Aconit napel, vallée de Bassia, Gèdre, Hautes-Pyrénées. Photo : T. Guinhut.
Révolutions vertes et révolution libérale.
Bénédicte Manier :
Un Million de révolutions tranquilles.
Bénédicte Manier : Un Million de révolutions tranquilles,
Les Liens qui libèrent, 346 p, 22,90 €.
L’auteur et l’éditeur seraient probablement fort étonnés d’apprendre que leur livre est d’essence profondément libérale ; quoique nombre de ses affirmations et diatribes paraissent l’en éloigner irréductiblement. Ces « révolutions », le plus souvent vertes, sont en effet celles des millions de modestes citoyens qui réinventent leur liberté de ne plus avoir faim, de ne plus être pauvres, de créer des entreprises locales et de revitaliser l’agriculture. Ce qui est exposé en cet essai de Bénédicte Manier, Un Million de révolutions tranquilles, avec générosité, enthousiasme, mais aussi avec une curieuse cécité envers les vertus du capitalisme et du libéralisme.
La lecture de cet essai informé est roborative. Découvrir ainsi que, des Etats-Unis au Japon, de la France au Canada, de l’Inde à l’Australie, des initiatives sans cesse inventives renouvellent le rapport au monde et à l’économie, mais aussi des individus entre eux, laisse entendre un chant d’espoir en faveur de l’amélioration de nos conditions de vie, de notre planète et du lien social.
L’une des activités sur laquelle s’étend à l’envie Bénédicte Manier est celle agricole, ou plus exactement d’« agroculture ». A Détroit, par exemple, ville laminée par la crise de l’industrie automobile, les habitants mettent à profit le moindre massif, trottoir, friche et lopin de terre pour cultiver des légumes et des fruits, éradiquant ainsi la faim, voire la malbouffe. De cette « guérilla verte », de cette main verte individuelle et bientôt associative, collective, nait une éthique de la gratuité et du don, mais aussi un commerce local, une dynamique entrepreneuriale. A New-York, à Paris, et peut-être partout ailleurs, les toits en terrasses accueillent les jardins, favorisant une saine activité, une alimentation bio, sans compter qu’un toit jardiné contribue grandement à tempérer la dépense énergétique d’un bâtiment.
En Inde, en Afrique (les « agronomes aux pieds nus du Burkina Faso), les plus déshérités parmi les agriculteurs, souvent des femmes (comme l’Indienne Chandramma), redécouvrent des pratiques anciennes, des semences locales, des gestions du sol et de l’eau qui permettent de trouver à la fois productivité, biodiversité, dignité, indépendance économique. Ainsi, villes et campagnes, voire déserts, reverdissent. Plus loin, des villages, des îles, deviennent autonomes grâce aux énergies renouvelables.
Ce sont aussi, de l’Europe au continent américain, des échanges d’objets et de services, des vide-greniers gratuits, plutôt que des ventes et des achats, de façon à contrer le gaspillage et la pollution, de façon à ouvrir une niche économique coopérative et nouvelle à la circulation des biens et des compétences.
Dans un autre ordre d’idée, des « cliniques gratuites américaines», des « écologements », le « cohabitat en propriété partagée » , des banques « socialement responsables » surgissent de la volonté de quelques citoyens, dans une démarche associative, y compris « sans but lucratif », pour préserver des entreprises, en créer de nouvelles, dans un but moins capitaliste qu’humaniste…
Ce « million de révolutions tranquilles » serait bel et bon, si une choquante cécité n’écornait pas sérieusement les qualités d’un tel livre.
Oserait-on suggérer à Bénédicte Manier, pourtant journaliste efficace et talentueuse, d’ouvrir un dictionnaire à la recherche des mots « libéral » et « libéralisme », et de s’intéresser à la philosophie politique autrement que par clichés et caricatures de mauvaise foi. Elle y lirait que libéralisme signifie liberté individuelle, des mœurs et d’entreprendre. Ainsi elle comprendrait (mais c’est probablement peine perdue, étant donné l’aveuglement idéologique des anti-capitalistes et des pourfendeurs de ce qu’ils appellent néo et ultralibéralisme) que toutes les initiatives défendues dans son livre, qu’elles soient individuelles ou associatives, sont d’essence profondément libérale. Le fait qu’elles s’écartent des méthodes du capitalisme multinational n’obère en rien leurs qualités libérales. Le capitalisme libéral, qu’il soit micro-entrepreneurial ou d’un conglomérat mondialisé, reste et doit rester ouvert et respectueux de la liberté d’entreprendre, des vertus de la concurrence, de la clarté des contrats et de la responsabilité des entrepreneurs et contractants.
