aussi enrichissants que clairs, montrant combien les mentalités en évolution sont médusés par l’effroi du féminin, même affreusement soumis. Selon l’adage populaire, comme la Gourmandise, il vaut mieux avoir cette Méduse en peinture qu’en pension n’est-ce pas…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pourtant c’est sous les traits de la peur qu’elle est une pensionnée, de tous les temps certes, comme le montre l’essai déjà classique de Jean Delumeau[1], mais une pensionnée de notre temps, qui de surcroit nous coûte fort cher. C’est ce que deux essayistes, soit Michel Maffesoli et Nicolas Bouzou, jettent à la face de tous ceux – s’ils consentent à les lire – qui baissent la tête et la garde devant les miroirs aux alouettes de nouvelles méduses, cette fois sociétales, voire planétaires.

Certes la Covid 19 fut une pandémie biologique, mais elle fut autant idéologique. En avoir peur était logique, en instrumentaliser la peur pour des confinements, dont la méthode primitive put laisser pantois, relevait opportunément du détournement d’attention de problèmes plus vastes et avérés pour lesquels les gouvernements restaient incompétents et qu’ils préféraient cacher sous le tapis, mais aussi d’un exercice grandeur nature de contrôle des populations. Ainsi Michel Maffesoli relie-t-il « la peur archétypale » à « la société du spectacle », lorsqu’est patente « l’envahissement de la socialité par le « Léviathan » hobbesien, figure de l’Etat tout puissant, de sa techno-bureaucratie se focalisant en ce moment sur une sorte de tyrannie médico-politique ». Soit « des apeurants manipulant des apeurés ». En effet, ajouterons-nous, la Suède, sans recourir au confinement, mais au  moyen de recommandation de distanciation, n’a pas subi de surmortalité ; au contraire même.

Au « covidisme » s’ajoute le « wokisme » qui est une forme de « peur de soi » (l’angoisse des minorités visant à étouffer autrui), le « canicularisme », sur lequel notre essayiste manque de se pencher plus avant. Les « théâtralisations caricaturales » ne craignent pas le ridicule et le canular. Pourtant ils rassemblent la doxa et nombre de savants, car la science s’acoquine avec l’air du temps. D’où la propension à taxer de « complotisme » les dissidents, les sceptiques, ce qui est une forme de « démonologie ». En ce sens il est à espérer, ou à craindre, « la rébellion du peuple », selon qu’elle redonnera  « vigueur à une immémoriale Tradition », soit une « Renaissance », ou à quelque dangereuse révolution.

Il n’en reste pas moins que le contrôle des peurs associé aux injonctions moralisatrices ne vise qu’à « museler au nom des injonctions politiques la liberté d’expression », trace d’une « marxisation de l’esprit ». Ainsi, s’appuyant sur une réelle érudition philosophique, l’analyse de Michel Maffesoli témoigne d’une rare largeur de vue. Sa pensée prolixe s’étant par ailleurs appliquée à diagnostiquer L’ère des soulèvements[2] aussi bien que le postmodernisme[3].

Ajoutons une autre peur pleutrement orchestrée, celle du Rassemblement National, qui si médiocre et étatiste qu’il soit, n’en n’est guère, malgré quelques-uns de ses affidés néonazis, « fasciste ». La réduction ad hitlerum montre bien que l’on se méprend sur le sens du fascisme, alors que Michel Maffesoli préfère dénoncer de la part de nos élites « la saturation du totalitarisme économique », l’exagération n’empêchant pas tout à fait la pertinence. Sans compter qu’une telle surenchère du danger – bien entendu de droite et si rarement de gauche – lasse bien vite et pousse à voter son bulletin là où il ne faut pas, ou entraîne l’abstentionnisme, peut-être plus sage à l’ère des étouffants étatistes aux insuccès récurrents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Moins philosophe, mais plus sociologue et économiste, Nicolas Bouzou pointe les prophètes de malheur, dénonçant leur marché lucratif, sans manquer de témoigner d’une judicieuse confiance en l’avenir, car sur notre planète la pauvreté recule, la santé et l’alphabétisation s’améliorent. Les peurs irrationnelles – quoiqu’il faille ne pas méconnaître celles rationnelles de façon à se prémunir contre le pire – obèrent  notre présent, voire notre demain.

Certes le souvenir de la Covid, le présent conflit russo-ukrainien, aux portes de l’Europe, les dettes et déficits récurrents de l’Etat, faisant craindre une crise financière, ne laissent pas d’inquiéter. La négativité ambiante et politico-médiatique intéresserait moins si elle ne comptait que les succès, les trains qui arrivent à l’heure ne faisant pas recette. Basé sur le « pessimisme organique » et « le ressentiment des intellectuels » marxisants envers ceux qui savent réussir, sans compter la pulsion totalitaire des apprentis sorciers de la politique, le catastrophisme vise à asservir au service d’une caste de régulateurs, de socialistes, écologistes et autres constructivistes antilibéraux.

Plutôt qu’un « catastrophisme [qui] paralyse l’action », un avenir plus souriant emporte la conviction de Nicolas Bouzou. Il soutient que l’on puisse « empêcher l’effondrement écologique », « guérir tous les cancers », « rendre le travail plus intéressant et plus rémunérateur grâce à l’intelligence artificielle », voire permettre « la renaissance de l’Occident et de la démocratie libérale ». Pour ce faire il est nécessaire de « réapprendre l’esprit des Lumières ». En conséquence, plutôt que de tabler sur une surpopulation largement fantasmée, tant la tendance est à la dépopulation prochaine, plutôt que d’assujettir la jeunesse à l’éco-anxiété, ne faut-il pas faire des enfants ?

Mis à part sa naïveté envers le « changement climatique » d’origine anthropique que l’humanité pourrait freiner – mais il serait trop incorrect de ne pas être crédule – Nicolas Bouzou a la tête sur les épaules. Ce qu’il avait, entre autres essais, montré avec Pourquoi la lucidité habite à l’étranger ?[4] Et pour revenir à son dernier titre en forme d’oxymore, ne faudrait-il pas tabler sur une civilisation de la confiance ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un phénomène concomitant n’est pas sans importance. C’est la valorisation de la souffrance victimaire, vraie ou fantasmée. Ce « nouveau sacré qui méduse » permet à Pascal Bruckner de titrer son dernier essai : Je souffre donc je suis, sous-titré « Portrait de la victime en héros ».

Il n’est pas niable que nombre d’individus, de groupes humains, aient été victimes de l’Histoire. Noirs esclaves aux Amériques, homosexuels conspués et tués, femmes opprimées plus qu’à leur tour… N’ont-ils pas droit, ceux des siècles passés, ceux d’aujourd’hui, ainsi que leurs descendants, à une juste reconnaissance ? Mais leur victimisation ne devrait pas être le gage d’une nouvelle oppression sur les descendants des oppresseurs, sur leur race entière – quoique le mot soit une farce – sur leur civilisation, forcément blanche, patriarcale et capitaliste, forcément coupable : « Plus le monde occidental décline, plus il se gonfle et se dit responsable de toutes les horreurs qui arrivent, réchauffement climatique compris ». Afrique et monde maghrébin se servent d’un passé colonial largement exagéré et exécré pour se dédouaner de leurs responsabilités et installer leurs tyrannies.

Ainsi le message des Lumières « aboutit à une société du sanglot et de la fragilité, c’est-à-dire de la démission ». Ainsi le statut de paria permet « d’accuser et d’opprimer au nom de sa blessure », parfois bien fantasmée. Ainsi les monstres « se déguisent en martyrs pour perpétrer leurs abominations ».

C’est la thèse que défend brillamment Pascal Bruckner : « le fait d’avoir été asservi  ou discriminé ne confère aucune supériorité métaphysique à une catégorie d’être humain sur les autres ». Encore moins « lorsqu’ils basculent dans la violence ». Du supplice d’hier l’on fait un blanc-seing moral qui permet de fasciner autrui sous le joug de l’injonction pétrifiante et d’être le persécuteur de demain. Le passé ne doit pas peser sur les jeunes générations « à la manière d’un titan qui les terrasse ». Pour paraphraser le sous-titre de l’essayiste, la victime, qui plus est imaginaire, ne peut se muer impunément en héros vengeur. Une vie politique ne peut consister en « un cahier de réclamation sans fin ». Lorsque la victimisation conduit au fatalisme, la « domestication de nos frayeurs » est plus que nécessaire. Plutôt que de céder à la haine de soi, « c’est aux temps de fer qu’il faut se préparer, ne fût-ce que pour les éviter ».

Or n’est-il pas curieux que les souffrances des Juifs, d’Israël, des Chrétiens – Arméniens entre autres – des Noirs victimes de la traite arabo-islamique et des Blancs de la piraterie séculaire en Méditerranée, sans compter celle de ceux que l’islam encore et toujours persécute au travers le monde, que toutes ces souffrances soient, elles, passées sous silence ? Deux poids, deux mesures, victimisation sélective donc au service d’une tyrannie wokiste souvent antisémite qui a les yeux de Chimène pour  l’islam et ceux d’une atavique colère contre l’Occident libéral…

Une fois de plus, Pascal Bruckner, qui dénonça Le Sanglot de l’homme blanc[5] et Le Fanatisme de l’apocalypse[6], fait brillamment mouche…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La peur la plus vendable est aujourd’hui sans conteste celle écologique : le réchauffement climatique dont est inévitablement coupable l’homo capitalisticus – mâle et blanc de surcroit – serait un indéniable facteur apocalyptique si rien n’est fait. Et si le parti vert n’est pas nommément au pouvoir, il l’est de fait. À coups de taxes carbone et pétrolifères, d’oukases à l’encontre des véhicules thermiques, de subventions monstrueuses à l’éolien, d’interdiction d’aménager de nouveaux espaces, et nous en passons, le succès outrecuidant du chantage et de l’extorsion est sidérant. Pourtant il ne manque pas d’esprits scientifiques et rationnels pour affirmer, preuves à l’appui, comme Michael Shellenberger, qui bénéficie en outre d’une préface de notre avisé Pascal Bruckner : Apocalypse zéro !

Car la survie de l’humanité serait en sursis si rien n’est fait, selon une vulgate serinée sans cesse… Erreur, fantasme, mensonge, tout cela au service d’une caste exponentielle de profiteurs, financiers, industriels, politiques, journalistes, associations, élus en puissance !

A contrario des éco-anxiétés qui enveniment notre jeunesse, les émissions de gaz carbonique (CO2) sont en baisse dans le pays développés – quoique cela n’ait aucune importance, nous y reviendront – les catastrophes météorologiques ont diminué de 80 %, les forêts du globe ne sont en rien menacées, hors dans quelques zones surexploitées, la hausse du niveau marin se compte en peu de centimètres, les glaces des pôles se portent vaillamment bien.

Nombreuses sont les occurrences à relever dans cet essai profus. Le plastique qui encombre les océans est en fait rapidement dissous sous l’action conjuguée de l’eau de mer et du soleil. Michael Shellenberger en choquera plus d’un, ou les surprendra, en affirmant que « la sixième extinction est annulée », tant, d’après un article de la revue Nature en 2011, on surestime toujours les taux d’extinction en omettant la croissance de la biodiversité, y compris en Europe. Que « la cupidité a sauvé les baleines, pas Greenpeace », car le pétrole et l’huile végétale ont remplacé leur huile, le plastique leurs fanons, et leur potentiel économique oblige à les protéger.

De surcroît les politiques constructivistes, donc collectivistes, de l’écologisme nuisent non seulement au développement économique et humain, mais aussi à la nature elle-même. Il suffit de penser à ces forêts que l’on n’entretient plus pour ne pas contrarier la nature et donc plus vulnérables aux incendies, presque toujours de main humaine, quoique les feux causés par la foudre soient nécessaires pour renouveler la végétation…

L’on fait fausse route avec le béton des éoliennes, si peu productives, leur technologies plus ou moins chinoises et peu recyclables, alors que les investissements en infrastructure hydro-électriques sont réduits à peau de chagrin ; même si l’on commence à se rendre compte qu’en dépit de l’ignorance des militants antinucléaires, l’énergie nucléaire de nouvelles générations est un bienfait de plus en plus prometteur, que l’on imagine à peine que les moteurs thermiques et le pétrole ont encore de beaux jours devant eux, de plus de moins en moins polluants, que d’inédites technologies ne demandent qu’à naître de l’inventivité humaine et non des interdictions. Là encore, loin du « fanatisme religieux de l’environnementalisme apocalyptique », à la peur doit succéder une confiance humaniste et courageuse.

Bourré de connaissances, de faits, de témoignages, d’enquêtes et de notes scrupuleuses, l’essai de Michael Shellenberger dresse un réquisitoire implacable contre les marchands d’apocalypse verte. Arrêtez de vous laisser prendre par les filets d’une peur irrationnelle, nous dit-il en substance. Son seul défaut est de ne pas convenir de l’innocuité du gaz carbonique – il n’est pas un gaz à effet de serre comme le méthane et la vapeur d’eau – qui, au contraire est naturel, nécessaire à la vie et à la croissance des plantes, donc au verdissement feuillu.

Hélas en France, voire en Europe, bien qu’heureusement traduit, l’essai de Michael Shellenberger est peu lu, plus invisibilisé que par une bruyante censure[7], persona non grata d’un débat que l’on réserve à la sous-catégorie méprisable des sceptiques et autres complotistes. La reductio ad complotismus en quelque sorte…

 

 

Si la politique est l'art de la peur, gardons-nous des peurs irrationnelles. En particulier de celle imaginaire du réchauffement climatique d’origine anthropique. S’il y a réchauffement, il n’a rien de catastrophique, et puisque cyclique, naturel et solaire, nous n’y pouvons rien. En revanche la peur rationnelle doit nous alerter ; contre les étatistes dont le constructivisme démagogique vise rien moins qu’à nous asservir, qu’ils soient socialistes de gauche et de droite, communistes ou écologistes ; contre l’islamisme dont le terrorisme n’est que la partie visible de l’iceberg dont l’énorme base est un colonialisme démographique, idéologique et théocratique délétère. Aussi est-il nécessaire, comme Persée, de s’armer du bouclier judicieusement poli de la connaissance rationnelle pour vaincre ces Méduses. Une fois de plus, une création de la mythologie grecque n’est pas sans secours pour comprendre notre temps, et pour ne pas obérer la civilisation libérale.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Jean Delumeau : La Peur en Occident XIV-XVIIIème siècle, Fayard, 1978.

[2] Michel Maffesoli : L’ère des soulèvements. Les derniers soubresauts de la modernité, Cerf, 2021.

[3] Michel Maffesoli : Être postmoderne, Cerf, 2018.

[5] Pascal Bruckner : Le Sanglot de l’homme blanc, Seuil, 1983.

