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1 décembre 2019 7 01 /12 /décembre /2019 08:23

 

Punta de l'Aguila, Sierra de Aspe, Alto-Aragon.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

La Bibliothèque du meurtrier. Roman.

 

IV

 

La Salle Maladeta.

 

 

 

      Stupidement, achevant la lecture de cet Ecrivain voleur de vies conçu par le sieur meurtrier Allan Maladeta, je m’étais laissé aller à une larme à l’œil, non sans comprendre après coup que j’associais sans guère de raison cette Mauve-Eglantine fictive à ma réelle bibliothécaire, prisonnière et sauvée par mes soins, dont je m’étais empressé d’apprendre le prénom et le nom : Mathilde Bénédicte.

      Ma réflexion tournait en vertige parmi le cercle des étagères livresques et des couloirs en étoile dont je n’étais que le météore. Je m’étais coltiné un maigre artiste qui se suicide au vin blanc et aux barbelés, un écrivain qui tue indirectement son inalcoolique alter ego féminin, tout cela chapeauté par un Maudit Grand Ecrivain emplumé d’orgueil. Décidément ce Malatesta avait un problème récurrent avec l’alcool ! Sans compter qu’il jouait au chat et à la souris avec son lecteur, en posant également au meurtrier en série dans ses propres pages.

      Je me demandai si j’allais emmener à Mathilde ma prise de guerre. Il valait mieux s’abstenir. Elle ne voudrait peut-être plus entendre parler de son tortionnaire. De plus la magie mécanique de la bibliothèque n’entendrait peut-être pas de cette oreille que je subtilise un de ses plus précieux livres.

      Au chevet de Mathilde Bénédicte, dont je venais m’assurer de la santé, après sa réclusion et son inanition, j’avais l’air passablement ridicule avec mon petit paquet à l’enseigne de la meilleure pâtisserie. On m’avait permis d’entrer dans sa chambre, blanche et discrètement technologique. Elle avait les paupières baissées, les traits encore hâves. À son trop mince poignet gauche était attachée une perfusion. Je contemplais son repos, en m’étonnant qu’il existe des pièces sans livres. Un virus m’avait contaminé sans nul doute.

      Sans que je veuille la déranger le moins du monde, ses paupières se soulevèrent doucement, révélant ses iris bleutés. Je ne sus que chuchoter : « Bonjour »…

      - Mon sauveur ! murmura-t-elle. Vous êtes venu… Merci, tant merci ! Qu’avez-vous à la main ?

      - Tarte aux fraises. Charlotte aux framboises. Clafoutis aux cerises…

      - Comment avez-vous su ? Vous flattez ma gourmandise…

      - C’est ce que vous disiez lorsque je vous ai trouvée.

      - Ah, ce n’était que mon petit délire. Vous voulez-donc me sauver une seconde fois. Je ne dois pas manger beaucoup pour ménager mon estomac trop habitué à la famine, mais c’est bientôt l’heure du goûter, vous partagerez avec moi, voulez-vous…

      Je ne pus qu’acquiescer.

      - Comment vous appelez-vous ?

      - Bertrand Comminges, juge d’instruction.

- Alors, Bertrand, vous savez mon nom. Il faut me raconter comment vous êtes arrivé jusqu’à moi.

Malgré sa fatigue, elle m’écouta d’une attention soutenue, ne m’interrompant que pour requérir quelque détail…

      C’est à l’issue de cette narration, dont notre lecteur connait le développement, que, nantie de l’autorisation expresse d’une infirmière, elle dévora lentement la charlotte aux framboises, m’invitant à prendre la part de clafoutis aux cerises.

      Essuyant ces jolies lèvres, encore trop pâles, qu’une miette avait embrassées, elle me confia :

      - Merci encore, cher Monsieur Comminges. Revenez demain, si vous le pouvez. Je suppose que je serai plus en forme et que je pourrai à mon tour vous raconter mes aventures de bibliothécaire confinée…

      Emu, je la laissai au repos qui appesantissait ses paupières…

 

Photo : T. Guinhut.

 

      Ces quelques minutes auprès de ma bibliothécaire préférée m’avaient redonné du courage. Devoir affronter encore la tanière du voleur de vies, tant des chairs vivantes que des fictions sur papier, où cette dernière lecture m’avait abasourdi, m’avait semblé au-dessus de mes forces. Pourtant je n’avais guère approché de la cache du coupable, qu’au vu des dimensions exponentielles de la bibliothèque j’imaginais plutôt comme un palais. Ou un leurre. Reste que je n’avais pas le moindre indice sur la marche à suivre.

      Suivant le plan dessiné à la va-comme-je-te-pousse sur mon carnet à élastique, je retournais devant L’Ecrivain voleur de vies, prenant garde de coincer un fauteuil dans le chambranle formé entre deux parois de volumes reliés et brochés, histoire de ne pas être une fois de plus englouti par l’une des gueules de la bibliothèque. Saisissant l’opuscule avec la plus grande délicatesse, je ne vis pourtant pas la cloison attendue se refermer ; le rite de passage avait été définitivement franchi. Je tournais et retournais le volume entre mes doigts en espérant y trouver un indice pour continuer ma quête en direction du fauteur de crimes. Rien. Pas de dédicace, pas de mention d’imprimeur, de relieur, rien de plus que les mentions de l’auteur et du titre et l’habituel ex-libris au nom d’Allan Maladetta collé au premier contre-plat. Perplexe, je me repassais mentalement le récit en tête : peut-être fallait-il chercher un autre récit en rapport avec l’alcoolisme des protagonistes ; on ne se séparait pas si aisément d’une telle addiction. Errant, titubant plutôt, parmi les salles, recoins, renfoncements et couloirs, parfois vastes comme des chapelles, je tombais finalement sur une étagère consacrée aux vins et alcools, Bordeaux, Bourgogne, Chianti, Rioja, Champagne, whisky et Porto… Mais j’eus beau scruter les dos alignés à la parade, aucun n’affichait le nom fatal ! Je dus, observant mon carnet dont les fragments de plans bout à bout et de pages en pages s’étoffaient, retourner devant L’Ecrivain voleur de vies. Je le repris en main, précautionneusement.

      L’ex-libris ! Il n’avait la sobriété laconique des précédents, mais s’ornait d’une silhouette montagneuse… Mais oui ! comment n’y avais-je pas pensé plus tôt : la Maladeta, ou Monts Maudits en français, est un massif montagneux des Pyrénées centrales et espagnoles, où jaillit le pic d’Aneto, point culminant de la chaine, à 3404 mètres d’altitude.

      Il s’agissait maintenant de trouver la salle consacrée aux montagnes, et plus précisément aux Pyrénées. Mon plan était peu à peu devenu, parmi les pages successives de mon carnet un rien chiffonné, un puzzle aux pièces successives et erratiques, qui devenait de moins en moins lisible, qu’il me faudrait refaire de manière plus scientifique à la première occasion. Je revins sans trop de peine à la vaste pièce circulaire d’où partaient en étoiles sept couloirs caparaçonnés de savantes étagères. Je supposai qu’était là le centre, entre les canapés rouge, avec un motif en étoile sur le sol de marbres noirs, blancs et grisés. Je redessinais cet espace en constatant que, comme de juste, il contenait tout un pan d’encyclopédies, dont celle de Diderot et d’Alembert. Chaque large couloir partait honorer un art : Histoire, Géographie et Voyages, Sciences, Philosophie et Théologie, Arts plastiques et Musique, Littérature, Histoire naturelle, à chaque fois peuplé d’usuels et de dictionnaires afférents. J’emboitai le pas du géographe, en espérant qu’il ne me faudrait pas faire de l’escalade, ni une trop longue randonnée pour accéder à cette Maladeta. Mais au bout de cette allée, une autre étoile, certes aux dimensions plus modestes, m’attendait, dont les branches s’ouvraient sur les cinq continents. Je choisis l’Europe, en imaginant qu’une autre étoile m’attendait, si la bibliothèque était une constellation. Non, j’entrai bientôt dans une salle aux murs multinationaux et régionaux, quand une vive lueur attira mon attention. Une porte s’ouvrait sur une arrière-salle, exceptionnellement nantie d’une large fenêtre demi-panoramique avec une époustouflante vue montagnarde : le soleil couchant ardait avec violence une longue théorie de pics enneigés, crémeux, cuivrés et rosés ! Je restais un moment ébahi, m’asseyant dans un fauteuil visiblement dressé à cet usage. Peu à peu cependant, les lumières de la pièce s’allumaient au fur et à mesure que s’estompaient celles du dehors. Je limitais alors mes soins à ce sanctuaire consacrée aux littératures et arts de la montagne, taillé dans le granit sur un de ses pans, dont un renflement ornait le lieu comme dans un temple primitif et païen.

      Un pan de mur était occupé par ces Alpes que l’on devinait aigus et spectralement blancs au travers de la fenêtre oblongue, une foultitude d’ouvrages en français, anglais, allemand et italiens, un autre sur les montagnes du monde, jusqu’à des babels d’espagnol sur les Andes, de russe sur le Caucase, de japonais sur les Alpes nippones…

      C’est auprès de ce granit bleuté, que je découvris les volumes dévolus aux Pyrénées, et plus précisément sur le massif de la Maladeta - ceux-ci avaient l’adéquat ex-libris - que je m’attelais à inventorier. Rien qui soit signé du maître… Je remâchai un instant ma déception, avant d’élargir mes recherches : le côté nord s’intéressait aux Pyrénées françaises, Béarn, Bigorre et Luchonnais, avant de se diriger vers l’Ariège et le Roussillon ; le côté sud au versant espagnol, soit le Haut-Aragon et plus loin la Catalogne. Et là, jouxtant des monographies sur les sierras de Guara et de Gratal, j’extirpai enfin un mince fascicule relié d'écorce de pin noir, dont le dos s’ornait du patronyme convoité, intitulé : Les Neiges du philosophe.

      Le fauteuil qui maintenant trônait devant la nuit froide du dehors, quoique parfaitement éclairé, choyé par une douce température, allait accueillir confortablement ma lecture, même si j’étais un rien moins que sûr de la sérénité des caractères qui offriraient leurs désastreuses beautés à mes yeux. Notant qu’il y avait un nécessaire à thé dans un coin, sur une table de bois rustique, j’acceptai l’hospitalité du propriétaire, dont c’était probablement l’espace préféré, comme l’affirmait un cartouche délicatement peint à même la partie supérieure du chambranle, côté extérieur : « Salle Maladeta ». Je me fis infuser un thé myrtille, que je comptais déguster, sans craindre un empoisonnement (du moins pas encore et tant que je n’avais pas rencontré le monstre en personne, qui ne pouvait que tenir à afficher sa personne en une acmé haute en couleur) de la part de l’orgueilleux auteur qui jouait au Petit Poucet avec moi. Tranquillisé par quelques gorgées exquises, je me pris à penser qu’il manquait auprès de moi un second fauteuil qui accueillerait celle qui lirait avec moi :

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La suite est à venir...

 

Valle de Hecho y Sierra de Bernera, Alto-Aragon.

Photo : T. Guinhut.

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30 novembre 2019 6 30 /11 /novembre /2019 19:02

 

Sergio Fiorentino, 2018. L'Amand'Art, rue Bourbonnoux, Bourges, Cher.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

L’image de l’artiste

 

de l’Antiquité à l’art contemporain :

 

essai et peintures romanesques.

 

 

 

Ernst Kris et Otto Kurz : L’Image de l’artiste. Légende, mythe et magie,

Traduit de l’anglais par Michèle Hechter, Rivages, 1987, 210 p, 75 F.

 

Jonathan Gibbs : Randall,

Traduit de l’anglais (Grande Bretagne) par Stéphane Roques,

Buchet-Chastel, 2018, 396 p, 22 €.

 

Percival Everett : Tout ce bleu, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Anne-Laure Tissut,

Actes Sud, 2019, 336 p, 22,50 €.

 

 

 

 

 

      Un certain préjugé attache à la figure de l’artiste une aura d’excentricité, l’image du génie méconnu, voire maudit. Eût-il vécu la plus banale vie du monde, il n’en aurait pas moins les caractéristiques étonnantes et légendaires du génie. Il en est ainsi depuis l’Antiquité, en passant par la Renaissance, comme le révèle l’essai d’Ernst Kris et Otto Kurz, consacré à L’image de l’artiste. L’art contemporain n’est évidemment pas indemne de tels travers et splendeurs, d’autant plus frappants et iconiques si la fiction, celle des romanciers en l’occurrence, s’en empare. Jonathan Gibbs dessine la biographie météorique d’un as de l’ironie contemporaine avec son Randall, tandis que Percival Everett est plus tragique en Tout ce bleu. Ainsi, de Zeuxis à l'art conceptuel et scandaleux d’aujourd’hui, l'image de l'artiste emprunte maintes métamorphoses.

 

      La dimension inexplicable du génie prête à l’artiste des traits stupéfiants et fabuleux. Il ne suffit pas d’une approche psychologique pour le sonder, il faut y associer une démarche sociologique pour entendre comment leurs contemporains les ont perçus. C’est à cette double analyse que se livre l’auteur à quatre mains de L’Image de l’artiste. Légende, mythe et magie. En effet le créateur peut être « partiellement responsable, de par son tempérament et ses talents personnels, de la réaction de la société à son égard, et, d’autre part, cette réaction n’est pas sans effet sur l’artiste lui-même ».

      Qu’il s’agisse de Pline l’Ancien dans l’Antiquité ou de Giorgio Vasari à la Renaissance, le bouquet d’anecdotes ou la biographie ornent la personne singulière de l’artiste de comportements exemplaires, de pratiques insolites. Ainsi les « préconceptions » qui collent à l’image du peintre, sculpteur ou architecte, voire musicien, viennent de fort loin et sont toujours agissantes. Il est une sorte de héros mythologique, un individu d’exception. Comme Hercule étranglant des serpents en son berceau, dès l’enfance il accomplit des exploits. Le jeune chaudronnier Lysippe devient sculpteur sans avoir besoin de maître, le jeune Giotto dessine des moutons d’après nature sur les pierres et le sable avant d’être remarqué par le vieux maître Cimabue ; en conséquence une ascendance modeste n’empêche pas que l’on soit propulsé vers la gloire. Le « héros culturel » est souvent autodidacte, inventeur d’une technique (sculpter le marbre par exemple), il est autrement dit le « deus artifex ». En conséquence règne « un lien indissoluble entre pensée moderne et mythologie », depuis au moins Dédale, créateur du labyrinthe et de statues capables de se mouvoir.

      L’enfant, qu’il s’appelle Filippo Lippi ou Nicolas Poussin, est remarqué alors qu’il dessine sur n’importe quel mur ou papier, d’où la précocité du talent et l’émergence du génie. Pourtant, contrariant le mythe, nombre d’artistes se sont révélés assez tard.

 

      Imiter la nature ne suffit pas : Plotin, parlant du « Zeus » de Phidias, affirme que la vision intérieure compte plus que l’imitation de la réalité. Ainsi l’artiste peut devenir l’égal du poète. De plus la capacité de s’inspirer du hasard est récurrente, qu’il s’agisse de Léonard de Vinci ou de Sung-Ti, observant tous deux, bien qu’en deux contrées fort différentes, un vieux mur pour susciter un paysage. L’on aime également, au-delà du lent et opiniâtre travail, la fureur artistique, la beauté de l’esquisse, le non finito, le brutal inachevé des « Esclaves » de Michel-Ange. L’auteur des Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, Giorgio Vasari[1], contribue à cette délectation de l’extatique transport qui conduit le « stylet de Dieu » et fait de l’artiste « le Saint d’une religion, qui, sous la forme du culte des génies, reste aujourd’hui toujours vivante ».

      Apparaître comme un magicien est également une caractéristique iconique de l’artiste. La parfaite imitation parait le summum de la prestidigitation. Parmi les Grecs, Zeuxis peint des grappes de raisins où viennent picorer les oiseaux, quand son rival Parrhasius voit Zeuxis tenter de soulever un rideau qu’il avait peint : « il céda la palme avec une franche modestie, car il n’avait lui-même trompé que des oiseaux, mais Parrhasius avait trompé l’artiste qu’il était[2] ». Pourtant nous ne connaissons ni les œuvres de ces experts de la mimesis, ni celles d’Apelle, tout aussi célèbre, à qui Alexandre offrit une de ses concubines car il « s’était pris d’amour pour elle[3] » en la peignant. « Imiter trompeusement la nature » est un topos de l’éloge. Au point qu’un chien dit-on crut reconnaître son maître dans un tableau de Dürer. Comme dans le mythe de Pygmalion amoureux d’une statue, l’œuvre d’art peut être prise pour un être vivant. De surcroît il faut penser à la magie du Portrait de Dorian Gray qui vieillit lorsque le modèle garde la beauté de sa jeunesse. La littérature extrême orientale conserve de telles relations magiques entre le modèle et la peinture : aimer et tuer la seconde ont un retentissement sur le premier. Cette « équation magique » traverse le culte des idoles, des peintures de la vierge, du Christ et du Démon. Au point que les dieux peuvent être jaloux de l’œuvre, par exemple à l’occasion de la tour de Babel. . N’ayant pas le même rapport avec la main de l’artiste, la photographie n’a guère ce pouvoir.

      Autres « attributs » légendaires de l’artiste, la virtuosité, la connaissance intuitive des proportions, la dimension colossale ou minuscule de l’œuvre, mais aussi la facilité dans la répartie et le mot d’esprit… Forcément la supériorité de l’artiste face à son public est avérée. Il peut aussi peindre en enfer ceux qui ont omis de le payer et en paradis ceux qui lui ont plu. Quant à ces œuvres, elles sont plus ses enfants que ceux de chair et d’os. Et l’on n’oublie pas d’abusivement associer l’homme à l’œuvre, dont les vices et crimes peints sont alors réputés les siens ; il en est de même pour les écrivains. Sans compter que l’on ait suspecté qu’un Michel-Ange puisse clouer un jeune homme sur une croix pour mieux représenter l’agonie du Christ…

      En Chine, bien plus qu’en Occident, l’on aime penser que le peintre s’absorbe pendant des années dans son sujet, au point de vivre en ermite dans les montagnes pour mieux les peindre en un instant.

      L’essai d’Ernst Kris et Otto Kurz donne à L’image de l’artiste une assise pleine de topoï, de façon à isoler des « destin-types », dans une argumentation aussi claire que documentée, montrant que des traits pittoresques, légendaires, voire magiques, gardent leur pertinence lorsque l’on va jusqu’à notre contemporain. N’aime-t-on pas le génie fauché dans sa jeunesse, comme l’Américain Basquiat, comme Randall dans un roman…

 

Kunsthaus, Zurich, Schweiz. Photo : T. Guinhut.

 

      L’artiste de la Renaissance était financé par l’Eglise et les Princes, il l’est aujourd’hui par les collectionneurs et les institutions muséales. Ainsi Randall devient dans les années quatre-vingt-dix la coqueluche des amateurs fortunés, en tant qu’il est une sorte de synthèse entre Andy Warhol et Damien Hirst, soit une allégorie de l’art contemporain. L’habile romancier Jonathan Gibbs en dresse la biographie, fictive et emblématique.

      Le personnage éponyme est évoqué par celui qui fut son ami, Vincent Cartwright, financier et amateur d’art, mais surtout son exécuteur testamentaire. Le récit, chronologique, avance parallèlement avec la découverte post mortem d’une cache où dorment une belle poignée de ses tableaux : ils représentent maints acteurs de la scène de l’art contemporains, célèbres et estimés, curateurs, directeurs de musées, critiques, collectionneurs, cette « hiérarchie angélique », tous dans des poses pornographiques sans ambigüité, y compris son épouse Justine et son ami Vincent. Faut-il révéler ces corps du délit, qui, outre leur « pureté technique » et leur capacité de scandale, valent potentiellement bien des millions de livres et de dollars ?

      Certes la capacité de Randall à surprendre, oser et choquer n’est pas un mystère et fait désormais partie de l’image obligée de l’artiste, sans cesse animé par sa créativité : « Randall faisait naître l’art à même l’air ». Et comme Léonard de Vinci et Sung-Ti, Randall use du hasard pour concevoir ses créations. Vide d’idées, et observant son papier- toilette après un anal usage, il conçoit son autoportrait excrémentiel sérigraphié, auquel s’ajoute une série de portraits ainsi conçus de tous ceux qui auront voulu se plier au jeu ! Il passe du « statut de canular puéril d’école d’art à celui de point culminant du Pop Art britannique ». Certes avec ces ironiques « Pleins soleils », nous voici dans la tradition de la « Boite de merde d’artiste » de l’Italien Piero Manzoni, qui inaugure l’anti-goût de l’art contemporain pour la scatologie avant celui de la plus sale pornographie, auquel se plie sans vergogne, voire fierté absolue, le pathétique Randall. Dont les « Pleins Soleils » sont censés le représenter après sa mort. Suivent les « Marionnettes furibondes » à têtes d’écrans de télévision, et le célèbre « Jaune Randall » qui est « dans l’air du temps ».

      Là encore se dresse un topos du milieu artiste : tous fêtards, plus ou moins drogués, fort alcoolisés, ils dansent une « sarabande de fêtes et de gueules de bois ». Autre topos plus contemporain que le mythe du poète maudit, les voilà promoteurs de scandales désirés et clowns sérieux couverts de cartes de crédit, sans oublier la figure obligée des acheteurs, jusqu’aux cheikhs arabes, « charlatans » ou manipulateurs, dans un monde où l’argent fait l’art plus que l’art fait l’argent…

      Bientôt, il ne s’agit plus seulement d’art pictural, mais de performances, d’événements, comme de bombarder au paintball trois tableaux et la foule du vernissage avec du « Jaune Randall ». Le canular pathétique prétend à une dignité : « L’art conceptuel est une rhétorique, dit-il plus tard. Ses fruits sont dans la réaction qu’il engendre ». Ici la panique et la douleur. « Parodie », « acte criminel », ou « suicide artistique » ?

      Soudain, le voici représentant l’Angleterre à la Biennale de Venise en 1999, exposant son « Anti-mignon », soit trente-deux couveuses avec une sorte de bébé Pikachu jaune, qui est la transposition de son fils à l’hôpital, ou un lièvre empaillé, des poissons rouges morts, un « cercle de fœtus »… L’œuvre, plus impressionnante encore que le requin flottant de Damien Hirst, remporte le fameux « Lion d’or ». L’obscénité de la naissance et de la mort plonge au fond de la métaphysique originelle de l’humanité.

      Sa gloire traversant l’Atlantique, il érige des sculptures géantes, « en réaction au 11 septembre », dont « Le cheval », ironiquement exposé au sommet d’une tour de quelque émirat et voisinant avec un Jeff Koons et un Murakami. Le « luxe au détriment du goût », le « kitch » et le « clinquant » ont alors définitivement pris la place du sacré et du sublime, ce dont Randall est explicitement conscient. Pourtant il est évident que pour lui ses tableaux cachés, peints avec « les restes broyés de [son] propre ego », sont l’acmé de son travail, à la fois plus classiques et plus indécents.

      Notons à cet égard qu’il faut à la fois une singulière inventivité et une capacité à l’ekphrasis de la part du romancier artiste. Jonathan Gibbs, quoique écrivant au travers de son narrateur fasciné, ne prend pas parti, ne porte pas de jugement en faveur ou en défaveur d’un tel personnage, d’un tel art. Faut-il cependant penser, au-delà de la tendresse et de la bienveillance du narrateur pour son ami, qu’il s’agit d’un magnifique éloge funèbre, ou d’une satire, passablement dévastatrice ? Que restera-t-il de cet art contemporain[4] ? Au moins, il n’est pas impossible que reste ce beau roman, sobrement intitulé Randall, premier roman et première réussite, d’un jeune journaliste nommé Jonathan Gibbs.

 

Cy Twombly, Joseph Beuys, Kunsthaus, Zurich, Schweiz.

Photo : T. Guinhut.

 

      Le héros malheureux du roman de Percival Everett, Tout ce bleu, contribue quant à lui au mythe de l’artiste traversé par la folie, comme en son temps Van Gogh se tranchant l’oreille et se peignant ainsi mutilé, ou nourri par un secret traumatisme. Kevin Pace cache aux yeux de tous un immense tableau qui est la métaphore de ses secrets inavouables. La toile de « quarante-neuf mètres carrés » vit au rythme du « bleu de Prusse mêlé d’indigo » et de « bleu céruléen qui se fond dans du cobalt ». Ses autres tableaux, disponibles à la vente sont des « putes », y compris celui dont le rouge a « un mouvement d’affliction intense ». Pensant détruire son tableau à l’occasion de sa mort future, il fait un essai ; mais « il avait amélioré l’œuvre en tentant de la détruire ».

      Une « escapade romantique avec une autre » à Paris, blanche alors qu’il est noir, donc un adultère passé à l’encontre de son épouse est le moindre de ses secrets, parmi lesquels un voyage au Salvador où s’entrechoquèrent une fillette morte avec « une robe bleue », et un soldat tué en état de légitime défense : « forme humaine au fusain ». Mais au présent, c’est au tour de sa fille de lui révéler l’inavouable ; enceinte à seize ans.

