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8 avril 2018 7 08 /04 /avril /2018 19:48

 

Gladiateur mourant, Museo Correr, Venezia, Italia. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

 

 

Des cendres du XX° siècle aux cendres du père

par Jorge Volpi,

romancier, historien et autobiographe.

 

 

Jorge Volpi : Le Temps des cendres,

traduit de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli,

Seuil, 544 p, 22,80 € ; Points, 608 p, 8,80 €.

 

Jorge Volpi : Examen de mon père,

traduit de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli, Seuil, 272, p, 21,50 €.

 

 

 

 

      Après la génération du Boum latino-américain, voici celle du Crack. La première était celle de Mario Vargas Llosa, Carlos Fuentes, Gabriel Garcia Marquez et autres incontournables qui firent de ce continent un nouveau pôle de la littérature mondiale. Depuis les années quatre-vingt-dix, de plus jeunes auteurs contestent les thèmes obligés des anciens : nationalisme, mythes et histoire locale, engagement politique, et se proposent de dépasser le cercle étroit des frontières… Ces sept plumes de la génération du Crack (parmi lesquels Ignacio Padilla et Eloy Urroz) comptent un chef de file : Jorge Volpi, né en 1968. Posant qu’il ne peut y avoir de grands écrivains sans grands sujets (certes un point de vue discutable) il récidive avec plus d’ambition que jamais et dans un esprit empreint d’un cosmopolitisme sans faille en prenant à bras le corps la guerre froide, l’Union soviétique et les Etats-Unis, puis la sortie du communisme. Après À la recherche de Klingsor[1], il en résulte une impressionnante fresque romanesque traquant Le Temps des cendres, celui de l’immense et terrible XX° siècle. Mais le nouveau colosse des lettres mexicaines sait aussi se découvrir une plume plus intimiste, mêlant dans Examen de mon père anatomie et autobiographie, en une construction réellement originale.

      C’est avec une catastrophe symbolique qu’explose le cheminement romanesque du Temps des cendres : celle de Tchernobyl. La faillite de l’industrie nucléaire soviétique est celle de son régime à l’économie planifiée, aux cerveaux mis au pas, aux concurrences balayées, aux individualismes souffletés. Après ce prologue, on assiste à la présentation de personnages apparemment divers qui pour la plupart sont des femmes. Leur rôle mésestimé dans l’Histoire paraît ici magnifié. Une biologiste russe nommée Irina s’est marié avec un parfait « homo sovieticus » devenu dissident, Arkadi Granine. Au-delà de l’Atlantique, Jennifer Moore, Américaine, travaille au FMI, tandis qu’Eva Halasz, une Hongroise immigrée devient un génie de l’informatique. Sans compter Alison, militante antimondialisation, écologiste terroriste et sœur de Jennifer, et la fille d’Irina, Oksanna, adolescente dérangée, chanteuse suicidaire, qui s’évade parmi les poèmes d’Akhmatova[2] avant d’être assassinée. Tout ce petit monde anime et reflète les tensions et les évolutions de notre planète pendant la fin du XX° siècle. La surenchère militaire effrénée entre les deux grandes puissances, la mondialisation capitaliste, les soubresauts d’un tiers-monde corrompu (du Zaïre au Mexique), les découvertes scientifiques, de l’industrie pharmaceutique au génome humain, tout est brossé à la faveur de ces femmes allégoriques.

      Selon une recette éprouvée, le narrateur alterne le récit des destinées individuelles pour faire le portrait d’une vaste époque de transition. Elles sont à New-York, Moscou, en Palestine ; partout, comme dans un show trépidant d’informations, où bouge le sang de l’Histoire, qu’il s’agisse de la vie, du progrès scientifique et économique, et de la mort. Volpi ne semble pas regretter la faillite des utopies communistes, mais peut-être son inquiétude, à la limite du catastrophisme, est-elle excessive lorsqu’il dépeint tant de démons : tyrannies diverses, course aux profits, manipulations génétiques et bactériologiques. Certes, le romancier peut être un avertisseur, mais à la condition de garder conscience du fait qu’il est plus facile de faire frémir ses lecteurs avec les spectres de la peur qu’avec la lucidité éclairée de la raison. L’avenir n’est pas que « cendres », n’oublions pas l’amélioration des conditions de vie et de démocratie d’une bonne partie du monde…

      Même si, décantant une documentation impressionnante, Volpi est d’un didactisme un peu froid, on lui accordera une grande puissance d’évocation historique. A moins de regretter que lui et sa génération du Crack, en refusant le réalisme magique de leurs aînés, aient perdu un élan qui aurait pu donner à ce beau et sérieux roman à la construction un brin artificielle une autre dimension : celle de la liberté romanesque, de la fantaisie poétique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Nombre de biographies et d’autobiographies, comme il se doit, commencent par la naissance. Lors de l’Examen de mon père, Jorge Volpi, lui, commence par la mort, quoique ce soit également la naissance d’un livre. Décès, cendres et « urne d’albâtre » précèdent le récit des derniers mois et jours de déchéance du père au cours du premier chapitre ou « Leçon 1 » : « Le corps ou Des obsèques ». Car ce sont, selon le sous-titre, « dix leçons d’anatomies comparées », en un livre dont la structure est à elle-seule une réussite. Elle nous conduit d’organe en organe, depuis « le cerveau », jusqu’au « foie » ; mais à chaque nouvelle anatomie, en un rappel de l’ancienne théorie des humeurs et de ses quatre tempéraments, le voyage est également temporel et psychologique, de « la vie intérieure » à « la mélancolie ». Cette dernière est non seulement celle terminale du père, mais enfin de la mère, heureusement passagère et due à une hépatite, qui est une infection du foie. Notons à cet égard que l’écrivain a commis un ouvrage intitulé El Temperamento melancolico[3].

      Il y a quelque chose d’encyclopédique dans cet ouvrage : ce micro Décaméron est l’encyclopédie d’un homme, autant père que chirurgien, mais aussi des savoirs qui l’entourent, comme, à tout seigneur tout honneur, la chirurgie, dont les maîtres historiques furent au XVI° siècle Ambroise Paré (auquel il consacra une sourcilleuse et enthousiaste étude) et Vésale. Les cadavres sont disséqués, écorchés, dessinés à la Renaissance, puis, en passant par « La leçon d’anatomie » de Rembrandt, soumis en 1995, à la « plastinisation » et exposés, à la lisière de l’art contemporain et de l’éducation médicale. Ainsi l’art paternel s’inscrit dans l’histoire des sciences et des arts.

      Il faut alors plonger dans ce cerveau, « cette gélatine de neurones », pour trouver « cette vie intérieure qui se dissipe après la mort ». Le moi est-il une « illusion » du cerveau ? L’intellectuel est un brillant chirurgien, quand son fils, « un cérébral », est d’abord, et pour cette raison même, chahuté, vilipendé par ses camarades : « l’intelligence est toujours seule ». En conséquence, l’introspection règne ici en maîtresse, mais toujours en s’appuyant sur les avancées de la science, concluant par exemple que la mémoire est sans cesse retravaillée, recomposée, ainsi que le fait l’écrivain pour projeter ses fictions. D’où la difficulté de la démarche autobiographique : « Comment écrire cet Examen de mon père alors que j’arrive tout juste à le saisir, que son image glisse comme du sable entre mes doigts, si je biaise mes souvenirs de lui pour les ajuster à mon actuel dessein ? »

      La main est celle « Du pouvoir ». Elle est l’occasion de la dextérité chirurgicale paternelle, mais aussi de la direction éducative, et, nonobstant, de la désobéissance des fils : « je suis devenu un athée et un gauchiste », d’où son étude de « ces braises toujours incandescentes du pouvoir analysés par Foucault ». Et l’on n’est pas sûr qu’il s’agisse là de réel libre-arbitre. Il n’en reste pas moins que devenu secrétaire du Procureur général de la ville de Mexico lui permit « d’observer la tension qui régnait au cœur du parti au pouvoir ». On se doute qu’il y a peu de plus belles écoles pour un apprenti romancier. Qui reste persuadé de la nocivité de « l’idéologie néoconservatrice ou néolibérale », thèse que l’auteur de ces modestes lignes critiques ne partage guère, quoiqu’il partage cette profession de foi : « je crois que nous ne pouvons agir autrement qu’en nous opposant à l’idéologie qui nous jugule ».

      D’une manière convenue, le cœur est associé aux passions. Notre auteur dresse une histoire de la représentation de cet organe sanglant, palpitant et aimant. Il se sait touché par la nécessaire empathie humaine, au point de devoir répéter une antienne politique qui a fait long feu, quoiqu’avec une légère prudence : « Pour aussi gnangnan que cela puisse paraître, je redirai que le cœur est à gauche. Mais il se pourrait que je me trompe ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Et même si Jorge Volpi nous parle avec toujours autant de talent de « L’œil ou Des vigilants », des « jambes ou Des marcheurs », de « L’oreille ou De l’harmonie », ou de « La « peau ou des autres », c’est au pied du mur que l’on attend le maçon biographique et autobiographique : là se dressent « Les parties génitales ou Du secret ». Que le lecteur est donc voyeur ! Bien que d’une pudeur victorienne, le père cachait Justine de Sade et Histoire d’O. Pendant ce temps, une autorité religieuse bien intentionnée apprenait à l’enfant que se masturber était tuer « une vie en naissance » ; ce qui lui permit, plus tard, en un juste retournement des choses, de quitter toute religion. Voilà un chapitre qui donne l’occasion à son auteur de défendre le mariage pour tous, contre tous ceux qui font profession d’« exiger que l’on prive de droits d’autres citoyens ». Et de dénoncer les harcèlements et viols commis par des religieux mexicains dont l’influence voguait jusqu’au Vatican, dans un Mexique « sous une double dépendance : la drogue et l’abus sexuel de jeunes garçons et d’adolescents »… C’est avec ténacité qu’il se scandalise des interdits qui tendent à faire « croire que la contemplation de la nudité puisse être pernicieuse ». Loin d’enfoncer des portes ouvertes, l’écrivain moraliste reste d’une pertinente actualité, si l’on pense aux ridicules censures de Facebook et, sur un autre versant des religions, aux voiles jetés sur la féminité, auxquels il ne manque pas de faire, quoique brièvement, allusion.

      Ainsi de nombreuses strates culturelles et sociales occupent la mémoire et l’action, du chirurgien, depuis les praticiens et les artistes de la dissection, comme de l’écrivain, dont le travail de dissection s’intéresse à ce qu’en d’autres temps l’on aurait appelé l’âme, cet immatériel conglomérat qui fait notre personnalité propre. De plus, cet essai autobiographique et d’histoire des sciences, voire d’histoire littéraire et philosophique tant les allusions aux lectures de l’écrivain sont nombreuses, d’un genre heureusement hybride, est judicieusement illustré de gravures anatomiques anciennes en noir et blanc.

      L’autopsie physique et mentale de Jorge Volpi peut se lire en trois niveaux : le père, le fils et le Mexique en son entier, « inépuisable exhibition de cadavres », « corps et morceaux de corps exposés dans les rues ». Car le corps du pays est en voie d’agonie politique, dévoré par le socialisme, et criminelle, achevé par les conflits liés à la drogue, tel que le voient d’une manière plus dangereusement romanesque Carlos Fuentes dans La Volonté et la fortune[4] ou Roberto Bolano dans 2666[5]. En effet la vie d’adulte de son père  « s’est déroulée entre le massacre de Tlatelolco - celui des étudiants abattus par les forces armées, en 1968, en plein Mexico, sur la Plaza de las Tres Culturas - et les désastres de la guerre contre les narcotraficants qui tourmentèrent sa vieillesse, en passant par la succession ininterrompue des crises politiques et économiques ». Prenant une indubitable ampleur, l’écriture devient une « autopsie de cette nation de menaces et de cadavres ».

      Outre que ce triptyque, père, fils et Mexique, est une variante sécularisé de la Sainte Trinité, il montre combien nous sommes faits, autant que d’une machinerie organique et neuronale, d’un univers historique, scientifique et culturel. Reste à se désolidariser, comme il le réclame, d’une culture étroitement nationaliste, venin qui n’affecte pas que le Mexique.

      « Ce livre est la continuation de mon combat contre mon père », confie Jorge Volpi, pointant « son intransigeance morale ; son catholicisme ; son conservatisme ». Le memento mori se double d’un règlement de compte, voire du meurtre symbolique du père, au service d’une accession à la liberté de son moi, même s’il est bien entendu déterminé par sa biochimie. Néanmoins, l’hommage filial, non sans tendresse, reste sans cesse palpable : « « je suppose que j’écris des livres parce que j’aspire à prolonger son engouement pour la narration »…

      Le cosmopolite Jorge Volpi se fit remarquer par un vaste roman qui aurait pu être écrit par un américain ou un allemand érudit tant en histoire contemporaine qu’en physique : A la recherche de Klingsor[6]. Il y brassait l’épopée nazie à l’occasion d’une quête acharnée du responsable secret du projet atomique hitlérien par les alliés. On pense à d’autres fresques romanesques voisines comme celle de l’américain Vollmann dans Central Europe[7]. Fidèle à son tropisme géopolitique, Le Temps des cendres ne dément pas cette ambition romanesque grimpée sur l’escabeau de l’histoire et de la philosophie politique, où s’acharnent et tombent héros et anti-héros. Essayiste et romancier abondant, Jorge Volpi céda aux moutons de Panurge en écrivant un Contre Trump[8]. Sans nul doute, il y a quelque chose de plus authentique dans la démarche inaugurée par Examen de mon père. La littérature n’étant pas faite pour seulement briller comme un nouveau Tolstoï au sommet de la guerre et de la paix, il convient également de lire et de projeter vers son lecteur un cerveau réalisé, tant sous forme de corps que de livre. Ainsi faut-il souhaiter que soit bientôt traduit son essai Leer la mente[9], sous-titré « le cerveau et l’art de la fiction ».

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Le Temps des cendres a été publiée dans Le Matricule des anges, mars 2008.

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2 avril 2018 1 02 /04 /avril /2018 12:38

 

Globe martien. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Après Thomas More,

Alberto Manguel & Thierry Paquot,

les utopies politiques et totalitaires

d’Aymeric Caron & Fredric Jameson.

 

 

Alberto Manguel : Voyages en utopie,

traduis de l’anglais par Christine Le Bœuf, Invenit, 2017, 104 p, 28 €.

 

Thierry Paquot : Utopies et utopistes, La Découverte, 2007, 128 p, 10 €.

Aymeric Caron : Utopia XXI, Flammarion, 2018, 518 p, 19,90 €.

 

Fredric Jameson : Archéologies du futur,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nicolas Vieillescazes,

Amsterdam, 2021, 576 p, 28 €.

 

 

 

La terre d’Utopie ne serait-elle qu’une plaine roussâtre, rocheuse et stérile, sur une vieille planète Mars sans air ? En d’autres termes, l’utopie ne débouche-t-elle que sur la dystopie ? Pourtant, depuis Thomas More, en 1516, on eut plaisir à l’imaginer comme une île prospère et fleurie par la communauté des hommes sur laquelle veille un sage gouvernement. Imaginer une utopie, la rêver, est une constante atavique et récurrente de l’humanité, au point de tenter pallier son seul fantasme en postulant une utopie concrète et atteignable, comme le montre la délectable compilation du Voyage en utopies par Alberto Manguel. Qui doit être complété par l’essai de Thierry Paquot, titré Utopie et utopistes, à l’occasion duquel l’on doit se demander s’il s’agit de cité radieuse ou de caserne du totalitarisme. Le dernier en date de nos philosophes, quoique certainement pas l’ultime au regard de l’avenir, se nomme Aymeric Caron. Fort ambitieux, son Utopia XXI ne prétend rien moins que d’effectuer une « mise à jour » de l’Utopia de Thomas More, quitte à en amplifier la dimension totalitaire. Reste qu’une indéfectible persistance de la pensée utopique irrigue l’humanité, comme en témoigne le copieux essai de Fredric Jameson : Archéologies du futur, dont le titre joliment paradoxal cache à la fois un entêtement communiste et de riches perspectives science-fictionnelles.

Si l’on excepte l’utopie platonicienne de la République, dans laquelle « nul bien ne sera la propriété privée d’aucun d’entre eux », c’est-à-dire des seuls « gardiens » qui « vivent en communauté[1] », l’utopie nait en 1516 sous la plume de Thomas More : cette île abrite un gouvernement idéal, où le travail est obligatoire, où les richesses sont égales et en commun, donc sans propriété privée ; quoique, devant l’exposé de Raphaël, Thomas More doute fortement des capacités de chacun à fournir un réel travail s’il n’en tire pas un bénéfice personnel. L’on devine qu’individualisme et liberté sont là des vains mots.

Cinq siècles plus tard, Alberto Manguel fait justement de cette Utopia le point nodal et germinatif de son Voyage en utopie, au cours de vingt grands textes, jusqu’au Nutopia de John Lennon et Yoko Onno en 1973. Les uns sont fort connus, restant des indispensables de nos bibliothèques de l’imaginaire politique, les autres sont des découvertes. Même si les résumés et commentaires perspicaces d’Alberto Manguel mériteraient d’être complétés par quelques pages des ouvrages évoqués (mais il faudrait voguer du côté de son anthologie des Voyages imaginaires[2]), voici un ouvrage somptueux, élégamment mis en page, généreusement illustré par les gravures anciennes venus de ces livres parfois rares. En ces pages, « L’Atlantide de Platon inaugure une merveilleuse géographie imaginaire ». Âge d’or, cité d’argent, Lilliput, voire Poudlard, sont à la lisière de l’en-deçà temporel et de l’ailleurs géographique, toujours introuvables, des cosa mentale, des lieux de nulle part : u-topos.

Outre l’absence remarquable de Marx, quoiqu’il n’eût pas réellement dressé de portrait d’un lieu imaginaire où son communisme prendrait ses assises, dans la mesure où il destiné à occuper l’Europe et au-delà, l’on peut s’étonner qu’Alberto Manguel oublie Erewhon[3] (1871) de l’Anglais Samuel Butler, qui présente au-delà des montagnes néo-zélandaises la cité des dix tribus perdus d’Israël, apparemment heureuse, quoique étrangement tyrannique.

Au-delà de Thomas More, et parmi ces mondes qui prétendent souvent cultiver la raison, comme la Nouvelle Atlantide de Francis Bacon (1627) construite autour d’une bibliothèque, l’on trouve cependant un Nouveau monde amoureux fondé sur la liberté sexuelle par Charles Fourier en 1816, une cité ouvrière nommée « Familistère » par André Godin, en 1871, une utopie féminine, Herland, par Charlotte Perkins Gillman[4], en 1915.

Mais de Thomas More à Karl Marx, qu’Alberto Manguel omet à dessein au profit de l’Icarie d’Etienne Cabet, en 1842, en passant Tommaso Campanelle et sa Cité du soleil, en 1623, et par Restif de la Bretonne et sa Découverte australe, en 1781, la dimension communautaire de l’utopie se dément rarement. De même que la révocation de la propriété privée et de l’individualisme, comme chez Robert Owen, en 1837. Seule l’abbaye de Thélème de François Rabelais, en son Gargantua de 1534, semble privilégier la liberté : « Fay ce que vouldras ».

 

Superbe, l’album d’Alberto Manguel trouve son indispensable complément dans l’essai de Thierry Paquot titré Utopies et utopistes. Il est construit de manière plus thématique qu’historique. Comme de juste, il inaugure son étude avec Thomas More et son « pays du bonheur ». Il s’attache ensuite à montrer combien ce modèle a nourri philosophes et écrivains, combien il est « la matrice des utopies ». Non sans nuancer ce dernier propos en revenant à La République de Platon. Le couple travail et loisir fait l’objet d’une attention prépondérante chez nos utopistes, de façon d’une part à éviter l’aliénation et d’autre part à développer l’individu dans ses plaisirs et ses études. Pour ce faire, si la science et l’industrie sont libératrices, il n’est pas certain que la liberté individuelle y gagne, entre « autonomie et collectivisme ». Autres préoccupations obsessionnelles, éducation, famille et sexualité font l’objet de chastes directions ou de permissivité selon les auteurs. Evidemment, l’utopie étant une vue de l’esprit, elle devra être visible dans l’espace, d’où l’importance considérable du projet architectural. Cité idéale ou radieuse, village communautaire ou prison dorée, elle devient avec Charles Fourrier « familistère » et « phalanstère » : il faut créer un vocabulaire adéquat qui en sera le reflet. Enfin il s’agit de dessiner les liens qui unissent utopie, fantastique, merveilleux et uchronie.