[6] Pascal Bruckner : Le Fanatisme de l’apocalypse, Grasset, 2011.

[7] Voir : Histoire des livres censurés et des colères morales

 

Copie anonyme de la Méduse Rondanini, XVIII° siècle,

Musé des arts, Nantes, Loire-Atlantique.

Photo : T. Guinhut.

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26 octobre 2023 4 26 /10 /octobre /2023 12:55

 

Catedral de Plasencia, Extremadura.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Les Foudres dionysiaques

de Nietzsche sont en Pléiade.

De la vision dionysiaque à l’éternel retour.

Avec le concours de

Jacques Bouveresse.

 

 

Friedrich Nietzsche : La Vision dionysiaque du monde,

traduit de l’allemand par Lionel Duroy, Allia, 2022, 80 p, 6,50 €.

 

Friedrich Nietzsche : Ainsi parlait Zarathoustra et autres écrits. Œuvres III,

divers traducteurs de l’allemand, sous la direction de Marc de Launay,

Gallimard, La Pléiade, 2023, 1308 p, 69 €.

 

Friedrich Nietzsche : Fragments posthumes sur l’éternel retour,

traduit de l’allemand par Lionel Duroy, Allia, 2023, 144 p, 7,50 €.

 

Jacques Bouveresse : Les Foudres de Nietzsche,

Hors d’atteinte, 2021, 336 p, 20 €.

 

 

 

 Le 3 janvier 1889, à Turin, Friedrich Nietzsche se jetait au cou d’un cheval battu par son cocher. Celui qui portait au plus haut point la morale des forts défendit alors un faible animal. La foudre de la folie refermait alors définitivement ses cendres sur le philosophe. Auparavant cependant ses foudres philosophiques avaient été dirigées contre les préjugés, contre le christianisme, contre Richard Wagner… Il venait de mettre la dernière main à son Zarathoustra, et tout juste à son ultime opus, Ecce homoAinsi se clôt une trajectoire qui va de la vision dionysiaque à l’éternel retour. La nuit du délire et de l’apathie conserva son corps jusqu’à sa mort en août 1900, à l’aube d’un vingtième siècle qui allait falsifier son œuvre pour en faire un prophète du nazisme. Autre falsification, en faire un penseur de gauche, ce qui déclenche Les Foudres de Nietzsche sous l’ardent clavier de Jacques Bouveresse. Et même si ce volume ultime des Œuvres en Pléiade ne propose pas les écrits posthumes, il est assez explicite pour corroborer la pensée de Jacques Bouveresse, dégageant l’auteur de Par-delà le bien et le mal de bien des mythes et des lectures politiques qui l’ont biaisé, dérouté, saccagé.

 

 

Peut-être faut-il, pour comprendre le parcours météorique de Nietzsche, revenir à son tout premier texte réellement original, donc inaugural : La Vision dionysiaque du monde. Certes il peut apparaitre comme une ébauche de ce qui deviendra La Naissance de la tragédie, en 1872, alors qu’il n’a que 26 ans. Sous une forme concise et néanmoins absolument aboutie, se dresse l’opposition entre le monde apollinien et le monde dionysiaque. En d’autres termes entre la mesure, la beauté, « la vérité supérieure » (p 25), d’une part, et d’autre part l’ivresse du cortège bachique, l’extase et la puissance destructrice : « Ici se manifeste la violente force artistique de la nature, non plus celle d’un homme : une argile plus noble, un marbre plus précieux y sont modelés et dégrossis : l’homme. Cet homme, formé par l’artiste Dionysos, est à la nature ce que la statue est à l’artiste apollinien » (p 27). Alors les instincts bestiaux se manifestent « dans cette idéalisation de l’orgie » (p 28). L’effroi de la tragédie croise et concurrence la beauté sculpturale et sereine de Phidias. Ainsi « ce monde artistique entièrement nouveau, dans son miracle étrange et fascinant, se lance à travers l’hellénité apollinienne pour de terribles combats » (p 66). Ces mots conclusifs de l’essai ont une résonance à décrypter sans répit.

Car si l’affrontement entre ces deux mondes permet la naissance de la tragédie grecque, selon la lecture devenue classique du premier essai publié par le jeune philologue, le plus étonnant est que cette brève prémisse soit suscitée par la guerre franco-prussienne de 1870. Alors est mis à jour, même si ce n’est qu’implicite, l’élément démoniaque et dionysiaque de la guerre aux fins d’un déchargement de colère au service d’une catharsis européenne.

Le cri dionysiaque affleure également dans la nietzschéenne conception du monde comme musique ; car des Bacchantes « s’élèvent l’érotisme et l’ivresse musicale éclairée » (p 33). Ce qui ne manquera pas de trouver un écho dans sa lecture de l’œuvre de Richard Wagner, auquel il préfèrera le Bizet de Carmen.

Voilà qui ne manque pas d’assurer la cohérence d’une œuvre, de ces premiers pas dionysiaques jusqu’à l’ultime Ecce homo, qui se termine opportunément par : « M’a-t-on compris ? - Dionysos contre le Crucifié… »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Depuis le premier volume des Œuvres en Pléiade, l’impatience ne cessait de nous agacer. Car depuis l’an 2000, date du premier tome, trop longtemps resté orphelin, il fallut attendre 2019 pour le second ; et enfin 2023 pour l’achèvement. Soit presqu’un quart de siècle. D’Ainsi parlait Zarathoustra, en incluant Par-delà le bien et le mal et Le cas Wagner, jusqu’à Ecce homo, moins les abondants fragments posthumes dont un quatrième volume devrait prendre soin (même si les notes les exploitent judicieusement), la boucle nietzschéenne est bouclée, comme un éternel retour du texte, quoique soigneusement nanti de nouvelles traductions ; même si l’on peut de permettre de conserver celle de Maurice de Condillac[1].

Plutôt que le poème didactique dans la tradition du De la nature de Lucrèce, Ainsi parlait Zarathoustra préfère la parabole, voire la parole prophétique, de façon à rejoindre et dépasser le discours des Evangiles. De la sorte, pensée et poésie habitent conjointement le repaire d’altitude de celui qui disperse son discours afin de danser le surhumain. Comme de celle de Platon, il ne cesse de sortir de l’obscurité de sa caverne pour gagner la lumière et éclairer ceux qui voudraient bien l’entendre : tous et personne, pour reprendre le sous-titre du livre. Or il ne s’agit en rien d’un exposé doctrinal, même si les animaux allégoriques, lion, aigle, paraissent s’en charger, mais de la poursuite d’une insaisissable vérité. Il apparait alors que la vie humaine n’a aucune espèce de finalité, y compris face à l’indifférence de la nature, que l’effrayant éternel retour implique un perpétuel antagonisme des valeurs, d’où le fatalisme et le nihilisme, qu’il est néanmoins nécessaire de combattre au moyen de l’amor fati. Danser sur le surhumain devient alors la seule voie praticable pour les esprits libres.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À rebours de l’oraculaire Zarathoustra, Par-delà le bien et le mal revient à la pratique de l’aphorisme, pour lequel Nietzsche trouvait en son compatriote du XVIII° siècle un modèle, Georg Christoph Lichtenberg[2], dont la devise, « Éveiller la méfiance envers les oracles : tel est mon but », ne pouvait que guider notre philosophe de Sils Maria.

La vérité ne descend pas de la sagesse philosophique, mais de la vie. Plutôt que vérité platonicienne, elle est traduction et interprétation. Elle est cependant force et instinct, d’où la volonté de puissance. Quant aux lois de la nature, « c’est là une interprétation non un texte » (p 321). Un univers dionysiaque se développe soudain : « c’est le monde de la volonté de puissance[3] », tel que l’affirmeront les fragments posthumes. Et tels qu’ils seront caviardés et rassemblés sur le titre abusif de La Volonté de puissance[4], par la sœur antisémite, Elizabeth Forster-Nietzsche[5]. Reste que les philosophes se doivent d’approcher le véritable surhomme - et non celui de l’ultérieure bête blonde du nazisme - : « Leur connaissance est création, leur création est législation, leur volonté de vérité est volonté de puissance » (p 414).

Le titre Par-delà le bien et le mal se justifie au moyen de l’analyse de l’inversion des valeurs : « Mettre sens dessus dessous toutes les valeurs, voilà ce qu’ils durent faire ! Et brider les forts, débiliter les grandes espérances, calomnier le bonheur qui vient de la beauté, pervertir tout ce qui est orgueilleux, viril, conquérant, dominateur » (p 358).  En ce sens, il prône l’abandon des idéaux ascétiques.  En conséquence, si Nietzsche fut d’abord un thuriféraire de Richard Wagner, il se veut enfin le critique acerbe de sa lourdeur orchestrale, de cet apôtre de la chasteté qui subordonna sa musique à des légendes chrétiennes, à l’instar de son Parsifal. Autre prise de distance considérable, celle contre le nationalisme, en particulier prussien, sans oublier son anti-antisémitisme récurrent : « Ce que l’Europe doit au Juifs ? […] Nous qui assistons en artistes et en philosophes à ce spectacle, nous en sommes reconnaissants aux Juifs » (p 453).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Au rebours de ces vertus, l’on peut lire dans la VII° partie, intitulée « Nos vertus », quelque affirmation pour le moins surprenante : « comme si l’esclavage s’opposait à la civilisation et n’était pas la condition de toute civilisation supérieure, de tout progrès de la civilisation » (p 440). Sauf que le concept d’esclave doit ici élargi jusqu’au fonctionnaire prussien, au moine, voire au savant, donc une métaphore plus que la réelle condition de l’enchaîné, passible de châtiment mortel. De plus l’on relèvera plusieurs propos misogynes, dont ceux postulant que les femmes ne sont pas des êtres pensants : « La femme veut s’émanciper, et pour cela elle a entrepris d’éclairer les hommes sur « la femme en soi » ; c’est là un des pires aspects de l’enlaidissement général de l’Europe » (p 435). Mais ces aphorismes (§ 232, 233, 237, 239) qui ressortissent trop au préjugé de l’époque, ne sont-ils pas vigoureusement  contredits par ses relations avec Lou Andreas-Salomé, Malwida von Meysenburg, deux dames dont l'intelligence n’est pas à démonter, et dont la correspondance menée avec elles témoigne[6]… Il faut comprendre combien notre philosophe, écœuré par l’égalitarisme socialiste, perçoit le féminisme dans cette dernière perspective. Et après tout la satire, y compris contre les femmes, n’est pas forcément dénuée de fondement.

Sans compter que L’Antéchrist use de l’affirmation bien sentie selon laquelle le mépris de la vie sexuelle, consubstantiel au christianisme, est le vrai péché. Ce texte se conclut par une déclaration de guerre contre le christianisme : « l’unique instinct de vengeance » (p 856). Cette conversion des valeurs trouve son correspondant logique parmi les pages de Pour une généalogie de la morale, de façon à mettre un terme au ressentiment, à la volonté du néant, au nihilisme, à cette morale qui est une anti-nature : « À supposer qu’il soit vrai - en tous cas on y croit aujourd’hui comme à une « vérité » - que le sens de toute culture est d’élever, à partir de la bête de proie « homme », un animal apprivoisé et civilisé, un animal domestique, il faudrait alors sans aucun doute considérer comme les véritables instruments de la culture tous ces instincts de réaction et de ressentiment à l’aide desquels les races nobles et tous leurs idéaux ont finalement été humiliés et subjugués » (p 527). Si l’analyse de cette « généalogie de la morale » est redoutablement exacte, il n’en reste pas moins que l’on doive attendre de la culture et de la civilisation un rapport pacifié entre les êtres qui permette le libre développent de chacun, en respectant la liberté d’autrui…

Quant au Crépuscule des idoles, n’est-il pas essentiellement celui du christianisme ? Sauf qu’attribuer « l’erreur du libre arbitre » à une humanité destinée à « la rendre plus dépendante des théologiens » (p 716), est plus que spécieux. Et pour revenir à L’Antéchrist, sa détestation du christianisme le pousse à des raccourcis aventureux, voire à une allégeance à un pire antéchrist : « Le christianisme nous a frustrés de la moisson de la culture antique, et, plus tard, et encore plus tard, il nous a encore frustrés de celle de la culture islamique » (p 853).

Enfin Ecce homo, dans lequel il revient sur ses précédents livres pour en fournir des préfaces, subvertit la formule christique, sans que l’on sache si l’exaltation du philosophe est de l’ordre du « gai savoir » - pour reprendre un autres de ses titres - de façon à incarner le surhumain, Dionysos plutôt que le Crucifié, ou des foudres de la folie de celui qui imaginait la détenir grande santé…

Une fois complétée cette indispensable et savante trilogie des Œuvres en Pléiade, nous rêvons d’un coffret qui les réunirait, et d’un album Nietzsche…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quoique les fragments posthumes aient été publiés in extenso parmi les Œuvres complètes chez Gallimard, il est bon de réunir et de consulter les Fragments sur l’éternel retour. Parmi les plans sans cesse remis sur le métier y figure ce qui aurait pu devenir un volume à soi seul : « L’éternel retour. Livre de prophéties ». Lors de l’automne 1883, il est question de « doctrine » et d’un « objet de croyance », ce qui laisse ouverte la dimension peu assurée, voire irrationnelle, de la chose, que l'on doit se garder « d'enseigner comme une religion », mais aussi des « moyens de la supporter », des « moyens de la supprimer ». L’amor fati se double d’un « pessimisme de l’intellect ». Mais dans ces pages l’on découvre quelques mises au point bien senties, dont il faut lire aujourd’hui encore l’éternel retour : « Maxime : ne fréquenter personne qui prenne part à l’imposture des races »…

 

Photo : T. Guinhut.

 

Déjà en 2016, Jacques Bouveresse avait averti des lectures biscornues. Son Nietzsche contre Foucault. Sur la vérité, la connaissance et le pouvoir[7] abordait de front la façon dont la question de la vérité avait été l’occasion de biais, voire de mauvaise foi par bien des commentateurs, au premier chef Michel Foucault. Ce dernier considérant que Nietzsche abat toute notion de vérité, valeur parmi tant d’autres, donc nocive en soi. La Vérité ne s’imposerait que dans un rapport de pouvoir et n’aurait plus de validité universelle.

Certes le philosophe de Sils Maria défie les connaisseurs de vérité, les champions du dogmatisme et de la prétention, en particulier les tenants du christianisme et l’Evangile de Jean. Mais un Foucault peut-il ignorer la différence fondamentale entre ce qui est vrai, scientifiquement, voire philosophiquement, et ce qui est prétendu tel, alors que Nietzsche n’a pas cette inconséquence : « Il est fort significatif que Nietzsche traite également comme une forme de nihilisme, et même de nihilisme extrême, la conviction qu’il n’y a pas de vérité, en d’autres termes que rien dans la réalité elle-même ne correspond à l’exigence de vérité » (p 76).

