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12 octobre 2024 6 12 /10 /octobre /2024 13:57

 

Château de Valençay, Indre.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Hubert Haddad, voyageur d’écriture :

Haïkus, éventails japonais

& Symphonie atlantique.

 

 

Hubert Haddad : Le Peintre d’éventail, Zulma, 2013, 192 p, 17 €.

 

Hubert Haddad : Les Haïkus du peintre d’éventail, Zulma, 2013, 150 p, 5,20 €.

 

Hubert Haddad : La Symphonie atlantique, Zulma, 2024, 224 p, 19,50 €.

 

Hubert Haddad : Meurtre sur l’ile des marins fidèles,

 Zulma poche, 2024, 224 p, 10,95 €.

 

Hubert Haddad : Les Coïncidences exagérées,

 Mercure de France, 2016, 192 p, 19 €.

 

 

 

Voyageur certes parmi les continents, mais avant tout de la plume, Hubert Haddad, né en 1947 à Tunis, ne cesse de surprendre à chaque nouveau tour de sa barre littéraire. Sa nébuleuse romanesque parait presque inépuisable, entre essais, poèmes, et surtout romans et nouvelles. Historien d’art, il sait concocter une histoire de l’art jardinée[1]. D’origine judéo-chrétienne, il s’arroge une vaste culture ouverte. Romancier, il cultive l’art de l’observation, autour de l’espace méditerranéen, au travers de la revue Apulée, qu’il fonda et dirige, avec le fil conducteur de la liberté intellectuelle et politique. À la suite de Palestine[2], il embrasse des problématiques à l’actualité brûlante en écrivant Opium Poppy[3], qui narre l’histoire d’un enfant afghan, nommé Adam, pris dans l’étau de la guerre, ensuite exilé, enfin condamné au seul secours de la débrouillardise dans une banlieue parisienne désolée. Le tropisme poétique, y compris au moyen d’une fascination amoureuse, permet d’offrir à cette errance une dimension universelle. Par ailleurs, en un grand chambardement, il se tourne jusqu’au Japon, dont le raffinement des éventails le fascinent à juste titre. L’art de l’imaginaire ne lui échappe évidemment pas, entre autres dans le récit fantastique intitulé Corps désirable[4]. L’Histoire des civilisations et des tempêtes totalitaires lui fournit également une source d’inspiration, comme dans sa dernière Symphonie atlantique, bouleversante. Mais, toujours, sa navigation intérieure pointe sa boussole céleste vers la nécessité et la sauvegarde de l’art, aussi bien poétique que musical.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chaque livre d’Hubert Haddad est un petit univers. Après nous avoir transportés en Palestine, au pays de l’opium, parmi les recueils des nouvelles insolites du jour et de la nuit[5], balancées ente réalisme et fantastique, il nous propulse, d’un coup d’éventail, au Japon, nous conviant à une entreprise de mémoire.

Revenant auprès d’un mourant qui bientôt pèse « moins que son poids de crémation », son élève Matabei se fait un devoir de raconter une histoire : de « celle qui concerne les amateurs de haïkus et de jardins ».

Dans la pension où il s’était réfugié pour échapper au monde et à ses remords, il trouve l’amour silencieux de Dame Hison, sa logeuse et néanmoins ancienne courtisane. En lisière de forêt s’élève une cabane solitaire. Là, vit un jardinier et peintre discret, le vieux maître Osaki, auquel il s’attache, au point de devenir son disciple, puis de progressivement le remplacer, en une belle histoire de filiation. Des grues, des feuilles d’érables, des montagnes, le « secret du précieux labyrinthe végétal » vivent en ses éventails de papier et de soie amoureusement peints. La mort du vieillard, les étreintes d’un jeune couple qui vient cacher sa passion, l’arrivée d’un adolescent naïf, les amours concurrentes et contrariées pour la belle Enjon composent cette écume des vies qui n’est rien devant l’art du pinceau et sa « leçon d’équilibre ». Mais à l’irruption du séisme, du tsunami, de l’accident nucléaire, si les populations sont balayées, Matabei, en cet apologue sur la transmission des talents, parviendra-t-il à restaurer les éventails ?

Avec un rare talent de suggestion, en particulier à l’occasion des paysages et des émotions des personnages, qu’elles soient pour la nature humaine ou pour les œuvres d’art, une quête de sérénité se fait jour. L’exercice de style bien japonais, d’abord à la manière de Kawabata[6] et de Bashô[7], a su se métamorphoser en un conte philosophique, sensible et tragique, impeccablement évocateur ; que l’on complètera grâce aux Haïkus du peintre d’éventail, qui paraissent simultanément : « Peindre un éventail, n’était-ce pas sagement ramener l’art à du vent ? »

 

Manga XIX°. Photo : T. Guinhut.

 

Ainsi, comme le vol d’un éventail devenu papillon, le roman se double d’un recueil, d’une mise en abyme, où l’on croit lire le pinceau poétique du vieux peintre. Hubert Haddad se dédouble : qui eût cru, que disciple lui-même de Bashô, le romancier fut un haikiste aussi pur, capable d’aligner près de cinq cents haïkus ?

« Syllabes comptées

ô papillon de toi-même

guettant l’instant pur »

Crapauds, grenouilles, araignées d’eau, insectes, oiseaux parcourent ce recueil que son auteur semble avoir composé en marchant sur les pas de l’ermite zen, parmi les montagnes de la tradition japonaise, autant qu’en ayant sondé sa bibliothèque intérieure. Art poétique en action, son souffle est ainsi empreint de concision et d’envol :

« En dix-sept syllabes

l’essence même du rien

sans un mot de trop »

Le vœu d’Hubert Haddad était-il de briller en cet exercice de style, en cette vanité qui est aussi la nôtre ? S’il y a réussi, c’est en quelque sorte pour disparaitre dans une pureté poétique qu’il a su rendre cristalline :

« L’ultime haïku

te rendra-t-il invisible ?

jour de ta naissance »

En quoi nous sont donc nécessaires ce récit et ce recueil ? Ne sont-ils pas la justification éphémère, et cependant palpable, parmi l’art de la peinture et des mots, de nos existences, qu’un souffle, fût-il naturel ou d’humaine apocalypse, disperse…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Scrutateur du passé récent, Hubert Haddad veille sur la Pologne au cours de la Seconde Guerre mondiale, grâce à son roman, Un monstre et un chaos[8]. Il témoigne ainsi  d’une culture terriblement menacée, grâce au parcours de gamins qui scandent des refrains yiddish. D’une manière voisine, l’on retrouve dans La Symphonie atlantique ce même affligeant.

Considérable est la dichotomie entre les tyrannies politiques et l’art, sauf si ce dernier devient un outil de propagande. Clemens en fait la douloureuse expérience, lui qui se voue à la musique allemande, alors qu’elle est dévoyée par le nazisme. Le jeune pianiste de La Symphonie atlantique opère sa « nymphose » parmi la Haute-Forêt-Noire, alors que bientôt c’est le violon qui l’enthousiasme, qui devient son âme menacée : heureusement l’officier de la Wehrmacht tonne : « Je vous exhorte de ne séparer en aucun cas la jeune Clemens de son violon ». Mais l’« uniforme noir », les « voyous des milices », les « agents de la police politique » ne cessent de rôder. Les auteurs juifs sont victimes d’autodafés, quand on prescrit à tous la lecture de Mein Kampf[9]. À la terreur nazie s’ajoutent à partir de 1942 les bombardements alliés par des « forteresses volantes », pour tous effrayants, mais aussi susceptibles de rompre les dialogues entre un violon et un piano. Probablement l’angoisse de voir son instrument détruit est-elle plus puissante que la crainte de la mort. Car « la musique reste sourde aux harangueurs »…

Elégiaque est le récit de la vocation de Clemens, que saccage un régime abject : « La musique habite un monde inaccessible, elle est comme l’âme des absents ». Entre la poésie de Goethe, d’Hölderlin, et les fureurs du Crépuscule des dieux wagnérien, le romancier compose une fugue néanmoins personnelle, aux accents psychologiques aiguisés autour des « anamorphoses de l’adolescence », une histoire d’amitié. Il est également permis de lire là un hommage aux artistes sacrifiés. Fidèle à sa vocation, la prose d’Hubert Haddad est une fois de plus, sans omettre des embardées diverses comme l'enchanteresse Sirène d’Isé[10], ample, lyrique et envoûtante, alternant les séquences inquiétantes, effrayantes, pathétiques, sombres, tragiques comme les temps aveugles de l’Histoire, et, par contraste, les extases de la perfection artistique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre boussole, ce Meurtre sur l’ile des marins fidèles, opportunément réédité en poche, alors qu’il date de 1994. C’est en effet un roman d’aventures maritimes, réécriture et pastiche de L’Ile au trésor de Robert-Louis Stevenson, originellement publié en 1883, et transposé en notre monde contemporain. L’écrivain joue avec ses bonheurs de lectures enfantines, créant un héros adolescent, prénommé Rhys, qui reçoit un précieux viatique : soit ce  volume du romancier anglais. Opportunément, un personnage s’appelle « Mémory ». Dans le cadre d’une adaptation filmique du roman du XIX° siècle, le jeune garçon se voit embarqué parmi une foule d’aventures oniriques, où pullulent acteurs et starlettes juchés sur des plateaux de tournage et sur des navires reconstitués pour l’occasion. Exercice de style bourré de péripéties, de clins d’œil, entre « nuit homicide », naufrage de l’assaillant et cargaison de chocolat, whisky, et bien entendu armes cachées, le suspense est garanti. Parmi les ingrédients, l’on découvre le calamiteux, effrayant « Gnomagre », mieux, « les seins de Laura », et, le plus beau peut-être, « un grand voilier de marbre » ! L'évasion du lecteur ne se passe ni de frissons ni des séductions de l'imaginaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

S’il y a coïncidences entre l’art et la vie, ce sont souvent des « coïncidences exagérées », pour reprendre le titre du récit autobiographique, sous-titré « Traits et portraits », de notre conteur d’histoires. Une tentative de suicide à vingt ans n’aboutit heureusement pas, grâce à la sollicitude d’un ami. « Une journée essentielle pour moi seul » est cependant confiée au lecteur : « Par une coïncidence qu'un démiurge prodigue au petit bonheur – ou par quelle intuition d'aigle planant ! – Elie poussa ma porte sans y avoir été invité ce soir-là, l'allure d'un héros revenu du chaos primitif. J'étais dévêtu, les bras blessés, en proue des débris d'une tempête, guitare, tableaux, miroirs, et prêt à emprunter, comme on se jette au feu, la rampe d'air de la fenêtre ». L’on a compris que la beauté du style transfigure la vie.

Aussi cette journée inaugurale se diffracte-t-elle dans le livre sans que le récit s’embarrasse de la chronologie : « Je m'attendais au pire depuis toujours. Dès ma naissance, le plomb fondu de l'angoisse s'infiltra dans mes veines à l'ombre d'adultes miséreux, désemparés par l'exil, père et mère que torturaient alors la perte et le trouble. Mais il ne s'agit guère ici d'un récit d'enfance, cette fable narcissique plus ou moins doloriste en forme de roman familial. Il ne s'agit pas non plus de Dieu, ce mot de rien pour rire de tout, ni des inepties des vendangeurs de l'âme. »

Les deuils, en particulier de Chantal, une âme-sœur, les recherches littéraires tous azimuts, l’ascendance juive, tout participe de la formation d’une personnalité, et, plus essentiellement, de l’écrivain. Car « c’est l’utopie renouvelée de la fiction et de la poésie qui ouvre à l’espérance ».

Une iconographie variée participe à ce puzzle intime et créatif : peintures et dessins d'Hubert Haddad lui-même, fort travaillés et expressifs – en particulier autour du corps – de son frère disparu, photographies anciennes, œuvres d'autres artistes, tachant de ramener à la vie de l’écriture les êtres aimés et disparus. Tout cela pour aboutir à la catharsis d’un beau volume aux facettes sombres et chatoyantes.

 

L’écrivain Hubert Haddad a l’invention du diable[11], pour reprendre l’un de ses titres, tant il semble passer de nouveaux contrats faustiens avec l’âme humaine. L’ancrage dans l’histoire récente contemporaine s’allie avec un onirisme fabuleux. Une bonne vingtaine de romans jalonnent son parcours, sans oublier son premier roman-dictionnaire, en toute modestie titré L’Univers[12]. De surcroît, sa baroque inventivité n’empêchant en rien la fluidité, il est un prosateur prenant, envoûtant même. Comme le laissaient entendre ses haïkus, la poésie est aussi son terrain de jeu, depuis Le Charnier déductif[13], passablement post-surréaliste. Infatigable, il lui arriva de produire, comme en passant, une somme encyclopédique en deux volumes balayant la passion littéraire et la furia des techniques d'écriture. Venu d’une nourrissante expérience des ateliers d’écriture, c’est tout un magasin des Lettres et des curiosités[14], sans oublier L’Art et son miroir[15], mis à la disposition de l’apprenti écrivain et du voyageur de la fiction, mais de ces sortes d’indispensables  fictions qui éclairent le monde et la psyché.

Thierry Guinhut

La partie sur Le Peintre et Les Haïkus

fut publiée dans Le Matricule des anges, février 2013,

celle sur La Symphonie atlantique,

octobre 2024.

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Hubert Haddad : Le Jardin des peintres, Hazan, 2000.

[2] Hubert Haddad : Palestine, Zulma, 2007.

[3] Hubert Haddad : Opium poppy, Zulma, 2011.

[8] Hubert Haddad : Un monstre et un chaos, Zulma, 2019.

[11] Hubert Haddad : L’Invention du diable, Zulma, 2022.

[12] Hubert Haddad : L’Univers, Zulma, 1999

[13] Hubert Haddad : Le Charnier déductif, Debresse, 1968.

[14] Hubert Haddad : Le Nouveau Magasin d'écriture, Zulma, 2006 et 2007.

[15] Hubert Haddad : L'Art et son miroir, Zulma, 2023.

 

Soledad Córdoba : Sin titulo, 2005. Museo d'Oviedo, Asturias.

Photo : T. Guinhut.

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29 août 2024 4 29 /08 /août /2024 17:13

 

Museo de la catedral, Oviedo, Asturias.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Kamel Daoud, mémoire, réécriture

 

et réalisme magique :

 

Houris,

 

Meursault contre-enquête,

 

Zabor ou les Psaumes.

 

 

Kamel Daoud : Houris,

Gallimard, 2024, 416 p, 23 €.

 

Kamel Daoud : Meursault contre-enquête,

Actes Sud, 2014, 160 p, 19 € ; Babel, 2016, 6,80 €.

 

Kamel Daoud : Zabor ou les Psaumes,

Actes Sud, 2017, 336 p, 21 €.

 

 

L’imitation des chefs d’œuvre des Anciens était une vertu à l’époque du classicisme, sans cependant qu’il s’agisse de singer Homère ou Sophocle. La Fontaine[1] sut faire de cet art la merveille que l’on sait en imitant Esope, toujours avec ce pas de côté qui caractérise le goût, la personnalité, l’inventivité. Kamel Daoud, Algérien né en 1970, imitant la langue française pour mieux la faire résonner et raisonner, écrit aujourd’hui d’après des livres, occidentaux et arabes, mais sans servilité, les questionnant, leur retournant la peau, pour mieux interroger l’Histoire de l’Algérie et ses destinées en des réécritures tragiques, parfois marquées des flamboiements du conte. De Meursault contre-enquête – où l’on devine Albert Camus – au tout jeune Zabor ou les psaumes, et aux travers de ses doubles, il nous étouffe, nous régénère, nous ravit. Quand il ne craint pas de prendre des risques, alors qu’un imam lança une fatwa contre lui, alors que la dictature algérienne se targue de punir de peines d’emprisonnement et autre amendes sévères quiconque « utilise et instrumentalise les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’Etat, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou ternir l’image de l’Algérie sur le plan international ». La langue de bois interdisant d’exercer son intelligence au sujet de la guerre civile des années 90, l’on devine qu’avec Houris, Kamel Daoud saura incarner cette affreuse épopée. Pour une fois, comme si rarement, le prix Goncourt fait preuve de sagacité et de courage en couronnant le roman anti-islamiste de Kamel Daoud : Houris. Puisse-t-il ouvrir les yeux…

Immense massif de mémoire, Houris est placé sous l’égide d’un personnage féminin, ce qui est déjà transgressif dans un tel contexte algérien et historique. L’attachante héroïne s’appelle Aube, du moins dans sa « langue intérieure », qui est le français, alors que l’arabe « ne parvenait pas à la cheville de ma langue secrète ». Sa mutité est une métaphore de l’interdit. Cependant, si l’on s’approche, sa voix frêle est un ruisseau discret, et bientôt un fleuve abondant, non seulement autobiographique, mais également collectif, tant il convoque la destinée tragique de tout un peuple, entre bourreaux et victimes.

Sans fard, le romancier raconte à l’aide de la voix de sa houri le massacre de Had Chekala, qui fit mille victimes le 17 décembre 1997. Malgré ses cordes vocales blessées, conséquence d’une tentative d’égorgement à l’âge de cinq ans, mais aussi du silence et du voile imposés aux femmes, y compris si elles ont été engrossées par des violeurs, sa prise de parole tellurique est aussi précieuse que véridique, douloureuse, tant « c’est un couloir d’épines pour une femme que de vivre dans ce pays ». Elle ne peut que décider d’avorter d’un enfant conçu dans de telles barbares conditions. Qui sait si sa tendresse lui permettra d’assurer à sa fille l’espoir d’une vie meilleure…

Le monologue intérieur est une confidence au lecteur de confiance, bien qu’il puisse être durement éprouvé par une telle lecture. Même si, de par l’intensité de ce massif mémoriel, la narrativité peut souffrir d’un léger manque d’efficacité, le tableau est impressionnant, nécessaire au plus haut point. Cependant le français n’est pas pour notre romancier la langue du colonisateur, mais celle de l’intime et de l’érotisme. A contrario, en ce pays dévasté, l’on n’aime les femmes que « muettes et nues pour le plaisir des hommes en rut » !

Conçu comme un triptyque, ce sont trois parties, « La voix », « Le labyrinthe », « Le couteau », qui rythment le maelström du désastre. Ce couteau est celui de l’imam de Had Chakela, au cœur du réquisitoire à l’encontre du meurtre programmé, soit environ 200 000 victimes pendant une décennie. Meurtre général qui se voit blanchi lorsqu’en 2005 « on organisa un grand vote dans le pays pour dire que l’on pardonnait aux tueurs ». Comble d’hypocrisie, « on leur expliquait qu’il fallait ne rien raconter de leurs méfaits pour pouvoir bénéficier du pardon […] Toutes ces lois visaient à sauver les tueurs » !

Venu du persan, le mot « houri », désigne une femme qui a le blanc et le noir des yeux très tranchés, « dessinés comme des nuits dorées ». En passant par l’arabe, elle est cette beauté céleste que le Coran promet au Musulman fidèle dans le paradis d’Allah. Cependant c’est le plus souvent l’enfer sur la terre qui lui est réservée. Et toutes houris que l’on puisse les prétendre, l’au-delà ne leur est pas non plus conciliant : « nous sommes seules, car nous n’avons pas de place dans les livres sacrés du ciel ». L’hypocrisie est autant politique que religieuse, surtout si l’on connait dans la sourate « Des femmes », la soumission qui leur est imposée, sinon point de salut.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À la lisière du témoignage et de la forme romanesque, ainsi le dénonce Kamel Daoud, écrivain d’Histoire et de mœurs, qui fut un pauvre journaliste dans l’Algérie des années quatre-vingt-dix, et dont la haute tenue morale et intellectuelle doit nous préserver des tyrannies humaines et théocratiques.

Coincée entre l’étatisme socialiste autoritaire et l’islamisme totalitaire, l’Algérie ne sait assumer son passé, rejetant la faute sur une colonisation qui est déjà vieille de six décennies, ni préparer un avenir meilleur. La guerre d’indépendance est survalorisée, mythifiée ; au contraire, celle des années noires est occultée, tant une inhibition délétère empêche d’en comprendre les ressorts, de l’exorciser et de se prémunir contre une inévitable récidive d’un récurrent Groupe Islamiste Armé, faute de pouvoir se débarrasser du nationalisme arabisant et surtout d’une religion terroriste. Sans compter qu’une telle abomination ne fait pas que menacer le Maghreb et les pays arabes, mais aussi l’Occident, à son tour colonisé, en vue d’un « émirat au cœur d’une Europe contrite et aveuglée par la culpabilité et la lâcheté », soit au premier chef la Belgique. Car « l’islamisme a pris en otage le mouvement décolonial » ; car, à l’instar de l’actualité vénéneuse de Gaza et du Hamas, s’opère « une intoxication idéologique de la mémoire ». Alors qu’infailliblement en Algérie se met en place une « ayatollahisation de l’Etat[2] », alors que l’école se fait le lit de l’antisémitisme, du machisme, de l’interdit du corps, de la haine de la France et du ressentiment…

Originaire d’Oran, Kamel Daoud s’est fait exilé volontaire en France pour écrire sereinement – si possible. Chroniqueur hebdomadaire et avisé au Point, il est un modèle nécessaire de l’esprit libre.

 

Museo de la catedral, Oviedo, Asturias.

Photo : T. Guinhut.

 

Pour paraphraser son titre inaugural, Houris pourrait être sous-titré Algérie contre-enquête. Ce fut son premier roman qui le révéla. Meursault contre-enquête s’attaque en toute clarté à un morceau de choix, une vache sacrée de la littérature française, lue et relue, étudiée dans tous les lycées, on l’a compris, L’Etranger d’Albert Camus, néanmoins jamais nommé. Le récit apparaît de prime abord comme une sorte de règlement de compte à l’égard de ce « crime commis dans un livre », de cette histoire volée à la mémoire algérienne et arabe, car Meursault tue un « Arabe », également jamais nommé. Mais, peu à peu, ce récit laisse entrevoir, comme en son double fond, un réquisitoire contre l’Algérie, qui a son allégorie, la mère de cet Arabe fictif.

Ainsi Kamel Daoud donne un nom, Moussa, au grand vide qu’est la victime de Meursault, ce « roumi ». Quoique devenu personnage à part entière, il ne permet pas à sa mère d’en retirer bénéfice : le corps n’ayant pas été retrouvé, elle ne percevra aucune pension pour réparer la perpétuelle absence. De par cette mère qui fait de son affliction un destin, le jeune frère, Haroun, narrateur de son état, marqué au fer par la fatalité, subit sans cesse le poids de la malédiction. Anti-héros condamné à la déréliction, il subit une ascendance et une tradition délétère : « M’ma avait l’art de rendre vivants les fantômes, et, inversement, d’anéantir ses proches, de les noyer sous ses monstrueux flots d’histoires inventées ».

Plus tard, en 1982, donc vingt ans après, dès l’indépendance algérienne acquise, Haroun tue de deux coups de feu un « Français qui avait eu le malheur de venir se réfugier chez nous ». On entend la réécriture de la scène centrale et solaire de Camus : « Ce furent comme deux coups brefs frappés à la porte de la délivrance » – plutôt qu’ « à la porte du malheur ». La vengeance sordide apaise la mère, libère le fils, « comme après un coït ». ce qui dit assez la dimension de frustration sexuelle qui favorise la violence. Une brève arrestation pour crime commis hors temps de guerre officiel ne le perturbe guère. Une autre vie semble commencer lorsqu’une visite inattendue se produit : Meriem prépare une thèse sur le livre du meurtrier, titré L’Autre, avatar supplémentaire de la réécriture, pour, encore une fois, ne pas nommer Camus. Quelle sorte d’incandescence amoureuse connaîtra notre Haroun ? On devine que la trop libre étudiante restera un infini regret pour le vieillard qui se confesse à son lecteur…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Kamel Daoud emprunte une narration spiralée, qui ne progresse guère, hors dans la deuxième moitié du récit, à l’occasion du meurtre du Français et de la rencontre de Meriem, sauf si l’on considère que l’enfance du narrateur se dirige vers son inéluctable vieillesse. Par instant, l’on piétine, le ressassement, la longue lamentation, frise la répétition stérile. Néanmoins l’ensemble demeure considérablement efficace, marquant, ne serait que grâce à une écriture limpide et cependant somptueuse. L’autobiographie fictive, quoique cantonnée dans un cadre réaliste, déborde ce dernier, puisqu’il s’agit de se greffer sur des personnages que l’illusion mimétique ne consolide pas. Nés du livre d’autrui, Meursault et l’Arabe génèrent par association une famille pour ce dernier, un narrateur-personnage, encore plus fictionnels. Ainsi se mêlent l’intimité d’une mince famille et la fresque historique d’Alger et des villes algériennes, de leurs mœurs, de la fin de la colonisation à une libération décevante, à une indépendance qui n’en est pas une, faute de se libérer de la tradition et de l’Islam.

L’on sent que le romancier veut faire de Moussa, cet Arabe anonyme tué par Meursault, un symbole mémoriel, celui de tous les Arabes tués et oubliés par la colonisation française. Pourquoi pas. Mais une telle victimisation politique pourrait agacer tant elle va dans le sens du politiquement correct, contempteur de l’impérialisme colonisateur, qui d’ailleurs oublie allègrement celui des Arabes et des Ottomans, ainsi que les lendemains de la décolonisation. Car elle « s’en est même prise aux cimetières des colons et on a souvent vu des gamins jouer au ballon avec des cranes déterrés ».

À moins que Kamel Daoud, de toute évidence, soit plus subtil ; à moins qu’il s’agisse d’une satire d’une Algérie confite en ses ressentiments, un pays incapable de faire son propre procès, de se métamorphoser, de se projeter vers un avenir plus ouvert, plus libre : « Si tu m’avais rencontré il y a des décennies, je t’aurais servi la version de la prostituée/terre algérienne et du colon qui en abuse par viols et violences répétés. Mais j’ai pris de la distance ». Son personnage a vu « se consumer l’enthousiasme de l’indépendance, s’échouer les illusions », il laisse entendre le poids putrescent de la religion sur le pays. Ne restent qu’ « un minaret hideux qui provoque l’envie de blasphème absolu en moi […] une meute de bigots ». L’imam qui vient lui parler en vain de Dieu est l’écho du prêtre dérisoire qui vient visiter Meursault dans sa cellule, la veille de son exécution.