Mais, comme le prouve l’essai d’Aymeric Caron, il n’est pas certain qu’il y ait « désaffection des utopies ». Les régimes totalitaires du XX° siècle, les tyrannies théocratiques et les romans anti-utopiques de Zamiatine, Huxley et Orwell n’ont visiblement pas servi de leçon. Reste à trouver ce qui dans l’utopie permet d’échapper aux absolutismes, aux monopoles, aux collectivismes. Ainsi conclut Thierry Paquot : « L’utopie revient alors à rêver un avenir qui échappe aux puissantes forces de la globalisation du productivisme épaulées par celles du big data et du tout numérique ». Il est à craindre ce faisant que c’est trop facilement oublier la force des idéologies, y compris de celle de la décroissance…

Réveillant de beaux endormis, des auteurs oubliés, l’essayiste informé nous invite à la découverte de Francis Bacon, Fénelon, Denis Diderot, Sébastien Mercier, Robert Owen, Saint-Simon, Charles Fourier, Edward Bellamy, William Morris, pour citer les principaux. Indubitablement, avec Utopies et utopistes, Thierry Paquot fait office de pédagogue en ce manuel qui couvre un large spectre, mot à lire dans ses deux sens : il va du songe iréniste au cauchemar totalitaire, en passant par une rationalité soumise à caution.

Souvenons-nous que Thomas More, écrivant son Utopia en 1516, avait confié le soin de brosser le tableau du bonheur politique au personnage de Raphaël. Vie en commun, vêtements uniformes, travail et loisirs studieux, éducation gratuite pour hommes et femmes, quoique ces dernières soient soumises à leurs maris selon le vœu de Saint-Paul, esclaves seulement pris sur des assaillants pour exécuter les tâches pénibles et sordides, tout parait raisonnable et heureux. À moins que le ver soit dans le fruit. Car Thomas More lui-même objecte enfin : « le pays où l’on établirait la communauté des biens, serait le plus misérable de tous les pays. En effet, comment y fournir aux besoins de la consommation ? Tout le monde y fuira le travail et se reposera du soin de son existence sur l’industrie d’autrui[5] ». Cette définition sans fard du socialisme a le mérite de montrer que Thomas More, loin d’être l’absolu thuriféraire de son Utopie, garde jusqu’à la conclusion son scepticisme : s’il « confesse aisément qu’il y chez les Utopiens une foule de choses  que je souhaiterais voir établies dans nos cité », il ne peut « consentir à tout ce qui a été dit par cet homme », en particulier cette « communauté de vie et de biens[6] ».

Il ne semble pas qu’Aymeric Caron, qui se prétend pourtant bien au fait de son modèle, au point d’en emprunter la carte en sa couverture d’Utopia XXI, tienne compte de cette prémisse autocritique du fondateur de l’utopie. Serons-nous aussi bienveillants que lors de son utopie animale et antispéciste[7], en abordant son utopie politique, Utopia XXI ? Car comme dans Antispéciste, où il s’en prend au « consentement à l’inégalité » et au « néolibéralisme », il fait preuve d’une connaissance non négligeable, mais pour le moins biaisée du libéralisme économique et des penseurs libéraux[8]. Car en affirmant que « l’économie libérale ne libère pas », que « le communisme a échoué, le libéralisme également », il méconnait combien nos sociétés et nos libertés sont redevables du libéralisme, politique et économique, qui fait tant défaut aux pays opprimés par les tyrannies politiques et religieuses, par l’absence de droit de propriété et de liberté d’entreprendre.

« Il sera une fois un monde nommé Utopie qui aura pour priorités le bonheur de chacun et la progression morale de l’humanité ». Nul ne peut s’empêcher de souscrire à ce but ; reste à s’accorder sur les moyens et les conditions du bonheur sans omettre les entendus de cette morale. « Les postes de pouvoir seront attribués à des citoyens désintéressés », « un permis de voter sera instauré » ; car il faut « avoir vérifié au préalable la capacité de chacun à émettre un avis pertinent » ! Certes le vote n’est guère un garant de démocratie libérale et éclairée, et les votants loin d’être réellement informés des tenants et des aboutissants d’une vaste question politique, mais pire est cette décision de n’admettre auprès des urnes que ceux bravement nantis d’une pensée politiquement correcte et identique à la doxa. Totalitarisme, vous dis-je !

 Rêvons encore : « Le gouvernement sera le garant de la liberté maximale pour chacun », « libres de devenir qui nous sommes, de ne plus subir la loi d’un supérieur incompétent et vicieux »… Si un tel objectif, plus que respectable, doit être poursuivi, c’est hélas méconnaître la nature humaine qui n’est pas meilleure chez les opprimés que chez les oppresseurs.

Il y a quelque chose du libéralisme politique en cette Utopia XXI, par exemple la proposition de souhaiter le moins de lois possibles, mais rien du libéralisme économique, plutôt son contraire. Si la « propriété privée lucrative » est interdite, voici la prémisse d’une absence de liberté de pensée et d’expression, puisque l’on ne peut la développer comme on l’entend, hors d’un « communisme » apparemment raisonnable, informé et omniscient qui gère la distribution des logements, les hôpitaux… Même si Aymeric Caron prend le soin de se distinguer du communisme soviétique, l’on reste méfiant devant son enthousiasme social. En effet il faut craindre un monde où « la publicité commerciale est interdite », où « l’activité économique est planifiée [et] dépend entièrement du gouvernement », même si une « activité économique libre » peut subsister sur un « marché secondaire », ô contradiction, ô retour de la Nouvelle Politique Economique de Lénine, ô boulgui-boulga !

Il est question de famille et de mariage, plus libres, mais aussi d’écologie intégrale, où arguer du « terrorisme » de Monsanto, de son agent orange (certes tueur pendant la guerre du Vietnam), de ses herbicides au glyphosate et de ses OGM, ce qui sent le relativisme scientifique et pèse ridiculement devant la réalité du terrorisme de l’Islam, ici minimisé à la limite du négationnisme, alors qu’il s’agit là d’une intention avérée de tuer. On n’échappera pas aux lourdes diatribes anti-Trump[9], à la haine des « marchés », à l’hyperbole abjecte qui fait du néolibérarisme « un totalitarisme », alors qu’il a le culot éhonté d’affirmer que l’économiste et philosophe libéral Hayek aurait cautionné sa thèse burlesque…

Dans un panier de fruits enchanteurs aux quinze heures de travail par semaine, se cachent les serpents : « la spéculation sera interdite », « dominera le principe de la collaboration, à savoir un échange équilibré entre partenaires ». Qui décidera de cet équilibre, quid de celui à qui répugne la collaboration, pourquoi interdire une spéculation intellectuelle et financière qui permet d’investir, y compris individuellement, vers le plus judicieux et le plus rentable ? « Prospérité sans croissance » (autrement dit sans innovations), « économie collaborative », donc sans individualisme, donc sans liberté !

 

 

Certes, notre essayiste politique a lu, outre Thomas More, George Orwell et Hannah Arendt, Locke, Montesquieu et Adam Smith, mais que penser d’une telle mesure : « un gouvernement mondial sera mis en place » ? C’est placer tous ses œufs dans un même panier, supposer que la perfection est une et humaine, préparer le totalitarisme au dépens d’autres contrées où expérimenter d’autres voies…

« La propriété privée sera restreinte », « l’argent sera utilisé en priorité pour des causes humanitaires »… Ignore-t-on ainsi que la source de l’impôt se tarissant faute d’activité économique libre justement récompensée, cette redistribution humanitaire contribuera à l’égalité dans la pauvreté, comme il fut d’usage dans les pays communistes, et comme il n’est pas si loin d’apparaitre en France… Ce qui est contradictoire avec le « chacun pourra choisir l’utilisation de ses impôts », d’autant qu’ « un revenu universel et un salaire minimum seront instaurés »

« Les menteurs seront bannis du débat public », quoiqu’en terme de vérité morale, voire de vérité scientifique, le mensonge devienne en un tel régime le masque de la contradiction et de la pensée hétérodoxe… Sans oublier qu’un « gouvernement des experts » n’empêcherait en rien l’erreur, l’idéologie et la tyrannie aux soins d’un Léviathan prétendument bienveillant, cependant bien coûteux et étouffant.

Piochons une ou deux bêtises parmi cent. Un salaire universel de 2000 euros par mois, mais limité à 10 000 ; on devine la tyrannie et l’inefficacité économique d’une morale fondée sur une justice sociale et une relative égalité qui ne tienne pas compte des potentialités aussi bien paresseuses que laborieuses et créatrices des individus. Ou « l’ère du plein-emploi est définitivement derrière nous. Nous venons d’entrer dans l’ère du vide emploi ». Certes si l’on évite de regarder les réussites de notre proche voisin la Suisse, et de bien d’autres !

Ainsi l’on se fatiguerait inutilement à relever et débouter les incohérences et les contre-vérités de notre utopiste échevelé, sur la fraternité obligatoire, sur la religion des terroristes « qui sont de parfaits ignares en matière religieuse », alors qu’ils appliquent le message génocidaire du Coran, sur « le combat pour la laïcité » qui est « chasse aux différences » ! Passons sur « le quotient de bonheur [qui] remplacera la croissance et le PIB » (on imagine les difficultés de la définition), craignons les principes selon lequel « les naissances seront limitées », ou « la richesse de chaque citoyen sera plafonnée ». Malgré la priorité donnée « à l’éducation et à l’information », pourra-t-on lire et débattre les auteurs et les citoyens aux pensées contraires ? Qu’en sera-t-il alors de cette « désobéissance civile » empruntée à Thoreau et vantée par notre puéril utopiste ?

Si l’utopie animale d’Aymeric Caron n’est au nom du welfarism pas tout à fait inatteignable, quoique un brin négatrice de la chaine alimentaire qui fait des animaux des prédateurs les uns des autres, empêchant totalement l’homme de devoir s’en déprendre, son « Utopia XXI » politique et sociale à la composition brinquebalante, est rapidement aussi brunâtre qu’une plaine martienne, même nantie des lettres d’or d’« Utopia ». Thomas More, fondateur du genre, était moins naïf et plus rigoureux dans sa composition, tout en affectant la même rigueur à ses Utopiens, et surtout plus critique de son système. Il est vrai que toute utopie est un rêve qui ne sera cru que par ceux qui voudront bien être abusés. Aussi il est à craindre que notre utopiste de l’aube du XXI° siècle n’aura guère, selon son vœu pieux, « réhabilité l’utopie ». Malgré ses imperfections nombreuses, la démocratie libérale est encore ce qui permet et promet avec plus de sérieux et de bonheur un réel ferment de libertés.

   Pourtant l’on continue à croire en l’utopie. Peut-être est-elle nécessaire, comme le rêve, le désir, peut-être est-elle l’espace d’imaginaire inaliénable pour ceux qu’aucun temps et a fortiori notre temps ne satisfont pas. C’est la position de l’Américain Fredric Jameson, qui s’est déjà signalé par une somme sur le postmodernisme[10]. Avec Archéologies du futur, il creuse le filon de son rejet du capitalisme, coupable, forcément coupable des crises que nous traversons, et récuse l’association de l’utopie avec le totalitarisme. La foi entêtée envers l’idéal d’un communisme qui n’a existé que dans les rêves est indéfectiblement pérenne, alors que le Manifeste de Karl Marx s’achève sur des propositions totalitaires[11]. De plus l’essayiste prétend que le capitalisme « défait inlassablement toutes les avancées sociales », alors que, même s’il ne faut pas nier un rôle positif des organisations syndicales, c’est ce capitalisme, surtout s’il est libéral, qui les a permises. Comme le besoin de transcendance, celui d’utopie est une constante de l’esprit humain, tant il s’agit de caresser le rêve ou d’être fouaillé par la libido dominandi, cette nécessité de dominer autrui, soit la pulsion totalitaire.

Fredric Jameson n’ignore ni Thomas More, ni « le principe d’espérance » de Marc Bloch, non sans esprit philosophique et critique. En un mot la culture utopique déployée dans tout son fort ouvrage est considérable, nanti de force citations et notes, même si l’argumentation semble parfois sinueuse, erratique. Sans cesse la glu du socialisme et du collectivisme, du communisme le plus radical et farouchement opposé à la propriété privée, à la suite de Tchernychevski et de Lénine[12], imprègne de manière obsessionnelle son discours.

 Il y a cependant dans l’ouvrage ambitieux de Fredric Jameson d’originales perspectives science-fictionnelles qu’il ne faudrait pas écarter d’un revers de main. Les utopies de William Morris, proche du luddisme, les « écotopies » d’Ernst Callenbach et d’Ursula Le Guin, nettement moins dystopiques, jalonnent sa pensée, puisqu’il a bien compris l’apport de la science-fiction à la problématique utopiste. Une foule de rapprochements étonnants émaille la réflexion de l’essayiste, comme lorsqu’il assimile « l’élan utopique » à des « satisfactions esthétiques », telle celle d’Odette Swann, chez Marcel Proust, dont les robes recèlent des détails exquis.

L’essayiste revisitant en connaisseur les classiques de la science-fiction, tels Philip K. Dick, Brian Aldiss ou Van Vogt (mais il y manque un index), il nous fait heureusement découvrir des sommes moins usitées, telle cette trilogie de Kim Stanley Robinson, Red Mars, Green Mars, Blue Mars[13] (aux couleurs politiquement symboliques) dans laquelle la terraformation de la planète s’accompagne d’une ossature historique et politique, au service d’une « communauté biotique », dont la première présidente et ingénieure porte le nom de « Chernechevsky, rappelant l’inspirateur russe du bolchevisme le plus violent et totalitaire, et où ne manquent pas les dissidents. Cette « postcolonialité » anticapitaliste est fort loin de « l’universalité marchande qui imprègne les Etats-Unis ». Nous serons cependant touchés, comme Fredric Jameson, par « sa capacité à imaginer des œuvres d’art proprement utopiques », telle la ville de « Médusa » ou « l’Eolie », construite à « Noctus Labyrinthus », dont la musicalité est quasi-aléatoire.

Si l’utopie a un lointain passé splendide et illusoire, un passé plus proche dont le basculement dans la dystopie ne fait plus de doute, son présent et son avenir restent attachés à une perspective tyrannique, désirée, consentie par leurs propagandistes pour lesquels la propriété privée et le libéralisme sont des épouvantails honnis. À moins que de douces utopies, comme celle d’Ecotopia d’Ernst Callenbach[14] puissent nous laisser espérer l’accord de l’humanité, de la science et de la nature, sans attenter, espérons-le, à la liberté.

   Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Platon : La République, IV, 416 d, e, Œuvres complètes, Flammarion, 2008, p 1580.

[2] Alberto Manguel : Voyages imaginaires, Bouquins, Robert Laffont, 2016.

[3] Samuel Butler : Erewhon, L’Imaginaire Gallimard, 1981.

[5] Thomas More : L’Utopie, Nouvel Office d’Edition, 1965, p 70.

[6] Thomas More : L’Utopie, ibidem, p 182 et 183.

[10] Fredric Jameson : Le Postmodernisme et la logique culturelle du capitalisme tardif, Beaux-Arts de Paris éditions, 211.

[13] Kim Stanley Robinson, Mars la rouge, Mars la verte, Mars la bleue, Pocket, 2003.

 

Photo : T. Guinhut.

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31 mars 2018 6 31 /03 /mars /2018 10:39

 

Château de Montreuil-Bonin, Vienne. Photo : T. Guinhut.
 

 

 

L’Histoire d’une vie et des Partisans,

une résistance biblique et humaniste

d’une stupéfiante clarté

par Aharon Appelfeld.

 

 

 

Aharon Appelfeld : Les Partisans,

traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti,

L’Olivier, 2015, 320 p, 22 €, Points, 336 p, 7,40 €.

 

Aharon Appelfeld : Des Jours d’une stupéfiante clarté,

traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti, L’Olivier, 2018, 272 p, 20,50 €.

 

Aharon Appelfeld : Histoire d’une vie, traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti,

L’Olivier, 2004 ; Points, 224 p, 6,50 €.

 

Aharon Appelfeld : Mon père et ma mère,

traduit de l’hébreu par Valérie Zenatti, L’Olivier, 2020, 304 p, 22 €.

 

 

      Hannah Arendt fit scandale lorsque dans Eichmann à Jérusalem[1] elle fit remarquer la passivité, « l’humble soumission », des Juifs dans les ghettos face à la volonté génocidaire nazie. Ainsi, on a « attesté de la coopération entre les dirigeants nazis et les autorités juives », pire, « les Juifs avaient dégénéré au point d’aller à la mort comme des moutons à l’abattoir[2] ». L’on sait toutefois que des actes de résistance désespérés furent menés. Ainsi, parmi les marges de l’Ukraine, l’écrivain hébreu Aharon Appelfeld met en relief les actions héroïques au dénouement heureux d’une poignée de Partisans, lors les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale. Puis, lors de la libération des quelques Juifs survivants, il va jusqu’à ouvrir une soudaine fenêtre sur Des Jours d’une stupéfiante clarté. Tout cela, bien sûr, dans une évidente cohérence avec son œuvre fondatrice : Histoire d’une vie. Car chez lui, face aux ruines de l'Histoire, tout est résistance biblique et humaniste.

 

      L’adolescent Edmund, dix-sept ans, enserre son récit parmi les plaines, « dans le pays de l’eau », puis sur une cime montagneuse des Carpates où se réfugient une poignée de jeunes hommes, qui trouvent un gite précaire dans des bunkers et sous des tentes. Se cacher, se nourrir, se soigner, progresser, attaquer soudain : tel est le quotidien de ces « Partisans », d’abord échappés du ghetto. Selon Kamil, le commandant, la mission est claire : « nous devons faire dérailler les trains qui conduisent les Juifs vers les camps […] chaque Juif arraché aux griffes de ces prédateurs sera une fête ». Ils parviendront en effet à « sauver une poignée de gens précieuse ». Ponctué d’escarmouches, de combats parfois meurtriers, harcelés qu’ils sont par les Allemands et des Ukrainiens qui collaborent avec ces derniers, le récit emprunte sans pathos ni grandiloquence, une discrète mais nécessaire tonalité épique.

      Parmi ces partisans, les uns sont comme Karl, « un vrai croyant communiste » bardé d’illusions, les autres sont membres des Jeunesses sionistes. Outre les engagements religieux et politiques, les questions éthiques pullulent. Est-il juste de voler sa nourriture aux paysans ? Faut-il dire la vérité sur les camps à un enfant ? « Nous voulons nous transformer et changer le monde qui nous entoure », plaident-ils au milieu d’une Europe prise en tenaille par les Allemands et les Soviétiques, ces derniers apparaissant cependant comme des forces salvatrices. Il est alors évident que la « cime » où les partisans soignent les rescapés prélevés aux trains de la mort est une cime morale, qui « a élargi [leur] conscience », où règnent l’amour et la bonté, où l’on peut « produire du Bien et de la beauté » ; ce malgré le médecin enlevé qui rechigne à la tâche, malgré cet officier nazi agonisant qui a obéi à la banalité du mal[3], malgré les morts sous les obus allemands…

      Sans omettre celui de leur famille, ces ex-lycéens ou étudiants souffrent d’un réel manque : « Livres, livres, où êtes-vous ? Avez-vous seulement existé ? » Aussi la découverte de nombreux volumes, Bibles, mais aussi Crime et châtiment de Dostoïevski, qu’il faut lire « comme on lit un texte sacré », les poèmes de Rilke ou Heine, dans une maison dévastée, est-elle fêtée. Martin Buber est soudain le « guide des égarés de notre génération », car le peuple du Livre sait que « vivre privé de livres équivaut à une mutilation ». Une réelle élévation intellectuelle et spirituelle se fait jour, au point que Stefan Zweig paraisse maintenant « candide » à l’un des partisans. Il y n’y a pas en effet de civilisation sans haute culture ouverte.