      Cependant, moins qu’une aventure romanesque de la peinture, il s’agit d’un beau drame psychologique, familial et d’aventure, mené avec sûreté par un écrivain dont les chapitres alternent les moments de la vie de son personnage. Quoiqu’abstraite, sa peinture est parlante, « enduite de culpabilité ». Pourtant, le bleu de l’artiste, dont les crises et les abjections nourrissent l’art, serait alors une sorte d’exorcisme, en tant que sur ce tableau se fixent toutes ses « aspirations ». Conformément à l’image attendue de l’artiste, il s’avoue : « ma dépression alimentait mon œuvre, rendait mon art meilleur, lui donnait de la gravité, une profondeur qu’il n’avait pas auparavant ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Double coloré de l’écrivain, l’artiste est sa métaphore, son désir secret d’accéder à une autre visibilité, voire à la tapageuse célébrité d’un insolent art contemporain qui affole les galeristes, les collectionneurs et les ventes aux enchères. Il est celui qui dit le monde et le dépasse par sa capacité esthétique, philosophique, voire transcendantale ; mais aussi  un miroir aux alouettes de la consommation, de la vacuité et de l’illusion qui envahit depuis quelques décennies le marché et la représentativité de l’art contemporain, ramassis de grands maîtres et d’esbroufeurs, d’escrocs. Il y eut le « bleu Yves Klein », le « jaune Randall », l’on porte au pinacle le noir Soulages ; dont la monomanie et la longévité remarquable, comme celle de Titien, contribuent au mythe. S’il est permis d’y voir mille nuances, graphismes et aplats, interaction avec la lumière, propres à faire voyager la contemplation, l’on peut se demander si la vogue d’un tel continuum de noir ne serait pas une défaite de l’imagination, du goût, de l’invention et de la représentation, un diktat nihiliste, une tyrannie consentie à l’austérité charbonneuse apparemment luxueuse, cependant bien vite plus vide qu’un mur de prison aveugle. Ce serait tomber dans une forme de reductio ad hitlerum que de parler de l’imposition d’une burqa sur l’art, cependant rien n’empêche de se demander pourquoi une société (pas toute entière heureusement), qui préfère la défaite de la pensée aux arcs-en-ciel d’une créativité libre et exponentielle, s’agenouille fascinée devant cette noirceur aporétique qui est peut-être la mesure de son horizon…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Giorgio Vasari : Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, Actes Sud, 2005.

[2] Pline l’Ancien : Histoire naturelle, XXXV 65, La Pléiade, Gallimard, 2013, p 1608.

[3] Pline l’Ancien, XXXV 86, ibidem, p 1613.

[4] Voir : Que restera-t-il de l'art contemporain ?

 

 

Joan Miro, Kunsthaus, Zurich, Schweiz. Photo : T. Guinhut.

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25 novembre 2019 1 25 /11 /novembre /2019 18:41

 

Collado de Llesba, Camaleño, Cantabria.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Les Neiges du philosophe.

La Bibliothèque du meurtrier V.

 

 

 

Enfin, dans cette sereine salle Maladeta[1] avec vue montagneuse et tourmentée, j’avais gagné la permission d’ouvrir cet étrange livre, relié au moyen de deux plats d’écorce de pin noir, intitulé : Les Neiges du philosophe. Le récit était brièvement introduit par l’inamovible sieur Maladeta.

Un philosophe mort. Quelle drôle d’idée ! Certes dans les salles philosophiques de cette bibliothèque, sous la forme tombale du livre ; mais sur un sentier partiellement enneigé de montagne ! À quoi pouvait-il servir ? Sinon à pourrir momentanément l’espace ? Quoiqu’il fût glacé par une blancheur nocturne qui maintenant allait fondre. Et s’effacer instantanément dans le temps. La philosophie serait-elle mortelle pour qu’un silence succède au corps soudain privé de vie…

Visiblement, au-dessus des pentes herbues et rocheuses de la Haute-Garonne, griffées de lambeaux blancs, aimanté par le tableau lointain des massifs encore hivernaux, ce sentier avait recueilli le malaise du marcheur, sa mort soudaine et paisible, comme s’il avait été cueilli par la bienveillante main de la Faucheuse, conservant la position assise du repos, quoique la tête fût penchée dans de vieilles bruyères. Je l’avais trouvé sur mon chemin parce qu’il me paraissait juste d’approcher cette montagne qui portait mon nom : le massif de la Maladeta. Marchait-il lui aussi pour atteindre ces Monts Maudits, que son corps lui avait finalement refusés ?

De sa poche de poitrine dépassait un carnet. Intitulé Les Neiges du philosophe, sous l’égide d’un nom absolument ridicule : Georges Bois-Souriguère :

 

« Ma vie d’enfant ne compte guère à mes yeux. Comme si je n’avais rien vu alors des yeux de l’esprit. Je vis seulement, ou je crus voir, lorsqu’en dernière classe de lycée, avec le concours d’un professeur dont je ne percevais rien, sinon son rôle, son jeu d’acteur passable dans le cadre d’un office convenu, je découvris chez Platon l’équivalence et l’éternité du Beau, du Bien et du Vrai…

J’aurais voulu en savoir plus. Mais le professeur, qui se nommait Monsieur Bruyère et n’avait décidément guerre de caractère, ne me fut d’aucun secours, me renvoyant au texte de Platon.

Il m’avait suffi de ces trois mots pour décider - ou pour savoir - que j’allais devenir philosophe. Sinon quel sens aurait le monde qui m’entourait ? Je demandais à posséder les œuvres complètes de Platon, dix volumes, excusez du peu. Bien qu’étonnés, mes parents qui en avaient les moyens - l’un dirigeait la plus énorme concession Porsche de Paris, l’autre se consacrait aux œuvres de bienfaisance, Secours catholique et Resto du cœur - y consentirent.

J’entrepris des études de philosophie. Pour sortir de la caverne. Que ce fussent les présocratiques, les stoïciens, les épicuriens, Saint-Thomas d’Aquin et Descartes, tout allait longtemps le mieux du monde. Mais en découvrant un suppôt du démon, je veux dire Nietzsche, me voici décontenancé, estomaqué, ahuri, stupéfié, jeté à bas depuis les hauteurs socratiques, écrasé sur le sol ruiné. Comment l’anti-platonisme pouvait-il se concevoir ?

Alors que je venais d’achever ma thèse, et avant de me consacrer à ma chaire de philosophie antique à l’Université de Sibylline-sur-Seine, je résolus de gravir l’Olympe. Ce qui avait nécessité d’amasser un petit pécule. Quelques mois d’économies et me voici suant et ronchonnant sous une chaleur accablante, mes croquenots butant sur les rocs, mes cuisses et mes mollets me rappelant à leur existence terrestre, accédant à un sommet pelé, sous un ciel blanc à force d’être bleu de la Grèce, vide, infiniment vide. Les dieux ne me parlèrent pas.

Aujourd’hui l’on dirait que j’étais un asexuel. Du moins jusqu’à l’âge de vingt-deux ans. Mais en lisant et relisant, je dus me résoudre à me demander : Alcibiade ou Diotime ? Allais-je aimer un Alcibiade, ce libertin, ce disciple, ami et amant occasionnel de Socrate, tel que le présente Platon son Banquet et son Gorgias ? Hypothèse aussitôt invalidée. Ou devais-je plutôt me confier à une Diotime, venue ou non de Mantinée, qui saurait m’instruire des choses de l’amour, ce démon redouté, désiré, et des formes intelligibles ? Ainsi pourrais-je boire l’immortalité à la source de son nombril. Longtemps la chose resta pour moi purement conceptuelle…

Un soir, un camarade me traîna dans une boite nuit. Après tout c’était une expérience à faire. Alors qu’il butinait à la recherche du « bon coup », je m’ennuyais ferme, les tympans écrasés par le vrombissement des basses, le brinquebalement sonore, les yeux dézingués par le clair-obscur clignotant et les silhouettes de zombie qui suaient le pathétique. Assis dans un angle mort, je méditai de lui fausser compagnie, quand une femme s’assit près de mon bras qu’elle pressait. Ses formes appétissantes s’enquirent de mon prénom. Ses yeux prirent entière possession de mes apparentes particularités. Soudain son avide bouche se jeta sur la mienne, ses seins durs se pressèrent contre ma poitrine, sa main rencontra mon érection. Comment lui résister ? Elle me jeta étourdi dans sa voiture, sans presque lâcher mes parties terrestres, dans son lit défait. Où elle me fit lécher son orifice charnu, fit jouir mon membre dans cette même caverne rouge. Si elle s’était tue jusque-là - sa langue étant d’abord affamée puis ailleurs occupée - la satiété la révéla bavarde comme une pie voleuse, vantant sa collection de fanfreluches, raillant ma profession de philosophe. La drôlesse était plus soulante que la boite d’où elle m’avait sorti. N’ayant été que de la viande occasionnelle, je ne revis jamais cette Solange au prénom si mal porté ; non !

Comment faire profession de philosophie, si l’on n’avait entrepris celle de l’amour vrai, condition humaine rêvée entre toutes ? Evidemment je tendais le filet théorique où ma psyché, mon idéalisme, mes hormones entières, allaient se laisser prendre. Même si après trois ans d’enseignement je n’avais toujours pas rencontré la moindre étincelle, dans la rue, dans les bibliothèques et les musées, parmi mes collègues, voire mes étudiantes. Sûrement mon tempérament mélancolique y était pour beaucoup…

Si je tentais de percevoir son regard, ses paupières se fermaient immédiatement. Du moins laissaient-elles flirter la suffisante perception de sa prise de notes au bout de son stylo-plume d’où découlait une encre rose continue, qui paraissait peu appropriée au sérieux dû à un cours sur la rhétorique comparée d’Aristote, de Cicéron, de Quintilien et du Gorgias, cours qui avait été suivi par Le Banquet et sa postérité néoplatonicienne, de Platon à Marcile Ficin. Je l’oubliai, dépliant mon discours. Et lorsqu’à la fin de l’heure je m’agenouillai pour recueillir les feuilles, chargées de mes précieuses références, qui m’avait glissé des doigts, je relevai mes regards sur des pieds gantés de sandales d’or, ailées de surcroit, des pieds de jade, des jambes d’ivoire sous un pantalon noir à plis, hautes et longues jusqu’à l’éternité. La fuite de son corps n’allait pas me révéler son âme, lorsque se retournant dans l’embrasure de la porte, elle s’agenouilla aussitôt pour, avec une étonnante vivacité, me tendre le feuillet qui avait échappé à notre vigilance : la fente incisive et veloutée de ses yeux asiatiques au regard un instant révélé me fendit la poitrine, sans que ma voix puisse la remercier, muet comme un rhétoricien mort. Sûrement, alors qu’elle disparaissait, m’avait-elle pris pour un grossier personnage, méprisant, suffisant…

Son apparence monacale portait des ensembles veste et pantalon noirs, des chemisiers blancs fermés au col rond. Car jamais un sourire ne caressait ses traits, y compris ses lèvres pleines à l’arc de Cupidon renflé. Seule une barrette rose tenait serrée sa chevelure lisse et noire dont la calme avalanche ornait son dos. Seule une mince montre d’or rose soulignait son poignet. Deux concessions étranges à une frivolité qui semblait déplacée, ou nécessaire, selon. Sa rectitude appliquée, son silence, sa parfaite sagacité lors du premier devoir de Master, dont le succès ne faillit jamais par la suite, l’absence apparente d’émotion, des yeux qui n’existaient pas pour moi...

Consultant sa fiche d’inscription, je constatais qu’elle était déjà détentrice d’un Master de Diplomatie Internationale, qu’elle était quadrilingue, japonais, chinois, anglais ; son français ne faisant aucun doute. Avec mon grec désuet, mon allemand venu de Kant, je me figurais être un amateur, un crouton hors du temps. Que venait-elle faire dans un inutile cursus de philosophie antique ? Une exotique initiation tout au plus… Traversant l’esplanade universitaire aux herbes aromatiques, parmi pléthore de trop jeunes étudiants, je la surpris, riant à gorge déployée, jouant à se jeter des peluches Pokémon à la tête avec deux ou trois filles en cosplay surexcitées. Que venait-elle faire dans mon séminaire passablement austère ?

Elle s’appelait Yuki. Yuki Nakama. Ce qui signifie « neige » en japonais. « Le bonheur est comme la neige : il est doux, il est pur et… il fond », disait un proverbe. En attendant c’était moi dont la psyché, que j’avais crue imperturbable, stoïcienne en diable, fondait. Mes recherches me menèrent à un conte intitulé La femme des neiges. Malgré plusieurs versions, à chaque fois, une très belle femme apparaît en temps de neige. Inévitablement, le héros en tombe amoureux. Quelques soient les circonstances et péripéties diverses, elle finit par disparaître. La cruelle peut ne pas hésiter à tuer, un peu comme l’hiver dont elle est une personnification. M’ébrouant au sortir de cette découverte, je n’allais cependant pas me laisser aller à des superstitions.

Entretemps venait de paraître aux éditions Vrin ma thèse : Mirages du platonisme et de l’antiplatonisme. Je n’en avais pas fait la moindre mention pendant mes cours. L’éditeur avait tenu à faire figurer mon portrait en quatrième de couverture ; c’était le format obligé de la collection, m’avait-il rétorqué. Un petit Georges Bois-Souriguère, à la place de Socrate et Nietzsche ! Certes ma taille humaine - je mesure un mètre quatre-vingt-douze - me permettait de les certainement les dépasser… Mais je n’étais qu’un modeste commentateur, qui aurait dû être champion de basquet me disait-on souvent, alors que j’avais le sport en horreur, sinon la marche dans les musées, dans les bibliothèques, sur les sentiers de montagne.

J’avais coutume de disserter au-delà de la chaire en déambulant parmi les tables des étudiants. Ils n’étaient qu’une quinzaine. Discrètement, je corrigeais parfois sur leurs notes quelque faute d’orthographe, de syntaxe, quelque référence, ce dont ils m’étaient, d’un regard, reconnaissants. Avec désespoir, je constatai que je n’avais rien à biffer, à ajouter, à l’encre rose qui coulait de source sur un papier de riz. Mais cette fois, je la vis fébrilement cacher sous ses feuillets un livre. C’était mon livre ! Que j’aimais soudain mon livre qui avait paru se détacher de moi après sa publication… Combien, à la réflexion, je redoutais une coquille, une erreur, une frivolité, un raisonnement bancal, qui m’auraient échappés, que sa sagacité saurait clouer au pilori !

Alors que je traversais l’esplanade ventée, où voletaient des flocons aventureux qui touchaient le sol en fondant aussitôt, rêvant de je savais bien qui, sans voir le flot des étudiants qui papillonnaient, jacassaient, riaient, je me sentis rudoyé par un coude tranchant, tiré violement par la bandoulière de mon sac, qui me fut arraché. Je ne compris d’abord rien à l’action. Je tombai. Une jambe à la finesse incomparable avait été lancée contre une poitrine estomaquée. Un poing fut jeté sans atteindre sa cible, son propriétaire lui-même vola dans un massif d’épineux. Du moins je crus voir le film en ralenti, par éclats. Un visage se pencha sur moi, une main se courba vers ma nuque pour la soutenir. Je ne vis que la neige. Qui me prit dans ses bras, dont les lèvres frémissantes étaient si proches des miennes. La neige commençait à tenir autour de nous. Le temps s’était arrêté. Il se rembobina sous le coup d’un concert d’applaudissements. Sonné, soutenu par ma salvatrice, par un autre étudiant, Joseph, qui me rendait ma sacoche, je pus me relever. Oui, j’allais bien, malgré mon côté un peu meurtri. Je voulus la remercier. Elle s’était déjà éclipsée.

-  Saviez-vous, professeur, que Yuki pratiquait les arts martiaux ?

Mais au cours du lendemain, il n’y avait pas la moindre paupière pour se lever vers moi, pas même pour fuir mon regard, que je devais, par discrétion, mesurer. Etait-elle chaste comme la glace, avait-elle un boy-friend, une amoureuse, était-elle souverainement indifférente à mon égard, était-elle intimidée à ce point par ma minuscule personne académique ? Etait-elle une ninja ?

La semaine suivante, j’entamai un petit cycle sur Diogène le cynique, dont les réparties firent rire aux éclats Zélie, une mutine un peu ronde qui était continument voisine de la calme Yuki. Je résolus de saisir l’occasion et mon livre sous les feuillets de ma salvatrice. Très vite je griffonnai une dédicace : « À Yuki, avec mes profonds remerciements ». Ses yeux brillants de neige fondue s’ouvrirent vers moi. Comme si j’allais tomber dans le gouffre qu’avait dressé sous mes pieds l’amour, celui qui rompt les membres et lamine les esprits. Je ne sus retenir une larme qui souilla le dos de sa main. Croyant pouvoir reprendre aussitôt la suite de mon cours sur Diogène le cynique, je balbutiai, comme jamais. Mes étudiants rirent en chœur, quoique ce ne fût rien auprès de Zélie dont les taches de rousseur tombèrent avec elle de sa chaise. Je sus alors qu’une peau de jade rose peut rougir.

Comment fit-elle pour si rapidement disparaître à la fin des deux heures, glissant dans l’invisibilité en passant auprès de moi ? Cependant j’eus le temps de me rendre compte, au contraire de ce que j’imaginais de la population asiatique, car je ne l’avais réellement vue qu’assise ou à mes pieds pour me donner ma feuille perdue, que son front dépassait d’au moins vingt centimètres celui de ses camarades, qui, studieuses cependant, portaient leurs peluches Pokémon dans les bras. Plus communicatives, elles avaient d’ailleurs avec empressement répondu à mes questions, en me présentant qui son bébé Dracolosse pêche, qui son Nymphali rose.

Il fallait se l’avouer. J’étais amoureux. Jusqu’à l’œuf de l’univers dont je n’étais  pourtant qu’une poussière. Après tout elle avait vingt-trois ans, je n’en avais que sept de plus. Sans avoir bu le moindre philtre, ni abusé des romans roses et des séries sentimentales qui jonchaient les mangas. Mes jours et mes nuits étaient caressés de la fuite de ses lèvres, de l’abîme tendre et infernal de ses yeux où je puisais l’onction de la sérénité, de ses dents pures où j’étais mordu comme un chien, de ses qualités intellectuelles indubitables qui, certainement, me dépassaient. Pouvoir caresser sa joue de la pulpe de mes doigts m’aurait paru un miracle digne des saints. Le fantôme de Yuki sourdait entre les caractères d’imprimerie qui jonchaient mes livres, il surgissait aux vides entre les volumes de la bibliothèque universitaire, il volait au-dessus de mes pas comme une tempête de neige printanière, il peuplait la douceur ravageuse de mon oreiller. Où je surpris des larmes. Etaient-ce les miennes ?

La fin du trimestre arriva trop vite. J’avais balayé Les stoïciens et les épicuriens, Lucrèce bien entendu. Allait-elle disparaître à jamais ? De ma vie sans dieu ni déesse ? Vie pauvre et jetée aux ordures de la banalité…

J’enseignais là depuis trois ans. Et les résultats n’avaient jamais été aussi bons. Joseph, Fantine, Norbert, Erinne, Lucie, Mathieu, ils avaient rivalisé d’intelligence et de travail, à l’occasion d’un mémoire conclusif dont le sujet avait été élaboré en toute liberté par chacun. D’ailleurs Joseph et Fantine vinrent me parler à la fin de l’avant-dernier cours :

- Monsieur. Nous aimerions qu’une petite cérémonie… La semaine prochaine. Que diriez-vous d’offrir à chacun de nous ? Mais nous deux allons vous aider pour ces tout petits frais. Offrir dans l’ordre croissant des notes obtenues - pas de crainte, vous nous avez déjà dit qu’il n’y avait aucune mauvaise note - une figurine Pokémon à chacun de nous. Chacun à son tour nous monterons en chaire près de vous. Ce serait symbolique. Plus parlant que l’oracle de Delphes. Vous commencerez par Zygarde et terminerez par Arceus, le Pokémon fabuleux. Qu’en dites-vous ?

- L’idée est fort amusante, répondis-je. Pourquoi pas !

Aussitôt, sous leur gouverne, je réalisais en ville les emplettes nécessaires. Je ne sais pas de quel œil Aristote aurait vu la chose… La note était un peu salée, mais, à mon immense satisfaction, je savais à qui j’allais devoir offrir Arceus. Car si j’avais accordé à son travail le chiffre sommital, ce n’était pas par favoritisme, mais par pure et objective justice.

Le jour venu, j’étais passé par le coiffeur, je portais des chaussures Justin Lacroix, un costume anthracite de Pether Andevers, une chemise blanche de Karl Opitzer, un nœud papillon Rizzoli gris perle et pois blancs, un zeste de parfum Jaguar for men. Mes étudiants avaient tous soigné leur tenue, qui de bleu marine vêtu, qui de robes longues. Je réalisai avec étonnement que Yuki avait délaissé son noir et blanc presque masculin pour une robe, certes d’une coupe droite austère, mais d’un rose bonbon savoureux qui moussait aux chevilles, comme à celles du Christ dans les fresques romanes de Saint-Savin. Avec une patience princière, ils attendaient la fin de la leçon conclusive sur Platon versus Derrida. Et la remise de prix.

Joseph et Fantine ordonnaient la cérémonie. Faisant monter Alice et Adalbert, Justine et Edwige, Enway et Lavia... Les sourires, les applaudissements, ponctuaient chaque cadeau que l’on ouvrait avec rire et volupté. Cependant la tension montait au fur et à mesure que les Pokémons sortaient de leur boite en rejoignant leurs mains tendues en même temps que l’Elysée du savoir, chacun connaissant la puissance croissante de leurs forces et vertus. Nous frôlions la perfection avec Zélie, dont son Actualité du rire de Diogène méritait un Deoxys, sans compter ses taches de rousseurs scintillantes. Enfin mes deux assistants, en chœur, appelèrent celle qui avait écrit La Figure de Diotime, de Platon à Hölderlin, un travail qui m’avait proprement abasourdi. Yuki, dont la robe trembla près de moi. Mes doigts frémissaient autant que cette dernière en lui tendant le coffret. Qu’elle ouvrit. Elle était émue, ravie, gênée. Quand, soudain, nous entendîmes quatorze étudiants réclamer : « La bise ! La bise ! La bise ! »

Interdit, je me sentis la glace me couler dans le dos. Pourtant, il fallait s’exécuter, s’approcher. Ce qu’elle faisait, les yeux baissés. J’élaborai le plus chaste et le plus retenu des bisous que je pusse concevoir auprès de sa joue, qui s’élevait vers moi, lentement, timidement. À l’instant où la pointe de mes lèvres allait frôler une joue intersidérale, ce furent ses lèvres qui répondirent aux miennes, ses bras serrés autour de mes épaules, mes bras caressant la rose de sa robe : je connus sa langue ; elle connut la mienne. Le gout de ses papilles gustatives était bien plus que ce que j’imaginais de l’ambroisie des dieux.

Au silence stupéfait par ce baiser plus intense encore qu’attendu, s’ajouta bientôt un charivari de joie, un tonnerre d’applaudissements, des bravos, des bravissimos, sans fin.

Si nos lèvres durent se séparer, ce fut pour que je ne puisse retenir à son adresse : « Chère amour… ». À quoi elle répondit, au travers de larmes incendiaires : « Je vous aime ». Quoi ! l’amour réciproque existait ! cette chimie des psychés et des corps n’était pas qu’un mythe, qu’un roman  à l’eau de rose pour midinettes… le philosophe en moi espérait qu’il ne s’agissait pas que la voix hormonale de l’instinct de reproduction, que d’une illusion romantique, mais de l’accomplissement sapiosensuel au moyen de la Diotime du Banquet. Nos larmes se buvaient les unes les autres…

Il fallut nous dresser face à la modeste assistance, comme au sortir d’un duo d’opéra aussi difficile que réussi, sous l’ovation, les peluches Pokémon qui volaient en l’air…

 

Photo : T. Guinhut.

 

La journée ne s’achevait pas là. Un restaurant japonais attendait la joyeuse assemblée pour la soirée. Joseph et Fantine ne nous lâchaient pas, tirant nos chaises pour que nos mains ne se quittent pas. Décemment, en cette animée compagnie, je ne pouvais subjuguer mes yeux qu’à mon aimée. Cependant je m’aperçus bientôt que Fantine et Joseph formaient un couple charmant et taquin, qu’Erinne et Edwige avaient plus souvent la langue dans la bouche de l’autre que dans leur assiette, que le puéril Baldwin lâchait des jeux de mots souvent scabreux, que Dan éclusait alcool sur alcool en pérorant, que seul Edouard semblait un peu malheureux, épiant à la dérobée Yuki, mais qu’à la réflexion Iknaïa laissait un peu trop briller ses pupilles dans l’ébène parfait de sa peau en direction de ce même Edouard ; mais en vain. C’est alors que Yuki se leva, demandant à Eva, conciliante, si elle voulait bien laisser sa place à Iknaïa, et glisser d’un ton impérieux et persuasif à Edouard ses seuls mots : « Regarde cette chère Iknaïa ». Interloqué, il s’exécuta. La vertu de consolation ne tardant pas à faire son œuvre, les formes bondissantes et le sourire extasié qui la transfiguraient, tout conspirait à instiller à Edouard une attention qu’il n’avait jamais cru concevoir à l’égard d’une créature jusque-là inconnue. L’assistance autant qu’Iknaïa se sentit, qui époustouflée, qui reconnaissante pour l’éternité, devant les pouvoirs de cette nouvelle Arceus, qui me paraissait façonner l’univers de ses deux seuls bras, qui allait protéger la planète de tous les cataclysmes, dont, en médiocre aurige et dresseur de chevaux célestes ou de Pokémons, je ne saurais jamais capturer qu’un fragment du dieu universel, dont enfin la main était un trésor d’or rose dans la mienne. Un autre or rose allait bientôt orner l’un de ses doigts…

Rendons grâce à la pudeur du papier de ce carnet de ne pas savoir rendre compte de tous les délices de cette nuit, qui se renouvelèrent au moins deux fois mille et une nuits au cours des années. Comment ne pas rendre grâce aux dieux, à la nature, à l’éducation, quand nous pouvions admirer, caresser, embrasser si longuement tous les secrets de nos corps, tous les orgasmes de nos esprits ?