Le trop célèbre fragment « Il n’y a que des interprétations » ne doit-il pas être associé au paragraphe 52 de L’Antéchrist, dans lequel Nietzsche définit un art de bien lire le texte du monde : « savoir déchiffrer des faits, sans les fausser par l’interprétation, sans perdre, dans l’exigence de comprendre, la prudence, la patience, la finesse ».

Revenant avec obstination et vigueur sur la nécessité de la vérité, Jacques Bouveresse adresse ses Foudres de Nietzsche à Michel Foucault (quoique ce dernier ne soit pas aussi catégorique que ses suiveurs[8]) ainsi qu’à tous ceux qui ont cru devoir en faire un philosophe de gauche, lorsque les positions politiques de l’auteur de Zarathoustra contredisent le plus souvent une telle inversion des valeurs. Car la pensée de gauche aime la démocratie, l’égalité, la raison, le progrès social ; du moins le prétend-elle. Or à ces valeurs il s’oppose vigoureusement, par exemple dans Par-delà le bien et le mal : « la démocratisation de l’Europe est en même temps, sans qu’on le veuille, une école des tyrans » (p 446). Ce qui n’est pas sans pertinence, tant la démagogie et l’homme providentiel du ressentiment peuvent guider les foules…

L’on se laisse charmer par la figure romantique et solitaire de Nietzsche, de meilleure compagnie qu’un Heidegger dont les accointances nazies sont avérées. L’on aime à ne pas voir ce qui gêne, en particulier le « radicalisme aristocratique » (mot-clef dès la quatrième de couverture), qui selon la pertinence de Jacques Bouveresse, définit au mieux notre auteur. Des formules odieuses contre les femmes, des réfutations justifiées du socialisme, tout parait à l’évidence interdire une naïveté gauchiste qui se chercherait de prestigieux prophètes.

Jacques Bouveresse est partagé entre les constats d’ignorance ou de mauvaise foi, de « l’aveuglement » de la part de ses pseudos « disciples », pour reprendre les mots de son sous-titre. À cette supercherie, Jacques Bouveresse oppose un argumentaire généreux, précis, appuyé sur de justes citations, surtout puisées dans Par-delà bien et mal et les fragments posthumes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Critiquant l’esprit boutiquier des Anglais, Nietzsche l’associe à la démocratie. Lorsque la gauche se veut hostile au libéralisme anglo-saxon, les diatribes nietzschéennes passent pour un anticapitalisme, alors qu’il faut les lire selon une perspective antidémocratique. Cependant si Nietzsche n’aime guère l’égalité et à la démocratie, il vomit, nous l’avons dit, l’antisémitisme et le nationalisme.

Gilles Deleuze[9] n’est pas sans responsabilité dans une telle lecture erronée. Contrairement à son fantasme, Nietzsche préfère Voltaire à Rousseau, le premier vitupérant contre l’égalité dans l’article « Égalité » du Dictionnaire philosophique. L’auteur de Nietzsche et la philosophie est-il aveuglé par l’idée selon laquelle tout penseur de haute-volée serait forcément de gauche ? Il aurait alors lu les excès de Nietzsche comme de simples artefacts rhétoriques. Être antirévolutionnaire et antidémocrate ne sont pas de vains mots chez ce dernier. Ce qui évidement ne permet en rien de l’agréger à quelque fascisme que ce soit, tant cet enrégimentement lui eût paru d’une insondable vulgarité, grégaire de surcroit, donc antiaristocratique. Au nationalisme étroit il préférait une européanité éclairée. En ce sens, lorsqu’en son avant-dernier chapitre Jacques Bouveresse se demande : « Nietzsche penseur apolitique ou totus politicus ? », il s’appuie sur Losurdo[10], malgré les réserves à l’encontre de cet essayiste, pour affirmer combien notre philosophe « est loin d’avoir été un penseur plus ou moins apolitique » (p 278).

Lire Nietzsche réclame une humilité, et surtout pas une adhésion sans condition. Jacques Bouveresse sait pratiquer une telle discipline sans abattre la hauteur de la pensée polymorphe et critique, du moralisme ironique que la foudre de la pensée finit par saccager. Même si à une élite aristocratique doit répondre pour lui une masse populaire asservie ; ce en quoi le libéralisme[11] politique et économique est aux abonnés absents. Quoiqu’il ne soit pas naïf face à l’étatisme qui sied tant à la gauche, mais aussi à la droite : « L’Etat, c’est le monstre le plus froid de tous les monstre froids. Et c’est froidement ainsi qu’il ment, et c’est ce mensonge qui sort de sa bouche : Moi, l’Etat, je suis le peuple », lit-on dans Ainsi parlait Zarathoustra (p 38). La recherche du vrai au sens politique n’a-t-elle pas à cet égard une essentielle dimension nietzschéenne ?

 

 

Cause ou conséquence ? L’hubris nietzschéenne, au point de croire que son Zarathoustra soit un livre qui ferait basculer le monde, le mènerait-elle à la folie des grandeurs, ou sa folie syphilitique en serait-elle déjà la cause ? Les romantiques ont glosé sur le voisinage de la folie et du génie. Préférons, même si elle est à remettre sur le métier, la recherche de la vérité - y compris dans la relativité anthropomorphique de cette dernière - qui n’a cessé d’animer l’ascète de Sils-Maria…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 


[1] Friedrich Nietzsche : Ainsi parlait Zarathoustra, Gallimard, 1971.

[2] Georg Christoph Lichtenberg : Le Miroir de l’âme, José Corti, 2012.

[3] Friedrich Nietzsche : Fragments posthumes, 38 [12], juin-juillet 1885.

[4] Friedrich Nietzsche : La Volonté de puissance, Mercure de France, 1903.

[5] Mazzino Montinari : La Volonté de puissance n’existe pas, L’Eclat, 1998.

[6] Friedrich Nietzsche : Correspondance avec Malwida von Meysenbug, Allia, 2005.

[7] Jacques Bouveresse : Nietzsche contre Foucault. Sur la vérité, la connaissance et le pouvoir, Agone, 2016.

[9] Gilles Deleuze : Nietzsche et la philosophie, PUF, 1973.

[11] Voir : Pourquoi un libéral lit-il Nietzsche ? Romantisme, philosophie critique et politique

 

Basílica de la Virgen de la Peña, Graus, Huesca, Aragon.

Photo : T. Guinhut.

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29 septembre 2023 5 29 /09 /septembre /2023 09:39

 

Bardenas Reales, Tarragona, Navarra.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Jean-Clet Martin philosophe

du coup de dés & de l’enfer.

 

 

Jean-Clet Martin : Et Dieu joua aux dés, PUF, 2023, 464 p, 21 €.

 

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie,

Léo Scheer, 2012, 132 p, 15 €.

 

 

 

Du chaos naîtrait le hasard, ou ce qu’en ferait un dieu, son absence, soit le monde, l’univers, en digne état de marche. Et si « l’art n’est pas le chaos, mais une composition du chaos qui donne la vision[1] », selon Gilles Deleuze, il n’est pas certain que ce qu’en fait l’artiste ait son exact équivalent à l’occasion de la démarche du philosophe. Appréhender la nature terrestre et humaine en sa complexité reste encore une énigme pour le descendant de Socrate, y compris au moyen des sciences les plus fines et récentes. Ce pourquoi, flirtant avec géométrie et mathématiques, Jean-Clet Martin postule : Et Dieu joua aux dés. À condition, nous direz-vous, de croire en Dieu, au risque d’assimiler son enfer à celui de la philosophie.

 

 

Pourtant « Dieu ne joue pas aux dés », disait Alfred Einstein. Une histoire de la théologie, de la philosophie et des sciences ne dit pas autre chose. Le fiat créateur divin trouve d’abord sa confirmation grâce à la correspondance avec les mathématiques et la géométrie, comme sur une toile où transcrire une réalité bien plus profonde, ce en passant par Descartes et les équations. Sauf que l’auteur du Discours de la méthode « participe d’un monde qui sent se dérober tout référentiel » ; sauf que ces mathématiques débordent « notre pouvoir fini de compter ». De plus l’idéalité mathématique bute sur les failles, le chaos, comme lorsqu’Hippase de Métaponte que la découverte de l’étrangeté du nombre  pi condamnait à être abandonné dans une barque, ce par les pythagoriciens qui faisait du nombre un dieu rationnel. Voici notre antique personnage également condamné à contempler « une divinité qui jouait aux dés ». Ce pourquoi le bonhomme est la figure tutélaire de l’essai de Jean-Clet Martin.

L’histoire de la géométrie et des mathématiques cependant dispose de « chiffrages fantômes », d’un arsenal d’irrationnels et d’imaginaires, de racines négatives, toutes demeures ouvertes sur l’inconnu, voire l’inconnaissable. Au XIX° siècle, Cardan poursuit la perfection idéale des entiers naturels, au dépend de sa vie désastreuse. De surcroit, depuis les « solides de Platon », en passant par le « graphe de Schläfli », dont les 216 arêtes côtoient le vertige, un chemin vers la quatrième dimension pourrait se dessiner, plus encore grâce à «  l’œil de l’ordinateur » et l’intelligence numérique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre mystère des sciences et de la pensée : « le néant n’a pas de propriétés ». En est-il de même du vide cosmique, de l’avant big-bang, de l’après big-crush ? Et si nous virons là du côté de cette absence conceptuelle qui répond à l’immensité cosmique, un autre infini nous stupéfie, lorsque s’ouvre « la course à l’infinitésimal ». De la physique quantique où dansent les plus infimes particules, entre ondes et corpuscules, aux « atomes numériques », le monde se révèle introuvable. Il faut alors le secours de la poétique de Jorge Luis Borges, dont « La bibliothèque de Babel[2] » tutoie avec son labyrinthe de pentagones l’infini combinatoire ; et de William Shakespeare, dont la « roue » venue d’Hamlet[3], parmi laquelle en « ses vastes rayons dix mille êtres inférieurs sont mortaisés et joints », est la roue du devenir qui ne peut manquer de s’écrouler en enfer. Le tout à l’instar d’une « équation quartique » et de la « folie mathématique ».

Qu’il s’agisse d’un « château de cartes » ou d’un « coup de dés logarithmique », s’il faut pousser les portes du chaos pour approcher la genèse de l’univers et son ébouriffant développement, les mondes multiples et autres plurivers ne peuvent que déboucher que sur « un pluralisme philosophique ». « Nouvelle monadologie » après Leibniz, « concept de transformation quasi ondulatoire » venu de Fourier, tout, du moins la poursuite d’une théorie du tout introuvable comme en territoires de physique et de cosmologie, tout permet de penser « selon un modèle qui n’est pas une harmonie préétablie par un Dieu omniscient ». La chute d’un coup de dés présiderait aux nécessités et autres apories du calcul qui permettraient une approche partielle et chaoïde de l’univers autant que de nos modestes neurones. Là réside « le péril de la liberté », qu’il faut comprendre, nous semble-t-il, au sens de la créativité du monde physique, voire jusqu’à celui du libre arbitre des créations scientifiques littéraires, artistiques et politiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le hasard, quoique paraissant le reflet de notre incapacité à formaliser, est bien « un arrangement effectif de la nature, une formalisation de ses orientations multiples ». L’hypothèse de Riemann, qui suggéra des dimensions supérieures à trois et quatre pour décrire la réalité physique, qui permit ensuite le développement de la relativité générale, voit ici son explosion, comme une genèse inaugurale à la polymorphie universelle. Repensons à cet égard à la célèbre hypothèse de Riemann, sur les zéros non triviaux de la fonction zêta, qui n'est toujours pas démontrée et fait partie des vingt-trois problèmes de Hilbert, sans compter les sept problèmes du millénaire. Du dé manquant à l’absence de preuve, « si l’idéal mathématique classique culminait le plus souvent en un autre mode, transcendant, le voici engagé désormais en un espace-temps brisé, à la poursuite de quelques solides platoniciens tombés comme autant de dés dans l’immanence du monde ». C’est-à-dire ce que Jean-Clet Martin appelle « l’anexact », ce qui est évidemment à la lisière de l’indécidable de Gödel. L’improbable vérité nous manquera peut-être toujours, ce qui par ailleurs n’a rien à voir avec un piètre relativisme[4]. La nature n’a que faire de l’abstraction théorique de l’humaine intelligence, elle nous déborde sans cesse. Et quoique nous avancions avec obstination dans sa connaissance, sa complexité ouvre sous nos yeux ébahis la variabilité de ses complexités fascinantes.

C’est en un voyage conceptuel ambitieux, profus, sinueux, que nous embarque le vaisseau spatial Jean-Clet Martin. Du « plan complexe » des géométries à la descente vers l’infinitésimal, la philosophie de la nature et des sciences cherche son identité, ses définitions, lance ses filets pour accéder à une lecture polymorphe digne de la complexité de notre espace et de notre temps. Même si la chose est parfois ardue, voire inaccessible au commun des mortels, en particulier à l’occasion des finesses mathématiques, manquant par moments de quelques éléments d’explications et d’initiation accessibles au profane, le défi est brillamment relevé, avec les concours des sciences les plus dures et les plus quantiques, avec les concours en miroir de Jorge Luis  Borges et de ses « sentiers qui bifurquent[5] ». Etonamment, l’essai, au-delà de ses capacités de conviction, emporte le lecteur patient en une délectation intellectuelle et métaphorique, voire poétique. Etourdissant, Jean-Clet Martin l’est à plus d’un titre. Comme il osa explorer les voies de la science-fiction[6], il s’aventure parmi les sciences et les mathématiques les plus fines, tout en faisant flirtant sans peur avec l’imaginaire. Shakespeare et Borges voisinent avec Galois et Riemann. Il faut alors avouer l’infinitésimale modestie du lilliputien critique, aux lectures peut-être erronées, face au massif granitique et cependant scintillant de ces denses quatre-cent-cinquante pages, face au travail de Sisyphe mené avec un impressionnant brio. Chapeau bas, chers lecteurs !

 

Sur le sol, les dés du jardin.

Photo : T. Guinhut.