      Le récit des Partisans est tendu, maîtrisé, haletant, semé de péripéties guerrières et d’aventure, en un documentaire historique vivant. Serein cependant, car la certitude d’une cause juste soutient ces jeunes héros. Cependant, l’intérêt serait moindre si ne s’y incrustait le substrat biblique. La foi en effet soutient nos personnages, mais pas un instant comme un délire fanatique : « Nous allons conserver un visage humain, et nous ne laisserons pas le Mal nous défigurer ». En toute logique, l’on n’a pas « de grief contre Dieu qui ne fait pas régner la justice en ce monde, mais contre les hommes qui ne méritent pas le qualificatif d’hommes ». Une mission sacrée s’impose alors : « Nous avons été témoins de la révélation du Mal, et Dieu nous a choisi pour prendre la tête du combat contre lui ». Religieux, athées ou agnostiques lecteurs, nous savons aujourd’hui encore le poids de vérité d’une telle profession de foi.

      Peut-être est-il le personnage principal : Edmund pense à ses parents disparus, rêve encore d’Anastasia, son amour perdu qui n’était pas Juive, tout en parcourant les étapes de l’initiation qui fait de lui un combattant aguerri. Entre souvenirs familiaux et mémoire juive, entre combats et lecture, entre chronique et dimension mythique, Les Partisans, roman d’éducation en des temps troublés, agit comme un philtre de force et de charité. À moins qu’il faille lire ce récit comme une autre parabole, celle de la résistance d’Israël devant l’oppression arabe…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Pour le rare rescapé des camps nazis, le temps du retour est enfin venu. Plutôt que de suivre ses camarades, le jeune Théo décide de partir seul, à pieds, pour rejoindre sa maison. La modeste odyssée prend rapidement les couleurs d’une découverte des paysages de l’Europe centrale, autant que, là encore, d’un roman d’initiation. Il s’agit, après la noirceur et la famine d’une longue captivité à l’ombre de la mort omniprésente, de Jours d’une stupéfiante clarté.

      Des figures hantent notre adolescent. Outre les déportés fantomatiques qui rôdent, ceux qui, en une justice plus ou moins raisonnée, châtient les « collabos » pitoyables, d’autres plus lumineuses l’apaisent : le souvenir de sa mère, splendide et pleine de vie, amoureuse de Bach, des icônes et du luxe, cependant capricieuse, dépensière et pleine d’ « intranquillité » ; et de son père, libraire bientôt ruiné, qu’à l’occasion de sa rencontre avec Madeleine qui l’a connu, il peut redécouvrir, et comprendre. Parmi son lent voyage erratique, il se charge de recueillir dans une cabane à soldats, puis soigner, Madeleine avec compassion. Il croise les affres et la bonté d’anonymes, d’infirmières, qui sont comme des figures maternelles dévouées et idéalisées : car « nous sommes le peu qui reste d’une multitude »…

      Au cours du récit sans cesse empreint d’humanité, l’écriture limpide sait éclairer avec ses nuances « dénuées de pathos » autant l’horreur passée du « peuple supplicié » que les clartés des souvenirs et celles nouvelles -et lumineusement bibliques- des espaces de la liberté et de l’entraide ; ce sont « de beaux jours et des visions qui nous réchauffent le cœur ».

      Mais en ce récit apparemment évident comme une parabole, en ses ombres et ses lumières errantes d’une société en voie de reconstruction, la dimension symbolique affleure, s’impose. La mère disparue de Théo, littéralement amoureuse des icônes et de la musique de Jean-Sébastien Bach, quoique juive, est la vaine allégorie d’une acculturation dramatique, d’une impossible accession à la culture judéo-chrétienne, que l’assignation à une infâme judéité par le nazisme allemand rend inaccessible, impensable. Probablement d’ailleurs elle ne reviendra pas de quelque camp que ce soit, comme permet de le deviner la fin ouverte. Enfin, le récit nous laisse dans l’ignorance de ce que Théo, au prénom signifiant, trouvera en revenant dans sa maison familiale. Probablement personne, le condamnant à inventer sa solitude ; ou, comme Aharon Appelfeld lui-même, à émigrer vers Israël, où se construire dans une nouvelle communauté, apprendre une nouvelle langue, l’hébreu, et bientôt défendre ce pays qui devient intimement le sien. L’histoire de Théo, publiée en 2014 en Israël, plus fictionnelle que le récit fondateur de l’écrivain, n’en est pas une redite superflue, mais une variation riche de pertes, d’espoirs et d’hommages.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     Dans Histoire d’une vie, son œuvre autobiographique emblématique, il racontait avec effroi et finesse son enfance à l’abrupte croisée du totalitarisme nazi. D’abord son internement dans le ghetto, enfin un camp de travail à la frontière ukrainienne, avec son père, à la frontière ukrainienne ; mais aussi sa fuite, à l’âge de dix ans, parmi les forêts sombres où il vit une éprouvante errance. Providentiels, des paysans le recueillent. À douze ans, à l’occasion du crépuscule des dieux nazis, sa décision de quitter l’Europe pour rejoindre la Palestine est indéfectible. Là encore se déroule un voyage, parmi le tohu-bohu des camps de rescapés, sur le bateau qui fait route à travers la Méditerranée : c’est l’occasion de rencontres fugaces, pathétiques, impressionnantes, entre enfants égarés et adultes protecteurs ou crapuleux. La terre promise est celle d’une école d’agriculture, du service militaire…

      À l’arrachement géographique répond l’arrachement linguistique. Quand l’allemand et le yiddish sont langues maternelles, il faut à la fois les conserver et les abandonner, comme si sa « mère mourrait une seconde fois », et se propulser dans l’hébreu qui est constitutif de l’identité israélienne. Heureusement, sa formation universitaire se verra irriguée par la rencontre de rayonnants intellectuels comme Martin Buber et Samuel Joseph Agnon.

      Mais à l’écrivain en gestation, il fallut un effort, une alchimie, au cœur du processus de remémoration : « La mémoire est fuyante et sélective, elle produit ce qu’elle choisit. [...] La mémoire, tout comme le rêve, saisit dans le flux épais des événements certains détails, parfois si signifiants, les emmagasine  et les fait remonter à la surface à un moment précis. Tout comme le rêve, la mémoire tente de donner aux événements une signification ». En effet, il ne s’agit là que partiellement d’une autobiographie, pas toujours chronologique, dans laquelle la judaïté n’est qu’un fantôme, venu de ses grands-parents fort pratiquants, d’une synagogue à l’impressionniste visibilité, et qu’il faudra revivifier au cours de ses études sur la terre biblique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Aussi, la sélectivité de l’écriture est nécessaire, parfois forcée : « Il y avait des horreurs qu’on détaillait, et d’autres dont personne n’osait parler ». Une éthique, de l’ordre de la rédemption, innerve la réflexion : « Les premiers mots de ma main furent des appels désespérés pour trouver le silence qui  m’avait entouré pendant la guerre et pour le faire revenir vers moi. Avec le même sens que celui des aveugles, j’ai compris que dans ce silence était caché mon âme et que, si je parlais à le ressusciter peut-être que la parole juste me reviendrait. » Une telle méditation peut d’ailleurs être pensée comme un écho à l’excavation par l’écriture chez Franz Kafka[4]. Il faut alors dépasser le plat déroulé des faits pour allumer chez son lecteur une vibration qui est celle de la connivence, mais aussi d’une dimension supérieure, presque biblique : « La littérature est un présent brûlant, non au sens journalistique, mais comme une aspiration à transcender le temps en une présence éternelle ».

      Le rôle de l’écrivain, à la fois mémoriel et créateur, ne doit cependant pas, pour Aharon Appelfeld, être contraint par quelque interdit, quelque diktat que ce soit : « Ils prétendaient que sur la Shoah, il n’y avait pas lieu de composer des poèmes, d’inventer des histoires, mais qu’il fallait évoquer des faits. Ces remarques qui contenaient une certaine vérité et aussi une dose de méchanceté, me blessaient, même si je savais qu’une longue route m’attendait, et que je n’en étais encore qu’au commencement ». Au-delà de l’injonction d’Adorno, selon laquelle la poésie serait morte à Auschwitz, une réelle liberté narrative -car un récit comme celui Des jours d’une stupéfiante clarté a quelque chose du poème en prose- est en quelque sorte un prélude à une philosophie de la Shoah[5].

        Parmi les romans plus ou moins autobiographiques de notre cher Aharon, il y a place autant pour le bruit des civilisations malheureuses que pour la nostalgie familiale. Ainsi, dans Mon père et ma mère, il relate des vacances estivales en Europe centrale. Villégiature heureuse au milieu de personnages curieux, une amatrice de l'avenir dans les lignes de la main, un écrivain plus mondain qu'attaché au travail, une amoureuse, un homme estropié, l'ombre de l'Histoire s'amasse comme de sombres orages, puisque nous sommes en 1938...

 

      L’écrivain juif, né en 1932, vient hélas de décéder. Né comme le poète Paul Celan[6] à Czernowitz, en Bucovine, en 1932, celui qui vécut comme le Hongrois Kertész[7] une partie de son enfance dans les camps nazis, puis réussit à s’en échapper à dix ans, a définitivement été citoyen israélien, enseignant la littérature à l’Université Ben Gourion, non sans regretter avec amertume la vigueur du sionisme ainsi que la haine du monde arabe envers sa nation. Laissant au contraire de Celan derrière lui la langue allemande, Aharon Appelfeld a publié en une longue ascèse lumineuse une douzaine de livres, chez nous presque tous traduits, parmi lesquels La Chambre de Mariana ou Badenheim 1939. Autobiographie, conscience juive et témoignage de l’Histoire universelle nourrissent ses récits et romans. Faut-il penser que Les Partisans, mémoire combattante et de chaleur amicale et spirituelle, est l’un de ses plus beaux livres ? Probablement s’agit-il d’une parabole biblique venue de L’Exode, une nouvelle exode dont si peu de Juif revinrent, dont la « cime » est peut-être une métaphore du mont Sinaï où Moïse reçut les tables de la loi. Voilà qui témoigne d’un peuple élu, non pas seulement par un Dieu qui n’est peut-être que fiction, mais par ses qualités intellectuelles et humaines.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

Gustave Doré : L'armée de Pharaon engloutie par la Mer rouge, 1866.

Photo : T. Guinhut.

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18 mars 2018 7 18 /03 /mars /2018 18:10

 

Montagne de Salières, Antignac, Haute-Garonne.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

 

L’enchantement musical de Schubert

et du Voyage d’hiver

par Ian Bostridge, Matthias Goerne

et Vladimir Jankélévitch.

 

                                                                                                  

Ian Bostridge : Le Voyage d’hiver de Schubert,

traduit de l’anglais et de l’allemand par Denis-Armand Canal,

Actes Sud, 450 p, 29 €.

 

Vladimir Jankélévitch : L’Enchantement musical,

Albin Michel, 304 p, 21,50 €.

 

 

 

 

 

      Les pas du voyageur crissent dans la neige, le vent se glace et tournoie, le ciel se charge de nuées parmi les montagnes. Les solitudes d’un voyage d’hiver empruntent une musicalité sauvage, alors qu’une mélodieuse mélancolie s’empare des Lieder de Schubert. Musique à programme, musique illustrative, acmé de l’émotion poignante, et cependant enchanteresse, tel est Le Voyage d’hiver de Franz Schubert, composé en 1827, un an avant sa mort. Non seulement le ténor Ian Bostridge le chante avec ardeur, mais il nous en offre une bible, sous-titrée « Anatomie d’une obsession ». À moins de préférer le baryton Matthias Goerne, qui, au-delà du seul Voyage d’hiver, chante à merveille tous les lieder de Schubert. D’où un « enchantement musical », dont Vladimir Jankélévitch a tenté inlassablement de nous délivrer les secrets.

      Au départ, naît un recueil de poèmes de Wilhelm Müller : Winterreise. Outre ses Griechenlieder, vaste ensemble de majestueux alexandrins célébrant la Grèce antique, le poète, né en 1794 et mort en 1827, publie ses chants dans la revue Urania, douze d’abord, puis dix, enfin douze ; les premiers marqués par la tonalité amoureuse, les autres plus intensément métaphysiques, inlassablement tragiques. Les vingt-quatre chants sont intégralement retenus dans le recueil pianistique et vocal de Franz Schubert. Il n’est pas indifférent de noter que le dernier, « Le joueur de vielle », fait justement allusion à la musique.

      Le ténor Ian Bostridge éprouve pour ce Winterreise une passion sans cesse renouvelée, obsessionnelle, ce qu’avoue le sous-titre « Anatomie d’une obsession ». Il le chante avec un entrain, une intensité lyrique et pathétique, des contrastes marqués et  remarquables. Curieusement, il officie souvent tête baissée, comme pour en accentuer l’intériorité.

      Son livre, modestement intitulé Le Voyage d’hiver de Schubert, n’est pas réellement un essai, mais plus exactement un guide, un compagnon de voyage, en autant d’étapes, de chapitres, que de lieder, dont les textes sont ici reproduits dans l’original allemand et traduits en français. Il s’agit de « situer le morceau dans son contexte historique, mais aussi de trouver des connexions nouvelles et inattendues - à la fois contemporaines et mortes depuis longtemps : littéraires, visuelles, psychologiques, scientifiques et politiques », quoique il ne s’agisse guère d’une analyse strictement musicologique. On peut d’ailleurs regretter à cet égard que le volume offre trop peu de fragments de partitions.

      Pourtant, que de plaisir à cette lecture en hivernale contrée romantique ! Plaisir amer que le vagabond tire de son « Gute Nacht », aux croches répétées et angoissantes. Pourquoi, malgré un amour, part-il, par le « chemin enseveli sous la neige » ? Il ne lui reste que des « Larmes gelées », au « Rêve de printemps » succèdent la « Solitude », « Le Matin de tempête », l’« Illusion » et « Les Faux soleils », pour reprendre quelques titres des lieder successifs. À la musique pianistique et vocale ne revient pas seulement l’assignation illustrative, mais la dimension atmosphérique, psychologique et métaphysique.

      Le personnage de Müller et de Schubert, ce « poète fugitif », auquel ce dernier s’identifie, n’est pas sans faire penser à Lenz, dont « l’existence est un fardeau inévitable », marchant sans relâche parmi les montagnes, la pluie et la neige dans l’œuvre de Büchner[1]. Un romantisme inquiet, une mélancolie forcenée, une errance philosophique, comme si Dieu était, avant Nietzsche, déjà mort. Car même si Schubert avait composé bien des œuvres religieuses, dont six messes, son lied « Courage » ne chante-t-il pas en ses derniers vers (« un paroxysme d’hystérie au piano ») : « Si nul Dieu ne veut être sur la terre, / Nous sommes nous-mêmes des dieux ».

      L’on devine alors la passion du poète pour les héros tragiques de Lord Byron, comme Manfred, ou pour le Saint-Preux de La Nouvelle Héloïse de Rousseau. Faut-il lire la marche harassante et cependant mélodieuse de ce recueil avec le concours d’une autre tragédie, celle de la syphilis de Schubert, diagnostiquée en 1823 ? Ce qui signifierait un adieu à l’amour, d’autant que ses ressources insuffisantes lui interdisaient le mariage, lui qui avait aimé sans réciprocité une chanteuse, Thérèse, et une Comtesse, Karoline, voire un adieu à la vie. À moins de penser au moment historique, c’est-à-dire l’abrutissante politique autrichienne qui ne laisse guère place à la liberté ; car au-delà « le lied schubertien a accompagné triomphes et désastres allemands tout au long de la période troublée allant de 1813 à 1945 ».

      Si, à une oreille distraite, les sentiments peuvent paraître retenus, voire stylisés par l’art, Ian Bostridge y voit parfois, en particulier dans « Engourdissement », des « cris déchirants », « une pulsion sexuelle évidente, une tempête priapique d’urgence et le désir d’assouvissement mal réprimés ». Pourquoi pas… Cependant interpréter les « Faux soleils » du vingt-troisième lied (qui sont « trois dans le ciel ») comme un phénomène de parhélie au travers des cristaux de glace dans le ciel est nettement plus scientifique.

      Le plus triste est sans nul doute le dernier autoportrait du compositeur : ce « joueur de vielle » et « vieillard », sans nul doute proche de la mort, que personne, sauf les chiens qui grognent, ne veut entendre, la vielle pouvant être comprise comme une pitoyable caricature de la lyre du poète… Or, la fascination pour la mort, comme cette « Corneille » qui en est la métaphore, sensible dans nombre de lieder de Schubert (pensons à « La jeune fille et la mort », d’ailleurs repris en un prodigieux quatuor à cordes, et au « Roi des aulnes »), permet peut-être de « faire le lien avec la catastrophe nazie - si conscient que j’ai été de la dégradation morale induite par le culte de Wagner ». Notre interprète a conscience de la qualité « tendancieuse » de l’analyse, quoiqu’elle n’en reste pas moins intellectuellement stimulante. De même, il sait garder ses distances vis-à-vis d’une lecture trop uniment biographique de l’œuvre.

      Non loin de l’immense « Wanderer fantasie » pour piano seul, l’art de Schubert est inséparable des tableaux de Caspar-David Friedrich. Le voyageur au dessus de la mer de nuages est celui qui arpente vallées et montagnes, mais aussi l’étranger au monde des hommes, à moins qu’il soit une métaphore de l’impossible unité allemande à cette époque…

 

 

      Combien un tel recueil a-t-il influencé la musique allemande, voire au-delà, combien a-t-il nourri les écrivains, à l’instar de Thomas Mann ! Car le jeune héros du romancier, « enfant gâté de la vie », chante en sa dernière page le « repos » sous le « Tilleul » du cinquième lied, son lied favori, alors qu’il trébuche dans la boue des tranchées de cette « fête de la mort[2] » qu’est la Première Guerre mondiale. Ce qui n’empêche pas notre essayiste de penser à l’infusion de tilleul qui rencontre la « madeleine » de Proust.

      À cet égard Ian Bostridge ose des rapprochements insolites et cependant parlants, par exemple avec l’existentialisme, avec l’absurde, Beckett aimant beaucoup ce Voyage d’hiver. Pensons au lied d’après Schiller, « Beau monde, où es-tu ? », qui serait une métaphore de la déréliction qui frappe tout autant le romantique que celui qui attend absurdement un Godot[3] qui ne touchera jamais le sol de la réalité.

      Didactique avec empathie, et consacrant une vingtaine de pages à chaque lied, Ian Bostridge allie une vaste culture à une réelle sensibilité personnelle. On saura tout sur le symbolisme du tilleul, cet arbre de l’amour, tout ou presque sur les émotions de l’interprète lors de divers concerts, voire sur celles de son public. D’où la capacité de ce beau livre d’être lu beaucoup plus que par des spécialistes, des mélomanes. Hélas, comme ces lieder qui ont pu être fort populaires, « ce genre de culture musicale commune a largement disparu à la fin du XX° siècle, pour être remplacé par les équivalents marchandisés du rock et de la pop ». Ce qui laisse ouvert le débat entre musique populaire et musique savante[4].

      Schubert est considéré comme le fondateur du lied. Il en écrira la quantité colossale, et cependant toujours subtile, de six cent trois, à partir de 1811, à quatorze ans. Il griffonnait ses géniales et troublantes mélodies sur des poèmes de Schiller, de Goethe, comme lors de l’impressionnant, tragique et justement célébrissime « Roi des aulnes », auquel Ian Bostridge ne manque pas de faire allusion. Mais à l’occasion de plus modestes poètes, comme Wilhelm Müller, il les anime en les dépassant, et, grâce à l’éloquence pianistique et vocale, les enveloppe d’une aura plus dramatique et romantique encore. Le cycle de « La belle meunière » (également d’après des vers de Müller) chanté avec feu par le ténor Christophe Prégardien, d’un lyrisme charmeur et plus naïf, le dispute en réputation avec « Le Voyage d’hiver ». Robert Schumann, Hugo Wolf et Richard Strauss enrichiront le genre du lied, devenu incontournable.