Or la dénonciation de l’Islam, du Coran est sans ambigüité : « je déteste les religions et la soumission ». Plus loin : « C’est l’heure de la prière que je déteste le plus ». Plus loin encore : « Je feuillette parfois leur livre à eux. Le Livre, et j’y retrouve d’étranges redondances, des jérémiades, des menaces », ce en quoi il ne se trompe pas[3]… L’on ne s’étonnera pas qu’une fatwa ait été prononcée contre l’écrivain. En 2014, suite à la parution de Meursault contre-enquête et diverses apparitions médiatiques, il fut ainsi menacé de mort pour hérésie et apostasie par un imam salafiste algérien, ancien de ce Front Islamique du Salut qui ensanglanta longtemps l’Algérie. Fort heureusement, l’imam en question fut condamné par la justice algérienne. Ce dernier reprocha également à l’écrivain de s’être attaqué à la langue arabe. Péché salvateur parfaitement assumé par Haroun, ici alter ego de son auteur : « cela me poussa à apprendre une langue capable de faire barrage entre le délire de ma mère et moi ». Ou de l’Algérie et l’arabité comme mère indigne…

Comme et mieux encore que dans Meursault contre-enquête, où le narrateur exprimait la volonté de se faire « une langue à moi », cet autre orphelin, cette fois de mère, Zabor, qui vit avec sa tante et son grand-père mutique, est rejeté par la communauté. D’abord par sa famille, par sa belle-mère et son père, car l’un de ses demi-frères prétend avoir été jeté dans un puits sec par ses soins, puis par sa différence, sa chétiveté, sa propension aux rêveries et sa fringale de lecture. Mais en contrepartie, il sait se constituer une intense identité grâce aux mots français, aux livres et à l’écriture. Surtout, à l’instar du réalisme magique de Salman Rushdie[4], il écrit de manière compulsive dans ses surabondants cahiers pour « contrer la mort », « pour sauver des vies ». Il s’agit d’un don divin : « quand je me souviens avec netteté et que j’utilise les bons mots, la mort redevient aveugle et tourne en rond dans le ciel, puis s’éloigne ». Sa réputation de guérisseur des agonisants gagne peu à peu le village. Ce qui n’empêche pas ses brutaux demi-frères de le mépriser. Pourtant, ils viennent le prier de sursoir l’agonie de leur riche et détestable père égorgeur de moutons (ce pourquoi Zabor ne mange pas de viande) au moyen de ses écritures. C’est « saisir la bandelette pour inverser la momification », comme par allusion au Livre des morts égyptien. C’est entrevoir « trois déesses grecques dans le corps d’un imbécile », par allusion aux Parques. Il sera cependant frappé, chassé par le « scandale », par l’appel aux imams. S’il tente encore, mais de loin, de repousser la mort cancéreuse de la bouche du père gagnée par « des insanités incontrôlables », c’est compter sans la « panne du don »…

Notre Zabor ira jusqu’à couvrir les murs, les trottoirs, de ses écrits, accrocher ses carnets dans des sacs, ce pourquoi, comme Haroun, il passera un jour en prison. Malgré un « cahier parfait », le dernier, la mort du père sera pour lui un sévère échec. Ou peut-être une nouvelle liberté, si l’on peut imaginer que le monstrueux paternel est la terrible allégorie d’une société patriarcale oppressante, pourtant absolument pas prête de lâcher la bride.

Une société rurale et clanique, consanguine et bestiale forme le terreau de cette Algérie obscurantiste, coagulée dans ses coutumes, étranglée par la religiosité, à peu près fermée au monde de l’humanisme, de la science et de la raison. Heureusement, « le véritable sens du monde était dans les livres », quoique Zabor reste confiné dans le merveilleux, dans l’irrationnel, comme échappatoire. Reste que ce « Robinson arabe », n’a pas son pareil pour fixer et griffer d’un trait de plume vigoureusement satirique les Algériens qui l’entourent et pour brosser d’un pinceau de couleurs et d’amour les paysages, montagnes, désert, nuit, bourgades, en un hommage permanent à la beauté qui n’est jamais celle des hommes.

Quant aux femmes, on les voit peu, cloîtrées, incultes, « décapitées » par une idéologie repoussante, ou soudain magnifiées par l’amour et la prose de Zabor. Sa tante, abandonnée par son promis, est devenu une réprouvée, de même pour sa mère qui fut répudiée ; quant à Djemila, « qui ne sait ni lire ni écrire », cachée derrière sa fenêtre, Zabor ne peut l’épouser car divorcée. La plaidoirie de l’écrivain tente de rendre justice à ces femmes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Devant ce lyrisme continu, touffu, parfois oppressant, d’aucuns seront un peu déçus du peu de péripéties, de la « prédilection pour les digressions » et les paragraphes en italiques. La progression en un triptyque (« Le corps », La langue », « L’extase ») aide peu au dynamisme. La tension qui était celle de Meursault contre-enquête, n’est pas toujours au rendez-vous. Beaucoup plus empreint de sensuelle prose poétique, à la lisière du conte fourmillant, Zabor ou Les psaumes, de par la connotation biblique de son sous-titre, a quelque chose de la prière, mais en direction de la vie et de l’univers, a contrario de ce qui est explicitement le livre-repoussoir, le Coran, (« un Livre sacré qui n’était plus unique »), parfois cité, dans la traduction de Malek Chebel : « les poètes sont suivis par les égarés ».

En conséquence, au-delà des « près de sept mille livres lus », de ceux que Zabor réécrit, comme Robinson Crusoé, ou Le Seigneur des anneaux changé en histoire de « vendeur de bague devenu éternel », et de ses « psaumes » lancinants, l’on pense à l’imaginaire foisonnant (quoique avec bien moins de récits que par la grâce de Schéhérazade) des Mille et une nuits. Notre auteur ne se fait pas faute de pas le prendre en compte, ne serait-ce qu’en reprenant les histoires du père, dont celle de la famine et de sa misère qu’il ne peut s’empêcher de reprocher à sa descendance. Cet anonyme chef d’œuvre de l’humanité, que l’on a retrouvé en arabe, même s’il est très probablement d’origine persane et s’il est fort cosmopolite, s’adosse à la multiplicité des livres et des cultures pour défier, non sans perspicacité polémique, et rejeter ce qui se veut le « Livre unique », cet abêtissant et aliénant Coran, pour ne pas le nommer. En ce sens, non seulement Kamel Daoud propose un manuel d’écriture, par la vertu des réécritures et de la métaphore, qui « était une sorte de verset qui allait du corps vers le ciel et pas l’inverse », mais il manifeste une intention politique, une nécessité d’exil intérieur, de libertés et d’indépendances. Ainsi il échappe à son « village et à son sort de caillou ». Ce par la vertu du réalisme magique.

Journaliste engagé, Kamel Daoud tint des régulières chroniques dans Le Quotidien d’Oran, où il vécut longtemps, outre aujourd’hui ses interventions de chroniqueur de l’état du monde, parmi les pages de l’hebdomadaire français Le Point. Plus de deux mille textes, témoignant d’une plume agile et affutée, mais aussi très lue. Parmi ceux-ci, cent quatre-vingt-deux figurent dans Mes Indépendances. Chroniques 2010-2016[5]. Là il pourfend l’Islam politique (ce qui est un pléonasme), la déliquescence du régime militaire et socialiste algérien, tout en saluant ces révolutions arabes qui ne tinrent pas leurs apparentes promesses de liberté, mais aussi, et surtout, condition sine qua non de la liberté, celle des femmes, si malmenée, si niée dans le monde islamique. Une chronique sur la misère sexuelle arabe lui valut la grotesque accusation d’islamophobie, qui d’ailleurs ne devrait pas être une accusation, mais une saine et humaniste réaction après analyse critique. Depuis, il dut interrompre ses contributions au journal algérien. Plus isolé dans son pays, Kamel Daoud est en fait plus intégré au monde tel qu’il se doit. Les livres de l’écrivain et de ses doubles, Haron et Zabor, paraissent encore chez Actes Sud, puis Gallimard (et Barzakh en Algérie), les chroniques du journaliste paraissent encore – jusqu’à quand ? –  dans Le Point, rare magazine à assurer sa mission humaniste et critique, dans un pays qui veut croire encore aux libertés.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Le Point, 8 août 2024, p 50, 54 .

[5] Kamel Daoud : Mes Indépendances. Chroniques 2010-2016, Actes Sud, 2017.

 

Arte mujedar, Cisneros, Palencia.
Photo : T. Guinhut.
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19 mai 2024 7 19 /05 /mai /2024 17:14

 

Sculpture de Pascal Convert, Abbaye royale de Fontevraud, Maine-et-Loire.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Philippe Muray,

penseur intempestif de l’homo festivus.

Du XIX° siècle à travers les âges

à L’Empire du bien,

en passant par le Journal : Ultima necat.

 

 

Philippe Muray : Le XIX° siècle à travers les âges,

Les Belles Lettres, 2024, 656 p, 29 €.

 

Philippe Muray : L’Empire du Bien,

Les Belles Lettres, 2010, 176 p, 15 €.

 

Philippe Muray : Ultima necat V (1994-1995) & Ultima necat VI (1996-1997),

Les Belles Lettres, 2024, 680 & 400 p, 35 € chaque.

 

 

 

Méditation intime et lecture bien souvent posthume, le genre littéraire du Journal est également un observatoire du monde comme il va – ou ne va pas – entre retrait et projection de soi. Et quoiqu’il s’agisse d’un destin bien commun, la dernière flèche du temps l’a tué, pour reprendre l’adage « Vulnerant omnes, ultima necat », placé sur les cadrans solaires ; ou encore, « toutes blessent, la dernière tue ». S’il s’agit des heures, il peut s’agir des pages de Philippe Muray(1945-2006), diariste et romancier, essayiste nombreux, dont les flèches de la pensée ne manquèrent pas de blesser son époque et ses contemporains, cependant pour le plus grand bien de ceux qui prétendent à « l’empire du Bien », si nous reprenons un de ses titres iconiques. Affirmer par exemple dans son XIXème siècle à travers les âges que ce dernier est source du virus occultiste socialiste ne fit et ne fait toujours guère plaisir à ceux qui prétendent détenir la mainmise sur une téléologie politique. Notre dixneuvièmiste reste cependant un penseur des plus vivaces, dont notre aujourd’hui ferait bien de prendre de la graine, voire journellement, au moyen des quelques milliers de feuillets, en son Ultima necat. Intempestif, incisif, même si parfois excessif, Philippe Muray mérite bien plus que notre indulgence.

 

 

Somme érudite aux prolixes six cents pages, Le XIXème siècle à travers les âges rassemble, non sans humour et avec un talent qui tient plus du scalpel que de la plume, tout ce qui fut pensé, entre Chateaubriand, préromantique, et Huysmans, qui connut les premières technologies aéronautiques. Parmi ce bouillonnement culturel et scientifique,  Philippe Muray apprécie Balzac, qui « a dit la vérité sur l’Histoire », convoque Flaubert, analyse Baudelaire ; croise Tocqueville et George Sand, non sans des retours obligés à Rousseau pourtant félon des Lumières. Ce pour déprécier avec alacrité Hugo et son « carrefour de métempsychoses en quoi il s’est métamorphosé ». Michelet, Comte, Renan, Zola, tous en prennent pour leur grade… Auteurs fort célèbres, ils sont ici rejoints par une foule de romanciers, d’essayistes apparemment mineurs, mais convoqués avec une savoureuse pertinence, une ironie parfois excessivement cruelle, par celui qui  enseignait alors la littérature française à Stanford, en Californie. Ainsi, Nerval est qualifié de « capitaliste du nécrophile », la « dixneuviémité » se voit fouaillée pour sa pudibonderie, « l’école nécromantique » ridiculisée…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Car ce « siècle bourgeois », celui de la Révolution industrielle et du chemin de fer, fut également le héraut du « socialoccultisme », pour reprendre l’efficace mot-valise de l’auteur : occultisme, magie, fantasme de résurrection des morts et au-delà romantique, socialisme en pleine gestation, ce dernier faisant d’ailleurs sous des appellations diverses et en somme en tant que constructivisme politique et économique, toujours la pluie et le beau temps. « Mariage de l’occulte et du progrès », ce XIX° siècle qui fut celui du libéralisme fut aussi celui du marxisme, avec les conséquences délétères que l’on connut au XX° siècle. Ainsi notre modernité, fouillée, désossée, ne fait plus si moderne, voire digne d’un magasin d’antiquailles. Une foule de « sorcières modernistes » apparaît alors, y compris le féminisme et l’antisémitisme, quoique l’on ne soit pas certain de devoir adhérer à ce méli-mélo, en ce qui concerne ces derniers points, le premier étant, du moins en son humanisme, une nécessité, le second un phénomène bien plus ancien.

L’œuvre est profuse, touffue, en un cheminement pas toujours aisé, comme dans un musée encombré de concepts et de personnalités, montrant cependant assez combien le socialisme est en fait un au-delà romantique. Les dogmes commencent et finissent en religion : « En résumé, et pour être clair, le rationalisme moderne ne pouvait plus avaler l’occulte sous sa forme pure, il fallait que celui-ci soit dilué, désormais dans l’autre hallucinogène, dérivé semi-synthétique de l’occulte : le politique ».

Etonnante encyclopédie, ce XIXe siècle à travers les âges fut d’abord publié en 1984 chez Denoël, ensuite dans la collection « Tel » par Gallimard en 1999. Même si l’on peut regretter que le plan des chapitres manque un peu de rigueur, il mérite fort bien de rejoindre son espace d’élection aux Belles Lettres ,en un fort volume de 650 pages, auprès des six tomes du  Journal de l’essayiste véhément.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans son fondamental Empire du Bien[1], Philippe Muray dénonçait en 1991 « l'envie du pénal », parodiant ainsi « l’envie du pénis freudienne », comme s’il y avait une jouissance sexuelle maligne au sein de cette obstruction à la liberté intellectuelle ; comme en témoigne ce passage des Exorcismes spirituels[2] : « Les jeux du cirque justicier sont notre érotisme de remplacement. La police nouvelle patrouille sous les acclamations, légitimant ses ingérences en les couvrant des mots « solidarité », « justice », « redistribution ». Toutes les propagandes vertueuses concourent à recréer un type de citoyen bien dévot, bien abruti de l'ordre établi, bien hébété d'admiration pour la société telle qu'elle s'impose, bien décidé à ne plus jamais poursuivre d'autres jouissances que celles qu'on lui indique. Le voilà, le héros positif du totalitarisme d'aujourd'hui, le mannequin idéal de la nouvelle tyrannie, le monstre de Frankenstein des savants fous de la Bienfaisance, le bonhomme en kit qui ne baise qu'avec sa capote, qui respecte toutes les minorités, qui réprouve le travail au noir, la double vie, l'évasion fiscale, les disjonctages salutaires, qui trouve la pornographie moins excitante que la tendresse, qui ne peut plus juger un livre ou un film que pour ce qu'il n'est pas, par définition, c'est-à-dire un manifeste, qui considère Céline comme un salaud mais ne tolérera plus qu'on remette en cause, si peu que ce soit, Sartre et Beauvoir, les célèbres Thénardier des Lettres, qui s'épouvante enfin comme un vampire devant un crucifix quand il aperçoit un rond de fumée de cigarette derrière l'horizon ». L’on constate ici qu’au contraire d’une doxa pourtant déplumée, les ténors du marxisme et du communisme ne bénéficient pas de l’opprobre infligée à Céline. Deux poids deux mesures, n’est-ce pas ?

Quel est ce « Bien » dont Philippe Muray voit s’étendre l’empire ? Il est de gauche bien entendu, porteur de tolérance et d’égalité universels, de sécurité et de justice sociale. Pourtant démenti par les faits, hypocrite, édictant des devoirs et des interdits. Dès 1991, date de la première parution de l’ouvrage, et au moyen de l’activisme des « truismocrates », ce « petit Néron de l’altruisme […] commençait à étendre sa prison radieuse sur l’humanité ». Il est devenu « l’unique héritier du Mal », ne serait-ce qu’en effaçant subversion et rébellion qui sont devenues des routines pittoresques, à moins d’être fâcheusement disqualifiés au titre du fascisme, soit « l’hitlérisation de l’adversaire ». Seules les bonnes causes des Droits de l’homme ont droit de cité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aussi « le lynchage prend maintenant des masques progressistes », la liberté de penser se voit ostraciser par le « catéchisme collectif » des « militants de la Vertu », ligués contre tout abus dangereux, qu’il s’agisse de cigarettes, de contenus sexuellement explicites, de dénégation du vivre ensemble. En ce sens l’utopie d’un « univers où ne règnerait plus que la gentillesse, la tendresse, les bonnes intentions, devrait naturellement faire froid dans le dos : c’est le plus effrayant des rêves parce qu’il est irréalisable ». Sans compter le règne des Tartuffe…

L’égalitarisme, le tout se vaut, voilà qui agace notre Philippe Muray au plus haut point, y compris dans le domaine de l’art contemporain : « Tout à la moulinette collectiviste ! Plus de privilèges, même esthétiques ! » Là où les médias remplacent le monde, la grégarité commande, le message est idéologisé, le « pompiérisme » et le « collectivisme rose bonbon » règnent, dans le cadre d’une « gigantesque entreprise d’idéalisation hallucinée ». Et lorsqu’il se moque de la niaiserie du Contrat naturel[3] du philosophe Michel Serres, que dirait aujourd’hui notre essayiste face au credo climatique écologiste ?

Un gigantesque parc de divertissement, ainsi va le monde. La religiosité consiste à « avoir foi dans le spectacle ». Ce dont Guy Debord avait averti à sa manière[4]. Y compris lorsque la mode des bons sentiments s’empare de causes nationales et internationales. Or « l’appel kitsch au sentiment contre la raison » est bien un signe inquiétant, une trahison de l’esprit des Lumières. Tandis l’écrivain et la littérature disparaissent au profit des livres qui « se sont mis avec allégresse au régime basses calories » !

L’aventure sexuelle par exemple succombe face au « mouvement sexuel institutionnel », en particulier homosexuel et néo-féministe, au « transexualisme de masse ». Nous constaterons cependant que, depuis, le mouvement « Metoo » a contribué à  lutter contre les violences sexuelles. Même si une vague de pudibonderie s’en suit…

Quoique cet Empire du Bien n’épargne pas son diagnostic, il sait à l’occasion de sa préface de 1998, qu’il « ne suggère aucune solution ». Faut-il voir là une limite à l’efficacité de l’essai ? D’autant qu’emporté par l’élan de son indéniable talent de pamphlétaire, qui a trop pratiqué Léon Bloy, par sa verve satirique et désabusée, par son style parfois célinien bourré de points d’exclamation, il en oublie un peu trop la rigueur de l’exercice argumentatif.

 

Gisants de la famille d’Aliénor d’Aquitaine et sculptures de Pascal Convert,

Abbaye royale de Fontevraud, Maine-et-Loire.

Photo : T. Guinhut.

 

Entre les premiers et les deux derniers tomes d’Ultima necat, soit six copieux volumes, se déploient à la fois l’observateur aigu de son temps et la déontologie du genre littéraire qu’est le Journal d’un essayiste et romancier. De 1978 à 1997, deux décennies bavardes, inspirées, futiles, aigües, profondes, accumulent les appréciations et les réprobations. Il fréquente assidument Philippe Sollers, pratique la « mise en scène de toutes les crédulités contemporaines ».

Intelligence, finesse, sagacité, sens de l’observation, curiosité, sans oublier la dent dure, tout conspire à l’intérêt croissant de l’exercice. Certes, comme dans tout Journal l’on ne peut éviter l’écueil de pages trop circonstancielles, d’une intimité oiseuse. Mais le plus souvent c’est piquant, frappant, pertinent en diable. Lisons par exemple : « Ce monde écœure. Aucun monde n’a jamais écœuré les gens autant que celui-ci. L’un des arguments forts de ceux qui sont persuadés de la disparition imminente du roman, c’est que les écrivains d’aujourd’hui ne nous montrent rien d’autre que ce que nous ne connaissons déjà que trop. C’est tellement vrai que des tas de plumitifs, pour échapper à cette critique, se précipitent dans l’exotisme, le roman historique, d’autres conneries, la poésie. » Si l’analyse n’est pas sans justesse, elle s’accoude à un désabusement général parfois injuste. Ainsi, en 1978 : « on ne peut écrire que ce qui est raté ; l’érotisme étant la représentation du plus super-raté des ratages ».

Deux derniers tomes, sur six, du Journal complet, les ultimes Ultima necat, sont peut-être les plus brillants. Philippe Muray s’y montre acéré, voire féroce. Ce sont toujours des rencontres plus ou moins littéraires, des conversations prises sur le vif, des projets romanesques et éditoriaux. Mais surtout une position affirmée de moraliste sans concession. L’on ne s’étonnera pas, lorsqu’un écrivain digne de ce nom est « quelqu’un qui, pour un temps, vient trancher, couper, dénouer le moutonnant », qu’il soit un aficionado de Balzac et de Bernanos, de Bloy et de Céline[5] auquel il a consacré un essai, de Gracian et de Nietzsche, pour n’en citer qu’une poignée, cependant bien suffisante en terme de panthéon indicateur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aussi, alors que la Cancel culture[6] et ses wokistes, acharnés à surprotéger les sensibilités et les susceptibilités prétendument opprimées au moyen d’une bruyante censure, étaient à l’époque encore en gestation, Philippe Muray se montre-t-il d’une rare clairvoyance, presque de l’ordre du prophétisme. Il dénonce à l’envie ce qu’il appelle, en une vivifiante pratique du néologisme, le « cordicolisme », soit la mise en scène du cœur, du ressenti, du sentiment, au dépend du rationalisme. À sa suite, vient l’égalitarisme, de façon à ménager les sensibleries et les idéologies de chacun, toutes également tolérées, au risque de tolérer l’intolérable, encensées, sauf bien entendu s’il s’agit d’opinions et de convictions politiquement incorrectes. En ce sens, au lieu de pratiquer l’exercice de la pensée et du jugement, en d’autres termes la discrimination judicieuse, l’on veille à éliminer les impuretés, les dissidences dangereuses, en une « purification éthique », une culpabilisation à outrance, une judiciarisation sans appel. La victime – plus ou moins avérée d’ailleurs – du racisme, de l’homophobie et autres grossophobies, devient un substitut du prolétariat auquel l’on associe d’autres victimes, celles du tour de passe-passe de l’islamophobie, au point d’engendrer un avatar du totalitarisme communiste.

En ce sens la littérature n’a pas pour fonction de devenir un « catéchisme concordataire » qui ne froisserait plus personne. Ce que Philippe Muray a tenté de faire advenir en ses romans, comme Postérité[7], qui n’eut pas l’ombre d’un succès, puis On ferme[8], opus dont ce Journal permet de découvrir les genèses. Genèses d’autant plus heurtées que le doute ne cesse de miner l’écrivain, qui au lieu de littérature voit autour de lui pulluler des volumes émotionnels qui ne parviennent qu’à l’« épanchement de rêve infantile ».

Or, la littérature ne nourrissant pas son homme, il faut à Philippe Muray, bien qu’il en peste, réécrire des articles pour la revue Détective, s’employer comme « nègre » (un terme que le wokisme veut blanchir) pour le romancier aux succès de gare, Gérard de Villiers, dont les séries de S.A.S. sont prolixes d’érotisme machiste, de policier et d’espionnage au grand pied !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le polémiste y va, lui, de pied ferme. Brocardant le Président du moment, « Mitterrand apothéose lyrique du carnaval de toute une époque ».  Dans la lignée de son Homo festivus[9], il se gausse de la « festivisation » qui suivit mai 1968, du « dernier homme » occidental, « rebelle rémunéré », symptôme de la décadence programmée. Ainsi, la culture n’est rien d’autre qu’une fête « d’autant plus hystériquement festive qu’elle se sait sans fond et sans raison ». De surcroit il tacle la « fête comme giron égalitaire de tout art ramené à sa clownerie de base ».  L’abattage, souvent réjouissant, finit cependant par exsuder l’amertume de qui ne se sent pas reconnu à sa juste valeur.

Alors qu’il va délaisser, deux ans plus tard, le Journal pour ses romans et ses chroniques, fin 1995, il se demande quel est « le propre du roman aujourd’hui ». Autour de lui, ce sont « bénitiers romanesques », « fanatisme exquis de la transparence », « prédication écologiste », vaticination émotive », « tourisme fraternitaire »… Trente ans plus tard, la tendance n’a fait que s’accentuer.

Mais à trop pratiquer la dépréciation du contemporain, le risque est d’emporter le bébé avec l’eau du bain, et prétendre, fin 1996, faussement bien sûr, comme si l’auteur était l’alpha et l’oméga non seulement de lui-même, « si sombre, si aboulique », mais du monde, à la fin de tout : « Non seulement l’Histoire est achevée, mais on ne peut même pas dire qu’elle est pourrie, elle ne pue même plus ». L’ironie est-elle encore un art salutaire ?

L’un des points les plus pertinents du diariste est sans aucun doute les pages, les aphorismes, qu’il consacre à l’usage, la fonction, l’esthétique et l’éthique du genre du Journal, en particulier en janvier 1995. Ce dernier est une « confession tout de suite », il permet de «  me créer à moi-même un autre et à mon œuvre. Un antagoniste ». Il s’agit en quelque sorte d’une « activité journalistocratique » : « j’ai choisi de me plaire », ajoute-t-il., avec la complicité de l’égotisme de Stendhal. Le Journal offre enfin « l’art de l’inavouable, la mise en scène de l’impubliable sans masque », ce pourquoi la publication posthume, fut assurée par les soins de son épouse Anne Sefrioui, dont il faut louer le dévouement scrupuleux. Pour que le lecteur puisse le déguster continument, ou au moyen de pincées de hasard, cependant régulières, quoique prudentes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’un des « exorcismes spirituels » les plus marquants, et finalement pathétique, est son exercice d’ironie : Chers djihadistes[10], en forme de lettre adressée aux auteurs des attentats du 11 septembre 2001 à l’encontre des tours newyorkaises, tout en dressant un réquisitoire aigu contre le malaise occidental : « Vous apprendrez les infinis délices de la repentance, qui est un nom sublime pour désigner et encourager la destruction de tout le passé ». L'homme occidental posthistorique, en phase civilisationnelle terminale, est en butte à l'ennemi islamique qui fomente sa destruction. Cependant l’effarante et grandiose attaque est paradoxalement, pour Philippe Muray, l’aveu du processus de démocratisation et de pacification de l'Islam au dépend des terroristes islamiques, sans compter la progressive désacralisation du monde engageant la mort de Dieu, quel qu’il soit. S’il est facile, deux décennies plus tard de faire la critique d’une telle analyse, il faut néanmoins douter – ou peut-être espérer – en la « fin de l’Histoire », comme le prétendait Francis Fukuyama[11], constatant et prônant l’extension de la démocratie libérale. De surcroit la force immémoriale de la foi fanatique, qui plus est chevillée dans une religion visant originellement à la destruction de tout impie et à la conquête de ses territoires, ne semble pas prête de céder le pas, puissance financière pétrolifère et démographie aidant. La prophétie de la « bonne nouvelle » de la victoire prochaine du post-historique et de l’« Homo festivus », semble démesurément optimiste ; d’autant que notre essayiste ne nous avait pas habitués à fêter ce en quoi il voyait un  totalitarisme en devenir, fomenté par la société marchande, gagnant le village planétaire, sous l’œil vigilant de l'Empire du Bien... Reste toutefois sous cette plume étonnante, une leçon vigoureusement assénée au déclin consenti de l’Occident ; qui ne l’entend guère.

