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8 septembre 2019 7 08 /09 /septembre /2019 15:12

 

Pustertal, Sillian, Östirol, Osterreich. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Nietzsche, poète et philosophe

à l’innocence controversée.

Poèmes complets,

Domenico Losurdo, Rüdiger Safranski.

 

 

 

Friedrich Nietzsche : Poèmes complets,

traduit de l’allemand par Guillaume Métayer, Les Belles lettres, 944 p, 45 €.

 

Domenico Losurdo : Nietzsche. Le rebelle aristocratique,

traduit de l’italien par Jean-Michel Buée, Delga, 1088 p, 39 €.

 

Rüdiger Safranski : Nietzsche. Biographie d’une pensée,

traduit de l’allemand par Nicole Casanova, Babel, Actes Sud, 526 p, 10,70 €.

 

 

 

 

      Poète, et beaucoup plus poète que l’on est enclin à le penser, se révèle le flamboyant philosophe de Zarathoustra, dont la somme complète des vers, depuis l’adolescence à l’orée de la folie, peut se lire comme une autobiographie intellectuelle. Cependant notre auteur  n’est pas sans zones d’ombres, parfois profondes, cruelles. S’il y a un plaisir infini, un défi intellectuel constant à lire un Nietzsche à la pensée polymorphe, on n’en découvre pas moins de déplaisantes facettes. Rendre à la beauté son écriture, en particulier poétique, soudain révélée en majesté par ses Poèmes complets, impose cependant de rester méfiant envers des aspects dignes de controverses accusées. Ce pourquoi Domenico Losurdo dresse avec méticulosité un « bilan critique », dans son Nietzsche. Le rebelle aristocratique. Quand sa « biographie intellectuelle », aux éclairages bien peu flatteurs, est décapante, une vision plus apaisée parcourt les pages de Rüdiger Safranski en sa « biographie d’une pensée ».

 

      Qui eût cru que celui qui annonça la mort de Dieu ait pu écrire tant de louanges et prières religieuses ? Ce sont des vers de circonstance, lors d’un anniversaire : « Louons Dieu le père des mortels humains / Car en ce jour il nous prépare une joie tous les ans renouvelée ». Il n’était qu’un adolescent allemand plongé dans la culture du milieu du XIX° siècle. Poèmes patriotiques et mythologiques, tels « L’enlèvement de Proserpine » et « Persée et Andromède », sujets guerriers, célébrations de la nature ; rien là de tourneboulant et qui puisse annoncer le philosophe de Sils-Maria. Cependant, en ce qui est une sorte de journal de l’émotion et de la curiosité, l’on mesure combien la formation d’un intellectuel soudain brillant à l’occasion de son premier livre, La Naissance de la tragédie, emprunte de chemins au cours de sa maturation. Aussi cette publication absolument intégrale des Poèmes complets, de surcroit bilingue, est-elle un événement, y compris en langue allemande, où les recueils ont été jusque-là, comme en France, de bric et de broc. Voici enfin, de l’adolescence au solaire philosophe de Zarathoustra, l’événement des poèmes enfin complets de Friedrich Nietzsche, « le fou, le poète ».

      Il est bon qu’au rebours d’une certaine tradition française le traducteur, Guillaume Métayer, use le plus souvent possible de vers rimés avec soin : une « esquisse de fidélité musicale », dit-il avec modestie. L’auteur du Gai savoir le confirme :

« Rythme au début, rime pour finir,

Et pour âme la musique :

Ce gazouillement angélique

S’appelle un chant, ce qui veut dire :

Les mots comme musique. »

      Le recueil, aussi généreux qu’exhaustif, s’ouvre sur les « poèmes publiés par Nietzsche », reprend avec les « poèmes de jeunesse » (1854-1870), ceux de 1871-1882, puis propose ceux de « l’époque de Zarathoustra », pour se fermer sur les « derniers poèmes » jusqu’en 1889, à la veille de la folie de Turin. Du romantisme au symbolisme, en passant par un farouche anti-romantisme, le lyrisme se déploie en accord avec la pensée, car cette poésie est loin d’être marginale au regard de la philosophie. Dès l’abord l’on ne peut qu’être étonné de l’absence quasi totale de l’amour. Nietzsche y préfère l’amitié et la solitude. Les paysages, souvent tempétueux, les oiseaux sont également prisés. Alors qu’à l’occasion de son premier essai sur le théâtre apollinien et dionysiaque, philologie et philosophie l’éloignent de l’écriture poétique, il y revient lors des versets d’Ainsi parlait Zarathoustra et lors des vers libres des Dithyrambes de Dionysos. Dans lesquels il célèbre la figure du poète :

« aquilines, panthérines

sont les ardeurs du poète,

sont tes ardeurs, sous mille masques,

toi le fou ! toi le poète ! »

      À côté de strophes légères et facétieuses, comme « À tout kilo d’amour, joins / Un grain d’autodérision ! », nombre de vers des dernières années ont l’intensité de l’aphorisme : « veux-tu être simplement / le singe de ton dieu ? » Ou encore : « Notre chasse à la vérité - / est-elle une chasse au bonheur ? » Le philosophe de la « transmutation des valeurs » et de Par-delà le bien et le mal transparait avec piquant : « Bien et mal sont les préjugés / De Dieu, dit le serpent avant de détaler ». Il s’agit bien de poésie philosophique, dans la tradition de Schiller, lorsque dans une ode « À la mélancolie », il dénonce la trop humaine humanité : « Partout, la pulsion de meurtre aux dents grinçantes / Siffle, cruel désir de s’adjuger la vie ! »

      Selon une profession de foi de 1877, « L’artiste doit avoir l’art pour seul aliment ». Artiste controversé de la philosophie, pour s’être fait indûment dérober son concept du surhomme par le nazisme, et victime de l’antisémitisme de sa sœur Elisabeth, qui fabriqua une Volonté de puissance qui n’existe pas - pour reprendre le titre de Mazzino Montinari[1] - Nietzsche devient un authentique poète, à une altitude qui dépasse toutes les réductions politiques.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Reste l’irréductibilité de cette philosophie à une doctrine univoque, à une cohérence encore moins définitive ; voire à une vertu morale sans tâche. C’est ce qui n’échappe pas à Domenico Losurdo, dont le volumineux, sinon pesant, Nietzsche, le rebelle aristocratique tente avec précision et mordant le « bilan critique ».

      Jeune homme, et y compris pendant la période de La Naissance de la tragédie, Nietzsche est redoutablement nationaliste, appréciant vivement Bismarck, se veut thuriféraire de « l’essence allemande », y compris pendant la guerre franco-prussienne de 1870, au cours de laquelle il s’engage comme infirmier. En accord avec son admiration de Wagner, par ailleurs auteur d’un essai à charge, Du Judaïsme dans la musique, sa judéophobie[2] juvénile est acharnée, au point que la laideur de Socrate soit une caricature judaïque, car le « socratisme est un judaïsme », tous deux inaccessibles à la vision tragique de la vie. Or, selon l’analyse de l’essayiste, La Naissance de la tragédie, qui fait la louange tant des Grecs que de l’art allemand, ne peut se comprendre sans le substrat antisémite, de même plus tard le Zarathoustra. Ce qui contraste en tous points avec l’anti-antisémitisme et l’anti-nationalisme qui seront plus tard ceux du philosophe, qui dénonce vigoureusement l’antisémitisme anticapitaliste, associe parmi les pages de La Généalogie de la morale socialisme et antisémitisme dans leur « soif de devenir bourreaux », deux mouvements qui « ont toujours à la bouche le mot « justice » comme une bave vénéneuse ». Un anti-antisémitisme dont témoigne par ailleurs la rigoureuse analyse de Jean-Pierre Faye dans Le Vrai Nietzsche[3]

    Eminemment aristocratique, quoique peu convaincu par l’individualisme, le maître du Gai savoir lutte contre le mouvement socialiste, dénonce « l’hybris de la raison dont on accuse le projet révolutionnaire des Lumières », se gausse des Droits de l’homme et de l’égalité, adhère au « mythe généalogique christiano-germanique », pour passer à « l’aryano-germanisme ».

      Mais, bientôt, tout cela s’érode. Vient le temps où le rebelle solitaire, détaché de Wagner, se fait un critique acéré du christianisme et du nationalisme, devenant partisan des Lumières, et préférant Voltaire à Rousseau. Il fait preuve de « suspicion à l’égard des sentiments moraux » et œuvre à la « délégitimation de l’appel à la justice sociale », selon les termes de Domenico Losurdo, ce qui pour le second point ne nous chagrine pas le moins du monde, le concept de justice sociale étant un « mirage », de surcroit dangereux, pour reprendre l’argumentaire de Friedrich Hayek[4]. Dans Humain trop humain, Nietzsche se rapproche des conceptions des libéraux français tels que Benjamin Constant[5] et Alexis de Tocqueville[6] (quoique qu’il rejette la condamnation moderne de l’esclavage antique) en toute méfiance de l’instinct étatique : « Le socialisme désire (et dans certaines circonstances favorise) l’Etat dictatorial césarien […] qui vise à anéantir l’individu ». L’on devine ici que le discret réquisitoire de Domenico Losurdo contre un philosophe qui récuse le renversement révolutionnaire et cette « maladie du peuple » qu’est le socialisme fait sourire le lecteur que nous sommes…

      Certes le « radicalisme aristocratique » de Nietzsche s’accoquine avec un antiféminisme, au point que le mouvement féministe soit pour lui un « abrutissement universel ». La médiocrité du monde moderne et le mépris du commerce répondent à l’éloge de la guerre. Le mépris de la plèbe et de la « racaille » (dans Ainsi parlait Zarathoustra) est pour notre essayiste un brin caricatural, un « apartheid social ». Quant à l’esclavage, Nietzsche soutient une position antiabolitionniste : la « race blonde dominante » est opposée aux « habitants originaires aux cheveux sombres » dans La Généalogie de la morale, ce en quoi est déterminante l’influence de l’Essai sur l’inégalité des races humaines d’Arthur Gobineau. En conséquence de quoi le ressentiment des opprimés et la pitié pour les esclaves sont le terreau du christianisme…