      On ne saurait assez louer les éditions Actes Sud pour la réalisation d’un tel beau livre intelligent : cartonné, relié avec soin, illustré avec un goût parfait, il assure autant une agréable tenue en main qu’une appétence intellectuelle, poétique et musicale rare. C’est ainsi que le même éditeur avait par exemple présenté son indispensable Dictionnaire de la Méditerranée[5]. C’est également grâce à ce soin éditorial que le livre papier ne peut être absorbé par le livre numérique, entre Ebook glacial et PDF étique, ce que plaidait Umberto Eco dans N’espérez pas vous débarrasser des livres[6]. Non seulement nous nous reposerons les yeux sur des papiers aux typographies clairement lisibles et aux somptueuses couleurs, mais nous conserverons pour nous et nos descendants des objets pensants enchanteurs.

      Il n’est pas indifférent de choisir un ténor ou un baryton pour interpréter ces lieder. Forcément une tonalité plus sombre imprègne l’interprétation du second, peut-être, moins viennoise que celle d’Ian Bostridge. Or Matthias Goerne, avec le concours d’une demie douzaine de pianistes, parvient à nous livrer, en onze disques, rien moins que la totalité des lieder de Schubert, de « Sehnsurcht » au « Winterreise », en passant par  « An mein Herz », « Die Schöne Müllerin », « Heliopolis », « Nacht und Träume », « Schwanengesang », « Erlkönig », « Wanderers Nachtlied »[7]. Le travail, colossal, ne mine en rien la subtilité et l’émotion de l’interprétation. Le sens des nuances psychologiques s’allie à la musicalité, tour à tour confidentielle, lyrique, tempétueuse: une beauté à pleurer…

      La modicité du prix d’un tel coffret de lieder est proprement miraculeuse, quoique l’on ait hélas sacrifié la présence des textes des poètes, qui étaient pourtant publiés avec les disques en éditions séparées.

 

 

      Bien que Vladimir Jankélévitch ne nous parle guère de Schubert -et c’est certainement dommage-, sauf une brève mention de sa VIIIème symphonie inachevée, il faut ouvrir son Enchantement musical, tout entier fait d’inédits, et qui fait suite à La Musique et l’ineffable[8]. Certes l’on peut se retourner sur l’infamie qui voulut que l’on jouât Schubert pendant que les SS pendaient des Juifs dans les camps de concentrations nazis, ce que le philosophe et musicologue rappelle avec indignation dans son L’Imprescriptible. Pardonner ? Dans l’honneur et la dignité[9]. À cet égard, la puissance incantatoire de la musique peut-elle se passer d’une interrogation morale ?

      Aussi, dans ces éclairantes chroniques écrites dès 1930 jusqu’en 1972, entre Prague et Paris, réunies sous le titre de L’Enchantement musical, la musique, cette « temporalité enchantée » (car « le temps est l’objet par excellence de la philosophie[10] »), est d’abord russe et française, en particulier avec « le monde ensorcelé de Maurice Ravel ». Mais notre chroniqueur ne s’interdit en rien celle allemande, comme si l’on devait craindre que le nazisme ait pollué toute la musique, comme il a pollué Wagner[11], comme il a envenimé la langue de Goethe, avec laquelle le poète d’ascendance juive Paul Celan[12] a dû batailler. Franz Liszt, dont le « pianisme révolutionnaire » l’enchante, est rangé sous la bannière du « cosmopolitisme musical » par notre mélomane ainsi heureusement politique, recueillant son enthousiasme récurrent. Car ses « Préludes obéissent encore à la loi romantico-manichéenne de l’antithèse » tandis que sa Faust-Symphonie a « entièrement repensé le drame goethéen ». Cependant, pour les Russes, Tchaïkovski est taxé d’ « intarissable pathos sans force et sans couleurs ». Or Jankélévitch préfère « l’orage métaphysique » de Mahler. Dans une veine voisine, le Requiem de Gabriel Fauré se voit qualifier de « poème du legato et de l’extrême intensité spirituelle ». Chez ce compositeur, « la mort est immanente, non pas comme une angoisse vertigineuse du néant et du vide, mais comme tendance décorporéisante ; elle n’est pas ce qui fait la vanité de tout effort, mais ce qui allège et sublime l’être sensible ».

      Faut-il regretter qu’entre musique romantique et post-romantique, le philosophe ne se soit pas aventuré vers le baroque ou vers un XX° siècle plus ardemment contemporain, comme celui de Messiean ? Que de belles pages aurions-nous lues…

      Pratiquant sans cesse l’ekphrasis, cette figure de rhétorique qui est la description de l’œuvre d’art, Vladimir Jankélévitch use avec bonheur de la synesthésie, dont on sait, après Baudelaire et Rimbaud qu’elle associe plusieurs sens, qualifiant la musique par des termes venus des couleurs (mot qui fait lui-même partie du vocabulaire obligé du musicologue) et la comparant à d’autres arts. C’est tout le moins pour un art invisible, bien au-delà de l’architecture de la partition.

      « Il y a des choses que seule la voix de l’homme peut exprimer », note Vladimir Jankélévitch. C’est un peu Le Je ne sais quoi et le presque rien, qui fonde le la de son œuvre philosophique, cette quête métaphysique dont l’inatteignable est un sens perceptible dans la musique, labile et cependant éclatante, douée d’une indubitable présence temporelle et émotionnelle, et cependant produite à la lisière de l’inexprimable. Au-delà des poèmes de Wilhelm Müller, le chant schubertien, pour lesquels Ian Bostridge offre un vaste et richissime commentaire littéraire littéraire et musical, sans qu’il faille minimiser son indispensable complice pianistique, trouve une parfaite adéquation entre sens linguistique et sens projeté par l’expressivité, la chaleur et la froidure des cordes vocables. Son Voyage d’hiver est paysage de l’âme prise dans l’éphéméride inconsolable du temps des mortels et du désamour ; et néanmoins seule île enchantée…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Georg Büchner : Lenz, Œuvres complètes, Seuil, 1988.

[2] Thomas Mann : La Montagne magique, Fayard, 1961, p. 761.

[5] Dictionnaire de la Méditerranée, sous la direction de Dionigi Albera, Maryline Crivello et Mohamed Tozy, Actes Sud, 2016.

[7] Franz Schubert, Matthias Goerne : Lieder, Harmonia Mundi, 2016.

[8] Vladimir Jankélévitch : La Musique et l’ineffable, Seuil, 1983.

[9] Vladimir Jankélévitch : L’Imprescriptible. Pardonner ? Dans l’honneur et la dignité, Seuil, 1986.

[10] Vladimir Jankélévitch et Béatrice Berlowitz : Quelque part dans l’inachevé, Gallimard, 1978, p. 28.

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10 mars 2018 6 10 /03 /mars /2018 17:53

 

Gian Lorenzo Bernini : Fontana dei Quattro Fiumi, Il Gange, Roma.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Eloge de l’art de la discrimination

par Umberto Eco :

Chroniques d’une société liquide

et autres questions morales.

 

 

 

Umberto Eco : Chroniques d’une société liquide,

traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Grasset, 512 p, 23 €.

 

Umberto Eco : Cinq questions de morale,

traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Grasset, 176 p, 12,50 €.

 

 

 

 

      En une société liquide, naviguent de délicieuses fleurs de lotus, de balourds hippopotames, de dangereux crocodiles. Peut-on et à quoi sert de vivre, de penser, d’écrire, si l’on ne pratique pas « l’art de la discrimination » ? Venues du feu de l’esprit, ces Chroniques d’une société liquide ont pour sources des notes prises sur des « bustine », ces boites d’allumettes italiennes, par ailleurs bien trop grattées. Elles ont enflammé trois volumes successifs, Comment voyager avec un saumon, À reculons comme une écrevisse et le dernier hélas, puisque notre cher Umberto nous a quitté en 2017, que voici. En une « société liquide », concept venu du sociologue anglais Zygmunt Bauman[1], qui voit la faillite des grandes idéologies (ouf !) et des communautés, mais aussi l’exacerbation de l’individualisme et du subjectivisme, parmi un consumérisme dénigré, il est plus que jamais temps d’affuter sa pensée, de savoir discriminer, en un mot choisir. Ce à quoi s’exerce sans cesse, à propos du tout et des riens de nos sociétés, à propos d’un fascisme à reconnaître -un seul ?- l’auteur de L’œuvre ouverte et du Nom de la rose, capable de proposer à notre dangereux contemporain ses judicieuses Cinq questions de morale.

      En-deçà des chroniques d’Umberto Eco, réfléchissons au sens du mot « discriminer », qu’il n’ignore évidemment pas. Il s’agit de distinguer en fonction de critères précis. Et non pas seulement, comme il l’est hélas devenu dans le sens courant, de séparer un groupe social en le traitant défavorablement. Pourtant il y a des discriminations judicieuses, et d’autres injustes. Embaucher un salarié en fonction de la couleur de la peau et non des compétences avérées est non seulement moralement stupide mais contre-productif ; choisir au nom de critères qualitatifs, économiques et moraux, tels que l’honnêteté, l’amabilité, la culture, l’ouverture d’esprit, la tolérance, l’inventivité et la productivité, est aussi juste que nécessaire. Il faudra donc pratiquer l’art de la discrimination entre le tolérable et l’intolérable. Or, si l’auteur de ces lignes ne tolérera pas le rap en fond sonore dans son bureau, il n’exigera pas une intolérance universelle, donc une interdiction à son égard. En revanche, tomberont en ce dernier cas de figure le nazisme, le communisme, le théocratisme. À la nuance près que devraient être libres la parole et l’écrit, mais pas leurs incitations au meurtre ni l’application de leurs principes totalitaires.

      Aussi Umberto Eco nous convainc-t-il en ces Chroniques d’une société liquide de l’urgence permanente de « l’art de la discrimination » (p 95). Par exemple de « savoir distinguer les informations  indispensables de celles plus ou moins délirantes ». Une fois de plus cette anthologie, quoique choisie par les soins de notre sémiologue préféré, ne prétend pas à l’unité thématique, à dégager et affuter une thèse, tel qu’un essai aurait pu l’envisager. Cependant un fil argumentatif semble percer, autour de cette diabolique « société liquide » ; puisque le titre italien était un intraduisible vers de la Divine comédie de Dante : « Pape Satan aleppe[2] », quelque chose comme « Satan prince des démons ». Sans repères et sans bords, nous nageons ou nous noyons sans boussole en ce monde moderne qui perd le sens d’une vérité inaliénable, et c’est à la fois une liberté et un dommage. D’autant que nombre d’entre nous ignorent les faits les plus flagrants de notre Histoire, quoique à cet égard, admet notre chroniqueur, les foules d’autrefois ne fussent guère mieux loties.

       Notre société avançait grâce au progrès, scientifique et technique. Mais aujourd’hui, parfois, l’on avance « à reculons, comme une écrevisse ». Car « le progrès peut aussi signifier faire deux pas en arrière, comme revenir à l’énergie éolienne au lieu du pétrole ». C’est, de la part d’Umberto Eco, plus qu’un trait d’humour, une piquante satire, que l’on pourrait étendre au rêve de décroissance des écologistes radicaux, vieux  luddistes excités par la nostalgie de la pureté fantasmée de l’agriculture biologique… Pourtant, assurer que « le progrès est une régression » fait plus que frôler le sophisme. Est-ce bien savoir discriminer entre le meilleur et le pire au service de l’humanité ?

      Quant à choisir les meilleurs d’entre nous, qu’importe s’il ne s’agit plus que d’ « être vus ». Non pas « pour jouer du Shakespeare […] mais bien pour être promus assistantes potiches de jeux télévisés » ! La question du relativisme[3] n’est même plus à l’ordre du jour, lorsque la visibilité est la seule valeur, aux dépens de toute morale, de tout goût, lorsque « le concept de réputation a cédé le pas à celui de visibilité ». En outre, puisque nous anime toujours le désir de reconnaissance (le thymos cher à Platon), « à la place du village se substitue la scène quasi-planétaire de l’émission télévisée » et des réseaux sociaux internétisés, et non éternisés… Or, Dieu quittant son omniscience, nous ne pouvons plus être remarqués en notre médiocrité qu’à l’écran, qui est « l’unique succédané de la transcendance ».

 

      En cette « société liquide où chacun connait une crise de l’identité et des valeurs et ne sait pas où chercher des références par rapport auxquelles se définir », où les enfants vivent dans un espace urbain et technologique sans réel contact avec la nature (« c’est là une des plus grandes révolutions anthropologiques depuis le néolithique »), et, ajouterons-nous, où chaque individu, chaque minorité, érige son identité en groupe de pression, plus rien ne peut prétendre atteindre à la dignité de l’universel.

      C’est « en ligne » que discriminer devient une gageure, que se pose « le drame de l’impossibilité de sélectionner », quand les milliers de sites, blogs, nouvelles et fausses nouvelles pullulent sur Internet, au lieu qu’autrefois l’édition permettait de penser qu’une judicieuse sélection avait été faite, à la réserve des doxas idéologiques. Reste qu’en affirmant qu’ « avec Internet, il ne pourrait pas y avoir un nouvel Auschwitz, car tout se saurait aussitôt », il faudrait prouver que cette connaissance puisse l’empêcher, voire le culpabiliser, qu’elle ne contribue pas à son nouvel avènement…

      Il ne faut cependant pas penser qu’Internet et sa pléthore d’informations rend le livre obsolète[4], au contraire : « Si les jeunes n’apprennent pas que la culture n’est pas accumulation, mais discrimination, il ne s’agit pas d’éducation, mais de désordre mental ». Il est donc vital pour l’esprit de se consacrer au « filtrage » et « à l’analyse des sites web ».

      La satire s’étend aux téléphones portables, au « présentialisme d’un œil mécanique au détriment du cerveau », quoique avec exagération lorsque « les adultes, les yeux rivés à leurs mobiles, sont désormais perdus pour toujours ». La satire du portable est un peu convenue, facile. Avant lui comprenait-on et goûtait-on ce que l’on voyait, ne discutait-on dans les bars et les rues que d’Aristote et des Lumières ? Un flot de banalités et de vulgarité n’a changé que de média, certes en lui donnant un vernis d’essentialité. Vulgarité intellectuelle également que les « théories du complot », les émissions de téléréalité où le panoptique Big Brother observe le bocal de quelques individus, tandis que les big datas d’Internet et des réseaux sociaux nous pistent jusque dans nos désirs. Ici les chroniques, plus modestes, ont un goût de déjà lu, sans que s’élève une flamme dansante au-dessus du marais liquide de nos sociétés…

      Mais elles reprennent du poil de la bête lorsqu’il s’agit de pointer la bêtise humaine et son cortège d’incivilités, de faire la satire du technologisme coupable de menacer le livre et la lecture avec la complicité passive de la servitude volontaire, d’invalider le politiquement correct, qui se veut antidiscriminatoire : « cette campagne pour la purification du langage a produit son propre fondamentalisme ». Mais aussi quand il s’agit de stigmatiser avec humour « la quatrième Rome », celle de la corruption et du « populisme médiatique » de l’ère berlusconienne, qui danse sur un volcan, comme la Rome ancienne lors des invasions de « grands Barbares blancs », tandis que la nouvelle Rome est « obsédée par l’invasion pacifique de petits Barbares colorés ». Il faut cependant se demander si cette obsession est irrationnelle[6], ou si au contraire elle se défie d’un réel raptus religieux et civilisationnel.

 

 

      Sous ses apparences légères et ludiques, l’anthologie, écrite au hasard des sollicitations sociétales et médiatiques, a bien une dimension philosophique. Environ deux centaines de sujets sont effleurés, mais rarement sans pertinence, de la présence controversée des crucifix dans les lieux d’enseignement à l’évasion fiscale[7] qui voit l’intervention de Saint Thomas d’Aquin approuver la loi (nous serons sur ce point fort peu thomistes), en passant par Harry Potter ou l’idolâtrie et l’iconoclastie appliquées à notre présent… Toutefois l’on ne manquera pas de se moquer du racolage passablement éhonté de la quatrième de couverture, qui exhibe : « les réflexions sur la pantalonnade berlusconienne anticipent la post-vérité de Trump ». Certes l’on peut supposer qu’Umberto Eco ne l’eût pas démentie, mais le facile procédé trumpphobique[8] en diable n’est guère à l’honneur de l’éditeur.

      En réel humaniste, Umberto Eco ne peut qu’avoir à cœur de défendre les écrivains persécutés, censurés. Ainsi Amos Oz, grand romancier israélien, se voit banni des écoles des extrémistes religieux juifs, en même temps que Sophocle, Anna Karénine de Tolstoï ! Mais il est de plus soumis à la vindicte de boycotteurs turinois quand on lui attribua le prix du Salon du Livre de Turin ! Le ridicule accole dans la même bauge les fondamentalistes juifs et les gauchistes antisémites et philopalestiniens…

      Parfois, cependant, la perspicacité d’Umberto Eco est mise en défaut (mais l’art est difficile quand la critique est facile). « Monothéisme pour monothéisme, il s’agissait du même dieu », dit-il à propos des croisades entre Chrétiens et Musulmans. Non, l’Islam considère la sainte trinité chrétienne come un polythéisme, et le message est fort loin d’être le même. On lira pour s’en convaincre François Jourdan[9]. Reste qu’en effet « aucun polythéisme n’a jamais fomenté une guerre de grande envergure pour imposer ses propres dieux ». Autre bourde, lorsqu’il prétend que les Musulmans contre qui se battait le Cid Campeador lors de la Reconsquista espagnole « étaient Européens depuis des siècles ». C’est confondre la géographie envahie et opprimée avec la civilisation. Ce qui n’empêche pas l’auteur de Baudolino[10] de « condamner l’entreprise des terroristes qui, avec leurs alliés égorgeurs de l’Etat Islamiste, représente la nouvelle forme de nazisme ». Tout en prétendant que l’on ne « devrait pas caricaturer la Sainte Vierge » : « Si j’étais Charlie je ne brocarderais ni la sensibilité musulmane ni la catholique », dit-il. Si la caricature doit se taire en passant la porte de la mosquée ou de l’église, ce serait cependant abdiquer toute liberté de penser, de critique et de création ! Il y a là non seulement un défaut de raisonnement, mais également une trahison de la plume qu’il mania si bien en écrivant Le Nom de la rose. Ne se contredit il pas, en affirmant plus loin : « voici ce que nous devons affronter : la peur de parler. Rappelons que ces tabous ne sont pas tous imputables aux fondamentalistes musulmans, mais qu’ils sont nés avec l’idéologie du politicaly correct », « nés avec » étant pour le moins réducteur…

      C’est alors en toute circonstance que « l’art de la discrimination », intellectuel et politique, devient plus que jamais nécessaire. Pour ce faire, il est en effet fondamental de « faire passer sur tout ce qui arrive aujourd’hui la lueur de l’Histoire ». Donc que « du point de vue le plus laïc du monde, il faut que les jeunes reçoivent à l’école une information de base sur les idées et les traditions des différentes religions » ; mais, ajouterons-nous, sans se voiler la face sur leurs différences, les violences génocidaires des unes[11], l’amour et le pardon des autres, si tant est qu’elles les aient bien appliqués. Aussi notre culture, plus modeste que celle d’Umberto Eco que nous taquinons ici pourtant, doit sans cesse lire les livres fondateurs, les théologiens, les historiens, les philosophes, pour savoir discriminer en le juste et l’injuste, le barbare violent et le civilisé, le fanatique et l’humaniste, l’obscurantisme et les Lumières.

 

      C’est avec un opportunisme passablement discutable que l’éditeur français, mais aussi celui italien, propose sous forme de mince opuscule un texte d’abord publié dans Cinq leçons de morale, sous le titre de « Le fascisme éternel », parmi des réflexions hautement roboratives sur la guerre, la presse, l’autre et la tolérance aux migrations. Soyons rassurés, nous saurons avec lui Reconnaître le fascisme[12].