 

Si certains esprits ont cru voir dans les mathématiques un paradis, c’était au regard de leur supposée perfection, un antidote à l’enfer de la vie quotidienne, voire à l’enfer philosophique. En imaginant des philosophes au paradis, nul doute que l’on y verrait Saint Thomas d’Aquin, au milieu des rilkéennes « hiérarchies des Anges[7] » qu’il a si bien su théoriser. Dante ne s’y est pas trompé, en réservant une place lumineuse au Docteur angélique, à partir du chant X de son « Paradis ». Mais combien de philosophes trouverions-nous aujourd’hui dans son Enfer, ou plutôt dans ce bain d’enfer où ils naviguent, en-deçà de l’impensé des classiques, comme de vieux crocodiles lavés à l’acide ? Ceux qui, horribles travailleurs, se sont propulsés au fond du gouffre pour trouver les soucis et les aspirations les plus triviaux et infâmes de l’homme. Plutôt que « l’illusion idéaliste qui se croit dans le vrai », Jean-Clet Martin fore alors « ce calice vertigineux (…) peuplé par son propre photogramme, ses propres souvenirs, inséparables d’une chute dans la mouise de l’événement ou les détritus bigarrés de la vie ». C’est ainsi qu’il se livre à une édifiante énumération commentée de ces philosophes qui creusent les sous-sols de l’humanité pour y découvrir les soubresauts de l’angoisse et du vide de Dieu, de l’incompréhension de ses contemporains, de la souffrance, du mal, sans compter le chaos cosmologique.

Il ouvre d’abord la bouche du « Cri » de Munch, qui, faute de langage, s’exprime en peinture, comme « le bruit de fond de l’univers », puis le « vivre seulement ici » de la musique de Mahler, qui est aussi « chaos » et « mathématique des sons dissolue par bien des paradoxes ». Il s’interroge alors : « comment vivre sur ce plan d’inconstance lorsque plus rien ne s’ajointe et que tout motif, toute phrase, tout élément de structure s’enfoncent, gagnés d’une dissolution chaoïde »…

La perte de l’unité est également celle de Kierkegaard, « au cœur de l’irrationnel le plus obscur », qui rompt avec sa fiancée « pour préserver le charme de la rencontre tout en vivant désormais l’enfer de la séparation ». Perte contre laquelle veut lutter « Hegel le renégat (…) portant avec lui la mémoire dure du monde ». De Schopenhauer à Nietzsche, « il n’y a sans doute rien à attendre de l’avenir, aucun paradis, plutôt d’universelles souffrances (…) Chacun est comme un jet de pierre, un atome incommunicable ». Ainsi Nietzsche, celui qui connait la mort de Dieu, est « répudié, traîné dans la boue (…) par les recensions de la presse que seuls les clichés du moment semblent retenir », remarque incidente, mais pertinente, on ne peut plus actuelle, à laquelle Jean-Clet Martin et son modeste critique échappent peut-être, osons-nous l’espérer...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pourtant Hölderlin rêve « de se baigner dans la même eau que celle des Grecs », lui qui est dans « dans l’éclair, immobile, du feu de l’enfer qui joint les contraires », mais aussi, comme Van Gogh, « à la limite de toute impuissance qui caractérise tout geste créateur ». S’agit-il là d’un bel échec ? Comme lorsque Dostoïevski, après Baudelaire et ses Fleurs du mal, approche « cette déchéance extrême qui rend palpable la proximité du Bien avec le mal »…

Plus loin, Jean-Clet Martin emprunte à Alain Badiou, le concept d’ « Inesthétique[8] », qui est peut-être le signe et le lieu infernal de l’art contemporain, qui a trop souvent perdu, ou voulu perdre, le lien avec la beauté[9]. À moins que cette « inesthétique » puisse en être une forme nouvelle, venue par exemple du fantastique de Lovecraft[10]

Fouillé par notre essayiste, ce « Plurivers », cet « art des constellations », cet « ossuaire » des penseurs est évidemment une sorte de cimetière vivant de la philosophie, où, au-delà d’une physique et d’une métaphysique euclidiennes, il s’agit de dénoncer, dans la continuité nietzschéenne, le platonisme et l’utopie totalitaire de La République. Et d’explorer « des sauts démoniaques, parfaitement illogiques pour ne pas dire inesthétiques », jusque parmi le « vortex d’une baignoire cosmologique », à la lisière des sciences des nouvelles mathématique et physique. Mais, pour échapper à l’éternel retour du trivial et du chaos, au nihilisme, le néant du nirvana est-il la solution ? Malgré « l’infinie nullité qui rend ma bulle d’existence à elle-même », mieux vaut écrire et vivre L’Enfer de la philosophie, en toute consciente inquiète et fatalement partielle, un de ces livres de philosophie « qui sont des coupes, des aventures d’idées ».

 

 

Animateur d’un blog au titre à la fois modeste, futile et brillant, « Strass de la philosophie[11] », au contenu roboratif, Jean-Clet Martin est un érudit papillonnant autant qu’un obstiné des travaux de fouille karstique et de terrassement labyrinthique parmi les « chemins qui ne mènent nulle part[12] » de ses philosophes aimés jusqu’à la passion. Sa prose riche et claire (sauf peut-être sur Hegel[13]) autant analytique que métaphorique, sert à merveille l’argumentation erratique - donc conforme à son sujet - et cependant solide. Un livre étrange et séduisant, anti-dogmatique et cheminant, d’un philosophe autant que d’un poète. Qui ne dédaigne pas les allitérations et les métaphores filées pour « s’enferrer aux fers de l’enfer » et préfère le mur perceptif de la caverne à l’illusoire sortie platonicienne : « l’écran où se joue la vie, la seule vérité de la fiction »… Armé de concepts qu’il n’hésite pas à malmener, et d’une langue souple, Jean-Clet Martin poursuit un combat inégal, et cependant serein, contre cet infernal éclatement du réel et de la philosophie qui est en nous. Finalement, cette progression philosophique, depuis « le fond moléculaire de l’idéation », est une sorte de roman autobiographique borgésien, grâce aux rappels des précédentes étapes que sont ses précédents livres[14] ; mais également une sorte d’autoportrait intellectuel. Qui est aussi le nôtre… Quel coup de dés permettrait à la science de sortir par le haut de l’enfer philosophique ?

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Gilles Deleuze : Qu’est-ce que la philosophie ? Minuit, 191, p 192.

[2] Jorge Luis Borges : « La Bibliothèque de Babel », Fictions, Folio, 2018.

[3] William Shakespeare : Hamlet, acte III, scène 3.

[5] Jorge Luis Borges : « Le jardin aux sentiers qui bifurquent », Fictions, Folio, 2018.

[7] Rainer-Maria Rilke : Elégies de Duino, Œuvres, Poésie, Seuil 1972, p 315.

[8] Alain Badiou : Petit manuel d’inesthétique, Seuil, 1998.

[12] Pour reprendre le titre d’Heidegger : Chemins qui ne mènent nulle-part, Tel Gallimard, 1996.

[13] A moins que notre connaissance infinitésimale d’Hegel en soit la cause…

 

Bardenas Reales, Tarragona, Navarra.

Photo : T. Guinhut..

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9 septembre 2023 6 09 /09 /septembre /2023 15:17

 

Villa Borghese, Roma, Lazio.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Pornographes des Lumières

et puritains contemporains

à l’assaut de la chair.

 

Colas Duflo : Philosophie des pornographes ;

David Haziza : Le Procès de la chair.

 

 

Colas Duflo : Philosophie des pornographes,

Seuil, 2019, 312 p, 23 €.

 

David Haziza :

Le Procès de la chair. Essai contre les nouveaux puritains,

Grasset, 2022, 256 p, 20 €.

 

 

 

Qui sommes-nous sinon une chair ? Faut-il la cacher ou l’exalter ? La faire jouir ou la faire souffrir ? Alors peut-être la pornographie peut-elle venir à notre secours… Une femme-marchandise et vendue, telle est celle dont traite le pornographe, si l’on en croit l’étymologie, venue du grec. Elle est, au temps de Socrate, une esclave, alors que la courtisane est libre d’accorder ou non ses faveurs, sans être soumises aux conventions restrictives propres aux femmes mariées. L’on sait que le philosophe désira Théodote : « Nous emportons le désir de toucher ce que nous avons contemplé, nous en allons mordus au cœur, poursuivis par le regret ; et tout cela fait que nous sommes les esclaves et elle la souveraine[1] ». Cependant, relevant le défi de sa beauté, il sut s’en délivrer par la force de la parole. N’empêche que les commentateurs n’eurent de cesse de se scandaliser de la présence de Socrate dans la maison d’une courtisane. Ainsi le philosophe serait censé ne pas céder au désir, ainsi la philosophie n’aurait rien à voir avec la sensualité. Qu’il soit ensuite stoïcien puis chrétien, il ne saurait avoir quelque commerce avec la pornographie. Pourtant au XVIII° siècle, les Lumières sont aussi celles du réveil de la chair considérée comme un bien et non un péché mortel de luxure. Colas Duflo, dans sa Philosophie des pornographes, réhabilite ces auteurs licencieux, qui ne mettent pas que le feu aux sens, mais également à l’esprit. Il est toutefois à craindre que le puritanisme soit loin d’avoir dit son dernier mot. David Haziza montre combien aujourd’hui est réactivé « le procès de la chair », dans son Essai contre les nouveaux puritains. Peut-on encore aujourd’hui célébrer la fougue du désir, l’éclat soyeux des chairs, les cris des jouissances…

 

 

Voilà qui, au rebours des préjugés, ne devrait pas nous surprendre : « l’intrication du récit pornographique et de la discussion philosophique ». C’est en effet l’objet de l’essai de Colas Duflo, Philosophie des pornographes, ce qui est un oxymore bien signifiant. Car pléthore de récits fort lestes, agrémentés de conversations osées, tant dans le domaine charnel qu’intellectuel paraissent au cours du XVIII° siècle des Lumières. Ces dernières ne résident pas seulement dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert, ni dans le Dictionnaire philosophique de Voltaire, ni dans l’athéisme exposé par Helvétius dans son De l’esprit. Mais dans un corpus dont une bonne partie acquit il y a peu la dignité d’un coffret de la collection de La Pléiade, sous le titre des Romanciers libertins du XVIII° siècle[2]. De plus une collection heureusement sortie de l’Enfer de la Bibliothèque Nationale[3] sut défricher le terrain. Pourtant lors de cette ère encore imprégnée par la monarchie absolue, par la religiosité catholique, ces œuvres ne pouvaient être publiées que sous le manteau, tant elles étaient pourchassées, voire brûlées, leurs auteurs menacés, tant le contenu débordait de « vit » et de « foutre », de religieuses séduites et converties au plaisir, de dames intensément voluptueuses. Le pire peut-être était que l’on ne s’y contentait pas de libertinage, d’ébats galants et luxurieux, mais qu’une abondante et rigoureuse argumentation encourageait aux réjouissances sensuelles, aux bonheurs charnels, sans l’ombre d’une culpabilité héritée du christianisme ainsi rendue obsolète.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est sur ce corpus que s’appuie Colas Duflo, s’intéressant à « l’intrication du récit pornographique et de la discussion philosophique ». Contre les préjugés, Sophie, allégorie de la sagesse, est, sous des masques le plus souvent masculins, le personnage essentiel. Toutefois, s’il n’y a guère de livre licencieux écrit par des femmes, nombre de personnages féminins sont mis en avant pour défendre leur condition, leur goût du plaisir, tel que dans Thérèse philosophe (1748). Ainsi qu’une certaine Clairval, une Laïs, une Rosette, et autre courtisanes devenues « narratrices philosophes ». Les limites cependant de cette philosophie du plaisir sont parfois vite atteintes, comme lorsque dans Thérèse philosophe le Père Dirrag introduit le prétendu « cordon de Saint-François » dans le vase naturel d’une jeune religieuse bernée : certes Eradice atteint un bonheur qu’elle croit mystique, mais nous devons appeler la chose un viol, sauf si la donzelle a la sagesse de s’en réjouir en toute connaissance de cause. L’hypocrisie des religieux nourrit alors la fresque anticléricale que l’on peut attribuer au Marquis Boyer d’Argens. Au point qu’ailleurs, dans Le Portier du Chartreux, l’on ne craigne pas de recourir au blasphème. Mais au bordel des moines, une femme peut prétendre être plus heureuse que dans la société de son temps !

Ce plaisir est censé être naturel, nécessaire. En ce sens, avec ces auteurs indiscrets, sûrs d’eux, et cependant voilés par des pseudonymes ou l’anonymat, il se dresse vaillamment contre les interdits de l’Eglise. La licence érotique devient le double obligé de la religion naturelle, du spinozisme, du déisme, du matérialisme, de l’athéisme enfin.

Genre encore méprisé, le roman est de plus ici érotique, cochon disent les détracteurs. La dissertation alors « peut être présentée comme un moyen - qui ne trompe personne - pour racheter le récit licencieux ». Oserons-nous affirmer que les Belles Lettres y gagnent infiniment ? Bien entendu, cher lecteur…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voici un « portier de la subversion », Dom Bougre, personnage éponyme du roman de Gervaise de Latouche : Histoire de Dom B., portier des Chartreux, écrite par lui-même (1761). Au moyen de maints récits emboités, la multiplicité des expériences sexuelles varie selon le point de vue masculin de Saturnin ou féminin de Suzon et Monique, s’agissant de faire partager de chaleureux et humides emboitements jusqu’à l’acmé du plaisir.

L’homosexualité - le mot « bougre » en témoignant - voire l’inceste, n’échappent pas à ce projet de libérations des mœurs sexuelles. Alors que la sodomie peut être alors punie du bûcher, quoique la peine ne soit plus appliquée, « l’éloge paradoxal du cul des novices » ne manque pas de sel. Deux nonnes découvrent également comment se donner du plaisir en toute bonne conscience émerveillée. Ces messieurs séduisent à tour de bras, les courtisanes rivalisent de séductions et d’aventures indubitablement luxurieuses, le péché capital étant devenu un devoir capital. Sous le mode des confessions édifiantes, ces récits et ces argumentations ont en fait une dimension didactique, éducative in fine. Y compris si les titres sont explicites : L’Almanach de Priapre ou L’Art de foutre, tel qu’une bibliothèque de curiosa doit s’orner.

D’une plus subtile manière, Diderot fait parler ses « bijoux », entendez la bouche du bas, dans la cadre d’un conte oriental. Publié de manière anonyme en 1748, Les Bijoux indiscrets a tout d’une parodie des Mille et une nuits. Le sultan du Congo, qui ne cache qu’à peine Paris, use de l’anneau pour indiscrètement révéler les aventures et intrigues des femmes de la cour. La satire et la galanterie font bon ménage. Au-delà des mensonges sociaux, les sexes parlent. Aussi grivois que raffiné, le roman vise à faire advenir la vérité humaine et naturelle.

Mais à la fin du XVIII° siècle, lorsque Sade continue cette tradition de la pornographie philosophique, ne va-t-il pas jusqu’à défier jusqu’aux ultimes barrières du bien et du mal ? Sa défense du plaisir tyrannique - jusqu’à la torture - au prix de la souffrance féminine est bien le signe de ce que Colas Duflo appelle avec justesse « la perversion des Lumières ».