 

 

Un auteur de chevet auquel il faut de temps et temps revenir, tel doit apparaître l'intempestif Philippe Muray, même si sa culture du dégoût peut paraître, malgré sa capacité de régénération de la pensée face au monde qui nous entoure, risquer de conduire à la stérilité créatrice. Pour nous rappeler combien nous vivons sous un voile d’illusions, combien l’esprit critique doit être mordant. Etre civilisée et transmettre une civilisation digne de ce nom doit se garder de s’amollir. Cet « homo festivus » qui nage comme un poisson dans l’eau de sa piscine climatisée devra prendre garde que l’Empire du Bien ne veuille pas son bien, mais sa soumission replète, en un dévoiement du capitalisme libéral finalement inféodé aux lubies idéologiques, aux religiosités malignes…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Philippe Muray : L’Empire du Bien, Les Belles Lettres, 2010.

[2] Philippe Murray : Exorcismes spirituels, Les Belles Lettres, 1997.

[3] Michel Serres : Le Contrat naturel, François Bourrin, 1990.

[4] Guy Debord : La Société du spectacle, Buchet-Chastel, 1967.

[5] Philippe Muray : Céline, Tel Gallimard, 2001.

[7] Philippe Muray : Postérité, Les Belles Lettres, 2014.

[8] Philippe Muray : On ferme, Les Belles Lettres, 2011.

[9] Philippe Muray : Festivus, Festivus. Conversations avec Elisabeth Lévy, Champs Flammarion, 2008.

[10] Philippe Muray : Chers djihadistes, Mille et une nuits, 2002.

[11] Francis Fukuyama : La Fin de l’Histoire et le dernier homme, Flammarion, 1992.

 

Gisant d'Aliénor d'Aquitaine, Abbaye royale de Fontevraud, Maine-et-Loire.

Photo : T. Guinhut.

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12 mai 2024 7 12 /05 /mai /2024 17:41

 

Musée des Beaux-Arts de Tours, Indre-et-Loire.

Photo : T. Guinhut.

 

 

Alexis Legayet, romancier satirique

de la cause humaine, animale et botanique,

jusqu’à la folie artistique :

Dieu-Denis ou le divin poulet,

Bienvenue au Paradis,

Le Retour à la terre

& Le Syndrome de Bergson.

 

 

Alexis Legayet : Dieu-Denis ou le divin poulet, François Bourin, 2019, 200 p, 18 €.

Alexis Legayet : Bienvenue au Paradis, AEthalidès, 2020, 192 p, 18 €.

Alexis Legayet : Le Retour à la terre, La Mouette de Minerve, 2024, 294 p, 18 €.

Alexis Legayet : Le Syndrome de Bergson, La Mouette de Minerve, 2023, 260 p, 15 €.

Alexis Legayet : La Sainte et la putain, La Mouette de Minerve, 2024, 294 p, 16,90 €.

 

 

 

Erasme avait fait de la folie[1] des hommes un éloge paradoxal. Nul doute que depuis son XV° et XVI° siècle, la matière n’a pas manqué de croître, de manière exponentielle. Parfois il vaut mieux, de crainte de la censure, de crainte d’être traité de provocateur, de « troll » comme l’on dit vulgairement aujourd’hui, ne pas attaquer les monstres sociétaux et politiques de front. Le recours à l’apologue, animalier par exemple, est alors recommandé, voire la pochade burlesque, pour dénoncer avec rire, finesse et verdeur les délires de notre temps. De cette trempe est Alexis Legayet. Il use tour à tour de gallinacées comme personnages à l’occasion de son « Dieu-poulet », puis de plantes comme préalables à un « paradis », enfin d’un « retour à la terre », bouclant la trilogie. Sans oublier un « syndrome » poétique et artistique afin de donner des leçons bien senties à nos contemporains. Un détective un brin loufoque servira la cause de l’écrivain afin de lutter contre une dangereuse épidémie artistique, puis d’aller à la recherche du meurtrier d’une sainte prostituée… Techno-sciences, véganisme, néo-féminisme, manipulation des gênes, misère sexuelle, tout est cible pour notre humoriste, et satiriste aux fictions croquignolesques, finalement délicieuses. Délivrez-nous du mâle[2] est un titre à cet égard explicite, alors qu’avec Chimères[3], il prend pour cible les heurts et malheurs de la gestation pour autrui. Pourquoi de tels romans doivent-ils trouver refuge chez de confidentiels éditeurs, d’autant plus dignes d’éloges qu’ils font un travail qui devrait incomber aux plus grands, par la taille du moins…

Un duo de gallinacés, dans l’élevage industriel de volailles A. Lounatcharski,  chez Viktor Pelevine[4], romancier russe, avait élu les hommes pour leurs dieux. Renversement de tendance avec Alexis Legayet : ce ne sont plus les hommes qui sont les dieux des poulets, mais l’un d’entre eux qui devient le « Dieu Denis ou le divin poulet », selon un titre à la direction particulièrement loufoque, quoique les végans militants préfèreraient en grincer des dents élimés. Cependant l’heure est grave. Un type inédit de « serial killer » sévit. Non, il ne tue ni ne cuit pour les déguster ses frères humains, mais en contravention avec la « Loi éthique universelle signant l’abolition du meurtre, de la consommation et de l’exploitation de nos frères animaux » ! Frank en aurait bien plaisanté, mais devant son épouse Hélène, ce serait blasphème : « L’élévation morale de notre humanité réduisait le champ du rire autorisé comme peau de chagrin ».

Car une certaine Marthe (et non Marie) reçut l’annonciation : une poule qui n’a jamais connu de coq va concevoir « Denis, Fils du Très-Haut » ! Mais comment prêcher lorsque l’on est poussin piaillant ? Bientôt notre « Dieu-Denis » parvient à attirer l’attention en traçant des lettres dans la boue, puis en écrivant sur un smartphone. Ainsi un adolescent benêt persuadé par la bestiole devient-il « l’apôtre Jordan », bientôt flanqué de trois comparses. De surcroit, comment convaincre les incrédules, qui prennent les vidéos You Tube pour des bouffonneries ? Omnisciente comme il se doit, la bête emplumé pirate les sites internet de grandes marques de restauration, comme KFC, spécialiste en nuggets de poulets, ce pour « sauver les bêtes de l’Homme ». Sur les affiches, les publicités et les menus, la maltraitance animale éclate au grand jour, associant les camps d’exterminations nazis aux « camps de poules du Kentucky, trois millions de morts par an », en une burlesque reductio ad hitlerum. Au grand scandale d’une société qui voit décroître ses carnivores, quoique la police se charge d’arrêter les quatre apôtres et de faire griller le fauteur de trouble, dont la mort rachète les péchés des hommes contre leurs frères animaux, pour parler comme Saint-François d’Assise.

Devant la déshérence de l’Eglise catholique, il va bien falloir que la Papauté intègre celui qui est devenu « Père Jordan ». En conséquence, naîtra le « dieudenisme ». Les péripéties s’enchainent avec entrain, retrouvailles des apôtres, « siège de Rungis », « Sus aux bouchers », jusqu’au couronnement législatif et politique de la cause, en un abject semblant de théocratie, punissant le « crime contre l’animalité », imaginant de changer les génomes pour que les prédateurs bestiaux deviennent végétariens ; avenir qui n’est pas tout à fait improbable.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voilà les bêtes redevenues sauvages, mais pourvues d’inhibiteurs cellulaires qui leur font cesser toute prédation dans les « zones familières ». Les restes d’un poulet « tandoori » sont exposés lors d’une cérémonie religieuse télévisée, face à un crucifix nanti d’un « poulet embroché ». L’on se demande « comment protéger les animaux les-uns des autres », si interdire aux bêtes « aux piscines publiques n’était pas une intolérable discrimination, tout à fait analogue aux pires formes de racisme ». Quant à Jordan, outre le Panthéon pour son corps, c’est la canonisation qui lui est réservée pour son âme !  Le festival conceptuel et drolatique est irrésistible, quoiqu’effrayant…

La parodie de l’Evangile est aussi claire que réussie ; l’on y retrouve la « Cène » et le tombeau vide », sans compter les allusions au coq et à la lumière du matin dans les dernières pages des Evangiles. En un renversement des valeurs anthropologiques, le véganisme fait loi : « Les végans étaient des chevaliers de l’absolu, refusant tout compromis ». Pourtant leur tyrannie alimentaire trouve rapidement sa limite, dans la mesure où les animaux s’entredévorent et où « Dieu-Denis » fait l’expérience de « la condition sauvage de la bête traquée » par les prédateurs animaux, ce qui le conduit à imaginer de revenir pour « sauver la Bête de la Bête ».

Le romancier, qui est notre contemporain et enseigne la philosophie, est peut-être un fin métaphysicien, tel que veut le prouver son essai : Métaphysique de l’astre noir[5]. Cependant, usant ici d’un zeste de science-fiction (« la grande loi du 8 mai 2050 »), et bien entendu de la prosopopée qui fait parler les bêtes, au service d’une fable politique et d’une redoutable dystopie , il se montre un maître de l’apologue, croquant ses personnages avec une vivante acuité, jusqu’au vigoureux boucher Marcel Durand, lapidé par les défenseurs de « 30 millions d’amis ».  Si notre talentueux auteur, à l’humour redoutable, veut attirer la pitié et l’humanité sur le sort des quatre et deux pattes[6], il y réussit sans nul doute. Mais pas au prix de la tyrannie vegane dont il se fait le juste satiriste virulent, visionnaire et impénitent, sans oublier de brocarder les thuriféraires et moutons de Panurge de la nouvelle doxa, violente de surcroit : cette nouvelle humanité compassionnelle a accouché d’un monstre. Ce sont jusqu’aux livres de cuisine et de gastronomie qui sont « mis à l’index » et détruits…

Evidemment, l’on pense au voltairien « Dialogue du chapon et de la poularde[7] », dans lequel les deux comparses se plaignent de leur castration et de leur destinée gastronomique, mais Alexis Legayet va bien plus loin que ce bref dialogue philosophique. D’autant que son poulailler prend la dimension du monde politique autant que du sacré.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 Il y a de pire déclencheur qu’un sublime fessier féminin pour animer une histoire, un récit, un roman, tel ce Bienvenu au paradis, dont on ne sait d’abord s’il s’agit de cette porte anatomique qui exalte Dan Basquet. Alice Roux, qui fut par « trois mères » conçue comme un de ces indispensables « esprits augmentés », est également étudiante en manipulations génétiques. S’inoculant des cellules souches, elle acquiert la beauté de « la rose et la panthère qui sommeillaient en elle ». Celle qui travaille à créer des roses éternelles est aussi une militante du « Flower Power ». Car un siècle après la « libération animale », l’on fomente celle des plantes ! Ces victimes, sensibles à la souffrance, seraient douées d’une « âme ». Toute créature méritant le respect, « l’agonie d’Escherichia coli était bouleversante » ! L’on a même, un siècle plus tôt, « reprogrammé le génome des carnassiers afin qu’ils cessent enfin d’être agressifs et de dévorer leur prochain ». Ce roman fonctionnant alors comme le deuxième volet du triptyque initié par Dieu-Denis ou le divin poulet.

Ainsi le malheureux héros qui ne se nourrit plus que de fruit (l’on imagine les carences alimentaires !) ne s’agrège au mouvement que par amour sensuel pour la belle. Il faut libérer les plantes de l’assassinat par les fleuristes, enquêter sur leur disparition, jusqu’à un chêne immense, dont le coupable serait probablement la firme « Biosanec », dont les locaux sont sous haute protection. Il faut à Dan, et à l’aide d’un scaphandre sophistiqué, s’immerger dans le béton encore liquide véhiculé par un camion afin de pénétrer les secrets inquiétants du monstre scientique. S’il semble d’abord réussir dans sa rocambolesque mission, il sera hélas arrêté avant de pouvoir fuir les lieux. Pourtant le voilà bientôt rendu à son Alice, qui l’accueille en héros et lui prodigue tous les trésors de son corps. Nous laisserons au lecteur le plaisir de découvrir l’inattendu retournement de situation qui fait de Dan un sommet de l’immortalité numérique…

Sous couvert de science-fiction - nous sommes en 2145 - le roman déploie un futur enchanteur ou inquiétant, selon les promoteurs de l’entreprise prétendant que « l’ère du tout numérique est le royaume de Dieu », ou selon Dan privé de son corps charnel et de sa finitude. En docteur Frankenstein, Francis Zorb change l’humanité en vies artificielles, y compris lorsqu’il se targue de reconstituer Alice au moyen de la mémoire de Dan…

Si les plantes sont bien le siège d’échanges chimiques et de réactions à l’agression, il s’agit de personnification et d’anthropomorphisme si l’on parle de sensibilité tant elles sont dépourvues de cerveau et de moelle épinière. À la perspective régressive et obscurantiste qui correspond à un animisme botanique, postulant « le cri des carottes », répond une perspective futuriste permettant à l’homme d’échapper à la mort, aux limites corporelles pour s’éterniser dans l’illusion immensément tactile et transhumaniste d’une réplique numérique, soit « dans un monde d’esthétique pure ». L’on peut alors parler de roman philosophique, y compris en terme de libre arbitre, dans la plus noble acception du terme.

L’une des implications les plus profondes de ce roman est la remarque selon laquelle cette défense de l’espèce botanique serait due au « grand désœuvrement de la jeunesse ». Que de grandes causes puissent être justes, soit. Mais que d’autres ne tiennent leur pseudo-validité que de l’incapacité des individus à fonder le sens de leur existence  sinon avec des groupes auxquels ils se lient par grégarisme et communautarisme, laisse entendre combien des fictions, des mensonges, s’arrogent rapidement une dimension tyrannique, voire totalitaire, comme par ailleurs notre écologisme planétaire, grâce à la cette libido dominandi dont l’humanité fait trop souvent preuve…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une trilogie voit venir sa complétude. Après Dieu Denis ou le divin poulet, puis Bienvenu au paradis, c’est enfin Le Retour à la terre. Science-fiction oblige, nous sommes plus loin encore, en l’an 22145. Il n’y a plus de Terre au sens terrien du terme, mais une sphère de béton couverte par une nature numérique ; pas plus d’êtres humains ou même animaux, tous numérisés et ainsi immortels, jusqu’à l’escherichia coli, tandis que tout homme a le plaisir d’être confié au bonheur, toute liberté étant permise. Y compris de se la jouer personnage combattant de StarWars et « membre du Conseil Jedi » ad infinitum.

Cependant, l’inspecteur Boris Canardo doit déchanter face à « des choses qui clochent au paradis ». Par exemple des disparitions inexpliquées, des déconnections de tout univers. Car « plus rien n’avait de sens », selon Jordy. Tombe-t-on dans le « puits des âmes » ? Notre inspecteur va-t-il s’y aventurer comme Dante au fond de l’Enfer, quoiqu’aucun Virgile ne le guide…

Une fois de plus l’irruption de l’enquête policière anime l’intrigue et le suspense, avec un bonhomme un rien grotesque mais tout-entier finesse intellectuelle. Le voici chassant, avec le concours d’un « passeport interuniversel », plus que les virus destructeurs, mais aussi les « prédicateurs du néant » ! Car un hôte inattendu s’invite parmi la perfection atteinte : l’ennui. Peut-être la solution, si solution il y a, est-elle « le grand virus de l’amour ». L’on croisera, parmi les rets de cette gigantesque bouffonnerie, un « dieu aux deux anus », le « civilization art », une « Guerre des dieux » qui a quelque chose d’une parodie de l’Iliade. À moins que le Professeur Zorb, d’ordonnateur scientifique originel, se voie contraint de devenir Dieu, réglant les « troubles dans la Matrice » au moyen de ce tremblement de terre qui scandalisa tant Voltaire…

Fidèle à sa vocation, l’esthétique romanesque d’Alexis Legayet associe l’humour de la satire, la puissance de l’imagination et l’intensité des perspectives philosophiques. Comme toujours, dans le cas de l’apologue, la morale est transparente : il n’y a pas de bonheur parfait et éternel à espérer pour l’humaine condition, qu’elle soit charnelle ou numérisée dans une éternité virtuelle.

Photo : T. Guinhut.

 

Au premier regard, Le Syndrome de Bergson se présente comme un roman policier sans grande ampleur, avec ce qu’il faut d’ingrédients piquants, voire de l’ordre des clichés : un inspecteur bedonnant et dépendant au whisky, un crime aux circonstances insolites et comiques ; ce que semble confirmer l’humour aimablement simplet de la couverture. Que le lecteur ne se laisse pas décrocher d’un tel déroulé narratif assez conventionnel, quoiqu’entraînant et divertissant ! S’il est déjà prévenu des pouvoirs d’Alexis Legayet, il devine que se prépare là une bombe philosophique, surtout sachant que ce dernier enseigne par ailleurs la discipline de Socrate, auquel il a consacré un essai pataphilosophique[8], traitant de l'enseignement de la philosophie, non sans un regard critique.

En effet les victimes meurent en pleine hilarité chorégraphique, disjonctent en pleine extase poétique, laissant tous leurs avoirs financiers s’évader vers quelque compte lointain. Ils ne sont plus bons que pour l’institut psychiatrique Antonin Artaud, si bien nommé par de foucaldiennes édiles, où leurs prestations éblouissent les connaisseurs. Notre inspecteur, aux aventures peu reluisantes, burlesques, n’en cache pas moins une perspicacité, une culture pertinentes. Car bientôt cette ubuesque folie doit prendre un nom passablement scientifique, à laquelle un médecin de la Grande guerre aurait consacré une thèse introuvable : « le syndrome de Bergson ». L’on devine la parenté avec le fameux syndrome de Stendhal qui, à Florence ou Venise, affecte le touriste en pâmoison devant tant d’insupportable beauté.

« Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience, si nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l’art serait inutile, ou plutôt que nous serions tous artistes », telle est la teneur de la citation venu de Bergson, dans Le Rire, qui permet de qualifier le soudain emportement qui gagne de plus en plus de protagonistes. Ainsi, brusquement, après une centaine de pages, le roman prend son envol vers une étonnante beauté intellectuelle, à laquelle on veillera à ne pas trop succomber, n’est-ce pas…

Un poème venu du XVI° siècle, quoique soigneusement retiré des rares volumes conservés, d’un certain Pierre de Eudes, serait-il à l’origine du phénomène ? «  Création, création, je te chante ; / Tu es be-lle. Tu es be-lle ». Il faut enquêter auprès des bibliophiles, des historiens, d’un haut-fonctionnaire, d’un général. Car l’affaire est d’importance. Devant la menace venue d’une population toute entière changée en artistes extatiques improductifs, il est nécessaire de fomenter un complot d’envergure. Ce pourquoi l’agent Marcel Duchamp conçut sa « Fontaine », l’urinoir bien connu, de façon à détourner l’art de la beauté. Et l’on sait comment toute une troupe de pseudo-artistes, de faiseurs du marché de l’art contemporain se sont engouffrés dans la brèche, avec le succès que l’on sait. L’on travaille dans le grand guignol, mais fort pertinent au second regard. Tant « l’art officiel d’aujourd’hui finance des plugs anaux géants gonflables, de gigantesques vagins rouillés et des doigts d’honneur jetés à la face du ciel ». Ce qui rappelle ce vert plug anal de Paul McCarthy auquel Alexis Legayet a consacré un essai critique[9]. Comme quoi l’on peut être un judicieux complotiste !

En quelles mains est donc tombé ce « Chant de la création » pour qu’elles en fassent une arme redoutable ? Au-delà du mobile qu’est le vol, et puisqu’il ne touche que les auditeurs francophones, il se pourrait que soit ainsi éradiquée la France tout entière.

Le récit, de surcroit ressortissant également du dialogue philosophique, s’agrémente d’allusions à la caverne de Platon, au philosophe Bergson, aux gnostiques, sans perdre sa dimension ludique et loufoque. Enquêter sur le « fichier maudit », aux risques et périls des auditeurs n’est pas une mince affaire. Les rebondissements à grand spectacle ne font pas défaut en cette immense galéjade, Canetti se retrouvant emprisonné chez les fols artistes et s’échappant, l’armée répliquant par un massacre, les insurgés contaminant les autres en leur « paradis » (encore une fois), la France en état de démence artistique avancée, Canetti seul - ou presque - résistant à ce « virus de l’esprit », comme Béranger au dénouement du Rhinocéros d’Ionesco…

Féroce et impayable est la satire contre la sous-culture, par exemple le rap et son « effet déspiritualisant », ou encore l’art contemporain d’un Jef Koons, des scatologiques Wim Delvoye et Damien Hirst, quoiqu’ils n’aient qu’un effet limité contre la contamination par le « génie de la musique et de la poésie ». L’antidote reste à découvrir : « c’est la critique qu’il faut faire naître en suscitant le rire ». Mais la partie n’est-elle pas perdue ? La fin de la « laideur indutrielle », la survenance d’une « nature riche d’esprit » sont impitoyablement à l’ordre du jour, l’homme vivant en « poète sur la terre », y compris auprès des nécessités quotidiennes, tout devient possible… Pourtant, une dernière pirouette anti-artistique saura mettre fin au syndrome. Si le rire est le propre de l’homme, et surtout rire de tout[10], sans oublier que Bergson est l’auteur d’un essai célèbre sur le rire, peut-être aura-t-il le pouvoir de désamorcer les pires et les plus beaux délires. Faut-il le regretter ? Le romancier laisse au lecteur le soin d’épiloguer, de mettre son libre arbitre à l’épreuve pour décider du bien et du mal sociétal et artistique.

D’autant qu’Alexis Legayet laisse son lecteur devant une interrogation restée béante : quelle est la nature exacte de ces incessantes créations, de ces œuvres d’art permanentes et extatiques ? Peut-être le romancier aurait-il pu nous offrir quelques exemples poétiques… Mais outre qu’il n’est pas un poète au sens précis du créateur de vers - du moins ne le laisse-t-il pas supposer - son personnage d’inspecteur au travers duquel est contée l’action n’est guère enclin à la poésie, en bon réaliste qu’il reste. Ce qui permet de supposer qu’il s’agit là d’une irrecevable utopie…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Personnage récurrent, le bedonnant inspecteur Canetti, dans le dernier opus de notre romancier, La Sainte et la putain, se voit chargé de résoudre un crime fort énigmatique. Qui a pris le soin de massacrer Barbara, une prostituée, dont la tête ne réapparait que dans l’obscurité de la morgue ? L’on crie au miracle, l’on se scandalise. La victime ne fut-elle pas une paradoxale belle de nuit tant elle prétendait aimer l’humanité, tant elle apportait amour et réconfort aux disgraciés et aux malheureux par ses services ? Ce qu’elle confiait à son apparente antithèse, la « sainte » du titre, d’une chasteté exemplaire, jeune infirmière heurtée par l’attouchement d’un vieux pensionnaire. Peu à peu convaincue par sa surprenante amie, Alice va opérer un tournant pour le moins stupéfiant. Ne devient-elle pas à son tour une prostituée catholique au service des malheureux que la destinée prive d’amour et de caresses, une nouvelle Marie-Madeleine aux pieds du Christ : « la sainteté visée et accomplie par l’acte de chair ». À tel point que les pensionnaires de « l’EHPD Oasis » puissent entrer « dans une phase d’ébullition vitale ressemblant fort à une résurrection » ! Mieux encore, en l’an 2036, a contrario de la misère sexuelle ambiante, « l’idée de droit universel à une sexualité épanouie pénétra la Constitution » !

Au travers de pages  palpitantes, de pages qui ressortissent un brin de l’essai, de péripéties et rebondissements entraînants et parfois hilarants, nous laisserons le lecteur découvrir avec Boris Canetti l’identité et les mobiles du meurtrier, personnage pour le moins ambigu.

Michel Houellebecq[11], justement ici placé à l’épigraphe, dénonçait le « libéralisme sexuel », ses inégalités et sa paupérisation ; tout en préconisant dans ses Particules élémentaires un clonage généralisé, un égalitarisme sexuel, finalement de type communiste, au dépend de la dignité de l’individu. Alexis Legayet préfère proposer au travers de son dernier apologue un éloge de la charité érotique par la grâce de ses « filles de la joie ». Si toutes les « putains » ne sont pas des « saintes », mais animés par le seul appât du gain et les nécessités de la pauvreté, voire par la contrainte d’un souteneur, l’on peut considérer cette proposition comme nettement idéaliste. Satire d’un christianisme dont l’amour ne sait pas être érotique ? Certainement. Utopie atteignable ? Plutôt, en même temps qu’une hérésie du christianisme, une éthique à ne pas prendre au sérieux. Quoique…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Reste encore à se plonger dans Délivrez-nous du mâle, ou l’on devine que sont rabrouées les dérives les plus excessives du néoféminisme. Ou encore Le Greffon sacré[12], où la « machinumérisation » emporte dès 2029 tout sur son passage, ne laissant que chômage et misère. C’est au Sénégal que l’on trouve la solution au désastre économique. Les richissimes jouissant de surcroit des privilèges de l’humanité technologiquement augmentée pourront bénéficier de la légalisation de la vente d'organes des plus pauvres, dont le corps recèle un inestimable joyau. Croisant des questions transhumanistes, transéconomiques, il est certain que notre prolixe romancier ne manque pas d’y faire mouche. Ou plus exactement d’injecter un rire cynique en ces espérances scientifiques, tel le sperme canin au service d’une ambitieuse gestation pour autrui parmi les pages de Chimères, une sotie joliment iconoclaste.

Mis à part Dieu-Denis ou le divin poulet, chez François Bourrin, les livres d’Alexis Legayet sont publiés par des éditeurs lilliputiens au regard de monstres comme Gallimard, Grasset ou Flammarion. Ces derniers, certes souvent honorables, s’en tenant généralement à leur horizon d’attente, font-ils toujours le travail nécessaire pour soient révélés des talents originaux ? Fort heureusement, des yeux fureteurs et éveillés, aux paupières non cousues par le préjugé et le conformisme, s’allument à l’occasion de cette Mouette de Minerve, qui, à la sagesse de la chouette allégorique, répond par le rire de celle qui est la compagne de Gaston Lagaffe. Ce qui, dans le cadre ouvert de l’apologue, permet d’associer rire et savoir, dans la lignée séculaire d’un Rabelais et de sa « substantifique moelle ». Ce dernier ne permettait-il pas à son Gargantua d’élire le meilleur « torche-cul » ? Ne soyons pas étonné si Alexis Legayet a consacré à l’anus un essai au titre ampoulé, Métaphysique de l’astre noir, bien entendu en philosophe cocasse et facétieux.

Tout en ne se prenant pas au sérieux, Alexis Legayet est terriblement grave. Il est un rare avertisseur des dérives de notre temps, même s’il n’en a pas parcouru - qui le pourrait ? - tout le catalogue. Il écrit avec verve et intelligence. La Fontaine, dans « Le pouvoir des fables[13] », savait « l’assemblée par l’apologue réveillée ». S’il n’écrit pas en alexandrins et autres octosyllabes, notre romancier anime ses fictions animales, botaniques et artistiques avec humour et brio, de façon à révéler toute la saveur épicée de l’apologue. Conjuguant satire des mœurs et moralité, il montre comment l’homme peut perdre sa dignité humaine en se condamnant à devenir le vassal des animaux, voire des plantes, en s’effaçant en faveur d’une immortalité numérique, certes aussi provisoire que les technologies et l’énergie qui la nourrissent, en s’élevant aux plus utopiques activités esthétiques. Fantasmes et grandes causes ne peuvent-ils pas se révéler finalement délétères ? L’art lui-même, ô paradoxe, et en sa plus pleine réalisation, ne pourrait-il pas signer le péril de l’humanité ? Alexis Legayet, l’air de rien, quoique loufoque en diable, serait un redoutable maître de la dystopie…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Alexis Legayet : Délivrez-nous du mâle, AEthalidès, 2021.