      Il y a toujours quelque chose de risqué à extraire une citation, un texte de son contexte. Or, parmi ces Cinq questions de morale, il n’est pas indifférent de se pencher sur sa dernière leçon, donc conclusive, intitulée : « Les migrations, la tolérance et l’intolérable », sans nul doute la plus riche, la plus sensée et en ce sens celle qui nous accule à de vitales interrogations. « L’Europe sera un continent multiracial, ou si vous préférez, coloré », dit-il, ce qui n’est pas mystère. En conséquence, ajoute-t-il, « cette rencontre (ou ce heurt) de cultures risque d’avoir des issues sanglantes ». Ce serait affreux si cela se produisait au nom de l’intolérance envers les couleurs, noires, jaunes ou blanches. Cependant -question que par prudence ne pose pas Umberto Eco- serait-ce judicieux s’il s’agissait de légitime défense face à une coercition violente et totalitaire ?

      Et si nous tombons dans la bifurcation erronée de la surinterprétation[13] qu’il a lui-même dénoncée, demandons humblement pardon à la mémoire d’Umberto Eco qui ne pourra plus nous répondre. Lorsqu’il affirme aux dernières phrases de ces questions de morale, que « cette capacité solidaire à définir l’intolérable s’est encore plus éloignée de nous », probablement faut-il lire entre les lignes une allusion à cette religion politique génocidaire que nous accueillons sans être capable dresser une barrière de juste intolérance universelle, au service des libertés et de l’humanité… Autrement dit, il s’agit de « construire l’ennemi[14] », pour reprendre un précédent titre de notre chroniqueur, car cet ennemi a depuis sa naissance et son essence construit son identité sur notre dévastation.

      Afin de louvoyer parmi une « société liquide », et faute de se laisser embarquer sur les Titanics des grandes idéologies, rien ne vaut les « questions de morale ». Aussi faut-il s’appuyer sur des concepts, qui, bien que d’origine chrétienne, voire antique, ont pu faire et feront leurs preuves : « Et dans les conflits de foi, ce qui doit prévaloir c’est la Charité et la Prudence ». Ces dernières ne sont pas des grâces divines, mais sont la résultante d’une longue tradition de civilisation et de la raison libérale des Lumières. Or c’est par l’éducation que « l’intolérance sauvage », « la pure animalité sans pensée » peuvent être rédimées, mais à condition de les combattre dès la prime enfance, « avant qu’elles soient écrites dans un livre, et avant qu’elles deviennent une croûte comportementale trop épaisse et trop dure ». Est-ce répondre à Umberto Eco que de préconiser que les enfants sont arrachés aux conditionnements religieux et politiques délétères ? La sagesse qui présiderait à un tel arrachement reste encore à découvrir, faute d’imaginer un totalitarisme inédit…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Zygmunt Bauman, Carlo Bordoni : State of crisis, Polity, 2014.

[2] Dante : Divine comédie, Inferno, VII, 1.

[8] François Jourdan : Islam et Christianisme, comprendre les différences de fond, L’Artilleur, 2015.

[13] Umberto Eco : Les Limites de l’interprétation, Grasset, 1992.

 

 

Mosaïque nilotique, Museo delle Terme, Palazzo Massimo, Roma.

Photo : T. Guinhut.

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4 mars 2018 7 04 /03 /mars /2018 09:47

 

Bragança, Portugal. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Le jardin luxuriant du Brésil :
Arts primitifs et populaires ; Poésie,
une anthologie du XVI° au XX° siècle.

 

 

Benjamin Péret : Les Arts primitifs et populaires du Brésil,

Editions du Sandre, 216 p, 35 €.

 

La Poésie du Brésil, Anthologie du XVI° au XX° siècle,

par Max de Carvalho, Chandeigne, 1512 p, 42 €

 

 

      À la fois européen et profondément exotique, amazonien, le Brésil fascine. Ses multiples strates culturelles vont des plus secrètes tribus de l’enfer vert intérieur au raffinement de la langue portugaise, en passant par les contrées les plus étonnantes, des fleuves colossaux au Sertao semi-aride, sans compter un développement économique insolent, parfois fort inégal. Trois identités, indienne, africaine et européenne, forcément multiples, s’y croisent. Entre les arts primitifs et ceux populaires collectionnés dans l’ouvrage de Benjamin Péret, une inventivité polymorphe témoigne des personnalités diverses des populations, quand l’écriture poétique, du XVI° au XX° siècle, au service de laquelle Max de Carvalho nous offre une anthologie généreuse, emprunte des voies profondes et pétillantes.

      Une fois de plus, après son magnifique Petrus Borel[1], c’est un livre rare que nous offrent les éditions du Sandre. Hélas, son auteur n’eut pas le bonheur de le voir publié. La carrière de Benjamin Péret (1899-1959) fut celle d’un poète surréaliste, fidèle à l’auteur du Poisson soluble, André Breton. Amateur goulu d’écriture automatique, d’érotisme et de rêves échevelés, humoriste fieffé ne dédaignant pas de s’attaquer aux plus sacrés fétiches, virtuose des images baroques, Benjamin Péret fomenta un titre en forme de contrepèterie, Les Rouilles encagées, qui eut bien du mal à être publié parmi les foudres de la censure. Volontiers pamphlétaire avec Le Déshonneur des poètes, il crut longtemps s’honorer d’être trotskiste et communisme, et partit se battre en Espagne contre le Franquisme. Plus loin, en épousant une cantatrice brésilienne, il découvrit -outre plus tard le Mexique- le Brésil d’où naquit un projet pourtant achevé qui faillit à jamais disparaitre.

      Car à la poésie et ses nombreux recueils s’ajoute chez Benjamin Péret une passion toute exotique, dans le meilleur sens du terme : l’ethnographie, soutenue par la photographie, non loin de la démarche de Michel Leiris, dans L’Afrique fantôme. Il aimait s’aventurer par-delà la beauté classique, explorer les merveilleux et l’étrange, le caractère primitif et naïf des artistes villageois et oubliés. Ce pourquoi il fomentait ce livre, Les Arts primitifs et populaires du Brésil, qui était resté dans des cartons et partiellement publié dans quelques revues. Dommage qu’en son temps, car réalisé en 1955 et 1956, il n’ait pu paraître, car il eût pu se faire une modeste place auprès des Tristes tropiques de Claude Lévi-Strauss[2], paru, rappelons-le, en 1955, et qui s’attache principalement aux naturels brésiliens.

      Aujourd’hui le politiquement correct nous imposerait de dire « Arts premiers », comme au magnifique musée parisien du Quai Branly ; or l’éditeur a eu la décence de conserver le titre originel du poète, qui n’entendait évidemment pas mépriser les indigènes des forêts et des plateaux brésiliens. Au contraire, puisqu’il s’agit ici d’un impressionnant corpus photographique engrangé par Benjamin Péret, de façon à collectionner, comprendre et goûter des productions précolombiennes, indiennes et populaires, aussi bien urbaines que rurales. Sous la houlette de Jérôme Duwa et Leonor Lourenço de Abreu, ce soigneux et généreux cahier photographique est précédé de trois articles illustrés paru dans les revues d’art Marco Polo et L’œil, ici intelligemment reproduites en fac-simile.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

       « Des êtres d’une autre planète, en général d’une gaieté tout à fait enfantine » ; ce sont pour Péret ces premiers Brésiliens sans le savoir, dont il observe les productions dans une démarche plus poétique que scientifique. Ce sont évidemment des photographies noir et blanc, sauf lorsqu’il s’agit « d’art plumaire ». À cet égard la couverture de ce beau livre ne rend peut-être pas justice à la revigorante beauté des œuvres présentées. Voici d’abord, d’étranges figurines et vases aux décors animaliers, simiesques et schématiques, venus du Haut-Amazone, aux pieds des Andes, qui ressortissent de l’art précolombien. Puis des vestiges des « arts de fête et de cérémonie », c’est-à-dire des masques, bijoux et pendentifs, ornés de plumes aux intenses couleurs miroitantes, venus des Indiens des plaines et des forêts, qui sont à la fois festifs et sacrés.

      Bien différents sont les objets de l’art populaire, métissés d’Indiens, de Blancs et de Noirs. La superstition anime les ex-voto et autres amulettes, l’humour colore les figurines humaines naïves, les jouets et les poupées, comme lorsque l’on voit un homme en blanc et casque colonial manier un appareil photo sur pieds devant un paysan ou un policier arrêter un ivrogne, en une amusante satire des mœurs et du quotidien. Et, bien sûr, maintes scènes agraires, avec du bétail et des chevaux montés, ou encore des animaux sauvages, des forêts et des eaux, jusqu’à une désopilante sirène. Et si l’on peut penser que certaines productions sont plus négligeables que d’autres, qu’importe, tout un monde lointain, dans le temps et l’espace, s’éveille, sans prétention au grand art académique, comme une métaphore poétique inattendue et cependant riche du sens des cultures.

      Il n’est pas interdit de se demander si Benjamin Péret voyait tous ces objets comme des talismans surréalistes, tels que ceux que collectionnait compulsivement André Breton. Pensée mythique et magique, poésie ludique, tribale et anonyme, sont au rendez-vous des cultures. Ils restent également des témoignages des trois voyages de l’ethnologue qui enlacent presque le Brésil entier. Et en connaissance de cause un hommage à ces créateurs qui n’avaient pas conscience de faire œuvre d’art, à la lisière de ce que l’on appelle sur un autre continent l’Art brut[3], mais dont Benjamin Péret reconnait l’intention esthétique indéniable.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      S’il faut signifier l’origine de la poésie, qui est universelle, elle vient, comme l’Eros platonicien, de Poros et Penia, l’abondance et le manque, qui sont constitutifs de notre humanité et de notre faculté créatrice. Or au Brésil elle ne parait commencer qu'au XVI° siècle, alors que les éditions Chandeigne en propose une anthologie profuse, jusqu'à nos jours. Ainsi, à l’égal des beautés immenses de la nature et des luxuriants jardins brésiliens, le Dialogue des splendeurs du Brésil, une prose poétique de la fin du XVI°, fait-il l’éloge d’ « un je-ne-sais-quoi de vert et de rafraîchissant qui font les grands paysages ». Le traditionnel éloge poétique de la nature répond à un autre suave cliché quand José Bonifacio chante au XVIII° le manque amoureux : « Et t’oubliant, je cherche à t’aimer davantage », cultivant le paradoxe… Les constantes, les réalismes et les folies et de la poésie s’épanouissent à mesure que le continent brésilien se peuple et se développe : voyage des sens, exubérance de l’intellect, interrogation métaphysique devant l’inconnu et indispensable déclaration d’indépendance esthétique. Comme sous la plume de Ronald de Carvalho (1893-1935), s’adressant à « L’Amérique toute entière » : « Tes poètes ne sont pas de cette race de serfs qui dansent aux cadences des Grecs et des Latins, / Tes poètes doivent avoir les mains sales de terre, de sève et de limon, les mains de la création ! »

      C’est en quelque sorte à ces derniers versets que répond l’un des plus grands poètes brésiliens, Carlos Drummond de Andrade (1902-1987) :

« Je ne suis qu’un homme.

Un petit homme au bord d’un fleuve.

Je vois les eaux qui coulent et je ne les comprends pas.

Je vois seulement qu’il fait nuit parce qu’on m’appelle de la maison.

J’ai vu que le jour se lève puisque les coqs ont chanté.

Comment pourrais-je te comprendre, Amérique ? »

      Une grande béance se révèle à nous, feuilletant cet élégant volume : comment-avions-nous pu jusque-là ignorer une telle poésie d’outre-Atlantique ? Qui respecte d’abord les modèles portugais (avec une belle « Glose à un sonnet de Camoens », l’auteur des Lusiades, en quatorze strophes), tout en s’en émancipant jusqu’aux plus folles libertés de la modernité, jusqu’aux abîmes de l’identité. Ainsi Orides Fontela interroge son reflet : « le miroir dévore / la face » ; ou, cassant les dés du vers, l’inquiétante étrangeté de l’univers : «  Voir / l’envers du soleil les / entrailles / du chaos les / os. / Voir. Se voir. / Ne rien dire. » Et pendant que Mario de Andrade propose dans son « Nocturne de Belo Horizonte » une ode au Brésil entier, Luis Aranha compose un délire autobiographique en vers libres intitulé « Poème giratoire »…

      Une telle somme, sans compter préface et notices biographiques, heureusement bilingue, est continentale, à l’échelle de l’immensité du Brésil : cent-trente auteurs, mille cinq cents pages, cinq siècles et plus de mythes, de métaphores et de rimes, embrassant le récit des origines par les chamans indiens autant que l’importation du sonnet ou du poème en prose. L’arcadisme cultive les beautés naturelles, le romantisme s’exalte en son lyrisme, où « La poitrine aspire goulûment l’air de la vie » (Gonçalves Dias) parmi les grands espaces… Parnassiens et symbolistes précèdent les modernistes, parmi lesquels Ribeiro Couto est « ce révélateur tropical des tendances nouvelles ». L’amplitude des registres est en effet confondante : depuis le volontiers satiriste et sonnettiste baroque Gregorio de Matos qui se moque de Bahia en constatant que « La misère est le lot de quiconque ne vole pas », jusqu’à l’amateur de « bananes tachées de mort », l’auteur du vaste « Poème sale », Ferreira Gullar.

      Si l’on peut conseiller des découvertes étonnantes, on ira à la recherche de « La psychanalyse du sucre » et de « La parole à hauteur d’homme du Sertao » confiées par Joao Cabral de Melo Neto. Ou à la rencontre de « L’Océan viril et ses testicules d’or », par Haroldo de Campos, et de « la douceamère plainte des sereines ». De même, on succombera à la beauté énigmatique d’Agbar Renault : « Vous, poètes, vous ne connaissez pas l’amertume d’être ou de n’être pas poète / lorsque le monde scintille en douleur et se concentre en eau pour scintiller ». Mais aussi au testament de Mario Quintana :

« Qu’on me laisse avec quelques poèmes tordus

que j’aurais cherché en vain à redresser…

Quelle belle chose que l’Eternité, mes chers morts,

pour les lentes tortures de l’Expression !... »

      Plus loin, parmi les « deux millions d’habitants » de Rio, Carlos Drummond de Andrade conte sa solitude qui est la nôtre, et si aucune femme ne « reçoit cette tendresse », seul le poème « sauve de l’anéantissement / l’instant et la tendresse folle / que je brûle d’offrir ».

      Offerts au détour de ces pages savantes et affectueuses, les poètes sont les « bucoliques arcadiens de la Pléiade ultramarine », en passant par les gongoristes, « l’Académie des Oubliés », les odes whitmaniennes, le métissage ethnique et l’école bahianaise, jusqu’au modernisme d’Haroldo de Campos, parfois hermétique et mallarméen, déroulant ses images et ses créations linguistiques inédites. Ainsi, la richesse de ces écritures poétiques est proprement stupéfiante, comme lorsqu’Adelia Prado qui est « un ténia dans l’épigastre de Dieu », annonce : « Je n’aurai pas cette sérénité des portraits ». Voilà de quoi  inviter le lecteur à l’humilité : qui sait si, entre des pages encore infeuilletées au parfum d’exotisme tenace, ne réside pas le Génie du poème…

      Peut-être est-il parmi les vers de Nauro Machado (né en 1935), en son lyrisme oraculaire et sombre :

« Après le coït de l’aurore et de la nuit,

après l’inceste de l’ange avec les ténèbres

pourquoi, mère, avoir engendré un visage humain,

lui donnant cette conscience d’être un loup

qui dévore les pâturages du silence ? »

      C’est à un véritable sauvetage que ce sont livré nos deux éditeurs. D’œuvres menacées de disparition, qu’il s’agisse du travail de Benjamin Péret ou des productions de dizaines d’artistes anonymes, qui ne prétendaient pas faire art. Ces figurines, ces plumages sont des portes ouvertes sur tout l’univers des ethnies qui ont précédé la poésie venue d’Occident. Cependant n’avaient-elles pas leur poésie orale ? En effet l’anthologie, également ethnologue, et menée de main de maître par Max de Carvalho, commence par « Trois mythes des Indien du Xingu », par des « Chants et charmes d’amour indiens », avant que le XVI° siècle ne connaisse au Brésil la poésie écrite et imprimée en portugais. Même si Cecilia Meireles se demande « quels clairvoyants avertissements pourraient / donc bien lancer des voix mortelles », la clairvoyance de l’anthologiste, toujours susceptible d’oublier et de méconnaître, parait ici suffisamment généreuse. Au point que l’on imagine d’accoquiner ce volume, soudain devenu indispensable, avec les anthologies bilingues de poésie de la Pléiade…

 

 

Bragança, Portugal. Photo : T. Guinhut.

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28 février 2018 3 28 /02 /février /2018 09:29

 

Ganesh, Hôtel de Ville, Niort, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

 

L’Inde des Hijras et des romanciers engagés

par Arundhati Roy, Anosh Irani & Jeet Thayil :

Le Dieu des petits riens,

Le Ministère du bonheur suprême,

Le Colis, Narcopolis.

 

 

Arundhati Roy : Le Dieu des petits riens,

traduit de l’anglais (Inde) par Claude Demanelli, Folio, 448 p, 8,90 €.

 

Arundhati Roy : Le Ministère du bonheur suprême,

traduit de l’anglais (Inde) par Irène Margit, Gallimard, 544 p, 24 €.

 

Anosh Irani : Le Colis, traduit de l’anglais (Inde)

par Mélanie Basnel, Philippe Rey, 336 p, 21 €.

 

Jeet Thayil : Narcopolis,

traduit de l’anglais (Inde) par Bernard Turle, L’Olivier, 304 p, 22 €.

 

 

 

 

      Ganesh à tête d’éléphant est le dieu indien de la sagesse, de l’intelligence, de l’éducation et de la prudence. Fils de Shiva et de Parvati, il est incontestablement le plus vénéré. Il est de plus l’époux de Siddhi (le Succès), de Buddhi (l'Intellect) et de Rhiddhî (la Richesse). On est cependant en droit de douter qu’il favorise tous les Indiens, malgré une indubitable évolution du pays vers la prospérité, et encore moins les hijras, ces étrangetés sexuelles, ou troisième sexe. Trois romanciers, Arundhati Roy, Anosh Irani et Jeet Thayil, animent de tels personnages, méprisés, exploités à l’envi, jusqu’à la révolte, et peut-être la rédemption. Au-delà de leur quartier réservé, elles sont le reflet du sous-continent indien, de ses obscurantismes sociaux et de ses chaos politiques, espérant cependant rejoindre un jour un bonheur suprême.