          Nous savions Colas Duflo connaisseur des Aventures de Sophie, soit celles de la philosophie dans le roman du XVIIIe siècle[4]. Nous le découvrons aujourd’hui en dix-septièmiste, alors qu’il vient d’étudier Les Aventures de Télémaque de Fénelon dans une perspective cette fois politique[2]. En dix-huitièmiste encore, avec un angle plus que pertinent, c’est avec la sagesse de l’essayiste qu’il réhabilite la juste portée philosophique de cet ensemble de romans que l’on ne lit que d’une main, mais avec deux cerveaux, celui de la chair et celui de l’esprit. Même manquant en sa rédaction parfois de concision, sa rigueur intellectuelle mérite nos éloges complices.

Photo : T. Guinhut.

 

Si les érotomanes philosophes des Lumières prônaient la déculpabilisation morale de la chair, en une avancée notable des libertés, il est à craindre que notre nouveau siècle réhabilite le « procès de la chair », pour reprendre le titre de David Haziza.

Après la morale sévère du XIX° siècle, il fallut attendre la libération sexuelle des années soixante. Nous pensons parvenir à un sommet de liberté, confortée par les moyens de contraception moderne. Il va falloir déchanter : « « chacun croit plus que jamais, procureur et juré, échapper à sa propre chair par son zèle à la condamner ».

Jeune philosophe né en 1989, David Haziza se livre à une fulgurante critique de l’annulation du désir, en un monde asexué, car « tout est devenu effroyablement salubre ». Où est passée la jouissance des corps, des sens et des esprits ? crie-t-il… Le réquisitoire contre le retour d’une morale asséchant notre présent se double d’un plaidoyer en faveur du plaisir et du rire, sans oublier cent sorcières, artistes, kabbalistes, et autres génies du mal qui enrichirent le passé. Le polémiste affute son ardeur lorsqu’il voit la vraie vie menacée d’effacement, le désir sacrifié, sous prétexte de la difficulté à le dompter. Le corps même semble annihilé tant il doit être lisse, quoique vieillissement et mort ne l’épargnent pas, ce qui pourtant en fait la condition des êtres intégralement vivants, terribles et sublimes à la fois. Notre essayiste ose à cet égard une comparaison surprenante, mais pas tout à fait impropre : l’élevage industriel lui aussi désanimalise autant qu’il déshumanise, quand l’utopie végane prétend sauver une  planète fantasmée en coupant l’homme de ses racines animales et naturelles.

 Et lorsqu’il s’agit d’éradiquer la violence l’on préfère l’ignorer, la celer, plutôt que de l’affronter, l’assumer. Ainsi le fantasme d’une vie niaise et sans conflits, notre « mièvrerie non-violente » nous déshumanisent. Sans compter qu’elle nous laisse sans défense contre ceux dont la violence est l’arme constante, ajouterons-nous, qu’il s’agisse des islamistes, des post-communistes et autres terroristes écologistes. Ainsi, note notre essayiste, « c’est toujours en barbarie que finit la mièvrerie ».

Cancel culture[6] et politiquement correct sont les fers armés d’un nouveau puritanisme. Où la liberté s’évapore avec la condamnation du sexe et de l’érotisme, auxquels il faut préférer l’indifférenciation sexuelle, la transexualité neutre et inclusive, la théorie du genre au dépend de la vérité corporelle. En effet, la « théorie butlerienne[7] et ce qui en a découlé, c’est tout d’abord un dispositif sémantique, novlangue ou anti-langue, qui, contrairement au « newspeak » orwellien, ne nous fabrique pas, chaque année, « de moins en moins de mots », mais de plus en plus : cisgenré, assignation sexuelle, bicatégorisation, gender-neutral, non-binaire ». L’on a ici l’impression qu’il s’agit ici de catégoriser à outrance, d’enfermer et de séparer, au dépend de la fluidité des rencontres… Notons toutefois qu’entre pouvoirs et libertés Judith Butler définit le sexe comme l'ensemble des caractéristiques physiques spécifiques à un sujet, tandis que le genre constitue leur interprétation culturelle. Ce qui est loin d’être faux, moins les excès de qui voudrait croire que n’existent plus les chromosomes ni le patrimoine génétique pour se métamorphoser d’un corps féminin à un corps masculin ou vice versa.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous voici de plus lobotomisés par les écrans qui nous abreuvent de séries romanesques aux amours d’un romantisme niais ainsi que d’une pléthorique pornographie salace. Tout ce que nous ne vivons plus, si nous l’avons jamais vécu. Ne reste plus qu’une « conception notariale » du consentement amoureux. Comme si se voilaient le risque et le charme du désir… L’on devine par ailleurs que le voile islamique révulse notre essayiste, surtout quand en prime la veule soumission de l’Occident s’en mêle, comme lorsqu’un Premier Ministre Italien, en 2016 crut bon de faire couvrir les nudités antiques lors de la visite d’un Président iranien ! Cela dit le miroir n’en-il pas la façon dont les viragos féministes  de la Cancel culture réclament de cacher l’érotisme d’un tableau de Titien… Aujourd’hui l’on peut réclamer « la liberté de se voiler » face au regard d’un homme. Qu’un féminisme captif de l’islam ne soit plus un humanisme semble hélas une évidence : « le féminisme contemporain - et quoiqu’il prétende le contraire - est sourd aux cultures féminines ».

En son Procès de la chair, David Haziza rejette tout autant les camps politiques de droite et de gauche. Lorsque le féminisme devient affreusement normatif, il leur préfère les sorcières, en passant par celle de Michelet, et les déesses, en pensant à Aphrodite. Tout comme il préfère à la transsexualité une séculaire subversion androgyne. Au devenir machine et à sa « solitude », à la « mièvrerie technologique », il préfère le mythique et le sacré : « l’univers doit nous rester un lieu de légendes ». Antimoderne, l’essayiste prétend néanmoins réconcilier notre temps avec une vie désirante. Partant en son incipit de la peinture de  Botticelli intitulée La Calomnie, sa Vérité, « Vénus décharnée » devient l’allégorie maîtresse de son essai. Non sans  convoquer bien des artistes et autres auteurs aimés et contemporains, de Georges Bataille à Philip Roth, d’André Breton à Romain Gary, en passant par François Rabelais, René Char, Camille Paglia[8], sans oublier le Talmud et Zarathoustra. Le tout au service d’une « révolution de la chair ». La chose est peut-être un peu trop tout feu tout flamme, excessive parfois, néanmoins originale, bourrée d’allusions et d’exemples pertinents, roborative, finalement revigorante.

Nous pardonnerons à l’essayiste des formules à l’emporte-pièce : « L’Amérique ne connut les tueries de masse qu’après Peace and Love », corrélation historique n’étant pas causalité. Il y a cependant bien d’autre moments qui font mouche : « Le Noir était jadis le visage du péché ; c’est désormais le Blanc. La femme ; aujourd’hui c’est l’homme ».

La défense d’Eros sous les doigts de David Haziza ne s’arrête pas là. N’a-t-il pas associé à sa nouvelle traduction du Cantique des Cantiques, ce poème amoureux qui compte parmi les plus belles pages de la Bible, un essai[9] ? À la fois sacré, lyrique et érotique, tel est Eros, qu’il soit grec ou hébreu…

 

Il est curieux que l’humanité oscille sans cesse entre deux pôles : d’une part les délices du désir et de la chair, malgré les conséquences parfois décevantes voire désastreuses, comme les ruptures, les jalousies, les maladies vénériennes et autres sidas ; d’autre part la pulsion puritaine, s’appuyant non seulement sur ces dernières conséquences, mais également sur l’incapacité du savoir jouir. Un autre versant du puritanisme, non négligeable, n’est-il pas cette pulsion de pouvoir qui entraîne irrésistiblement les uns et les autres à tyranniser autrui, leurs voisins, leurs femmes et maris, à tyranniser ceux qui sauraient jouir plus que ceux qui ne le savent pas ? Ainsi ceux qui n’aiment pas la chair lui préfèrent la mort, qu’elle soit physique ou morale, avec la seule satisfaction de l’infliger à autrui et de se punir soi-même. Si les Lumières du XVIII° siècle, hors le Marquis de Sade bien entendu, ont signé le réveil d’Eros, ne l’éteignons pas aujourd’hui ; et demain.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Xénophon : Mémoires sur Socrate, Œuvres complètes I, Hachette 1873, p 95.

[2] Romanciers libertins du XVIII° siècle, La Pléiade, Gallimard, 2000.

[3] L’Enfer de la Bibliothèque Nationale, Fayard, 1984-1988.

[4] Colas Duflo : Les Aventures de Sophie. La philosophie dans le roman du XVIIIe siècle, CNRS, 2013.

[5] Colas Duflo : Les Aventures de Télémaque de Fénelon ou le roman politique, Champion, 2023.

[7] Judith Butler : Trouble dans le genre, La Découverte, 2006.

[8] Camille Paglia : Sexual Personae, Vintage, 1990.

[9] David Haziza : Talisman sur ton cœur. Polyphonie sur le Cantique des cantiques, Cerf, 2017.

 

Espace Mendès France, Niort, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.

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6 août 2023 7 06 /08 /août /2023 09:55

 

Sol LeWitt : Dessin mural nº 831 (Formes géométriques), 1997.

Museo Guggenheim, Bilbao, Bizkaia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Histoire et actualité du Discours philosophique

 

par Michel Foucault.

 

Avec un détour par Gilles Deleuze.

 

Michel Foucault : Le Discours philosophique,

édition établie sous la responsabilité de François Ewald,

par Orazio Irrera et Daniele Lorenzini,

EHESS Gallimard Seuil, 2023, 320 p, 24 €.

 

Gilles Deleuze / Felix Guattari : Qu’est-ce que la philosophie ?

Les éditions de Minuit, 1991, 208 p, 16 €.

 

 

Comment peut-on avoir rédigé avec soin une telle investigation philosophique, au long cours de deux abondantes centaines pages de surcroit, et la laisser dormir, l’oublier, l’occulter ? Pourtant les portes de l’édition n’étaient pas en 1966 fermées à Michel Foucault[1], après le succès de son livre mythique : Les Mots et les choses, paru cette année-là. Aussi c’est un demi-siècle plus tard, de manière posthume, que parait ce texte mis au net, qui doit être considéré comme un opus à part entière, au contraire peut-être des cours disséminés par cette collection, sous l’égide de l’EHESS, de Gallimard et du Seuil. A-t-il la même et puissante nécessité que cet autre inédit paru il y a peu, Les Aveux de la chair[2] si nécessaire en tant qu’il apparut comme l’ultime essai parmi la tétralogie formant son Histoire de la sexualité ? Si Michel Foucault en étudie le « discours », n’est-ce pas en quelque sorte déjà répondre à la question, certes classique, formulée par Gilles Deleuze en 1991 : Qu’est-ce que la philosophie ? Cette discipline qui crée les concepts n’est-elle que l’aporie d’un discours ?

 

 

En rédigeant cette étude appliquée, pendant l’été 1966, peut-être au service des cours qu’il allait donner à l’université de Tunis, Michel Foucault semble offrir un titre qui aurait une intention définitive, un traité en somme : Le Discours philosophique. S’agirait-il d’un trait d’union qui part des Mots et les Choses pour rejoindre L’Archéologie du savoir[3], dont il éclaire les perspectives…

Depuis l’Antiquité, le philosophe pratique l’art du diagnostic. Il est le « médecin et l’exégète», « médecin de la culture », quoique sans remède ni guérison. À peine peut-il imaginer de découvrir l’au-delà de la caverne. Voici « cet étrange discours dérisoire qui constitue la philosophie en cette activité de diagnostic où il faut aujourd’hui se reconnaître», et dont les contenus intéressent moins Michel Foucault que les manières de dire notre appartenance au discours sur le moi et le sur monde. En ce sens la philosophie semble « s’écarter de la voie royale qui était la sienne quand il s’agissait de fonder ou d’achever le savoir, d’énoncer l’être ou l’homme[4] ».

Malgré sa subjectivité assumée, le philosophe cherche à atteindre la vérité, si peu assurée qu’elle soit : « Il n’y a pas de vérité philosophique - qu’elle ait trait au monde, à Dieu, à la nature, à l’être, à la philosophe elle-même - si elle ne dit en même temps et dans le mouvement qui la déploie, à quelles conditions et comment elle s’est ouverte pour devenir accessible au philosophe qui la formule ». Pourtant, plus loin, Michel Foucault postule « la vérité philosophique, cachée par essence [qui] peut cependant venir à la lumière et animer le discours d’un philosophe[5] ». Plus loin encore, il propose avec prudence : « la vérité ne nous vient pas toujours et continûment sous la forme de l’évidence, mais sous celle de l’imagination[6] ». Ce qui nous rappelle ces cours au Collège de France, en 1980 et 1981, réunis sous le titre : Subjectivité et vérité[7].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bien que le discours philosophique se situe dans le temps de son énonciation, il est tout différent du langage quotidien. Egalement de la littérature qui invente son propre présent, surtout à partir du XVII° siècle, lorsque Cervantès met en scène ses récits et dispose « un nouveau régime de fiction », ce à l’occasion de son Don Quichotte. Tout différent également du discours scientifique, qui instaure une vérité universelle ne dépendant ni du présent ni du lieu de son apparition, en particulier lorsque Galilée, encore au XVII° siècle, met en place « un nouveau régime du discours scientifique». À la même époque, Descartes, philosophe du dévoilement, « a secoué une obédience séculaire à la théologie[8] ». Une connaissance rationnelle de la nature est ainsi concomitante avec la possibilité de philosopher sans Dieu, de dire réellement Je pense. Ce qui explique « le fait que la philosophie occidentale n’ait pas cessé, depuis maintenant trois siècles, d’être destruction et fin de la métaphysique ».

Conjurant la métaphysique par « la constitution d’une nouvelle ontologie, qui a pour fin de constituer une théorie générale de l’objet[9] », Kant interroge les conditions de possibilité de l’accession à la vérité, de façon à constituer un logos du monde sous la forme de l’encyclopédie.