Nous nous racontions, nous écoutions.

Ses parents, Chinois pour l’un, Japonaise pour l’autre, avaient quitté Shanghaï et une double carrière commerciale enviée pour rejoindre la France, où la liberté d’avoir trois ou quatre enfants était avérée. Elle avait donc deux sœurs et un frère, dont elle était la cadette. Si elle ne voulait pas faire de politique, plus trompeuse que la rhétorique - si l’on repensait au Gorgias de Platon - elle voulait accéder au secret des dieux publics par le truchement des langues, donc à l’interprétariat, sans compter que son habileté dans les arts martiaux ne serait pas de trop en l’affaire. Les stoïciens et les épicuriens sauraient la garder de tout hubris. Elle savait être aussi indulgente que stimulante, m’encourageant à écrire un nouveau livre dont je n’avais pas encore l’idée, qu’elle me souffla : une histoire de l’amour au travers des philosophes. J’imaginais d’aller à Kyoto avec elle, d’étudier la peinture zen et les haïkus. Elle allait m’accompagner cet hiver parmi les temples grecs de Sicile…

En effet, même si sa profession d’interprète diplomatique l’obligeait souvent à voyager pour quelque congrès plus ou moins confidentiel à La Baule, à Genève, à Londres, nous ne nous quittions plus. Elle savait me laisser seul avec mes livres, je la laissais relire le Genji Monogatori, pratiquer ses chers arts martiaux et l’ikebana, cet art floral qui requérait le silence. Elle me faisait apprendre des haïkus de Bashô en langue originale, et malheur à moi si je me trompai ! Un Pokémon en peluche se jetait sur moi, Salamèche ou Drakofeu, sous les rires complices de Zélie qui venait parfois nous rendre visite.

Deux ans plus tard, nous étions mariés, en costume Night Eternity de Ryan Versace pour moi, en robe blanche aux dentelles profuses, Dream of Wedding de Katsumati pour elle. Nos parents, ses frères et sœurs - j’étais fils unique - jubilaient, nos treize compères ex-étudiants nous ovationnaient. Edouard et Ikanaïa, tous deux devenus professeurs des écoles avaient déjà un bambin joliment chocolaté. Erinne et Edwige commercialisaient une gamme de boissons gazeuses qu’elles avaient conçue. Joseph et Fantine œuvraient dans la conception de sites Internet de prestige. Seul Dan manquait : l’alcool l’avait conduit au-dessus d’une de ces falaises de l’Adriatique dont on ne revient pas.

Lorsque je fus passablement capable de réciter une quinzaine de haïkus de Bashô en japonais, un autre défi m’attendait : L’Art de la guerre, de Sun Tzu. Cette fois c’était du chinois. Je voyais venir le moment où elle allait me clouer au sol sur le tatami des arts martiaux autant qu’elle me clouait sur les draps de la nuit et du jour…

Nous ferions des enfants ; mais pas tout de suite, sa carrière prenait son envol. Son triomphe fut cette triade de chefs d’entreprises sino-coréens-japonais qui requerraient ses talents lors d’une rencontre au Centre de l’Energie Atomique. Ce qui ne nuisait en rien à sa modestie. Et ne portait en rien préjudice au mince professeur qui parcourait quelque rare colloque universitaire confidentiel à Bâle et Nice, sur les traces de Nietzsche. Je savais - autant que ma chère Yuki - savourer notre bonheur : Carpe diem quam minimum credula postero, n’est-ce pas…

Ses talents culinaires, tant en Nihon ryōri qu’en Yōshoku me laissaient pantois. Aussi, pendant l’un de ses voyages, comme elle aimait aussi la pâtisserie française, je me lançai un défi. Malgré quelques ratages préparatoires, je pus présenter des éclairs et des gâteaux de neige de ma composition avec leur zeste final de citron râpé. Nietzsche et Socrate auraient tort d’en rire. Et si Zélie, invitée, sut en rire, ce fut de gourmandise. Après le départ de cette dernière, à mon tour, je fus mangé en neige…

Je travaillais avec difficulté sur notre projet d’histoire de l’amour philosophique, peinant essentiellement plus sur le concept directeur que sur la masse d’informations recueillie. Entretemps, je publiais à La Mouette de Minerve, un opuscule sur l’esthétique de la vérité, de Platon à Derrida, qui me paraissait plus personnel que ma précédente thèse. Broutilles que tout cela, quand elle eut l’occasion d’être absolument impressionnée par mes modestes talents : Mirages du platonisme et de l’antiplatonisme allait être traduit et publié au Japon !

Il fallait cependant penser au temps. Elle atteignait trente ans, moi trente-sept. Sans que ce même temps parut nous affecter.

Pendant ce temps, Zélie, aux rires et taches de rousseur proverbiales, qui avait créé la marque Vêtir les rondes avec une machine à coudre et un site internet et se voyait à la tête d’une quinzaine de personnes et des commandes à foison, matières et couleurs riantes, s’était mariée, avait divorcé. Son mari voulait des enfants vite faits bien faits, constatait l’absence de grossesse, exigea des tests, qui révélèrent la stérilité de notre amie, aussitôt rejetée par l’autoritaire bonhomme qui ne voulait ni adopter ni entendre parler procréation médicale assistée. Nous vîmes pour la première fois Zélie pleurer. Si elle avait jeté le goujat aux oubliettes vite fait bien fait, elle ne se consolait pas facilement de ne jamais tenir dans ses bras le fruit de son ventre.

Aussi, quand Yuki annonça qu’elle était enceinte, si nous pleurions c’était de joie. Y compris Zélie, qui serait la marraine, c’était juré, craché ! Sa grossesse, même avancée, ne se voyait pas beaucoup, tant sa haute taille s’enrichissait d’un délicat arrondissement. J’aimais poser ma tête sur ce ventre où nous commencions à sentir les gentils coups de pieds de cette créature que nous savions maintenant être une fille. Sans que nous sachions encore quel prénom nous donnerions à ce flocon.

Ce serait son baroud d’honneur avant son accouchement : elle allait être l’interprète des ministres des Affaires Etrangères chinois, japonais et français, avec quelques entrepreneurs de Taïwan dont l’anglais n’était pas leur meilleur talent. Il allait être question des intérêts stratégiques de la Mer de Chine autant que de la réorganisation du marché des superconducteurs. La chose allait durer trois jours, au château de Chambord.

Avant son départ, elle eut le temps de recevoir entre ses précieuses mains un exemplaire japonais de mon essai. Elle était plus fière que si j’avais reçu un prix Nobel de philosophie !

Impatiente, Zélie m’apporta le premier ensemble bébé qu’elle avait jamais conçu, alors que nous regardions sur l’écran d’une télévision, qui habituellement ne servait qu’à prendre la poussière au fond d’un placard, se dérouler la soirée de réception de Chambord, où de petits ministres et de petits magnats économiques avaient peine à éclipser la silhouette, pourtant en arrière-plan, d’une émérite interprète. Un plan plus rapproché nous permis de deviner sa volubilité linguistique.

Quand cette satanée télé nous fit faux bond. À trop prendre la poussière, on devient poussière, ria Zélie. Un éclat de poussière, puis la neige, selon la métaphore convenue pour un disfonctionnement de l’émission. Sauf que cela reprit : un plan trahit un instant une construction fumeuse, éventrée, qui ne ressemblait plus qu’à peine à la façade du château de Chambord, une sorte façade de jeu vidéo de troisième zone. Plan aussitôt remplacé par les excuses d’un présentateur qui prétendit une panne d’émetteur, un canal hertzien piraté, avant l’extinction définitive de la boite. Interloqués, nous étions. Bon, pourquoi pas. Laissons tomber le spectre de cette antiquité télévisuelle en noir et blanc, abandonnée par l’ancienne propriétaire, et qui n’avait jamais capté que deux chaines : elle commençait à péter du hoquet, sentir le roussi, voire le plus puant cramé sous sa texture desquamée, son écran rayé. Il allait falloir la confier au pilonnage, à un recyclage impossible.

Hélas, le poste, quoique passé ad patres, n’avait pas tout dit. Les smartphones se mirent à rugir, les radios à s’affoler, la rue même à bruire d’un bruit blanc. La vision fugitive du château dévasté n’était pas un carton peint par un pirate informatique  boutonneux. Une attaque convergente de dizaine de drones, des commandos laminant les derniers vivants parmi les forces de sécurité, parmi les assistants, les journalistes, les chefs d’entreprises et les ministres, avant de s’étriper eux-mêmes au moyen de leurs ceintures d’explosifs. Personne ne parlait de celle qu’Arceus n’avait pas su protéger.

La nécropole fumeuse avait été sécurisée, pour employer l’adjectif officiel. Les commentaires, les piètres analyses, les condoléances navrées de l’Elysée, tout était, pour nous, néant. La neige autour des décombres du château était noire de suie, de gravats, de poussières ; même le rouge des corps avait été noirci. Zélie était prostrée sur le tapis souillé de larmes. Je n’étais plus qu’une statue de sel gris.

Un obscur groupe islamiste au nom imprononçable revendiqua l’attentat. Arguant de la résistance réitérée du Japon à toute immigration, du sort des Ouïgours à l’est de la Chine, de la complicité de l’Etat français en la matière.

Nous reçûmes des messages navrés de nos familles, de nos douze ex-étudiants, qui nous visitèrent tous. Ils n’avaient que des pleurs et des masques de plomb à nous offrir ; mais ils étaient là. Personne n’osait me le dire : il ne me restait même pas un petit flocon à chérir…

Je refusai les absurdes « cellules psychologiques », les « dédommagements » financiers d’un Etat qui avait été assez pusillanime et incompétent pour laisser s’installer sur son sol la source de telles abominations. J’acceptai cependant une petite boite de carton dorée à peine remplie de quelques cendres - d’on ne savait trop qui - autour d’une bague bosselée, grisée, où figuraient encore, sur son anneau intérieur, nos deux prénoms, à peine lisibles.

Je me souvins combien ma chère Yuki avait été heureuse lorsque je l’avais emmenée vers une destination surprise, parmi des hôtels ruraux dans les Asturies, combien elle avait été stupéfiée par la Playa del Silencio, dans un amphithéâtre de falaises. « Ma plage préférée au monde », avait-elle dit. Quelques jours plus tard, nous étions quatorze paires d’yeux encore vivants, où la froidure des embruns sauvages balayait les pleurs, regardant disparaitre une petite boite peindouillée d’or, fragile boite de carton mouillé, emportée par la virulence de la marée descendante, boite où j’avais laissé l’anneau, de plus orné d’un si éphémère troisième prénom. Il se mit à neiger dru sur cette plage. Je me pris à penser que parmi nous, seuls Joseph et Fantine avaient des enfants, Mathieu n’avait qu’un diablotin. L’espèce philosophique était en passe de dépérir ; voire pas seulement celle philosophique.

J’aurais pu consacrer le reste de mes jours à l’analyse religieuse et politique de l’Islam. Mais je ne m’en sentais ni la force ni la compétence. Il y a des puissances totalitaires contre lesquelles l’individu ne peut rien, fût-il habillé des hardes de la philosophie.

Nous avons doucement vieillis ensemble, Zélie et moi. Sans le lui dire, je savais qu’avec elle j’étais arrivé à la fin de l’alphabet. Elle parvenait toujours à être rigolote, y compris pour me dérider, (« Ôte-toi de mon soleil ! », me dit-elle, mutine, sur le balcon) même si elle était capable - était-elle si injuste ? - de parfois me reprocher de plus penser à une morte qu’à une bien vivante dont les taches de rousseur étaient si ensoleillées. Faute de pouvoir terminer mon chantier déglingué sur l’amour philosophe, je menais à bien - ou à mal, je ne sais - un essai, Le Cynisme dans l’Histoire, qui eut un honorable succès d’estime, toujours publié à La Mouette de Minerve, maison d’édition qui avait pris un bel envol. J’avais vécu avec le Vrai, le Beau et le Bien. Désormais Platon n’avait pas plus de réalité qu’un Pokémon légendaire.

Bien des années plus tard, si rapides toutefois que le volètement d’une plume ne saurait le dire, parvenu à la retraire, je pouvais enfin, hors mon amitié conjugale avec Zélie, dont les taches de rousseur ne vieillissaient pas, me consacrer exclusivement à marcher comme Diogène, à marcher comme Zarathoustra, avec un bâton noueux, un vieux sac à dos, du pain, du fromage et des noisettes, les haïkus de Yuki dans un carnet de cuir rose, parmi les montagnes de Sils Maria, cherchant le secret par-delà le bien et le mal, au-delà de la théodicée du naïf Leibniz. Dont je ne ferais peut-être même pas un livre. J’aime la neige, son crissement sous les pas, son édredon mol, ses biffures dans le vent, ses espaces immenses et aveuglants, son invisibilisation du monde, sa beauté métaphysique, ses traces de cervidés, d’hommes et d’oiseaux, éphémères. Ce pourquoi j’approchais symboliquement le massif de la Maladeta, ces Monts Maudits par le tonnerre, par la fatalité, par le je ne sais quoi de l’existence, qui ressemblait à un gâteau de neige… »

Le carnet s’arrêtait là, et celui aux haïkus ne m’intéressait pas. Moi, Maladeta, face au massif de la Maladeta, je n’avais pas tué Gorges Bois-Souriguère et pas le moins du monde Yuki. La Mort, injuste, souveraine, s’en était chargé.

Quant au lecteur que je suis, pourtant un Bertrand Comminges aguerri, il ne put retenir deux larmes, à l’occasion de deux moments stratégiques du récit. Il faut admettre que ce démoniaque Maladeta m’avait ému plus que je l’aurais cru possible.

 

Thierry Guinhut

Extrait d’un roman en cours :

La Bibliothèque du meurtrier. : synospsis, sommaire et prologue

 

Photo : T. Guinhut.

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17 novembre 2019 7 17 /11 /novembre /2019 07:38

 

Museo del Duomo, Milano. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Au commencement était La Genèse,

 

son interprétation et sa picturale beauté :

 

La Genèse de la Genèse illustrée par l’abstraction.

 

 

La Genèse de la Genèse illustrée par l’abstraction,

traduit de l’hébreu et commenté par Marc-Alain Ouaknin,

Diane de Selliers, 372 p, 230 €.

 

 

 

      Au commencement était La Genèse, récit trois fois millénaire de la création du monde et de la naissance de l’humanité ; doxa religieuse pour les uns, mythe fabuleux pour les sceptiques. Quoiqu’il en soit, un tel récit ne laisse pas d’être aussi impressionnant que poétique, aussi passionnant que proliférant d’implications métaphysiques et philosophiques. L’on devine qu’elle fut mainte fois traduite, via le canonique latin de Saint-Jérôme, et de l’hébreu originel ; elle nous est cette fois étonnamment transmise sous un titre mystérieux : La Genèse de la Genèse illustrée par l’abstraction. C’est un de ces volumes somptueux dont les éditions Diane de Selliers ont le secret, et sont coutumières, depuis Shakespeare à Venise[1] jusqu’aux vitraux pétrarquistes[2], en passant par le Dit du Genji[3].

      Stupéfiante à plus d’un titre, cette Genèse interpelle au premier chef : pourquoi serait-elle illustrée par la peinture abstraite ? Diane de Selliers et Marc-Alain Ouaknin répondent par l’irreprésentabilité de Dieu. Au lieu de l’anthropomorphisme de la peinture figurative, des icônes orthodoxes à la peinture baroque italienne, en passant par les primitifs italiens sur fond d’or et les Michel-Ange et de la Renaissance, Dieu est un homme puissamment barbu. Or il est le verbe, seulement incarné à l’occasion de Jésus, ce qui justifie la fulgurance de la peinture abstraite, « rencontre métaphysique avec le texte ». À cet égard, le rayon de lumière d’Ed Rusha face au verset inaugural, les vagues et signes de Zao Wou Ki[4] sont révélateurs. Se vérifie amplement la phrase de Paul Klee, qui n’est pas oublié : « L’œuvre d’art est à l’image de la création ». Ce dont Florian Métral avait donné une analyse dans son Figurer la création du monde[5], consacré à l’art de la Renaissance.

      Parmi cent huit peintures, de soixante-et-onze peintres, Kasimir Malevitch est en couverture, Frantisek Kupka explose de couleurs comme le big-bang, Wassily Kandinsky danse comme les lettres et les animalcules, Barnett Newman chante et prie, Man Ray est l’arc-en-ciel qui suit le déluge, Georges Mathieu est un buisson ardent de graphismes (pour anticiper le Livre de Moïse). Parfois, bien que toujours dans le champ de l’abstraction, Paul Klee est une « Tour en orange et vert » pour celle de Babel, Hans Hartung épanche la nuit, Mark Rothko la sépare d’un liseré de violet, Mondrian suggère un arbre, donc celui du bien et du mal, Yves Klein couvre de bleu une terre soumise au déluge… Pas si abstraites donc ; abstraites de la représentation canonique de la réalité, mais pas de celle de la suggestion de l’émotion et du sens. Revenons alors à l’inaugural « Cercle noir » de Kasimir Malevitch, qui illustre également le coffret : il est la ponctuation originelle de la création autant que du verbe créateur.

      Un esprit tatillon pourrait reprocher l’absence en ce fascinant volume des prémices de l’abstraction picturale, de William Turner à Gustave Moreau, ou penser que cette abstraction est un peu trop géométrique et pas assez lyrique. Mais Dieu n’est-il pas d’abord géomètre ? Ne serait-ce qu’au travers du choix d’une typographie carrée pour ces lettres hébraïques, en fait assyriennes, crées à Babylone au V° siècle avant notre ère par Ezra le scribe. Car ces graphismes, parmi les vingt-deux lettres fondamentales, sont la parole de la création et de son âme, là où s’enclot et s’ouvre le nom de Dieu, « perceptible de manière acoustique, c’est-à-dire dans le langage[6] ».

      Ainsi la dimension contemplative d’artistes souvent attentifs aux spiritualités juives et orientales s’associe-t-elle à une lecture soigneuse et propice à la méditation, que ce soit sur les desseins d’un créateur qui n’est peut que splendide fiction[7] ou sur la nécessité du libre-arbitre et de la connaissance offerte aux enfants d’Adam que nous sommes.

 

La Genèse de la Genèse illustrée par l’abstraction.

Photo : T. Guinhut.

 

 

      Accompagnés de la calligraphie de l’hébreu, et sa « translittération » c’est-à-dire sa lecture française, ces onze premiers chapitres de la Genèse, « d’inspiration babylonienne », réservent bien des surprises. Nous avons trop l’habitude de la tradition de la Vulgate, cette traduction de la Bible faite en latin par Saint-Jérôme au IV° siècle, d’où vinrent bien des éditions françaises. Mieux vaut, comme par ailleurs Chouraqui[8], aller directement à la source. C’est ce que fait ici Marc-Alain Ouaknin en allant au plus près de l’hébreu originel. De la création du monde à la tour de Babel, du jardin d’Eden à l’Arche de Noé, en passant par le serpent qui accomplit la perdition d’Adam et Eve, donc celle du fratricide Caïn. Pas à pas, de verset en verset, se joue une initiation au monde, l’hypothèse de la divinité, le destin de la condition humaine entre bien et mal (car « la pulsion du cœur de l’homme est mauvaise dès sa jeunesse », dit « yhvh » au sortir du déluge), donc la part terrestre et morale, là où beauté éthique du texte s’associe à l’esthétique des peintres.

      Avec une rare perspicacité, fouillant le sens, le traducteur nous ouvre de nouveaux champs de l’interprétation. Ce n’est pas seulement « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre », mais « Premièrement Elohim créa l’alphabet du ciel et de la terre », instaurant un subtil contrepoint avec les mots de Saint-Jean : « Au commencement était le verbe ». La traditionnelle pomme, venue d’une erreur de Saint-Jérôme, n’en est pas une : seulement un fruit, mais puisqu’Adam et Eve cachent leur nudité avec des feuilles de figuier, probablement une figue, ce qui est plus judicieux géographiquement, voire sexuellement. Là est la « genèse de la genèse » et de son interprétation, à la source de « deux mille ans de lectures[9] ». Ce qu’en une profuse introduction, « L’alphabet de la création », Marc-Alain Ouaknin déplie avec autant d’érudition que de lisibilité, en faveur d’un travail d’exégèse, à la croisée de la Torah (les cinq premiers livres de la Bible), du Midrach (l’ensemble des commentaires) et du Talmud (le corpus juridique), sans compter les mystiques kabbale et hassidisme. Il ne méconnait évidemment pas « l’école historico-critique », s’appuyant sur l’Histoire et l’archéologie, pour y associer la réflexion « midrachique », donc exégétique. Le mythe mésopotamien du Déluge (antérieur d’un millénaire à la Bible), récurrent dans plusieurs mythologies, dont Les Métamorphoses d’Ovide, montre combien la Genèse a une genèse, mais également combien il s’agit d’une « crise du langage » à restaurer au moyen de l’arche, donc à relier au mythe de Babel, dont la tour vient également de Mésopotamie, là où les Hébreux sont devenus des lettrés. Cette arche est de plus une préfiguration du berceau de Moïse, lui-même redevable de la culture égyptienne.

 

La Genèse de la Genèse illustrée par l’abstraction,

Anna-Eva Bergman : N° 37-1961 Astre.

Photo : T. Guinhut.

 

 

      Regardons avec étonnement une hypothèse de lecture soudain éclairante : l’argile, ou la « poussière », dont sont faits Adam et Eve est la même que celle des tablettes et des sceaux-cylindres de la première écriture mésopotamienne. C’est cette argile que l’on retrouve dans un tableau d’Anselm Kiefer, même s’il ne s’agit pas de la « terre rouge » que signifie le mot « Adam ». Ensuite la vaste énumération des descendants du premier humain trouve sa correspondance, au sens baudelairien, dans les « Nombres en couleur » de Jasper Johns, car les nombres sont « le nom de Dieu ».

      Autre regard également surprenant, cet apaisement de Dieu après le déluge et les sacrifices odorants de Noé. S’il décide de ne plus maudire « le sol de la terre à cause de l’homme », n’efface-t-il pas en même temps les malédictions jetées sur Adam et Eve, donc sur le travail qui serait devenu bénédiction… Le Dieu vengeur et jaloux de l’Ancien Testament se fait peu à peu plus bienveillant (à l’image des Furies devenues Bienveillantes), comme lorsque dans le Deutéronome il annule la punition de l’iniquité jusqu’à la quatrième génération (c’est l’un des dix commandements) en enjoignant de ne pas mettre à mort les parents pour les enfants et les enfants pour les parents : « ils seront mis à mort chacun pour sa faute ». La leçon morale est considérable ! Dans la même perspective, l’arc-en-ciel après le déluge est un symbole de transcendance, de paix et de justice ; dans le cadre de l’alliance de Dieu avec les hommes, et y compris entre ces derniers, en relation avec le « tu aimeras ton prochain comme toi-même » du Lévitique, mais aussi de l’Evangile de Matthieu. Quant à la prétendue justification théologique de l’esclavage, elle est balayée par le mot « serviteur de serviteurs » appliqué par Noé à Canaan, qui « contempla la nudité de son père ». Voici donc une « humanité arc-en-ciel », dit Marc-Alain Ouaknin. Dont cependant la langue subira un sort funeste : « embabelons leur langue », décida Yhvh, ce qui peut être lu comme une sortie de Sumer et de ses tours, mais aussi de la tyrannie d’une seule langue…

Bible in folio, Estienne Michel, Lyon, 1580.

Photo : T. Guinhut.

      Que l’on lise « Au commencement » ou « Premièrement », comme ici, le texte est d’abord humain, venu d’un ou plusieurs parmi les dizaines de rédacteurs de la Bible, au contraire de la prétention coranique à n’être que la parole de son dieu. Ce qui n’en fait pas, selon notre traducteur, le récit absolu, mais « un récit qui aurait pu être différent » ; et un récit contemporain, moins de la création du monde que de la naissance de l’écriture. Ainsi la tradition juive, en toute intelligence, vise à sans cesse réinterpréter ce qui est selon le titre d’Umberto Eco une « Œuvre ouverte[10] », et à « oser le nouveau », y compris pour les peintres. Comme lorsque Gérard Garouste[11] peint son « Berechit », soit l’inaugural « Premièrement », sous la forme d’un ruban de Möbius où s’attachent des flammèches. Comme quoi chaque proposition iconographique est bien un juste chatoiement de l’interprétation et « une rencontre métaphysique ».