      C’est avec Le Dieu des petits riens que l’Indienne Arundhati Roy révéla son talent en 1997, un roman aussitôt récompensé par le Booker Prize, qui paraissait intouchable par une indienne, quoique contant l’amour impossible d’une femme pour un Intouchable. Née en 1961 d’une mère chrétienne au Kerala et d’un père hindouiste et bengali -deux religions et deux ethnies- elle fréquenta les Intouchables, ou Dalits, ces inférieurs affectés aux tâches les plus impures, comme la vidange ; et ce malgré l’inconstitutionnalité de cette injuste discrimination, combattue par Gandhi. Même si l’un d’eux devint juge de la cour suprême de New Delhi, ou Premier Ministre, les cloisons étanches des centaines de castes sont loin d’être abolies dans les faits. Ainsi, l’Intouchable aimé par la mère des jumeaux de huit ans, Rahel et Estha, et mis en scène par la romancière, figure le coupable idéal et honni en toute injustice. En ce roman semi-autobiographique, l’on côtoie leur grand-mère, Mammachi, qui fabrique en sa conserverie des confitures trop sucrées, l'oncle Chacko, coureur de jupons néanmoins romantique converti au marxisme pour servir son portefeuille, la grand-tante Baby Kochamma, mystiquement énamourée d’un prêtre irlandais. L’univers des jumeaux est ébranlé lorsqu’Ammu, leur mère abandonnée par son mari, aime passionnément Velutha, cet Intouchable qui est le pivot du roman engagé, ce qui vaut à l’auteure de la transgression une haine sociale indéfectible. C’est bien une gageure que de se laver, « comme d’une vieille peau de serpent », des oripeaux d’une culture obscurantiste et oppressive…

      Fleuves et sucreries, rixes entre communistes et propriétaires, coureurs de jupons endiablés, amours mystiques et romantiques, voilà un roman immense, coloré, violent, tendre et sensuel, où le dieu repose dans les « petits riens », telle l’araignée « Sa Majesté des débris ». On entre en pays d’enchantement et de cauchemars, et l’on comprend aisément que la famille des jumeaux reflète dans son histoire celle de l’Inde entière. La construction savante est celle d’une architecture où les piliers du temple et les voûtes de l’espace sont distribués selon le bon vouloir de la romancière virtuose qui n’hésite pas à déconstruire le suspense en laissant deviner, dès les premières pages, le tragique dénouement. Les plans changeants du récit, la richesse des métaphores, des champs lexicaux et des allusions, du lyrique et du trivial, la sûreté de la poétique culminent lors du final, quand Ammu aime Velutha, lorsqu’une « langue d’intouchable toucha ce qu’il y avait de plus intime en elle ». C’est ainsi qu’Arundhati Roy -non sans polémiques- devint avec Le Dieu des petits riens une sorte de vitrine du féminisme indien.

      L’engagement social de la romancière tint à cœur de défendre des populations rurales menacées par la construction d’un barrage gigantesque, mais cette fois dans un essai, Le Coût de la vie[1]. Son article « La fin de l’imagination », conspuant les essais nucléaires indiens, fit d’elle une incontournable conscience politique. « J’écrirai un autre livre si j’ai quelque chose à raconter » aurait-elle alors déclaré. Son premier roman, brillant au demeurant, fut en effet suivi -et ce fut peut-être dommage- par une carrière d’essayiste engagée, contre le capitalisme, contre le nationalisme hindou et en faveur de la cause écologiste ; selon ses convictions, le lecteur se résolut à devoir préférer l’un ou l’autre engagement. Plût cependant à l’éléphant Ganesh, dieu porte-bonheur et patron de la science, des arts et de la littérature, d’inspirer à nouveau une auteure aux beautés -du style et du visage- également confondantes…

 

      Il est heureux qu’Arundhati Roy retrouve, vingt ans plus tard, le territoire de la fiction. Intrigant, généreux, tel apparait Le Ministère du bonheur suprême ; car cet océan d’histoires est une somme, peuplée d’une réelle abondance de personnages, reflétant la mosaïque ethnique, culturelle et religieuse de l’Inde moderne, issue de la partition, « tranchant la carotide de Dieu le long d’une nouvelle frontière entre l’Inde et le Pakistan », ce qui est une belle formule.

      Suivant la destinée d’Anjum, nous voici parmi les Hijras, ces homme-femmes, eunuques et autres transgenres, confinés dans un quartier réservé, à New-Delhi. Qu’elles soient musulmanes ou hindouistes, leur sort est à la fois sacré et méprisable, un peu comme celui des Intouchables. La jeune mère d’Anjum voit à sa grande surprise apparaitre « niché sous ses parties masculines, un petit organe, à peine formé, mais indubitablement féminin », comme dans l’histoire de Calliope, dans le roman de Jeffrey Eugenides, Middlesex[2]. Hermaphrodite bientôt rejetée par ses parents, elle est une prostituée qui se fait transsexuelle, quittant sa masculinité, mais aussi la jouissance. Hélas, elle ne vit pas au XVI° siècle, lorsque sous le règne de l’empereur moghol les hijras étaient éminemment respectées ; elles sont honteusement exploitées. Anjum a cependant pour consolation un « seul amour » : une enfant trouvée qu’elle adopte.

      Tilo, un architecte, croise la route de notre malheureuse héroïne. Lui découvrit le sens de sa vie en devenant activiste politique ; et peut-être est-il l’acter ego de notre romancière et essayiste. De surcroît le sens du romanesque ne se fait pas faute d’oublier lui accoler trois hommes amoureux. Tilo et Anjum fondent enfin le « ministère du bonheur suprême » près d’un cimetière où elle vit en paria, avec piscine, zoo, école « pour le Peuple », entreprenant une utopie réalisable. Ce qui rend essentiellement nécessaire le personnage d’Arundhati Roy, romancière en ce sens judicieusement engagée au moyen de ses modèles, parias parmi les minorités, qu’elles soient hijras ou intouchables.

      L’on croise dans Le Ministère du bonheur suprême des personnages hauts en couleurs, l’on bute sur le docteur Azad qui jeûne pour la cause révolutionnaire, l’on entend l’écho de l’explosion de l’usine de pesticides de Bhopal, du 11 septembre et de la guerre en Afghanistan… Car à ces destinées individuelles s’ajoute celle du continent indien tout entier : Tilo devient « peu à peu tout le monde » et « peu à peu tout ». Au cours d’un voyage, notre héroïne, ou anti-héroïne, se trouve mêlée à un massacre de pèlerins hindous et à la répression gouvernementale sanglante contre les Musulmans. Le Cachemire et ses vallées sublimes sont alors le nouveau théâtre des opérations, tiraillé entre les velléités d’indépendance et les grandes puissances qui l’oppriment. Le bruit et la fureur des nationalismes et des fanatismes religieux résonnent. Reste que l’abondance des péripéties n’entraîne pas toujours l’adhésion du lecteur, faute peut-être de suspense.

      L’univers mis en œuvre par Arundathi Roy est fourmillant, truculent, souvent sordide, sensuel et brutal, vigoureusement réaliste, et tenaillé par une palette d’émotions considérable : douleur, compassion, joies fugaces… Il est accusé par une écriture fouillée, attentive, coruscante. Si elle écrit en anglais, cette langue qui chapeaute les centaines de langues et dialectes indiens, elle sait autant briller par la couleur locale qu’en rendant ses personnages, dont au premier chef Anjum, très attachants.

      Ce qui pourrait être une fresque émouvante, brûlante et vigoureusement contrastée, pâtit cependant d’une dynamique romanesque inégale : c’est de l’ordre du collage qu’apparaissent des éléments tirés de la presse et des médias, des publicités, des « infos », des lettres et des poèmes, des récits emboités, comme lorsqu’elle rapporte le lynchage de Musulmans dans l’Etat du Gujarat, ce à la façon de la technique initiée par John Dos Passos, dans 42° Parrallèle[3].

      Le risque, de la part d’une auteure aux convictions politiques affirmées et qui pratique « le langage enfiévré de la Gauche », est de se confier à un manichéisme que d’aucuns trouveront dommageable. Le parti au pouvoir et ses « brutes » sont les « défenseurs de la foi hindoue », quand les Musulmans ne sont que victimes, alors que l’on connait l’atavique propension au jihad guerrier contre les infidèles[4]. La reductio ad hitlerum est pour le moins dommageable : « la vague safran du nationalisme hindou se lève dans notre pays comme le svastika dans un autre au siècle dernier ». L’utile dénonciation sociale assène une réflexion géopolitique qui frôle le prêchi-prêcha, handicapant les ressorts de la fiction. Au point de nous interroger : nous fait-elle le plaisir d’un roman qui ne soit pas lourdement à thèse ?

      Nous ne pouvons que comprendre et soutenir l’indignation d’Arundhati Roy : « Comment pouvez-vous accepter qu'on mutile des centaines de gens au Cachemire ? Comment pouvez-vous accepter une société qui, depuis des milliers d'années, a décidé qu'une partie de sa population pouvait être appelée intouchable ? Comment pouvez-vous accepter une société qui brûle les maisons des populations tribales et les expulse de leurs foyers au nom du progrès ? » dit-elle dans un entretien paru dans Courrier International[5]. On ne la suivra cependant plus lorsque son anticapitalisme fait fi de ce que le capitalisme[6] apporta, apporte et apportera au bien-être d’une immense majorité de l’humanité, lorsque son écologisme[7] devient irrationnel, lorsque sa cécité idéologique lui fait baisser les paupières de son intelligence devant l’Islam…

      Le souffle de la romancière Arundhati Roy nous pousse à nous demander s’il faut la comparer à Faulkner, à Garcia Marquez, à Dickens ou à Salman Rushdie. Si elle a probablement lu et relu ses illustres devanciers, en son roman de société ses yeux d’Argus savent voir parmi quelques-unes des facettes de l’Inde, dans une perspective humaniste, quoique trop partisane et souvent erronée. Ecrire est une éthique, que l’on soit romancière d’envergure internationale ou critique de plus modeste ampleur, au lecteur de savoir choisir, au-delà de l’argument d’autorité, mais de la connaissance des idéologies et des faits.

 

      L’hijra d’Anosh Irani, quoique née dans un corps masculin, se vit à quatorze ans amputée de ses organes génitaux, pour avoir été suspecté d’homosexualité. Prostitution, puis l’âge venant, mendicité, sont le lot des hijras du quartier rouge de Bombay. Le « colis » du titre est celui d’une enfant, parmi celles que vendent les familles pauvres aux fins d’esclavage sexuel. Ainsi le « Monsieur-Femme » Madhu, qui fut un jour « au sommet de sa gloire sexuelle », est-elle contrainte d’éduquer une fillette de dix ans nommée Kinjal à sa future condition servile et misérable ; éduquer signifiant rendre malléable et passive le petit animal amené dans sa cage, y compris lors de sa défloration achetée à prix d’or par un client, puisqu’elle est destinée à une prostitution pléthorique. Ce faisant, Madhu se revoit en ce miroir, sentant « sur ses épaules tout le poids de l’histoire qui se répète », et ramenant à la surface de la conscience et du récit ses propres souvenirs, en un immense retour en arrière, alternant le présent et le passé.

      Créatures tant vénérées que méprisées, les hijras sont le reflet de l’Inde traditionnelle. Pourtant Madhu a un amoureux, nommé Gajja : « Mon trou du cul est public, lui dit-elle un jour, mais mes lèvres sont privées », hommage d’apparence peu galant, mais réel, adressé à cet homme qu’elle bénit et qui la compare à la lune.

      Entre détresse physique de la tuberculose et détresse morale de qui doit endurer sans piper mot, entre misère du trottoir et prostituées battues, balayées par le sida, le pathétique le dispute au réalisme cru, voire au naturalisme à la façon de Zola. Dans un roman sans fard, son auteur, Anosh Irani, mène jusqu’à son terme son regard compassionnel au moyen d’une écriture au scalpel, expressive : le lecteur se sent pris à la gorge devant ces destinées condamnées, devant cette cour des miracles où règne la saleté et la promiscuité, l’exploitation, l’abrutissement et la violence aveugle. Sociologue et psychologue à la fois, le romancier ne néglige pas pour autant l’intrigue, les péripéties sordides d’une vie à son automne, qui saura se sacrifier pour sauver sa jeune élève en une conflagration presque apocalyptique. Ainsi que le terrible roman d’éducation d’une fillette, qui, par chance, évolution des mœurs et concours de l’engagement de diverses Organisation Non Gouvernementales aidant, verra sa condition trouver sa rédemption et témoigner devant la caméra de télévision : « J’ai appris à lire et écrire l’anglais, c’est un vrai accomplissement ».

      Ecrivain engagé, doué d’empathie, efficace, Anosh Irani sait user des images, « avec le culot d’un klaxon de camion ». Un cinéma porno s’appelle « Le Marchand de bites », à l’occasion duquel l’on apprend que des hommes sont persuadés que le Sida n’existe pas. Là où vivent les hijras, « le tiers-monde n’est pas un lieu, c’est un genre », dénonce-t-il.

 

      Vous entrez encore ici dans un monde sordide. Au plus profond de Bombay, le marché de la drogue et de la prostitution prospèrent conjointement. L’Indien Jeet Thayil (né en 1959) met en scène un narrateur venu de New York, nommé Dom, qui vient découvrir l'inframonde de Narcopolis.

      La narration, touffue, précise et onirique à la fois, n’est ni linéaire ni chronologique. Elle rassemble une poignée de personnages qui, tour à tour, nous font découvrir leurs destinées. Fossette tout d’abord, est un(e) eunuque castré dans son enfance, pourvoyeuse de pipes d’opium et de passes souvent brutales : « Quand on te coupe jeune, tu deviens une femme plus tôt », dit-elle. Rashid est l’irascible dealer de substances diverses, opiacés, coke, cannabis, héroïne, car « La vérité est héroïne, est beauté ». Quant à Monsieur Lee, c’est grâce à un vaste retour en arrière que l’on découvre les tragiques tribulations de sa famille en Chine maoïste, puis sa fuite, son lent naufrage dans l’oubli des fumées narcotiques, enfin sa mort et la pauvre fin de ses cendres. Mais aussi un peintre dévasté, un poète raté qui rêve de voir « synthétiser une version de la drogue qui ne procurerait que du plaisir, à savoir un plaisir sans un prix à payer »…

      Entre « le sari et la burqa », entre hindouistes et musulmans, les conflits font rage, le machisme s’étale, la pauvreté côtoie l’argent sale. Ainsi la structure tournoyante et hallucinée du récit, sans euphémisme, permet une sorte d’étude sociologique réaliste et sans concession. Où la fumerie est l’épicentre de l’action, de l’addiction. Ces nouvelles confessions d’un fumeur d’opium, pour réécrire le fameux titre de Thomas de Quincey, feraient désespérer de l’humanité. Qu’il s’agisse de la veulerie des Indiens et Chinois devant la drogue ou de l’exotisme complaisant des touristes occidentaux à son égard, si le romancier ne prend pas explicitement parti, respectant le « libre arbitre » de ses personnages, le verdict reste sans appel.

      Pour reprendre les mots d’Arundathi Roy, « Notre foi imbécile en des singes et des apparitions à tête d’éléphant ne nourrira pas nos masses affamées ». Certes, mais la foi en un communisme périmé ne fera pas mieux, ni même le nationalisme hindou, et moins encore l’Islam, autre « foi imbécile », plus dangereuse encore. Mieux vaut se confier au travail, comme son héroïne et aux Lumières du libéralisme économique, qui d’ailleurs permet que l’Inde aille mieux que lors de son socialisme décrété à l’occasion de l’indépendance. Plus modeste, Anosh Irani ne prétend pas embrasser le destin de l’Inde entière. Ses personnages ont néanmoins, au-delà de leur réalité accusatrice, une valeur allégorique : en un humanisme en marche, l’on espère que, fillettes, femmes, hermaphrodites ou homosexuels, quelques soient leur sexe ou leur genre, le progrès économique et de l’éducation leur rendra leur dignité.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Narcopolis a été publiée dans Le Matricule des anges, septembre 2013

celle sur Le Ministère du bonheur suprême en janvier 2018.

 

 

[1] Arundhati Roy : Le Coût de la vie, Gallimard, 1999.

[3] John Dos Passos : 42° Parallèle, Club Français du Livre, 1949.

[5] Le Courrier international, janvier 2018.

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22 février 2018 4 22 /02 /février /2018 17:50

 

Oñati, Gipuzkoa. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

 

 

Spectres du communisme I :

Karl Marx théoricien du totalitarisme.

Autour de Jonathan Sperber :

Karl Marx, homme du XIX° siècle.

 

 

Jonathan Sperber : Karl Marx, homme du XIX° siècle,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par David Tuaillon,

Piranha, 2018, 576 p, 26,50 €.

 

 

 

       Un ange aux mains de sang hante l'Europe, c'est l'ange du communisme... Surgie des décombres de la Première guerre mondiale et de l’autocratie des tsars, la Révolution bolchevique d’octobre 1917 a un père spirituel : Karl Marx, tel qu’en lui-même. Aurore de l’humanité heureuse selon les uns, venin terrible selon les autres, est-il possible de présenter l’homme et l’œuvre de manière objective ? Ce que tente de faire son biographe attentif, Jonathan Sperber. La même question bute sur les cent-vingt millions de morts dus aux régimes communistes qui en sont la conséquence, dévoiement ou suite inéluctable… En fait Marx est le théoricien du totalitarisme, Lénine l’exécutant, Staline le continuateur impeccable.

      Moins une icône intemporelle qu’un homme de son temps, voilà ce que se propose intelligemment de rétablir Jonathan Sperber, au sujet de Karl Marx (1818-1883). L’entreprise est évidemment louable, de surcroit documentée, digne de faire de l’ombre à une biographie canonique, celle de Boris Nicolaïevski par exemple, qui, en tant que socialiste russe ne pouvait que préférer en son icône l’homme politique et militant, même s’il  commençait ainsi : « Démon ténébreux, ennemi mortel de la civilisation humaine, prince du chaos pour les uns, pour les autres chef aimé et clairvoyant qui mène le genre humain vers un avenir plus lumineux[1]». Aussi faut-il, selon Schumpeter, « apprendre à distinguer faits et raisonnement logique solide du mirage idéologique[2] ». Ce que ce dernier applique à la pensée de Marx, il faut également l’appliquer à l’homme et à sa vie. Ce à quoi s’attelle avec, semble-t-il, autant de sérieux que de succès Jonathan Sperber.

      Ce dernier brosse d’abord un roboratif tableau historique de la ville de Trèves au début du XIX° siècle, du petit milieu juif où nait la future icône de la lutte des classes. Son père, adepte des Lumières, se convertit au protestantisme, de façon à exercer sa carrière d’avocat, florissante. Une éducation classique permit au jeune Karl de lire le latin et le grec, le français, puis l’anglais. Son teint basané lui valut à l’Université de Bonn, puis de Berlin, un surnom : « Le Maure ». Ce qui, avec son origine juive et son impécuniosité, ne favorisa guère ses fiançailles, puis son mariage avec Jenny.

      Adorateur de Hegel et de « l’Esprit de l’histoire universelle », il fait partie des « jeunes hégéliens », critiques de la religion, jusqu’à l’athéisme, ce dans une Prusse conservatrice. Egalement influencé par Feuerbach, il écrira à son propos ses Thèses, dont la dernière restera célèbre : « Les philosophes ont jusqu’à présent seulement interprété le monde ; il convient à présent de le changer ». Après sa thèse sur Démocrite et Epicure, il se consacre au journalisme politique et polémique. Il défend la liberté de la presse, dans le cadre d’un « libéralisme allemand », ce que Le Manifeste communiste contredira, d’autant qu’il abattra les libertés économiques. C’est en 1842 qu’il découvrit le communisme, venu de Saint-Simon et Fourier, auquel il est d’abord opposé, dont il allait pourtant faire son cheval de bataille : « le prolétariat succède à l’Esprit absolu de Hegel » ; en une sorte de religiosité. Religiosité qui s’est totalement éloigné du judaïsme de ses ancêtres, puisqu’en 1842, dans À propos de la Question juive, il écrivit : « Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, l’utilité personnelle. Quel est le culte profane du Juif ? Le trafic. Quel est son Dieu profane ? L’argent. Eh bien, en s’émancipant du trafic et de l’argent, par conséquent du judaïsme réel et pratique, l’époque actuelle s’émanciperait elle-même ». Phrase visiblement antisémite, quoique les interprètes soient fort divisés sur la question, en particulier quelques marxolâtres préférant y voir un projet d’émancipation universelle du capitalisme, ce qui peut paraître passablement spécieux.