En une nouvelle mutation, plus brutale, l’indispensable Nietzsche déconstruit le discours classique de la philosophie. En conséquence, plutôt que philosophie pure - s’il en est - Foucault montre combien tout est figure discursive, inscrite dans son historicité. Or les figures du discours nietzschéen, nihilisme, éternel retour du même, antiplatonisme, viennent subvertir les modalités de la pensée. Soit la disparition de tous les objets de la philosophie, en particulier « toute la métaphysique occidentale selon les catégories du bien et du mal, de l’apparence et de la réalité, de l’être et de la vérité ». En contrepartie, la discipline philosophique s’adjuge la possibilité de s’agréger la philologie, l’Histoire, la psychologie, l’anthropologie, les sciences. L’auteur de Par-delà le bien et le mal n’écrit plus de traité, mais des aphorismes, il est également le poète d’Ainsi parlait Zarathoustra, le politique, multipliant les formes et les intentions discursives. Mais « la décomposition du discours philosophique le laisse sans protection ni défense contre la folie[10] ». Est-ce une conséquence intellectuelle ou plus exactement celle de la syphilis ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ainsi donc, penser après Nietzsche serait-il une gageure ? Positivisme, phénoménologie, structuralisme, marxisme, tous semblent n’en guère tenir compte. Reste, du moins pour Michel Foucault, à se déclarer archiviste, dans le cadre d’une discipline qui est celle de « l’archive-discours comme système des contraintes du langage et de l’histoire[11] », dans le cadre de son archéologie du savoir. Régression vers le passé ?

  Cependant, avec Nietzsche, philosophe critique, il s’agit impérativement de diagnostiquer le monde et l’événement qui le porte, de mettre en lumière le visible et le vécu, l’instant décisif, voire un temps plus large : « la tâche critique de la philosophie […] est alors une prise de conscience de ce qui demeure inapparent sous tous les visages les plus manifestes du monde[12] ».

Ce faisant, la philosophie perd-elle sa voie royale, lorsqu’était impératif de forger le savoir, de dire l’être ? Mais ne retrouve-t-elle pas une vocation présente chez les Grecs : distinguer et interpréter les signes, voire ouvrir la boite de Pandore du mal ? En quelque sorte un devin, un oracle delphique, un médecin de l’âme, un exégète, à la semblance d’un Héraclite, d’un Anaximandre qui sont les oreilles de la parole du dieu, quoiqu’à la suite de Nietzsche, Dieu soit mort. Ce qui n’est pas sans expliquer le glissement vers l’Histoire de la sexualité.

Le penseur du pouvoir, de Surveiller et punir[13] par exemple, n’est toutefois ici qu’en gestation, tant il exerce sa perspicacité en historisant le discours philosophique pour le mettre néanmoins au service du présent. S’il prend en écharpe les mouvements de l'humanisme, du marxisme, de l'existentialisme, il valorise le Kant de « Qu'est-ce que les Lumières ? », qui garde son actualité[14]. Tout en faisant de Nietzsche le pivot d’une rupture majeure, lorsque ce dernier dénie la capacité de la philosophie d’accéder à des vérités éternelles, universelles, ce qui, dirons-nous, est peut-être la brèche du relativisme[15]. De même sa capacité à réparer l'homme se voit invalidée par Nietzsche ; ce qui recueille un assentiment prudent de la part de Foucault, pour qui la philosophie s’est dispersée, parmi les arts,  dans des discours a priori non philosophiques, sans pourtant perdre pertinence et dignité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme Max Brod désobéissant à Kafka - dont l’œuvre est « un rhizome, un terrier[16] », selon Gilles Deleuze - en ne détruisant pas ses manuscrits, les ayant-droits et éditeurs ont fort bien fait de désobéir à Michel Foucault qui prétendait ne pas vouloir de publication posthume. Arguons cependant qu’il n’a en rien brûlé ses papiers abondants, et que, loin de démériter de l’œuvre foucaldienne, Le Discours philosophique, malgré quelque propension à se répéter qui explique peut-être un prudent oubli dans un tiroir, en est un indispensable chaînon manquant, d’ailleurs éclairé par de nombreuses et précieuses notes, sous les doigts d’Orazio Irrera et Daniele Lorenzini. D’autant que dans L’Ordre du discours, une hypothèse d’importance est émise : « je suppose que dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers[17] ». La chose est d’autant plus vraie dans les sociétés théocratiques et totalitaires, peut-être moins avérée dans les sociétés libérales, et d’autant plus à l’ère d’Internet, même si des surveillances étatiques et groupusculaires peuvent s’embusquer[18]

Faut-il alors se demander si, parcourant l’Antiquité et le Moyen âge, la tétralogie de l’Histoire de la sexualité est toujours de la philosophie ? La propension à « l’archéologie du savoir » entraîne l’essayiste dans le champ de l’historien, non sans cependant débusquer les pouvoirs, sociétaux et religieux, qui vont jusqu’à investiguer, contrôler, du moins le tenter, les corps et les esprits.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un quart de siècle plus tard, Gille Deleuze offrait son Qu’est-ce que la philosophie ? Certes à son compère Felix Guattari qu’il prétendait en être le co-auteur, mais à des lecteurs avisés, dont nous espérons rejoindre le cénacle.

Créer des concepts. Telle est, au-delà de la conception traditionnelle qui consiste à œuvrer pour une vie bonne, la fonction de la philosophie : « La philosophie ne contemple pas, ne réfléchit pas, ne communique pas, bien qu’elle ait à créer des concepts pour ces actions ou passions ». Elle a sa langue, son vocabulaire et sa syntaxe, « atteignant au sublime ou à une grande beauté[19] ». Rivalisant ainsi avec la réflexion des scientifiques ou des artistes, avec de nouvelles disciplines comme la psychanalyse ou le linguistique, avec en outre les pauvretés avilissantes du marketing et de la publicité, dont les acteurs se prétendent des concepteurs, et, ajouterons-nous, de la propagande religieuse et politique. Ainsi le mot même est galvaudé, tant tout un chacun prétend disposer d’une philosophie commerciale, associative, événementielle.

En ce sens, Gilles Deleuze établit une hiérarchisation bienvenue : « Si les trois âges du concept sont l’encyclopédie, la pédagogie et la formation professionnelle commerciale, seul le second peut nous empêcher de tomber des sommets du premier dans le désastre absolu du troisième ». Une « géophilosophie », originaire de la Grèce antique, fonde le chemin historique de la pensée, dans une réelle filiation : « En effet c’est l’utopie qui fait la jonction de la philosophie avec son époque, capitalisme européen, mais déjà aussi cité grecque[20] ». Ce que confirme par ailleurs la lecture de Karl Popper, lorsque dans La Société ouverte et ses ennemis[21], la filiation utopique et totalitaire va de Platon à Marx, en passant par Hegel. Il faut à cet égard ajouter que Gilles Deleuze, auteur de Capitalisme et schizophrénie[22], partage avec nombre d’intellectuels de son temps un tropisme anticapitalisme discutable.

Quand la science opère par observations et fonctions, quand l’art opère par percepts et affects, tout en entrant en résonnance avec ces derniers, la philosophie tente de mettre de l’ordre dans ce chaos qu’est le monde, forgeant en l’occurrence « les Chaoïdes » : « L’art n’est pas le chaos, mais une composition du chaos qui donne la vision ou sensation, si bien qu’il constitue un chaosmos, comme dit Joyce, un chaos composé - non pas prévu ni préconçu. L’art transforme la variabilité chaotique en vérité chaoïde[23] ». Ne pourrait-on en dire autant de la philosophie ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans le cadre de la tradition nietzschéenne, Foucault et Deleuze sont des opposants au platonisme. Pour eux deux, l’événement humain s’inscrit dans l’immanence. Le second n’a-t-il pas écrit un essai sur le premier ? Depuis L’Archéologie du savoir, il découvre en son mentor « un nouvel archiviste » ; depuis Surveiller et punir c’est « un nouveau cartographe[24] » de l’espace judiciaire. D’où la topologie qui permet de penser autrement, alors que la dimension temporelle déploie les strates ou formations historiques. Le tout dans le cadre du visible et de l'énonçable, qui permettent le savoir. Ce dernier se décompose en, d’une part, « les stratégies ou le non-stratifié », soit la pensée du dehors, c’est-à-dire le Pouvoir, et, d’autre part « les plissements, ou le dedans de la pensée[25] », c’est-à-dire la subjectivation.

Déplions le pertinent classement analytique établit par Gilles Deleuze : « Le principe général de Foucault est : tout forme un composé de rapports de forces », y compris les enjeux sociétaux à l’œuvre dans le cadre de notre histoire des sexualités. En sa dernière partie « Sur la mort de l'homme et le surhomme », il prétend que l’homme « chargé des animaux », des roches », et de « l’être du langage » n’est plus ni Dieu ni l’homme, mais « l’avènement d’une nouvelle forme[26] », sans nous dire laquelle, à venir peut-être, en une conclusion ouverte à la sagacité du malheureux lecteur. Telle est bien l’aporie.

Par ailleurs, n’est-il pas paradoxal que le critique des pouvoirs soit lui-même, à l’instar de son contemporain le sociologue Pierre Bourdieu, devenu une figure du pouvoir intellectuel ? Songeons combien les universitaires, combien ses thuriféraires ont fait de Michel Foucault, en font encore, peut-être à son corps défendant, une constante référence, voire une icône…

 

Il en est de la même farine aporétique à la dernière page des Mots et les choses, avec cette trop célèbre dernière phrase : « Si une nouvelle « épistémê » venait à naître, par l'effet d'un nouveau changement dans les dispositions du savoir, alors on peut bien parier que l'homme s'effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable ». L’on sait en effet que l’homme est mortel, que les civilisations sont mortelles, que l’espèce humaine l’est au regard des temps géologiques ; certes. D’une telle aporie, pourrait-on imaginer si et quel nouvel homme surgirait ? Celui de l’anthropocène et de sa sortie, ou des technologies heureuses ? Celui de la tolérance universelle ?

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[3] Michel Foucault : L’Archéologie du savoir, Gallimard, 1969.

[4] Michel Foucault : Le Discours philosophique, p 13, 16, 17.

[5] Michel Foucault : Le Discours philosophique, p 30, 31.

[6] Michel Foucault : Le Discours philosophique, p 114.

[7] Michel Foucault : Subjectivité et vérité, EHESS Gallimard Seuil, 2014.

[8] Michel Foucault : Le Discours philosophique, p 71, 73.

[9] Michel Foucault : Le Discours philosophique, p 101, 105.

[10] Michel Foucault : Le Discours philosophique, p 178-179, 185.

[11] Michel Foucault : Le Discours philosophique, p 209.

[12] Michel Foucault : Le Discours philosophique, p 66-67.

[16] Gilles Deleuze : Kafka, Minuit, 1975, p 7.

[17] Michel Foucault : L’ordre du discours, La Pléiade, Gallimard, 2015, t II, 228-229.

[19] Gilles Deleuze : Qu’est-ce que la philosophie ? p 12, 13.

[20] Gilles Deleuze : Qu’est-ce que la philosophie ? p 95.

[21] Karl Popper : La Société ouvert et ses ennemis, Seuil, 1979.

[22] Gilles Deleuze, L’Anti-Œdipe : Capitalisme et schizophrénie, Minuit, 1972.

[23] Gilles Deleuze : Qu’est-ce que la philosophie ? p 192.

[24] Gilles Deleuze : Foucault, Minuit, 1986, p 11, 31.

[25] Gilles Deleuze : Foucault, Minuit, 1986, p 77, 101.

[26] Gilles Deleuze : Foucault, Minuit, 1986, p 131, 140, 141.

 

Anselm Kieffer : Die Berühmten Orden den Nacht /

Les célèbres ordres de la nuit, 1997.

Museo Guggenheim, Bilbao.

Photo : T. Guinhut.

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13 juin 2023 2 13 /06 /juin /2023 13:19

 

Museo de la Catedral de Jaca, Huesca, Aragon.
Photo : Y. Guinhut.

 

 

 

Peter Sloterdijk, philosophe du gris politique

& du retour des réflexes primitifs.

Suivi par Le Projet Schelling.

 

 

Peter Sloterdijk : Gris. Une théorie politique des couleurs,

traduit de l’allemand par Olivier Mannoni,

Payot, 2023, 336 p, 26 €.

 

Peter Sloterdijk : Réflexes primitifs,

traduit de l’allemand par Olivier Mannoni,

Payot, 2021, 192 p, 8,20 €.

 

Peter Sloterdijk : Le projet Schelling,

traduit de l’allemand par Olivier Mannoni,

Piranha, 2019, 240 p, 18 €.

 

 

 

Couleur sinon oubliée, du moins coincée entre le noir et le blanc, sans la vigueur qui aurait permis à Michel Pastoureau[1] de lui consacrer un titre, parmi ses Vert, Bleu, Jaune, Rouge, il habite une zone grise. Même si cet historien consacre quelques mots à son heure de gloire, au XV° siècle, lorsqu’en vogue, grâce aux succès des teinturiers, il devient « symbole d’espérance[2] », et permet d’inventer la peinture en grisaille ; quoiqu’il ne s’agisse que d’un bref intermède. Pourtant le philosophe allemand Peter Sloterdijk[3] tourne la sphère lumineuse de sa lecture vers le gris, bassement politique. En effet, politiquement, il a quelque chose de la poussière et de la cendre des totalitarismes, des costumes compassés de nos impersonnalités dirigeantes, cependant lourdes de conséquences. Et s’il parait signifier la neutralité, voire l’indifférence, le gris est celui de Cézanne et de Kafka, des tempêtes naturelles et des drapeaux spectraux. Deviendrait-il menaçant au point de voir le retour des « réflexes primitifs », d’une crise psychopolitique ? Moins spectrale parait la sexualité. Aussi faut à notre philosophe un autre type d’enquête, jusqu’à un genre littéraire à demi-inédit, car au roman épistolaire s’ajoute l’innovation de l’échange de courriels entre des universitaires ; ce qui confère à ce Projet Schelling une aura, bientôt intime et passablement parodique…

 

 

À l’aboutissement d’un prologue d’abord un tantinet confus, mêlant les souvenirs de la baleine blanche de Melville, le blanc de la royauté et « la vision induite par la photographie en noir et blanc au milieu du XIX° siècle », voici venir ce que l’absence de Dieu a décoloré, car « le blanc a cessé d’être la somme du beau », voici venir enfin « l’en grisé », couleur déterminante de notre temps. Cependant si la République a évolué au cours de l’Histoire pour y inclure la dimension démocratique et libérale, bleu blanc rouge en France et étoilée aux Etats-Unis, en contrepartie ne risque-t-elle pas, de par le poids croissant de l’étatisme, de perdre et salir ses couleurs : « Aucune politique des pigments n’arrachera le gris à sa léthargie, dût-elle se parer de cocardes néo-verts ou vieux-rouge. Au-delà du plaisir et du déplaisir, le gris donne à voir à nos contemporains l’omnicolore incolore de la liberté aliénée ». L’on a compris que le vieux rouge est postmarxiste, que le néo-vert est écologiste. Le propos sera donc autant analytique et historique, mais surtout polémique, dénonçant les oppressions du présent.