      Accédera-t-on à la connaissance parfaite et scientifique de la naissance du cosmos[12], voire de la naissance de l’éthique ? Il est toutefois un moyen d’accéder à l’intuition de l’univers et de l’humanité lors de sa création : entrer avec une subtile humilité dans cette Genèse de la Genèse, tant en sa dimension scripturale et interprétative qu’en sa méditation picturale, pour entendre dialoguer entre eux les voix des versets et celles des commentaires révélateurs, sans oublier les profuses notes. Devant une telle réussite de la bibliophile la plus profonde, au service de l’humanisme, l’on se prend à rêver au livre de Moïse ainsi réalisé, l’on replonge dans Les Métamorphoses d’Ovide illustrées par la peinture baroque[13], l’on imagine cette Genèse illustrée par une créativité photographique inédite : la photographie n’est-elle pas lumière ?

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Shakespeare à Venise. Othello ; Le Marchand de Venise, Diane de Selliers, 2017.

[3] Murasaki Shikibu : Le Dit du Genji, Diane de Selliers, 2008.

[6] Gershom Scholem : Le Nom de Dieu et la théorie kabbalistique du langage, Allia, 2018, p 11.

[8] La Bible, traduite par André Chouraqui, Desclée de Brouwer, 2007.

[9] La Bible. 2000 ans de lecture, sous la direction de Jean-Claude Eslin, et Catherine Cornu, Desclée de Brouwer, 2003.

[10] Umberto Eco : L’œuvre ouverte, Seuil, 1965.

[13] Les Métamorphoses d’Ovide illustrées par la peinture baroque, Diane de Selliers, 2003.

 

 

La Genèse de la Genèse illustrée par l’abstraction,

Georgia O Keeffe : Du lac n°1.

Photo : T. Guinhut.

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13 novembre 2019 3 13 /11 /novembre /2019 14:42

 

Canal Grande e Palazzo Cavalli Franchetti, Venezia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Rêves et cauchemars

 

des villes invisibles et imaginaires

 

par Italo Calvino et Darran Anderson.

 

 

Italo Calvino : Les Villes invisibles,

traduit de l’italien par Martin Rueff, Gallimard, 208 p, 19 €.

 

Darran Anderson : Les Villes imaginaires, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne),

par Mathilde Helleu et Barbara Schmidt, Inculte, 512 p, 24,90 €.

 

 

 

 

      Ce sont mille raisons qui président à l’association de ces deux livres aux genres littéraires pourtant éloignés. À chaque fois des « villes », tous deux inaugurent leur propos avec le Vénitien Marco Polo, sans oublier que le second place à l’épigraphe une citation du premier, sans compter cent réseaux de complicité. Le romancier italien Italo Calvino énumère en toute mystérieuse beauté ses Villes invisibles, tandis que l’essayiste anglais Darran Anderson brosse un explosif tableau tant littéraire qu’historique, voire cinématographique des Villes imaginaires. Alors que le premier navigue à vue parmi les fantasmes urbains les plus indicibles en embarquant son lecteur sur les navires de ses poèmes en prose, le second construit avec les briques de la bibliothèque universelle une œuvre continument documentée et richement fantasmatique.

 

      Originellement publiées à Turin en 1972, ces proses se présentent comme le compte-rendu d’une imaginaire conversation entre Marco Polo et Kublai Khan, le premier lui offrant des portraits des villes européennes et asiatiques qu’il aurait visitées au cours de son expédition lointaine, forcément insolites pour un empereur Chinois du tournant du XIV° et du XV° siècle. D’abord exprimés par « gestes, sauts, cris d’émerveillement et d’horreur, aboiements, hurlements d’animaux ou par le truchement d’objets qu’il allait extraire de ses besaces », ces Villes invisibles deviennent en langue tartare comme « les flèches d’une ville aux pinacles élancés, faits de telle sorte que la Lune dans son voyage pouvait se poser tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre ». Le récit-cadre, disposé en une vingtaine de séquences, intercale une petite centaine de portrait de villes, organisés par thématiques récurrentes : « Les villes et le désir », « Les villes et la mémoire », ou encore « le nom », « les yeux », « les signes », « les morts »… Si délirantes qu’elles soient, elles sont l’écho, l’émanation de la cité originaire de Marco Polo : « Chaque fois que je décris une ville, je dis quelque chose de Venise ». Ainsi lorsqu’apparait : « Smeraldina, ville aquatique, un réseau de canaux et un réseau de rues se superposent et se recoupent ».

      Fantaisistes fleurs du fantasme, elles empruntent toutes leurs noms à des prénoms féminins. Parmi les « villes élancées », l’on visite « Ottavia, la ville-toile d’araignée », bâtie sur un filet tendu entre deux montagnes ; parmi « les villes et le ciel », « Andria [qui] fut construite avec un art tel que chacune de ses rues court suivant l’orbite d’une planète et que les édifices et les lieux de la vie en commun répètent l’ordre des constellations ». L’on rejoint « Valdrada » qui est « une ville droite sur le lac et une ville reflétée à l’envers » ; mieux, ses habitants « savent que tous leurs actes sont en même temps leurs actes et son image spéculaire ». L’imagerie urbaine fabuleuse ne va pas sans l’étrangeté des psychés. Ainsi, artistiquement belles ou effrayantes, comme sous le pinceau d’un écrivain inspiré, d’un peintre fou, à la manière de Monsù Desiderio, elles sont les coagulations du désir et du rêve, mais aussi des peurs qui nous agitent. « Seurapia d’en dessous » est habitée de « cadavres, séchés de manière à ce qu’il en reste le squelette revêtu de peau jaunâtre ».

      Pour répondre aux propositions de Marco Polo, Kublai Khan possède un atlas éminemment borgésien, dans lequel non seulement figurent toutes les cités de son empire, mais aussi des « terres promises visitées en pensée, mais qui n’ont pas encore été découvertes ou fondées : La Nouvelle-Atlantide, Utopia, La Cité du Soleil, Océana, Tamoé, Armonia, New Lanark, Icaria ». Les fantômes des futurs fondateurs d’utopies livresques[1] se bousculent : Thomas More, Francis Bacon, Tommaso Campanella…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Alors que le poète prosateur prétend que ce volume construit de Villes invisibles est « un rêve qui nait au cœur des villes invivables », ne peut-on pas considérer que nos espaces urbains deviennent de plus en plus des villes imaginaires, tant l’utopie, architecturale et d’intelligence artificielle, devient réalité. En conséquence, la ville se métamorphose et se renie sans cesse. Il faut alors évoquer Charles Baudelaire : « Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville / Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel[2] », disait-il dans « Le cygne », parmi les pages de ses « Tableaux parisiens ».

      L’infinie poésie architecturale, virevoltante et créatrice, de ce bouquet coloré de topographies calviniennes incite à rêver des tableaux qui pourraient être peints par Salvador Dali ou Yves Tanguy. En effet ces d’œuvres d’arts verbales, cependant inclassables, car également proches du poème de Coleridge, « Le rêve de Kublai Khan » (qui « ordonna de bâtir un majestueux palais[3] »), relèvent à la fois d’une esthétique borgésienne et d’une démarche surréaliste. La part d’automatisme psychique en chasse lors de l’écriture n’est pas loin de celle d’Henri Michaux, qui, dans Voyage en grande Garabagne[4], invente des populations, des ethnies plus étranges les unes que les autres, « les Hac », « les Emanglons » ou « les Gaurs », qui ont des villes, des places et des spectacles incroyables et cruels…

      Charles Baudelaire, dans les années 1860, est censé être l’inventeur du genre promis à un bel avenir du poème en prose, quoiqu’il se réfère au précédent de Gaspard de la Nuit d'Aloysius Bertrand. Revenons à la préface-dédicace à Ernest Houssaye du Spleen de Paris, sous-titré « Petits poèmes en prose » : « Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? C'est surtout de la fréquentation des villes énormes, c'est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant[5]. » Si Baudelaire parlait ici de Paris, il n’est en rien interdit d’appliquer cette intention, voire cette définition, un siècle plus tard, au travail d’Italo Calvino. Et si l’auteur des Feurs du mal se consacrait à transmuer la boue d’une réelle capitale en or poétique, celui du Chevalier inexistant plonge hardiment dans les territoires de l’imaginaire, au point que ses Villes invisibles ne soient perceptibles que par les yeux du langage. L’on devine alors que, devant cette petite centaine de poèmes en prose, l’humilité et le soin du traducteur doivent être à leur comble.

      Il est à noter à cet égard que les éditions Gallimard se sont lancées depuis quelques temps dans une vaste opération de retraductions des œuvres d’Italo Calvino. Toujours sous les doigts avisés et soigneux de Martin Rueff, qui n’en doutons pas, sait insuffler à son interprétation ce qui devient selon Baudelaire « prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie ». C’est en effet ce que nous ressentons à se laisser porter par les mots français unis comme les doigts de la main à ceux italiens…

Italo Calvino : Tarots, Franco Maria Ricci, 1974. Photo : T. Guinhut.

 

      Echafauder des fantasmes urbains et politiques est bien une constante de l’humanité, au moins depuis la Babel biblique et La République de Platon qui est un « paradis géométrique » et en même temps une « nécropole ». En cette tradition plus que millénaire, Darran Anderson a beau jeu de se livrer à un voyage parmi les Villes imaginaires de l’histoire culturelle. La structure du volume a beau être erratique, l’itinéraire est absolument passionnant, bourré jusqu’à la gueule de références, d’évocations, d’analyses, quoiqu’y manquent parfois des notes permettant de retrouver les passages cités : le volume est érudit sans être cuistre, philosophique sans cesser d’être séduisant. Ce qui ne manque de faire mentir le nom de son éditeur français, « Inculte », quoique l’on sache qu’il s’agisse d’une antiphrase.

      L’essayiste anglais Darran Anderson démarre lui aussi avec cet accélérateur d’imaginaire qu’est Marco Polo, cet « homme au million de mensonges », dont Le Devisement du monde[6] relate un voyage oriental jusqu’en Chine, parmi des cités innombrables. Mais aussi avec sa « ville flottante à l’allure impossible », Venise cela va sans dire.

      Balayant un immense espace historique et géographique, de l’Antiquité à la science-fiction la plus contemporaine, en passant par les « robinsonnades » qui président aux îles nanties de gouvernements idéaux, comme Utopia de Thomas More, notre essayiste explore de toute évidence un espace conceptuel qui intègre bien des utopies, mais non sans le recours à sa sœur maudite sinon jumelle, la dystopie, « débarrassée de ses habitants non idéaux »,  comme le laisse entendre la « Lettre du Prêtre Jean », fictionnel seigneur des « trois Indes », qui postulait un miroir « doué de la propriété de nos montrer toutes les machinations et tout ce qui se passe, de bon ou de mauvais, dans les provinces de nos Etats ». De plus en plus avérée, la double perspective innerve l’essai. Par exemple avec les initiales oppositions entre les civilisations où, sous le joug des femmes, les hommes se révoltent pour rétablir le patriarcat et celles où ces dames s’en sont privées pour leur plus grande paix, comme dans Herland de Charlotte Perkins Gilman[7], également fort contraire à la tyrannie masculine de La Servante écarlate de Margaret Atwood[8].

      Un esprit chagrin pourrait arguer de la dispersion de la composition qui dépasse amplement le champ de son titre pour, au-delà du cinéma de Metropolis, embrasser les voyages imaginaires, les cartographies, les fictions politiques. Cependant, en dépit du manque de rigueur et de l’excessif enthousiasme qui empêchent Darran Anderson de bien cerner son sujet, un joyeux tourbillon emporte son lecteur dans une découverte sans cesse centrifuge, jusque par les vaisseaux maritimes et spatiaux, à la conquête de planètes urbaines inconnues ou à édifier. « Villes flottantes », « villes biologiques », « villes miracles », côtoient le Palais de cristal londonien et les expositions universelles, ou encore les baraquements des camps d’extermination. Les architectures réelles voisinent celles fictionnelles des peintres, des nouvellistes et des cinéastes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      L’une des plus intéressantes - et éprouvante -  réflexion de cet essai est placée sous l’égide de « L’horreur domestique » : « pour pouvoir devancer nos désirs, les bâtiments doivent au moins faire preuve d’un simulacre de conscience ». Ainsi l’efficacité domotique et urbaine pourrait aller jusqu’à la modification spatiale et décorative selon nos humeurs et fantasmes, voire ceux des fantômes de leurs précédents habitants, comme dans « Les Milles rêves de Stellavista » dans Vermilion Sands de Ballard[9]. Mais aussi jusqu’à la biosurveillance de notre état de santé, non sans qu’il s’agisse là des prémices d’une orwellisation[10] du monde menée de main experte par un gouvernement bienveillant ou tyrannique, comme le pratique déjà la Chine communiste. La descendance de la caverne de Platon est alors exponentielle.

      La rêverie qui suit la lecture des Villes imaginaires de Darran Anderson est autant un jardin d’architectures nouvelles et brillantes que de décombres. Le cauchemar s’empare de malheureux urbains qui voient leur havre de paix gangréné par les quartiers délinquants ou les territoires perdus de la République[11], qui vivent la chute des civilisations et meurent avec elles, de ceux qui voient s’élever les gratte-ciels dominateurs et insolents du totalitarisme soviétique et les mausolées des princes qui font main basse sur l’au-delà, depuis les pyramides de Gizeh jusqu’à la franquiste Valle de los Caidos ; ou encore de ceux-là que le catastrophisme spéciste, nucléaire ou climatique remuent jusqu’à la mélancolie, l’angoisse, sinon jusqu’à la guerre civile et au suicide. Cependant, de « l’illusion de verre » à la « maison du bâtir » la ville s’enterre ou s’envole, est bombardée, détruite, ou reconstruite, renouvelée, ceinturée par un mur comme à Berlin, libérée, apaisée et affolée par les artistes et les architectes visionnaires, car « Demain ne meurt jamais »…

 

      Si Venise a tendance hélas à s'enfoncer sous son propre poids dans sa lagune, il reste encore l'espoir et la peur de voyager en pensée parmi des villes fantasmatiques. Aux délicieux et inquiétants rêves poétiques, voire psychédéliques, d’Italo Calvino répondent largement aujourd’hui les rêves de la technique et leurs réalisations. Le bréviaire de Darran Anderson sous le coude, Marco Polo revenant parmi nous ne manquerait pas de voir en Manhattan ou Shanghai des villes imaginaires, des ferments de rêves éveillés ou des prémices de villes apocalyptiques ou totalitaires, comme à l’occasion des tours jumelles du 11 septembre 2001, ou de la reconnaissance faciale urbaine qui quadrille la Chine communiste…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Charles Baudelaire : Les Fleurs du mal, La Pléiade, Gallimard, 2013, p 85.

[3] Samuel Taylor Coleridge : "Kublai Khan", Anthologie de la poésie anglaise, La Pléiade, Gallimard, 2005, p 749.

[4] Henri Michaux : Voyage en Grande Garabagne, Gallimard, 1936.

[5] Charles Baudelaire : Le Spleen de Paris, Œuvres I, ibidem, p 275.

[6] Marco Polo : Le Devisement du monde, Club Français du Livre, 1953.

[11] Les Territoires perdus de la République, sous la direction d’Emmanuel Brenner, Pluriel, 2017.

 

Canal Grande, Salute, Venezia. Photo : T. Guinhut.

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9 novembre 2019 6 09 /11 /novembre /2019 13:43

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

La Bibliothèque du meurtrier.

Roman.

VI

Le Club des tee-shirts politiques.

 

 

 

 

      C’est avec une certaine amitié pour le malheureux héros et son amante sacrifiés par un barbare, que je reposai L’Hôtel-monastère Santa Cristina[1], prétentieusement relié de moire et d’or. Tout en me défendant, cela va sans dire, de la moindre faiblesse envers son auteur, le sanguinaire Allan Maladetta. En revanche, rien en ce récit ne paraissait pouvoir me mettre sur la piste de mon coupable patenté, qui se contentait de me contraindre à lire ses maudits bouquins enrobés de soies et de cuirs précieux.

      Quel idiot ! J’avais, pendant ma lecture, qui, semblable aux pavots du Léthé m’avait fait oublier toute autre préoccupation, manipulé un marque page qui ornait la mince plaquette, soigneusement lié au tranchefile de la reliure par un ruban de soie pourpre. Il exhibait, sur pur fond nacré, une inscription du même pourpre en lettres gothiques : « Le sang est politique ».

      Me dressant sur le ressort de mes jambes, je supposai qu’il me fallait partir en quête d’une salle politique. De livre en livre, de rayonnage en rayonnage, de salle en salle, certainement, in fine, le bougre allait me mener à son repaire…

      Avec précision, je rangeai L’Hôtel-monastère Santa Cristina en sa place au sein des monographies aragonaises, vérifiant que rien n’y parut qui puisse sembler un indice étrange, et quittai la « Salle Maladeta », tout en me jurant de l’explorer encore puisqu’elle portait, à une consonne près, le nom de mon minotaure.

      Suivant scrupuleusement le plan griffonné dans mon carnet, qui s’étoffait à n’en plus finir, je retrouvai sans peine le dodécaèdre central. J’avais déjà repéré l’allée de l’Histoire, celle des Sciences physiques, celle de la Médecine, celle des Mythologies, celle de la Géographie d’où je venais. J’entrai dans celle des Sciences et Philosophies politiques. Son couloir molletonné d’ouvrages concernant l’Antiquité, débouchait sur une cellule aux fauteuils azurés, consacrée aux utopies, puis une autre aux fauteuils émeraude offerte à l’écologie politique… Comment, en ce capharnaüm conceptuel et livresque à vertige, allai-je trouver l’ouvrage suivant ?

      Il me faut des fauteuils rouges-sang me dis-je. En effet, cette cellule, vaste comme la nuit, brillait de lueurs rougeâtres, celle de canapés de fer aux coussins pourpres. J’allumais d’un seul geste une douzaine de lampes judicieusement disposées. Sur un lutrin de fer, un cadre, également de fer, exhibait une plaque de fer gravée : « Salle des totalitarismes ». Je suppose que là m’attendais l’ouvrage suivant. Mais où l’avait donc déposé cette mauvaise tête de Maladetta ? Parmi des milliers de volumes d’un imperturbable sérieux, et souvent lourds comme des enclumes, où serait niché le récit espéré autant que redouté ? Je supposai que le faible format des productions de l’écrivain secret allait à la fois me faciliter la tâche en éliminant les mastodontes, et me la compliquer, coincé qu’il devait être, en un coin obscur et cependant concerté.

      Il me suffisait, me dis-je, de chercher le signet rouge, qui laisserait deviner le marque-page convoité. Hélas, je dus très vite déchanter. Tous les livres consacrés aux zélateurs du communisme en avaient un, sans le marque-page cependant, du même pourpre sombre. J’en compulsais, parmi les plus minces, une bonne centaine, avant de poser un doigt toujours prudent sur une mince plaquette in quarto reliée en peau violine, dans laquelle était glissée le marque-page, cette fois ornée de la citation de Nietzsche : « L’Etat, le plus froid des monstres froids ». Sur le dos courait enfin le nom pourpre et convoité du Sieur Maladetta ! Dos affublé d’un titre burlesque : Le Club des tee-shirts politiques. Le texte, assez bref, était imprimé sur un papier vergé à grandes marges.

      Mal assis sur les coussins réprimés dans les sièges de fer, j’entamai derechef, la lecture de ce Club des tee-shirts politiques ; aussitôt outré que le drôle puisse, dès la quatrième ligne, subtiliser mon nom à l’usage de son narrateur ! Comment pouvait-il oser une telle entourloupe ! Est-il possible d’imprimer et relier en si peu de jours un volume ainsi conçu ? À moins qu’il m’eût prévu avant que mon enquête l’imagine, à moins que je ne sois qu’un pion balancé dans la partie d’échec qui nous opposait… Je repris, infiniment troublé, ma lecture :

      Sur fond rouge, le faciès romantiquement hirsute de Che Guevara. L’image, mobile cependant, tendue par l’obscénité de la brioche grasse, eut brièvement le temps de se douloureusement imprimer dans ce cerveau que je prétends un poil perspicace : celui de Bertrand Comminges soi-même ; pour vous servir, chétif lecteur. Sans que je puisse y associer un visage, puisque ce dernier déjà s’engouffrait dans la porte à tambour de l’Hôtel Barcelo Champ de Mars avant que mon regard remonte à la recherche du phénomène capable d’une telle incongruité…

      Voilà qui ne choque pourtant pas grand monde. Non seulement l’on peut se vêtir le plus sordidement pour être accueilli dans un palace cinq étoiles si l’on fait y résonner le tintement de la carte Gold Premier. Mieux, le culte des icônes, des idoles utopistes, des veaux de plomb meurtrier, passe pour une bluette progressiste. L’ironie du propos m’amusait et m’agaçait à la fois : s’engager dans un palais aux notes de frais rédigées à la feuille d’or et arborer le prétendu symbole des masses paupérisées opprimées par le capitalisme que l’on promet de libérer par la révolution, n’aurait pu être le fait, au choix, que d’un naïf inculte et sordidement romantique, que d’un plaisantin de mardi gras, ou d’un tyranneau parfaitement démagogue et cynique.

      Cela n’était rien ; une anecdote, une amusette un peu putride. Pourtant mon nez de flic vieillissant y respirait une odeur de sueur pas catholique, comme un filet de sang aux commissures du suspect d’une morsure vénimeuse…

      D’ailleurs, assis que j’étais à la terrasse d’un bar printanier, en observateur soudain affuté, je ne tardais pas à repérer un drôle de zig, cette fois maigre comme une asperge nocturne, dont le tee-shirt pendouillait de manière éhontée du blouson blanc. Lui ne se présentait pas à la porte-tambour, mais un peu plus à gauche, auprès d’une porte oblongue, de tôle grisâtre dans son anonymat, coincée entre deux immeubles fastueux, une porte qui ne semblait livrer passage qu’aux rares visiteurs désargentés d’une façade étroite, sans fenêtre, au point qu’elle ne semblait devoir abriter qu’un escalier, rien d’autre. Alors que l’olibrius tapait nerveusement sur un digicode d’acier, une rafale inopportune balaya un pan de son blouson, découvrant un instant - il le rabattit aussitôt - le faciès caractéristique de l’homme immémorial à la petite moustache carrée et à la mèche sur le front, entrelardé de la noire svastika. Il était fort de café, celui-là ! À n’en pas douter, il tombait sous le coup de la loi, arborant une effigie nazie, pour laquelle on avait moins d’indulgence que pour celle de son comparse bedonnant. Avant que j’aie eu la pensée d’intervenir, la porte, de toute évidence aussi pauvre d’apparence que solidement blindée, avait avalé le bravache…

      J’attendis vainement quelques heures, avec force cafés astringents, que l’infâme miracle se reproduise. De façon à pouvoir être sûr qu’il ne s’agisse pas d’une coïncidence. Après tout, ces deux portes, quoique passablement adjacentes, ne communiquaient peut-être pas, et la faune parisienne pouvait être si étrange que deux hurluberlus de plus ou moins ne changeraient pas grand-chose à la face du monde…

      Mais je m’étais juré de revenir. Et un peu plus tôt, soit à l’heure du digestif, quoique la mode fût plutôt au Perrier citron. En effet, le samedi suivant, après un marécage de temps occupé par une exigeante routine, pendant lequel le film de la procession m’obsédait, surgit un gogol au visage glabre, au crâne rond et brillant sous le soleil, dont le tee-shirt arborait impunément un Mao Zedong rayonnant sur fond rouge acidulé, sans même la pudeur d’un blouson. Il n’hésita pas, jongla sur le digicode et s’engouffra comme la tempête des steppes au travers de la porte métallique ; non sans que j’aie eu le temps de photographier le gugus. J’eus à peine le temps de souffler mon étonnement qu’un second acteur approchait de l’entrée de l’hôtel, dont les vitres brillaient comme un contre-jour, auréolant le post-ado replet dont le tee-shirt était maculé par la tête du bienheureux général Franco !

      Ensuite, ce fut un véritable festival ! Tour à tour je contemplais et mitraillais avec ma discrète boite à image zoomeuse les tee-shirts à l’effigie de Karl Marx, Lénine, Trotski et Staline, alignés comme à la parade, respectant l’ordre chronologique et la gradation dans le totalitarisme ; mais aussi un Mussolini plus pâlot, un Kim il Sung bouffi et flanqué de ses sales gosses Kim Jong-il et Kim Jong-un, suivis par un Pol Pot agité d’un rictus perpétuel.

      Il y eut un moment de vide qui me laissa éberlué. Quelle brochette à la sauce ketchup ! La blanchisserie de tee-shirts allait avoir du travail… Quand les deux espoirs des peuples de la veille, longiligne caporal nazi et barbudo cubain enfilèrent de front le portail hôtelier, tee-shirts agités par leur course, à peine masqués par les blousons blancs, comme des étendards prêts à s’envoler vers la libération des races supérieures et des masses populaires. Le défilé ne s’arrêta pas pour autant, avec un faciès dont la représentation était pourtant ardemment réprimée, le Prophète lui-même, barbu enturbanné, sur le ventre d’un homme également pileux et enturbanné. Comme attendu, Castro rejoignit son pote. Bientôt, deux personnages dont je ne compris pas tout suite les faciès, comme venus de gravures anciennes et de chinoiseries, furent complaisamment déglutis par la porte de fer, sans je puisse comprendre la logique de la distribution parmi les deux passages : il s’avéra, suite à mes recherches, qu’il s’agissait de Gengis Khan et Attila. Sur ces sommets de l’humanité, le défilé de la Victoire s’arrêta.