      Le contre-révolutionnaire propose un eugénisme sélectif contre la surpopulation. Zarathoustra lui-même professe : « Ils sont trop nombreux à vivre et ils restent longtemps sur leur branche. Que vienne une tempête qui fasse tomber de l’arbre toute cette pourriture bonne pour les vers ! » Il y a bien des déclarations « résolument abjectes », pour réitérer l’indignation de Domenico Losurdo. Se débarrasser de « l’oppression moraliste » voisine à la fin de la vie de Nietzsche, aux berges de la folie, avec une prophétique aspiration aux guerres et une obsession au service de « l’anéantissement des races décadentes » et des « barbares » parmi les pages de la correspondance et des fragments posthumes. L’utopie se fait dystopie… La Généalogie de la morale met en avant des accents alarmants : « Qui nous garantit […] que la race des conquérants et des maîtres, la race des aryens ne soit pas en train de succomber, même sur le plan physiologique ? » Quant à L’Antéchrist, il proclame une « guerre mortelle » contre le « vice » et la « contre-nature » représentés par le christianisme et son clergé…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Aussi le copieux essai, s’appuyant sur un examen minutieux des œuvres, y compris les plus mineures, jusqu’aux fragments posthumes et à la correspondance, et au moyen d’une sourcilleuse lecture, et sur un vaste contexte culturel, se lit comme une passionnante enquête, dont l’ambition est de mettre fin à une « herméneutique de l’innocence ». En effet, souligne Domenico Losurdo, « l’édition Colli-Montinari[7] devait elle-même confirmer la présence, chez un philosophe par ailleurs extraordinairement riche et stimulant, de motifs, qui, aujourd’hui, ne peuvent pas ne pas évoquer de sinistres échos : éloge de l’eugénisme et de la « sur-espèce », apologie de l’esclavage d’une part, de l’« élevage » de l’« espèce supérieure des esprits dominateurs et césariens » d’autre part, appel à l’« anéantissement des races décadentes » et de « millions de ratés », invocation d’un « marteau destiné à briser les races décadentes et mourantes, à les éradiquer afin d’ouvrir la voie à un nouvel ordre vital » ». On ne s’étonnera pas qu’un certain nazisme, se servant d’une Volonté de puissance, fabriquée de bric et de broc par la sœurette, Elizabeth Forster-Nietzsche, fasse son miel de telles phrases ; aux dépens cependant de tout ce que les œuvres charrient de résolument opposés à de tels mouvements totalitaires et au socialisme, au nationalisme, deux prémisses constitutives du nazisme[8]. Le philosophe, féru d’aphorismes plutôt que de traités, en dépit de sa critique du judaïsme et du christianisme, saura se départir d’un antisémitisme de jeunesse, comme d’un nationalisme aveugle. On ne saurait en dire autant d’un Heidegger qui ne s’est jamais expliqué, et encore moins repenti, de son adhésion au nazisme.

      Ne nous leurrons pas. Domenico Losurdo s’attache à mettre l’accent sur un Nietzsche réactionnaire, y compris avec tout ce que ce dernier mot comprend de rhétorique marxiste. Rappelons-nous que l'érudit prétendit disculper rien mois que Staline[9]. Pour lui, « l’unité de la pensée de Nietzsche », « le fil conducteur de la lecture » se trouvent dans « la dénonciation et la critique de la révolution », ce qui est bien évidemment plus qu’abusif, réducteur. Sans doute relève-t-il « de la réaction antidémocratique de la fin du XIXème siècle », ce qui n’autorise en rien à lui attribuer une responsabilité posthume dans les génocides de l’espace vital nazi, ni ne permet de le rendre responsable de la lecture qu’en fit un Hitler délirant, quoique la nietzschéenne opposition des termes « Übermensch » et « Untermensch », surhomme et soushomme, soit à cet égard lourde d’échos effrayants - qu’il n’eût certainement pas cautionnés -, même si l’on sait que le surhomme du philosophe n’a rien d’un fier et brutal soldat nazi, mais au contraire a tout d’un intellect supérieur et libre…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Plus tempérée est la lecture de Rüdiger Safranski, également auteur de biographies philosophiques de Schopenhauer et Heidegger. C’est justement par la découverte de Schopenhauer puis de la musique de Wagner que commence selon le critique la maturité intellectuelle de Nietzsche, qui, dès sa prime jeunesse se veut autobiographe, et « le poète de sa vie ». L’on retrouve parmi les pages de La Naissance de la tragédie, la fonction cathartique de la musique chez les Grecs, ainsi que la cruauté dionysiaque, en l’espèce « la guerre comme puissance vitale », y compris au service de la haute culture, aussi bien qu’une « classe servile », celle de l’institution de l’esclavage.

      Effaré par l’incendie des Tuileries causé par les insurgés de la Commune, le jeune philologue tient de cet attentat contre la culture une méfiance rédhibitoire contre les masses et les révolutions. Ainsi devient-il un « esprit libre » des idéologies, y compris à l’encontre d’une coterie mystico-esthétique chez les Wagner. Bientôt, celui qui n’est plus le philologue de Bâle, et qui devient le philosophe errant de Sils-Maria, va de la critique de la métaphysique à l’examen des fondements immoraux de la morale.

      Des pulsions « homophiles » aux amours enthousiastes, déçues et éphémères pour la stupéfiante Lou-Andrea Salomé, jusqu’aux altitudes solitaires de Par-delà le bien et le mal et d’Ainsi parlait Zarathoustra, la biographie d’un homme et d’une pensée vont de pair. Plus économe que l’indépassable biographe Curt Paul Janz[10], Rüdiger Safranski, ne négligeant en rien les étapes d’une philosophie critique et prophétique erratique, écrit d’une manière plus aimablement narrative que Domenico Losurdo. Cependant, comme ce dernier, il termine son essai par les interprètes posthumes du nietzschéisme, dont Hitler, Goebbels ou Rosenberg, qui ne lisaient évidemment que ce qui pouvait servir leur but, au risque de la citation tronquée, biaisée, donc d’une malhonnêteté intellectuelle inqualifiable.

      La « pourriture noble d’Europe » (pour reprendre un vers de Gottfried Benn) s’empara de celui qui embrassa un cheval à Turin, et que la syphilis - et la négation de Dieu disait-il - rendit fou et invalide. L’emballement des lecteurs rencontra en partie le but explicite de la sœurette abusive, Elizabeth Forster-Nietzsche, qui voulait « faire de lui un chauvin, un nationaliste allemand, raciste et militariste, et cela a réussi auprès d’une partie du public, en particulier auprès des marxistes orthodoxes, jusqu’à aujourd’hui ». Les concepts fumeux d’instinct et de vie, néoromantiques, furent préférés au rationalisme issu des Lumières. Le dionysiaque l’emporta sur la vérité, Zarathoustra enchanta Gustav Mahler et Richard, quoiqu’il laissât Thomas Mann mettre ses lecteurs en garde contre la proximité de l’esthétique et de la barbarie. Un « nietzschéisme belliciste » encombra les sacs des soldats du front de 1914 avec un exemplaire d’Ainsi parlait Zarathoustra. L’on scandait : « Vous dites que c’est la bonne cause qui sanctifie aussi la guerre ? Je vous dis : c’est la bonne guerre qui sanctifie toute cause ». Pourtant, Nietzsche n’est-il pas un ennemi de toute mentalité de « bête de troupeau » ? Ernst Bertram, en son Nietzsche. Essai de mythologie[11] paru en 1918, voulut voir dans le philosophe un miroir de l’âme allemande, en lui associant la figure du Chevalier escorté de la Mort et du Diable, gravé par Dürer, dont les Nazis firent le symbole de l’Aryen de pure race. Au regard du National-Socialisme, et de la surévaluation partisane du concept de « volonté de puissance » par un idéologue comme Baeumler, « la falsification réside dans son unilatéralisme », résume avec perspicacité Rüdiger Safranski. Car dès Humain trop humain, Nietzsche s’élève contre l’aveuglement des nationalistes qui prétende « mener les Juifs à l’abattoir, en boucs émissaires de tout ce qui peut aller mal dans les affaires publiques et intérieures ». Goûtons de plus ce trait d’esprit de notre essayiste : « Chez des philosophes à l’esprit académique particulièrement limité, Nietzsche n’obtint de satisfecit que grâce à Heidegger ». Mieux vaut Michel Foucault[12] qui lui emprunte de manière nourrissante le concept de généalogie.

      En sa postface, Rüdiger Safranski justifie sa « biographie d’une pensée » en parlant d’une « philosophie fluide », qui « ne cherche pas une demeure stable de la pensée ». L’on ne peut donc la statufier en idéologie abrupte, à laquelle, à la suite du philosophe dont la velléité du titre, La Volonté de puissance, éphémère de surcroit, fut sabrée dès l’envol par la folie, on ne peut opposer une cohésion définitive. Pour le paraphraser, face à la vérité de Nietzsche, ne nous reste-t-il que des interprétations ?

 

      Se livrant à un réquisitoire appuyé, Domenico Losurdo est loin de manquer d’une pointilleuse perspicacité, mais au détriment d’aspects plus ouverts et libéraux du poète et philosophe, que nous avons développés ailleurs[13]. Même si la consultation des indications bibliographiques est rendue malaisée par les acronymes en allemand, son volume reste néanmoins digne de figurer parmi une bibliothèque nietzschéenne, aux côtés du Dictionnaire Nietzsche[14], ou de l’étude, désormais classique de Deleuze[15]. Reste que le philosophe de Sils-Maria, présenté de façon plus amène par Rüdiger Safranski au risque de polir les angles abrupts du philosophe parfois plus fou que le « fou » poète, qu’il est hors de question de considérer comme apolitique, et qui décevra toujours qui voudrait y lire une pensée univoque, réclame, en choisissant chez lui les aspects les plus séduisants, une éthique rigoureuse de la part de son lecteur. Car s’il n’y a guère, n’en déplaise à Jean-Pierre Faye, de « vrai Nietzsche », tant il est complexe, voire contradictoire, l’on peut espérer de vrais lecteurs…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie
La partie sur les Poèmes complets a été publiée dans Le Matricule des anges, juillet 2019

 

 

[1] Mazzino Montinari : La Volonté de puissance n’existe pas, L’Eclat, 1996.

[3] Jean-Pierre Faye : Le Vrai Nietzsche, Hermann, 1998.

[4] Friedrich Hayek : Le mirage de la justice sociale », Droit, législation et liberté, PUF.

[7] Friedrich Nietzsche : Œuvres philosophiques complètes, sous la direction de Giorgio Colli et Mazzino Montinari, Gallimard, 42 volumes parus, depuis 1968.

[9] Domenico Losurdo : Staline, Histoire et critique d'une légende noire, Delta, 2011.

[10] Curt Paul Janz : Nietzsche. Biographie, Gallimard, 1984-1985.

[11] Ernst Bertram : Nietzsche. Essai de mythologie, Rieder, 1932.

[15] Gilles Deleuze : Nietzsche et la philosophie, PUF, 1962.

 

 

Sankt Peter / San Pietro, Ahrntal / Valle Aurina, Südtirol / Trentino Alto-Adige.

Photo : T. Guinhut.

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12 mai 2019 7 12 /05 /mai /2019 09:37

 

Palazzo ducale, Venezia. Photo T. Guinhut.

 

 

 

Factualité, catastrophisme et post-vérité,
ou comment penser le monde avec esprit critique.

D'Hans Rosling à Karl Popper.

 

 

Hans Rosling : Factfulness, traduit de l’anglais par Pierre Vesperini,

Flammarion, 408 p, 23,90 €.

 

Luc Ferry, Nicolas Bouzou : Sagesse et folie du monde qui vient, XO, 440 p, 21,90 €.