Quelque part au fond de la caverne, il doit faire bien gris, s’il s’agit de celle de Platon, dans La République, ce dialogue sur la justice, là où seulement des ombres sont visibles par ceux que la lumière des idées n’atteint pas. Or ce que présupposent les temps modernes n’est rien moins que la sortie de cette platonicienne caverne. Plus loin le « crépuscule de Hegel » est celui d’un penseur qui commande en 1821 de « vénérer l’Etat comme un être divin-terrestre[4] » ! En ce cas nous n’en serions au mieux que l’ombre, au risque d’être déporté plutôt que porté, si l’on nous pardonne le jeu de mots. Reste alors « la somme des descentes des mondes pensés vers les macérations des réalités quotidiennes ». Ainsi la philosophie hégélienne fut mise en application jusqu’au plus gris de sa nature absolutiste par « des simulateurs idéologiques, jusqu’à Lénine, Staline et Mao Zedong », sans oublier, ajoutons-nous, leur inspirateur, Marx[5] tel qu’en lui-même. L’œuvre « splendidement inutilisable » de Sartre précède « la brume de Heidegger », dont l’être et le temps sont un « gris né du gris », un non-lieu mélancolique, avorton du brun nazi, prélude métaphysique cherchant « un abri post-politique dans l’insignifiant ». La satire est féroce, néanmoins réaliste. Autant dire que la généalogie de la philosophie occidentale n’est pas heureuse, que les placentas dont elle accouche tour à tour risquent d’être monstrueux. Il peut cependant paraître étonnant que Peter Sloterdijk ne fasse pas allusion à un expert en la matière, Karl Popper, dont La Société ouverte et ses ennemis[6] fonde cette analyse, de Platon à Hegel, en passant par Marx, tous précurseurs des totalitarismes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une digression sur « les corridors de Kafka » s’impose, tant le cafard de La Métamorphose ne peut être que caparaçonné d’un gris sourd, tant il ne reste, « de son errance dans les locaux des instances administratives, que le gris imperturbable des couloirs », ce pour faire allusion au Procès[7].

L’histoire politique fut marquée par les « éminences grises », comme le Père Joseph en retrait de Richelieu, ou Talleyrand, « maître discret de ses supérieurs » et plus marquant que les rois au Congrès de Vienne en 1814 et 1815. Depuis, avec moins de discrétion dissimulatrice, « les drapeaux gris battent devant nous ».

Alors que l’on fait mine de ne pas voir le rouge de ceux nazis, en préférant remarquer leurs chemises brunes, alors que le rouge soviétique envahissait l’Europe de l’est, une vaste « zone grise » s’installait en République prétendument Démocratique Allemande. Entre la Stasi, cette police politique tristement célèbre, et le brouillard industriel, s’établit pour des décennies « l’imprégnation socioatmosphérique d’un collectif emmuré ». Les formules sloterdijkiennes sont lourdes de sens. Ce qui est particulièrement probant à l’occasion de cette autre formule : « le gris est-allemand est sans la moindre équivoque un effet de post-rouge obtenu de manière endogène ». Quant au fascisme de Mussolini, qui avait Lénine pour idole, « il était la forme de déception du bolchevisme ». Dans tous les cas, l’Etat est kidnappé par « une secte portant les habits d’un parti qui constitue la forme suprême de la criminalité organisée ». Soviétisme et fascisme sont ramenés à leur équivalence, les deux totalitarismes du XX° siècle et leurs divers rejetons socialistes sont rétablis dans leur généalogie, en dépit des mythes euphorisants, des légendes et des atermoiements…

Les années 2000, habituées au « gris Merkel » et au vert-de-gris écologiste en Allemagne et en notre outre-Rhin, ne soulèvent pas l’enthousiasme de notre philosophe : « Si une Renaissance anarchique ne vient pas briser la tendance, ou si une puissante brise libérale ne se lève pas, l’avenir appartient à une politique de décrets écobureaucratique qui prescrira à un Etat aussi incompétent que dépassé par les exigences la voie vers sa ménopause post-démocratique ». L’alarmant diagnostic est aussi sévère que juste.

Une critique également réaliste s’adresse également aux partis politiques, « dépôts pour des affects politisables comme l’espoir, l’angoisse ou la vexation », soit des banques de la colère, comme il l’analysait avec alacrité dans Colère et temps[8]. Partis prêts à s’emparer de cet Etat qui dépasse en absolutisme les anciennes monarchies absolues, tant il règne sur la fiscalité, l’économie, les informations personnelles, la redistribution…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les religions ont de toute évidence leurs « zones grises ». Le Père de l’Eglise des alentours de l’an 200, Tertullien, prétendait dans « La toilette des femmes » que ces dernières devaient « adopter une esthétique du sac et de la cendre quasiment prémusulmane ». N’écrit-il pas : « quel légitime honneur peut-il revenir à des vêtements du mélange adultère des couleurs[9] ? » Rassurons-nous, il n’a guère été suivi. Mais l’invention du Purgatoire n’est-elle pas une autre zone grise, celle d’un long rachat, intermédiaire entre l’Enfer et le Paradis ? Si la lumière parfaite n’est pas de ce monde, son auteur nous a cependant fourni le nuancier coloré de la nature, et chargé les peintres de son imitation.

En revanche, « le réalisme littéraire et photographique des premiers temps sont pratiquement des phénomènes jumeaux ». De surcroit lors d’une époque où l’on s’habillait souvent de noir. Les nuances étagées des gris dans la photographie n’auraient-elles pas influencé une vision du monde ? D’autant que jusqu’au milieu du XX° siècle le cinéma lui emboita le pas dans une même colorimétrie, qui permettait encore et provisoirement un avantage à la peinture, quoiqu’à cet égard Manet et Cézanne ne furent guère pétulants… Le retour à la couleur grâce à Kodak puis Iphone ne risque-t-il pas de dénuer une part de la vérité au réel ? Ce à quoi Peter Sloterdijk répond : « La définition de la technique comme inflation de sa magie devenue quotidienne affecte la fonction de vérité du mot et de l’image ». Peut-être est-ce trop nostalgique, trop dans la tradition de ces détracteurs de la technique que sont Heidegger ou Ortega y Gasset[10], quoique ce dernier soit plus prudent. Il s’agirait toutefois chez notre philosophe d’un « bruissement gris sur les fréquences d’absence de sens libératrice ».

 Ne dénigrons pas trop le gris, puisqu’il est également celui « qui t’émeut », celui des tempêtes et du Nord, des mers et des montagnes. Il y a bien des « manifestations, touchantes d’un point de vue littéraire et sensoriel, de cette éloquente non-couleur ». Une éclipse de soleil transmise par le romancier Stifter, qui dans La Forêt de Bavière essuie une grisaille neigeuse[11], une tempête océanique par Michelet, mais aussi la cendre de La Route de Cormac McCarthy, voilà qui permet de passer du romantisme à l’activation incendiaire de la guerre froide, à l’hiver nucléaire qui s’en suit et à la déshumanisation dans le Mal. Nos peurs virent au gris. Mais notre philosophe n’est pas dupe : « Aux enchères de la terreur, la compétition des vendeurs est ouverte ».

L’on n’échappe pas à Nietzsche, amateur de « sublime gris d’altitude », dans les Alpes de Sils-Maria, là où jaillit l’inspiration de Zarathoustra, là où « la philosophie vraie est une maïeutique de la roche ». Que reste-t-il après la nietzschéenne mort de Dieu ? « Là où Dieu a subitement disparu, s’ouvrent des failles dans lesquelles ont afflué des vérités totalitaires de substitution, l’Union soviétique athéiste en premier lieu, le « Troisième Reich » zoothéiste en deuxième ». Voilà qui a le mérite d’être clair.

Si l’on découvre que l’indifférence est une constante de notre modernité, il faut alors considérer « une mystique grise, une éthique grise », une « subjectivité grise », y compris un « rap mystique » d’une telle couleur ; le tout venu de « la décomposition des essors religieux ». Quoique l’on puisse avancer que l’essor créatif, qu’il soit scientifique ou artistique puisse y remédier, même si ce dernier est moins accessible aux foules, auxquelles il est plus aisé de se tourner vers les mouvements grégaires des partis de protestation et d’exaltation, aussi bien religieux que politiques. Ne reste au mieux que la médiocrité, ce « gris par démission »…

Loin de n’être qu’un déroulé colorimétrique et symbolique, voire qu’un ouvrage d’Histoire de l’art cézannien, l’essai de Peter Sloterdijk occupe le terrain du gris comme métaphore existentielle et surtout politique. S’il peut sembler passablement abscons au lecteur non prévenu, touche à tout et virevoltant, il est au moyen de la pyrotechnie de ses néologismes expressifs, de ses métaphores éclairantes, une subtile machine de guerre de la pensée ; contre les pesanteurs, les étatismes, les doxas, les habitudes et paresses philosophiques : « cette thèse selon laquelle seule la pensée du gris fait le philosophe pourrait bien agir comme la hache qui fend la glace du consensus ». Ainsi les amoureux de la liberté se distingueront des déterministes et des constructivistes de tous bords.

Museo de la Catedral de Jaca, Huesca, Aragon.

Photo : T. Guinhut.

 

La régression vers les espaces désinhibisés du moi trouve son pamphlet dans l’essai intitulé Réflexes primitifs. Ce sont de nos jours des flots de haine, de diffamations, d’envie, de dénonciations qui occupent l’espace public et médiatique. Entre populismes et Cancel culture, l’on s’en donne à cœur amer. Là encore, la psychopolitique, selon le néologisme cher à Peter Sloterdijk, trouve un champ d’investigation privilégié. Encore une fois la caverne platonicienne est une allégorie pour notre temps de l’ignorance et de l’erreur. Le cynisme règne aussi bien chez les dominants que parmi la plèbe. Une histoire des trompeurs et de « ceux qui veulent être trompés » doit être dressée, qu’il s’agisse de la papauté ou de la propagande militariste, comme à l’occasion de la Première Guerre mondiale, ou encore du « plus haut sommet que le cynisme ait jamais atteint dans l’histoire du monde » : Lénine. S’en suivit « le héros synthétique du XX° siècle : le duce, le generalissimo, le strongman, le Führer ». Rassurons-nous, d’autres, portés par les masses des perdants colériques, attendent leur heure.

Les relations entre domination et mensonge se voient aujourd’hui envenimées par quatre facteurs : les réseaux internet, la lutte contre le terrorisme, le politiquement correct et son cortège de Cancel culture[12] venus de minorités hypersensibles et d’une « police inquisitoriale du langage », enfin « le déchaînement de flots de réfugiés ». À cet égard Peter Sloterdijk se montre réaliste : « Les formulations du droit d’asile occidental contiennent manifestement des éléments tels que le stress provoqué par le réel franchit le seuil du faisable ». En l’occurrence, la moraline médiatique prend le pas sur la vérité, une « tendance phobocratique » se généralise, une « vague d’obscurantisme cynique », surtout venue des pays musulmans et de Russie, se répand comme du goudron…

Comme en réflexologie, lorsque quelque terroriste parait menacer tout un chacun, « la surchauffe du climat des débats […] indique une tendance à la déculturation ». Une frénésie qui pousse à mordre prend le pas sur la haute culture de l’argumentation et de la nuance. L’on doute que, si notre philosophe exprime ses réserves quant à l’immigration de populations peu accréditées auprès de l’instance des libertés, de la tolérance et de la sécurité, la volée de langue de bois médiatique ne l’épargne pas, voire la reductio ad hitlerum.

Philosopher c’est observer le langage, ses évolutions, ses apparitions. Car « les errances morales et politiques commencent pratiquement toujours par des délabrements linguistiques ». De plus les médias « sont moins des moyens d’information que des porteurs d’infections », détruisant ainsi la faculté de juger sereinement. Un exemple nous en est fourni à l’occasion d’un texte de notre auteur : Règles pour le parc humain[13]. Il s’agissait d’une méditation prudente sur des « perspectives de la technologie génétique, au moyen de laquelle la relation pourrait s’établir entre patrimoine héréditaire et éducation ». Qu’avait-il commis là ! Une véritable « inquisition » et « réduction bouffonne » parcourut la presse pour s’effacer bientôt, suite à d’autres événements bruyants. La « formation de médiologue » avait buté sur « la violence de la paraphrase ».

 

De manière concomitante, nos sociétés, via leurs médias et leurs journalistes, sont faites chaque jour « de la sensation et de l’inquiétude produites par des signaux de stress, ainsi que de leurs contrepoisons : la distraction et le divertissement comme signaux de fin d’alerte ». Ainsi pensé, voilà qui nous permet de prendre nos distances, d’affiner notre esprit critique, d’être fidèles au Lumières de Kant.

L’essai, quoique plus circonstanciel que Gris (par exemple sur le Brexit, sur l’agrégat européen péchant par bureaucratisme et économisme et sur le 11 septembre), demeure, n’en doutons pas, brillant. Pourtant quelques pages auraient méritées d’être amendées. L’allégation selon laquelle Donald Trump aurait été élu grâce à des manipulations russes fut invalidée lorsqu’il s’avéra que c’était une grande fiction clintonienne et démocrate ; mais notre philosophe écrit en 2018.

Reste le rappel selon lequel 99% de attaques terroristes du XX° siècle sont le fait des Etats : « que l’on doive depuis toujours bien plus protéger les hommes de leurs protecteurs enflés aux dimensions d’un Léviathan semble toujours une idée neuve ». Or, au-delà de nos familiers, au-delà de l’Etat, du sur-Etat européen, nous risquons de voir affleurer une structure politique supérieure, qui ne suffirait pas de la liberté des échanges, mais une « société mondiale (alias plenum des Etats) qui exclut de manière systémique les individus ».

 Il s’avère que le philosophe ne peut se contenter d’être « apolitique », mais aux souffrances causées par les circonstances historiques et leurs acteurs zélés, il lui convient d’user du « luxe de leur traitement dans le langage ». Luxe nécessaire, indispensable, peut-être salvateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Alors que la couverture du volume Gris manque autant d’imagination que de goût, en une triste austérité, exclusivement typographique, peu de gris, rouge et noir, celle du Projet Schelling fait preuve d’humour graphique : une fente vaginale couronnée d’un ressort clitoridien est au second regard un carnet vu de profil aux pages courbes. Ou comment exprimer à la fois le projet d’écriture et la thématique sexuelle. Quant au philosophe de l’idéalisme allemand, Schelling, il « doit être considéré comme l’auteur du féminisme logique ». N’observait-il pas scrupuleusement le cycle menstruel de sa seconde épouse, Pauline ? « Il avait préempté son bas-ventre comme sujet pour la philosophie de la nature » !