[3] Alexis Legayet : Chimères, Ovadia, 2022.

[5] Alexis Legayet : Métaphysique de l’astre noir, Sens et Tonka, 2012.

[7] Voltaire : « Dialogue du chapon et de la poularde », Mélanges, La Pléiade, Gallimard, 1995, p 679.

[8] Alexis Legayet : Socrate Academy, la Mouette de Minerve, 2014.

[9] Alexis Legayet : L’Arbre sacré de McCarthy, La Mouette de Minerve, 2015.

[12] Alexis Legayet : Le Greffon sacré, Les Impliqués, 2016.

[13] Jean de la Fontaine : Fables choisies mises en vers, VIII, IV, Le Livre Club du Libraire, 1957, tome II, p 85.

 

Charles d’Orbigny : Histoire naturelle, Au Bureau principal des éditeurs, 1842-1849.

Photo : T. Guinhut.

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12 mai 2024 7 12 /05 /mai /2024 16:35

 

Ciudad romana La Clunia, Burgos, Castilla y León.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Entre Eros et Chronos,

un triptyque romanesque.

 

Patrick Cloux : La Bibliothèque gelée ;

Nunzio d’Annibale : Lire la rivère ;

Philippe Comar : Langue d'or.

 

 

Patrick Cloux : La Bibliothèque gelée, La Part commune, 2023, 104 p, 16 €.

 

Nunzio d’Annibale : Lire la rivière, Bozon2X, 2024, 195 p, 21 €.

 

Philippe Comar : Langue d’or, Gallimard, 2024, 258 p, 21 €.

 

 

En ce triptyque, non pas sacré, mais profane, les visages des femmes aimées, le temps, les ruines et les bibliothèques, traversent les extrapolations vers le passé et le futur entre les mains des écrivains. C’est ici le seul hasard des entreprises éditoriales croisées, de la réception des volumes par le modeste critique, sa curiosité lacunaire, qui permettent d’élire trois romans, triptyque dont la seule absolue cohérence est la langue française, mais à chaque fois avec un rapport étrange à la fiction, sans compter des titres insolites au point d’attirer l’oreille de la lecture. Patrick Cloux accroche la mémoire d’une compagne disparue à sa Bibliothèque gelée. Nunzio d’Annibale prétend Lire la rivière entre l’amour et le temps. Tandis que Philippe Comar jette sa Langue d’or parmi le tumulte de ruines futures. Trois livres enfin, dissemblables certes, quoique tous cernés par Eros et surtout Chronos, où subsistent la bibliothèque, la langue, sinon leurs ruines, même si la narrativité en souffrirait peut-être…

 

 

Un beau titre, quoique inquiétant, c’est le dernier opus de Patrick Cloux, intitulé La Bibliothèque gelée. Dont les livres vivent bien plus longuement que les humains qui les écrivent, les impriment, les publient, les lisent, les collectionnent. Que reste-t-il d’une femme aimée pendant quarante ans, face à la bibliothèque où elle a puisée ? Alors que disparue, quoique en notre « part commune » (pour reprendre le nom de l’éditeur) aucun de nous ne demeure. Y compris bien entendu l’auteur du roman, ou plutôt le narrateur de ce récit, de cette confession intime, élégiaque et émouvante : « Nos livres préférés en sont devenus fades », pour « un homme fatigué corroyant son passé en une impasse où la vérité décline ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une fois de plus, il sait « marcher à l’estime », pour reprendre l’un de ses précédents titres[1], dans lequel il s’appropriait le paysage des chemins, des herbes et des pierres ramassées. Sans ordre apparent, sinon celui de l’émotion, Patrick Cloux égrène et conjoint des souvenirs de celle qu’il aimait avec des allusions livresques venue d’étagères choisies. Sa femme « ma courageuse aux dix mille nuances », n’est plus. Aussi avoue-t-il : « Ma vie a pris une couleur monochrome ». Comme en un reflet du passé, une purgation, il s’attelle à « reclasser et interroger dans les combles les restes de notre bibliothèque commune ». Les livres ne sont pas suffisamment salvateurs, croisant Kafka, les romantiques allemands, alors que « la parole nous fut un exutoire magique ». Toujours cependant, « les livres m’élisent comme un frère »…

Alors qu’Eros tendrement personnifié a disparu, Chronos aurait-il tout emporté à sa suite ? Si le deuil marque la temporalité des êtres, peut-on avoir confiance en l’intemporalité de la littérature ? Avec la plume de Patrick Cloux encore vivante, rien d’impossible…

Il n’en reste pas moins qu’en affirmant le mot roman pour son ouvrage, il laisse le lecteur perplexe, tant la dimension personnelle, autobiographique est patente. À moins qu’il s’agisse d’affirmer la part fictive de toute entreprise d’écriture, que la femme aimée si longtemps ne soit plus que fiction ; de la même façon que la bibliothèque compte abondance de fiction…

 

Ciudad romana La Clunia, Burgos, Castilla y León.

Photo : T. Guinhut.

 

Plus nettement romanesque est le va et vient où se croisent et s’entrechoquent Chronos et Eros dans le roman de Nunzio d’Annibale : Lire la rivière. Entre Vadim et Nora, la narration est diffractée, par le souvenir, mais aussi l’irréfragable désir amoureux, sexuel. Désir également géographique, puisque la ville de Rome, idéalisée, doit les réunir. Néanmoins l’atmosphère est assombrie par la rumeur des attentats terroristes, en particulier du Bataclan à Paris, ajoutant à l’insécurité amoureuse. Les deux amants tentent de prolonger l’assomption de la rencontre, afin de ne pas choir dans la quotidienneté, dans la torpeur morale, et finalement de compter vaincre le temps. Pour ce faire la nostalgie explose, une mythologie amoureuse onirique tente de se déployer. Le Tibre romain, dont ils sont les deux rives, pourrait les réunir dans la ville fantasmatique de l’amour éternel alors que celui-ci doit hélas prendre fin. L’on n’oublie pas que ROMA est l’anagramme d’AMOR…

En ce roman psychologique sont deux portraits croisés, entre la marne et le Tibre. Vadim est criminologue, spécialiste de la culpabilité féminine et de l’aveu, également observateur d’interrogatoires d’individus suspectés de meurtres d’enfants jetés dans des rivières, de plus auteur de quelques livres. Nora, « historienne de l’enfance », travaille sur « l’autorité parentale et sa déchéance ». Tous les deux sont un peu juristes, un peu historiens.

Vaste champ d’évocations entremêlées, le texte progresse de manière biaisée, à la recherche du « mot de passe de l’avenir pour entrer dans le passé ». Le réel devient cosa mentale, car « le temps n’existe plus et […] nous sommes la lame plantée dans son rouleau infiniment feuilleté ». Aussi la rencontre, sans cesse différée, prépare la liaison, puis la fin : « Patience, Nora ! La mort est au bout de la flèche du temps, elle finira par transpercer Vadim pour ton plus grand bonheur ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais à l’intersection des deux amants, le narrateur est le troisième terme, à la fois confesseur et conseiller, comptable de leur histoire. Aussi rapporte-t-il de manière inévitablement subjective, guère omnisciente, voire fantasmatique, l’histoire de Vadim et Nora qui s’étire jusqu’à leurs quatre-vingt ans, bien que le récit reste à cet égard fort elliptique : « Il est évident que le narrateur découpe cette histoire comme on découpe un corps, essayant de vous perdre dans l’éparpillement des organes et des indentifications ». Y compris des pages, moins intenses, comme celles du « Cahier fou. Ou sept jours sans elle ». Le poudroiement chronologique est aussi une géographie : « l’on pourrait cartographier le discours amoureux de chacun pour en déduire des boucles logiques en formes de tourbillons nucléides ».

Les temps se télescopent, des allusions à l’Antiquité, à la mythologie, dont la Muse si précieuse pour l’inspiration, jusqu’aux « gribouillis sublimes de Twombly », ce peintre américain qui s’était installé dans la cité des empereurs. Tout un substrat culturel contribue à la mémoire des amants. « Eros les mains vides », « Chronos le fuyard » tous deux rencontrent « Antéros », maître des coups de foudre et des amours réciproques, donc du « chef-d’œuvre de leur couple ». Au point qu’ils souhaitaient « qu’au moment venu je récupère leurs corps anesthésiés et au seuil de la mort afin de les ouvrir et de les coudre l’un à l’autre ». S’agit-il d’une vanité baroque…

Selon une telle perspective, il ne semble pas qu’un tel rare et atypique objet romanesque puisse avoir un début et une fin. Toutefois, « les dés lancés au début du livre ont bien fleuri maintenant ». Si la narrativité dispersée prend le risque de laisser quelque lecteur sur la touche, prose poétique plus que romanesque, le livre n’en n’est pas moins étrangement séduisant, fascinant, inquiétant aussi.

« Lire la rivière » du temps, lire celle qui joint et sépare deux amants dissemblables, celle du désir, mais également celle de la littérature elle-même. En effet de subtils échos se font jour avec Roméo et Juliette de Shakespeare, Ada et l’ardeur de Nabokov (dont il éprouve l’ahurissante beauté), sans préjuger de la finitude de la liste. Né en 1978, Nunzio d’Annibale n’en n’est pas à son coup d’essai puisque ce roman lyrique et élégiaque, doté une écriture subtile et poétique, fut précédé par Le Manuscrit de Tchernobyl[2]. Dans cette dernière étrangeté littéraire, git une langue dégradée, saturée de souvenirs de langues diverses abâtardies : le « tchernobylien », métaphore et conséquence hyperbolique de la catastrophe nucléaire. L’entreprise, un rien joycienne, surprend : « ça grouye de partouz ». Y compris dans le corps et les plus ou moins mots du personnage nommé « Nnz Dnnbl », sorte de fœtus sans âge. Si la lecture en est ainsi peut-être délicate, il ne faut pas exclure un plaisir linguistique babélien…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chronos a frappé encore plus durement dans le roman de Philippe Comar, intitulé Langue d’or. Dans un futur digne d’une effarante anticipation, un narrateur erre dans « les décombres de la Grande bibliothèque ». Alentour, parmi « un paysage d’apocalypse », l’humanité est retombée au plus brutal état sauvage. Les meutes fouillent les ruines et la boue pour survivre comme des bêtes porcines. Depuis « la guerre des Genres, il n’est plus d’usage que mâles et femelles vivent ensemble », de surcroit « les humaines sont toutes géantes ». L’on devine que parmi l’impressionnante dystopie, la satire d’une idéologique lubie de notre temps se fait ici mordante, non sans une ironie bienvenue.

À l’encontre du titre, les post-humains sont mutiques, hors quelques éructations en guise de communication orale. Heureusement, de rares individus, ayant surpris les livres et leurs signes, travaillent au rétablissement de la langue française et de sa transmission. Quoiqu’infantilisé par son  nom, ou plutôt le diminutif, Fifi, le héros géomètre, enlève Lalie, une enfant, pour la séquestrer dans un « terrier ». Non ! il n’abusera pas d’elle ; mais au contraire se fera son mentor, de façon à lui apprendre le langage, lui permettre d’accéder à la parole, à la lecture, à l’écriture. En ce sens, il s’agit d’un roman d’éducation, sinon d’un traité, à la lisière de celui de Jean Paul Richter, qui met en scène l’éducation souterraine du jeune Gustav : La loge invisible[3], œuvre à la lisière des Lumières  – l’Aufklärung – et du romantisme allemand.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Peu à peu, le terrier s’orne de volumes anciens, dont l’Histoire naturelle générale et particulière des singes de Buffon, puis des sculptures de Lalie, nouvelle artiste : « notre terrier était devenu un éclatant exemple du style rocaille, peuplé de figures extravagantes, mi-végétales mi-animales, de mascarons grotesques ». Elle devient une lectrice idéale, pour laquelle le narrateur éprouve, sinon une érotique passion, un réal amour paternel.

Mais il est bien difficile d’échapper à « la furie des ignorants », lorsque frappe le  vandalisme, en cela aidé par un tremblement de terre. Ne conservera-t-on que Les Comptines du Père Castor, que Le Cadastre du Chaos ? Comme pour revenir à l’art pariétal préhistorique, ne restera plus que la nécessité d’écrire au scalpel sur les parois de la cellule du narrateur « l’histoire de celle qui parle bien ». Comme une pratique testamentaire, destinée à nous avertir : les civilisations sont mortelles, et pourtant la langue est leur garante.

La langue est bien d’or en ce roman frappant, touffus, lumineux et sombre à la fois. L’apologue vise à montrer comment, malgré tout effondrement, l’humanité réelle ne peut subsister, se développer qu’au moyen du langage, des belles lettres. Le romancier, par ailleurs plasticien, également auteur d’essais d’esthétique, dont Figures du corps[4] ou d’étranges Mémoires de mon crâne[5], engage un processus d’écriture polymorphe, abondamment, richement imagé.

 

 

Il est difficile d’imaginer qu’un écrivain, qu’un artiste, ne soit jamais confronté à la dichotomie, mais aussi à la complicité, entre Eros et Chronos. Loin des facilités des faiseurs de billevesées romanesques passagèrement à la mode, ces trois écrivains – au sens le plus noble du terme – travaillent leurs romans comme des tableaux, plus que des récits. Pour Patrick Cloux, Nunzio d’Annibale et Philippe Comar, aimer avec et contre le temps est tout un programme, un défi existentiel, une catharsis esthétique. Chez eux trois, la langue est veinée d’or.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Patrick Cloux : Marcher à l’estime, Le Temps qu’il fait, 2023.

[2] Nunzio d’Annibale : Le Manuscrit de Tchernobyl, Bozon2X, 2019.

[3] Jean Paul Richter : La Loge invisible, José Corti, 1965.

[4] Philippe Comar : Figures du corps, Gallimard, 2010.

[5] Philippe Comar : Mémoires de mon crâne, Gallimard, 1997.

 

Ciudad romana La Clunia, Burgos, Castilla y León.

Photo : T. Guinhut.

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19 février 2024 1 19 /02 /février /2024 14:38

 

Castillo de Alarcón, Cuenca, Castilla La Mancha.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Vivre le compte à rebours de Boualem Sansal,

romancier dystopique de la théocratie en 2084

et de l’humanité nouvelle.

 

 

Boualem Sansal : Vivre. Le compte à rebours,

Gallimard, 2024, 240 p, 19 €.

 

Boualem Sansal : 2084. La fin du monde,

Gallimard, 2015, 288 p, 19,50 € ; Folio, 2017, 8,90 €.

 

 

 

Quelque part dans l’horizon du temps, une apocalypse est probable. Fantasme ou certitude cosmologique ? Elle peut être une métaphore, soit la pétrification du monde au moyen d’une théocratie, ou l’éradication de la population mondiale, telles que les met en scène le romancier Boualem Sansal. Dans le premier cas, Vivre. Le compte à rebours, un espoir se fait jour au travers d’une indispensable sélection au service d’une humanité nouvelle. Dans le second, 2084. La fin du monde fait la démonstration désespérée d’un totalitarisme définitif. Le troublant diptyque n’est pas sans poser de sérieuses questions politiques et éthiques…

 

L’on sait que vivre est éphémère ; et que chacun d’être nous est sous l’épée de Damoclès d’un compte à rebours. Nous projetons nos espérances de survie et de renouvellement dans les générations suivantes. Mais qu’en est-il s’il s’agit de l’humanité toute entière ? Ou presque. Car, dans le roman de Boualem Sansal, intitulé Vivre, le narrateur découvre à Paris un « J-780 » peint en rouge sur la vitre d’une fenêtre, alors qu’il est le sujet d’une vision grandiose : « il a vu un immense vaisseau de feu surgir de la nuit infinie et dans d’immenses mouvements de panique sauver de l’humanité ce qui pouvait l’être ». Etreint par l’angoisse autant que par la prescience de l’événement considérable, il rencontre l’Américain Jason, auteur du graffiti régulièrement mis à jour. Leur complicité reste longtemps solitaire, jusqu’à ce qu’un troisième larron, Samuel, soit interrogé par la radio de « l’église évangélique des Appelés du Septième Jour ». Lui aussi, juché parmi les Monts Ozark, reçut une vision apocalyptique, « L’entité ou la Voix off laissait entendre qu’il nous reviendrait de sélectionner ceux qui seraient sauvés ».

Cependant le vaisseau salvateur, appelé « Ouamuamua », d’un vocable hawaïen pour « éclaireuse, messagère », poursuit sa course vers la terre. Il est plus que temps d’écarter ceux dont la responsabilité pénale pèse sur la terre : « la Covid chinoise, la terreur islamique, les zizanies arabes, les bombes russes […] le béatisme des wokistes ». Ou encore, « les pédophiles », « les gauchistes », « les violeurs », etc. « Pas de religion », décide Paolo. En effet lorsque sont convoqués les porte-paroles, l’intolérance est de mise. L’imam brille par son sectarisme et son djihadisme, l’hindouiste par son nationalisme, le rabbin, bien moins vindicatif, est cependant exclusif ; alors que le catholique s’en tire mieux, d’autant que le Pape François est peut-être un Appelé. Mais au contraire de maints mystiques d’occasion, l’Entité n’a rien d’un dieu…

Pas de gouvernements non plus, qui voudront capter la catastrophe à leur avantage et se pousser du coude lors de la salvation suprême et du chaos, quoiqu’ils ne sachent qu’armer une troisième guerre mondiale qui carbonise la chair avant même l’irruption du trou noir cosmique et brûlant…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Aussi faut-il penser « le sauvetage de l’humanité et refondation sur des bases intellectuelles, morales et spirituelles supérieures ». Malgré la délicate question d’un « principe moral supérieur » et de la nécessité de réduire par élimination des populations aux cultures inégales, voire délétères, les critères retenus seront la probité et l’intelligence : « le vaisseau est réglé sur nos ondes cérébrales, les Appelés seuls pourront en prendre possession et le piloter, selon des programmes inscrits dans nos mémoires par l’Entité, et n’embarquerons que ceux que nous aurons choisis selon nos critères ». Faut-il, craindre la disparition des bibliothèques, d’internet, au dépend de la connaissance. Rassurons-nous, cette même Entité en tient lieu, au centuple…

Bientôt, au cours de ces deux ans de montée de l’imminence, ce sont soixante-douze Appelés confirmés de trente-sept nationalités différentes »,  

Outre la dynamique du suspense qui nous rapproche d’une inévitable apocalypse et d’une salvation réussie, le roman n’oublie pas les coups portés par la satire contre une société déliquescente. La compagne de Paolo, lui-même agrégé de mathématiques, enseigne le français dans une « sous-banlieue », là où l’école est victime « de la dictature des sectateurs ». Les universitaires ne sont pas épargnés, si philosophes qu’ils soient. Ou encore lorsqu’il est question du rêve : « Aux Etats-Unis, il sert à gagner de l’argent, en France, à en perdre ». La preuve, « la bureaucratie nationale et européenne », « l’écologie est un luxe ruineux ». Surtout quand « la France est devenue, à l’insu du ministre de l’Education nationale ou avec sa bénédiction, la plus grande, la plus pensante et la plus sinistre école d’écologie punitive du monde ». Voilà qui est bien senti et fera sursauter la cohorte des bien-pensants, qui liront également avec suspicion : « notre pays a virtuellement disparu de la carte, avalé par l’Europe, l’Afrique, l’Algérie, la Chine, le Qatar ». Souvenons-nous à cet égard que Boualem Sansal est lui-même Algérien, né à Alger en 1949, donc aux premières loges de l’observatoire du grand remplacement, et « sous la coupe totalitaire de l’islam ».

L’on devine que les services de renseignement s’en mêlent, FBI en tête, car au-dessus de la raison d’Etat, règne « la raison cosmique », mais sans dommage aucun envers nos Appelés. Auxquels se joignent d’autres radieux protagonistes : Camille Mo ou Badan, « l’enfant quantique », usant d’une langue riche, complexe et inconnue venue d’ailleurs et « qui avait pouvoir sur les événements ». À J-30, les Appelés étaient liés « par un cordon ombilical télépathique », et fin prêt pour l’ascension, pour, à J-5, « le vol de lucioles au-dessus d’un volcan en flammes » qui signe la mort définitive de la terre…

Mais cette « Terre-neuve » serait-elle longtemps un « Paradis premier » ? En effet, composée d’hommes ne risquerait-elle pas de devenir également un enfer…

De chapitre en chapitre, la catastrophe ultime s’approche au moyen d’un décompte inéluctable, jusqu’au « Jour J ». L’immense monologue intérieur, interrogeant « la bascule fantastique », et les attendus de la science-fiction, est malgré le peu d’action, intensément dramatique et palpitant. Même si l’on peut parfois s’impatienter d’un léger manque de concision et d’un millénarisme outrecuidant, nous sommes en présence d’une œuvre impressionnante, d’un roman polémique et poétique, roman philosophique crucial enfin.

 

Castillo de Alarcón, Cuenca, Castilla La Mancha.

Photo : T. Guinhut.

 

Où se trouve « l’Abistan » ? Parmi des montagnes ocres, brunes et lointaines, des déserts, du vide, ou au-delà du temps ? Dans une fiction, celle de Boualem Sansal, ou trop près de notre réel ? Au carrefour de maintes influences, d’une allusion non voilée à un chef d’œuvre indépassable, l’écrivain algérien parvient pourtant, comme avec une insolente et délicieuse aisance, à imprimer sa marque, indélébile qui sait, sur la tradition déjà foisonnante du roman d’anti-utopie. En une contrée imprécisée, en un futur fort précis, l’an 2084, quoique hypothétique pour qui ferait profession d’anticipation, un homme dresse le tableau cotonneux et terrible d’une théocratie hallucinante qu’il est inutile de nommer tant elle est reconnaissable : impossible, ou probable ?

En son sanatorium isolé, Ati voit passer de nombreux blessés qui lui révèlent par bribes l’envers du décor : il y a bien des dissidents qui fuient vers les confins la tyrannie heureuse d’Abi, « Délégué » sur terre du dieu unique Yölah. Une « Grande Guerre sainte », y compris nucléaire, a pourtant purifié le monde entier. Mieux vaut cacher ces informations, ce doute sacrilège, car « les V ont des antennes ultrasensibles ».

Au tournant de la première partie, Ati, à peu près guéri, quoique déclaré « À surveiller », quitte son sanatorium. Le voyage de retour dure un an, au travers de territoires encore marqués par les destructions, où « la misère était pantagruélique »,  jusqu’à la capitale, Qodsabad. Là il retrouve un studio, un travail d’archivage, sans se sentir « la force et le courage d’être un incroyant engagé ». Pourtant, sa curiosité inapaisée trouve la force de visiter « le ghetto dit des Renégats ». Lieu dévasté, où pullulent les graffitis obscènes et blasphématoires, où les femmes débraillées peuvent être coquettes, monde inverse et choquant pour Ati et son ami Koa, qui en viennent à être taraudés par le doute… Ainsi, les péripéties alternent : entre celles dévolues à Ati et celles du vaste monde dominé par le grand Abi, idéalement immobile, où chacun vit dans des conditions misérables, et cependant secoué de convulsions programmées, comme lorsque le village originel d’Abi est redécouvert, au point de devenir lieu de pèlerinage et motif de récrire le livre saint. Mais à mi-chemin du roman, l’inquiétude des personnages, sans compter celle des lecteurs emportés par un sombre suspense, s’intensifie : seront-ils découverts lors de leur voyage initiatique vers le pyramidal siège de « l’Abigouv » ; Ati n’est-il qu’un « cobaye » ; seront-ils bientôt châtiés selon la loi terrible d’Abi ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par un étrange retournement de situation, Ati est introduit dans un contre-monde, celui du luxe, où l’abilang n’a plus cours, où une conspiration lui sera révélée, quoique cachant peut-être une autre conspiration. Comme à la fin du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley[1], l’intrépide héros, invité ou piégé sait-on, approchera les secrets et les rouages du pouvoir, non sans visiter « le vingtième siècle dans un musée ». Qui sait s’il saura passer la mythique « Frontière »…

C’est autant un conte d’aventure à demi légendaire qu’un essai de philosophie politique : « Dans un monde parfait, il n’y pas d’avenir, seulement le passé et ses légendes articulées dans un récit de commencement fantastique, pas d’évolution, aucune science ; il y a la Vérité, une et éternelle, et, toujours, à côté, est la Toute-Puissance qui veille sur elle ». Ou : « Le peuple serait donc une théorie, une de plus, contraire au principe d’humanité, toute entière cristallisée dans l’individu ». Ou bien : « La foi commençait par la peur et se poursuivait par la soumission ». Ou encore : « Le Système n’est jamais ébranlé par la révélation d’un fait gênant, mais renforcé par la récupération de ce fait ». Mieux, ou pire plutôt, le gouvernement suscite et entretient une opposition, de façon à souder le peuple dans sa guerre sainte aux nombreux martyrs et victimes.

Toute une géographie se dessine sous la précision borgésienne de Boualem Sansal. Outre les montagnes, gorges et immensités désertiques, la capitale oppose à ses ghettos où l’on ne pénètre que par contrebande, les quartiers gouvernementaux, en particulier « l’Abigouv », au centre duquel trône une pyramide démesurée, « avec sur les quatre versants de son pyramidion l’œil d’Abi couvant la ville, fouillant continûment le monde de ses rayons télépathiques ». Là également, Ati et Koa vont s’aventurer… Fantastique, zeste de science-fiction, atmosphère oppressante, réalisme parfois crû, tout concourt à la réussite d’un art difficile : celui de l’anti-utopie. Cependant, plutôt qu’une île d’Utopie, comme la conçut Thomas More[2], il s’agit là d’une contre-utopie continentale, voire planétaire.

L’allusion au 1984 d’Orwell[3] se précise lorsqu’au fronton du sanatorium est gravée cette date fondatrice. De plus, il s’agit expressément de parler l’ « Abilang », langue sacrée, comme il s’agissait de parler le novlangue, à l’exclusion de tout autre idiome. Les écrans muraux sont des « nadirs », auxquels s’ajoutent les confessions, neuf fois par jour, auprès des « Mockbis », soutenus par les « V », assurément télépathes. La guerre, pourtant passée sous silence, règne au-delà, quelque part, démentant la doxa selon laquelle le règne de Yölah est universel. Pour raccrocher le puzzle, nous apprenons, au détour d’un paragraphe, que l’Angsoc de Big Brother fut détruit par l’Abistan…

Il y a, inévitablement, un ministère de la « Santé morale », un autre « des Archives, des Livres sacrés et de la Mémoire sainte », des « Croyants Justiciers bénévoles ». Car il est à craindre qu’un jour ou l’autre, on se retrouve « au stade à prendre du nerf de bœuf et des pluies de pierres », parmi un « saint carnage ». Le spectacle est en effet, comme dans les jeux du cirque romain, ou dans les noces du sport et de la tyrannie parmi les pages de W ou le souvenir d’enfance de Georges Pérec[4], un couronnement du régime et un exutoire pour la population, dont les meilleurs doivent être les bourreaux.