 

Maurizio Ferraris : Postvérité et autres énigmes,

traduit de l’italien par Michel Orcel, PUF, 176 p, 15 €.

 

Sous la direction de Nicolas Gauvrit et Sylvain Delouvée :

Des Têtes bien faites. Défense de l’esprit critique, PUF, 288 p, 24 €.

 

Karl Popper : Les Sources de la connaissance et de l’ignorance,

Rivages poche, 160 p, 8,20 €.

 

 

 

 

      C’est avec un brin de provocation et d’exagération que Georges Duhamel dénonçait une trop commune naïveté de l’humanité : « Nul doute, l’erreur est la règle ; la vérité est l’accident de l’erreur.[1] » En effet, plus que jamais peut-être, fausses nouvelles et dénonciations catastrophistes pleuvent dans la bouche des gourous associatifs et politiques. Pourtant indubitables devraient être les faits. À condition de les percevoir, les établir, les penser. Or il faut déchanter de cette présomption au rationalisme. L’erreur couve sous le regard ; pire, l’idéologie, loin de se contenter d’œillères, voile et nie le réel en un syndrome que Jean-François Revel appelait « la connaissance inutile[2] ». La pensée devrait cependant préférer la factualité, mise en ordre par Hans Rosling. Ainsi hésiterons-nous un peu moins, et avec le secours de Luc Ferry et Nicolas Bouzou, entre « Sagesse et folie », et saurons-nous dénoncer la postvérité grâce à Maurizio Ferraris. Il est bien temps de réhabiliter l’esprit critique, tel que le défend l’essai à plusieurs mains intitulé Des Têtes bien faites ; et de penser ignorance et connaissance, grâce au regard affuté de Karl Popper interrogeant le statut de validité de la vérité.

 

      Roger Bacon, au XIII° siècle, exposait déjà les plus courantes et délétères causes de l’erreur : « Je dirai qu’il y a trois causes qui font obstacle à ce que devrait être la vision du vrai : les exemples dont l’autorité est fragile ou indigne de ce nom ; le poids des habitudes, le gros bon sens des foules sans expérience. Le premier conduit à l’erreur, le deuxième paralyse, le troisième rassure indûment.[3] » Même si Hans Rosling ne le cite pas, son ouvrage se situe dans la tradition de ce philosophe médiéval.

      En dépit de son clinquant titre anglais, Factfulness, - car le mot « factualité » existe dans la langue française depuis 1957 (nous enseigne le Robert) - voici un essai salutaire, empreint de clarté, efficace et judicieux. Car il s’agit là d’apprendre à penser. Non pas à penser selon une ligne idéologique, mais avec logique, rigueur et clarté. En d’autres termes, il est plus que nécessaire de « combattre l’ignorance en promouvant une vision du monde basée sur des faits », d’acquérir la « saine habitude de fonder son opinion sur des faits ».

      Hans Rosling, médecin, conseiller à l’Organisation Mondiale de la Santé, mais aussi étoile américaine des conférences TED (Technology, Entertainment and Design), dénonce une série d’instincts qui polluent notre vie intellectuelle, car « nous avons l’instinct dramatique », au détriment de la raison. Et, non sans humour, il le fait en relatant des anecdotes, des souvenirs, des erreurs dont il a tiré leçon, et surtout ses expériences  d’enseignant auprès d’étudiants interrogés sur l’état du monde, et dont les réponses sont presque invariablement fausses, entachées de préjugés, et en intégrant de nombreux graphiques utiles et probants. Ne s’est-il pas rendu « à Davos pour expliquer aux experts du monde entier que, sur les tendance mondiales de base, ils en savaient moins que les chimpanzés » !

      Premier « instinct » (parmi neuf autres), celui du « fossé », qui imagine trop aisément que le monde est divisé en deux extrémités irréductibles, entre les pays sous-développés et ceux développés, alors que la plupart des premiers rejoignent les seconds avec célérité, alors que cette distinction devient obsolète. Ainsi la mortalité infantile diminue, l’espérance de vie mondiale atteint les 72 ans, l’éducation s’accroit, le niveau de vie également, ridiculisant le manichéisme.

      Pire, voici « l’instinct négatif », selon lequel le monde va de plus en plus mal, antienne immensément partagée. Contrairement aux poncifs mensongers, car un mensonge ardemment et suffisamment répété devient une vérité sophistique, le monde va beaucoup mieux : « ces vingt dernières années, la proportion de la population mondiale vivant dans des situations d’extrême pauvreté a diminué de moitié ». Il s’agit de « notre tendance à repérer le mal plutôt que le bien », à idéaliser le passé : « On ne pense pas, on ressent ». L’on veut ignorer que les marées noires diminuent radicalement, comme la mortalité due aux cataclysmes, que, comme l’accès à l’eau potable, la protection de la nature croît : « en dix-sept ans, la planète s’est revégétalisée d’une surface équivalente à l’Amazonie[4] », grâce à l'augmentation du taux de gaz carbonique et surtout aux reboisements dus à l’Inde et la Chine.

      N’oublions pas celui de la « ligne droite », c’est-à-dire la propension à subodorer que les choses iront dans le sens d’une invariable continuité. Dénonçons « le méga-préjugé selon lequel la population mondiale est juste en train d’augmenter sans cesse » ! Car, n’en déplaise à Malthus, elle est en train d’achever sa transition démographique, et un plateau sera bientôt atteint. Ainsi la courbe est plus juste que la droite à laquelle nous étions tentés de céder en imaginant raisonner…

      La peur est également bien souvent mauvaise conseillère. La preuve avec les victimes de Fukushima : « ce n’est pas la radioactivité, mais la peur de la radioactivité qui les tuées ». Avec Tchernobyl, à la suite de quoi l’on n’a pu confirmer la moindre augmentation de la mortalité. Parfois la peur se trompe d’objet : le DDT, qui luttait efficacement contre la malaria, fut interdit au motif qu’il fragilisait les oiseaux, or la maladie reprit une vigueur mortelle. De même la peur des vaccins entraîne-t-elle le retour de la variole.  S’il faut lutter contre la pollution chimique, alors qu’il faudrait ingérer « des cargaisons » d’un produit chimique pour qu’il soit plus qu’un cancérigène « probable », il ne faut pas que la peur, somme toute humaine, devienne une paranoïa : une irrationnelle « chimiophobie » dicte ses lois et refuse la démarche et l’analyse scientifiques, comme, probablement, dans le cas du glyphosate. On objectera que les atteintes à l’environnement (par la pollution plastique par exemple) et à la biodiversité sont fort graves, même si ce même plastique pourra être recyclé de cent manières, même si l’on est en train de reboiser de par le monde… Moralité : « La peur peut s’avérer utile, mais seulement lorsqu’elle vise juste. »

      Ajoutons au raisonnement d’Hans Rosling que les démagogues, politiques, associatifs et médiatiques, aiment agiter les peurs, y compris millénaristes et apocalyptiques, pour se faire entendre, influencer, jeter le peuple qui veut bien boire leurs paroles sous leur coupe tyrannique, et ainsi en tirer argent, pouvoir…

      Méfions-nous également de « l’instinct de la taille ». Un gros chiffre isolé impressionne alors qu’il doit être comparé ; mieux vaut observer les taux. En Suède un ours tua un homme, ce qui fut « massivement couvert par les médias nationaux ». Pourtant « le meurtre d’une femme par son compagnon a lieu une fois par mois. C’est 1300 fois plus ». Et bien plus en France où une femme meurt ainsi tous les trois jours ; et réciproquement d’ailleurs un homme tous les quinze jours, sans compter les blessés… La grippe porcine tua et fit le tour des médias, alors que la tuberculose est bien plus meurtrière, même si les grippes nouvelles peuvent devenir des fléaux. Ayons conscience que le terrorisme tue bien moins que d’autres causes de morts ; quoique, oublie notre auteur, il soit, à la différence d’autres agents mortels, causé par la malignité humaine, et le plus souvent par la pulsion totalitaire. Autre réflexion sur les chiffres : il y a plus de chômeurs aux Etats-Unis qu’en France, mais rapportés à la population, le taux est presque trois fois moindre Outre-Atlantique.

      Autre tare : « l’instinct de généralisation ». S’il peut contribuer à catégoriser, la généralisation abusive peut entraîner à occulter les différences à l’intérieur des groupes, à ne considérer que la majorité, aux dépends des individualités et du libre-arbitre. « L’instinct de la destinée », quant à lui, oblige à penser en termes de déterminisme culturel, par exemple en partant du principe que l’Afrique ou l’Iran resteront ce qu’ils furent, c’est-à-dire une aire de sous-développement chronique et de démographie galopante, de navrante condition des femmes. Une telle erreur, en termes d’investissements, ou de géopolitique, peut être fatale. Les changements culturels et le développement peuvent être rapides, parfois pour le pire, le plus souvent pour le meilleur. Qui sait si Nkosazana Dlamini-Zuma, la présidente de la Commission de l’Union africaine voit juste : « ma vision du continent dans cinquante ans c’est que les Africains seront des touristes bienvenus en Europe, et non plus des réfugiés qu’on chasse »… Aussi faut-il non seulement étudier le passé pour comprendre le présent, et mettre sans cesse à jour ses connaissances si l’on veut un tant soit peu anticiper.

      De même, « la perspective unique » est désastreuse. « Ayez l’humilité de reconnaître que vous ne savez pas tout », que les explications monocausales, que les solutions dogmatiques font fausse route. Révisons nos jugements erronés et craignons l’idéologie. Y compris des experts et des médias, et surtout des militants de causes diverses.

      Pas brillant est notre « instinct du blâme ». « Chercher intuitivement un coupable », réagir par l’accusation sont des travers trop partagés, au lieu d’analyser le problème et d’aller en quête de solutions. Escorté par le manichéisme, le blâme est également armé d’outrecuidance et d’envie. Au méchant capitalisme, opposons plutôt un jugement informé et nuancé de ses bienfaits et méfaits, alors que trop souvent nous ne sommes capables que de pas grand-chose, ce pourquoi nous avons tendance à détester qui nous dépasse. Le syndrome du bouc émissaire a frappé. Alors que l’éloge permet de sélectionner et de valoriser les réussites, comme celle d’une simple machine à laver : « Merci industrialisation, merci aciérie, merci centrale électrique, merci industrie chimique, pour nous donner le temps de lire des livres ». Y compris, ô ironie, ceux prônant la décroissance et la nature originelle !