      Comme je l’avais subodoré la veille, les deux entrées, apparemment si différentes, trouvaient leur communication, le fer étroit étant pour la porte de service du petit personnel, le verre vaste et brillant pour celle du prestige. Aucun crime ou délit n’ayant été commis, je ne pouvais diligenter la moindre enquête officielle, quoiqu’il m’en démangeât. Certes le masque hitlérien qui mangeait l’estomac d’un individu non identifié pouvait subir les foudres de la loi, mais cela me semblait d’autant plus mince et spécieux de l’alpaguer sur le fait, alors que ses compères, qui ne subissaient aucun interdit d’affichage, devaient être laissé tranquilles. 

      J’en étais là lorsque surgit un retardataire, affublé de la canine sanguinolente de Dracula ! Le grotesque allait-il sauver la tragédie ? Ensuite, il ne se passa rien, rien du tout, je ne pus attendre assez longtemps pour les voir ressortir…

 

Photo : T. Guinhut.

 

      Le semaine suivante, je me fis la réflexion qu’obnubilé par les tee-shirts politiques je n’avais pas songé à remarquer qu’ils étaient tous habillés de blanc, intégralement, pantalon, chaussettes, basquets, parfois blousons, la couleur étant seule réservée à leur saint patron. Examinant mes photographies agrandies, je remarquai alors que loin de n’être composé que d’individus masculins, le groupe comptait près de la moitié de spécimens femelles, les cheveux courts, l’uniforme et tache aveuglante de leur figure tutélaire abusant l’observateur ; la parité sans doute. Les visages, légèrement flous, semblaient ne relever d’aucun fichier délinquant, ni même des Renseignements généraux.

      Nous avons tous nos accointances n’est-ce pas ? A fortiori dans notre métier. Aussi j’appris auprès de l’hôtel qu’un salon blanc était effectivement réservé chaque samedi après-midi, entre 15 et 19 heures, et que l’on y buvait force champagne blanc de blancs, accompagné de desserts de blanc-manger. Dans tout ce blanc, mes commensaux espéraient-ils laver les péchés de leurs figures tutélaires ?

      La curiosité, chers lecteurs, taraudait votre serviteur, bien évidemment votre Bertrand Comminges préféré, qui se démangeait les méninges pour imaginer sous quel prétexte entendre et voir les seize guignols politiques en réunion.

      Le samedi suivant, en sus des fidèles, je pus surprendre l’entrée surnuméraire d’un Pinochet, d’un Ceausescu. Je reconnus un Caligula, un monstre de Frankenstein. N’étaient-ils que vingt ? Ou toute l’Histoire du monde, de ses crimes de masse et de ses peurs, allait-elle débouler pour engorger le salon des agapes en blanc et faire exploser le palace…

      Un soir, j’allais au bar du dit palace pour boire une bière néozélandaise au prix effrayant, sachant que le maître des lieux, expert ès cocktails de couleur aimait parfois avoir l’oreille d’une police soigneusement élue, en toute confidentialité cela va sans dire. Bénéficiant d’un mot de passe, que je ne confierai pas au lecteur, je profitai d’un coin de silence pour entreprendre sa discrétion. Que faisaient mes protégés, de quoi parlaient-ils ?

      Las, ils observaient une mutité exaspérante en bombant le torse de leurs tee-shirts lorsque le service apportait le champagne. De plus leurs visages étaient masqués de blanc. Seule information curieuse : ils buvaient leur champagne dans de petites fioles de couleurs, le plus souvent rouges, parfois bleuâtres, verdâtres ou noires. Rien de plus.

      Selon toute apparence, j’en étais pour mes frais. Pas l’ombre d’un fait délictueux, hors l’exhibition du néonazi de pacotille, pas plus de brouillard criminel. Ce n’était probablement qu’un jeu de post-adolescents, de fils à papa-maman, gâtés et ennuyés, voire un jeu de rôles sophistiqué, plutôt qu’un complot dont le déclenchement ultérieur aurait à empuantir le monde de ses caillots étranglés.

      Je préférais toutefois garder un œil, plus curieux que professionnel, sur l’affaire, tandis qu’avec Midora, mon experte scientifique, je travaillais languissament sur la pénible disparition de quelques Juifs. L’enquête piétinait laborieusement. Tout lecteur avisé devine aussitôt une accointance entre deux éléments cités lors d’une narration, mais je savais trop bien que corrélation n’est pas causalité.

      Histoire de me distraire, je commandai une discrète filature du tee-shirt hitlérien, quoiqu’il le cachât sous le blouson blanc en entrant et dès la sortie. Le dégingandé gamin s’appelait Daniel Ratsberg, son père était un diplomate du Quai d’Orsay au-dessus de tout soupçon ; mais tout en fréquentant de manière intermittente une fac de sociologie, il prisait les boites de nuit glauques, les alcools de couleurs et les bottes de cuir noir.

      Je m’avisai soudain, en compulsant une fois de plus mes piètres photographies des zigs aux tee-shirts politiques, d’un détail anodin qui m’avait jusque-là échappé : quelque chose sur le blanc de leur affublement semblait faire légère protubérance. En agrandissant le mieux que je pouvais les images, j’arrivai à une certitude ; chacun d’entre eux avait contre son flanc un mince sac blanc. Qu’était-ce ? Un simple accessoire en corrélation avec leur tenue, sorte de portefeuille, ou sachet rituel lié à leur cérémonie ?

      Je me décidai à alpaguer, en vertu de l’article R645-1 du Code pénal selon lequel « porter ou exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant les uniformes, les insignes ou les emblèmes qui ont été portés ou exhibés (...) par les membres d'une organisation déclarée criminelle est puni d'une amende de 1.500 euros », le contrevenant. C’est avec Mathias que je mis la main au collet du grand gamin, avant qu’il puisse franchir la porte fatidique. Et malgré de minces protestations faites d’une voix de fausset, je pus mettre la main sur le sachet qui m’intriguait tant. Certes il contenait un portefeuille avec la carte d’identité attendue, une carte de crédit et quelques menus billets. Mais surtout une étrange plaquette plastifiée, scellant un carré rosâtre ressemblant à un bout de sparadrap. Que je subtilisai, tout en feignant de photographier la carte.

       Voilà qui allait surexciter Midora. En effet, quelques jours plus tard - elle avait pris quelque congé et les retards s’étaient accumulés face à la misérable concurrence d’un  bout de sparadrap - la mine gourmande, elle vint me faire son rapport :

      - Il s’agit, Monsieur Comminges, devinez quoi ? Je vous le donne en toute certitude. De peau humaine. D’un individu mâle d’environ la soixantaine…

      Elle marqua un temps d’arrêt, comme une artiste consommée du suspense, devant mon attention stupéfaite :

      - Et, vous allez être ravi, n’est-ce pas, l’ADN correspond à l’un de vos Juifs disparus, Milos Feschermann…

      - Que faire ? Le triste Daniel Ratsberg a été laissé libre, mais si je lui saute sur le poil, le reste de la bande, dont je n’ai pas pu obtenir l’identité, tant mes photos étaient imparfaites, va se volatiliser…

      - Attendre samedi et cueillir dans la nasse.

      - S’il est assez malin, s’étant déjà aperçu que l’objet du délit avait été subtilisé, il a déjà prévenu ses compères, non ?

      - Samedi n’est que demain.

      - Il est probable qu’il n’y aura personne au rendez-vous.

      - Essayez tout de même.

      - Je n’y manquerai pas. À quinze heures trente, sans qu’auparavant nous soyons visibles dans la rue, la salle est bouclée, et, s’ils y sont, les chérubins pris dans la nasse.

      Je serrai le poing comme pour les choper d’un coup, rêvant de contracter le temps au point que les vingt-quatre heures deviennent autant de minutes. Juste ce qu’il me fallait pour me projeter sur les lieux avec mes sbires…

      Sans exception aucune, nos olibrius étaient allongés nus sur le sol, en cercle, leur bras tendus d’où avait coulé le sang de leurs suicides teignant en abondance le fouillis de leurs tee-shirts politiques. Sur une petite table ronde, outre autant de fioles de couleurs sanglantes et fiéleuses, une coupe d’argent, cernée de fourchettes à escargot comme à la parade - ceci sans préjuger de la rigueur historique des impétrants en art totalitaire - dans laquelle gisaient autant de pastilles de peaux juives.

      Aux dernières nouvelles, le salon du palace s’était reconverti en adeptes du virus religiosus. Ils semblaient tout d’abord les pacifiques du monde : un Christ, un Bouddha sur fonds de tee-shirts blanc… La chose allait-elle se gâter avec un pape orné de sa tiare pontificale ? Ou avec un revenant du précédent club : le prophète barbu et enturbanné avait su ressusciter de son mortel virus politicus…

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6 novembre 2019 3 06 /11 /novembre /2019 13:08

 

Monte Ritte, Cibiana di Cadore, Veneto. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Les errances enfantines américaines

 

de Valeria Luiselli et Rebecca Makkai :

 

Archives des enfants perdus, Chapardeuse.

 

 

 

 

Valeria Luiselli : L’Histoire de mes dents, traduit de l’anglais (Etats-Unis)

par Nicolas Richard, L’Olivier, 2017, 192 p, 19,50 € ; Points, 6,50 €.

 

Valeria Luiselli : Archives des enfants perdus,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard, L’Olivier, 2019, 480 p, 24 €.

 

Rebecca Makkai : Chapardeuse,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Samuel Todd,

Gallimard, 2012, 384 p, 21 €.

 

 

 

      Le voyage motorisé parmi les routes américaines - ou road-trip si l’on préfère l’anglicisme - est depuis Jack Kerouac une constante de la littérature et du cinéma, entre Nouvelle-Angleterre et Californie. Les romanciers sont sur les dents en s’interrogeant : comment le renouveler ? Eh bien, répond Valeria Luiselli, en y adjoignant la bande-son, comme pour se faire son cinéma auditif, et en recherchant les enfants perdus de ces migrations qui ont fondé le pays aux cinquante Etats, y compris parmi des chemins et sentiers des Montagnes Rocheuses. À moins, comme Rebecca Makkai, de promener un gamin qui est le symbole de la liberté constitutionnelle menacée au plus profond de l’Amérique.

      À cheval donné, on ne regarde pas les dents, dit l’adage. Mais aux dents vendues par le loufoque commissaire-priseur Gustavo Sanchez imaginé par Valeria Luiselli, on ne vérifie guère l’authenticité. De tels outils, fort irréguliers, notre personnage a vidé sa mâchoire pour les remplacer par celles de Marylin Monroe, plus flatteuses, achetées lors d’une vente aux enchères. On imagine que ces dernières sont évidemment des faux. Mieux encore, Gustavo entreprend de faire passer les ornements dégingandés de sa bouche hâbleuse pour des « lots hyperboliques », des « reliques métonymiques », qu’il vante en citant la Bible (« œil pour œil, dent pour dent »), « Miguel Sanchez Foucault » et Quintilien ! Ces « fenêtres de l’âme » sont celles de Platon, Saint-Augustin, Pétrarque, Virginia Woolf (qui est le lot le plus disputé), Borges, Vila-Matas, etc. En dépit du réjouissant exercice d’ironie, voilà qui reste néanmoins un hommage à la culture européenne.

      Atteindrons-nous les tréfonds de la dérision, lorsque son fils, nommé Siddhartha, se portera acquéreur des témoins de sa généalogie ? Non, car les « lots allégoriques » suivants, dont une « montagne de merde », parodient la boite de « Merdre d’artiste » de Piero Manzoni, voire le marché de l’art contemporain en son entier[1].

      Un tel roman, sobrement, mais avec mordant, intitulé L’Histoire de mes Dents, n’est pas à prendre trop au sérieux. Mieux vaut en rire. Et surtout en déceler la part de satire, stigmatisant le monde des arnaqueurs, des faussaires et la crédulité la plus débridée. Valeria Luiselli, née mexicaine en 1983, a réussi à imprimer un ton sans cesse enlevé à ce récit granguignolesque, intégrant au final neuf photographies testamentaires, puis une chronologie officielle du vendeur le plus incroyable, quoique plus fin et plus psychologue du désir humain, du péché capital de l’Envie, qu’il n’y paraît. Ne s’agirait-il pas d’une sorte d’apostille à La Guerre du faux d’Umberto Eco[2] !

 

      Résolument touche à tout, Valeria Luiselli a quitté le burlesque et la satire développée dans L’Histoire de mes dents avec son personnage de faussaire prodige, mais pas tout à fait le domaine de l’art. Cette fois elle cultive l’« archéologie linguistique » et  les « gravats sonores » : le projet de la romancière américaine et newyorkaise quelque chose de scientifique en même temps que poétique. Car « le fait d’enregistrer des sons donnait accès à une strate plus profonde, toujours invisible de l’âme humaine ». Ainsi, avec leurs enfants, un couple, mari et femme, arpente les Etats-Unis afin de constituer une bibliothèque sonore du monde qui les entoure, à la fois sociologique et psychologique. De New York aux grandes plaines, jusqu’en Arizona, ils habitent leur voiture, en direction du sud-ouest, où une réserve indienne intrigue magnétiquement le père, abritant « les derniers Apaches Chiricahuas » : « les Guerriers Aigles étaient un groupe d’enfants apaches, tous guerriers, dont le chef était un garçon plus âgé ». Ainsi une famille entière poursuit une vaste quête mémorielle parmi les espaces américains.

      Au cours du voyage, les narrateurs alternent, entre les adultes et les enfants (quoique l’on puisse se demander si l’on confie de manière crédible une telle voix à un gosse de dix ans). Les voici confrontés à une grave fracture qui les « a brisés en mille morceaux » : en effet la condition des enfants d’immigrés sud-américains est l’objet d’étude de la mère. Ces derniers apparaissent au détour d’une route désertique, voire sur le toit d’un train, « à l’intérieur d’un wagon abandonné », errants pathétiques, ou sont toujours disparus, comme ces deux fillettes mexicaines séparées de leur mère. Ou encore ces sept enfants dont l’histoire est ici emboitée. La romancière tisse une interrogation récurrente sur les destinées des jeunes générations, privilégiées ou sacrifiés par les conditions économiques, les décisions étatiques, la délinquance des ainés, par le vent de l’Histoire…

      Peu à peu, alors que le voyage avance, que le temps passe, entre anecdotes, choses vues et longues plages méditatives, entre constat documentaire, analyse ethnographique et fiction réaliste, les enfants grandissent, leurs visions du monde sont en expansion, non sans soulever la question de la transmission. Car, un jour, eux aussi ont disparu dans les montagnes des Rocheuses, partis à la recherche d’une « croisade des enfants », pour écrire un chapitre nouveau sur ceux que leur invisibilité protège et menace à la fois, et qui sont mis à nu dans leur condition humaine. Ce serait trop facile, voire erroné, de la part de la romancière, que de nommer des responsables ; elle a la sagesse, la pudeur, de laisser le réquisitoire aux tribuns de la politique. Son projet esthétique, résistant à la lourdeur du roman à thèse et engagé, n’en reste pas moins empreint d’une réelle dimension psychologique et éthique. D’autant qu’il n’est pas loin d’un essai de 2017, Raconte-moi la fin[3], rapportant son expérience d’interprète dans les tribunaux américains de l’immigration, parmi les enfants fuyant la violence des gangs mexicains, essai à la fois judiciaire et politique, empreint d’une profonde humanité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Même si le récit manque parfois de vivacité, avec des plages lentes, bien trop étirées et peu dramatiques, et si la nécessité d’ajouter de fades polaroïds en noir et blanc - pris par le garçon - en fin d’ouvrage n’est pas avérée, le roman de Valeria Luiselli, séduit, touche, aussi bien par son sens du phrasé, par ses fenêtres sur l’intimité que par ses vastes perspectives, par ses allusions à Jack Kerouac, Ezra Pound, Walter Benjamin, Emily Dickinson... Sa construction, passablement virtuose, enchaîne les narrations, du « Paysage sonore familial » au voyage en « Apacheria », en même temps qu’elle enchâsse tour à tour sept « boites », jusqu’à celles qui font partie des « Archives des enfants perdus » proprement dites, en une belle mise en abyme. La carte géographique des Etats-Unis est associée à celle mémorielle, aussi bien familiale qu’historique. Au moyen d’un regard d’entomologiste, la performance artistique rejoint les préoccupations sociétales les plus criantes.

      Née à Mexico en 1983, Valeria Luiselli enseigne aujourd’hui la création littéraire dans la région de New-York. Parmi son œuvre déjà abondante, il faut compter Des êtres sans gravité [4] qui est peut-être un reflet de sa condition d’écrivain d’abord inexpérimenté : car une jeune Mexicaine, avec mari et enfants, écrit d’élégiaques nouvelles et roman sur les fantômes de sa libre jeunesse new-yorkaise, époque où elle fatiguait les bibliothèques à la recherche d’un artiste passionné de Duke Ellington, de Federico Garcia Lorca[5] et d’Emily Dickinson[6]

      C’est dans le cadre d’une réécriture assumée de Lolita de Nabokov que Rebecca Makkai imagine l’histoire d’un « chapardeuse » d’enfant. Si elle n’atteint pas la puissance de son inspirateur, elle trouve le la de son originalité à travers le road-trip d’une bibliothécaire. Dans une ville perdue du Midwest, Lucy, attentive à ses jeunes lecteurs, prend particulièrement soin du petit Ian, dix ans, esprit curieux, véritable bibliophage. Il est en butte avec sa mère chrétienne fondamentaliste, qui filtre ses lectures : « Voici une liste des contenus que j’aimerais qu’il évite. » Parmi laquelle : « Satanisme, Contenu pour adultes, La théorie de l’évolution, Harry Potter… » Ce qui parait à notre bibliothécaire contrevenir au premier amendement de la constitution américaine sur la liberté d’expression, même si « sa sélection de livres était clan-des-ti-ne ». Ainsi, lorsque son petit lecteur soupçonné d’homosexualité s’enfuit pour venir dormir dans la bibliothèque, non seulement elle le recueille, mais tentant de le ramener chez lui, elle se laisse complaisamment embarquer dans un jeu de piste de plusieurs jours, une aventure automobile parmi les motels, le conduisant auprès de la frontière canadienne, mais aussi jusque dans sa famille d’origine russe et dissidente… Alors qu’elle culpabilise, commet-elle un réel enlèvement, ou une œuvre de charité humaniste ? Certes, de ce voyage dans l’est des Etats-Unis, il eût pu surgir peu à peu un roman d’éducation permettant de voir évoluer l’enfant. C’est un aspect qui, hélas, n’est guère esquissé par Rebecca Makkai, quoiqu’elle se livre à une profession de foi : « Les livres le sauveraient ». Cependant  l’on assiste plus réellement à une quête de son identité profonde de la part de la narratrice.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Née en 1978 à Chicago, Rebecca Makkai n’a guère été traduite en français, et c’est probablement dommage. The Great Believers[7] fait se rencontrer d’une manière explosive l’art et le sida. Le galeriste Yale Tishman est à la tête d’une fabuleuse collection de peinture des années vingt. Hélas, le virus fauche très vite ses amis, et surtout Nico, puis lui-même. Trente ans plus tard, Fiona, sœur de Nico, entreprend de fouiller le déroulé de cette tragédie, avec le concours d’un photographe qui se fit le reporter de l’épidémie. L’amour et la mort, l’art et la mémoire dialoguent en ce roman plus qu’intrigant, plus qu’émouvant…

      Confronté à des expériences parfois inquiétantes, il faut chercher l’alchimie des  livres sensibles de Valeria Luiselli et Rebecca Makkai. Les romancières posent leurs oreilles et leurs yeux non seulement sur un territoire, mais sur des individualités révélatrices,  en s’interrogeant sur les valeurs de l’Amérique, du destin de ses émigrants ; et de leurs libertés.

 

 

Thierry Guinhut

À partir d'articles publiés dans Le Matricule des anges, octobre 2017 et octobre 2019

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Umberto Eco : La guerre du faux, Grasset, 1985.

[3] Valeria Luiselli : Raconte-moi la fin, L’Olivier, 2018.

[4] Valeria Luiselli : Des Êtres sans gravité, Actes Sud, 2013.

[7] Rebecca Makkai : The Great Believers, Viking, 2018.

 

Vide-greniers de Chef-Boutonne, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut

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1 novembre 2019 5 01 /11 /novembre /2019 16:39

 

Niort, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Les Métamorphoses de Vivant.

Roman. III.

 

Première métamorphose :

 

La Princesse de Monthluc-Parme.

 

 

 

 

      Tremblement. Remuements. Est-il possible que dans une chambre de cette classe, j'ai froid dans le dos de la nuit ? Et que le projecteur-caméra d’Arielle Hawks ne me réchauffe pas ? Sous la couverture et les draps qu'on m'a enlevés, j'ai froid et chaud entre les jambes. L'entrecuisse brûlante et distendue. Le ventre bourrelé. J'ai pourtant si peu mangé. Un air de champagne rendu exotique par Rossini, c'est tout. J'aimerais bien me tourner le dos. Impossible. Je suis arqué. Sont-ce les étriers du cauchemar qui poussent leur créature ? Impossible qu’une cuisine de Grand-hôtel aussi méticuleuse que les stérilisations au bain-marie d'une clinique soit déflorée par l'annonce d'une intoxication alimentaire dans ses murs vierges. Je ne me vois pas perdre les eaux et lâcher mes selles avec une fièvre de cheval, comme une jument poussant sa pouliche de fantasme.

      Assez la lumière ! Moi, Vivant d'Iseye, je ne suis coupable de rien pour qu'on m'interroge sous le feu des médias. Non, c'est mon bas-ventre qu'on soumet à la question à plein watts... Avec le coude sur la sueur de mes yeux et l'abdomen en fleur, bourgeonnant comme un chou. On dit que les garçons naissent dans les choux. Et je ne me sens pas fraîche comme une rose. Je n'entends rien des grandes mousses vertes, des ombres en vert qui tournent à l'affut autour de moi. Je ne me souvenais pas que j'avais un tel nombril sorti. Mon ventre-ballon si serein, il faut maintenant accompagner ses contractions... Ça va être long.

      - Princesse, comment vous sentez-vous?

      Ouaté. C’est la personne de ma conscience ? L'œuf remue. Qui suis-je ? J'ai le ventre qui bouge en anneaux... Qu'est-ce qu'elle me demande ? J'essaie un peu de pousser et je lui réponds. Elle en aura pour sa pellicule.

      - Princesse Diane de Monthluc-Parme, dites-nous ce que vous sentez. Parlez-nous, je vous en prie...

      - Des vagues... Je ne pensais pas que ce serait si difficile de pousser son enfant et sa parole, en même temps. Ouf...

      - Elle commence à bien s'ouvrir, Mesdames et Messieurs...

      - Est-ce qu'on va bientôt apercevoir la tête, les cheveux peut-être ?

      Qu'est-ce que c'est que ces voix dans ma chambre ? Comment sont-ils entrés avec les fantômes de leurs blouses vertes que je ne vois pas dans le blanc du soleil ? Déjà le jour ? Ou suis-je mort et les draps verts des âmes se sont levés pour que je passe un soupirail d'éblouissement?

      - Princesse, ne vous laissez pas aller. Revenez à vous. Vous avez les moyens d'être parfaitement consciente d'un si bel événement.

      - N’oubliez pas, Princesse, qu'Arielle Hawks, la grande Arielle Hawks, est là pour vous.

      Que fait-elle, la belle Arielle, à mon chevet ? Est-ce elle qui me tient la main ? Ouch... Contraction ! C'est un spasme qui me vrille et me soulève tout le dos. Elles se rapprochent de plus en plus. Mon petit être s'engage-t-il bien ? Et s'il lui arrivait du mal, à mon chéri-bébé. Ouch... une autre, longue. On dirait que ça se calme. La chair de ma chair ; dans les entrailles...

      - Oui, je vous entends. Pardonnez-moi si... Je ne peux pas toujours vous parler. C'est plus clair. C'est comme si parfois, il y avait un autre qui au-dedans de moi prenait ma place. Et je ne suis plus là...

      - Princesse, votre enfant va naître dans quelques minutes. Maintenant vous pouvez révéler à nos showsectateurs les prénom que vous avez choisis.

      Comment? « Naître » ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Quelle est cette peau où je me débats ? Je suis une femme ! Cuisses écartées ! Quelle horreur... L'entrejambe vulnérable et ouvert... Non, mais je suis là vivant ! Ils n'entendent rien. Les monstres. JE HURLEEEEE... Ils m'ont lié le creux des genoux dans les étriers. Ils sont tous là à me regarder dans la faille. Pour me voir relâcher mes sphincters... leurs eaux, leurs matières. Et j'en ai gros sur le ventre ; un poids vivant et tremblant, un ballon de boxeur spasmodique. Je sens comme un tire-bouchon intérieur qui veut sortir par le goulot. Je suis une femelle en train de pousser ! D'accoucher ! Une parturiente. Qu'est-ce que j'ai fait au film pour être dedans ? Pour sentir des coups de peton dans la tripe à vomir... Je sens et pense ce qu'elle sent et ce qu'elle dit. Mais qu'on l'arrête, qu'on m'éteigne. Quelle honte! Et elle / je leur parle dans cette situation indue...