C’est ainsi que l’on se trompe d’ennemi : ce sont presque toujours l’interventionnisme d’état et les pratiques anti-concurrentielles, jusqu’au monopole, qui invalident le libéralisme et non les « révolutions tranquilles » des citoyens. Un exemple suffira : Bénédicte Manier dénonce avec raison le règlement européen de 1994 qui « interdit à un agriculteur de réensemencer ses champs avec ses récoltes, sauf s’il paie une redevance aux multinationales semencières ». De même « les variétés anciennes » seraient interdites. Accuser « le libéralisme agricole » est alors stupide, quand la collusion des lobbys industriels, des législateurs et des gouvernements contrevient justement au principe premier du libéralisme qui est de respecter l’initiative et la responsabilité individuelles.
Reste le problème des subventions. Il heureux que les états et les gouvernements ne s’intéressent guère à ces«révolutions tranquilles », sauf à leur mettre des bâtons dans les roues, par une fiscalité confiscatoire et une suradministration invalidante. S’il s’agit de contribuer à cet activisme citoyen, mieux vaut éviter de le dénaturer en le subventionnant, par exemple lorsqu’il est question d’installer des éoliennes ou du photovoltaïque, ne serait-ce que parce qu’il a fallu ponctionner un impôt dans les poches des créateurs de richesses, qui sont bien obligés d’avoir recours au capital, à la spéculation, à l’investissement pour contribuer à la prospérité de tous, y compris de leurs opposants idéologiques. Comme quoi l’individualisme n’est pas dépourvu d’une forme de convivialité. Il est alors à craindre qu’en reliant « les zones d’agroécologie à des marchés équitables », il faille « les faire bénéficier d’aides publiques ». Ces gens veulent bien bénéficier des ressources fiscales consenties par le capitalisme ou confisquées au capitalisme, mais usent d’activités qui se défaussent de l’imposition, pourtant nécessaire, en pratiquant des activités non-lucratives et gratuites dans des « réseaux démonétisés ». L’ironie est patente.
Les limites de l’exercice citoyen de ces révolutionnaires tranquilles, qui semble par hyperbole de l’ordre de la religiosité écologique, sont pourtant frappantes. Il est fort douteux que la population mondiale et surtout urbaine puisse être entièrement nourrie par les jardins des rues et des toits et par les paysans locaux du tiers monde, si grandes soient leur vertus nécessaires. L’agriculture industrielle et l’agroalimentaire seules ont permis d’éradiquer en grande partie la faim dans le monde et de libérer des bras pour d’autres services. Produire ces ordinateurs dont sont si friands les acteurs et propagandistes de ces « révolutions tranquilles » ne peut guère se faire sans des Steve Jobs et des Windows qui furent d’abord de modestes chercheurs individuels avant de devenir des fleurons du capitalisme international. D’où la nécessité des activités capitalistes lucratives multinationales et mondialisées.
L’erreur de perspective, hélas partagée par l’ensemble du spectre politique, du moins en France, veut que la crise économique et les oubliés de la mondialisation soient dus au capitalisme et à ses excès irrationnels et rapaces. Certes il y a bien des capitalistes, car en toute choses l’homme est humain trop humain -si l’on reprend l’expression nietzschéenne- pour choir dans ces travers. Mais nous savons d’expérience que ce sont les politiques interventionnistes des prédateurs état-providences socialistes (qu’ils soient d’Etats-Unis, de France ou d’ailleurs) qui ont freiné et contrecarré, voire abattu, les progrès économiques et humains que seules ont permis les qualités de la démocratie libérale. Prions pour qu’elles épargnent les mobilisations citoyennes défendues par Bénédicte Manier.