      Reste « l’instinct de l’urgence », d’ailleurs surabondant chez les alarmistes écologistes. Mieux vaut toujours observer, réfléchir avant d’agir à la va-vite et à coup d’actions drastiques. Méfiez-vous des prévisionnistes qui voient l’Arctique fondre alors qu’il se renforce, comme le désastreux Al Gore qui en 2007 et 2009 annonçait la fonte totale des glaces en 2013 ; observez plutôt les données venues de sources contradictoires. Ajoutons qu’il faut se demander à qui profite le crime : mais à ceux qui pompent les subventions, les taxes et les financements au profit de leur science de bateleur…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Nous aimons geindre et sonner l’alarme en répétant que la pauvreté et les inégalités s’accroissent, que les ressources s’épuisent, que la planète s’éteint… Et nous rechignons, voire n’y pensons même pas, à vérifier, à faire fonctionner notre intellect rationnel et notre imagination positive. Parce que les scénarios du pire attirent plus épidermiquement l’attention que toutes les améliorations de la condition humaine, voire de celle de la planète, car « les bonnes nouvelles ne font pas la Une » des journaux, des télévisions et des sites internet.

      La collapsologie, qui obtient un succès indécent, est la science de l’effondrement, du moins fausse science, puisqu’elle part d’un présupposé et sélectionne des faits à sa rescousse, et non de la réelle observation. Or les prédictions apocalyptiques, comme celles du Club de Rome, nous annonçant « The Limits to Growth », dans les années 70, l’inéluctable fin du gaz et du pétrole pour le début des années 90, comme celles d’économistes alors persuadés de l’imminence de la famine planétaire, n’ont jamais vu l’ombre d’une réalisation. Bien au contraire, les réserves énergétiques surabondent, la faim mondiale a décru du tiers au onzième de la population. Mais cela ne décille pas un instant des institutions dont le fonds de commerce se nourrit au catastrophisme de persister à consciencieusement asséner leurs prophéties alarmistes, ancrées sur des projections linéaires, alors qu’abondent les progrès techniques, les meilleures gestions des ressources, y compris de la biodiversité végétale et animale, sans compter les nouvelles et à venir...

      À cet égard interrogeons-nous : Hans Rosling a-t-il raison de souscrire à la thèse du réchauffement climatique d’origine anthropique à cause des gaz à effet de serre ; avons-nous tort de rejeter cette dernière en parlant, non sans s’appuyer sur des scientifiques, de « manipulation climatique[5] » ? Là encore les faits, des températures mondiales qui n’ont augmenté que de 0,2 degrés depuis 1975, qui n’augmentent pas depuis vingt ans, et l’opinion qui s’échauffe en imaginant avérée une augmentation en flèche…

      Il n’en reste pas moins que l’essai d’Hans Rosling, digne d’être lu dans tous les lycées et universités, doit nous forcer à l’humilité, y compris l’auteur de ces modestes lignes. Il est plus que probable que nos idées reçues, nos opinions, qui opinent à ce que les autres répandent, à ce qui nous flatte, jusqu’à ce que nous pensons être des convictions ancrées sur des faits, manquent de factualité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      S’il faut se convaincre de l’amélioration de l’état du monde, lisons une fois de plus Luc Ferry[6] et Nicolas Bouzou[7] en leur Sagesse et folie du monde qui vient. Le philosophe et l’économiste, dans leur essai à deux voix alternées, quoique dans une progression thématique, usent à peu de de choses près de la même démarche qu’Hans Rosling. Ils dénoncent cependant le pessimisme et le catastrophisme qui gangrènent la pensée politique et économique et qui se refuse à prendre en considération les progrès immenses accomplis par l’humanité. Santé, espérance de vie, loisirs, progrès scientifiques, tout va mieux sur la planète, hors les zones de guerre et de tyrannie, hors le front de la pollution dans les pays d’Asie et d’Afrique. Au-delà de l’analyse de la « joie mauvaise » du pessimisme, nos essayistes démontent les jérémiades sur la fin du travail en réhabilitant le concept de « destruction créatrice » initié par Schumpeter[8] ainsi que les bienfaits des nouvelles technologies, de l’intelligence artificielle et de la robolution[9]. Ils démontent également « l’éternel fantasme utopiste » du socialisme, non sans alerter sur la concentration du capitalisme, donc en réhabilitant le libéralisme et en vantant l’innovation.

      À la question « Le capitalisme est-il incompatible avec l’écologie ? », Nicolas Bouzou répond avec justesse en listant les solutions proposées : « la décroissance, la planification et les incitations dans le cadre d’une économie libérale qui respecte la neutralité écologique. Seule la troisième est à la fois humaniste et efficace ».

      Dénonciation bienvenues également que celle du « mythe de la surpopulation », et que celle de la « post-vérité » par Luc Ferry. Elle est bien plus que la fausse nouvelle, ou « infox » plutôt que l’anglicisme « fake news », la désinformation ou le mensonge ; elle est un relativisme « post-soixante-huitard » et « postmoderne », inspiré par la fameuse thèse de Nietzsche selon laquelle « il n’y a pas de faits, seulement des interprétations[10] ». Certes un fait doit être interprété, mais pas au point de l’invalider. Cependant la multiplication et la vitesse des informations, secondées et précédées par les réseaux sociaux entraîne pléthore d’informations et « d’opinions peu fiables, voire absurdes ou mensongères ». Attention en conséquence à la reductio ad hitlerum (ou point Godwin), à l’entraînement grégaire vers la haine, le racisme, à la tendance à s’enfermer dans ses opinions en consultant ce que les algorithmes nous proposent, au complotisme qui imagine que les Juifs sont partout à l’origine des failles du monde, que « le ministère de la Santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour dissimuler la nocivité des vaccins », que les attentats du 11 septembre 2001 eurent pour auteur l’administration américaine… Nous resterons avec Luc Ferry fort sceptiques à l’égard d’une correction par la loi, qui risquerait avant tout d’être liberticide. Tout ceci réclame de la part du citoyen d’autant plus de réserve, de réflexion et de vérification, sans omettre une éthique encore plus nécessaire de la part des médias, des journalistes et des philosophes…

      Une fois de plus, car nos deux compères ont à leur actif des livres aussi informés que de bon sens, ce Sagesse et folie du monde qui vient, écrit à deux mains complices qui savent ne pas se répéter, est animé avec une entraînante clarté autant qu’empreint d’une salutaire nécessité intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Un cas particulièrement flagrant de distorsion entre les faits et l’opinion est celui de Donald Trump[11]. On lui attribue une responsabilité bien exagérée en termes de post-vérité, étant donnée sa propension au tweet compulsif et parfois mensonger. À entendre les préjugés, les haines et les a priori accusatoires, il est sexiste, raciste, incompétent et forcément fascisant. Pourtant les ministres en son gouvernement sont aussi femmes et noirs, le chômage vient d’atteindre un plancher jamais vu depuis 1969, à 3,6 %, les salaires ont augmenté, surtout pour les plus modestes, la constitution américaine n’a en rien été mise à mal. Les faits sont indubitables, et pourtant l’opinion ne bascule que d’un demi-doigt, enferrée dans son hystérie, alors qu’adulés, caressés par l’indulgence, les Clinton et Obama ont sombré dans l’illégalité en faisant espionner la campagne du Président, en usant de calomnie dans le cadre d’une imaginaire collusion russe, qu’ils ont lamentablement échoué sur le front du chômage.

      À cet égard, il est dommage que l’essai de Maurizio Ferraris, Postvérité et autres énigmes, commence par une mise en balance entre Donald Trump et un linguiste et philosophe, ce qui paraîtrait évidemment au désavantage du premier, plus expert en communication tweetesque qu’en vérité platonicienne ou nietzschéenne. Mais il s’agit de Noam Chomski dont l’autorité politique se voit désavouée par son socialisme libertaire anarchiste, en face duquel les faits et bienfaits du Présidents à l’égard de l’économie et du bien-être de ses concitoyens sont avérés, même s’il reste du pain sur la planche, en termes de santé, d’éducation et d’islamisation.

      Alors que cet essai, assez pointu et cultivé, est plein de finesse. Pour Maurizio Ferraris, « la post-vérité nous aide à saisir l’essence de notre époque ». Sa thèse pertinente est la suivante : « que la postvérité est l’inflation, la diffusion et la libéralisation du postmoderne hors des amphithéâtres universitaires et des bibliothèques, et qu’elle a pour résultat l’absolutisme de la raison du plus fort », autrement dit de la pulsion de pouvoir tyrannique. Avaliser n’importe quelle proposition idéologique sous forme de vérité alternative revient à détruire le socle des faits d’une part et la possibilité de la vérité scientifique, voire morale, d’autre part, cette dernière hypothèse décriée par Nietzsche n’étant d’ailleurs pas prise en compte par l’essayiste. Ce qui était le nec plus ultra du postmodernisme philosophique de la déconstruction, de Derrida[12] et de ses épigones, devient, en traversant la foule des donneurs de tons politiques, universitaires et journalistiques, puis le public, postvérité, selon la « première dissertation » de Maurizio Ferraris. La seconde analyse la disponibilité accélérée de l’information et la capacité pour chacun de délivrer une opinion, une infox, au détriment des faits et de la conviction. Ainsi sont nées les filles du smartphone : « la postvérité et sa cause technique, la documédialité, sont le fardeau de la civilisation », cette « documédialité » étant le successeur du capital et de la « médialité » des deux précédents siècles, car la marchandise est remplacée par le document. Ce dernier point étant sujet à caution, tant il ne s’agit pas de remplacement, mais d’adjonction. Il faut enfin, en la « troisième dissertation », proposer « un remède à la postvérité ». Ainsi « la mésovérité est de fait une relation à trois éléments qui comprend : l’ontologie, l’épistémologie et la technologie », et qui permet d’obtenir des propositions vraies. Nous retombons en quelque sorte sur nos pattes : la factualité.

      Reste que nous souscrivons à cette dernière proposition du Turinois Maurizio Ferraris : « la vérité n’est en rien auto-évidente, et elle requiert un entraînement technique, sans compter une dose de bonne volonté, d’imagination, et parfois même de courage personnel ». Nous ajouterons que si aucun individu ne peut parvenir à vérifier toutes informations, opinions et vérités, la tâche est cependant celle qui va du scepticisme nécessaire à l’établissement des faits au secours des progrès de la science, de l’humanité et de la dignité humaine, en passant par la modestie.

 

      Aussi faut-il imaginer des « cours d’auto-défense intellectuelle », selon la proposition de Sophie Mazet, dans Des Têtes bien faites. Défense de l’esprit critique. La démarche passe par quelques injonctions précieuses. En trois parties, l’ouvrage dirigé par Nicolas Gauvrit et Sylvain Delouvée, donne des éléments d’explication « de notre propension à croire faux ou à prendre de fausses routes cognitives », en d’autres termes « l’attachement obstiné aux croyances fausses ». Indifférentes aux faits et à l’argumentation construite, nombre de faussetés restent indéracinablement ancrées dans l’esprit.