      - Princesse, les prénoms ? Vos admirateurs ont le droit de savoir. Le moment est venu. Vous aviez promis. Il ne faudrait pas que l'enfant naisse avant d'avoir donné les deux prénoms. Cela tuerait le suspense. Il ne lui faudrait pas naître sans ses deux sexes possibles. Princesse, je vous prie...

      - Oui, Arielle. Si c'est un garçon, il s'appellera, hum, ça fait mal... Charles.

      Il y erreur sur la personne; ils me prennent pour une grosse prune trop mûre et fendue en deux... Qu'est-ce-que j'ai fait sans pouvoir parler à l'extérieur de ma langue haletante pour sentir ma viande s'ouvrir comme pour saillir son noyau en amande dure et hérissée de mouvements en boules. Quel est ce corps étrange et purulent qui m'entoure la peau pour que sente toutes ces douleurs qui ne sont, non, pas les miennes. Je ne suis même plus Vivant d'Iseye ! Je suis donc bien malade, pour qu'on mobilise tant de blouses vertes. Et ce corps étranger, monstrueux, au dedans, ce fibrome, cette tumeur en forme de femme aux cuisses intérieures écartelées qui vibre des tendons...

      - Princesse, ne vous concentrez pas, s'il vous plait, sur vos douleurs. Vous n'avez pas voulu de péridurale. Eh bien, assumez maintenant. Ne vous contractez pas. Lâchez votre volonté contre et détendez-vous avec les mouvements naturels de votre corps. Accompagnez et laissez se courber l'onde de contraction... Allons, c'est rentré, il faudra bien que ça sorte... Oh, pardon, Princesse...

      - S'il vous plait, un peu de respect !

      - Et le second prénom, Princesse ? Si c'est une fille... Vos supporters ont le droit de savoir. Pour mieux accompagner votre effort.

      - Oh, tenez-moi la tête, les tempes. Essuyez-moi les cheveux, mouillez mes lèvres, s'il vous plait... Je ne pensais pas que ce serait si dur. Ouh... Je dois être laide. Ne regardez pas... Je demande pardon à mes fans...

      - Non, Princesse. Rassurez-vous. Vous êtes superbe dans l'effort. Vous êtes une héroïne si réussie. Vous assurez parfaitement le challenge. Vous faites participer nos showsectateurs à la naissance d'un événement médiatique inouï !

      - Merci, Arielle. Vous, si bonne. Grâce à vous, ce moment est sacré d'un tel sens... Ouh. Ça vient plus fort. Mon dos ! J'ai si mal au dos... Pourquoi ?

      - Ouverture pré-maximale.

      - Princesse, vite, avant qu'il soit trop tard pour évoquer le second prénom virtuel. Et si c'est une fille?

      - Emilie...

      - Emilie jolie ! Quelle belle idée, Princesse...

      - Tension : 12,2. Pouls : 104. Attention.

      - Echographie indirecte: tête engagée. Col de l'utérus pré et post-fermé,

      - Qui, Princesse, de Charles ou d'Emilie va nous arriver ? Ce sexe encore indéterminé nous offre depuis longtemps un suspense devenu cette nuit haletant. Princesse, vers lequel se porte votre désir ? Quel est votre pronostic ?

      - Je ne sais pas ! Oh, Arielle, laissez-moi...

      Oui qu'on me laisse, qu'on me vide de cette position obscène. Comme si elle me filmait l'œil aux paupières béantes entre les fesses, la pondaison de l'œuf lors de la plus torturante constipation, le spectacle de qui se conchie de sang et de jus... Non ! Qu'est-ce que j'ai fait au ciel des médias pour qu’on m'écarte et m’appuie dessus pour faire saillir ma créature comme un gros point noir ? Au secours, en moi, à qui ne m'entend visiblement, pas ! Je ne suis même plus un homme. On m'a châtré, et les lèvres de la plaie n'arrivent pas à éjecter l'abcès. Et celle qui me couvre l'esprit et la peau parle presque tranquillement à ma place, trouvant ça naturel, exhibant sa salle de travail ; qu'elle se taise, elle est comme si c'était moi qui parlait à partir de pas moi, je ne m'entends plus...

      - Oh, Arielle, je veux... qu'il, qu'elle, ça n'a pas d'importance, sorte enfin ; je veux sentir, je sens mon dos comme un vaste boa dont la gueule s'écarte mal, je veux sentir... le petit corps vagissant, contre mon sein, de mon enfant. Oh, Arielle, aidez-moi...

      - Tranquillisez-vous, Princesse. Je suis là. Il ne peut rien vous arriver de mal. Là, prête à enregistrer son premier cri pour la postérité, sa première risette pour l'accrocher à l'arbre de la dynastie...

      - Ouverture maximale.

      - Le voilà bientôt. Tenez-vous prêt à le recevoir...

- La tête va-t-elle, chers showsectateurs, être déjà couronnée de cheveux ? Sera-ce Charles de Monthluc-Parme ? Quel sexe s'assiéra sur le trône de cette Principauté de Monthluc-Parme qui, à la charnière luxueuse des pays anglo-saxons et méditerranéens, fait rêver la ménagère au panier vide et le quidam planétaire? Quel sexe assurera la pérennité des Princes et Princes ses pendant le prochain siècle et du même coup au cours du prochain millénaire ? Faites encore vos jeux, Mesdames et Messieurs, sur notre site internet: http://princip. ch. Seul ce film annonce à la terre, voir même aux autres planètes via notre réseau satellite, le sexe de l'enfant. Aussi faites vos jeux jusqu'à la seconde qui précèdera la révélation... Que personne n'oublie le merveilleux prix pour le couple vainqueur tiré au sort, chers showsectateurs : un week-end dans la Principauté comprenant l'invitation dans la loge royale lors du baptême...

      - Princesse, il faut pousser !

      - Je ne peux pas. Ouh...

      - Oui, courage, Princesse, Comptez trois et poussez. Comptez encore...

Je pousse, je pousse, oui, un cauchemar... Avec toute la chair de mes cinq douleurs... Voir cette salle d'opération avec cette lampe énorme qui m'aveugle l'entrecuisse ouvert. Entendre leurs bavardages ineptes. Pourquoi se pressent-ils autour de moi, sont-ils si vrais ces bavardages de télépoubelle ? Odeurs infectes je suis, de je ne sais quoi, éther, métal, ordures sur cotons usagés, formol ? Toucher ces draps verts, ces étriers me sciant le creux des genoux, ce bouchon de mauvais champagne qui m'engrosse le ventre changé en goulot d’étranglement... Un goût infâme sur une langue gourde que je ne peux remuer à ma guise. Qu'est-ce qu'est devenu Vivant d'Iseye ? Qui c'est celui-là prisonnier de cette couenne de femme enceinte de ça et de moi ? Je me devine, reflétée obèse dans la courbe parfaitement poncée de mes ongles ovales, laqués de rose laiteux... Elle sera bientôt délivrée. Mais moi ? Comment pousser ces créatures pour retrouver la créature moi ? Je n'ai pas de corps, je suis l'âme damnée de cette Monthluc-Parme ! Ah, si cette cervelle, cette dure-mère de princesse qui m'enveloppe et m'embrume l'esprit se met à penser, elle m'efface...

 

Biennale di Venezia. Photo : T. Guinhut.

 

 

      - Aidez-moi ! Tenez-moi, Monsieur le chef de clinique, tenez-moi les mains... Non, pas comme ça. Non, pas les mains, sous les bras, le dos...

      - Sages-femmes, soulevez la Princesse sous les aisselles. Sans trop la relever, surtout !

      - Oh, Arielle, heureusement que vous êtes là. Avec votre caméra. C'est elle, c'est vous qui m'aidez à tenir... Devant la ferveur de mes fans...

      - Merci, Princesse Diane de Monthluc-Parme... Nous sommes de tout cœur - et de tout corps pour les femmes - avec vous. Vous seule qui sachez engager la nécessité de cette aventure intime jusqu'aux plus hautes extrémités de votre responsabilité publique.

      - Ne la faites pas trop parler, Mademoiselle Hawks, s'il vous plait !

      - Souvenez-vous, Princesse, de vos leçons d'accouchement sans douleur... Respiration... Respiration... Poussez ! Respiration...

      - Oui, le rythme. Accompagnez le mouvement des contractions, c'est l'essentiel !

      - Oh, c'est dur! Je ne savais pas... C'est dur... C'est beau... Ouh...

      - Princesse, vous êtes magnifique ! La sueur et l'effort couronnent votre front... Vous êtes, si je puis m'exprimer ainsi, une bête de race de télévision. Vous maintenez si bien la tension et l'attention pour nos showsectateurs dont c'est la dernière poignée de minutes, les dernières occasions de rejoindre notre grand jeu et sa Principauté virtuelle. Pensez au Te Deum de baptême, bientôt, avec vous, en vous, sur le meilleur banc de la cathédrale Saint-Titien que sa sainteté le Pape des Trois Religions illuminera pour vous, chers showsectateurs, de son charisme...

      - Arielle... Pardon... Ouh... Je ne peux plus vous parler... Ouh... Il faut que je pense fort.

      - Que vous poussiez fort, oui, Princesse.

      - Ça va mieux... J'ai l'impression d'avoir avalé un trône par le dos. Je ne suis pas dans mon état normal. J'ai l'impression d’être deux personnes à la fois…

       - Princesse, ne gâtez pas, voulez-vous, vos forces à parler. Comme cela, parfait.

      - Charles, ou Emilie, venez vers nous... Sortez de votre terre, de votre eau. Nagez et poussez à quatre pattes dans le rouge conduit de votre grotte fœtale pour sortir à la lumière et à l'air... Enfant de Prince, venez, vous êtes attendu. Vous serez nourri au sein princier. Avec du lait de race pour le petit roi. Les plus délicats oreillers et bavoirs caresseront vos atours, les plus douces peluches, chats, nounours et éléphants roses chatouilleront le duvet mignon de votre peau, les plus affectueux câlins paternels protégeront votre précieuse destinée. Les plus purs biberons, les plus suaves sucettes physiologiques s'imprimeront sur vos lèvres. Les couches les plus douillettes protègeront vos fesses, merveilles technologiques de pointe que les plus grandes marques - Doddy, Pampers and co - s'offrent à vous fournir le plus gracieusement du monde. Landeaux et poussettes - Bébéconfort, MacLaren & co - promèneront votre digestion heureuse et mille jeux d'éveil - Playschool, Fisher Price & co - allumeront vos petits yeux flottant et amuseront vos petites mains potelées...

      - Merci, Arielle. Ouh, ça recommence...

      -  Ouverture maximale.

      - Phase terminale de travail.

      - Ouh... C'est dur...

      - Caméra deux, attention. Ne gênez pas la caméra, s'il vous plait, Messieurs les obstétriciens !

      - Chère Princesse, et chers showsectateurs, cette petite tête blonde, ou brune, encore invisible, qui joue avec nous à se faire attendre et désirer, naitra-t-elle coiffée? Regardez l'orifice de la Princesse s'ouvrir comme une fleur nuptiale, s'écarter comme les vantaux d'un royal portail pour laisser passer l'enfançon. Chers et aimés showsectateurs, vous assistez, ainsi que vous en avez le droit et le devoir à l'un des plus intenses événement de l'année planétaire, à son suspense le plus émouvant...

      - C'est le moment, Princesse, Poussez ! Donnez-vous ! A fond...

      - Souvenez-vous, Princesse, de nos séances de pédagogie prénatale.

      - Oui, Princesse, poussez. Vous êtes admirable dans l'effort, la tête posée sur le côté, le halètement de votre boucle d'oreille de rubis bien visible sur l'oreille en sueur, les cheveux collés, soutenue et doucement tamponnée par deux sages-femmes en bleu et rose qui veillent corme des anges gardiens sur votre accouchement. Il faut que chacun sache que vous avez refusé la péridurale, que vous avez volontiers consenti à mettre bas naturellement. Mêmes si des équipes sophistiquées sont prêtes à côté pour intervenir à la moindre et toujours possible urgence, vous mettez au monde à l'état de nature, dans une grande solidarité écologique avec toutes les femelles de la nature, brebis, vache et panthères, ce en accord bien sûr avec le credo de votre fondation, le Nature Found for Universal Life bien connu, dans une grande solidarité avec toutes les femmes, avec les réalités de la condition féminine...

       - Le bébé !

      - Ça y est, on devine la tête. !

      - Bravo, Princesse... L'enfant a des cheveux!

      - Poussez encore... Bien. Très vite vous serez délivrée, maintenant.

      - C'est d'une main experte que l'obstétricien officiel saisit la tête et tire délicatement mais fermement. On n'entend plus la Princesse, sauf son souffle profond... Oh, écoutez là râler comme une perdue...

      - Princesse, l'ultime effort, s'il vous plait, le passage des petites épaules. Poussez donc! Poussez ferme, nom de Dieu !

      - Et voilà, l'enfant glisse, couvert de mucus blanc et rose. Un véritable obus, une motte de beurre glissant dans des mains professionnelles qui ne le laissent pas tomber... Oh, chers showsectateurs, quel moment parfait nous vous offrons là! Il me semble, oui ! gagné, c'est un garçon ! NOUS avons tous vu très distinctement le petit robinet. Bravo, Princesse! Et bravo à tous ceux qui, d'après notre dernier top-sondage, ont voté à soixante-treize pour cent pour le sexe masculin, pour Charles de Monthluc-Parme...

      - Il crie ! Il crie...

      - Il a crié enfin, il respire, il est vivant ! Vivant ! Regardez comme déjà il serre avec émotion de son petit poing le doigt, l'annulaire de son père tout vêtu de champs stériles verts, le Prince Benoit-Joseph de Monthluc-Parme, pendant qu'on sectionne le rouge cordon qui le reliait à sa mère interne...

      - C'est fini... Ouh... Ouf... Est-il beau ? A-t-il tout ce qu'il faut ?

      - Princesse, un dernier effort, il reste le placenta...

      - Non, je croyais que j'étais, ouh, tranquille...

      - Voyez surgir, cher et hypocrite showsectateur, mon semblable, mon frère, ce placenta brillant qui coule et frappe une bassine d'argent. Il a fait l'objet d'enchères auprès des plus grandes marques cosmétiques. Bientôt, nous saurons quelle marque prestigieuse - Chanel, Yves Saint-Laurent, Avène, Nina Ricci- pourra livrer au public sa nouvelle gamme de lotions de crèmes rajeunissantes au placenta princier, en flacon de cristal à tirage limité...

      - Montrez le moi... Mon bébé, mon enfant...

      - Nous vous l'apportons, Princesse.

      - Donnez-le moi. Oh mon bébé, mon bébé dodu... Comme il geint doucement... Qu'il est beau, qu'il est doux !

      - Oh, Princesse, mes showsectateurs chéris, quel magnifique spectacle inédit ! Ce petit corps aux fesses nues trémoussantes sur la poitrine de sa mère. On dirait un petit chinois, tout plissé... Mais, dirait-on que c'est un blondinet ? Oh, ses petites narines mignonnes frémissent... Il arrête de pleurer contre sa maman. Il entrouve, avec peine, ses minuscules paupières. La lumière lui fait mal, sûrement, pauvre chouchou... Mais, son œil, il nous semble, oui, il est bleu! Bleu profond... Un blond aux yeux bleus... Qu'il est beau! Fait au moule... Chère Princesse, vous avez fait là œuvre magnifique dont des générations et des générations de showsectateurs se souviendront. Nous aurions pu assister à la naissance d'un monstre à quatre doigts, aux pieds palmés, ou tout simplement privé d'avant-bras comme ces jeunes victimes des pollutions soviétiques, mais non! Tout est normal, rassurez-vous. Charles de Monthluc-Parme est un modèle de perfection s'il en est. D'ailleurs, la Princesse avait, il y a peu de mois, subi une amniosvnthèse, nous pouvons maintenant vous le révéler, qui confirma la normalité absolue du produit commandé et à venir, sa pureté génétique, sans que soit révélé, même à la Princesse sa mère, le sexe de l'enfançon. Vous comprendrez, showsectateurs aimés, que la discrétion fût de mise, qu'il y a des choses qui ne doivent pas céder au devoir d'information.

      - Nous devons vous le reprendre, Princesse. Pardonnez-nous.

      - Oui, il nous faut le peser, le mesurer, ce petit ange...

      - Oh, comme ces mains diligentes s'affairent autour de lui, l'une piquant son mignon talon pour la prise du précieux sang. L'autre l'étendant sur le mètre étalon. Oh, il braille ! Puis on le pose se tortillant sur la balance...

      - Charles de Monthluc-Parme, quarante-deux centimètres, trois kilos deux cents tout rond, tout nu, né à huit mois, trois semaines et un jour, à zéroheure trente et une, ce lundi dix.

      - Oh, le voilà déjà couvert d'une couche petit format, puis de son body de coton blanc Petit Bateau, pyjama bleu-mousse Jacadi et brassière de laine assortie tricoté par les mains tremblantes de son arrière grand-mère la Princesse de Guise-Lichtenstein, en son château de Vaduz, ses petites patounnes s'agitant de menues convulsions. Comme ces sages-femmes ont la main maternelle... Le voilà couché dans son berceau-coquille transparent, dans un nid d'ange bleu-maritime Bébéconfort pour commencer sa traversée de la vie, et entre des draps miniatures brodés aux armes princières des Monthluc-Parme... Princesse, il est à vous. Comme il est chou, contemplons le ensemble, attendrissons-nous...

      - Merci, Arielle. Vous faites de la naissance de Charles, mon fils, un vrai conte de fée. Mais pourquoi ai-je encore l'impression d'avoir quelque chose, quelqu'un en dedans de moi ?

      - Un jumeau ? Un second enfant qui n'est pas encore sorti ?

      - Allons, mademoiselle Hawks ! Après l'expulsion du placenta ? Impossible. Ne dites pas de bêtises...

      - Princesse, êtes-vous comblée que ce soit un garçon? Auriez-vous préféré une fille?

      - J'attendais... Pour aimer qui viendrait. Mais penser que moi, mon corps de femme, j'aie pu faire un garçon! C'est étrange, merveilleux, quand on y pense... Un garçon dans mon corps... Comme si je l'avais rêvé et qu'il s'était fait. Je suis ravie... Mais fatiguée, Arielle...

      Oui je suis ce garçon dans son corps, cet intrus dont je me passerais bien. Les jambes ramenées à l'horizontale du repos peut-être, je flotte, abasourdi, sans réaction, décervelé, niais... Sa peau, ses tendons, ses terminaisons nerveuses, ses neurones par-dessus les miens les enveloppant, les ouatant, parlant à l'extérieur par sa seule voix et conscience malgré moi. Moi changé en elle elle mélangé. Comme une huile qui se fait mayonnaise tournée... Qu'est-ce que j'ai fait, bu et mangé pour sentir ce que je sens avec un dos et des pattes de princesse qui s'agitent su le lit ? Il v a moins d'ombres en vert autour de moi. Ou de nous. Ou d'elle, cette niaise... Comment ça se fait que je ne m'en sente pas plus malade, pas plus fou d'angoisse ? Est-ce qu'on nous a injecté quelque chose ? Où est-ce son épuisement, sa sérénité, son sommeil post-partum qui me drogue l'esprit ? J'ai disparu dans quelqu'un d'autre. Qui va me retrouver dans une princesse accouchée. Quelle horreur! Et devant la caméra de l'Hawks encore ! Comment puis-je voir par des veux qui ne sont pas les miens ? Et si j'essayais des mouvements ? Soulever une main. Déplacer une jambe. Au moins bouger la langue. Non, Ça ne marche pas. Je suis coincé. Je parle seulement dans un cortex qui est est dans un esprit que sens autour palpiter, penser des ruisseaux immangeables que je ne peux empêcher de voir défiler comme un texte à séquences d'images. Eurk, elle se repasse son accouplement. Je ne sais même pas avec qui... Et je suis oblige' de diapositiver de son point de vue... Heureusement que je ne suis pas tombé dans cette princesse au moment où elle faisait ça. Quelle horreur ! Est-ce que ça va durer longtemps? Je vais rester là encore combien de temps, jusqu'à un autre coït, jusqu'à ses nouvelles règles, jusqu'à sa mort, dans cette position humiliante de chair de bête dans la bête... Devrais-je accomplir avec elle toutes ses obligations, cet esclavage de mère, d'épouse et de Princesse de Mothluc-Parme? Pourquoi suis-je son otage ? Qui m'a jeté dans ce corps, comme un boyau dans un pneu. Hep là ! On dirait que l'Hawks éteint toutes ses caméras! Sauf une...

      - Je l'entends pleurer!

      - Vous dormiez, Princesse? Non. Il s'est paisiblement assoupi dans sa nurserie.

      - C'était lui... J'en suis sûre. L'instinct d'une mère ne doit se tromper.

      - Non. Certainement vous rêviez. Reposez-vous, sans crainte...

Je suis une femme, j'ai conscience de mes seins qui montent, et je ne suis pas elle. La personne coupée en deux, mais pas pour elle dont je ne suis qu'une demi-moitié. Collé avec elle dans une marionnette qui vit sans mon contrôle. Une poupée dangereusement vivante dont je ne veux pas. Que je hais. Apparemment si elle dort, si elle relâche son attention, je ne disparais pas, je ne naufrage pas dans ses tissus... Je peux penser. Est-ce que c'est mieux ? Qui m'a changé en Princesse que je ne suis pas? Peut-être si l'Hawks m'embrassait je redeviendrais crapaud ? Qui a oublié de me débrancher en m'introduisant en elle? Et je sens par ses doigts! Elle se pince son ventre mou, adipeux ! Je sens encore la dilatation et la brûlure entre mes cuisses qui sont les siennes et les miennes. En fait, elle ne dort pas. Elle gamberge faiblement. Et si elle dormait vraiment, sans rêve, je m'échapperais? Accoucher, c'est vraiment un viandeux cauchemar pour un homme, traître, et violant les lois de la nature... Comment s'évanouir, m'évader de cette prison épidermique, ces barreaux d'os qui me ligaturent? Je veux sortir. Sortez-moi ! Ils ne m'écoutent pas. Hep là! Arielle, hep, ohé ! Ohé... Personne ne m'entend. Pas plus que lorsqu'on songe et pense. Elle, ils l'entendent. Peut-être qu'en m'endormant je m'exhalerais hors d'elle ? Peut-être que je me réveillerais hors de ce cauchemar en cinq dimensions trop tactile pour être un rêve... Pourquoi pas moi ?

      - Dormez, Princesse, dormez. Donnez-moi la main.

      - Je veux mon Mozart. Mon Cosi fan tutte. Arielle, s'il vous plait…

      - Oui, Princesse, voilà votre casque. Passez-le.

      - La caméra va s'éteindre avec moi. Je vous laisse. Cosi fan tutte... C'est parti. Bonne nuit, Princesse.

      Oh, je n'aime pas cet opéra, ce Mozart là. Trop triste, perfide et désabusé... C'est trop contre le tympan intérieur du cœur. Oh, Arielle s'en va... Arielle Hawks, ne me laissez pas tomber! Emportez-moi si vous pouvez dans la mémoire de votre caméra. « Caméra », ce mot qui en italien signifie chambre. Quelle chambre ? Les draps n'ont plus la même consistance moite. La chambre noire. Je ne dors jamais dans le noir. Il me faut me lever pour ouvrir un volet sur la rue...

      Et je me levai. Mal assuré, me frottant les poings de mes veux. Mes mains, des mains tirèrent le cordon qui fit un peu remonter l'écran noir de la fenêtre, ouvrant une bande de nuit urbaine, de rue d'hiver pluvieux, une petite rue passante. Mes mains d'homme, aux tendons saillants… Je compris que j'avais mes mains au bout des bras, mon corps d'Iseve au bout du vivant, que j'étais emberlificoté dans ma veste de pyjama avec un nœud dans le dos, les deux manches passées malgré ce tordion entre les deux reins. Un rêve vénéneux, tout simplement. Beurk... J'avais mes quatre pattes de Vivant d'Iseve, sa gueule déjà mal rasée, et l'esprit livré avec, au-dessus des lampadaires, leurs cônes jaunes, le double vitrage rayé de phares et de pluie d'apocalypse. La chambre n'était plus noire. Seulement une pénombre animée d'éclats furtifs venus du dehors. Le format granitique de la télévision, comme une tombe, restait sage. Je sortis du frigo un jus de tomate verte, le bus lentement. Ç’avait été stupide cauchemar, voilà tout. Il y en avait de pires. Ça se balayait de la tête comme on se mouche un peu bruyamment, voilà tout. J'avais été trop épuisé, impressionné, au sortir de mon entrevue avec l'Hawks. Ça allait mieux. Très mieux. Quel délice, ce pyjama et ces draps, finalement... Je les lissai d'une main mienne et me détendis. Je n'eus pas le temps de cultiver la moindre aiguille de paix ni guerre dans la spirale qui navigua le rapide de mon sommeil.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

Extrait d'un roman à venir : Les Métamorphoses de Vivant

 

 

Photo : T. Guinhut.