Ce livre se veut « une alternative définie et globale au libéralisme ». Soit. Outre qu’il a, n’en déplaise à son auteur, une vertu foncièrement libérale, il reste à souhaiter que cette « alternative » reste de l’ordre de la liberté et ne nous soit pas imposée. Je veux bien, pour reprendre la conclusion du Candide de Voltaire, « cultiver mon jardin », mais celui de ma bibliothèque, et non mettre la main à la bêche et à la terre. La « division du travail » et « la main invisible » du marché, chères au philosophe et économiste du XVIIIème Adam Smith, théoricien indépassable du libéralisme, m’ont bien permis cette liberté. Que ce soit également notre révolution tranquille…
Bonjour,<br />
<br />
Je comprends les références aux classiques du libéralisme comme Adam Smith. Néanmoins, à la lecture de l'ouvrage de Bénédicte Marnier, si on me demandait de le rapprocher d'un courant comme vous le<br />
faites, c'est à l'anarcho-communisme ou au socialisme libertaire que je penserais en premier lieu et non au libéralisme. L'anarchisme et le libéralisme ont des points communs, mais aussi<br />
d'importants points de désaccord. Lorsque je lis ce livre, j'y vois en effet de nombreuses références à des notions comme l'autogestion, la démocratie directe, l'autogouvernance, la cogestion<br />
démocratique, la libre entente, les coopératives, c-à-d des modes d'organisation et de production par les "gens d'en bas". Quand Madame Marnier cite le slogan "Occuper, résister, produire" des<br />
travailleurs argentins, c'est à l'anarcho-syndicalisme p.ex. de Rudolf Rocker que je pense. Tout cela me paraît fort différent de l'exemple du succès d'Apple dont vous semblez surestimer l'apport<br />
individuel de Steve Jobs et dont vous semblez sous-estimer l'apport des efforts (souvent non libres) de ses milliers de travailleurs à travers le monde. Vous dites être libre grâce à la division du<br />
travail, certes, vous êtes du bon côté, des millions de gens eux ne sont pas libres dans notre société hiérarchique, un peu de compassion envers autrui permet de s'en rendre compte. Des approches<br />
autogestionnaires et égalitaires telles que celles proposées par exemple par Pierre Kropotkine ou implémentées par certaines de ces<br />
"révolutions tranquilles" me semblent davantage porteuses de liberté que le système capitaliste lucratif, hiérarchique, et coercitif. Bien à vous.<br />
<br />
Quelques lectures que j'ai trouvé intéressantes:<br />
- Noam Chomsky à propos de Adam Smith et de la main invisible<br />
http://revolution-lente.coerrance.org/noam-chomsky-adam-smith.php<br />
- Pierre Kropotkine: La conquête du pain<br />
http://fr.wikisource.org/wiki/Livre:Kropotkine_-_La_Conqu%C3%AAte_du_pain.djvu<br />
- Rudolf Rocker: Théorie et pratique de l’anarchosyndicalisme, Aden.<br />
- Michael Schmidt: Cartographie de l’anarchisme révolutionnaire, Lux.
Bravo pour cet article. Je suis 100% d'accord avec. Trainant un peu dans ce milieu, je peux confirmer tout ce qui y est écrit. Je suis régulièrement très mal à l'aise à voir blamer le libéralisme<br />
de ceci et de cela, comme si la personne avait trouvé le coeur du problème. Souvent, au contraire, c'est même dans le libéralisme que réside la solution. Drôle de retournement.<br />
<br />
Par exemple, dans la création des monnaies complémentaires : http://jardinons.wordpress.com/2011/03/07/de-lecologie-monetaire/ à l'opposé toutes les initiatives intéressantes sont ralenties par une<br />
administration et des collectivités gentiment sclérosées. J'en sais quelque chose on me met régulierement des barrières à l'initiative individuelle.<br />
<br />
Comment changer les représentations sur ce sujet? C'est un défi immense. Merci pour cet article qui y participe modestement.
<br />
<br />
Merci, cher lecteur, de vos encouragements et de vos précisions... Recevez également mes encouragements libéraux...<br />
<br />
<br />
<br />
Présentation
:
thierry-guinhut-litteratures.com
:
Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.