      Après un séjour à Paris, où Marx rencontra Engels, 1848 vit ses positions révolutionnaires l’obliger à se réfugier en famille à Londres : c’est là qu’en 1848 il publie Le Manifeste communiste. Résolument opposé au capitalisme et la propriété privée des moyens de production, favorable au collectivisme, il associe « le capitalisme aux Juifs de manière désobligeante », au point que l’on doive se demander si son antisémitisme n’est qu’un effet d’esprit du temps, ou s’il participe des péchés capitaux de l’Envie et de la Colère. Il deviendra un forcené du travail en bibliothèque, au service de son œuvre-maîtresse, Le Capital, qui, bien heureusement, n’a pas réussi à abolir les péchés capitaux du capitalisme[3]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Scrupuleux au point de retraduire ses citations de l’Adam du communisme, notre biographe n’évite pas, au-delà de la vie familiale et des années de formation, « la présentation des idées de Marx dans leur contexte ». Ambitieux, ses modèles sont une somme sur Martin Luther par Heiko Huberman et celle d’Ian Kershaw sur Adolf Hitler. Il en résulte une biographie factuelle et intellectuelle, perspicace et passionnante. Disons-le tout net avec Jonathan Sperber, qui parle en historien : « Marx était partisan d’une révolution violente, peut-être même terroriste, mais qui aurait plus à voir avec les actions de Robespierre, qu’avec celles de Staline ». Il est permis cependant de douter de son rapprochement entre Robespierre et Marx. Le révolutionnaire de la Terreur de 1793, certes abject, n’était pas l’auteur de l’idéologie totalitaire qui fit le succès de l’auteur du Capital.

      L’objectivité nécessaire du biographe doit cependant passer la main au jugement de valeur, à l’argumentation, au-delà d’un procès ad hominem, en vue d’établir la part de culpabilité du théoricien révolutionnaire, non seulement dans les désastres économiques du communisme, mais dans ses génocides, de Lénine à Mao…

      Si Marx mettait sur le même plan les travailleurs exploités des campagnes et ceux de l’industrie, il oubliait que les premiers devenant les seconds échappaient à un sort pire, celui de souvent crever de faim au sens littéral, avant de pouvoir, ou du moins leurs descendants, accéder peu à peu à la classe moyenne, grâce au développement économique et non grâce au socialisme qui ne permit pas, au cours du XX° siècle, d’égaler les succès, mêmes imparfaits, du capitalisme libéral. Car l’on est passé de l’accumulation du capital et de la propriété par la violence à la fructification de ses derniers par le travail.

      On reste sceptique devant la récurrence du terme « scientifique », appliqué par Marx et ses suiveurs au socialisme, prélude du communisme. Le comparer à cet autre bouleversement intellectuel du XIX° siècle, le darwinisme, n’est-il pas un abus de langage et d’autorité ? Si les analyses du capital et de la plus-value, fourbies par l’auteur du Capital valent leur pesant d’analyse et de perspicacité économique, du moins pour son temps, ce que confirme avec révérence un libéral autorisé comme Raymond Aron[4], affubler d’une dimension scientifique l’échelle idéologique messianique qui doit passer du stade du capitalisme à celui du communisme au profit du prolétariat et de la disparition des classes sociales est une pure galéjade, de surcroit tragique. C’est bien le libéralisme économique et politique, même entravé, qui a tenu et dépassé les promesses de la richesse des nations et des individus, grâce à la « main invisible[5] » du marché selon Adam Smith en 1776, et non la lourde patte griffue, sanglante, du communisme tout droit hérité de son Manifeste de 1848.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Quant à ce dernier, il ne faut pas se gargariser de son célèbre incipit, dont la rhétorique doit tant à Rousseau : « Un spectre hante l’Europe, c’est le spectre du communisme », immédiatement suivi par la formule réductrice et guerrière : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours, c’est l’histoire de la lutte des classes ». Mais se reporter à sa conclusion terriblement logique et à ses « mesures » nécessaires : « Expropriation de la propriété foncière », « Impôt sur le revenu fortement progressif », « Abolition du droit d’héritage », « Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles », « Centralisation du crédit entre les mains de l’Etat […], de tous les moyens de transport et de communication », « plan décidé en commun », « Travail obligatoire pour tous, constitution d’armées industrielles[6] ».

      Aussi devant ce projet éminemment totalitaire, quoique pas explicitement génocidaire, antiéconomique, et scrupuleusement réalisé par les régimes communistes du XX° siècle, sans compter la Commune de 1871, l’on se demande bien par quel miracle « l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses conflits de classes, fait place à une association où le libre épanouissement de chacun est la condition du libre accomplissement de tous[6] » ! Il est évident que les « rebelles » au communisme se verront non seulement confisqués de leurs biens et de leurs libertés, mais, comme l’Histoire l’a montré[7], acculés à la balle dans la nuque, au goulag et au logaï[8]. À cet égard, si Jonathan Sperber note que les prédictions de Marx au sujet du capitalisme, « comme l’appauvrissement des masses laborieuses, ne sont pas vraiment réalisées comme prévues », alors que le communisme les a acculées au pire, il oublie de penser que la violence du programme, en effet inspirée par « le modèle de la Révolution française », est irréductiblement d’essence totalitaire.

      Soyons iconoclastes en déboulonnant le mythe fondateur du marxisme : le patron oppresseur des prolétaires. Mais s’il n’y avait pas eu des entrepreneurs pour inventer, créer, qu’auraient ces maudits ouvriers sous un ciel sans Dieu ? Rien. Certes ils apportent leur force de travail indispensable, mais sans l’invention, la direction, l’innovation de ceux qui les dirigent peut-on imaginer qu’ils fussent parvenus au degré de confort, y compris dévolu aux plus modestes d’entre eux, que notre développement économique a permis ? La lutte des classes laisse alors place à leur collaboration, avant l’aspiration vers le haut des plus modestes d’entre elles…

 

      La Commune de 1871 étant pour Marx une « répétition générale », on peut imaginer que le bolchevisme de Lénine et le soviétisme de Staline[9] auraient répondu à ses vœux… Certes l’on n’est pas forcément responsable de ce que l’on a commis en son nom, mais songeons, avec Jonathan Sperber, combien furent nombreux ceux qui s’en réclamèrent : « les dirigeants des mouvements ouvriers de masse de l’Europe du début du XX° siècle, les partisans d’un renversement violent de l’autorité du tsar, les cadres de la révolution communiste mondiale, les militants anti-impérialistes en Asie, en Afrique et en Amérique latine au milieu du XX° siècle, ou encore les jeunes intellectuels hostiles à la société de consommation des années 1960 en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, tous étaient marxistes ». Pourtant, Loin d’être une généreuse espérance, le diktat de Marx conduit tout droit à la tyrannie totalitaire de Lénine, de Staline et de Mao...

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 


[1] Boris Nicolaëvski et Otto Maenchen-Helfen : La Vie de Karl Marx. L’homme et le lutteur, Gallimard, 1970, p 11.

[2] Joseph A. Schumpeter : Histoire de l’analyse économique II, Gallimard, 1983, p 28.

[4] Raymond Aron : Le Marxisme de Marx, Bernard de Fallois, 2002.

[5] Adam Smith : Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations, PUF, 1995, p 513.

[6] Karl Marx : Le Manifeste communiste, Œuvres I, La Pléiade, Gallimard, p 161, 182.

 

Poitiers, Vienne. Photo : T. Guinhut.

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21 février 2018 3 21 /02 /février /2018 18:55

 

Alhambra, Granada, Andalucia. Photo T.Guinhut.

 

 

 

 

 

 

Petite revue d’islamologie I :

 

l’Histoire de l’Islam, de Mahomet et du Coran

 

au mythe Al-Andalus.

 

 

 

 

Hela Ouardi : Les Derniers jours de Muhammad, Albin Michel, 366 p, 8,90 €.

 

Mathieu Guidère : Au Commencement était le Coran, Folio, Gallimard, 272 p, 7,80 €.   

 

Serafin Fanjul : Al-Andalus, l’invention d’un mythe,

traduit de l’espagnol par Nicolas Klein et Laura Martinez, L’Artilleur, 720 p, 28 €.

 

 

 

 

 

 

      Mortels sont les prophètes ; hélas, trois fois hélas, parfois trop immortelle est leur doctrine, d’autant qu’elle multiplie les morts. N’en déplaise aux esprits lénifiants, le cadavre de Mahomet ne cesse d’empuantir la planète, depuis ses « derniers jours », contés par Hela Ouardi. Son livre saint, depuis quatorze siècles, légitimant une sainte violence, nombre de penseurs musulmans en réclament une relecture contextualisée et surtout plus paisible, plus ouverte, selon Au Commencement était le Coran de Mathieu Guidère. Car, non content d’imposer le jihad guerrier, l’Islam veut nous faire croire en son irénisme. Reste à lever le voile sur les dessous du mythe Al-Andalus, à la manière de Serafin Fanjul. Les livres de ces nécessaires historiens des religions sont ouverts aux yeux qui veulent s’affranchir de l’ignorance, des préjugés, de l’obscurantisme : « Ose savoir », disait en effet Kant dans Qu’est-ce que les Lumières ?[1]

      Que s’est-il vraiment passé, à Médine, en juin 623, quand le prophète expira son dernier souffle ? La Tunisienne Hela Ouarbi se livre à une rigoureuse -tant que faire se peut- enquête sur une mort mystérieuse dans son essai historique Les Derniers jours de Muhammad. Qu’on se le dise, rien ici de l’hagiographie, rien de l’idéologie close sur elle-même, mais la tentative d’approcher au plus près de l’historicité un homme cerné par les rivalités au sein de son clan, par les ennemis et jaloux que ses conquêtes ont suscités, et par une guérilla familiale de succession qui aboutira au schisme entre les sunnites et les chiites.

      La bouche qui proféra les saintes sourates morte, on propage pourtant des versets jamais entendus. D’autres disparaissent opportunément. C’est entendu, le Coran, outre ses manuscrits sur des peaux et autres omoplates de chameaux plus tard détruites, est une fabrication a posteriori. Mais le plus étonnant n’est pas là : pourquoi laisse-t-on le corps pourrir deux jours, a-t-il été empoisonné, a-t-il été empêché de dicter son testament ? Voilà bien une histoire suspecte qu’environne « l’obsession du blasphème[2] ». « Roman familial », « complot », épouses diverses, dont  Aïsha, « sémillante petite rougeaude » qui, à neuf ans, dut avoir des relations conjugales avec le prophète, mais sensuelle, intelligente, ce qui lui permet de conserver un grand prestige. Tout cela se déchire entre versions diverses, voire antagonistes, faisant du prophète un doux agneau ou, ce qui est plus historique, un cruel chef de guerre[3] : « Comment les musulmans peuvent-iles être édifiés par une vie censée être exemplaire, faite d’un aussi grand nombre de paradoxes ? », médite Hela Ouarbi.

      Mahomet mort, en 632, la succession se partage en deux légitimités, de façon à prendre le contrôle de la communauté des croyants : Ali, gendre et fils spirituel, devient le chef des futurs chiites, quand Abû Bakr, le père d’Aïsha donnera naissance aux sunnites en devenant le premier calife. On connait la guerre perpétuelle qui s’en suivit et continue d’envenimer le Proche-Orient…

      Sourcilleusement érudit et basé sur de nombreuses sources, hadiths, « Sirâ », exégèses et chroniques, l’essai se lit comme un feuilleton. Il montre comment une religion, de surcroît aussi politique que celle-ci, est dès sa naissance, un champ de lutte d’influences et de pouvoir. Les terroristes de quatorze siècles sont bien, selon Hela Ouardi « la partie visible de cet immense iceberg qu’est le conformisme religieux, complice silencieux du crime », ce que nous disions sous les termes d’une autre métaphore, l’arbre et la forêt[4].

 

      Quoique le Coran, cette récitation, soit d’origine humaine, trop humaine, venu du pillage de l’Ancien et du Nouveau Testament, venu peut-être de manuscrits antéislamiques, car aucune œuvre n’existe ex nihilo, on est bien obligé de se référer au seul livre transmis avec vénération et fiel par la postérité, car Au commencement était le Coran, assure Mathieu Guidère. Ce dernier saisit le problème à bras le corps, dès son avant-propos : « la violence qui se réclame de l’Islam et qui puise sa légitimation dans le Coran même ». Ce dernier livre est non seulement un champ de « soumission » (c’est là le sens du mot du livre miraculeux) des Musulmans, et plus drastiquement contre les femmes, une objurgation continue à la violence contre les Juifs, les Chrétiens, « les « associateurs », les apostats, plus largement contre toutes les libertés, religieuses et politiques, mais aussi un livre prétendument révélé, incréé, éternel, ne varietur, donc fermé à toute interprétation contextualisée et ouverte. Ce livre (dont le kitsh répétitif et clinquant à désespérer des bibliothèques arabes inonde la couverture de l’essai de Mathieu Guidère) est « perçu comme un message anhistorique alors qu’il est devenu anachronique à bien des égards », ce qui est un doux euphémisme.

      Mathieu Guidère met avec sûreté l’accent sur les rares manuscrits, la construction arbitraire du Coran, ses « versets sataniques » et « magiques », ses sourates rangées de la plus longue à la plus brève, venues de La Mecque et de Médine, les plus anciens versets,  un peu plus conciliants, abrogés par les plus récents et plus radicalement cruels. Et, cerise sur le gâteau, « l’abrogeant universel », ce fameux « verset du sabre » (IX, 5)[5] : « Tuez les polythéistes partout où vous les trouvez », qui décrédibilise le trop souvent hypocrite « Nulle contrainte en religion » (II, 256). L’affaire est entendue, un fanatisme assassin[6] commande l’Islam. Jusque dans son au-delà, il est contradiction, car il fait couler le vin en son paradis et l’interdit sur terre. Et dire qu’une part énorme de l’humanité suit ou prétend suivre un tel tissu d’incohérences, de violences et d’obscurantisme…

      Reste qu’en retrouvant le chemin de la lecture, de l’interprétation, on arrive par exemple à lire le voile coranique (ce en arabe classique), comme ne devant cacher que « les plis du corps, la fente sexuelle ou fessière, ou encore la poitrine, les seins, l’échancrure (l’espace entre les seins) » Rien du visage donc, rien de cet étendard politique, à la fois de la soumission féminine et de l’exhibition nationaliste et tyrannique de l’oumma (la communauté des croyants). Ce qui ne dédouane en rien le livre dit saint ni sa religion dont nous conseillons de jeter le voile qu’il jette sur les libertés aux orties…

      Il faut alors réclamer une démarche de contextualisation du livre le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité, passée voire à venir, une démarche critique. Mathieu Guidère s’est donné pour tâche de faire entendre les voix des penseurs musulmans qui veulent adapter ce livre et cette religion à notre monde contemporain, à son pluralisme, à ces libertés, aux droits de l’homme. « Ces penseurs invitent les croyants à vivre la religion comme une expérience individuelle, dans une relation directe à Dieu et sans prendre le verbe coranique au pied de la lettre ». Dénaturation ? Gageure ? Taqîya (dissimulation) ? À moins de penser, comme Aquila, que le meilleur service à rendre aux Musulmans et à l’humanité, soit « un monde sans Islam[7] ». Et si les Musulmans ne peuvent se passer de transcendance, de foi, de morale religieuse, ils trouveront mieux dans le Judaïsme et le Christianisme…

      Car qu’est le vrai Islam sinon celui du Coran mais aussi des haddits et de la jurisprudence musulmane en la charia ? Le désosser de ses versets génocidaires, violents, sexistes, tyranniques, comme le font mentalement ceux qui prétendent à un Islam de paix ou des Lumières, serait un salut qui en signerait la fin. Si le travail de Mathieu Guidère est plus qu’intéressant et nécessaire, il trouve là sa limite.

 

      Voici un point d’histoire nodal : l’Andalousie, paradis de la coexistence des cultures, chrétienne, juive et musulmane. Tudieu, quelle billevesée ! Répandue au point que Tidiane N’Diaye lui-même nous parle des « Lumières » du XI° siècle arabe et andalou »… Au contraire du mythe islamophile et romantique, la réalité historique est beaucoup plus radicale, ce qui est cohérent avec nos précédentes lectures. Serafin Fanjul, philologue arabisant et historien espagnol, montre avec ampleur et précision que la coexistence pacifique des trois cultures n’est qu’un fantasme rétrospectif qui fait fi des razzias, des massacres récurrents appliqués avec constance par les envahisseurs maures, de l’infamant statut de dhimmi appliqué aux Chrétiens et aux Juifs, de l’oppression quotidienne, y compris vestimentaire, de l’obligation de se convertir ou d’émigrer vers le nord ou encore d’être déporté vers le Maroc : « un régime plus proche, mutatis mutandis, de l’apartheid sud-africain que de l’Arcadie idyllique ».

      Pas un instant, Serafin Fanjul n’oublie les intolérances mutuelles entre les religions, particulièrement inhérente au Coran, pointant les illusions de ceux, comme Americo Castro, qui s’extasient à propos de « la doctrine coranique de la tolérance », faisant appel au : « Croyants ! Ne vous liez pas d’amitié avec les Juifs et les Chrétiens ! (Coran, V, 56) ». En la matière, Ibn ‘Abdun « compare Juifs et Chrétiens aux lépreux ». S’ils ne sont pas massacrés, comme à Cordoue en 850-57, à Grenade au XI° et XII° siècles, ils sont soumis à l’humiliation perpétuelle, à un impôt particulier, l’Islam ne supportant pas le métissage. Aussi, ils doivent, s’ils le peuvent, souvent fuir vers le nord, ou vers l’Orient, comme le savant Juif Maïmonide, qui cependant prescrivait la lapidation pour le « crime d’idolâtrie[8] ». N’omettons cependant pas que, moins violents, les Chrétiens de la Reconquista n’en pratiquaient pourtant pas moins une discrimination peu amène.

      C’est bien ce que l’on découvre au travers de l’essai de Serafin Fanjul, quoique le lecteur qui y chercherait un développement chronologique stricto sensu, depuis les Romains et les royaumes Wisigoths chrétiens jusqu’à la Reconquista achevée en 1492, en passant par l’invasion et huit siècles d’occupation arabe, serait un peu déçu. Il s’agit là en effet de la réunion de deux volumes espagnols : Al-Andalus contre l’Espagne et La Chimère Al-Andalus. Une argumentation erratique et cependant imparable déplie les exactions maures et le peu d’influence des Morisques sur la civilisation espagnole, malgré les beaux restes de l’architecture arabe et mudéjar (c’est-à-dire de l’Islam en terre chrétienne). À cet égard, rappelons avec notre auteur les fallacieux exemples du figuier de barbarie (venu du Mexique) ou du flamenco profondément endémique, et de plus récent. Tout cela documenté et référencé avec le soin le plus pointilleux.

      Il s’agit également de démonter les présupposés anti-espagnols (l’hispanité étant forcément un avatar du Franquisme) qui font saliver les yeux de Chimène de la Gauche au regard d’une idéalisation de l’ère arabo-andalouse. Ce dont témoigne l’islamophilie exacerbée de l’écrivain Juan Goytisolo[9], qui ne s’embarrasse guère de scrupules historiques et civilisationnels.

 

 

      On reproche au roi Ferdinand d’Espagne d’avoir, après dix ans de mûre réflexion,  consenti à l’expulsion des Morisques non convertis. Mais il s’agissait d’une « minorité non assimilable, qui se refusait à l’intégration et dont la connivence avec l’ennemi du moment n’était ni passive, ni méconnue » ; phrase à méditer...

      À en croire les thuriféraires de l’Islam, la culture musulmane aurait brillé à l’époque médiévale et particulièrement entre Cordoue et Grenade, réactivant tout le patrimoine des Anciens qu’il aurait perpétré à lui seul, comme le soutint Sigrid Hunke[10], qui, en nazie bonne amie d’Himmler, méprisait la culture judéo-chrétienne et portait aux nues la civilisation arabo-musulmane. C’est faire peu de cas du monde hellénistique et romain, de la civilisation perse, des Byzantins, des Syriaques et des Arabes chrétiens, sans compter l’univers médiéval occidental. Certes Bagdad a pu faire traduire Aristote, Averroès le commenter, Al- Fârabî commenter Platon, mais ce ne sont que des textes compatibles avec la religion musulmane, et de surcroît des bribes d’œuvres que l’on trouvait entières dans les bibliothèques monastiques de Byzance et d’Europe, jusqu’au Mont Saint-Michel, comme le montre avec sûreté Sylvain Gouguenheim[11]. Certes encore, la poésie arabe, sur le sol andalou[12], s’épanouit avec une rare beauté qui ne manqua pas d’influencer nos troubadours. On ne manquera pas également de vanter la splendeur de l’architecture arabe à Séville, Cordoue et Grenade, mais où le renouveau intellectuel musulman ne dépassa guère ce qui contribuait à la science coranique (mais pas la science spéculative et rationnelle), à l’astronomie et à la médecine venue de Galien…

      Quant à l’influence arabe en Espagne, elle est quasiment nulle, insiste Fanjul. Trois mille vocables certes, mais peu usités, rien dans l’architecture populaire, tout au contraire ayant sa source à Rome et chez les Wisigoths, puis en Amérique latine et en Europe ; songeons par exemple au vocabulaire venu du français qui pullule dans le castillan qui est une langue latine. Avec justesse, il ridiculise ceux qui prétendent que les Morisques étaient espagnols, qu’ils ont découvert l’Amérique, qu’Al-Andalous était un « paradis originel », sans jamais se départir de sa rigueur historiographique.