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31 octobre 2019 4 31 /10 /octobre /2019 14:28

 

Ostia antica, Latium. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Eloge des Belles lettres grecques :

 

Hésiode, Apollonios de Rhodes, Xénophon,

 

Epictète, Lucien, Esope

 

et Homère illustré par Paladino.

 

 

Hésiode : Théogonie,

traduit du grec par Paul Mazon, Les Belles lettres, 96 p, 15 €.

 

Apollonius de Rhodes : Les Argonautiques, traduit du grec par Francis Vian et Emile Delage,

Les Belles lettres, 360 p, 21 €.

 

Xénophon : Cyropédie, traduit du grec par Marcel Bizos et Edouard Delebecque,

Les Belles lettres, 464 p, 23,50 €.

 

Epictète : Entretiens. Manuel, traduit du grec par Joseph Souilhé et Armand Jagu,

Les Belles lettres, 488 p, 23 €.

 

Lucien : Vies à vendre, traduit du grec par Anne-Marie Ozanam,

Les Belles lettres, 208 p, 17 €.

 

Esope : Fables, traduit du grec par Emile Chambry, Les Belles lettres, 208 p, 19 €.

Esope : Fables, traduit du grec par Julien Bardot, Folio classique, 448 p, 8,40 €.

 

Homère : Odyssée, illustrée par Mimmo Paladino,

traduit du grec par Victor Bérard, Diane de Selliers, 300 p, 49 €.

 

 

 

 

      Une aurore de l’humanité s’est levée au bord de la mer Egée : elle s’appelait Eos. Elle rime avec Eros, Ouranos, ces dieux qui sont à l’origine du monde chez Hésiode. La Grèce est également à l’origine des littératures, du moins occidentales, avec Homère pour la poésie épique, Sappho pour le lyrisme, Esope pour la fable, Eschyle et Sophocle pour la tragédie, Aristophane pour la comédie, Xénophon pour l’Histoire. Et, cela va sans dire, de la philosophie, avec Héraclite, Aristote et Platon, plaisamment moqués par Lucien. Quelques-uns de ceux que les Muses ont favorisés, infiniment célèbres ou méconnus, s’égrènent soudain dans une nouvelle collection, aussi splendide que nécessaire, au service des Belles lettres grecques.

 

      Pourquoi ces œuvres sont-elles essentielles ? La création de l’univers et la formulation des dieux est un invariant d’une bonne partie de l’humanité, affirmées en beauté et en vers dans la Théogonie d’Hésiode. En vers également, conjointement à l’Iliade, cet archétype de la guerre et des héros combattants, l’Odyssée d’Homère est la figuration, encore une fois épique, du voyage aux multiples aventures et du retour au pays natal. Mythologie encore avec Les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes. La Cyropédie de Xénophon dresse le tableau de l’éducation d’un prince, quand, avec ses Entretiens et son Manuel, Epictète est le parangon de la philosophie stoïcienne ; alors que Lucien préfère la parodie du dialogue philosophique en ses Vies à vendre. Esope apparait comme le fabuliste originel.

      Tous ces textes, préludes d’un vaste programme de publication, dans le cadre de la « Série du centenaire », puisque la maison d’édition des Belles lettres aujourd’hui a cent ans, sont présentés sous d’élégantes couvertures diversement colorées et ornés d’un graphisme d’or, aiguisant l’appétit du lecteur soudain ravigoté devant un monde qu’il aurait faussement pu croire désuet, réservé à une poignée d’érudits cacochymes et poussiéreux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Probablement un contemporain d’Homère, au VIII° siècle avant Jésus Christ, Hésiode, dont le nom signifie « Celui qui se fait la voie », Béotien d’Asie Mineure, composa Les Travaux et les jours, devenant ainsi le créateur de la poésie didactique. A-t-il entendu parler de mythes babyloniens lorsqu’il composa sa Théogonie ?

Avant tout, il célèbre les Muses, qui sont les neuf filles de Zeus et de Mnémosyne, la déesse de la mémoire, ce pourquoi il n’y pas d’inspiration sans travail ; notons à cet égard que la mythologie fait, au-delà du fantasme pittoresque, sens philosophique[1]. Elles sont : « Neuf filles, aux cœurs pareils, qui n’ont en leur poitrine souci que de chants et gardent leur âme libre de chagrin, près de la plus haute cime de l’Olympe neigeux ». Elles savent « conter des mensonges », mais aussi « proclamer des vérités » ; soit, depuis « Abîme », puis « Terre », l’enfantement du monde par « Erêbe » et « Lumière », puis « Cronos », le premier dieu, qui sera le père cruel de Zeus. Une immense énumération relevant de la généalogie des dieux s’ensuit, en passant par les monstrueux Titans, par le récit de la naissance d’« Aphrodite d’or », jusqu’à Circé, Calypso… Hélas, le texte est inachevé ; ou perdu. Le traducteur, Paul Mazon, nous offre cependant une introduction aussi longue que l’œuvre, et néanmoins fructueuse.

      Ainsi, en son poème moins théologique que poétique, que l’on aimerait voir traduit en vers, Hésiode ordonne le chaos du monde et donne sens à nos pulsions, éblouit le lecteur, inspire à son tour cent peintres et poètes ; jusqu’à la plus scientifique Petite cosmogonie portative de Raymond Queneau[2], en 1950…

 

Gravure de Méaulle pour Apollonios de Rhodes : Jason et Médée, Quentin, 1882.

Photo : T. Guinhut.

 

      Autre grand classique de la mythologie, en quatre chants, lumineux malgré l’immense ombre portée d’Homère : Les Argonautiques d’Apollonios de Rhodes, un alexandrin né en 295 avant Jésus-Christ. « Allons, Eratô, viens m’assister et conte-moi comment, de là-bas, Jason rapporta à Iôlcos la toison grâce à l’amour de Médée. » Voici l’une des invocations à la Muse qui ponctuent le vaste poème amoureux et épique. C’est de la « nef Argo » qu’il tire son titre, sur la proue de laquelle la déesse Athéna veille au destin du héros, Jason, qui est dangereusement aimée par la sorcière de Colchide, Médée aux poisons étranges. Celle-ci lui permet de conquérir cette introuvable toison d’or ; l’on sait que dans le théâtre d’Euripide sa funeste passion enflamme sa jalousie au point de tuer les enfants qu’elle eut de Jason. Par l’entremise d’Aphrodite, l’amour est le deus ex machina de l’intrigue, lorsque, grâce à ses talents de magicienne, Médée conduit le jeune homme, nanti d’un « philtre d’invincibilité », à vaincre l’impossible, dompter les taureaux d’Aiétès, battre les soldats d’Arès. Mieux, grâce à ses « incantations », elle endort « le dragon vigilant [aux] monstrueux sifflements », permettant à Jason d’emporter cette « toison, pareille à un nuage qu’empourprent les rayons enflammés du soleil levant ».

      Le poète mêle le savoir mythologique, le savoir philologique (il connait sur le bout des doigts la langue homérique), les connaissances géographiques sur les contrées du Pont-Euxin, soit la Mer noire, et la Méditerranée. Parmi les aventures étonnantes, comptons un monstrueux et fatal sanglier, la rencontre des Amazones, ces « filles belliqueuses », qui sont loin de n’être que mythiques[3].

      Attendons avec impatience de voir naître en cette collection les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis, autre bouquet de chants aux mythes fabuleux. Hélas, nombre d’épopées antiques ont disparu. Qui sait si les rouleaux de papyrus calcinés de Pompéi et d’Herculanum nous les révèleront…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      La Cyropédie, ou Education de Cyrus, n’est qu’une partie de l’œuvre de Xénophon (428- 354), qu’il faudra compléter avec son Anabase. Instruire un prince est essentiel, « car c’est une tâche difficile de gouverner les hommes ». Aussi, ce qui est à la fois essai didactique et roman historique, peut être considéré comme une somme des valeurs antiques et universelles. L’éducation politique ne va pas sans celle du chasseur et du guerrier, l’art militaire ne va pas sans morale.

      Certes Xénophon n’est pas exactement un historien, comme Hérodote, qui est d’ailleurs sa principale source en la matière. Cyrus, dit-on, arracha la puissance aux Mèdes pour la confier aux Perses, en conquérant Babylone au VI° siècle avant notre ère. Il atteint ici la dimension d’un héros légendaire, dont l’éducation a quelque chose de grec autant que de perse. La mort de Cyrus, lors d’une bataille contre les Massagètes, par le soin de la reine Thomyris, dont il a tué le fils, se voit couronnée par le sang dans lequel elle plonge sa tête, alors que notre Xénophon le fait mourir à un âge vénérable, dans son lit, veillant à adresser un noble discours à ses fils, dont Cambyse, qui lui succéda. Cela dit, Xénophon ne se trompe pas lorsqu’il fait de son héros un roi juste, ce qui lui permet de l’élever au rang du modèle de l’homme d’Etat. Si les méthodes éducatives perses ne sont pas tout à fait ici à l’ordre du jour, élever les enfants en commun, apprendre le tir à l’arc, accéder aux vertus, en particulier la tempérance et la justice, tout cela relève d’un idéal grec, qui cependant peut nous paraitre encore un tant soit peu fruste. Les campagnes militaires du roi permettent de préciser les devoirs d’un général, l’art du commandement, de la gestion des troupes et de l’armement. Loin de n’être qu’un sévère exposé, néanmoins éloquent, de l’Etat idéal, en parent de La République de Platon, le récit de Xénophon est d’un rare conteur : songeons à l’histoire du couple héroïque formé par le roi de Suse, Adrabate, et de sa femme Panthée, qui se poignarde pour être enveloppée « dans un même manteau » avec son époux, ou à l’épisode burlesque du combat des « gourdins contre mottes », qui est précurseur de Rabelais…

      Cette Cyropédie n’est-elle pas le premier chainon des traités d’éducation, qui vont de L’Emile de Rousseau, aux Propos sur l’éducation d’Alain ?

      Une fois de plus armée d’une sagace introduction, qui plus est d’un utile index, cette édition mérite notre éloge, comme le vade-mecum qu’elle mérite d’être, même si nous ne deviendrons que le souverain de nous-même, ce qui est déjà un bel exercice, digne du stoïcien.

 

      Stoïcien, Epictète l’est au plus haut point : « Montrez-moi un homme malade et heureux, en danger et heureux, mourant et heureux, exilé et heureux, discrédité et heureux ». Voilà ce qu’est « le vrai stoïcien ». Ainsi le philosophe est « le seul possesseur des vrais biens ». Il est vrai qu’Epictète (environ 50-130) était un esclave qui cependant ouvrit deux écoles de philosophie, à Rome, puis en Epire où il fut exilé. Aussi curieux que cela puisse paraître, il n’a rien écrit, seul Arrien, son disciple, a consigné ses propos. Et tant païens que chrétiens aimèrent et propagèrent ces Entretiens et ce Manuel.

      Sa doctrine philosophique associe l’humilité et la patience, prise par-dessus tout la liberté, d’abord intérieure, lorsque l’âme sait penser avec droiture la qualité de soi et de Dieu. Car richesse et honneurs ne sont rien, passagers, trompeurs, et rien ne vaut cette règle morale : « Ne demande pas que les événements arrivent comme tu le veux ; mais contente toi de les vouloir comme ils arrivent et tu couleras une vie heureuse ». C’est seulement ainsi que le sage accèdera au bonheur, non loin d’ailleurs de l’amor fati nietzschéen. Cependant sa conviction a quelque chose de vigoureusement religieux, tout en étant farouchement anti-épicurien. Heureusement, parfois, ses Entretiens ne sont pas que sérieux ; il use des apologues, des prosopopées, des apostrophes en de véritables scènes de comédie : « s’il en est ainsi, va t’étendre et dormir et mène la vie d’un ver, celle dont tu t’es jugé digne toi-même : mange et bois, accouple-toi, va à la selle, ronfle ». Voilà qui est tout à fait opposé à la grandeur d’âme, à l’ascèse, à l’ataraxie, à ce service divin en quoi consiste la vie selon Epictète.

      Moquons nous cependant de telles certitudes avec les Vies à vendre de Lucien, qu’un autre éditeur a préféré traduire en Philosophes aux enchères[4], quoique ce dernier se contente de ce texte et de l’excellent « Contre un ignorant bibliomane ». En effet on y vend, comme sur un burlesque marché aux esclaves, Diogène, Pythagore et Socrate, dont l’inutilité n’est pas loin d’être avérée. Alors que le dialogue platonicien est parodié dans « Le parasite » où il est démontré « qu’être parasite est un métier », voire un art, un point de vue aussi décapant entraîne celui de « Jupiter tragique » qui s’inquiète fort - et il n’a pas tort - : « Allons-nous continuer à être vénérés et conserver les honneurs qu’on nous rend sur la terre, ou être complètement négligés et compter pour rien ? »

      La satire de Lucien de Samosate (car il était de cette cité syrienne natif vers 120, vivant peut-être jusque vers 200 en Egypte où il fut rhétoricien et haut fonctionnaire) est gouleyante, divertissante à souhait. C’est celle du moraliste sceptique, en particulier à l’égard des stoïciens. Il est un redoutable maître du dialogue philosophique, en particulier à l’occasion de son « Les ressuscités ou le pêcheur », dans lequel, aux côtés de « Philosophie », « Examen », « Vertu » et « Syllogisme », Parrhésiadès joue à pécher une foule de philosophes qui se jettent sur l’or accroché à l’hameçon ; Platon et Aristote n’échappent pas au ridicule.

      En fait, Lucien est un pamphlétaire, un ironiste, un sérieux humoriste qui aimait pratiquer l’éloge paradoxal, par exemple « l’éloge de la mouche » ou de « la calvitie », que notre éditeur a omis - et c’est dommage - de publier ici. Il « fait métier de haïr la forfanterie, le charlatanisme, le mensonge, l’orgueil », et surtout de réjouir les banquets. Une bibliothèque serait bien triste sans lui !

 

      Réunir l’art du récit et la sagesse de la morale est du ressort du fabuliste en ses apologues. Esope le Phrygien en est le premier maître au sixième siècle avant notre ère. Du moins celui qui rassemble ces 358 Fables populaires avec soin. Hérodote témoigne que le fabuliste originel, prétendument difforme, fut mis à mort à Delphes ; selon Héraclide, pour le vol sacrilège d’une coupe d’or, à moins que ce fût, selon Plutarque, un coup monté.

      Si la fable est au moins connue depuis Hésiode, deux siècles plus tôt, avec « Le rossignol et l’épervier », si conter une histoire animalière et morale a surgi dans toute l’humanité, en Egypte, en Inde avec Le Livre de Kalila et Dimna[5], Esope est l’accoucheur du genre en tant que ce dernier acquiert noblesse littéraire, ce en associant le pittoresque de l’anecdote et le précepte moral appliqué aux vertus sociales. Les trois quart de ces fables ont pour personnages des animaux auxquels le narrateur et moraliste attribue des qualités et défauts humains, comme le rusé renard ; puis des hommes, voire, comme « L’esclave laide et Aphrodite », des dieux (elles sont dans ce cas souvent étiologiques) ou des plantes. Leur simplicité et leur concision n’exclut pas l’ingéniosité et l’humour, même si quelques-unes sont plus fades, sinon puériles. Quant aux morales, elles prêchent la fidélité, le travail ou la modération : « Cette fable montre que, si vous trahissez l’amitié, vous pourrez peut-être vous soustraire à la vengeance de vos dupes, si elles sont faibles ; mais qu’en tous cas vous n’échapperez pas à la punition du ciel ». Quoiqu’elles frisent parfois franchement l’immoralité, lorsqu’il s’agit de profiter de la bêtise des autres. Plus allégorique est « Les Biens et les Maux », pour élever le débat à la lisière de la philosophie.

      La préface rigoureuse de ce volume, nanti de sa délicieuse couverture azur et ornée d’un renard d’or, est riche d’enseignements historiques et génériques sous la plume d’Emile Chambry. Il est, n’en doutons pas, un fleuron de la collection.

 

 

      Les Fables ne sont que 273 dans le recueil Augustana, choisi par la collection Folio, mais précédées par la « Vie d’Esope », soit le « Livre du philosophe Xanthos et de son esclave Esope, au sujet des mœurs d’Esope », récit plus que romancé. Et complétées par d’abondantes et précises notes. La préface d’Antoine Biscéré s’interroge : « Comment expliquer, malgré l’absence de souci esthétique […] leur séduction aussi pérenne qu’universelle ? » Il répond avec pertinence en prônant cette « fable qui conjoint le merveilleux au prosaïque et marie l’ordinaire à l’onirique ». Et si ces brèves fables en prose nous paraissent, quoique le plus souvent judicieuses, un peu pâles, c’est qu’elles souffrent de la comparaison avec le futur prince du genre. Après le Romain Phèdre, mais aussi Avianus, qui en reprirent de nombreuses en vers latins, La Fontaine les sublima au moyen de ses vers élégants, les animant par d’expressives prosopopées, associant la vivacité, l’humour et la satire politique[6].

      Tous ces textes ont d’abord été publiés aux Belles lettres, constituant son impressionnant fonds antique, en éditions bilingue, soit en une flopée de volumes finalement onéreux. Les voici, dans des écrins soignés, illustrés par des artistes contemporains, à la portée d’un budget somme toute modeste. Alors que l’on annonce des œuvres célèbres, comme La Guerre du Péloponnèse de Thucydide et le Serment d’Hippocrate, ou plus rares : de Procope La Guerre contre les Vandales, impatiemment attendue.

      Certes l’Iliade d’Homère fait déjà partie de cette « Série du centenaire », mais nous préférons pour une fois nous pencher vers un autre éditeur aux soins exquis : Diane de Selliers, qui nous propose en sa « Petite collection », non plus brochée mais solidement et élégamment cartonnée, du même auteur, l’Odyssée. La traduction est classique, de Victor Bérard, et venue des Belles Lettres, mais l’illustration moins. Au-delà de l’accord d’Ovide avec la peinture baroque[7], de Pétrarque avec un vitrail de l’Aube[8], ou de Dante avec Botticelli[9], voici un choix pour le moins étonnant, car contemporain.

 

      Au premier regard, le travail de Mimmo Paladino, peintre venu de la Trans-avant-garde italienne et né en 1948 près de Naples, peut sembler enfantin, simpliste. Peu à peu, et surtout au regard du texte, ces graphismes puérils, ces barbouillis de stylo, d’aquarelle, de gouache, ces grattages et collages, parfois rehaussés de feuilles d’or, acquièrent une qualité symbolique réelle, une résonnance profonde. À partir d’éléments archétypaux, des silhouettes de soldats et de tours, des ciels menaçants et des yeux en larmes, une dimension iconique universelle s’affirme parmi les 92 dessins et peintures, qui ne sont pas sans faire songer aux vases grecs peints. Non sans un certain humour, comme ces sirènes qui semblent couchées dans une boite de sardines.

      Le souci d’une lecture élégante et claire, parmi la souple prose aux alexandrins blancs du traducteur, anime l’éditrice autant que l’illustrateur. Outre le bleuté des têtes de chants et d’unités narratives, à chaque peinture ponctuant l’épopée, pas forcément d’une manière littérale, mais allusive, poétique, voire ironique, correspond une phrase-clef d’Homère : « Pallas Athéna, cette fille de Zeus, avait autour d’Ulysse versé une nuée, afin que, de ces lieux, il ne reconnût rien » ; ou encore : « C’est ainsi qu’en la salle, assaillis de partout, tombaient les prétendants, avec un bruit affreux de crânes fracassés, dans les ruisseaux du sang qui coulaient sur le sol ». Le défi est relevé par des lavis colorés, des graphismes aigus, des encrages pastels et insolites qui, par instants, font penser aux travaux de Miquel Barcelo[10].

      Voilà comment s’attacher avec plaisir aux dix ans du périple d’Ulysse, après les dix ans de guerre et de cheval de Troie, parmi des mers chargées d’écueils, entre apparitions monstrueuses, de Polyphème au Cyclope, ou séductrices, des sirènes à Circé, que seule la ruse native du héros saura déjouer, même s’il est le jouet des dieux, donc du destin, afin de retrouver sa chère Pénélope. Gageons que le poète nous offre une métaphore de notre condition humaine à la recherche de son Ithaque…

 

      Voulez-vous une bibliothèque délicieuse, savante, impressionnante, parfois amusante, qui fera l’indispensable éducation du Prince autant que de l’honnête homme, autrement dit de l’esprit de l’humanité, à l’affut de la connaissance de l’âme humaine, sinon des dieux. C’est chose faite, même si elle reste à compléter, avec la « Série du centenaire » des Belles lettres. Vous saurez comment les combats sanglants d’Achille et d’Ulysse enseignent le destin, comment les Anciens pensaient la naissance du cosmos[11], la responsabilité et l’amour, comment la quête de Jason, tributaire d’un amour vénéneux, est la nôtre au sens moral, comment être stoïcien, et probablement bientôt épicurien avec de nouvelles éditions, comment éduquer à l’époque des guerres grecques et médique avec Xénophon, comment vendre des philosophes avec Lucien, et, bien entendu, écrire des fables avec Esope, toutes activités dont notre contemporain ne doit pas être privé, tant il manque de morale, tant il regorge de philosophes qui méritent à peine d’être vendus à vil prix. La panoplie du bibliophile tient ici entre ses mains les premiers secrets de l’éducation à la guerre et à la paix, aux vertus politiques et morales, et à celles de l’ironie.

 

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[2] Raymond Queneau : Petite cosmogonie portative, Gallimard, 1950.

[4] Lucien de Samosate : Philosophes aux enchères, L’Herne, 2009.

[5] Ibn al-Muqaffa’ : Le Livre de Kalila et Dimna, Klincksieck, 2012.

[11] Voir : Cosmos de littérature, de science, d'art et de philosophie

 

Xénophon : Oeuvres, Hachette, 1873 ; Lucien : Oeuvres, Hachette, 1874.

Photo : T. Guinhut.

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28 octobre 2019 1 28 /10 /octobre /2019 17:06

 

Hotel Monasterio, Boltaña, Huesca, Aragon.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Les peines politiques anglaises perdues

 

de Jonathan Coe.

 

 

 

 

Jonathan Coe : Testament à l’anglaise,

traduit par Jean Pavans, Gallimard, 1995, 504 p, Folio, 10,80 €.

                                                                                                                

Jonathan Coe : Le cercle fermé, traduit de l’anglais par Jamila et Serge Chauvin,

Gallimard, 544 p, 2006, Folio, 9,50 €.

 

Jonathan Coe : Le Cœur de l’Angleterre,

traduit de l’anglais par Josée Kamoun, 2019, Gallimard, 560 p 23 €.

 

 

 

 

      Bienvenu au club politique du romancier britannique par excellence ! Il invite ses lecteurs dans les fauteuils de l’intimité du pouvoir autant que dans ceux aux couleurs passées de la plus modeste population, avec un sourire poli, quoiqu’ironique. Déchirer à belles dents les chroniques familiales, et par-dessus-tout la vie politique anglaise, est une spécialité de Jonathan Coe, dont Le Cœur de l’Angleterre ravive les plaies ouvertes avec le Brexit. De ce prolixe biographe et romancier né en 1961, on oubliera La Maison du sommeil et La Pluie avant qu’elle tombe, mélodramatiques puzzles des générations, ou les nouvelles de Désaccords imparfaits. C’est avec Le Cercle fermé, second volet du diptyque commencé par Bienvenu au club, dérive douce-amère d’une bande lycéens, qu’il affuta sa critique des années Tony Blair. Si l’on sait que les héros récurrents ont atteint l’âge mûr, on devine que leurs immanquables idéaux de jeunesse vont être bafoués dans Le Cœur de l’Angleterre. Et que l’Angleterre travailliste et contemporaine risque de se trouver aussi mal de la plume de Jonathan Coe que celle néoconservatrice de Margaret Thatcher, qu’il lacéra lors de Testament à l’anglaise, son premier roman unanimement et justement loué. A moins de se demander jusqu’où va la légitimité de la satire…

 

      Certainement son meilleur opus romanesque, Testament à l’anglaise (What a Carve up !) aussi grinçant qu’allègre, satire familiale et générale des stratégies de pouvoir et d’argent, y compris corrompues, à l’ère de Margaret Thatcher, n’a pas été égalé. Son regard incisif sur les trois générations de la riche famille des Windshaw, aux vices nombreux, vaut son pesant d’affairisme, de mensonge, de magouilles et autres saloperies diverses. L’un arme consciencieusement - et non sans antisémitisme - Saddam Hussein, en réalisant de substantiels bénéfices ; l’autre est un banquier vilainement prédateur qui « aide à déposséder la majorité et à arroser la minorité, [ce qui] l’emplissait d’un sentiment de justice délicieux ». Ces deux anti-modèles voisinent avec un critique d’art sans âme et flagorneur, qui use d’un droit de cuissage sans remords sur les jeunes artistes féminines, une star junkie des médias aux vulgarités appuyées avouant « une ignorance presque totale de ce dont elle choisissait de parler », un homme politique dont le talent principal réside dans sa capacité à retourner sa veste, une fermière qui réussit dans l’élevage intensif et l’industrie agro-alimentaire qui n’engendrent que malbouffe, voire cancers, ce avec la bénédiction d’un gouvernement complice : voilà de quoi dénoncer un immoral capitalisme de connivence… Le cynisme des personnages est roi, dépassant évidemment le cercle étroit de la seule Angleterre.