      La seconde énumère des croyances plus que répandues : « ovnis, vie après la mort, fin du monde » ; l’on y découvre le « soucoupisme » après le folklore féérique tombé en désuétude, mais qui visent tous deux à « réenchanter le monde », alors qu’il est temps de « fermer les portes du paradis », sans oublier le climatoscepticisme, qui lui, nous l’avons dit par ailleurs a de bons arguments en sa faveur[13]. La palme du délire étant attribuée au goût immodéré pour l’Apocalypse, voire pour les utopies qui s’en suivraient. Non loin figurent le bric-à-brac des conspirationnismes ; tout un ramassis agglomérant le fantasme et la conviction d’être parmi les élus de l’initiation, ensemencés par la peur et le désir…

      Enfin divers intervenants, dont des enseignants, montrent comment ils tentent de contribuer à la naissance de l’esprit critique, par exemple grâce à des sites comme « Conspiracy Watch » (2007-2018), à la revue Science et pseudo-sciences, à des démarches ludiques, à des vérifications de sources et des croisements d’informations, une attention aux sites confirmés et à ceux parodiques. Sans oublier, ô ironie, d’offrir des anecdotes à propos d’élèves et d’étudiants qui en savent plus, voire mieux, que leurs maîtres, ces derniers n’ayant d’ailleurs pas toujours l’humilité de le reconnaître. Si la sociabilité enferre de telles inepties, elles sont renforcées par les groupes, parfois sectaires, qui s’agrègent sur les réseaux sociaux.

      Pensons à « l’effet-gourou » (selon Dan Sperber[14]), qui incite à adhérer à des énoncés obscurs et spécieux, sans vérité identifiable, comme ceux de Lacan ou de Derrida, au « biais de confirmation » qui incite à d’abord chercher les données qui confortent notre pensée, au repoussoir que peut paraître une publication scientifique complexe, sans que celle-ci puisse être absolument fiable, à « la mollesse du raisonnement humain ». L’animal social a bien du mal à se départir des influences normatives, préfère la « désindividuation » à la transgression, à moins qu’elle émane d’un groupe constitué. Rares sont les êtres vraiment libres, surtout si les structures sociales et politiques ne l’y encouragent guère, y compris les microstructures groupusculaires qui permettent de transférer son manque d’identité dans celle du groupe. De plus, Internet favorisant la crédulité et le zapping, auront-nous le courage et la constance d’aller vers un long développement ardu pour démonter nos attendus ? Le développement de l’esprit critique ne doit-il pas se nourrir de philosophie, de psychologie cognitive et des sciences de l’éducation ? En ce sens, la responsabilité de l’enseignant est immense. Ainsi nourri de nombreux exemples, rigoureux, cet ouvrage collectif complète à merveille notre boite à essais…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Restons méfiant, voire sceptique devant la vérité. Ainsi relisons Karl Popper, qui dans une conférence prononcée le 20 janvier 1960 à la British Academy, dénonçait une « épistémologie erronée » : « La doctrine qui affirme le caractère manifeste de la vérité - que celle-ci est visible pour chacun pour peu qu’on veille la voir - est au fondement de presque toutes les formes du fanatisme. Car seule la dépravation la plus perverse peut faire que l’on refuse de voir la vérité manifeste ; seuls ceux qui ont des raisons de craindre la vérité conspirent afin d’en empêcher la manifestation[15] ». La dimension politique de la balance entre la vérité et l’erreur est là explicite. Aussi faut-il examiner comment nombre de religieux, y compris au sens fasciste et communiste, de thuriféraires des causes climatique ou antispécistes et vegans, passent de la haine de l’erreur à la terreur, une seule lettre ayant changé…

 

      Parmi toutes leurs indispensables analyses et propositions, nos auteurs prennent le soin de nous avertir des plus courants motifs d’erreur et des déviations de nos contemporains plus ou moins patentés. Peine perdue ? La paresse intellectuelle s’allie au confort malodorant de rester ce que l’on est (ce que l’on nait également), de s’enferrer en une commode tradition, en un tout aussi commode conformisme, en toisant qui n’est pas comme soi, sans compter la peur de la solitude de celui qui pense à contre-courant. Le grégarisme est bien sûr une plaie qui va jusqu’à entraîner la foule erronée  vers les erreurs criminelles de certaines religions et des politiques tyranniques. La pulsion totalitaire est alors une sorte d’envers désiré (au prorata de la pulsion de mort) du catastrophisme millénarisme. Il s’agit de se sentir important en arguant de la nécessité et de l’urgence, voire de la majorité, pour perpétrer tant d’attentats contre la vérité. Comptons également le déni de réalité, qui peut conduire à se voir démenti, trop tard, par les événements. Le psychologue alors ne va pas sans le politologue. Mais qu’est-ce que j’en sais, moi, qui tente de réfléchir plus que les autres, qui n’est spécialiste de rien, et se prend peut-être les pieds dans des contre-vérités ? Ce qui ne signifie pas devoir abandonner la quête de la vérité, à  laquelle contribue cette précieuse factualité. Revenons à la précieuse conférence de Karl Popper, Des Sources de la connaissance et de l’ignorance, dans laquelle il faisait preuve d’une semblable humilité : « Il convient, selon moi, de renoncer à cette idée des sources dernières de la connaissance et reconnaître que celle-ci est de part en part humaine, que se mêlent à elle nos erreurs, nos préjugés, nos rêves et nos espérances, et que tout ce que nous puissions faire est d’essayer d’atteindre la vérité quand bien même celle-ci serait hors de portée[16]. »

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Georges Duhamel : Le Notaire du Havre, Avant-propos, Mercure de France, 1933.

[3] Roger Bacon : Compendium studii theologiae, I, 2, in Philosophes et philosophies, Nathan 1992, p 239.

[4] Sciences et Avenir, 15 02 2019.

[8]  Joseph Schumpeter : Capitalisme, socialisme et démocratie, Payot, 1954, p 161-168.

[9] Voir : Transhumanisme, Intelligence Artificielle et robotique, entre effroi, enthousiasme et défi éthique

[10] Friedrich Nietzsche : Fragments  posthumes, fin 1886, printemps 1887, 7-60.

[13] Voir note 4.

[14] Dan Sperber : « The Guru Effect », Review of Philosophy and Psychology, 2010, I, 4, p 583-592.

[15] Karl Popper : Des Sources de la connaissance et de l’ignorance, Rivages poche, 2018, p 43.

[16] Karl Popper : Des Sources de la connaissance et de l’ignorance, ibidem, p 156.

 

 

"Dénonciations secrètes contre celui qui manquera aux grâces et aux devoirs

ou qui se livrera à des ententes frauduleuses pour cacher la véritable destination de ceux-ci".

Palazo ducale, Venezia. Photo : T. Guinhut.

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1 mars 2019 5 01 /03 /mars /2019 19:31

 

Orangerie de La Mothe Saint-Heray, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Amitié pour Allan Bloom
& pour la culture générale.

 

 

Allan Bloom : L’Amour et l’amitié,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Manent, Les Belles Lettres, 656 p, 19 €.

 

Allan Bloom : L’Âme désarmée. Essai sur le déclin de la culture générale,

traduit par Paul Alexandre et Pascale Haas, Les Belles Lettres 504 p, 19 €.

 

 

 

 

      Une foultitude d’essais court sur l’amour ; ils sont bien moins nombreux sur l’amitié, plus discrète, plus exigeante, peut-être parce qu’elle éclot moins depuis les sens que depuis l’intellect. Mais au regard de la libération sexuelle, avons-nous perdu quelque chose de l’amour, comme au regard de l’individualisme avons-nous sacrifié l’amitié ? C’est, dans L’Amour et l’amitié, la thèse du philosophe américain Allan Bloom (1930-1992), veilleur sourcilleux au fronton de la culture classique, et qu’il ne faudra pas identifier à un conservatisme ronchon. Volontiers acerbe envers les bassesses de notre contemporain, il lui semble que l’éducation, se fermant peu à peu aux grands classiques, rend L’Âme désarmée, la faute au « déclin de la culture générale ». Volume d’autant plus pertinent, paru originellement en 1987, qu’il se voit ici nanti de la première traduction intégrale.

 

      Si l’on sait que l’amour est d’abord instinct sexuel et ensuite, du moins potentiellement, transcendance esthétique et éthique comme l’ont démontré les grands poètes, de Pétrarque à Shakespeare, l’on sait moins que l’amitié, plus rare, « à la différence de l’amour est forcément réciproque ». Or l’essayiste se propose de montrer « que la compréhension de l’amour et de l’amitié est la clef de la connaissance de soi ». Aussi parle-t-il d’ « Eros », bien au-delà de « sexe » et d’ « amour », ces mots qui révèlent un appauvrissement du langage, donc « un appauvrissement du sentiment ». Perte de vitesse du romantisme, désérotisation du monde », voilà ce qu’observe Allan Bloom au début des années quatre-vingt-dix aux Etats-Unis, quand le « lookisme » est devenu un vice, alors que le regard adressé à la beauté n’est plus compris. Si le féminisme a dénoncé le machisme et le viol, ne risque-t-il pas, en assujettissant la sexualité au pouvoir sexiste, de déprécier ce que nous appelions « faire la cour » et la galanterie, d’oublier « la beauté de l’érotisme » ?

      Le premier Rapport Kinsey, paru en aux Etats-Unis en 1948, fut à la fois signe de libération sexuelle, mais aussi de lecture descriptive et statistique de la sexualité, qui, selon Allan Bloom, « ôte tout motif de réfléchir sérieusement sur la signification de nos désirs ». L’on pourrait tempérer ce jugement en signifiant que l’un n’empêche pas forcément l’autre, puisque la sexologie n’est pas l’art d’aimer, qu’elle n’aspire pas à la beauté ni n’inspire guère la poésie.

      Pour ce faire, il ne suffit pas, outre l’indispensable empathie, de manier l’introspection, il est nécessaire de découvrir les miroirs éclairants que sont les romanciers et philosophes, plutôt que Freud et les théoriciens de la déconstruction[1]. Allan Bloom commence par « Rousseau, le plus érotique des philosophes modernes », et achève sa réflexion panoramique de la culture occidentale par « Socrate, le plus érotique des philosophes tout court ». Stendhal, Austen, Flaubert et Tolstoï sont également les mentors d’Allan Bloom. Ces romanciers romantiques et réalistes offrent le portrait de couples, unis, désunis, et le tableau de sentiments, quand Shakespeare propose à la fois la folie de l’amour et sa promesse d’unité.

      Avec Rousseau et sa Nouvelle Héloïse, l’idéalité et la sincérité du romantisme naissant évacuait la galanterie du XVIII°. Est-on sûr que ce fut un bien ? Or l’auteur du Contrat social exhibait sa sexualité pas toujours brillante dans ses Confessions. Le désir du parfait amour coïncide avec de telles scories, ce qui fait dire à l’essayiste : « Si Freud fut du sexe le savant frigide, Rousseau en fut le savant sensuel ». Et si « Julie est la déesse de La Nouvelle Héloïse et du romantisme en général », nous ajouterons que la Sophie d’Emile ou de l’éducation est malheureusement une femme soumise…

Rousseau : La Nouvelle Héloïse, Londres, 1781.

Photo : T. Guinhut.