Boualem Sansal a su non seulement créer un monde, mais aussi un langage, officiel et pervers : l’on porte le «  burni » quand les femmes portent des « burniqabs », les mosquées sont des « mockbas », « Balis » est le contrepied diabolique de Yölah, l’abilang est souvent monosyllabique, évacuant la pensée, les renégats sont des « Regs », bien qu’ils se nomment eux-mêmes « Hors », ce qui viendrait de leur ancien dieu, Horus. Quant à leur emploi du mot « Bigaye », parfois gribouillé sur un poster d’Abi, il vient de « Big Eye », qui est sans nul doute un clin d’œil au regard omniprésent de Big Brother. Seul l’étrange Toz semble échapper à cette abjecte tyrannie, tout en conservant mains objets et connaissances de l’ancien monde, lui seul connait le « Démoc », une organisation secrète…

De même, l’écrivain a su écrire les versets, tirés des chapitres du « Livre d’Abi » (quoique tous les livres aient disparu) qui sont, de la manière la plus limpide, des récritures d’un modèle inspiré à un obscur et belliqueux prophète du VIIème siècle. Quoiqu’il faille se demander si assurément l’élève ne dépasse le maître en poésie : « Quand Yölah parle, il ne dit pas des mots, il crée des univers et ces univers sont des perles de lumière irradiantes autour de son cou ». Une mythologie et théologie nouvelles, quoiqu’à deux pas de leur modèle exécrable, gagnent en pittoresque et en intensité intellectuelle, puisque l’on peut lire la pyramide de « l’Abigouv », également appelée « Cité de Dieu », pour faire un sourire en coin à Saint-Augustin, de surcroit renforcée d’une muraille titanesque, comme une allusion à l’orgueil de la tour de Babel. Au contraire des sectateurs d’une religion aux aspirations totalitaires pas assez bien connues, Boualem Sansal a probablement lu Borges… Son magnifique 2084 est en effet la cristallisation d’une somme de mythes autant qu’une labyrinthique explosion d’ironies. Qui pourrait nous faire éclater de rire tant l’Abistan est fait d’une grotesque superbe, d’une féérie carcérale venue des Mille et une nuits, couronné par un gouvernement aux ramifications kafkaïennes, et tissé d’ubuesques complexités ; s’il ne fallait pas en pleurer des larmes d’abrutissement et de sang.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Algérien, né en 1949, Boualem Sansal[5] fut le contemporain des exactions du Groupe Islamique Armé dans les années 90, réprimées dans le sang. Fort critique envers le pouvoir algérien, en particulier de Boumédienne, il est parfois étrillé par la censure. Comme lorsque son roman Le Village de l’Allemand[6] osa un parallèle plus que judicieux entre nazisme et islamisme. Son essai, Gouverner au nom d’Allah[7], sous-titré « Islamisation et soif de pouvoir dans le monde arabe », est une charge contre la théocratie aux mains des hommes. Sans cesse, y compris à l’occasion d’entretiens, il dénonce le totalitarisme religieux qui gangrène le Moyen-Orient, le pourtour méditerranéen et bien au-delà. Il va jusqu’à marquer à la culotte l’Occident qui selon lui a abandonné les Lumières : il est à craindre qu’il soit loin d’avoir tort en cette matière… De l’essai, en passant par ses récits, parfois en partie autobiographiques, jusqu’à l’apologue de 2084, Boualem Sansal défend les couleurs de l’humanisme avec autant de constance que d’envoûtant talent, dont nos romanciers hexagonaux, repliés sur la frilosité de leur blanc papier, feraient bien de prendre de la graine.

Car un tel roman a bien entendu une dimension pamphlétaire, y compris contre l’éducation, lorsqu’elle fait de vous un « avaleur de contes noirs et de légendes gamines,  réciteur de versets abracadabrantesques, de slogans obtus et d’anathèmes insultants, et pour l’exercice physique, un parfait exécuteur de pogroms et de lynchages en tous genres ». En effet, selon Toz, maître de son musée de la vie humaine, « La religion, c’est vraiment le remède qui tue ». La seule erreur d’appréciation de Boualem Sansal réside en sa conviction que l’Abistan de 2084 vient « du dérèglement interne d’une religion ancienne », alors que cette dernière reste, ab ovo, une tyrannie fidèlement meurtrière[8].

Le sous-titre, « La fin du monde », était peut-être superflu, qu’importe. À moins qu’il faille plutôt y lire le début d’un monde, dans « le regard d’un homme qui, comme lui, avait fait la perturbante découverte que la religion peut se bâtir sur le contraire de la vérité et devenir de ce fait la gardienne acharnée du mensonge originel ». Souhaitons alors qu’un tel regard, « petite racine de liberté », se multiplie…

Si l’on ne doit guère prendre garde aux choix plus que discutables des Prix littéraires, on sera cependant ravi de constater que Prix du roman de l’Académie Française a au moins pour deux fois couronné des livres engagés, quoique chacun bien à leur manière, contre les totalitarismes : Les Bienveillantes de Jonathan Littell[9] et ce 2084. Ce dernier était en lice pour le Goncourt. On lui a pourtant préféré l’ambitieux et onirique Boussole de Mathias Enard[10], qui narre les errements d’un verbeux orientaliste un peu trop indulgent envers le Moyen-Orient et sa religion du Prophète ; ce qui en dit bien long sur le politiquement correct et la pusillanimité de notre classe médiatique déboussolée…

« Il est des musiques que l’on entend que dans la solitude, hors de l’enceinte sociale et de la surveillance policière. » C’est celle de ce récit de soumission et d’insoumission, ce conte philosophique, qu’il faudrait placer auprès de celui de Michel Houellebecq[11], d’un tel livre fantôme et cependant armé d’une forme satirique incommensurable contre une théocratie qu’il n’est nul besoin de nommer, tant son abomination sue par toutes les pages du roman de Boualem Sansal. Qui est en effet à la théocratie ce qu’Orwell est au nazi-communisme… Reste à se demander avec lui, touchés que nous sommes par « la rencontre explosive de la Liberté et de la Vérité » : « Comment convaincre les croyants qu’ils doivent cesser d’importuner la vie » ?

 

 

Le diptyque formé par Vivre et 2084 peut être lu comme une antithèse. Voulons-nous une tyrannie absolue et obscurantiste ? Laissons-nous alors soumettre par un islamiste théocratique - ce qui est un pléonasme - avant même 2084. À moins d’user de la volonté de vivre une humanité meilleure, sans en attendre à une fort hypothétique entité extraterrestre salvatrice…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[4] Georges Pérec : W ou le souvenir d’enfance, Denoël, 1975.

[5] Voir : Boualem Sansal sismographe algérien des tyrannies : Le Train d'Erlingen ou la métamorphose de dieu

[6] Boualem Sansal : Le Village de l’Allemand, Gallimard, 2008.

[7] Boualem Sansal : Gouverner au nom d’Allah, Gallimard, 2013.

[10] Mathias Enard : Boussole, Actes Sud, 2015.

[11] Voir : Houellebecq : extension du domaine de la soumission, satire ou adhésion ?

 

Castillo de Alarcón, Cuenca, Castilla La Mancha.

Photo : T. Guinhut.

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7 janvier 2023 6 07 /01 /janvier /2023 10:44

 

Estacas de Trueba, Vega de Pas, Cantabria.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

François Cheng :

Poésie et beauté sur le monde ;

une longue route vers le Vide et le Plein.

 

 

François Cheng : Une longue route pour m’unir au chant français,

Albin Michel, 2022, 256 p, 17,90 €.

 

François Cheng : Cinq méditations sur la beauté,

Albin Michel, 2017, 160 p, 15 €, Le Livre de Poche, 6,90 €.

 

François Cheng : Le Long d’un amour, Artfuyen, 2003, 94 p, 13,50 €.

 

François Cheng : Vide et plein, Seuil, 2021, 172 p, 45 €.

 

François Cheng, Cahiers de l’Herne,

sous la direction d’Olivia Mauriac, 2022, 288 p, 33 €.

 

 

« La beauté sauvera le monde », affirmait Bernard Bro[1] de manière peu ou prou péremptoire, ce dans une perspective sacrée, plus exactement chrétienne. Avec plus de circonspection, François Cheng prétend à cet égard seulement fournir un quintette de « méditations », néanmoins spirituelles, dans le cadre de sa pérégrination sur notre terre. Or à la « Longue Marche » de Mao qui fut le prélude du ravage communiste, ce Franco-chinois a préféré l’exil et nous conter enfin Une Longue route pour m’unir au chant français. Celui qui se veut d’abord poète est également un esthète, à la recherche de cette poétique des monts et des brumes innervant la peinture chinoise, ce au sein de son ouvrage Vide et plein. Au couronnement d’une carrière singulière, un Cahier de l’Herne offre cent clefs d’un parcours exemplaire, entre taoïsme et christianisme, auquel nous ne répondrons modestement qu’au moyen d’une partielle traversée d’un tel dynamisme créateur, philosophique, poétique et romanesque. Comment prétendre à un orphisme à la fois chinois et français ?

 

« Célébrer la sagesse », tel est le sens de son prénom chinois : Chi-Hsien. Né en 1929 à Nanchang, arrivé en France en 1948, embrassant une nouvelle langue, c’est en 1969 qu’il se prénomme en hommage à Saint-François d’Assise, mais aussi à la nation qui l’accueille. Professeur à l’Institut national des langues et des civilisations orientales, il mène de front l’enseignement et la traduction, non sans édifier une œuvre toute personnelle, assez vite couronnée de succès. Son premier roman, Le Dit de Tianyi[2] reçut le Prix Fémina, quand son recueil, Enfin le royaume[3], vit s’écouler 30 000 exemplaires : étonnant pour de la poésie ! Celle qu’il considère être sa vocation fondamentale depuis l’adolescence.

Aussi livre-t-il sa Longue route pour m’unir au chant français en commençant par une naissance inaugurale : « C’est à l’âge de quinze ans que le chant s’est éveillé en moi ». Le geste autobiographique est moins venu du corps que de la gestation de l’œuvre. Parmi les pins, le soleil illuminant la pluie, comme en une peinture ancienne de paysage montagnard, une « Présence » lui enjoint : « Toi qui as soif, sois chant. Chante et tu seras sauvé, et tout sera sauvé ». Cette taoïste réceptivité à la beauté des puissances de la nature et à l’irrationnel n’est probablement pas sans lien avec sa future conversion au christianisme. Mais au début des années quarante, la guerre sino-japonaise, si meurtrière, le chasse, et avec lui sa famille, vers l’intérieur de la Chine. Aussi, comme un autre échappatoire, lit-il avidement en traduction les poètes européens. Cependant, face à la guerre civile entre nationalistes et communistes, et face au désarroi intérieur, il cède à une période de désœuvrement, à une longue fugue. C’est à son retour que son père, expert en sciences de l’éducation, l’embarque pour Paris ; où il demeure, malgré le départ de sa famille vers les Etats-Unis. Il lui faut opiniâtrement apprendre la langue, vivre de petits boulots. Pendant que dans la Chine de Mao n’existe plus qu’une littérature de propagande, sa vocation créatrice ne pourra se réaliser qu’en français, lisant Rimbaud, Gide, mais aussi Rilke, se consacrant à « la voie orphique ». Il lui faut dix ans pour que ses premiers quatrains atteignent à la justesse :

« Nous avons bu tant de rosées

En échange de notre sang

Que la terre cent fois brûlée

Nous sait bon gré d’être vivants »

Enfin il obtient un poste au Centre de linguistique chinoise, ce qui n’est qu’un prélude à la réussite universitaire, jusqu’au sommet : un fauteuil de l’Académie Française, en 2002. Un jalon crucial se situe lorsque Julia Kristeva l’introduit parmi les éditions du Seuil, où paraît en 1977, L’Ecriture poétique chinoise. Dont le pendant est bientôt Vide et plein. Le langage pictural chinois. Cette osmose entre Orient et Occident lui permet de devenir « un être indéfinissable, à la crête d’une symbiose ». Et si la philosophie européenne, de Parménide à Kierkegaard, le requiert, il revient aux brumes et montagnes natales avec l’album L’Espace du rêve. Mille ans de peinture chinoise. Mais la réelle assomption orphique vient de la naissance de divers recueils, dont De l’arbre et du rocher, Cantos toscans, Le long d’un amour, plus tard réunis dans À l’orient de tout[4] : « De l’indicible au chant, notre voix est orphique, Transmuant les absents en d’ardentes présences ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le parcours autobiographique se change en recueil d’essais d’une pure finesse linguistique et interprétative, lorsque le poète commente sa découverte d’autres poètes, de Baudelaire à Rimbaud, également de ceux qu’il put rencontrer, engageant un dialogue fécond : Henri Michaux ou Yves Bonnefoy.  Sans compter un « pèlerinage rilkéen », soit en 1960 un voyage dans le Valais Suisse où Rainer Maria Rilke, l’auteur des Sonnets à Orphée, composa ses vers ultimes et français, et auprès de sa tombe émouvante. Là où une nuit de lune inspire François Cheng : « Que valent nos corps sous la houle des galaxies ? » en un écho de la « Première élégie[5] ».

Qui l’eut cru ? Après de telles prémisses, le genre romanesque devint une corde résonnante au sein de la lyre de François Cheng. Le Dit de Tianyi est à la fois un roman de l’artiste, une histoire d’amour absolu et une immersion dans la fureur d’un demi-siècle de l’Histoire chinoise, soit l’univers tyrannique des camps de Mao Zedong.

Ecrire un poème après Auschwitz - ce qu’Adorno pensait être impossible - est au contraire essentiel, prouvant « que les humains peuvent s’arracher à la vertigineuse pente qui mène au néant ». Rien d’engagé chez Français Cheng, rien d’insignifiant non plus, plutôt une quête de spiritualité, car « au sein de l’éternité, fût-ce durant quelques secondes, tout n’est pas là pour rien ». Pour lui, le Créateur n’a-t-il pas « besoin de répondants, d’être doués d’une âme et d’un esprit comme nous le sommes, qui donneraient sens à sa création »… En une rigoureuse continuité spirituelle, trois recueils d’essais se complètent, sur la beauté, la mort et l’âme. Et si engagement il y a, c’est en faveur de la langue française, dont toute sa tradition littéraire et poétique est garante. Il est lui-même la preuve de sa conviction : « On comprend que la France, pour accueillir ceux qui viennent à elle, procède par intégration ». Il est cependant à craindre qu’il pêche là par irénisme, seul bémol dont nous le gratifierons, tant de croissantes poches d’immigration ne font pas rimer ce dernier mot avec intégration, fort au contraire…

Conçu depuis l’« ultime stade de mon parcours terrestre », depuis le « bambou aux feuilles arrachées », le récit, mais aussi l’art poétique, est empreint d’une souplesse narrative enchanteresse, le réalisme n’empêchant en rien la prose poétique d’insuffler au lecteur le sens de la vie et de la création, de soi et de l’œuvre en gestation. « La vénération de la langue française » est une des morales de ce volume, morale à laquelle nous nous devons de rester fidèles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En ce sens cette Longue route est en phase avec les Cinq méditations sur la beauté : « En ces temps de misères omniprésentes, de violences aveugles, de catastrophes naturelles ou écologiques, parler de la beauté pourrait paraître incongru, inconvenant, voire provocateur. Presque un scandale. Mais à cause de cela même, on voit qu'à l'opposé du mal, la beauté se situe bien à l'autre bout d'une réalité à laquelle nous avons à faire face. Nous sommes donc convaincus qu'au contraire nous avons pour tâche urgente, et permanente, de dévisager ces deux mystères qui constituent les deux extrémités de l'univers »...

L’on se doute que pour notre penseur la beauté[6] n’est pas une affaire de goût, ni un relativisme subjectif, mais au plus près de « la source même de la Création ». Elle est celle des paysages et de la plume, de la contemplation et du pinceau, de la calligraphie et de l’être, autant au sens moral qu’esthétique : « la vrai beauté est celle qui va dans le sens de la Voie étant entendu que la Voie n'est autre que l'irrésistible marche vers la vie ouverte ». Transcendant Orient et Occident, elle dispose évidemment d’une dimension universelle, ce dans la perspective de la pensée platonicienne, unissant le vrai, le beau et le bien. Non sans accorder que la capacité à la beauté, innée, doit être développée, dans le sens d’un art de vivre. La délectation philosophique à l’état pur, en toute simplicité, en toute beauté…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il fallait bien qu’en son humaine condition, le poète succombe à l’amour. Sous le nom mythique d’Iris, une aimée cristallise des émotions et expériences heureuses ou douloureuses parmi les pages aérées de Le Long d’un amour :

« Âme charnelle, cette basse chantante en chacun,

Lorsque le toucher de l’autre le fait

vibrer, résonner »

Ce n’est pas là un désordre violent de la passion, ni un narcissisme outrecuidant ; car le plus essentiel est présent :

« Derrière les yeux, le mystère

D’où infiniment advient la beauté

D’où coule la source du songe »

Une communion, plus qu’érotique, orphique serait-elle possible ? « Si le veut ton souffle / nous serons chant ».

Grâce à son recueil Le Long d’un amour, il semblerait François Cheng soit au plus près de la tradition lyrique occidentale, depuis l’amour courtois des troubadours. Cependant, loin de la tradition romantique,  une poétique ténue allie des notations venues du vide et plein des paysages naturels à la délicatesse du sentiment. Sans rien de l’ordre du sentimentalisme toutefois, affleure une union mystique entre amour humain et amour divin.

Selon Tsung Ping (375-443), le microcosme pictural est « plus vrai que la Nature elle-même ». Ainsi Vide et plein. Le langage pictural chinois restitue-t-il cet art du pinceau en prenant appui sur les souffles vitaux de l’Univers. Cet essai, originellement paru en 1979, nous est restitué en une somptueuse édition reliée et illustrée, réalisant une implicite promesse.

 Capter les lignes internes des choses, animer les relations qu’elles entretiennent entre elles, telle est la mission dont se sait redevable le peintre. Cependant le trait s’incarne parmi le Vide, auquel le Plein répond, en une dualité qui est une complétude, car le Rien, par « le truchement du souffle primordial », a donné naissance au Tout. Les autres notions de la peinture chinoise, et en premier lieu le Yin et le Yang, s’organisent autour de ces concepts fondateurs et redevables du Tao. Cependant le blanc du tableau n’acquiert aucune « qualité aérienne » s’il est « inerte ». L’important est que « le courant du vide médian circule au travers des figures incarnées, que le tableau en son ensemble, respire d’invisibles souffles vitaux à l’œuvre ». C’est là qu’intervient la mobilité de la brume, au sein de la confrontation paysagère entre montagne et eau, dont « l’interaction » est perçue « comme l’incarnation de la transformation universelle ». Et si les monts, les arbres et les cascades bénéficient des reproductions de peintures enchanteresses, s’y glissent également fleurs et insectes colorées, saisis dans leur perfection allusive, microcosme parmi le macrocosme. Parfois un vieux sage, en pied, ou minuscule sur une falaise, médite face à la permanence et à l’évanescence de soi et du monde…

Cette réédition magnifiée bénéficie d’une nouvelle préface, dans laquelle François Cheng non seulement réaffirme les principes de bases de la peinture chinoise, mais propose des rapprochements inattendus avec l’Occident. Turner et Matisse connaissent à leur manière la vitalité du vide en leurs œuvres paysagères ou dansées. En outre, ville, eau, ciel et lumière, Venise[7] est la ville d’une « constante circulation du souffle ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme les œuvres de François Cheng, faites de trilogies, romans, essais, poèmes, selon les triades confucéenne, égyptienne, platonicienne, puis la trinité chrétienne, le Cahier de l’Herne à lui consacré est un triptyque : « le poète-pèlerin », « le poète-artiste », « le poète de l’âme » sont les jalons révélateurs. Ce voyage au travers d’une œuvre et d’une pensée est de toute évidence géographique, entre Extrême-Orient, Paris, la Suisse de Rilke et l’Italie de Shelley. Il faut une pléiade d’auteurs pour le cerner sans le sceller par un introuvable point final : écrivains, poètes, universitaires, critiques, théologiens. La France est confrontée à la Chine, en des allers et retours féconds, de façon à comprendre comment « habiter la langue de l’Autre », comment trouver « la juste voix ». Plus loin la poétique du paysage et la pratique de la calligraphie rendent sensible la connivence entre l’art et la beauté.

De nombreux inédits balisent l’ambitieux volume. À côté de reprises de quelques pages cruciales de l’autobiographique Longue route, l’on découvre son Discours de réception à l’Académie française. Cette dernière se devait en effet d’accueillir en son sein un amant si studieux et si créatif de la langue de Molière et de Baudelaire. Il y fait d’ailleurs l’éloge, outre celui obligé de son prédécesseur Jacques de Bourbon Busset, de la France des Lumières et de son idéal d’universalité. La prose du « Pèlerinage rilkéen » nous entraîne sur les marches d’une tombe, mais aussi d’un hommage à un prince de la poésie. De cette méditation sur la finitude à la dimension philosophique il n’y a qu’un pas, dans la mesure où poésie et spiritualité trouvent leur symbiose à l’occasion du périple qui va « Du Tao à la Voix christique », pour reprendre le titre de l’analyse de Madeleine Bertaud. Les poètes également rendent leur hommage, qui n’a rien d’obligé ni de convenu, par l’essai ou par les vers : ainsi Gérard Bocholier et André Velter. En de tels examens informés et sensibles, le lecteur emprunte le chemin dans la pérégrination d’une vie, dans la montagne peinte et dans le poème…

À notre grande et belle surprise, le traditionnel cahier central de photographies a laissé place à douze calligraphies, plus parlantes qu’une succession de visages que le temps gomme. Il s’achève en beauté, par la grâce de trente Quatrains orphiques, presque des alexandrins, qui sait testamentaires :

« N’oublions pas nos morts ni notre propre mort ;

C’est le devoir mourir qui nous pousse vers l’élan.

De l’indicible au chant, notre voix est orphique,

Transmuant les absents en d’ardentes présences. »

 En écho à ceux de la poésie chinoise classique (« jue- ju ou « vers tranchés »), cette forme brève est pour lui, comme il le précise dans Une Longue route, le « minimum complet, apte à restituer une pensée, une vision, avec sa dialectique interne ». Cette pensée ramassée, qui est à la poésie franco-chinoise ce que le haïku[8] est à la poésie japonaise, réalise en quelque sorte la quadrature du cercle entre poésie chinoise et poésie française, au détriment peut-être du sonnet qu’il n’a pas cru devoir élire.

 

À la lecture de François Cheng, ce sésame entre les cultures, une impression diffuse se fait peu à peu chair : dans sa longue et féconde continuité, elle nous affine. Elle nous emporte vers la beauté et l’amour, sans niaiserie aucune, réalisant une sorte d’idéalité possible au-delà des barbaries inhérentes à l’humanité. Comme Orphée se retournant vers son Eurydice aussitôt disparue[9], le poète, s’il ne ramène pas la chair, ramène au jour les mots qui en sont la renaissance.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Bernard Bro : La Beauté sauvera le monde, Cerf, 1990.

[2] François Cheng : Le Dit de Tianyi, Albin Michel, 1998.

[3] François Cheng : Enfin le royaume, Poésie Gallimard, 2018.

[4] François Cheng : À l’orient de tout, Poésie Gallimard, 2005.

[9] Voir : Fonctions de la poésie et pouvoir d'Orphée

 

Estacas de Trueba, Vega de Pas, Cantabria.

Photo : T. Guinhut.

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30 décembre 2022 5 30 /12 /décembre /2022 08:43

 

Museo del Duomo, Milano.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Rachilde, Vénus masculine des Lettres,

et autres revanches des autrices.

Avec Cécile Chabaud et Julien Marsay.

 

 

Rachilde : Monsieur Vénus, L’Imaginaire Gallimard, 2022, 192 p, 11 €.

 

Cécile Chabaud : Rachilde, homme de lettres, Ecriture, 2022, 240 p, 18 €.

 

Julien Marsay : La Revanche des autrices, Payot, 2022, 272 p, 20 €.

 

 

Vénéneuse impénitente, féline orgueilleuse, Dame et homme des lettres, telle apparut, à la fin du XIX° siècle, un étrange météore, une fascinante et inapprochable harpie, un hybride scandaleux, dont la plume empruntait aux ailes d’Eros un délicieux venin. La dénommée Rachilde avait lu Baudelaire et ses lesbiennes « Pièces condamnées », les poètes maudits et les écrivains décadents. Son emblématique roman, Monsieur Vénus, attire les curieux d’orchidées anthropophages autant que nos contemporaines et les troubles dans le genre, pour reprendre le titre de Judith Butler[1], agités comme ludions dans un bocal. Autant une biographie bienvenue, par le soin de Cécile Chabaud, entretient la flamme de cette sulfureuse dame des Lettres, autant son regain participe de cette « revanche des autrices », mise en avant avec un brin de provocation discutable, mais bien des analyses critiques et des découvertes, par Julien Marsay. Qui, par son prénom, semble être un homme - n’est-ce pas ? - osant écrire sur les auteurs féminins : allégeance ou justice ?

Avec un titre en forme d’oxymore, les bien-pensants contemporains de Rachilde, en 1884, ordonnèrent en Belgique une condamnation pour obscénité. Le volume n’ayant paru qu’allégé de passages fort érotiques, voici Monsieur Vénus, vêtu de toutes ses pages originelles, ou plus exactement mis à nu comme il se doit.

Raoule de Vénérande  est une héroïne paradoxale. Elle inverse les rapports homme femme, dominant dominé. Un « être qu’elle méprisait comme homme et adorait comme beauté » est sa maîtresse, nourri au haschich pour en abuser, quand elle est d’une jalousie féroce. Aristocrate excentrique, elle féminise son amant, un ouvrier fleuriste joliment roux à qui elle offre un mécénat intéressé, puis le mariage : « Elle forçait Jacques à se rouler dans son bonheur passif comme une perle dans sa nacre ». Le réalisme, la « dépravation » du décadentisme, la riche et sensuelle écriture, torride et cependant allusive, servent l’action venimeuse à souhait et magnifie « le poème effrayant de la nudité humaine ».

Un scandale mondain, une fin tragique et vampirique ornent le roman des sensations fortes ; à condition d’apprécier l’association de l’amour et de la violence. Cette œuvre fondatrice de Rachilde, qui écrivit une Marquise de Sade[2], dans laquelle la jeune Mary devient un monstre assoiffé de sang, rappelle furieusement La Vénus à la fourrure de l’Allemand Leopold von Sacher-Masoch[3], paru en 1870, d’où vint par antonomase le mot « masochisme ».