      Devrions-nous alors croire que la réussite économique de l’époque de la Dame de fer n’est faite que d’immondices ? Ce qui est sans nul doute une fort abusive, quoique réjouissante, caricature. Même si comme la plupart des intellectuels, Jonathan Coe a l’indigence intellectuelle de vouloir discréditer le thatchérisme, qui permit pourtant, après les ravages dispendieux et tyranniques de l’Etat providence, une incontestable reprise économique, ne serait-ce qu’en divisant le chômage par deux. Il faut reconnaître cependant que notre écrivain, quoique sans  peur de l’usage du cliché anticapitaliste, parvient, grâce à ses personnages bousculés par la verve du satiriste, à faire éclore sur nos visages de larges sourires d’ironie : la fresque burlesque a dézingué une élite indue.

      Mieux encore, le romancier sait piéger son lecteur dans les rets d’une savante et bienvenue construction narrative : mis en abyme dans le roman, le livre en cours de réalisation par Michael Owen s’intercale avec le récit de sa propre vie, aux amours névrosées, à l’inspiration étique, alors qu’il se cloître dans son pathétique appartement. Peut-être celui qu’un film a traumatisé lors de son enfance saura-t-il recourir aux bons soins de sa charmante voisine Fiona... C’est la vieille, et un peu frappadingue Thabita, reléguée dans un asile, qui est à l’origine de cette commande : « Par une curieuse ironie, cette même Tabitha Windshaw, âgée de quatre-vingt-un ans, et pas plus saine d’esprit qu’elle ne l’a été pendant les quarante-cinq dernières années, se trouve être, amis lecteurs, le commanditaire, le mécène, du livre que vous tenez entre les mains ». C’est en faisant de ce romancier raté, en butte avec les maisons d’édition, un enquêteur obligé, qu’elle espère faire surgir la vérité. Son frère Lawrence a-t-il trahi son propre frère, pilote de la RAF tué en mission, au bénéfice des Allemands ? La maison des Windshaw, cette tour symbolique, au centre de la toile d’araignée tissée par cette famille de pourris divers, au cynisme venimeux, sera-t-elle le lieu d’un crime révélateur ? Seul le jeune écrivain, auteur d’un « livre diffamatoire », d’un « livre à scandale, au ton fielleux et vindicatif », s’élèvera, au moins par l’esprit, traçant alors la flèche de la nécessité et de la vérité de l’art.

      Comme le roman d’éducation d’une génération prisonnière d’un « cercle fermé », ce Testament à l’anglaise, entre tableau des mœurs, intrigue feuilletonnesque et policière, initiation d’un jeune homme et satire à l’acide, pourrait s’appeler, pour reprendre un titre de Shakespeare, Peine d’amours perdues, ou peines politiques perdues… Reste que pour le romancier de talent, au-delà du droit et du devoir, inaliénables, de satire des vices vénaux et politiciens, se pose la question de son éthique politique : doit-il vilipender contre toute raison l’ère Thatcher malgré ses inévitables, et se gargariser des illusions socialistes, dénoncées par La Route de la servitude d’Hayek[1], ou faire preuve de prospective réaliste, comme Ayn Rand[2] ou Mario Vargas Llosa[3], en ouvrant la voie d’un humaniste libéralisme économique et des mœurs ? Ainsi, penser, comme le pourtant affreux député Henry Windshaw du Testament à l’anglaise, que « l’ordre du jour [est] la génération de revenus » vaut probablement mieux que le prétendu altruiste gaspillage clientéliste et démagogique. A condition que cette génération de revenus soit accessible à tous et non confisquée par l’Etat, ses élus, ses fonctionnaires et ses affairistes complices…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Le retour de Claire Newman dans Le Cercle fermé de Londres et de Birmingham permet de répondre à la question traditionnelle : qu’ont fait de leur vie ses anciens condisciples de lycée? Le bilan n’est guère brillant, sans compter une sœur disparue. Benjamin Trotter, expert-comptable, époux désabusé, n’a jamais terminé le roman rêvé. Son frère Paul, pas trop malin, est cependant cynique au point d’être devenu député blairiste. Une tuile assez banale va l’accabler : foudroyé par l’amour d’une étudiante présentée par son frère, va-t-il quitter sa femme en risquant de mettre à mal sa trajectoire politique ? La jeune Malvina devient sa « conseillère médiatique », ambitieuse aux dents longues qui compte profiter de la nomination de Paul au poste de Secrétaire d’Etat au Ministère de l’Intérieur… D’autres sont plus ou moins justement journalistes… On va mentir, placer des coups bas, trahir les rêves féminins. Et l’on apprendra que Malvina est la nièce de Paul… Sur eux tous, le « cercle » du passé et du présent va se refermer, comme la tenaille de la fatalité dans un roman de société.

      Imbattable lorsqu’il décrit la rage nouvelle des conducteurs britanniques et l’usage autiste, obsessionnel du téléphone portable, Coe joue à plaisir du petit tableau de mœurs, associant cette micro-mythologie du quotidien au balayage d’une époque politique. L’analyse au vitriol de l’extrême droite anglaise côtoie les lieux communs (peut-être parce qu’ils nous sont communs) lorsque s’avance la réfutation de l’engagement militaire en Irak au côté des Etats-Unis… Engagement que Paul, contre son parti, votera, mais pour des motifs aussi privés que sordides : « Si on déclare la guerre à l’Irak, Mark sera envoyé là-bas et on pourra de nouveau utiliser son appartement », entendez pour ses galipettes avec Malvina.

      Le portrait acide du député blairiste déconsidéré vaut pour tous ses congénères emportés dans la spirale de l’opportunisme. Hélas, c’est là une limite du satiriste engagé qui voudrait faire passer tous les acteurs politiques pour des clowns, des pourris, animés par la cupidité et l’orgueil, sans l’ombre de la moindre morale, mais aussi des anti-héros de roman… On y ajoutera la chronique des couples dont l’intérêt n’est pas toujours à la hauteur du talent romanesque attendu. Malgré des longueurs, de piètres clichés de café du commerce (« Il n’y a plus de curiosité, d’esprit critique, on est devenus des consommateurs de la politique »), le roman d’initiation politique, à moins de s’embourber dans le roman à thèse, s’élève sous nos yeux. C’est cependant bien une réussite que d’associer des personnalités politiques réelles à des personnages de fiction qui sont ce que nous sommes, en un réalisme passablement sale. Indubitablement l’efficacité discutable du socialisme de Blair réussit également au roman anglais lorsqu’il se propose de s’en moquer… « Ici, personne ne croit plus à rien d’autre qu’au capitalisme. Le blairisme est une énigme absolue », confiait Jonathan Coe dans un entretien au journal Le Monde. Le pouvoir appartenant bien à un « cercle fermé », peut-être le dernier mot, le constat d’échec, appartient-il à Paul : « On vit à l’ère de l’ironie ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Après les années Thatcher dans Bienvenue au club et celles Tony Blair dans Le Cercle fermé, le chroniqueur des mœurs privées et politiques ne pouvait faire l’impasse sur le feuilleton économique pro et anti-européen qui agite le Royaume-Uni et au-delà. Aussi se propose-t-il d’écrire son « superbe bébé du Brexit », pour reprendre les derniers mots du Cœur de l’Angleterre.

      Malgré quelques séquences plus journalistiques que romanesques, dont les émeutes urbaines ou la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, l’entraînant roman court sur presque une dizaine d’années, d’avril 2010 à septembre 2018, de la « joyeuse Angleterre » à la « vieille Angleterre », en passant par celle « profonde ». La fresque serait ennuyeuse sans une grosse poignée de personnages dont les destinées sont affectées par les événements économiques et les décisions - ou indécisions - politiques.

      Comment un pays aux traditions si fortes, uni dans une euphorie, certes superficielle à l’occasion des Jeux Olympiques de Londres pendant l’été 2012, a-t-il pu en arriver à se fragmenter ainsi ? La visibilité des inégalités, les politiques d’austérité et la richesse insolente des beaux quartiers, le multiculturalisme qui bute sur le racisme et sur un Islam intolérant, les quartiers ghettoïsés, la montée du nationalisme d’une part et de la délinquance et de la criminalité d’autre part, la méfiance de plus en plus avérée des zones rurales et des petites villes vis-à-vis d’un Londres inféodé à l’Europe ? Tout cela est présent par petites ou grandes touches, allusions et choses vues, lors de l’avancée du roman, qui voit sa béance s’ouvrir à l’occasion du vote en faveur de la sortie de l’Europe, en juin 2016.

      Rescapé du Cercle fermé et de Bienvenue au club, Benjamin Trotter est peut-être l’alter ego du romancier : quinquagénaire né au début des années soixante parmi la classe moyenne de Birmingham, volontiers rêveur et désabusé, entamant une improbable carrière d’écrivain, avec un fatras de pages pour « allier une fresque de l’histoire européenne depuis l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun en 1973, à un compte-rendu scrupuleux de sa vie intérieure », ce qui est une belle mise en abyme du roman. Il n’en publiera qu’un extrait, Rose sans épine, mince récit autobiographique dans le rayon librairie d’une jardinerie ; à moins qu’il obtienne un prix littéraire convoité et un succès inespéré… Malgré l’enterrement de sa mère en quoi consiste le bel incipit du roman, la famille est pour lui un repère lorsqu’il s’agit de sa sœur Loïs, avec laquelle il a une relation privilégiée. Nostalgiques, ne regrettent-ils pas peu ou prou le prestige perdu de la grande Angleterre, autant que leur jeunesse envolée ? Autour d’eux, et dans le vieux moulin des Midlands que s’est offert Benjamin pour rompre avec Londres, Colin, le père veuf dont il faudra prendre soin, l’ami d'enfance, Doug, devenu un influent journaliste politique marié à une riche héritière londonienne, et sa nièce Sophie, prometteuse universitaire de 27 ans, ainsi que l’époux de cette dernière, Christopher. Ce couple ne résistera guère. Plus jeune donc que sa mère et son oncle, et le visage ouvert sur le futur, est Sophie, Londonienne et historienne de l’art, qui, en quête d’amour, le trouve auprès de Ian, un moniteur d’auto-école, moins intellectuel, mais riche d’un bon sens que l’on qualifierait de populaire. Le couple apparait enfin comme une image d’une Angleterre qui saurait rallier ses contraires, plus exactement ses complémentaires, en procréant l’avenir.

      Reste que le présent n’est pas brillant, y compris à l’occasion de personnages peut-être allégoriques, comme la transsexuelle Emily Shamma. Ou encore le parallèle entre la mort du père et l’assassinat d’une députée travailliste, Jo Cox, à quelques jours du référendum sur le Brexit. Les fractures familiales trouvent un écho plus large dans les fractures du pays. Si l’humour est loin d’être absent, avec par exemple ce loufoque et infantilisant « stage de sensibilisation aux dangers de la vitesse » suite à une infraction de Sophie (c’est là qu’elle rencontre le beau Ian), une scène de masturbation à la bougie dans une penderie, ou une croisière pour seniors qui s’ingénie à leur faire écouter des conférenciers de seconde zone, l’amertume parfois grinçante est associée au « charme discret de l’échec ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Trait d’union entre les classes modestes et moyennes d’une part et une élite de l’argent et de l’entregent d’autre part, Doug est le journaliste talentueux qui bénéficie de récurrentes conversations avec le responsable de la communication du 10, Downing Street, autrement dit le cabinet du Premier ministre. Ce qui ne peut l’empêcher de se voir de plus en plus « éberlué » face au cynisme de la collusion des pouvoirs politique et financier, en un écho avec testament à l’anglaise. Sans compter les injonctions du « politiquement correct » qui assaillent chacun des personnages, les adjurant de faire l’éloge d’une diversité culturelle qui ne tient pas ses promesses.

      Anecdotes, conversations, potins, mots d’amour et de déceptions, déclarations d’importance des politiciens, tout cela pourrait être d’un intérêt mitigé, si « l’indécision radicale » n’était pas « le nouvel esprit du temps », si les couples sans cesse séparés, les enfants loin de leurs parents, les femmes qui rêvent du compagnon plus ou moins idéal, si tout cela n’était in fine la métaphore du Brexit, comme lorsque Sophie s’interroge pour savoir si ce dernier est une cause de divorce. Ou comme lorsque Benjamin et Loïs se demandent si la France ne serait pas un havre de paix, alors que le lecteur de ce côté-ci de la Manche comprend qu’il en est passablement de même chez lui - si c’est encore chez lui. Car en cette crise d’identité autant intime que nationale, l’Angleterre est un « cœur » brisé…

      Cultivant l’ironie et la tendresse, la griffe et la caresse, l’écriture de Jonathan Coe parait batifoler avec légèreté d’un personnage à l’autre, d’une situation à une autre, quand le scalpel de l’observation psychologique ranime soudain l’intérêt du lecteur. Au-delà de ce qui ne serait petitement qu’une série de reportages dans la société anglaise, une succession de coups de sonde bien satiriques, comme « le Xanadu des jardineries », ou cette pitoyable plainte pour des « propos transphobes », c’est bien le déroulé romanesque qui l’emporte, même si la tension narrative baisse parfois. D’autant que le vécu des protagonistes, le plus souvent attachants, reflète la montée de la « folie collective » engrangée à l’occasion du Brexit. Cet étrange spécimen de l’humanité qu’est l’individu anglais, si tant est qu’il puisse se résumer à un type tant la nation se fragmente, parait alors un peu plus proche de nous.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Il n’est cependant pas impossible que la catastrophe du Brexit soit plus d’ordre symbolique que lourde de conséquences. Quitter l’Union européenne, certes, parait égoïste, si l’on songe qu’il s’agit de s’écarter d’une destinée communautaire, et s’esquiver du sens de l’Histoire. Cependant, s’il s’agit de se débarrasser du fardeau des contributions financières à un organisme supranational et de ses diktats technocratiques, peut-être les Anglais choisissent-ils le parti de la liberté, surtout si, comme l’on en a le projet outre-Manche, les droits de douane inhérents à la sortie de l’Union sont abolis. Il est probable que la City restera longtemps une place financière d’importance mondiale et que l’économie britannique restera florissante, malgré de dommageable poches de pauvreté. Du moins si les petits cochons ne les mangent pas comme dit le populaire de ce côté-ci de la Manche ! Or l’on ne peut s’empêcher de subodorer que Jonathan Coe est à l’affut de cet avenir, duquel il est bien difficile de se faire l’oracle, et que son clavier brûle de s’animer une fois de plus.

 

       Ecrire, c’est à la fois s’attacher à comprendre l’incompréhensible, y compris l’imbroglio politique et sociétal, et arracher au temps qui passe une plage, que l’on espère indélébile, de la mémoire. En dépit de positions politiques qu’il est permis de trouver discutables, Jonathan Coe est un de ces écrivains, non seulement anglais mais européens, grâce auquel l’on peut espérer mieux comprendre son époque et ceux qui nous entourent. Toute proportion gardée, dans cette autre désillusion politique, le Flaubert de L’Education sentimentale n’en usait pas autrement, mêlant son Frédéric aux incertitudes et convulsions de la révolution de 1848.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Le Cercle fermé a été publiée dans Le Matricule des anges, mai 2006

 

 

[1] Friedrich A. Hayek : La Route de la servitude, PUF, 1985.

 

Olivier Goldsmith : Histoire d’Angleterre, Boudaille, 1837.

Photo : T. Guinhut.

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La Répétition, Les Luminaires

 

 

 

 

 

 

Cavazzoni

Les Géants imbéciles et autres Idiots

 

 

 

 

 

 

 

Celan

Paul Celan minotaure de la poésie

Celan et Bachmann : Lettres amoureuses

 

 

 

 

 

 

Céline

Voyage au bout des pamphlets antisémites

Guerre : l'expressionnisme vainqueur

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

 

Censure et autodafé

Requiem pour la liberté d’expression : entre Milton et Darnton, Charlie et Zemmour

Livres censurés et colères morales

Incendie des livres et des bibliothèques : Polastron, Baez, Steiner, Canetti, Bradbury

Totalitarisme et Renseignement

Pour l'annulation de la cancel culture

 

 

 

 

 

 

Cervantès

Don Quichotte peint par Gérard Garouste

Don Quichotte par Pietro Citati et Avellaneda

 

 

 

 

 

 

Cheng

Francois Cheng, Longue route et poésie

 

 

 

 

 

 

Chesterton

William Blake ou l'infini

Le fantaisiste du roman policier catholique

 

Chevalier

La Dernière fugitive, À l'orée du verger

Le Nouveau, rééecriture d'Othello

Chevalier-la-derniere-fugitive

 

Chine

Chen Ming : Les Nuages noirs de Mao

Du Gène du garde rouge aux Confessions d'un traître à la patrie

Anthologie de la poésie chinoise en Pléiade

 

 

 

 

 

 

Civilisation

Petit précis de civilisations comparées

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

 

 

 

 

 

 

 

Climat

Histoire du climat et idéologie écologiste

Tyrannie écologiste et suicide économique

 

 

 

 

 

 

Coe

Peines politiques anglaises perdues

 

 

 

 

 

 

 

Colonialisme

De Bartolomé de Las Casas à Jules Verne

Métamorphoses du colonialisme

Mario Vargas Llosa : Le rêve du Celte

Histoire amérindienne

 

 

 

 

 

 

Communisme

"Hommage à la culture communiste"

Karl Marx théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

 

 

 

 

 

 

Constant Benjamin

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Corbin

Fraicheur de l'herbe et de la pluie

Histoire du silence et des odeurs

Histoire du repos, lenteur, loisir, paresse

 

 

 

 

 

 

 

Cosmos

Cosmos de littérature, de science, d'art et de philosophie

 

 

 

 

 

 

Couleurs
Couleurs de l'Occident : Fischer, Alberti

Couleurs, cochenille, rayures : Pastoureau

Nuanciers de la rose et du rose

Profondeurs, lumières du noir et du blanc

Couleurs des monstres politiques

 

 

 

 

 


Crime et délinquance

Jonas T. Bengtsson et Jack Black

 

 

 

 

 

 

 

Cronenberg

Science-fiction biotechnologique : de Consumés à Existenz

 

 

 

 

 

 

 

Dandysme

Brummell, Barbey d'Aurevilly, Baudelaire

 

 

 

 

 

 

Danielewski

La Maison des feuilles, labyrinthe psychique

 

 

 

 

 

 

Dante

Traduire et vivre La Divine comédie

Enfer et Purgatoire de la traduction idéale

De la Vita nuova à la sagesse du Banquet

Manguel : la curiosité dantesque

 

 

 

 

 

 

Daoud

Meursault contre-enquête, Zabor

Le Peintre dévorant la femme

 

 

 

 

 

 

 

Darger

Les Fillettes-papillons de l'art brut

 

 

 

 

 

 

Darnton

Requiem pour la liberté d’expression

Destins du livre et des bibliothèques

Un Tour de France littéraire au XVIII°

 

 

 

 

 

 

 

Daumal

Mont analogue et esprit de l'alpinisme

 

 

 

 

 

 

Defoe

Robinson Crusoé et romans picaresques

 

 

 

 

 

 

 

De Luca

Impossible, La Nature exposée

 

 

 

 

 

 

 

Démocratie

Démocratie libérale versus constructivisme

De l'humiliation électorale

 

 

 

 

 

 

 

Derrida

Faut-il pardonner Derrida ?

Bestiaire de Derrida et Musicanimale

Déconstruire Derrida et les arts du visible

 

 

 

 

 

 

Descola

Anthropologie des mondes et du visible

 

 

 

 

 

 

Dick

Philip K. Dick : Nouvelles et science-fiction

Hitlérienne uchronie par Philip K. Dick

 

 

 

 

 

 

 

Dickinson

Devrais-je être amoureux d’Emily Dickinson ?

Emily Dickinson de Diane de Selliers à Charyn

 

 

 

 

 

 

 

Dillard

Eloge de la nature : Une enfance américaine, Pèlerinage à Tinker Creek

 

 

 

 

 

 

 

Diogène

Chien cynique et animaux philosophiques

 

 

 

 

 

 

 

Dostoïevski

Dostoïevski par le biographe Joseph Frank

 

 

 

 

 

 

Eco

Umberto Eco, surhomme des bibliothèques

Construire l’ennemi et autres embryons

Numéro zéro, pamphlet des médias

Société liquide et questions morales

Baudolino ou les merveilles du Moyen Âge

Eco, Darnton : Du livre à Google Books

 

 

 

 

 

 

 

Ecologie, Ecologismes

Greenbomber, écoterroriste

Archéologie de l’écologie politique

Monstrum oecologicum, éolien et nucléaire

Ravages de l'obscurantisme vert

Wohlleben, Stone : La Vie secrète des arbres, peuvent-il plaider ?

Naomi Klein : anticapitalisme et climat

Biophilia : Wilson, Bartram, Sjöberg

John Muir, Nam Shepherd, Bernd Heinrich

Emerson : Travaux ; Lane : Vie dans les bois

Révolutions vertes et libérales : Manier

Kervasdoué : Ils ont perdu la raison

Powers écoromancier de L'Arbre-monde

Ernest Callenbach : Ecotopia

 

 

 

 

 

 

Editeurs

Eloge de L'Atelier contemporain

Diane de Selliers : Dit du Genji, Shakespeare

Monsieur Toussaint Louverture

Mnémos ou la mémoire du futur

 

 

 

 

 

 

Education

Pour une éducation libérale

Allan Bloom : Déclin de la culture générale

Déséducation et rééducation idéologique

Haine de la littérature et de la culture

De l'avenir des Anciens

 

 

 

 

 

 

Eluard

« Courage », l'engagement en question

 

 

 

 

 

 

 

Emerson

Les Travaux et les jours de l'écologisme

 

 

 

 

 

 

 

Enfers

L'Enfer, mythologie des lieux

Enfers d'Asie, Pu Songling, Hearn

 

 

 

 

 

 

 

Erasme

Adages et Colloques

Eloge de vos folies contemporaines

 

 

 

 

 

 

 

Esclavage

Esclavage en Moyen âge, Islam, Amériques

 

 

 

 

 

 

Espagne

Histoire romanesque du franquisme

Benito Pérez Galdos, romancier espagnol

 

 

 

 

 

 

Etat

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Constructivisme versus démocratie libérale

Amendements libéraux à la Constitution

Couleurs des monstres politiques

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Socialisme et connaissance inutile

Patriotisme et patriotisme économique

La pandémie des postures idéologiques

Agonie scientifique et sophisme français

Impéritie de l'Etat, atteinte aux libertés

Retraite communiste ou raisonnée

 

 

 

 

 

 

Etats-Unis romans

Dérives post-américaines

Rana Dasgupta : Solo, destin américain

Bret Easton Ellis : Eclats, American psycho

Eugenides : Middlesex, Roman du mariage

Bernardine Evaristo : Fille, femme, autre

La Muse de Jonathan Galassi

Gardner : La Symphonie des spectres

Lauren Groff : Les Furies

Hallberg, Franzen : City on fire, Freedom

Jonathan Lethem : Chronic-city

Luiselli : Les Dents, Archives des enfants

Rick Moody : Démonologies

De la Pava, Marissa Pessl : les agents du mal

Penn Warren : Grande forêt, Hommes du roi

Shteyngart : Super triste histoire d'amour

Tartt : Chardonneret, Maître des illusions

Wright, Ellison, Baldwin, Scott-Heron

 

 

 

 

 

 

 

Europe

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

Fables politiques

Le bouffon interdit, L'animal mariage, 2025 l'animale utopie, L'ânesse et la sangsue

Les chats menacés par la religion des rats, L'Etat-providence à l'assaut des lions, De l'alternance en Démocratie animale, Des porcs et de la dette

 

 

 

 

 

 

 

Fabre

Jean-Henri Fabre, prince de l'entomologie

 

 

 

 

 

 

 

Facebook

Facebook, IPhone : tyrannie ou libertés ?

 

 

 

 

 

 

Fallada

Seul dans Berlin : résistance antinazie

 

 

 

 

 

 

Fantastique

Dracula et autres vampires

Lectures du mythe de Frankenstein

Montgomery Bird : Sheppard Lee

Karlsson : La Pièce ; Jääskeläinen : Lumikko

Michal Ajvaz : de l'Autre île à l'Autre ville

Morselli Dissipatio, Longo L'Homme vertical

Présences & absences fantastiques : Karlsson, Pépin, Trias de Bes, Epsmark, Beydoun

 

 

 

 

 

 

Fascisme

Histoire du fascisme et de Mussolini

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Haushofer : Sonnets de Moabit

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré, une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

VIII Morphéor intelligence quantique amoureuse

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com

XVIII Bibliothèque Hespérus et Petite porcelaine bleue

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme : Ages & Colloques

Manuzio, Budé, Byzantinistes & Coménius

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Vanité de la mort : Vincent Wackenheim

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

La Cité aux murs incertains, L'Incolore Tsukuru

 

 

 

 

 

 

Muray

Philippe Muray et l'homo festivus

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

Miscellanées littéraires : Cloux, Morrow...

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Pléiade & Sonnet pour Hélène LXVIII

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Les obsolètes face à l'intelligence artificielle

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science-fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Métamorphoses du sonnet contemporain

 

 

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Wells

Wells aventurier du temps et socialiste déçu

 

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

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