      Le livre passionnant et profus de Fanjul ne fait évidemment pas l’unanimité. Tant des universitaires, écrivains et journalistes espagnols hallucinés honnissent la Reconquista (certes elle eut le tort insigne d’expulser les Juifs non convertis), honnissent l’Espagne, lui préférant un fantasme qui ne manquerait pas de décapiter leur liberté d’expression si le malheur voulait qu’il se rétablisse sur la péninsule ibérique. Il faut alors saluer le courage et la probité intellectuels de notre essayiste, par ailleurs modeste, s’appuyant sur des sources vérifiées, contrecarrant les falsifications de l’Histoire par des idéologues et autres ignorants. C’est ainsi, comme le souligne son préfacier, Arnaud Imatz, qu’il honore le nom d’Historien.

      Nos trois premiers essayistes pourraient probablement faire leur ce constat désabusé de Serafin Fanjul : « L’observation des sociétés anciennes ou moderne nous pousse à des conclusions pessimistes, dès lors que des groupes humains aux différences marquées vivent sur le même territoire ». Nous serons bien moins pessimistes, sauf dans le cas de l’Islam. Car reprend-il, « L’Islam contemporain s’obstine d’ailleurs à reproduire des conduites, à tenir compte de sentences religieuses et à appliquer des notions ou des châtiments fort heureusement abandonnés dans le monde occidental ». Une telle religion ne mérite-t-elle pas de s’effondrer ? Il semblerait que devant le terrorisme, l’esclavagisme et les petites et grandes tyrannies quotidiennes, alimentaires, vestimentaires et comportementales, sans oublier le risque de la mort pour apostasie, bien des fidèles l’abandonnent pour l’athéisme, mais également pour le christianisme, jusqu’à dix millions, selon le Père Micht Paccaw du National Catholic Register, connaisseur émérite du Proche-Orient et co-auteur, avec Daniel Ali, lui-même converti, de Inside Islam : A Guide for Catholics[13]. Que ce Christianisme et cet athéisme soient tempérés par les Lumières de la raison et de la tolérance, c’est ce qu’il faut souhaiter.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Emmanuel Kant : « Qu’est-ce que les Lumières ? », Œuvres philosophiques, Gallimard, Pléiade, 1985, t II, p 209.

[3] Voir : Maxime Rodinson : Mahomet, Seuil, 1994.

[5] Traduction Chouraki : « combattez les associateurs où que vous les trouviez, saisissez-les, assiégez-les, piégez-les » ; traduction Savary : « mettez à mort les idolâtres partout où vous les rencontrerez ».

[8] Moïse Maïmonide : Le Livre de la connaissance, PUF, 1990, p 243.

[10] Sigrid Hunke : Le Soleil d’Allah illumine l’Occident, Albin Michel, 1963.

[11] Sylvain Gouguenheim : Aristote au Mont Saint-Michel. Les racines grecques de l’Europe chrétienne, Seuil, 2008.

[12] Le Chant d’al-Andalus, Actes Sud, 2011.

[13] Robert Spencer, Daniel Ali, Micht Paccaw : Inside Islam : A Guide for Catholics, Ascension Press, 2003.

 

 

Palacio Nazaries, Alhambra, Grenada, Andalucia.

Photo : T. Guinhut.

 

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13 février 2018 2 13 /02 /février /2018 17:04

 

Ciel pour Zao Wou-Ki.

Massiccio della Presanella, Trentino Alto-Adige, Italia. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Zao Wou-Ki, peintre torrentiel

 

et passeur de poètes.

 

 

 

Dominique de Villepin : Zao Wou-Ki et les poètes Albin Michel, 264 p, 49 €.

 

Dominique de Villepin : Zao Wou-Ki, Flammarion, 400 p, 50 €.

 

 

 

 

 

« Une tache gagne

Les horizons du monde

Du corps aux ailes déployées

Jusqu’au rêve immobile

Loin du sel de la mer »

      Qui eût cru que ces vers soient de Dominique de Villepin, ancien premier ministre fort controversé ? S’il fut un homme politique aux talents de peu d’effets, il est un poète autant par ses strophes sensibles que par le regard qu’il porte sur l’œuvre du peintre Zao Wou-Ki, dont le talent a rejoint le ciel serein et coloré de la peinture en 2013. Ce dernier eût le bonheur et le privilège d’illustrer de nombreux poètes de son temps en de rares livres de bibliophilie, réservés aux happy few. Grâce à Dominique de Villepin, quelques pages aux élans magnifiques de ces rares recueils sont rassemblées en un bel ouvrage : Zao Wou-Ki et les poètes. Dont l’indispensable complément est le fort volume laconiquement intitulé Zao Wou-Ki, qui entreprend la traversée, de 1935 à 2010, d’une œuvre picturale torrentielle. Sait-on s’il s’agit d’abstraction lyrique ou de paysage ?

      Il est hasardeux d'établir une relation d'identité entre les vers du poète et l’image du peintre. Faut-il d’ailleurs en imposer une ? « La poésie est comme la peinture », disait Horace en son fameux « Ut pictura poesis[1] », préjugeant d’une irréductible équivalence entre ces deux arts. Cette doctrine prévaudra jusqu’à l’époque classique, bien que Lessing, en son Laocoon[2] publié en 1766, fracture cette apparente évidence pour séparer deux medias aux moyens irréductibles. Il est alors évident qu’autant Zao Wou-Ki que les poètes qu’il choisit d’illustrer sachent combien il ne faut rien attendre d’une ressemblance entre les images du texte et celle de l’art plastique. Il s’agit bien plutôt pour les écrivains d’entrer dans une relation de confiance avec celui dont les formes et les couleurs vont interagir avec le mouvement poétique.

      La carrière graphique et picturale de Zao Wou-Ki, né à Pékin en 1920, puis établi en France à partir de 1948, commence par une recherche de sa propre identité. Ce sont des graphismes de pins et de cabanes, quelques animaux et poissons, voire des silhouettes montagneuses, dans un espace indéfini, à la lisière du graphisme enfantin et de la peinture traditionnelle de paysage chinoise, de la calligraphie extrême-orientale et peut-être du trait de pinceau que jette en toute méditation créatrice la peinture zen. C’est en 1949 qu’Henri Michaux, qu’il ne connait pas encore, lui fait la surprise d’écrire sa « Lecture de huit lithographies de Zao Wou-Ki», où les arbres sont « derniers compagnons / experts en l’art de reviviscence[3] ». Leur amitié devient alors indéfectible et contribue aux rencontres avec bien des écrivains. Tel André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, dont notre artiste illustre La Tentation de l’Occident. Et jusqu’à sa mort, en 2013, ce rapport intime avec les poètes ne se démentira pas.

      Bientôt la rupture avec la figuration apparait définitive. De puissantes vagues de noir balaient une lave de rouge et de jaune pour l’Elégie de Léopold Sédar Senghor en 1978. Pour le Canto pisan LXXVI de l’américain Ezra Pound, c’est un sommet d’éblouissement coloré qui enflamme en 1972 la page où le jaune, le jade et le rose violacé exultent. Mais aussi « un tourment sombre » qui est peut-être le reflet de la tragédie qui frappe Zao Wou-Ki, en l’espèce la souffrance et la mort de son épouse May.

 

      Aux toiles sans cesse soulevées par l’intensité lyrique répondent en 1980 les aquarelles pour illustrer les mots errants d’Effilage du sac de jute de René Char. La liste des poètes ainsi magnifiée est éblouissante : Yves Bonnefoy, Roger Caillois, Philippe Jaccottet (dont le Beauregard est exalté par une danse de couleurs aux nuances jamais vues), François Cheng (où les noirs retrouvent les atmosphères et les expressivités de la calligraphie chinoise), encore René Char, Henri Michaux encore ! Sans compter de moins connus : Roger Laporte, Jocelyne François, Jean Laude, Kenneth White… Et, seuls parmi les contemporains, de plus lointains : Shakespeare, Khalil Gibran et Rimbaud.

      Avec l’art de Zao Wou-Ki, nous sommes dans la mouvance de ce que l’on appelle l’abstraction lyrique, vaste espace qui va des Américains Jackson Pollock et Marc Rothko aux Français Hans Hartung et Georges Mathieu. Tout élément d’ordre figuratif a disparu. Tout juste peut-on y déceler, plus exactement y imaginer, des ciels immenses, des plages et des mers, des mouvements de nuées ; mais ce serait là déjà abuser de ce qui fait d’abord image plastique. Si sont totalement abstraits les référents au réel figurable, c’est de toute évidence la possibilité des émotions qui fait loi : sérénité, indécision, agitation, tempête et passion, « mouvements lyriques de l’âme[4] », pour reprendre les mots de Baudelaire à propos du poème en prose. Mais surtout illumination, de la couleur, de la vision et de l’esprit, au sens du koan zen, des mystiques et du « château intérieur[5] » de Sainte Thérèse d’Avila. Ce pourquoi Zao Wou-Ki accompagna les proses flamboyantes, les « Aubes », « Marine » et « Mystique » des Illuminations d’Arthur Rimbaud[6], pour une édition plus largement accessible, puisqu’elle fut tirée à 5000 exemplaires, quoique évidemment fort recherchée. Ces « illuminations », icônes de lumière d’une mystique qui ne se préoccupe d’aucun dieu, sont de nouvelles enluminures pour le XXème siècle…

      La « sagesse joyeuse », mais aussi « le deuil et l’angoisse », sont, selon Dominique de Villepin, les jalons du peintre et illustrateur de la contemplation, de l’émotion et de l’éclat de la vie parmi le cosmos, en résonance intime avec les vers et les proses des poètes élus. Ainsi vont les leçons de l’art de Zao Wou-Ki, lui qui « avait le don de l’amitié ». Mais aussi, comme le disait René Char, le don de l’« amitié admirative ».

      Que voilà une initiative éditoriale judicieuse : en un beau livre, mettre à la portée du public amateur, qui sache aimer, de rares plaquettes pour bibliophiles, en reproduisant pour chacune au moins une double page, qui donne à lire et à contempler poèmes et estampes, couvertures et dédicaces, documents et photographies, tout en les accompagnant de plus vastes tableaux du maître au sourire flamboyant. Quoique les pages gravées de ces trente-sept livres ne soient pas qu’une réduction des grands tableaux, mais tout un jardin secret confié à l’amitié de la poésie et des poètes. Reste à espérer que ce livre, « vestige d’un monde disparu », pour reprendre les mots de Dominique de Villepin, relance le désir des artistes et des éditeurs pour ces bijoux de bibliophilie que notre futur nous reprochera de ne pas avoir su créer…

 

      Une fois de plus Dominique de Villepin est le passeur du peintre en un album qui est une somme magnifique, sondant et exposant toutes les étapes de la création torrentielle de Zao Wou-Ki. Comme tout jeune peintre, il commence par des portraits, des paysages, des bouquets, des arbres. Rien de très original en ce travail figuratif. La peinture traditionnelle étudiée dans l’Empire du milieu est bouleversée, à l’occasion de son arrivée en Europe, par la découverte de Matisse, des villes d’Italie. Mais la rencontre de l’œuvre de Paul Klee, sensible à partir de 1951, l’initie à un nouveau monde pictural : le graphisme symbolique trotte sur la toile. Il ne s’agit cependant pas pour lui de rester un « sous-Klee ». En effet les signes arbustifs (dans « Paysage vert ») font le lien entre les prémices de l’abstraction occidentale et la calligraphie orientale. S’il travaille à Paris à partir de 1948, son origine chinoise se rappelle à lui grâce à des « fantômes d’idéogrammes », en un merveilleux syncrétisme.

      Bientôt, dès 1955, le voici déployant son style propre : de vastes nappes colorées où reposent et dansent des signes qui n’en sont à peine, atteignant une assomption de l’abstraction lyrique, au-delà des peintres français d’alors, de Georges Mathieu à Pierre Soulages, en passant par Hans Hartung. Dès lors, cependant, ses toiles tumultueuses « sont des paysages », affirme Dominique de Villlepin. Reste à deviner, parmi ces épanchements d’émotion, ces calligraphies de la sensibilité, ces calmes explosifs, ces saveurs orchestrales, ces synesthésies de l’âme, des paysages marins et terrestres étoilés, mais absolument et secrètement allusifs, rarement titrés autrement que par une date, ou offerts en hommage à Henri Matisse, René Char ou Henri Michaux.

      Qu’est-ce qui fait la sûreté et l’art de Zao Wou-Ki, alors qu’aux yeux du néophyte cela pourrait passer de pour un brutal épandage de couleur, un hasardeux gribouillage de pinceau survolté ? Il faut en effet une initiation du regard pour percevoir cet immense équilibre, cette sureté de la composition, ce dévoilement poétique de l’instant et de l’infini, à la lisière du vide et du plein du Tao. Ode à la couleur, immersion dans le torrent de la vie et de la présence, ce sont des rouges flamboyants, des jaunes chantants, des bleutés sereins, des noirs tragiques. Tous dansent dans l’équilibre spatial et cosmique d’immenses toiles, parfois jusqu’à cinq mètres de long. Et si l’on ne peut qu’imaginer ressentir l’immersion du modeste spectateur devant et dans ces formats surhumains, le format de l’album, les reproductions soignées et généreuses permettent un avant-goût à une exposition imaginaire impossible, tant ces toiles sont dispersées aux quatre coins du monde, entre Japon et Etats-Unis. Somptueusement illustré, l’album reçoit en outre une biographie, un choix généreux de la « fortune critique » du peintre, entre le poète Yves Bonnefoy et l’historien Georges Duby, une pléthore d’expositions personnelles et de collections publiques abritant ces nouveaux temples zen de l’art que sont les toiles de notre cher Zao.

      On mesure avec modestie la difficulté de l’ekprhasis, cette figure de rhétorique qui désigne la description des œuvres d’art chez les Anciens, devant l’œuvre de Zao Wou Ki. Faut-il y voir un poème de Li Po, comme celui mis en épigraphe à ce maître volume des éditions Flammarion, et relire la poésie chinoise[7] ? Ou se confier aux poètes, comme Michaux, qu’il accompagna dans leurs éditions rares ? Ce serait peut-être tomber dans un littéralisme discutable. Y trouver un haïku de cinq mètres de long ? Y percevoir un torrent de nuées et de lumières, une métaphore des brûlures émotives et des sérénités humaines, une intense cosmologie ? À cet égard la belle prose poétique du préfacier, Dominique de Villepin, intitulée « Dans le labyrinthe des lumières », ne faillit pas à sa mission, même s’il s’agit d’une gageure. Il note un timide retour à la figuration dans un triptyque de 2004, « Le vent pousse la mer », dans lequel un mince graphisme signe la présence d’un bateau, donc d’un homme, parmi un souffle marin, non loin du romantique Turner, lui-même précurseur de l’abstraction. Est-ce à dire que le texte le plus proche du calme maelström de Zao Wou Ki serait celui de la béance et du chaos, sis dans les genèses des Métamorphoses d’Ovide et de L’Ancien testament, lumineux de toutes les potentialités des mondes ? À moins d’imaginer de regarder en écoutant Chronochromie d’Olivier Messiaen…

 

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

[1] Horace : Art poétique, Janet et Cotelle, 1823, T II, p 442-443.

[2] Lessing : Laocoon, Hermann, 2002.

[3] Henri Michaux : « Lecture de huit lithographies de Zao Wou-Ki », À Distance, Mercure de France, 1997, p 51.

[4] Charles Baudelaire : Le Spleen de Paris. Petits poèmes en prose, Œuvres complètes, La Pléiade, Gallimard, t 1, p 276.

[5] Sainte Thérèse d’Avila : Le Château intérieur, Le Cerf, 2003.

[6] Arthur Rimbaud : Illuminations, Club Français du Livre, 1966.

Zao Wou-Ki : Ezra Pound, Canto pisan LXXVI, éditions de L’Herne, 1965.

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Allan Bloom : Déclin de la culture générale

Déséducation et rééducation idéologique

Haine de la littérature et de la culture

De l'avenir des Anciens

 

 

 

 

 

 

Eluard

« Courage », l'engagement en question

 

 

 

 

 

 

 

Emerson

Les Travaux et les jours de l'écologisme

 

 

 

 

 

 

 

Enfers

L'Enfer, mythologie des lieux

Enfers d'Asie, Pu Songling, Hearn

 

 

 

 

 

 

 

Erasme

Erasme, Manuzio : Adages et humanisme

Eloge de vos folies contemporaines

 

 

 

 

 

 

 

Esclavage

Esclavage en Moyen âge, Islam, Amériques

 

 

 

 

 

 

Espagne

Histoire romanesque du franquisme

Benito Pérez Galdos, romancier espagnol

 

 

 

 

 

 

Etat

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Constructivisme versus démocratie libérale

Amendements libéraux à la Constitution

Couleurs des monstres politiques

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Socialisme et connaissance inutile

Patriotisme et patriotisme économique

La pandémie des postures idéologiques

Agonie scientifique et sophisme français

Impéritie de l'Etat, atteinte aux libertés

Retraite communiste ou raisonnée

 

 

 

 

 

 

 

Etats-Unis romans

Dérives post-américaines

Rana Dasgupta : Solo, destin américain

Bret Easton Ellis : Eclats, American psycho

Eugenides : Middlesex, Roman du mariage

Bernardine Evaristo : Fille, femme, autre

La Muse de Jonathan Galassi

Gardner : La Symphonie des spectres

Lauren Groff : Les Furies

Hallberg, Franzen : City on fire, Freedom

Jonathan Lethem : Chronic-city

Luiselli : Les Dents, Archives des enfants

Rick Moody : Démonologies

De la Pava, Marissa Pessl : les agents du mal

Penn Warren : Grande forêt, Hommes du roi

Shteyngart : Super triste histoire d'amour

Tartt : Chardonneret, Maître des illusions

Wright, Ellison, Baldwin, Scott-Heron

 

 

 

 

 

 

 

Europe

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

Fables politiques

Le bouffon interdit, L'animal mariage, 2025 l'animale utopie, L'ânesse et la sangsue

Les chats menacés par la religion des rats, L'Etat-providence à l'assaut des lions, De l'alternance en Démocratie animale, Des porcs et de la dette

 

 

 

 

 

 

 

Fabre

Jean-Henri Fabre, prince de l'entomologie

 

 

 

 

 

 

 

Facebook

Facebook, IPhone : tyrannie ou libertés ?

 

 

 

 

 

 

Fallada

Seul dans Berlin : résistance antinazie

 

 

 

 

 

 

Fantastique

Dracula et autres vampires

Lectures du mythe de Frankenstein

Montgomery Bird : Sheppard Lee

Karlsson : La Pièce ; Jääskeläinen : Lumikko

Michal Ajvaz : de l'Autre île à l'Autre ville

Morselli Dissipatio, Longo L'Homme vertical

Présences & absences fantastiques : Karlsson, Pépin, Trias de Bes, Epsmark, Beydoun

 

 

 

 

 

 

Fascisme

Histoire du fascisme et de Mussolini

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Haushofer : Sonnets de Moabit

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets des paysages

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com.

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme et Aldo Manuzio

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Maladie et métaphore : Wagner, Maï, Zorn

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

Miscellanées littéraires : Cloux, Morrow...

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Pléiade & Sonnet pour Hélène LXVIII

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Sonnets autobiographiques

Sonnets de l'Art poétique

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

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