Marguerite Eymery (1860-1953) ne devint Rachilde qu’après avoir usé du pseudonyme de Jean de Childra. Héroïne sulfureuse de la Belle époque, elle était selon son orgueil « homme de lettres », et fort prolifique, ce qui ne l’empêcha pas d’épouser Alfred Valette, directeur du Mercure de France, dont les locaux lui servaient de salon littéraire en vue. Son héroïne, Raoule de Vénérande, porte son nom comme un drapeau militant,  prénom presque mâle, matronyme lubrique, en digne précurseure des afficionados des théories du genre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La réédition de Monsieur Vénus vient à point pour raviver la trajectoire exceptionnelle de son auteure, s’il faut accorder le mot au féminin, qui bénéficie d’un roman biographique : Rachilde, homme de lettres, par le soin de Cécile Chabaud.

Une incroyable personnalité innerve la trajectoire de Marguerite Emery (1960-1953). Stimulée par le reproche de son officier de père qui aurait voulu qu’elle soit un garçon et en fit une amazone, énervée par les violences de ses parents, un viol précoce, un mari refusé, la petite provinciale qui a lu Zola et Sade – on l’avait deviné avec Madame de Sade - et se voit encouragée par Hugo, débarque du Périgord où elle avait écrit des contes, dont celui d’une Eve amoureuse « d’un ange avant le réveil d’Adam ». Un journal périgourdin avait même publié en feuilleton un roman pour le moins précoce : Madame de Sangdieu, mais que l’on devine plus innocent.

Soutenue par sa « maîtrise des mots », elle intègre à Paris le « Club des Hydropathes », gagne l’amitié de Sarah Bernhardt et de Jean Lorrain, l’amour jaloux de Maurice Barrès. Et publie à vingt-quatre ans sous le nom de Rachilde son provocant Monsieur Vénus qui intervertit les genres et fut interdit. En pleine Belle Epoque, elle se heurte à une société misogyne, pour accéder à la dignité d’« androgyne des lettres » : « Le hasard a fait de moi une femme, mais ma volonté a fait de moi un homme ». Ainsi les passions peu réciproques, pour Catulle Mendes et Marie-Paule Courbe se succèdent. Elle deviendra une égérie du décadentisme, une amatrice des tables tournantes et du spiritisme. Ce qui ne l’empêcha pas d’offrir en 1889 sa main à Alfred Valette, éditeur du prestigieux Mercure de France, publiant cependant en 1928 Pourquoi je ne suis pas féministe, posture un peu trop simpliste à son goût.

Celle qui « enterra sa vie de garçon » en épousant Valette, cette grande dame qui se voulut une vie masculine, est brossée avec une plume alerte et sensuelle par Cécile Chabaud, narratrice enthousiaste et documentée, qui, étrangement, consacre beaucoup plus de pages à la jeunesse de son héroïne qu’à sa maturité. Bien que son récit se lise comme un roman-feuilleton haletant, prodigue en drames et piquantes péripéties, le lecteur ne peut s’empêcher de rester sur sa faim, tant il aimerait que se continue d’une telle entraînante façon le tableau d’une vie singulière, qui ne manque pas d’autres livres à son actif. Peut-être dans une seconde édition augmentée ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

S’est-elle rangée en épousant Alfred Valette ? Pas exactement. Car elle publie toujours à tour de bras. Une Virginité de Diane en 1886, sa Madame de Sade l’année suivante, un Monsieur Adonis en 1888, tous titres aux parfums sexuels évidents et troublants. La dimension fantastique affleure avec Le Démon de l’absurde (1894) et La Princesse des ténèbres (1896). Elle rejoint ensuite le genre du roman de mœurs avec Les Hors nature ou Le Meneurs de louves. Outre un recueil de poésies, Les Accords perdus en 1937, elle enrichit sa palette avec des essais, dont Portraits d’hommes et Alfred Jarry ou le Surmâle des lettres. Son dernier roman, Face à la peur, est en 1942 un tantinet autobiographique…

Peut-être son ouvrage le plus célèbre est-il La Tour d’amour[4], histoire de phare breton isolé au milieu des tempêtes. Le huis-clos met en scène deux gardiens, Jean et Mathurin, qui luttent sans cesse pour maintenir le feu, ce en toute confiance réciproque. Jusqu’à ce qu’à l’occasion de l’échouage d’un navire Jean découvre l’étrange passion de son confrère et maître. La belle morbidité de la chose fit - une fois de plus - scandale lors de la parution en 1899 : « Tous ces cadavres tourbillonnaient autour de moi, maintenant à m'en donner le vertige. Ils n'en passaient plus, et je les voyais encore, les uns la bouche ouverte pour leur dernier appel, les autres les yeux fixés à jamais sur leur dernière étoile. Ils allaient, allaient par troupe, par file, deux à deux, six ensemble, un tout seul, tout petit comme un enfant, et ils ressemblaient à une grande noce qui s'éparpille le long du dernier branle du bal ». La puissance poétique de ce roman fascine d’autant que l’écriture est d’une sensualité sourde, bientôt déchaînée, soit un véritable fleuron du décadentisme.

L’édition n’a pas été pingre avec Rachilde. Elle a su prendre sa revanche sur son enfance maltraitée. Ses titres ont été publiés, réédités. Des biographies l’ont radiographiée, des essais l’ont étudiée : Vicky Gauthier, par exemple, en fait une « écrivaine fantastique monstrueuse[5] », ce qui est d’importance. Pas d’injustice donc à l’égard d’une femme écrivain, qui, visiblement, n’a pas été invisibilisée…

 

Jacques Olivier : Alphabet de l'imperfection et de la malice des femmes,

Barraud, 1876. Photo : T. Guinhut.

 

Serions-nous assez bêtes, assez niais et niaises (puisqu’il faut féminiser) pour imaginer que nous ignorions tout de ces femmes qui eurent la plume à la main. Certes le XIX° siècle et la première moitié du XX° n’eurent pas toujours tendance à leur rendre justice, mais les noms de Christine de Pizan, auteure d’une utopie féminine, La Cité des dames[6], de Madame de Sévigné, de Germaine de Staël[7], de George Sand, ne déparaient pas les manuels de littérature, quoique avares en la matière. Aujourd’hui, il est de règle de vilipender le vilain patriarcat, qui ne fut certes pas toujours amène, d’appuyer sur la vilénie d’une injuste histoire littéraire. Aussi, en une « enquête sur l’invisibilisation des femmes en littérature » qui se veut provocante, Julien Marsay sonne l’heure de la « revanche des autrices », qui n’ont pas d’ailleurs attendu son tocsin pour écrire et exister. Il choisit de nous expliquer « comment les femmes ont été rayées de l’histoire littéraire », selon son angle d’attaque. Passons sur les anachronismes linguistiques, tel ce « blacklash » ou retour de bâton, sur le revanchardisme, pour employer un néologisme, typique d’un néoféminisme, qui n’est plus un humanisme ; sur une vision de la mythologie grecque où ne seraient que décriées les féminités, quand nous avons montré combien c’est le contraire[8]

Nonobstant notre instant de mauvaise humeur contre une furia de militantisme qui anime l’ouverture de l’ouvrage, il faut admettre que Julien Marsay nous apporte mille informations édifiantes, en ce qui ne se veut pas une anthologie, mais une « enquête ». Il a beau jeu de dénoncer de trop nombreuses « satires contre les femmes », dont celle de Pierre Motin le baroque, de Boileau, le classique, au XVII° siècle. Pourtant, la plus récente Encyclopoedia Universalis approuve encore en 1966 « les railleries justifiées de Boileau ». Il a encore beau jeu de dénoncer une Académie française qui mit plusieurs siècles avant d’ouvrir ses portes, en 1980, à une Marguerite Yourcenar. Tout du long, « les puissants mécanismes déployés afin de reléguer les autrices dans l’ombre » parcourent avec constance les temps littéraires, jusqu’au pillage parfois.

Songeons qu’en 1310, la béguine Marguerite Porette vit son livre trop amoureux, Le Miroir des simples âmes, brûlé avant qu’elle-même goutât aux flammes ! Des morceaux de bravoure de la rhétorique misogyne se répondent : au XVI° siècle, Gratien du Pont présente ses Controverses des sexes masculins et féminins, dont le blâme des « abus et forfaits féminins » répond à l’ouvrage de son contemporain Jacques Olivier, Alphabet de l’imperfection et malice des femmes[9], quoique ce dernier soit plus humoristique et ne prétende pas se laisser prendre au sérieux.

Sont ici réhabilitées bien des belles de l’intellect. Les dames des Roches poétisent en déplorant « de nous tenir closes dans la maison », quand Marie de Romieu écrit un Brief discours, que l’excellence des femmes surpasse celle de l’homme. Toujours à la Renaissance, Marie de Gournay ne vit pas que dans l’ombre du Sieur de Montaigne mais plaide une Egalité des hommes et des femmes. Les querelles ont souvent fleuri de manière épineuse au XVII° siècle : contre les Précieuses, telle Madeleine de Scudéry, dont la mémoire souffrit très injustement des Précieuses ridicules de Molière ; ses romans, dont Clélie histoire romaine, nantie de son allégorique « Carte du Tendre », décrivant les étapes consenties de l’amitié et de l’amour, ont eu un succès considérable, une influence pérenne, puisque Rousseau la lit avec délectation, quoique ce dernier fasse de sa Sophie une créature inférieure à son Emile. Si l’on connait les contes de Perrault, ceux de Mesdames d’Aulnoy et de Murat restent dans l’ombre. Et Madame de Villedieu, créatrice du genre du « roman-mémoires » ? Si l’on connait maintenant Olympe de Gouges et sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, où est passé Madame de Genlis ? Et bien d’autres.

Il est vrai que le XIX° siècle fut souvent « rétrograde », s’échinant contre les « bas-bleus », ces dames de Lettres ainsi ridiculisées. Jules Janin et Barbey d’Aurevilly s’en moquèrent, quoique le premier fît un grand éloge de George Sand ; mais le second la tenant pour peu de choses. Lire Marie d’Agout (qui se fit appeler Daniel Stern), Louise Colet (plus connue comme correspondante de Flaubert), par exemple, permettrait de les laver des invectives dont leur siècle les a couvertes. Un Gustave Lanson, critique et pédagogue d’un grand talent en son Histoire de la littérature française de 1894, marqua bien des générations. Hélas, il excelle en « champion du dénigrement des autrices », conspuant « cette insupportable lignée de femmes auteurs » ! Ayons pitié du bonhomme en l’oubliant ; pour préférer Olympe Audouard, vigoureuse féministe.

Et si les Muses paraissent avoir depuis l’Antiquité une autorité sine qua non, le concept servit trop souvent à reléguer ces dames, épouses ou égéries, dans le statut d’inspiratrices muettes. Pourtant Elsa Triolet ne fut pas que l’Elsa des poèmes d’Aragon, mais une romancière. La poésie érotique aux mains des femmes parait alors un affront, quoique Christine de Pizan ou Louise Labé y excellent. Affront encore, si, comme Renée Vivien, son éros est lesbien. Notre essayiste reconnait cependant qu’il y eut des reconnaissances fulgurantes et largement partagées. Comme de Corinne ou l’Italie de Germaine de Staël, en 1807, un sommet du romantisme romanesque.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De tout temps est le plagiat, mais bien des messieurs en abusèrent au dépens des femmes : Choderlos de Laclos a-t-il trop lorgné les pages du Danger des liaisons de Madame de Saint-Aubin ? Octave Mirbeau celles d’une certaine Georges de Peyrebrune ? Voire Stendhal lui-même, qui, pour son Armance, se serait fort inspiré d’Olivier et le secret de Claire de Duras ? À moins qu’il s’agisse de réécritures, cependant au procédé peu courtois. En la demeure, Paul Valéry ne fut guère reconnaissant à Catherine Pozzi.

De même être « sœur de » ou « fille de » n’aide guère, si l’on est Lucile de Chateaubriand ou Judith Gautier, qui fut pourtant une romancière orientaliste remarquable. Le cas des « épousautrices » (un joli mot-valise) est plus délicat encore. Car d’un couple complice, comme dans le cas des Condorcet, Sophie et Nicolas, dont l’essai à quatre mains Sur l’admission des femmes au droit de cité est un texte trop peu connu des Lumières. Le catalogue vague entre les « maris indignes » à la Malraux et les « couples stars, tels celui formé par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Reste à ces dames à prendre un nom de plume masculin : nous pensons bien entendu à la géante George Sand, qui couvrit un champ romanesque immense, régionalisme, mœurs, science-fiction…

 Récemment encore les mouvements littéraires sont un peu trop largement, sinon exclusivement, masculins. Parmi Alain Robbe-Grillet, Clause Simon, Michel Butor, le Nouveau roman ne vit en son sein Nathalie Sarraute que par exception. Mais devant la déferlante actuelles des autrices et éditrices, il y a fort à parier qu’ils seront bientôt - bien trop ? - féminins ; la littérature féministe et néo-féministe, y compris avec ses abus, comme l’autrice du nécessaire Génie lesbien[10] qui ne prétend en sa souveraine bêtise (ou stratégie ?) ne plus lire aucun homme, étant un mouvement littéraire en formation…

Il fallait en effet passer les premières pages lourdement enfiévrées de l’ouvrage. Julien Marsay se révèle être un chercheur cultivé, qui nous initie à de belles découvertes. Pourront-elles cependant pousser la porte de la réédition, comme notre chère Madame du Boccage, avec La Colombiade ou sa tragédie Les Amazones[11] que l’on devine peu misogyne ? Il est vrai que son épopée sur Christophe Colomb subirait aujourd’hui les foudres incultes des décolonialistes…

Avec Femmes et littérature. Une histoire culturelle, sous la direction de Martine Reid, nous avions loué une approche plus prudente, une réhabilitation plus nombreuse également[12]. Il n’est pas certain qu’en usant d’un mégaphone militant Julien Marsay, qui ne s’arrête pas sur Rachilde (mais pouvait-il les citer toutes ?) serve au mieux son propos. Réclamer ces dames au programme du Baccalauréat de Français, alors qu’elles ne sont pas absentes, en témoignent Marguerite Yourcenar et Olympe de Gouges, serait-il abuser de l’idéologie ? Nous lui serons cependant gré d’avoir dénoncé avec méthode le fond de misogynie de la tradition culturelle française, qui n’était au reste guère une exception européenne. Son enquête se situe dans une mouvance prolixe, puisque l’on peut ouvrir de surcroit Autrices. Ces grandes effacées qui ont fait la littérature[13], qui est cette fois une anthologie, du Moyen-âge au XVII° siècle, dont il ne s’agit encore que du premier tome. Une fois le décrassage et le dépoussiérage faits la place est aujourd’hui ouverte pour de nouvelles Christine de Pizan et autres Rachilde, sans compter des génies singulières à venir…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Monsieur Vénus fut publiée dans Le Matricules anges, juillet-août 2022


[1] Judith Butler : Trouble dans le genre, La Découverte, 2021.

[2] Rachilde : La Marquise de Sade, L’Imaginaire Gallimard, 2014.

[3] Leopold von Sacher-Masoch : La Vénus à la fourrure, Minuit, 1990.

[4] Rachilde : La Tour d’amour, Mercure de France, 1994.

[5] Vicky Gauthier : Rachilde, écrivaine fantastique monstrueuse, L’Harmattan, 2020.

[9] Jacques Olivier : Alphabet de l’imperfection et malice des femmes, Barraud, 1876.

[10] Alice Coffin : Le Génie lesbien, Grasset, 2020.

[11] Madame du Boccage : Œuvres, Chez les Frères Périsse, 1770.

[13] Daphné Ticrizénis : Autrices. Ces grandes effacées qui ont fait la littérature, Hors d’atteinte, 2022

 

Catedral de Sigüenza, Guadalajara, Castilla-La Mancha.

Photo : T. Guinhut.

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8 octobre 2022 6 08 /10 /octobre /2022 13:35

 

Iglesia Santo Domingo, Caleruega, Burgos.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Du corps désirable au corps immortel,

par Hubert Haddad,

entre fantastique, science-fiction

& ardeur du style.

 

 

Hubert Haddad : Corps désirable, Zulma, 2015, 176 p, 16,50 €.

 

Hubert Haddad : L’Invention du diable, Zulma, 2022, 320 p, 21,70 €.

 

Hubert Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit,

dix volumes en deux coffrets, Zulma, 2011, 30 € chacun.

 

Hubert Haddad : Comme un étrange repli dans l’étoffe des choses,

La Bibliothèque, 2017, 160 p, 16 €.

 

 

Bellement et follement inactuel, Hubert Haddad (né en 1947) ne daigne pas jeter un regard vers le roman écoféministe, la chronique judiciaire et moralisatrice ou, sans compter la biographie fictive d’une personnalité célèbre, la reproduction platement réaliste, toutes usines à clichés et à conventions. Entre fresque historique et destinée poétique, le roman fantastique d’Hubert Haddad prend en écharpe des problématiques scientifiques et transhumanistes science-fictionnelles avec Corps désirable, tout en rêvant d’improbable immortalité, à l’occasion de son Invention du diable. C'est ainsi qu'il pratique avec indépendance la réécriture des mythes de Frankenstein et de Faust. Sa plume alerte, abondante, est également prodigue en nouvelles, venues du jour et de la nuit, mais aussi en textes critiques montrant combien est vitale l’ardeur du style, en ces temps de détresse littéraire réaliste, sociologique, voire militante.

À mi-chemin des mythes de Frankenstein[1] et de la tête de Saint Jean-Baptiste brandie par Salomé, Hubert Haddad interroge les ressorts de la science-fiction et les questions d’éthique. Nous sommes sur les pas d’une médecine devenue folle ou qui a la sagesse de l’espoir. Peut-on impunément greffer une tête, changer de corps ? Parmi les pages de son Corps désirable, le romancier et nouvelliste Hubert Haddad met fastueusement en scène un voyage aventureux entre une médecine sophistiquée et des amours dangereuses.

Cédric Erg, alias Cédric Allyn-Weberson, a raccourci son nom prestigieux pour gagner un paisible anonymat. Fils d’un magnat de l’industrie pharmaceutique, il exerce ses talents dans le journalisme engagé de façon à dénoncer les manipulations de cette même industrie, responsable selon lui « de l’aliénation pathologique d’à peu près toute la population du globe avec la complicité plus ou moins crapuleuse des Etats et des services de santé publique » - ce qui n’est peut-être pas loin d’une covidienne actualité. Quand un malheureux accident - est-ce d’ailleurs un accident ? - le fracasse sur un bateau en mer Egée. Aussitôt, sur injonction paternelle, on décide de greffer sa tête intacte en un nouveau corps. Un demi-vivant et un demi-mort feront peut-être un seul homme, dans toute son intégrité génétique, intellectuelle et morale.

Au-delà des précautions scientifiques complexes lors de cette « première mondiale » menée par un audacieux neurochirgien, au-delà du « tohu-bohu médiatique », où la satire pointe le bout son nez, le plus intense suspense s’anime dans l’esprit de Cédric, sans compter, bien évidemment, celui du lecteur. S’il n’a accepté que pour mieux mourir, espérant l’échec de l’opération, alors qu’il était « inhumé dans le tombeau d’un corps », il se demande désormais dans quelle mesure ce nouvel organisme va modifier son individualité, si le « syndrome des personnalités multiples » sévit en lui, quelle relation entamer avec son sexe, quel regard lui porte autrui : « Que restait-il de son libre arbitre ? ». D’autres, excités par cette première scientifique aux immenses perspectives,  imaginent de rajeunir ainsi, de changer de sexe…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bientôt le récit prend, au-delà de la dimension psychologique intense, une bouillonnante coloration de roman d’aventure, entre Paris et la Grèce, entre hôpital de Turin et forteresse médicalisée de Suisse, enfin jusqu’à la fuite haletante en Sicile, où la mafia offrira une ultime décapitation. De surcroit le levier romanesque de l’amour, avec Lorna, amoureuse de son esprit, et survoltée par son nouveau corps, puis avec Anantha, la veuve « carnassière » qui aime le corps qu’elle a retrouvé, en dépit d’un visage inconnu, jette de plus troublants reflets sur l’intrigue et sur la problématique de l’identité recomposée : « N’étant plus qu’une tête sur un étroit balcon d’os, comment s’identifier à l’autre, à son corps désirable ? » Ce qui a tendance à jette une lueur clinique sur le sentiment amoureux, qui est plus un appétit corporel qu’une empathie sentimentale, morale et intellectuelle. Ainsi, le roman philosophique de l’homme « hybride » se lit avec passion.

L’on saura gré à Hubert Haddad de ne pas sombrer dans le discours éthique moralisateur qui, dans la droite ligne de Mary Shelley, condamnerait uniment le professeur Cadavera si bien nommé - un des « Prométhée modernes » - et vouerait aux gémonies une pratique scientifique anti-naturelle irrespectueuse de l’identité humaine. Même si la menace d’une « traite des greffons » et la fin malheureuse peuvent passer pour délivrer une morale condamnant une telle hubris médicale, la porte est entrouverte pour considérer que la greffe de corps puisse contribuer à l’allongement de la vie, voire au bonheur.

En une écriture fluide, Hubert Haddad ne cesse de nous emporter vers un dénouement que nous devinons peut-être trop aisément : tragique est le destin de ce jeune  « cobaye de luxe ». La richesse et la beauté du vocabulaire, aux images expressives et colorées (dans un escalier, « chaque marche à la dimension et l’aspect d’une vertèbre de cétacé »), nous permettent de partager avec précision les inquiétudes, les tribulations de son personnage. On ne s’étonnera pas de découvrir que notre auteur a consacré un essai à Julien Gracq[2]. Il partage avec ce dernier un goût pour une langue plastique et néoclassique, voire post-romantique, quoiqu’en explorant des thématiques bien plus variées. Ici la science-fiction médicale aux perspectives inquiétantes et humanistes, ailleurs le Japon du Peintre d’éventail[3] et de Mã, ailleurs encore les contrées et d’Opium Poppy, de Palestine[4].

Car Hubert Haddad, d’origine juive arabe, ne peut se départir du souvenir de son frère qui vécut là-bas avant de suicider. Cham est un jeune soldat de Tsahal, en Cisjordanie, qui se voit enlevé par un commando palestinien. Son type arabe lui vaut indulgence en son amnésie et à l’occasion de ses papiers perdus, avant que l’on découvre qu’il est juif. On le rebaptise Nessim, espérant le gagner à la cause terroriste. Le roman oscille entre humanité et radicalisme palestinien, entre Hamas et Fatah, entre reportage guerrier, politique, et initiation poétique, entre identité religieuse forcenée et laïcité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que faire d’un corps si l’on ne peut accéder à l’immortalité ? Cette fois, en toute cohérence, Hubert Haddad (né en 1947) se coule dans l’immortelle peau d’un poète baroque, volontiers érotique et satirique : Marc Papillon de Lasphrise[5] (1555-1599). Après avoir guerroyé, et s'être retiré en son château dévalué près d’Amboise, Papillon, dont la « couenne de preux […] était comme un portulan des mers du sang », recueille une fillette, prétendument sa fille, qui meurt trop tôt. Il ne lui reste plus que ses livres et ses « bouts rimés […] en grand maréchal des muses », dont il ne cesse de peaufiner l’édition définitive.

Est-ce l’effet de quelques vers : « Une plume à ma veine trempée / Scelle un contrat d’immortalité » ? Sous les traits d’un indigent surgi de la neige, grâce à « l’invocation d’une puissance diabolique », le pacte est-il scellé ? En tous cas la mort est endiguée, du moins tant que la postérité n’accordera pas sa reconnaissance à l’œuvre de notre poète.

Maintes aventures picaresques émaillent le parcours plus que séculaire du héros de L’Invention du diable. Le dernier à le reconnaître est un vieil oiseleur. De taverne en taverne, il devise avec le poète Voiture, est reçu parmi les Précieuses, où son style poétique parait fort désuet. Un séjour aux galères, un enrôlement dans les guerres de Louis XIV : il réchappe dix fois à une mort impossible. Errant sur les chemins, ses amours vont et viennent, dont la bohémienne Elfida, qui vieillit avec effarement face à l’immuable Papillon, dont Pulchella qui « l’aimait dans l’écart des siècles ». Ce qui ne l’empêche pas de rêver encore à sa « Nouvelle Inconnue », toujours différente. Emprisonné à la Bastille en hôte choyé, il côtoie un sculpteur aussi talentueux que criminel et un marquis où l’on devine Sade. Intégrant un « petit théâtre forain », il parcourt la France au temps de la guillotine révolutionnaire. La Commune de Paris et l’Occupation, où l’on brûle les livres, sont pour lui un insupportable théâtre, dont il se cache parmi soupentes et recoins.

Traquant sans cesse dans librairies et bibliothèques telle mention de son œuvre, son recueil oublié toujours en main, il constate, amer : « la langue s’était simplifiée et décantée de ses tours et saveurs d’autrefois ». Son livre « était d’un autre langage, vrai baragouin, magma d’idiomes », ce qui est également à lire comme une métaphore du roman d’Hubert Haddad. Aussi l’évolution de la poésie est-elle un autre thème de cet ouvrage, lorsque Papillon voit passer ceux qu’il approche ou feuillette : Malherbe, Boileau, Chénier, Hugo, Baudelaire…

Si la première partie, soit la vie réaliste du personnage « à la face sabrée et couturée », hésite à trouver son rythme, l’élan narratif et le suspense attisent la curiosité du lecteur dès le premier dépassement temporel, car le bonhomme conservant son apparence et son langage devient de plus en plus une sorte d’intrus temporel, d’étranger métaphysique, sans oublier un regard aiguisé et désabusé sur les convulsions de l’Histoire.

La biofiction commence comme un roman historique haut en couleurs, nourri de tableaux vivants impressionnants. Bien vite, il se mue en roman fantastique se jouant des époques, qu’une écriture charnue, et sensuelle rend magnétique. Non sans que le pastiche du style et du vocabulaire baroque du seizième siècle n’enjolive la prose poétique, même si parfois un peu trop chargée. La réécriture du mythe de Faust est brillante, originale, sans que l’on sente trop pesamment l’écho de Marlowe ou de Goethe.