C’est au travers de l’art épistolaire que se déploie ce roman, genre insolite et surprenant sous les doigts de Peter Sloterdijk. Et si le roman épistolaire a connu un réel engouement aux XVIII° et XIX° siècles, avec Richardson, Rousseau et Goethe, l’échange se fait non plus au moyen de lettres confiées au facteur en perte de vitesse, mais grâce au courriel, modernité technologique oblige. Ce serait s’aimer de manière virtuelle, copuler par internet, échanger les hormones et la pensée par les ondes... Plus précisément le projet consiste « à savoir apprendre dans cette vie ce qui est érotiquement possible sur terre ».

Si le propos parait un peu éparpillé, il prend son envol avec des personnages féminins, dont l’une n’épargne pas les machos : « Ces types guettent ton extase et s’assoient dessus avec leur ego. Ils s’imaginent qu’ils pourraient mettre à terre le monde féminin avec leur argument principal et turgescent ». Si philosophe que l’on soit, l’on en est pas moins doué d’humour. Comme lorsqu’un ethnologue qualifie l’extension du port du voile de « vulvisation du visage féminin ».

Chacun des correspondants se montre prodigue de sa confession intellectuelle et érotique, mâtinée de récits plus ou moins affriolants, comme lorsqu’il s’agit de « Mira la mythique bougresse » aux copulations indiennes et tantriques un tant soit peu ridicules et péremptoires, tous tentant de libérer « le saint-sépulcre de la sexualité », essentiellement féminine, tous tentant de percer le mystère de « l’orgasmogenèse ». L’on se doute que la dimension du roman philosophique, non sans parodie du colloque universitaire, entre « paléogynécologie » et « potlatch narratif », ne fait pas défaut.

 

Esthétique, Histoire, théologie, sciences politiques, médiologie, érotisme, sphère presque omnisciente des connaissances, rien ne rebute notre philosophe, tout excite sa verve analytique et polémique devant les vices du passé et de notre temps, voire du futur, s’il est loisible de se faire prévisionniste. Trop peu lu et commenté de ce côté-ci du Rhin, Peter Sloterdik a non seulement l’éminente qualité d’un philosophe réellement libéral issu de l’Auflärung de Kant, avec une curiosité critique presque infaillible pour ce que notre temps compte d’avancées et de reculs, mais de plus son écriture fait mouche, animée par le démon de la métaphore, par le génie des néologismes. Rendons hommage à la beauté rhétorique contribuant à celle de la pensée.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Michel Pastoureau : Noir. Histoire d’une couleur, Seuil, 2008, p 106.

[4] Georg Wilhelm Friedrich Hegel : Principes de la philosophie du droit, Vrin, 1982, p 280.

[6] Karl Popper : La Société ouverte et ses ennemis, Seuil, 2018.

[8] Peter Sloterdijk : Colère et temps, Libella-Maren Sell, 2017.

[9] Tertullien : « De l’ornement des femmes », Œuvres III, Louis Vivès, 1852, p 316.

[10] Ortega y Gasset : Le Mythe de l’homme derrière la technique, Allia, 2016.

[13] Peter Sloterdijk : Règles pour le parc humain, Mille et une nuits, 2000.

 

Col de La-Pierre-Saint-Martin, Arette, Pyrénées-Atlantiques.

Photo : T. Guinhut.

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Eloge paradoxal du christianisme, sur l'islam

 

 

 

 

 

 

Brésil

Poésie, arts primitifs et populaires du Brésil

 

 

 

 

 

 

Bruckner

La Sagesse de l'argent

Pour l'annulation de la Cancel-culture

 

Brume et brouillard

Science, littérature et art du brouillard

 

 

 

 

 

 

Burgess

Folle semence de L'Orange mécanique

 

 

 

 

 

 

 

Burnside

De la maison muette à l'Eté des noyés

 

 

 

 

 

 

Butor

Butor poète et imagier du Temps qui court

Butor Barcelo : Une nuit sur le mont chauve

 

 

 

 

 

 

Cabré

Confiteor : devant le mystère du mal

 

 

 

 

 

 

 

Canetti

La Langue sauvée de l'autobiographie

 

 

 

 

 

 

Capek

La Guerre totalitaire des salamandres

 

 

 

 

 

 

 

Capitalisme

Eloge des péchés capitaux du capitalisme

De l'argument spécieux des inégalités

La sagesse de l'argent : Pascal Bruckner

Vers le paradis fiscal français ?

 

 

 

 

 

 

Carrion

Les orphelins du futur post-nucléaire

Eloges des librairies et des libraires

 

 

 

 

 

 

 

Cartarescu

La trilogie roumaine d'Orbitor, Solénoïde ; Manea : La Tanière

 

 

 

 

 

 

 

Cartographie, explorations

Atlas des mondes réels et imaginaires

Des côtes inconnues à l'Amazonie

 

 

 

 

 

 

 

Casanova

Icosameron et Histoire de ma vie

 

 

 

 

 

 

Catton

La Répétition, Les Luminaires

 

 

 

 

 

 

Cavazzoni

Les Géants imbéciles et autres Idiots

 

 

 

 

 

 

 

Celan

Paul Celan minotaure de la poésie

Celan et Bachmann : Lettres amoureuses

 

 

 

 

 

 

Céline

Voyage au bout des pamphlets antisémites

Guerre : l'expressionnisme vainqueur

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

 

Censure et autodafé

Requiem pour la liberté d’expression : entre Milton et Darnton, Charlie et Zemmour

Livres censurés et colères morales

Incendie des livres et des bibliothèques : Polastron, Baez, Steiner, Canetti, Bradbury

Totalitarisme et Renseignement

Pour l'annulation de la cancel culture

 

 

 

 

 

 

Cervantès

Don Quichotte peint par Gérard Garouste

Don Quichotte par Pietro Citati et Avellaneda

 

 

 

 

 

 

Cheng

Francois Cheng, Longue route et poésie

 

 

 

 

 

 

Chesterton

William Blake ou l'infini

Le fantaisiste du roman policier catholique

 

Chevalier

La Dernière fugitive, À l'orée du verger

Le Nouveau, rééecriture d'Othello

Chevalier-la-derniere-fugitive

 

Chine

Chen Ming : Les Nuages noirs de Mao

Du Gène du garde rouge aux Confessions d'un traître à la patrie

Anthologie de la poésie chinoise en Pléiade

 

 

 

 

 

 

Civilisation

Petit précis de civilisations comparées

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

 

 

 

 

 

 

 

Climat

Histoire du climat et idéologie écologiste

Tyrannie écologiste et suicide économique

 

 

 

 

 

 

Coe

Peines politiques anglaises perdues

 

 

 

 

 

 

 

Colonialisme

De Bartolomé de Las Casas à Jules Verne

Métamorphoses du colonialisme

Mario Vargas Llosa : Le rêve du Celte

Histoire amérindienne

 

 

 

 

 

 

Communisme

"Hommage à la culture communiste"

Karl Marx théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

 

 

 

 

 

 

Constant Benjamin

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Corbin

Fraicheur de l'herbe et de la pluie

Histoire du silence et des odeurs

Histoire du repos, lenteur, loisir, paresse

 

 

 

 

 

 

 

Cosmos

Cosmos de littérature, de science, d'art et de philosophie

 

 

 

 

 

 

Couleurs
Couleurs de l'Occident : Fischer, Alberti

Couleurs, cochenille, rayures : Pastoureau

Nuanciers de la rose et du rose

Profondeurs, lumières du noir et du blanc

Couleurs des monstres politiques

 

 

 

 

 


Crime et délinquance

Jonas T. Bengtsson et Jack Black

 

 

 

 

 

 

 

Cronenberg

Science-fiction biotechnologique : de Consumés à Existenz

 

 

 

 

 

 

 

Dandysme

Brummell, Barbey d'Aurevilly, Baudelaire

 

 

 

 

 

 

Danielewski

La Maison des feuilles, labyrinthe psychique

 

 

 

 

 

 

Dante

Traduire et vivre La Divine comédie

Enfer et Purgatoire de la traduction idéale

De la Vita nuova à la sagesse du Banquet

Manguel : la curiosité dantesque

 

 

 

 

 

 

Daoud

Meursault contre-enquête, Zabor

Le Peintre dévorant la femme

 

 

 

 

 

 

 

Darger

Les Fillettes-papillons de l'art brut

 

 

 

 

 

 

Darnton

Requiem pour la liberté d’expression

Destins du livre et des bibliothèques

Un Tour de France littéraire au XVIII°

 

 

 

 

 

 

 

Daumal

Mont analogue et esprit de l'alpinisme

 

 

 

 

 

 

Defoe

Robinson Crusoé et romans picaresques

 

 

 

 

 

 

 

De Luca

Impossible, La Nature exposée

 

 

 

 

 

 

 

Démocratie

Démocratie libérale versus constructivisme

De l'humiliation électorale

 

 

 

 

 

 

 

Derrida

Faut-il pardonner Derrida ?

Bestiaire de Derrida et Musicanimale

Déconstruire Derrida et les arts du visible

 

 

 

 

 

 

Descola

Anthropologie des mondes et du visible

 

 

 

 

 

 

Dick

Philip K. Dick : Nouvelles et science-fiction

Hitlérienne uchronie par Philip K. Dick

 

 

 

 

 

 

 

Dickinson

Devrais-je être amoureux d’Emily Dickinson ?

Emily Dickinson de Diane de Selliers à Charyn

 

 

 

 

 

 

 

Dillard

Eloge de la nature : Une enfance américaine, Pèlerinage à Tinker Creek

 

 

 

 

 

 

 

Diogène

Chien cynique et animaux philosophiques

 

 

 

 

 

 

 

Dostoïevski

Dostoïevski par le biographe Joseph Frank

 

 

 

 

 

 

Eco

Umberto Eco, surhomme des bibliothèques

Construire l’ennemi et autres embryons

Numéro zéro, pamphlet des médias

Société liquide et questions morales

Baudolino ou les merveilles du Moyen Âge

Eco, Darnton : Du livre à Google Books

 

 

 

 

 

 

 

Ecologie, Ecologismes

Greenbomber, écoterroriste

Archéologie de l’écologie politique

Monstrum oecologicum, éolien et nucléaire

Ravages de l'obscurantisme vert

Wohlleben, Stone : La Vie secrète des arbres, peuvent-il plaider ?

Naomi Klein : anticapitalisme et climat

Biophilia : Wilson, Bartram, Sjöberg

John Muir, Nam Shepherd, Bernd Heinrich

Emerson : Travaux ; Lane : Vie dans les bois

Révolutions vertes et libérales : Manier

Kervasdoué : Ils ont perdu la raison

Powers écoromancier de L'Arbre-monde

Ernest Callenbach : Ecotopia

 

 

 

 

 

 

Editeurs

Eloge de L'Atelier contemporain

Diane de Selliers : Dit du Genji, Shakespeare

Monsieur Toussaint Louverture

Mnémos ou la mémoire du futur

 

 

 

 

 

 

Education

Pour une éducation libérale

Allan Bloom : Déclin de la culture générale

Déséducation et rééducation idéologique

Haine de la littérature et de la culture

De l'avenir des Anciens

 

 

 

 

 

 

Eluard

« Courage », l'engagement en question

 

 

 

 

 

 

 

Emerson

Les Travaux et les jours de l'écologisme

 

 

 

 

 

 

 

Enfers

L'Enfer, mythologie des lieux

Enfers d'Asie, Pu Songling, Hearn

 

 

 

 

 

 

 

Erasme

Adages et Colloques

Eloge de vos folies contemporaines

 

 

 

 

 

 

 

Esclavage

Esclavage en Moyen âge, Islam, Amériques

 

 

 

 

 

 

Espagne

Histoire romanesque du franquisme

Benito Pérez Galdos, romancier espagnol

 

 

 

 

 

 

Etat

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Constructivisme versus démocratie libérale

Amendements libéraux à la Constitution

Couleurs des monstres politiques

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Socialisme et connaissance inutile

Patriotisme et patriotisme économique

La pandémie des postures idéologiques

Agonie scientifique et sophisme français

Impéritie de l'Etat, atteinte aux libertés

Retraite communiste ou raisonnée

 

 

 

 

 

 

Etats-Unis romans

Dérives post-américaines

Rana Dasgupta : Solo, destin américain

Bret Easton Ellis : Eclats, American psycho

Eugenides : Middlesex, Roman du mariage

Bernardine Evaristo : Fille, femme, autre

La Muse de Jonathan Galassi

Gardner : La Symphonie des spectres

Lauren Groff : Les Furies

Hallberg, Franzen : City on fire, Freedom

Jonathan Lethem : Chronic-city

Luiselli : Les Dents, Archives des enfants

Rick Moody : Démonologies

De la Pava, Marissa Pessl : les agents du mal

Penn Warren : Grande forêt, Hommes du roi

Shteyngart : Super triste histoire d'amour

Tartt : Chardonneret, Maître des illusions

Wright, Ellison, Baldwin, Scott-Heron

 

 

 

 

 

 

 

Europe

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

Fables politiques

Le bouffon interdit, L'animal mariage, 2025 l'animale utopie, L'ânesse et la sangsue

Les chats menacés par la religion des rats, L'Etat-providence à l'assaut des lions, De l'alternance en Démocratie animale, Des porcs et de la dette

 

 

 

 

 

 

 

Fabre

Jean-Henri Fabre, prince de l'entomologie

 

 

 

 

 

 

 

Facebook

Facebook, IPhone : tyrannie ou libertés ?

 

 

 

 

 

 

Fallada

Seul dans Berlin : résistance antinazie

 

 

 

 

 

 

Fantastique

Dracula et autres vampires

Lectures du mythe de Frankenstein

Montgomery Bird : Sheppard Lee

Karlsson : La Pièce ; Jääskeläinen : Lumikko

Michal Ajvaz : de l'Autre île à l'Autre ville

Morselli Dissipatio, Longo L'Homme vertical

Présences & absences fantastiques : Karlsson, Pépin, Trias de Bes, Epsmark, Beydoun

 

 

 

 

 

 

Fascisme

Histoire du fascisme et de Mussolini

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Haushofer : Sonnets de Moabit

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré, une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

VIII Morphéor intelligence quantique amoureuse

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com

XVIII Bibliothèque Hespérus et Petite porcelaine bleue

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme : Ages & Colloques

Manuzio, Budé, Byzantinistes & Coménius

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Vanité de la mort : Vincent Wackenheim

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

La Cité aux murs incertains, L'Incolore Tsukuru

 

 

 

 

 

 

Muray

Philippe Muray et l'homo festivus

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

Miscellanées littéraires : Cloux, Morrow...

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Pléiade & Sonnet pour Hélène LXVIII

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Les obsolètes face à l'intelligence artificielle

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science-fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Métamorphoses du sonnet contemporain

 

 

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Wells

Wells aventurier du temps et socialiste déçu

 

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

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