 

      « Post-rousseauistes » sont Le Rouge et le noir, Orgueil et préjugé, Madame Bovary et Anna Karénine. Stendhal lit Jean-Jacques avec tendresse, dans un monde bourgeois qu’il décrit avec un réalisme cru et auquel il veut échapper par l’amour ; Austen avec révérence, quoiqu’elle soit plus raisonnablement féminine, parmi ses histoires de cœur inscrites dans une étroite sphère sociale abondamment moquée ; Flaubert avec nostalgie et ironie, sonnant « le glas des grands espoirs soulevés par le romantisme » ; Tolstoï avec enthousiasme, alors qu’il « nous rappelle un monde disparu dans lequel les hommes avaient le loisir requis pour essayer de faire de leur vie une œuvre d’art ». Cependant le monde de Tolstoï, où une Anna Karénine vit le « conflit entre la passion érotique et l’amour des enfants »,  n’est guère ouvert aux idées des Lumières, ce que ne regrette peut-être pas assez Allan Bloom.

      C’est à propos de Jane Austen et des personnages d’Elizabeth et Darcy, qu’Allan Bloom évoque l’amitié. Alors que chez Aristote et Cicéron elle est « miroir fidèle dans lequel on peut se voir soi-même », par contraste « l’amitié d’un couple repose sur les imperfections et les manques de chacun des partenaires qui doivent être corrigés ou comblés par l’autre. Elizabeth veut que Darcy lui enseigne tout ce qu’il a pu apprendre en sa qualité d’homme, grâce à une plus grande expérience du monde ainsi qu’à une étude plus approfondie des arts et des sciences ; de son côté elle pourra instruire sa délicatesse et civiliser ainsi sa vertu ». Nul doute qu’aujourd’hui le partage des tâches serait moins tranché. Cependant c’est ainsi que Jane Austen « célèbre l’amitié classique comme le cœur de l’amour romantique »…

      Au romantisme exalté par le sublime, succède au XX° siècle la laideur de la condition humaine et « l’omniprésence d’un sexe sans idéal ». Y-a-t-il un remède à cette déconfiture, sinon le retour à ce mystérieux Shakespeare[2] longuement commenté... Or « ses pièces nous inspirent plutôt le désir classique de comprendre le monde que l’aspiration moderne à le transformer ». Il sait dire autant l’obscène que l’amour, peindre les aspirations à l’infini, le comique et la grandeur, au sein et auprès de Roméo et Juliette, d’Antoine et Cléopâtre, mais surtout « la présence vivante du grand dieu Eros, non dans l’imitation artificielle que Rousseau et les romantiques essayèrent dans le monde bourgeois frappé de rigidité ».

      En conséquence, et c’est bien quoi ils sont précieux, les Sonnets et les pièces de Shakespeare[3] contribuent à la quête de la connaissance de soi et, en outre, « déploient un examen de l’esprit humain qui nous instruit dans la plus délicate des sciences : savoir quoi honorer et quoi mépriser, quoi aimer et quoi haïr ». Or, tendant l’arc de la polémique, Allan Bloom va jusqu’à ajouter - et nous ne le contredirons pas - : « ignorant l’abstraction stérile de nos sciences humaines comme l’indigente laideur de nos arts populaires, il est pour nous comme un miracle ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Il eût été étonnant que Shakespeare omette l’amitié de son œuvre-monde : L’excellent prince Hal, futur Henri V, protège son étonnant ami, le grotesque Falstaff, qui cependant lui transmet sa connaissance de la vie et du peuple. Cette réciproque estime, quoiqu’elle soit une parodie de l’amitié selon Aristote et Cicéron, est rapprochée de celle de deux humanistes de la Renaissance : Montaigne et La Boétie. Cette dernière est l’expression de la réciproque « admiration intellectuelle […] alors que cette admiration est pratiquement ignorée de la grande masse de l’humanité ». Aussi faut-il revenir à Platon, qui « essaie de montrer dans Le Banquet que la philosophie est la forme la plus complète d’Eros ».

      Nous aurons pour lui une réelle amitié intellectuelle : la culture et la finesse de l’analyse d’Allan Bloom n’est plus à démontrer quand les auteurs s’y retrouvent mis en question, fouillés, magnifiés… Il reste cependant plus que conservateur, lorsqu’au nom des liens sacrés du mariage il approuve Tolstoï qui condamne son adultère Anna Karénine, n’y préférant pas « la facilité toujours plus grande du divorce à l’époque moderne ». En revanche, l’on ne peut que le suivre lorsqu’il affirme, sans égards pour le relativisme[4], au seuil de la lecture de Roméo et Juliette : « Que pourrait-il y avoir de plus merveilleux que d’unir le plaisir le plus intense avec l’activité la plus haute, avec les plus nobles actions et les plus belles paroles ? Car telle est la promesse de l’amour ».

      Il est évident que notre essayiste ne vise pas à une censure des mœurs. Il souhaite plutôt voir se « développer une forme de tolérance qui ne détruise pas en même temps la capacité de discriminer le bien, le mal, le noble et le bas. La tolérance requiert-elle nécessairement ce relativisme qui atteint la vie des âmes et les prive de leur droit à préférer ce qui est beau, et à en être instruit ? » À l’occasion d’une conférence d’Allan Bloom, des étudiants américains déplièrent une banderole ainsi libellée : « Grat Sex is better than Great Books ». « C’est vrai, mais on ne peut avoir l’un si l’on n’a pas l’autre », répond-il. Cependant, ajoute-t-il, « dans un monde meilleur, l’éducation sexuelle se préoccuperait de développer le goût ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      À cet égard l’appauvrissement du langage et de la lecture précipitent le « déclin de la culture générale ». C’est le trait saillant de la thèse d’Allan Bloom dans L’Âme désarmée, explicite en son sous-titre français. La déshérence de la rhétorique politique et de la rhétorique amoureuse vont de pair si l’on ne lit pas Aristote et Hannah Arendt, Pétrarque et Shakespeare. Pour reprendre le titre de l’original américain, The Closing of the American Mind, il faut dénoncer une fermeture d’esprit : vivre au présent, envisager le futur, ne peuvent se faire intelligemment si l’on s’est fermé au passé et à ses penseurs. En ce sens, il s’agit d’un vaste pamphlet, argumenté avec ardeur et finesse, adressé à l’esprit américain. Que dirait-il aujourd’hui de la chape de plomb du politiquement correct dans certaines universités, de l’idéologie socialiste et écologiste qui ne craignent pas de subvertir les faits, d’évacuer une démarche scientifique et philosophique, de l’ignorance crasse de l’homme de la rue et des médias…

      Ainsi nihilisme et relativisme encombrent les universités d’Amérique et d’Europe, pour entraver la recherche de la vérité et la noblesse de l’âme : « le vrai mobile, à savoir la recherche d’une existence meilleure, a été étouffé par le relativisme ». Au-delà des objurgations économiques et sociales, l’éthique de l’enseignant, plutôt que la déséducation idéologique[5], doit permettre de conduire ses étudiants vers la grandeur de la culture. Au-delà des clichés de l’époque, l’enseignement doit, à l’aide des grands livres, tenter de réponde à cette question : « Qu’est-ce que l’homme ? », « Quelle fins morales doit-on se proposer ? » Ce à travers une réflexion rationnelle et non autoritaire, non fanatisée…

      Or l’on serine que toutes les cultures sont équivalentes[6] ; ce qui est une démission de l’esprit, de la connaissance et du jugement. Ce n’est pas de l’ethnocentrisme que de s’appuyer sur des critères de liberté, de prospérité, d’éducation, de santé, sur la constitution américaine, pour définir ce que peut être le meilleur de l’humanité. En tous cas pas avec le concours de la tyrannie de la majorité ou de celle des minorités, raciales, religieuses ou sexuelles, ni avec la démagogie. Ainsi « l’engagement [est] la nouvelle valeur politique qui remplace la raison ». En effet s’engager n’est pas une preuve suffisante de la validité de la cause, qu’elle soit nazie (pensons à Heidegger), communiste (puis à Sartre), ou bien libérale au sens classique du terme[7] et au service des droits universels…

Platon : Oeuvres, Charpentier, 1869. Photo : T. Guinhut.

 

      La perte de vitesse des grands livres, comme la Bible, si discutable que soit cette dernière, ou La République de Platon, également discutable cette fois pour des raisons politiques, entraîne le risque de ne plus aspirer à devenir des sages. Face à la diminution de la lecture, l’omniprésence de la télévision, puis des médias et jeux numériques, si elle est concomitante avec l’élévation générale du niveau d’instruction, souvent au sens technique du terme, empêche une vaste élévation culturelle et morale : « Du fait de la méconnaissance des bons livres, les jeunes deviennent les dupes de tout ce que d’insidieux charlatans leur offrent en guise d’interprétation de leurs sentiments et de leurs désirs ». Comme lorsqu’un féminisme accuse les œuvres du passé d’être sexistes.

      Hors les amateurs cultivés, la jeunesse n’écoute ni Bach, ni Schubert, ni Wagner ; alors qu’ils sont soumis à « une véritable intoxication par la musique ». Or « selon Platon et Nietzsche, l’histoire de la musique est une série de tentatives pour conférer forme et beauté aux forces obscures, chaotiques et prémonitoires de l’âme ». Mais le rock « excite le désir sexuel » au moyen de son rythme puissant et barbare. Et encore Allan Bloom n’eut guère le temps de connaitre le rap ! Voici une pierre de touche apporté au débat entre musique savante et musique populaire[8]. Une telle marée rock, pop et rap, grégaire de surcroit, qui n’est justifiée que par le trivial « c’est mon choix », ne favorise pas l’éducation du goût et l’art de la distinction.

      L’on rétorquera qu’Allan Bloom se montre un peu prude, voire fermé d’esprit. Ce serait lui faire un injuste procès. Il n’accuse pas Mick Jaeger et consorts de contribuer aux drogues, au sexe et à la violence, mais de susciter une sous-culture de masse et « une difficulté insurmontable à établir une relation passionnée avec l’art et la pensée qui sont la substance même de la culture générale ».

      Egocentrisme, égalitarisme, racialisme (qu’il s’agisse d’un « suprématisme noir » ou de discrimination positive), libération sexuelle, féminisme radical, (« la liberté sexuelle n’a bénéficié que d’un très bref instant ensoleillé avant d’être à nouveau bridée pour satisfaire la sensibilité féministe »), isolement de l’individu, divorce, érotisme « infirme », rien n’échappe à l’examen sans concession de notre essayiste. Il rejette ce qui en fait « aboutit, comme beaucoup de mouvements modernes qui recherchent une justice abstraite, à l’oubli de la nature et au recours à la force pour refaçonner les êtres humains afin de réaliser la justice ». Mais à cet égard, Allan Bloom rappelle que Platon, dans La République, envisage sérieusement un communisme sexuel[9]. Il reconnait également que, grâce à l’évolution des mœurs, nombre de problèmes des héros de romans classiques liés à la gestion sexuelle deviennent passablement obsolètes.