N’est-ce pas là un apologue ? Se moquant de la quête d’immortalité des hommes, une leçon morale surgit, car une telle condition n’aurait rien d’enviable : « Que valent jours, mois et années pour l’insensé qui, ajournant son Salut au profit d’une hypothétique gloire, se sera lui-même condamné à la survivance ? » Demeurant en un « archaïque isolement », Papillon de Lasphrise réhabilite paradoxalement la fugacité de la vie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Il serait imprudent d’affronter, sur le terrain de la nouvelle, des pointures aussi mythiques que Vladimir Nabokov, J. G. Ballard[6] ou Philip K. Dick[7], dont ont paru de fascinants opus complets… Ainsi, voir surgir aux étals des libraires un auteur français, dont on réunit plus de soixante récits en l’espèce inédite de deux charmants coffrets, présente un pari pour le moins risqué. Mais entre « jour » et « nuit », pour séparer le temps des lecteurs scotchés par l’addiction, l'on parcourt avec frénésie cette généreuse compilation, d’abord dispersée chez divers éditeurs, puis ici accompagnée d’inédits. Hubert Haddad, maître du jour et de la nuit, voyage avec nous parmi les archipels réalistes et oniriques de ses nouvelles…

En ces deux élégants boitiers de nouvelles, le fantastique, récurrent, fascinant, désirable, nous emporte sans trêve vers de nouveaux avatars de la psyché, des opéras en miniature, même si parfois, le réalisme et une contemporanéité plus incisive se font sentir au détour de récits politiques qui évoquent de façon directe ou allusive l’occupation allemande, les dictatures meurtrières, réelles ou fantasmées : un pauvre paranoïaque se cache avant de tirer sur un camion de sacs de charbon,  croyant y voir les troupes d’une tyrannie venues l’arrêter ; une géante écroule l’Empire State Building…

      Ce sont des personnages pour le moins rêveurs, sinon complètement allumés : l’un croit « déceler des Titiens » dans les nébuleuses stellaires, l’autre rencontre « la matérialité incidente des mythes » en l’espèce d’une sirène pythonisse. L’on explore des paysages créés de toutes pièces où « Le Souffle de l’Agone » pousse un poète à publier une œuvre bientôt oubliée, et ressuscitée à la veille de ses cent ans, à condition que lui soient montré ses seins, peut-être devenus vénéneux au point de pousser l’enquêtrice à un suicide trop poétique. Plus loin, les mystères d’Eros culminent avec « La femme invisible », prose d’une beauté raffinée, torride et plastique. Un érotisme parfois pervers, parfois idéalisant, parcourt ces femmes fatales, ces alter ego fantasmés de nos vies où « Des seins se démoulaient des ténèbres ». Non sans rappeler le mythe homérique et médiéval des femmes oiseaux ou poissons, auxquel il consacra un récit coruscant : La Sirène d'Isé[8].

Nombre de protagonistes d'abord réalistes ont le goût des cirques, des théâtres, des fêtes foraines, où l’on se travestit, où l’on rit rose et jaune, où les voyantes sont pitoyables ou impressionnantes. Sont-ils des voyants au sens rimbaldien ? Comme notre auteur qui se glisse parmi des dizaines de narrateurs, voire de narratrices, ou parmi « le combat des siamois ennemis », explorant les abîmes des personnalités. Il apparait soudain qu’Hubert Haddad est un initiateur au seuil des univers parallèles : qu’il s’agisse de ses deux Nouveau magasin d’écriture[9] ou de ces coffrets, le lire, c’est ressusciter en uchronie dans son île du  « Miracle à Elcarim »…

Mais il est aussi, à l’instar de quelques-uns de ses héros et anti-héros, (parmi lesquels un égyptologue homonyme et embaumeur fou) une sorte de dandy qui affecte le « goût vulgaire de vivre ». En ce sens il a quelque chose d’inactuel, avec une affinité pour les auteurs romantiques, de Nodier à Hoffmann en passant par Gautier ou Barbey d’Aurevilly, mais aussi d’intemporel… L’écriture de ce styliste aussi séduisant que poignant, virtuose, n’est jamais lourde ; la voici enlevée, précise, évocatrice, digne d’un raconteur d’histoires sans failles, sinon celles étonnantes du mystère. Pari tenu donc, ces nouvelles aux saveurs secrètes, aux fantasmes postromantiques et aux clartés baroques trouveront leur place chez les happy few et parmi un club d'ardents aficionados…

« De la scène à la rue sans même en soupçonner la frontière », C’est ainsi qu’Hubert Haddad fait circuler son art, fleuve d’histoires aux multiples bras, étranges, surnaturels, dangereux et sensuels… Comme un de ses personnages qui est chargé par une fantasmatique officine de la « gestion imaginaire des vecteurs de réalités », il affectionne cette irréalité qui ajoute une nouvelle dimension à notre monde. C’est à cet égard que le critique Jean-Luc Moreau inclut en 1992 notre auteur dans ce mouvement littéraire appelé « La nouvelle fiction française », où il côtoie Marc Petit ou Georges-Olivier Châteaureynaud. Car, pour notre écrivain, « la vie n’est qu’une pâte à songes »…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

N’a-t-il pas rendu hommage, par amitié et surtout affinité, à ce même Georges-Olivier Châteaureynaud ? Hubert Haddad use de l’art de la critique dans un petit recueil intitulé Comme un étrange repli dans l’étoffe des choses. Il  aime y faire l’éloge de l'aborigène Paul Wenz, anglomane francophone et chamanique, du « syndrome d’Elpénor », soit le réveil désorienté de « l’homme des gares ». Chez Julien Gracq ce sont ces « blasons de l’imaginaire […] les routes, les lisières, […] les frontières minées » qui l’enchantent. Quant à Marcel Proust c’est parce qu’il est aussi musicien que la musique, de Vinteuil, par exemple. Plus surprenant ici, Hugo, l’immense prodigue ; mais évident se dévoile Georges-Olivier Châteaureynaud, complice trépidant, créateur de « moirures existentielles », dont les titres, de L’Ange et les démons[10] à La Faculté des songes[11], disent assez la dimension onirique. Alors que Patrick Modiano, à propos duquel nous resterons dubitatifs, profite d’une lecture politique des ombres de l’après-guerre français qui n’est pas inféconde.

Il faut alors être attentif à la préface, sans nul doute une sorte de manifeste littéraire en faveur de cet « étrange repli » qu’est le style. Hubert Haddad révoque l’écriture blanche, la reproduction sociologique du réel dans de pseudo-romans, le « terrorisme de l’insignifiance assumé par les sciences du langage », le style pensé comme « vernis transparent ». Il y préfère à juste titre « la compagnie avec la poésie qui en révèle l’état de surprise dans la langue », mais aussi « l’écran neigeux de la page [qui] flambe d’images concertées ». Car sont inséparables « métaphore et imaginaire ».

« Dis-moi qui tu lis, je te dirais qui tu es », pourrions-nous demander à Hubert Haddad. En cet autoportrait à la manière du bibliothécaire fait de livres entassés dans la peinture d'Arcimboldo, il répond en huit facettes diverses et colorées, comme un octaèdre choisi qu’irrigue puissamment la nécessité de l’écriture créatrice, de « toutes les tortures du style pour atteindre au secret, par-delà les mots et les choses ». Cette conclusion permet, si l’on n’avait compris, d’affirmer une esthétique romanesque essentielle.

Finalement notre romancier et nouvelliste aime les monstres, humains, trop humains, comme ceux d’un autre écrivain du XVI° siècle, donc contemporain de Marc Papillon de Lasphrise : Boaistuau, l’auteur des Histoires prodigieuses[12], telles celles des « enfantements monstrueux » ou d’un « Monstre, du ventre duquel il sortoit un autre homme tout entier, réservé la teste ». Un magnifique bric-à-brac de songes et d’inventions, cependant au service de la pensée, de l’éthique, telle peut être l’image louangeuse que nous gardons d’Hubert Haddad. Son Magasin d’écriture, qui se double d’un deuxième et « nouveau magasin », offre à qui veut l’entendre une réserve thématique incommensurable, et qui ne cesse d’enfanter et de surenfanter une œuvre discrète et cependant considérable. Où fantastique et science-fiction ont peut-être plus d’urgente et profonde actualité que nombre de trop vulgaires tables des rentrées littéraires post-estivales.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

À partir d’articles publiés dans Le Matricule des anges,

mars 2011, septembre 2015, septembre 2022.

 

[4] Tous volumes aux éditions Zulma et Folio.

[5] Dans Poètes du XVI° siècle, Gallimard, La Pléiade, 1953.

[9] Hubert Haddad : Nouveau magasin d’écriture, Zulma, 2008.

[10] Georges-Olivier Châteaureynaud : La Faculté des songes, Grasset, 1982.

[11] Georges-Olivier Châteaureynaud : L’Ange et les démons, Grasset, 2004.

[12] Boaistuau : Histoires prodigieuses, Le Club Français du Livre, 1961.

 

Boaistuau : Histoires prodigieuses, Le Club Français du Livre, 1961.

Photo : T. Guinhut.

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25 septembre 2022 7 25 /09 /septembre /2022 12:50

 

Grand’Rue, Poitiers, Vienne.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

À la recherche des illustrations

et des lectures proustiennes.

Jan Baetens, Céleste Albaret, Thierry Laget,

Antoine Compagnon, Gaëtan Picon,

Jean-Yves Tadié, Stéphane Carlier,

L’Herne & Proust-Monde.

 

 

Jan Baetens : Illustrer Proust. Histoire d’un défi,

Les Impressions Nouvelles, 2022, 224 p, 24 €.

 

Céleste Albaret : Monsieur Proust, Seghers, 2022, 256 p, 23,90 €.

Céleste Albaret : Monsieur Proust, Arion, Robert Laffont, 464 p, 12 €.

 

Thiery Laget : Proust, prix Goncourt. Une émeute littéraire, Folio, 2022, 352 p, 8,40 €.

 

Antoine Compagnon : Proust du côté juif, Gallimard, 2022, 432 p, 32 €.

 

Gaëtan Picon : Lecture de Proust, Tel, Gallimard, 2022, 216 p, 11 €.

 

Jean-Yves Tadié : Marcel Proust, Folio, 2022, deux volumes sous coffret, 1520 p, 21 €.

 

Marcel Proust : Lettres, Plon, 2022, 1360 p, 39 €.

 

Stéphane Carlier : Clara lit Proust, Gallimard, 2022, 192 p, 18,50 €.

 

L’Herne Proust, dirigé par Jean-Yves Tadié, 2021, 304 p, 33 €.

 

Proust-Monde. Quand les écrivains étrangers lisent Proust,

Folio, 2022, 592 p, 10,60 €.

 

 

Le temps des jeunes filles en fleurs[1] n’a jamais passé, malgré les ravages des décennies et du siècle. Centenaire de sa mort oblige, le parfum d’une cuillérée de thé et de sa madeleine ne cessent de nous inspirer une délicate vénération. Sans sombrer dans la proustomania, comme d’autres sont des célinolâtres incurables[2], voire impardonnables, nous saurons gré à tant de critiques, essayistes et biographes de nous faire aimer un peu plus Marcel Proust (1871-1922), y compris au travers de ces illustrateurs, quoique souvent malheureux. Plus modestement, mais au plus près du créateur reclus dans sa chambre, le témoignage émouvant de Céleste Albaret ne peut nous manquer. Et si notre mémoire regorge d’illustrations du passé proustien, c’est parce que le romancier modèle également notre propre figuration du vécu. Qu’il ait eu le Prix Goncourt en 1919 avec À l’ombre des jeunes filles en fleurs est un scandaleux miracle, tel que narré par Thierry Laget. Alors que paraît une version augmentée de la monumentale biographie de Jean-Yves Tadié, une nouvelle édition des Lettres et un hommage lorsque Clara lit Proust sous le clavier de Stéphane Carlier, l’on peut mesurer sa puissance grâce à un Cahier de l’Herne et sa réputation devenue mondiale au moyen d’un Proust-Monde. Car jusqu’à Jorge Luis Borges, sur toute la planète, un Proust est sans cesse retrouvé.

C’est par Les Plaisirs et les jours, en 1896, que commença le ballet des illustrateurs s’attachant à faire voir l’univers proustien autrement qu’avec le charme sineux des phrases. La gageure est d’importance tant le texte - plus que tout autre - ne vit que par les mots, dont l’éclosion se fait dans la psyché conquise et l’efflorescente vision du lecteur. En 1896, Madeleine Lemaire, au prénom prémonitoire, dessine des roses - sa spécialité virtuose - des jeunes filles et des salons mondains pour donner tout son éclat au premier livre[3] de celui qui fera d’elle l’une des modèles de Madame Verdurin. La réussite est indubitable, tant les goûts, les luxes d’une époque privilégiée sont ici à l’avenant des pièces de prose. Réalisme raffiné et chronique mondaine ne sont pas déparés par ces images un peu sucrées. Sauf que bientôt l’écrivain, devenant autre, ne désire plus rééditer ces illustrations.

Jan Baetens ne partage pas, en son Illustrer Proust. Histoire d’un défi, notre avis sur les productions trop Belle époque de Madame Lemaire : « les illustrations dix-huitiémisantes ne correspondent plus à la nouvelle langue qu’il est en train de se forger ». L’on attend en effet de l’image la suggestion plutôt que le littéral, tant les émotions de Combray et les éblouissements vénitiens sont labiles. Depuis ce geste inaugural, réalisé à la demande de Marcel Proust lui-même, rien qui paraisse à la hauteur d’À la recherche du temps perdu. Y compris « la suite photographique [qui] fait tombeau ». Voilà bien le nœud du questionnement de Jan Baetens, parcourant l’iconographie proustienne avec l’œil du spécialiste des rapports entre textes et images, tant il s’est intéressé au roman-photo et aux adaptations en bandes dessinées[4]. Il laisse à cet égard de côté les adaptations dessinées, en particulier celle de Stéphane Heuet[5], dans laquelle les phylactères conservent des bribes de la langue proustienne alors que l’élégant et sobre graphisme suit les personnages et les lieux.

C’est avec un rien de regret que l’on s’aperçoit qu’aucun illustrateur ne trouve grâce aux yeux de Jan Baetens. Certes peindre et dessiner à la hauteur de la grandeur et du sens du détail de l’œuvre proustienne reste impossible, à moins d’être comme Françoise le « Michel Ange » de la gastronomie. Mais au moins reconnaissons à Kees Van Dongen de ponctuer de ses silhouettes vivement colorées l’ensemble de La Recherche. Certes leur manière, à la lisière d’un impressionnisme perdu et d’un fauvisme finissant - nous sommes en 1947 - est un peu trop voyante, l’aquarellisme trop empâté, mais à défaut de finesse le défilé des jeunes filles près de la plage ou celui des têtes vieillies du Temps retrouvé ne manque pas de suggestion et crée un petit univers à soi seul. Les réactions furent parfois vigoureuses. Ainsi Jacques Schiffrin, fondateur de la Bibliothèque de la Pléiade, écrivit à Gide : « Le Proust illustré par Van Dongen est un scandale ».

Un peu plus tendre, Jan Baetens fait défiler Gus Bofa et Philippe Jullian, mentionne les brouillonnes soixante-douze lithographies en couleurs de Jacques Pecnard, hélas sans en reproduire une seule. Il aime - on le comprend - André Brasiller dont les suggestions roses et noires évacuent le réalisme. En revanche, Jan Baetens apprécie plus que nous de récentes propositions photographiques qui s’attachent au texte lui-même : lorsque Raphaël Denis le rend minuscule au sein d’une seule reproduction du texte entier de La Recherche, voire en le gommant vers la disparition, comme Jérémy Bennequin, toutes apories pauvrement iconoclastes bien dignes d’un contemporain que l’art conceptuel essouffle. Son examen des couvertures des livres de poche, parfois reprenant Van Dongen en folio, parait ne plus être tout à fait de l’illustration puisque seule la couverture est ornée. La photographie, venu par moments de films de Volker Schlöndorff ou Raoul Ruiz, laisse entendre que le cinéma relève d’une autre typologie de l’illustration. Nos réserves n’empêchant pas cet essai de mériter d’une bibliothèque proustienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Puisqu’il s’agit d’illustrer la vie de l’écrivain et de son humble servante, il est moins risqué de manier crayon, plume et pinceaux en face des souvenirs de Céleste Albaret que face à la cathédrale de La Recherche. Aussi faut-il avouer que les dessins de Stéphane Manel font mouche. Souvent en noir et blanc, parfois en couleurs, le trait, l’ombre et le non finito donnent assez de précision en laissant place à une part de mystère. Cette séduisante publication surfe sur la mode et le goût des adaptations en bande dessinée et des romans graphiques. De Paris à Cabourg, des livres publiés au lit de mort, la narration se contente de sélectionner et d’adapter des passages marquants, sous la gouverne de Corinne Maier, comme un résumé pour dilettante.

Peu à peu, la provinciale Céleste, épouse du chauffeur de Proust, de gouvernante attentive, vit également la nuit, dix ans entre cafés et fumigations contre l’asthme, contribuant pour beaucoup au personnage de Françoise dans La Recherche. Elle arrange la venue nocturne du quatuor Poulet qui vient interpréter César Franck « pour nourrir » la sonate de Vinteuil. Mieux, elle devient une véritable collaboratrice, écrivant sous la dictée, imaginant les « becquets » pour coller les « paperolles » des nombreux ajouts aux manuscrits et aux épreuves de l’œuvre sans cesse en expansion. Auprès de son « prince parmi les hommes et prince des esprits », elle devient une sorte de secrétaire de rédaction, un intermédiaire entre l’auteur et l’éditeur, Gallimard. « Moi, Céleste Albaret, qui n’ai même pas le certificat d’études primaires, j’ai participé dans ma modeste mesure à cet énorme travail que ce livre a représenté. J’ai reçu les insignes de commandeur des Arts et des Lettres pour ma contribution à l’histoire de la littérature française ». Ne témoigne-t-elle pas de phrases précieuses : « Céleste, la vérité de la vie est dans l’observation et la mémoire ; sinon elle ne fait que passer »…

Que faut-il préférer ? Cette édition dessinée ou la nudité du témoignage in extenso recueilli et mis en forme par Georges Belmont ? Les mots sont suffisamment évocateurs tant la simplicité du discours et l’humilité de Céleste permettent à l’œil intérieur du lecteur de visualiser la chambre où l’intimidant et cependant si délicat Marcel travaillait sans relâche à son œuvre, jusqu’à éprouver la joie sereine d’inscrire le mot « Fin ». Même s’il n’y avait de fin que la mort à la dentelle sans cesse augmentée du texte ; dont le « temps retrouvé » allait lui survivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre « scandale », hors celui des illustrateurs : comme l’on sait, en décembre 1919, Marcel Proust obtient pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs, le prix Goncourt, alors doté d’une coquette somme. Thierry Laget, dans son Proust, prix Goncourt, use d’un sous-titre expressif : « Une émeute littéraire ». Quoi, ce bourgeois mondain et maladif aux psychologies triturées devrait évincer les héros qui ont narré la vie et la mort dans les tranchées de 1914-1918 ! De plus certains critiques, comme Fernand Vandérem, dans La Revue de Paris, vomissent le roman « éléphantiforme », « des enchevêtrements, des puzzles, tels que les lecteurs les plus aguerris s’y reprennent à deux fois sur chaque phrase ». D’autres, plus analytiques, comme Abel Hermant, parlent « d’hyperesthésie ». Le résultat, une fois connu, « que les quotidiens socialistes accueilleront avec répugnance », entraîne des flots d’encre virulents, ou parfois compréhensifs.

Le plus scandaleux est peut-être que sur les rangs figurait Les Croix de bois, de Roland Dorgelès, plus une suite de tableaux réalistes qu’un roman. Mais il était « sorti de la guerre » et obtenait déjà un beau succès. Par ailleurs, son auteur, fort goujat, fit savoir « qu’il ne pourrait décemment accepter pour un livre de guerre un prix décerné par des femmes », soit celui de La Vie heureuse. Alors que « les femmes se dévouaient pour les Jeunes filles ». Ces dames ne seront pas rancunières, mais manœuvrières, puisqu’elles lui décerneront le prix, pour dorer leur propre blason et offrir « une leçon de virilité », comme l’écrit Les Potins de Paris ! L’on en profita pour reparler du vote des femmes…

Après les potins vinrent les ragots, présentant Proust comme un hurluberlu nocturne, la « surenchère d’invectives » et les poèmes satiriques, les jeux de mots bien gras (« Marcel Proutt ») et « la masturbation intellectuelle »… Enfin les clivages politiques s’en mêlent accusant les jurés Goncourt d’être des « empoisonnés d’Action française », notre romancier outre d’être un embusqué », est « le dernier des Scudéry », selon un Raymond Lefebvre, donc affreusement réactionnaire de l’avis général de la gauche et de ses tenants de « l’art révolutionnaire ». Heureusement, et au-delà d’un art populaire ou d’un art patriotique, tous deux dénoncés dans Le Temps retrouvé, un Jacques Rivière recentre la polémique sur la littérature.

Au fond, le débat porte sur la fonction de l’art, engagé, témoin de son temps, ou le dépassant vers le roman de société et de soi, lors que la dimension esthétique permet d’atteindre l’universel. Aussi notre romancier n’a guère eu de mal avec son affectueuse diplomatie bien connue, à convaincre quelques-uns des jurés Goncourt, en particulier Léon Daudet ; et de surcroit de plus en plus de lecteurs attentifs. Bientôt le panthéon littéraire l’accueille en son sein.

L’enquête de Thierry Laget est roborative, presque comique, tant le festival de mauvaise foi, de nationalisme, empreint la presse et autres particuliers, et lorsque Proust à l’annonce du prix « ne parvient à articuler à ce moment-là que la phrase la plus brève de sa vie : Ah ? ». Tout ce cirque d’une presse déchaînée, de « la férocité des attaques », n’empêche pas de rares et clairvoyants critiques de goûter le sens de l’analyse de ce « visionnaire de l’au-delà » selon Léon Daudet, de celui qui, depuis 1913, est enfermé dans la chambre, non sans imprégner La Recherche de l’atmosphère de la Grande guerre, y compris avec la mort sur le front du personnage de Saint-Loup : « pressent-il que les scènes de plages d’avant-guerre pourraient sembler obscènes à ceux qui sortent des tranchées couverts de boue et de sang ? »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si le jeune Marcel Proust fit sa première communion, il ne mit plus les pieds à la messe. Son catholicisme étant fort léger, Antoine Compagnon peut se tourner vers son « côté juif », quoiqu’il ne mît pas plus les pieds à la synagogue. Car sa mère, né Jeanne Weil ne s’est jamais convertie. Sans honte ni fierté, l’écrivain s’attache à une pléiade de personnages juifs, comme Swann, Bloch, Nissim Bernard, Rachel, fait figurer en dreyfusard fervent une chronique de l’affaire Dreyfus, comme le réclame la dimension largement chronographique du roman, entre temps individuel et intérieur et temps d’une société politique. L’on se doute qu’Antoine Compagnon s’intéresse à la réception des romans successifs dans les milieux juifs.

Comme à l’accoutumée de la « Bibliothèque illustrée des Histoires », l’essai se présente à la fois comme une enquête pointilleuse, bellement ornée de maints documents. Se demandant, « Est-ce une question oiseuse ? », l’essayiste interroge les ancêtres, dont Baruch Weil, pointe un « judaïsme déjudaïsé », et ose un « À la recherche du judaïsme perdu ». Malgré les tentatives de récupération, ni « Proust sioniste », quoiqu’il jugeât, dans À l’ombre des jeunes filles en fleurs le « patriotisme juif inéluctable », ni « Proust antisémite », conclue Antoine Compagnon. Qui, non sans humour, avoue, après son livre sur Les Chiffonniers de Paris[6], s’être livré à un « livre de fossoyeur ou plutôt de déterreur du caveau des Weil » au Père-Lachaise.

Marcel Proust : À la recherche du temps perdu, illustré par Kees Van Dongen,

Cartonnage Bonnet, Gallimard, 1947.

Photo : T. Guinhut.

Le titre de Gaëtan Picon est volontairement modeste : Lecture de Proust. Pourtant, lors de sa parution en 1963, il fit figure de bouleversement. Car la critique auparavant aimait à s’appesantir sur la dimension autobiographique, cherchant l’homme dans l’œuvre. Or Gaëtan Picon rappelle : « Histoire d’une vie, À la recherche du temps perdu est aussi l’histoire d’un livre ». Cette thèse - les premières lignes de l’essai - est avec soin développée. Moins une autobiographie, d’ailleurs tellement diffractée par la fiction et les personnages qui combinent tant de modèles, qu’une œuvre d’art, La Recherche relate au plus essentiel de son projet, le chemin, souvent semé de déceptions, vers la réalisation de l’œuvre. En ce sens, il s’agit du « roman d’un roman ».

Après avoir considéré Jean Santeuil comme un grand brouillon, Gaëtan Picon s’attarde à raison sur le Contre Sainte-Beuve. Selon ce dernier l’homme Baudelaire n’est qu’un raté, d’où ne peut sortir nulle belle œuvre. Mais le génie est ailleurs : « un livre est le produit d’un autre moi que celui que nous manifestons dans nos habitudes, dans la société, dans nos vices.[7] » Bien qu’il ne fasse pas cette citation, Gaëtan Picon sait qu’il ne s’agit pas de reproduire un moi, une vie, mais d’être le « créateur d’un monde romanesque ». Passant du « il » dans Jean Santeuil au « je », de l’autobiographie fictive et lacunaire au roman du narrateur, la voix proustienne s’élève, découvrant ce qui est au fond d’elle-même, trouvant dans la scène finale du Temps retrouvé ce qui « est en réalité le germe de l’œuvre ». La boucle temporelle, depuis l’incipit - « Longtemps je me suis couché de bonne heure » - et le dernier mot - « temps » - établit la somme d’une expérience autant que la collusion de l’écriture et d’un monde sauvé par le moyen de l’art.

Pour reprendre les titres des chapitres de Gaëtan Picon, une progression s’établit de « la naissance du chant » aux « révélations de la métaphore », en passant par « le moi et l’autre », puis « le moi et le monde ». La rigueur du projet créatif proustien progresse donc selon une logique centrifuge et esthétique, en lequel selon Proust lui-même, « la vraie vie c’est la littérature ». Selon ce dernier encore, les personnages y sont « les étoiles des carrefours où viennent converger des routes venues, pour notre vie, des points les plus différents ». Mais ces personnages n’apparaissent que dans une vérité provisoire, au cours d’une évolution d’un élargissement de la perception. Si certains d’entre eux sont des passeurs de l’amour impossible, Swann, Gilberte ou Albertine, d’autres sont des initiateurs sociaux, Madame de Verdurin, Charlus, ou encore des portes de l’œuvre d’art : Bergotte pour la littérature, Elstir pour la peinture, Vinteuil pour la musique, autant d’autres moi en puissance à l’usage du narrateur. Ainsi Gaétan Picon analyse «  le monde de l’apparition », par exemple à  l’occasion de Saint-Loup à Balbec, puis le développement surprenant qui métamorphosera ces personnages en dépit de la première perception. Leurs secrets, en particulier l’homosexualité, puis l’épreuve des ans, les ont révélés, y compris lorsque dans Le Temps retrouvé, Gilberte est une « grosse dame », Charlus, « un homme gros [avec] une figure mauve ». Voici « une comédie humaine qui mérite plus ce titre que celle de Balzac », ose notre essayiste, qui rend hommage au « poète comique » qu’est sans conteste le romancier, à ce fin psychologue, à ce sociologue des classes sociales. Révélant les ponts jetés à travers cette « épopée de la subjectivité », éclairant les prodiges de la mémoire involontaire, l’essai sans lourdeur de Gaétan Picon, un demi-siècle après sa parution, garde toute sa pertinence, pour célébrer « le romancier d’une expérience poétique », telle que l’on a pu la comparer aux découvertes de Kepler en astronomie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Affirmons le tout de go : l’on ne peut se prétendre proustien si l’on ne lit pas avec délectation cette édition augmentée de la biographie concoctée avec amour et patience par Jean-Yves Tadié. Nous en étions restés à celle de Painter[8], plus qu’honorable au demeurant. Si ce dernier n’oubliait pas la somme romanesque, il était plus factuel.

Avec Jean-Yves Tadié, l’on saura tout ce qu’il est possible de savoir sur l’enfant et l’élève du lycée Condorcet, sur ses amitiés et ses mondanités, sur ses velléités poétiques et ses premières armes de prosateur et chroniqueur. Mais l’intérêt ne se limite pas là. Car il s’agit de pointer et de suivre, comme on file une métaphore, le cheminement qui part des événements et des émotions pour aboutir dans la somme romanesque. Car « la véritable biographie d’un écrivain, d’un artiste, est celle de son œuvre » ; ainsi le biographe justifie-t-il en son avant-propos sa démarche pleine de sagacité. Aussi a-t-il « daté l’introduction d’un thème, d’une image d’un personnage, dans le roman en gestation ». De surcroit, « l’univers intellectuel » de l’écrivain est-il décrit, par tel tableau, telle musique, tel livre, y compris Les Mille et une nuits, telle rencontre, de Camille Saint-Saëns à Anatole France, en passant par Paul Bourget. Sa vocation littéraire se construit bien au-delà du romantisme et du symbolisme, sans parler du naturalisme, pour trouver sa voix unique, dans laquelle la poésie s’élève au-dessus des misères du monde. Il resta fidèle par-dessus tout à Racine et à Baudelaire dont un vers du « Balcon » lui est essentiel : « Je sais l’art d’évoquer les figures heureuses ».

Voici bien plus qu’une « biographie transfusée par le roman » à l’instar de Painter : Jean-Yves Tadié montre comment les modèles, Montesquiou pour Charlus, Madeleine Lemaire pour Madame Verdurin par exemple, sont loin d’être suffisants et univoques. Or, au-delà du voyeurisme, « la source du roman » est ce qui nous importe.

Paris, Auteuil, Illiers sont les lieux de l’enfance. Et malgré des ancêtres venus du judaïsme, Marcel « ne se considérait pas comme juif ». L’on apprend qu’Adrien Proust aurait été l’un des amants de la grande cortisane Laure Hayman, dont la figure d’Odette se souviendra, y compris dans sa relation (entre autres) avec le docteur Cottard. Mais de ce père le romancier hérite « un regard médical sur le monde, la vie, les passions : tout y est pathologie ». Les crises d’asthmes du jeune homme, en dépit de ses diplômes de droit et de Lettres, lui serviront de prétexte pour mener une vie sans emploi, de littérateur apparemment dilettante. Les amis et semi-amants défilent : Daniel Halevy, Robert de Montesquiou, Robert de Flers, Reynaldo Hahn, Agostinelli : autant de jeunes filles en fleurs. Dont le titre fut peut-être inspiré par les « filles fleurs » de Parsifal, l’opéra de Wagner…

Et si l’on croit connaître l’homosexualité de Proust, il faut en trouver les modalités, mais aussi le sens dans l’œuvre. À cet égard, Jean-Yves Tadié prétend que tout est resté platonique, plus de l’ordre du fantasme que de la réalisation. Non sans snobisme, le romancier aime à idéaliser les femmes, courtisanes, grandes bourgeoises ou princesses, pour lesquelles « le désir esthétique » commande, sans jamais les toucher, préférant « retrouver la féminité chez les jeunes gens ». En outre, en un « onanisme [qui] est resté la principale pratique sexuelle », « le plaisir solitaire est associé aux lilas et aux iris », en un goût de la métaphore qui irriguera et nourrira la plénitude du roman-cathédrale aux sept volets. En conséquence, peut-être le narrateur n’ira-t-il guère plus loin que prendre Albertine sur ses genoux : « Tout ce que Marcel possédera d’une femme, c’est une photographie, ou le portrait qu’il en tirera ». Autre conséquence peut-être, La Revue lilas fondée par le jeune Marcel et quelques amis, avant qu’il parvienne à publier dans la plus notable Revue blanche.

Son éducation intellectuelle restera marquée par un Professeur, Rabier, selon lequel « l’art est le maître du temps ». Chez Marcel cependant, « aucune foi religieuse, mais des convictions morales ». Et s’il se prend de passion pour un maître, comme Fauré, « c’est le signe qu’il devine sa propre œuvre ».

Or Les Plaisirs et les jours se font attendre, avant de paraître enfin en 1896. Le vide éditorial, mis à part quelques publications en journaux et revues, quelques critiques d’art sur Rembrandt et Gustave Moreau, parait abyssal jusqu’à 1913, avec Du Côté de chez Swann. Mais ce n’est pas faute de travailler. Si Jean Santeuil débouche sur une impasse, il est un filtre nécessaire avant l’aboutissement de La Recherche. En outre de nombreux événements et rencontres contribuent à faire infuser une conception du monde, ne serait-ce que l’affaire Dreyfus. Découvrir et traduire Ruskin, soit La Bible d’Amiens, est une étape esthétique. Tandis que les voyages et les séjours à Beg Meil, en Bretagne, et surtout au Grand Hôtel de Cabourg, en Normandie, nourriront Balbec. Venise est une autre assomption visuelle et artistique. Les morts, dont celles de la grand-mère et de la mère, préparent leur résurrection romanesque. Une fois la rédaction suprême enclenchée, même la Grande guerre devient matériau. Tout est racine et engrais : « Ainsi ce que je n’avais cru n’être rien pour moi, c’était tout simplement toute ma vie », écrit-il dans Albertine disparue. Voire sa propre mort : ne dictait-il pas encore, la veille, des pages sur la mort de Bergotte, son écrivain fictionnel dont les livres sont comparés à des « ailes »…

Construite chronologiquement bien entendu, mais de surcroit par une succession de brefs sous-chapitres, entre « Le baiser du soir » et « La mort », cette élégante biographie séduit autant qu’elle impressionne, tant la documentation, les notes, l’index sont éléphantesques. Le grand-œuvre biographique est digne du grand-œuvre romanesque.

 

L’autorité de Jean-Yves Tadié vient au secours d’un continent épistolaire : « On critique souvent la correspondance de Proust pour sa futilité ; encore faut-il la lire : elle permet d’établir la généalogie de ses idées, leur avance sur la trame romanesque (I, p 504) ». Entre 1879 et 1922, un surabondant fleuve d’échanges s’établit avec moult correspondants au point qu’il faille rien moins que les vingt et un volumes de l’édition établie par Philippe Kolb en 2004. Si nous nous contentons de ce volume de Lettres présentant un choix fort généreux, de plus augmenté de quelques trouvailles, nous n’avons pas en effet cette impression parfois mitigée devant les correspondances. En ouvrant celle de Madame de Sévigné, tant goûtée par la mère de Proust et la grand-mère du narrateur, l’on a parfois du mal à trouver les pépites, au-delà des formules de politesse et des protestations d’amitié. Au contraire, le hasard préside ici sans cesse à la découverte de pages toujours précieuses.

Choisir est art délicat : l’on a privilégié les lettres en réaction à des événements personnels et contemporains, les amitiés, la mort des proches, l’affaire Dreyfus, la guerre, bien d’autres s’intéressent à la formation esthétique de l’écrivain, à la genèse et à l’avance de l’œuvre, à la stratégie d’un auteur face aux éditeurs, aux critiques…

Ainsi, en 1913, écrit-il, non sans ironie à Bernard Grasset : « Mais vous êtes vous-même trop un artiste, pour ne pas comprendre qu’une fin n’est pas une simple terminaison et que je ne peux pas couper cela aussi facilement qu’une motte de beurre ». Lors de la page suivante, il se confie à Louis de Robert : « cette saveur de thé que je ne reconnais pas d’abord et dans laquelle je reconnais les jardins de Combray. Mais ce n’est nullement un détail minutieusement observé, c’est toute une théorie de la mémoire et de la connaissance ». En 1916, c’est tout une explication qui est fournie à Gaston Gallimard : « D’abord le titre (À l’ombre des jeunes filles en fleurs) est provisoire. Je ne l’aime pas beaucoup. Mais s’il y a trop de Sodome et Gomorrhe il ne sera pas mal de commencer, de mettre à la base, ce coussin fleuri de façon que les deux étages un peu effrayants reposent sur quelque chose de normal, et soient d’ailleurs couronnées par le dernier volume qui n’a rien que de pur et de philosophique (Le Temps retrouvé) ». Il est assez amusant de lire, dans une lettre à Robert de Montesquiou, alors que ce dernier est le principal modèle de Charlus : « au moment où Mr de Charlus me regarde fixement et distraitement près du casino, j’ai pensé un moment à feu le baron Doazan, habitué du salon Aubernon et assez dans le genre. Mais je l’ai laissé ensuite et j’ai construit un Charlus beaucoup plus vaste, entièrement inventé ». La méthode Proust est là toute entière. Ces quelques citations insuffisantes témoignent cependant combien chaque lettre est judicieuse et initiatique quant à une œuvre qui dépasse son temps.

 Notre cher Proust fascine, au point de susciter un club de « fans » sur Facebook, de faire des émules nombreux. L’un s’appelle Stéphane Carlier, au point de consacrer son huitième livre au maître du temps : Clara lit Proust. Jusqu’alors les petites coiffeuses attendaient du Prince charmant qu’il change leur vie. Espoir bien vain. Mieux vaut se fier à Marcel Proust pour une telle mission. Ainsi Clara n’a qu’un copain, JB, plutôt beau, sportif et pompier, mais bien décevant, et une patronne tristounette pour accompagner son écoute de Radio Nostalgie chez « Cindy Coiffure ». Incroyable mais vrai - du moins dans cette fiction, mais pourquoi pas - un livre abandonné par un client lui tombe dans les mains, pour faire office de miracle.

Au début, rien. Mais bientôt Clara s’y reconnait. De lire À la recherche du temps perdu « elle n’est pas peu fière ». Ce livre, elle en a le sentiment, « va la rendre plus forte ». Elle lui confronte son enfance, déguste les phrases, autour « la moindre chose devient proustienne ». Et si elle le pose près d’elle : « Il m’a sauvé la vie ce bouquin ! fait Claudie ». L’on devine qu’une élective amitié s’ensuit. Il faut cependant se consoler du départ de JB, ce qui est tâche assez facile. Se peut-il « que le seul salut possible, la seule expérience envisageable de bonheur se trouve dans les œuvres d’art ? » Bientôt, grâce  son « joli timbre », elle devient celle qui « lit Proust », auprès d’une dame, dans un festival de rue. La vie et les rencontres s’en trouvent changées…

Toute une petite sociologie est traitée avec humour, l’hommage proustien est d’abord ténu, prudent, éblouissant d’émotion ensuite. Citations, paraphrases et progression de la psyché de la modeste héroïne s’entremêlent, dans un roman d’initiation qui a pour moteur un autre roman. L’humilité de Stéphane Carlier n’a pas la prétention d’égaler son modèle, mais nous apprécions aisément sa capacité à permettre aux lecteurs frileux de trouver là une engageante porte dérobée, sa manière charmante de rendre plus aisé l’accès à l’impressionnante  somme proustienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Malgré la récente publication des 25 feuillets[9], il reste encore des inédits, ce dont fait la preuve un beau Cahier de L’Herne, ce qui est un pléonasme tant la série est fort recommandable. L’on peut, une fois de plus, après Hannah Arendt[10], Paul Celan[11] et tant d’autres, attendre sans risque de déception un opus roboratif, car sous la direction de Jean-Yves Tadié.

Agréablement imprimé en un bleu qui propage la couleur du souvenir - et nous n’omettrons pas le traditionnel cahier de photographies en noir et blanc -, ce volume offre quelques rares brouillons, que l’on a joliment titré « À la recherche du jardinier perdu ». Cette « quête des inédits » mène ici aux cathédrales et à Balbec, à Elstir et Albertine, et à quelques lettres fort brèves, dont à Louis d’Albufera, à laquelle il joint un poème : « je suis poète / C’est-à-dire un homme de rien ». Mais aussi à l’ami et compositeur Reynaldo Hahn, aux « petites mains toutes belles ». Ce dernier nous offrant d’ailleurs une petite étude : « Proust et Ruskin ». Aux témoignages et autres souvenirs s’ajoutent des hommages, à « l’un des êtres humains les plus angéliques qui ait jamais existé », selon Violet Schiff.

Ne manquent ni de fines analyses, par exemple au sujet de l’influence de Pierre Loti, au moyen de son Roman d’un enfant, ni des contextualisations pertinentes, à l’instar de « Proust et l’Art nouveau ». Il goûtait en effet le « Modern Style », offrait des vases de Gallé, ce verrier lancé par Robert de Montesquiou, l’un des modèles de Charlus, alors que ces fleurs japonaises en papier se développent dans le bol d’eau où « le microcosme de La Recherche prend son véritable départ ». Eclairant le rapport de Proust à la politique, Michel Erman pointe son « milieu familial libéral et laïc », son attachement à la justice et à la tolérance, y compris à l’occasion du massacre des Arméniens et de l’affaire Dreyfus ; reste le patriotisme lors de la Grande Guerre, qui ne choit pas dans l’antigermanisme culturel, mais n’ignore pas un nécessaire « scepticisme sur la nature humaine ». « Le plus célèbre patient de la littérature », selon Gérard Macé, dont le père et le frère étaient médecin, échappa, grâce à sa claustration, à la grippe espagnole. La science est ici convoqué jusqu’avec Einstein, dont le nom trouve plusieurs occurrences dans l’œuvre, cette « apothéose de la syntaxe », selon les mots de Jacques Réda.

Proust est-il bergsonien, aime-t-il Richard Strauss, dont Salomé est bientôt gommé par Reynaldo Hahn, quoique le fameux « septuor » en dérive peut-être… Quant aux auteurs qui innervent La Recherche, il en est peu d’oubliés, au bénéfice de Chateaubriand, de Madame de Sévigné, Taine ou Michelet. Ne manque aucun peintre, un pan de Vermeer bien entendu, Botticelli et Carpaccio… Nous serons un peu plus prudents en abordant « Proust et Ernaux, des écritures de la mémoire », tant c’est faire beaucoup d’honneur à la seconde. Sous un faisceau de regards, la présence mentale de l’écrivain gagne en profondeur. Et pour revenir au début de notre recension, trouvons en ce cahier Madeleine Lemaire, illustratrice certes, mais surtout inspiratrice de l’agaçante Madame Verdurin, dont le salon abrita la rencontre d’Odette et de Swann.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est au moyen d’un Proust-Monde que nous pouvons vérifier combien la « madeleine », les jeunes filles de Balbec et les bourdons de Sodome et Gomorrhe ont séduit des lecteurs bien au-delà de la patrie de la langue française. Evidemment, hors par un Jorge Luis Borges, Argentin, ou par le Russe Vladimir Nabokov, La Recherche est lue en bien d’autres idiomes. Walter Benjamin d’ailleurs s’interroge sur le défi que représente son entreprise de traduction, qui reçut un accueil favorable, mais « conserve un air d’absurdité ».

L’on réunit ici quatre-vingt-trois textes, dont un quart chez nous inédits, venus d’auteurs qui ont été profondément émus lors de cette lecture, qui parfois alla jusqu’à changer leur vie. Il n’est pas certain cependant qu’ils le lisent de la même façon tant l’ouvrage s’adapte au prisme de leur culture. Reste qu’ils nous font partager, comme dans une sorte d’amitié proustophile, leurs sensations et réflexions, ainsi étonnamment proches, même si elles viennent du Japon avec Haruki Murakami, qui découvre « un couloir long comme du Marcel Proust » ; l’allusion laconique étant inversement proportionnelle à l’émotion.

Le philosophe espagnol José Ortega y Gasset, en 1923, loue « un génial abandon de la forme extérieure et conventionnelle des choses [qui] oblige Proust à les définir par leur forme interne, par la structure intérieure » ; ce qu’il pourrait dire également de la forme romanesque. Pourtant en 1925, il est bien moins indulgent : « la morosité, la lenteur touchent au plus extrême et ainsi se convertissent en plans statiques, sans aucun mouvement, sans progrès ni tension […] il lui manque le squelette[12] ».

N’en doutons pas en effet : il y a les « anti-Proust », comme le Polonais Witold Gombrowicz qui le brocarde en 1958 dans son Journal : « il m’agace, il me dégoûte, il ressemble trop à ma propre caricature ! » Les reproches fusent : « maniérisme », « perversion », « monotonie » ; mais la tisane de mauvaise foi cède devant un hommage rentré : « Pesant ! Ce cousin m’écrase ». Sans réellement le détester, Mario Vargas Llosa[13] préfère en 1965 adresser sa réprobation lorsque « les minauderies, les affèteries, la vacuité de la Belle époque peuplent les pages de ce prétendu « professeur de beauté » : nous voici étonnés qu’il ne lui reconnaisse pas la capacité de transcender ce monde au travers de son narrateur.

Au contraire, nombreux sont ceux qui le pastichent ou le réécrivent, tels le Turc Orhan Pamuk, le Cubain Alejo Carpentier. Les admirations se multiplient chez les écrivains, en quelque sorte toujours redevables, sans compter les cinéastes, qui n’ont pu mener leur rêve à bien ou l’ont réalisé : Luchino Visconti, Raoul Ruiz. Venu d’un individu si particulier que le petit Marcel apeuré par l’absence de maman, le livre est universel. Et suffisamment riche pour que, « d’une analyse à l’autre, les auteurs ne se répètent pas », selon la remarque de Blanche Cerquiglini, préfacière de ce volume étonnant, résultat du travail d’un quintette de chercheurs. La variété de tons et d’arguments ne peut que donner des ailes aux inconditionnels de La Recherche. Pensons enfin au désarroi de Varlam Chalamov, qui se fit voler, au fin fond du goulag de la Kolyma, pour en faire des « cartes à jouer », son exemplaire in folio…

Pour nous, parcourir quelques pages de Proust dans une langue que nous croyons connaître, anglais ou espagnol, est une étrange expérience. Rien que le titre est un pas de côté : Remembrance of Things Past ou, plus proche, En busca del tiempo perdido. Ce serait certainement une expérience fascinante que de le lire transmué ainsi. Heureusement nous l’avons échappé belle. Imaginons que notre cher Marcel n’aie pas trouvé le moindre éditeur, y compris à compte d’auteur, comme il fit avec Grasset pour son premier opus. L’on aurait pu jusqu’à perdre les lettres de refus. Par exemple celle hilarante, quoique un poil crédible tant les éditeurs peuvent être parfois sûrs de leur surdité intellectuelle, crayonnée par Umberto Eco : « Il faut un gros travail d’editing : il y a, par exemple, toute la ponctuation à revoir. Les phrases sont trop laborieuses ; certaines prennent une page entière. […] Sous la forme actuelle, l’ouvrage est - comment dire - trop asthmatique[14] ». Le sacrilège est à l’égal de celui porté au crédit de la Bible également rejetée…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[3] Marcel Proust : Les Plaisirs et les jours, fac simile, De Fallois, 2020.

[4] Jan Baetens : Adaptation et bande dessinée, Les Impressions Nouvelles, 2020.

[5] Marcel Proust : À la recherche du temps perdu, Delcourt, 2013.

[7] Marcel Proust : Contre Sainte-Beuve, Gallimard, La Pléiade, 200, p 221.

[8] George D. Painter : Marcel Proust, Mercure de France, 1966.

[12] José Ortega y Gasset : Ideas sobre el teatro y la novela, Alianza editorial, 1982, p 30 ; traduit par nos soins.

[14] Umberto Eco : Pastiches et postiches, Messidor, 1988, p 25.

 

Marcel Proust : À la recherche du temps perdu, illustré par Kees Van Dongen,

Cartonnage Bonnet, Gallimard, 1947.

Photo : T. Guinhut.

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Profondeurs, lumières du noir et du blanc

Couleurs des monstres politiques

 

 

 

 

 


Crime et délinquance

Jonas T. Bengtsson et Jack Black

 

 

 

 

 

 

 

Cronenberg

Science-fiction biotechnologique : de Consumés à Existenz

 

 

 

 

 

 

 

Dandysme

Brummell, Barbey d'Aurevilly, Baudelaire

 

 

 

 

 

 

Danielewski

La Maison des feuilles, labyrinthe psychique

 

 

 

 

 

 

Dante

Traduire et vivre La Divine comédie

Enfer et Purgatoire de la traduction idéale

De la Vita nuova à la sagesse du Banquet

Manguel : la curiosité dantesque

 

 

 

 

 

 

Daoud

Meursault contre-enquête, Zabor

Le Peintre dévorant la femme

 

 

 

 

 

 

 

Darger

Les Fillettes-papillons de l'art brut

 

 

 

 

 

 

Darnton

Requiem pour la liberté d’expression

Destins du livre et des bibliothèques

Un Tour de France littéraire au XVIII°

 

 

 

 

 

 

 

Daumal

Mont analogue et esprit de l'alpinisme

 

 

 

 

 

 

Defoe

Robinson Crusoé et romans picaresques

 

 

 

 

 

 

 

De Luca

Impossible, La Nature exposée

 

 

 

 

 

 

 

Démocratie

Démocratie libérale versus constructivisme

De l'humiliation électorale

 

 

 

 

 

 

 

Derrida

Faut-il pardonner Derrida ?

Bestiaire de Derrida et Musicanimale

Déconstruire Derrida et les arts du visible

 

 

 

 

 

 

Descola

Anthropologie des mondes et du visible

 

 

 

 

 

 

Dick

Philip K. Dick : Nouvelles et science-fiction

Hitlérienne uchronie par Philip K. Dick

 

 

 

 

 

 

 

Dickinson

Devrais-je être amoureux d’Emily Dickinson ?

Emily Dickinson de Diane de Selliers à Charyn

 

 

 

 

 

 

 

Dillard

Eloge de la nature : Une enfance américaine, Pèlerinage à Tinker Creek

 

 

 

 

 

 

 

Diogène

Chien cynique et animaux philosophiques

 

 

 

 

 

 

 

Dostoïevski

Dostoïevski par le biographe Joseph Frank

 

 

 

 

 

 

Eco

Umberto Eco, surhomme des bibliothèques

Construire l’ennemi et autres embryons

Numéro zéro, pamphlet des médias

Société liquide et questions morales

Baudolino ou les merveilles du Moyen Âge

Eco, Darnton : Du livre à Google Books

 

 

 

 

 

 

 

Ecologie, Ecologismes

Greenbomber, écoterroriste

Archéologie de l’écologie politique

Monstrum oecologicum, éolien et nucléaire

Ravages de l'obscurantisme vert

Wohlleben, Stone : La Vie secrète des arbres, peuvent-il plaider ?

Naomi Klein : anticapitalisme et climat

Biophilia : Wilson, Bartram, Sjöberg

John Muir, Nam Shepherd, Bernd Heinrich

Emerson : Travaux ; Lane : Vie dans les bois

Révolutions vertes et libérales : Manier

Kervasdoué : Ils ont perdu la raison

Powers écoromancier de L'Arbre-monde

Ernest Callenbach : Ecotopia

 

 

 

 

 

 

Editeurs

Eloge de L'Atelier contemporain

Diane de Selliers : Dit du Genji, Shakespeare

Monsieur Toussaint Louverture

Mnémos ou la mémoire du futur

 

 

 

 

 

 

Education

Pour une éducation libérale

Allan Bloom : Déclin de la culture générale

Déséducation et rééducation idéologique

Haine de la littérature et de la culture

De l'avenir des Anciens

 

 

 

 

 

 

Eluard

« Courage », l'engagement en question

 

 

 

 

 

 

 

Emerson

Les Travaux et les jours de l'écologisme

 

 

 

 

 

 

 

Enfers

L'Enfer, mythologie des lieux

Enfers d'Asie, Pu Songling, Hearn

 

 

 

 

 

 

 

Erasme

Adages et Colloques

Eloge de vos folies contemporaines

 

 

 

 

 

 

 

Esclavage

Esclavage en Moyen âge, Islam, Amériques

 

 

 

 

 

 

Espagne

Histoire romanesque du franquisme

Benito Pérez Galdos, romancier espagnol

 

 

 

 

 

 

Etat

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Constructivisme versus démocratie libérale

Amendements libéraux à la Constitution

Couleurs des monstres politiques

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Socialisme et connaissance inutile

Patriotisme et patriotisme économique

La pandémie des postures idéologiques

Agonie scientifique et sophisme français

Impéritie de l'Etat, atteinte aux libertés

Retraite communiste ou raisonnée

 

 

 

 

 

 

Etats-Unis romans

Dérives post-américaines

Rana Dasgupta : Solo, destin américain

Bret Easton Ellis : Eclats, American psycho

Eugenides : Middlesex, Roman du mariage

Bernardine Evaristo : Fille, femme, autre

La Muse de Jonathan Galassi

Gardner : La Symphonie des spectres

Lauren Groff : Les Furies

Hallberg, Franzen : City on fire, Freedom

Jonathan Lethem : Chronic-city

Luiselli : Les Dents, Archives des enfants

Rick Moody : Démonologies

De la Pava, Marissa Pessl : les agents du mal

Penn Warren : Grande forêt, Hommes du roi

Shteyngart : Super triste histoire d'amour

Tartt : Chardonneret, Maître des illusions

Wright, Ellison, Baldwin, Scott-Heron

 

 

 

 

 

 

 

Europe

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

Fables politiques

Le bouffon interdit, L'animal mariage, 2025 l'animale utopie, L'ânesse et la sangsue

Les chats menacés par la religion des rats, L'Etat-providence à l'assaut des lions, De l'alternance en Démocratie animale, Des porcs et de la dette

 

 

 

 

 

 

 

Fabre

Jean-Henri Fabre, prince de l'entomologie

 

 

 

 

 

 

 

Facebook

Facebook, IPhone : tyrannie ou libertés ?

 

 

 

 

 

 

Fallada

Seul dans Berlin : résistance antinazie

 

 

 

 

 

 

Fantastique

Dracula et autres vampires

Lectures du mythe de Frankenstein

Montgomery Bird : Sheppard Lee

Karlsson : La Pièce ; Jääskeläinen : Lumikko

Michal Ajvaz : de l'Autre île à l'Autre ville

Morselli Dissipatio, Longo L'Homme vertical

Présences & absences fantastiques : Karlsson, Pépin, Trias de Bes, Epsmark, Beydoun

 

 

 

 

 

 

Fascisme

Histoire du fascisme et de Mussolini

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Haushofer : Sonnets de Moabit

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré, une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

VIII Morphéor intelligence quantique amoureuse

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com

XVIII Bibliothèque Hespérus et Petite porcelaine bleue

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme : Ages & Colloques

Manuzio, Budé, Byzantinistes & Coménius

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Vanité de la mort : Vincent Wackenheim

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

La Cité aux murs incertains, L'Incolore Tsukuru

 

 

 

 

 

 

Muray

Philippe Muray et l'homo festivus

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

Miscellanées littéraires : Cloux, Morrow...

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Pléiade & Sonnet pour Hélène LXVIII

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Les obsolètes face à l'intelligence artificielle

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science-fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Métamorphoses du sonnet contemporain

 

 

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Wells

Wells aventurier du temps et socialiste déçu

 

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

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