      Quant au domaine philosophique plus contemporain, il s’agit de dénoncer les influences d’un Nietzsche et d’un Heidegger (dont le nazisme était « un corollaire de sa critique du rationalisme ») qui ont pour conséquence le relativisme des valeurs : « La démythification de Dieu a nécessité une description nouvelle de la nature même du bien et du mal ». Ce qui est concomitant du judicieux anathème jeté sur l’abus du mot « culture » appliqué à tout et n’importe quoi. Si la culture se dit maintenant au pluriel, faut-il n’y voir qu’un progrès, quand la noblesse des valeurs périclite au contact du relativisme ? Où se glisse la dignité humaine dans le choc entre universalisme et particularismes ? Ainsi « le rationalisme occidental a abouti à un rejet de la raison : est-ce un résultat nécessaire ? »

      L’on pourra discuter sa vision de la science comme découverte et non comme « créativité », son admiration récurrente pour un Rousseau qui est moins un ancêtre de la démocratie libérale que de Marx, ce « fossile » dont il pense trop facilement qu’il est considéré comme dépassé alors qu’il innerve encore une délétère volonté de puissance du ressentiment, et penser que parfois il se laisse un peu entraîner par son argumentation qui frise par instant la satire à l’emporte-pièce, par exemple lorsqu’en 1969 « l’université avait abandonné toute prétention à étudier ou à informer sur la valeur » ; même si elle n’a guère su résister à la pression des masses, y compris des Noirs radicaux, et à l’idéologie révolutionnaire ; car « les impulsions tyranniques se sont fait passer pour de la compassion démocratique ». De même, faut-il le suivre totalement lorsqu’il constate un déclin mortel de la philosophie aux Etats-Unis, de plus inféodée par le « déconstructionisme […] dernier stade, peut-on prédire, de la suppression de la raison, la négation ultime de l’idée qu’une vérité philosophique est possible » ? Il est vrai qu’il serait ulcéré de constater aujourd’hui combien l’université américaine est parfois tyrannisée par les sensibilités exacerbées des minorités raciales, religieuses et sexuelles… Reste que l’essai est plus que vivifiant pour l’esprit. Et si nous ne rendons pas justice à tous les aspects de ces essais qui associent une lecture aisée à une érudition profonde et à des mises en perspectives audacieuses, considérons qu’il s’agit d’une courtoise invitation à s’y plonger encore…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      N’en déplaise aux livres essentiels d’Allan Bloom, il est à craindre que l’âme, qu’elle soit socratique ou chrétienne, ne soit qu’une grande fiction. Or que nous ayons été désarmés puisque privés des grandes grilles de lectures métaphysiques est indéniable. Mais n’est-ce pas un bénéfice que de pouvoir forger notre liberté morale, érotique et intellectuelle, moins dans l’ « âme » que dans l’esprit ? Reste que désarmés sont ainsi les esprits faibles, armés de leur seul caprice et volonté, tournés vers le plaisir, mais aussi vers le mal, vers le pouvoir tyrannique. Aussi, avec Allan Bloom, qui sut traduire en anglais aussi bien La République de Platon que l’Emile de Rousseau, nous ne pouvons que plaider l’amitié des grands livres pour nous guider vers le bien, la paix et la beauté de l’Eros, comme en leur temps étaient ami Aristote et Platon. Tout en rejetant aux oubliettes du politiquement correct le plus abject l’idée selon laquelle l’écrivain du passé est « le suppôt de tous les préjugés pernicieux », soit le sexisme et l’exploitation par le pouvoir, selon une grille foucaldienne. Être conscient des faiblesses de l’époque ne doit pas empêcher d’apprécier l’autorité des grands auteurs à leur juste valeur et beauté, ni empêcher de tacler les préjugés d’aujourd’hui. L’éducation libérale[10] et l’amour des belles lettres qui doivent conduire le retour à la culture générale ne signifient ni passéisme stérile ni refus de construire l’avenir qui nous incombe ; bien au contraire. Il est entendu que la culture générale n'est pas qu'une collection disparate de connaissances, mais une mise en relation des connaissances avec la dignité humaine au moyen de la lecture des grands livres de l'humanité...

      Un beau livre d’amitié a rendu hommage à Allan Bloom : il se nomme Ravelstein[11]. Ce portrait d’un brillant professeur de philosophie, autant caractérisé par  sa prodigalité ruineuse que par son érudition chaleureuse, qui fait fortune en publiant un excellent essai destiné au grand public et meurt du sida, est très largement inspiré par l’auteur de nos deux essais. C’est avec ironie qu’il lui fait côtoyer le pop-rocker Michael Jackson dans les suites de l’Hôtel Crillon. Saul Bellow a-t-il outrepassé les limites de l’amitié en révélant l’homosexualité du maître ? En son intense et contrasté roman biographique, a-t-il voulu souligner une dimension socratique essentielle ou anecdotique, entre « l’amour rousseauiste et l’éros platonicien ? Ou encore contribuer à la légende d’une incontestable figure de l’éducation libérale…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[3] Allan Bloom : Shakespeare on Love & Frienship, University of Chicago Press, 2000.

[9] Platon : La République, V 451-466.

[11] Saul Bellow : Ravelstein, Gallimard, 2002.

 

 

Orangerie de La Mothe Saint-Heray, Deux-Sèvres. Photo : T. Guinhut.

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1 décembre 2018 6 01 /12 /décembre /2018 08:45

 

Château de Boisrenault, Buzançais, Indre.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Démons et libertés de la luxure.
Sylvie Steinberg : Une Histoire des sexualités ;
Michel Foucault : Les Aveux de la chair.

 

 

 

Sous la direction de Sylvie Steinberg :

Une Histoire des sexualités,

PUF, 528 p, 22 €.

 

Michel Foucault : Les Aveux de la chair,

Gallimard, 436 p, 24 €.

Michel Foucault : La Sexualité

EHESS, Seuil, Gallimard, 300 p, 25 €.

 

 

 

 

      L’ardeur du désir et a fortiori l’orgasme ne sont pas les moments les plus propices pour philosopher. Pas même peut-être son après. Ne dit-on pas « post coïtum animale triste[1] » ? Il est vrai que l’adage parfois attribué à Galien de Pergame (un Grec du II° siècle), à moins qu’il vienne d’Aristote et de De la génération des animaux, est suivi par « praeter gallum mulieremque » (à l’exception du coq et de la femme). Il faut donc une femme-philosophe en la matière, ce qui est le cas de Sylvie Steinberg, dirigeant Une Histoire des sexualités, certes uniquement occidentale, voire souvent française. L’on se doute que cela ne nous empêchera pas le moins du monde de lire Michel Foucault et ses posthumes Aveux de la chair pour partir à la recherche de la généalogie, des démons, des pouvoirs et des libertés de cette luxure, qui est devenue sexualité.

 

      De l’Antiquité à notre XXI° siècle à peine entamé, cette Histoire des sexualités à cinq mains prétend retracer les évolutions des normes et des mentalités, non sans y apporter une inflexion venue des études féministes et de genre, bienvenues espérons-le. Il est évident que depuis le dieu Eros des Grecs, notre temps a bouleversé nos comportements et nos représentations. La dissociation mentale et technique de la sexualité et de la procréation, les revendications et les jalons du féminisme[2], ses lectures féminisées de la sexualité, la prise en considération des « minorités » sexuelles », voilà qui sépare cette histoire en un avant et un après…

      Déjà le XIX° siècle avait été celui de l’expansion de la médecine et de l’invention de la psychanalyse, or il s’était achevé selon Michel Foucault dans les années cinquante. Aussi, bien au-delà de la révision et du recyclage de la pensée antique dans la sexualité médiévale et chrétienne, il faut considérer un bouleversement contemporain, rare au regard de l’Histoire, qui doit de plus s’interroger sur la validité des sources essentiellement masculines, sans oublier le concept de violences sexuelles, qui court de l’esclavage à la répression des pratiques insolites au regard de la majorité, signant les processus d’exacerbation du pouvoir, au cœur même du politique, entre oppression et liberté. C’est en ces termes que Sylvie Steinberg engage le volume collectif qu’elle dirige.

      Attention donc à ne pas catégoriser de manière anachronique les sexualités anciennes, précaution à laquelle prétend prendre garde Sandra Boehringer, sur le seuil de l’Antiquité. Cependant trop de précautions de méthodes, trop d’allusions obligées, pour paraître branché, à des icônes comme Simone de Beauvoir, aux théories du genre, alourdissent d’abord le propos, ce qui n’est guère le cas de ses corédacteurs suivants.

 

Paulo-Gabriele Antoine : Theologia moralis universa, Venitiis, 1754.

Photo : T. Guinhut.

 

 

      Soyons plus clairs, il s’agit de lire la sexualité antique sous l’angle de la condition féminine, des « violences sexuelles », propos assumés et justifiés, pour une lecture discutable et moralisatrice, qui confronte les mœurs athéniennes à nos lois contemporaines sur le viol. Il n’en reste pas moins que l’on ne se reconnaissait pas dans une identité sexuelle à Rome ou Athènes. L’acte sexuel « était mis en lien avec la personne, avec son statut, et selon des critères sociaux », surtout libre et non-libre. Le couple hétérosexuel n’était pas aussi valorisé qu’un érotisme actif dans les champs politique et de l’éducation, plus précisément entre un citoyen et un adolescent.

      Au lieu de sexualité, les Grecs parlent d’éros, cette force qui nous entraîne. Ici les premiers exemples sont féminins, on dirait aujourd’hui, homosexuels, ou queer[3], avec Sappho et Alcman, un poète lyrique du VII° siècle avant notre ère, qui faisait chanter par un chœur de jeunes filles : « Je suis rompue de désir » en invoquant la belle Astuméloisa. Il est fort louable d’attirer l’attention sur de tels phénomènes « transgenres » passablement occultés (sauf par un Pierre Louÿs), à condition que la subjectivité de l’autrice n’en soit pas la seule cause. Le lien conjugal, quant à lui, est philia et non eros, utile au patrimoine et à la procréation. Et l’adultère, s’il est interdit pour les épouses, est permis pour l’époux avec des prostituées et des esclaves, alors que la notion de consentement n’existe pas pour ces derniers : « c’était l’asservissement et non la prostitution qui faisait de la personne une victime ». L’homosexualité était courante, surtout entre les hommes et dans le cadre de l’initiation d’un jeune éphèbe, mais cela n’était en rien une identité sexuelle. Pas d’homophobie donc, mais une condamnation morale pour qui se ruinait en prestations sexuelles ou se laissait dominer.

      Mais à Rome, où « le sexe tarifé était une industrie florissante », survient l’interdit concernant « la relation sexuelle entre un homme et un jeune citoyen », ce qui ne concerne pas les autres, comme Cicéron et son secrétaire Iron. Là où l’amour-passion est moqué, où la chasteté n’a rien d’admirable, l’on se définit par son statut social et non par son sexe, par la pudicitia contre le stuprum. Car moralement condamnés sont les dépenses excessives et l’oubli des devoirs du citoyen, mais aussi la passivité du fellateur. Peu à peu, sous l’influence du stoïcisme, et d’un idéal de tempérance, l’amour entre époux est valorisé. Auguste promulgue une loi contre l’adultère, qui laisse cependant toute licence à l’époux. Les concepts d’inégalité sexuelle et de consentement tels que nous les entendons aujourd’hui n’ont guère de validité dans la société romaine.

      Il peut paraître curieux qu’aussi bien Sandra Boehringer, dans Une Histoire des sexualités, que Michel Foucault, malgré leurs documentations impressionnantes, ne fassent pas allusion à un ouvrage fondamental à peine oublié : le Manuel d’érotologie classique de Friedrich-Karl Forberg[4], qui compile intelligemment des extraits des auteurs de l’Antiquité en fonction des pratiques et des mœurs sexuelles. Ce sont des chapitres consacrés à la « futution » (ou coït), la « pédication » (ou sodomie), l’irrumation » (ou fellation), la « masturbation », aux « tribades » (ou lesbiennes), jusqu’au « coït avec les bêtes » ! L’anthologie est délicieusement érudite, truffée de centaines de citations, d’Aristophane à Martial, d’Ovide à Ausone…

 

      La notion de péché intervient avec le christianisme, donc dès avant l’ère médiévale, car à la suite de la Bible, « le seul acte sexuel licite est celui qui se réalise à des fins procréatrices ». Didier Lett s’intéresse plus précisément à la période qui va du XII° au XV° siècle, lorsqu’est « contre-nature » et « fornication » tout ce qui n’est pas honoré par le sacrement du mariage, et a fortiori autant la masturbation, la fellation que la sodomie. Si l’on écoute l’Eglise, plaisir est jouissance sont condamnables et la luxure conduit droit en enfer. Y compris s’il l’on est trop ardent avec sa propre femme, comme le profère Saint Jérôme[5] : « Rien n’est plus infâme que d’aimer une épouse comme une maîtresse ». Quoique certains commentateurs encouragent le plaisir au service de la procréation, comme Constantin l’Africain qui écrivit au XI° siècle un De Coitu. C’est de cette époque que vient le nom de la seule position acceptable, celle du « missionnaire ».

      Cependant le pouvoir de l’Eglise n’allait pas jusqu’au fond de toutes les consciences et de tous les lits, ce dont témoigne la liberté de la littérature volontiers paillarde du temps[6]. L’on se doute doute que les couples, mariés ou non, n’observaient pas à cet égard le calendrier chrétien, avare d’occasions de batifoler sous la couette. Et l’on sait que les méthodes préservatives, souvent à base d’herbes et peu efficaces, que les avortements, quoique sévèrement jugés, restent monnaies courantes. Lorsqu’apparait le concept d’adultère masculin, une « certaine égalité pénale » se fait jour, le viol lui-même pouvant être vigoureusement puni. Quant au concubinage, il affecte les laïcs, mais aussi une bonne partie des clercs. Alors que la prostitution est plus tolérée, l’époque médiévale est celle de « la naissance de la sodomie », qui n’est pas encore celle de l’homosexualité. La peine peut aller jusqu’à l’excommunication. À Venise et Florence, le « vice sodomite » est cruellement châtié ; jusqu’à la castration pour l’Espagne. Quant aux relations lesbiennes, elles sont plus discrètes et moins sévèrement punies, malgré quelques peines de morts appliquées.

      De la Renaissance aux Lumières, la sexualité change-t-elle entre Réforme, progression de la médecine et valorisation du libertinage ? C’est ce qu’examine Sylvie Steinberg. Chez les Protestants, le contrôle intime des mœurs s’accentue, entraînant par contrecoup le contrôle des prêtres au travers des séminaires, sans qu’il soit sûr que la sexualité se restreigne… Mais au XVI° siècle, deux anatomistes, Colombo et Fallope, découvrent le clitoris, du moins lui rendent sa singularité féminine et non pénienne. Par ailleurs un procès pour impuissance de l’époux peut conduire un tribunal médical et ecclésiastique à observer une relation sexuelle en guise de preuve ! Reste que les naissances illégitimes diminuent et que la surveillance sexuelle est de plus en plus intériorisée, quoique dans les campagnes  l’on observe avec relâchement les rescriptions religieuses. Au cours du XVIII° la fécondité baisse notablement : contraception (éponges et préservatifs), sexualité sans coït ou abstinence ? Des livres étonnants paraissent, sous la plume de médecins, La Nymphomanie ou Traité de la fureur utérine en 1771 et la persistance de la « hantise de l’onanisme », sous les doigts disciplinés d’un certain Tissot qui publie en 1764 son Essai sur les maladies produites par la masturbation !

 

De Bienville : La Nymphomanie ou traité de la fureur utérine, Londres, 1789 ;

Tissot : Essai sur les maladies produites par la masturbation, 1764.

Photo : T. Guinhut.

 

      Cependant, les romans libertins et pornographiques bourgeonnent au siècle des Lumières, vigoureusement anticléricaux, sans compter le Marquis de Sade, puis contribuent à la critique de l’aristocratie dépravée, jusqu’à la reine Marie-Antoinette prétendument corrompue. Mais à l’autre extrémité du spectre, le préromantisme idéalisateur valorise le choix amoureux et un fidèle mariage. Ce qui n’empêche pas le siècle de cumuler prostitutions et viols de toutes sortes, de devenir « de plus en plus phallocentrique », « de plus en plus soumis à la norme de l’hétérosexualité », si l’on en croit Sylvie Steinberg et l’historien Randolph Trumbach. Néanmoins il devient celui des « prémisses de l’émancipation sexuelle », avec l’éphémère droit au divorce en 1793, puis grâce la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne par Olympe de Gouges, hélas guillotinée par la Révolution…

      Le XIX° quant à lui n’est-il que le siècle de « la bourgeoisie frigide victorienne » ? Il est aussi, selon Michel Foucault, dans La Volonté de savoir, celui de la montée du « biopouvoir médical », ne serait-ce qu’avec l’apparition du mot « sexualité » sous la plume de Julien Joseph Virey en 1800. Si l’homme doit faire son initiation, y compris en affrontant la syphilis et le « péril vénérien », la femme reste « sensitive et vulnérable », soumise et maternelle. En fait son éducation érotique est voisine du néant, alors qu’elle ne découvre que la « brutalité sexuelle » lors de sa nuit de noces ; quoique les paysannes soient un peu plus délurées. En dépit des préceptes religieux et médicaux, voire étatiques qui condamnent la masturbation (solitaire ou mutuelle) et les moyens contraceptifs, au motif qu’ils détourneraient de la procréation et donc du peuplement, les pratiques évoluent souterrainement. Cependant prostitution, homosexualité et pornographie sont réprimés sans relâche. Le tableau, dressé avec vigueur par Gabrielle Houbre, fait frémir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

oubre

      Bien heureusement, la « révolution sexuelle » irrigue le XX° siècle, en particulier à partir de 1968. Peinte par Christine Bard, elle valorise la jouissance et la séduction, le mariage d’amour, le recul des tabous, la tolérance envers l’amour libre et l’adultère, alors que l’inceste et le viol deviennent intolérables… Même si l’auteure insiste un peu lourdement sur la collusion du marxisme avec cette libération, certes revendiquée par de nombreux auteurs et militants issus d’un tel courant, malgré le « conservatisme en matière de mœurs » de la gauche, alors qu’il ne serait pas indécent d’introduire le concept de libéralisme, elle dresse un tableau roboratif. De Wilhelm Reich à Simone de Beauvoir, en passant par Herbert Marcuse, les intellectuels bousculent les tyrannies de la répression sexuelle. Mais l’on oublie ici combien le capitalisme contribue à cette révolution, grâce à la démocratisation de la mode, des instruments ménagers, de la presse et des livres, y compris pornographiques, sans oublier la pilule contraceptive. La pensée féministe n’est pas en reste, rompant avec le phallocratisme. Bientôt, venu des Etats-Unis et de l’essayiste Robert Stoller, le concept de genre bouscule les mentalités. Si « la sexualité est une construction sociale » (et notre précédente lecture l’a suffisamment montré), si le genre n’est pas le sexe, ce qui est avéré pour les homosexuels, bisexuels et a fortiori hermaphrodites[7], n’allons pas jusqu’à délirer en prônant l’idée selon laquelle les sexes n’existent pas.

      La recherche bouillonne : women’s studies et queer studies, mais aussi porn studies, venues des Etats-Unis, font florès pour offrir de nouvelles légitimités. L’Historien ne s’intéresse plus seulement aux femmes, mais au viol, au coup de foudre[8] ; le sociologue imagine un Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes[9]… Outre ces incontournables démarches, le Rapport Kinsey sur les comportements sexuels, paru en 1948 aux Etats-Unis, ensuite celui de Hite en 1976, l’institution du divorce par consentement mutuel, la libéralisation d’une efficace contraception puis de l’avortement, et enfin le sida, dans les années quatre-vingts, auquel succomba Michel Foucault, sont des jalons qui ont révolutionné les pratiques et les mentalités. Sexologie, sex symbol et sextoy, mais aussi homophobie et gay, trans, voire intersexe, asexuel et pansexualité, deviennent des mots courants au service de la liberté des corps, même si ces derniers sont encore empêtrés de normes sociales, quoique celle de la virginité ne soit plus guère d’actualité, même si s’élèvent des critiques arguant d’une « ruse de la domination masculine » qui permet de jouir des disponibilités féminines. L’on « balance le porc[10] » du harcèlement sexuel et l’on découvre également le néologisme « pédocriminalité », peut-être aussi maladroit que « pédophilie », alors qu'il faudrait parler de « pédérastie »…

      Cette révolution politique et anthropologique étant une affaire française et occidentale, l’on devine qu’elle reste fragile, y compris lorsque des féministes radicales comme Robin Morgan plaident que « tout rapport sexuel impliquant une pénétration vaginale avec un homme est par essence un viol », préparant un nouveau puritanisme ; d’autant qu’elle est fort menacée par le sud, en particulier par les pays arabes et l’Islam…

      Au sortir de cette belle Histoires des sexualités, une fois de plus se vérifie l’adage : toute Histoire est faite avec les fondamentaux, les tendances, les préjugés et les avancées de son temps. La sexualité est cependant bien devenue un domaine noble de l’Histoire, et la reconnaissance de la féminité, des violences sexuelles, des homosexualités, du genre parfois distinct du sexe, peut être un humanisme. En ce sens, s’appuyant sur des sources variées, historiques et littéraires, de Catulle à Ovide, de Boccace à Dante, des archives judiciaires, la littérature médicale, religieuse et militante, des témoignages, y compris des papyrus antiques récemment retrouvés, l’investigation est aussi probante qu’enrichissante : prodigieusement documenté, l’ouvrage est une mine de connaissance, un panorama impressionnant des pratiques et des mentalités. Entre cent autres exemples, l’on appréciera l’étude des « représentations artistiques aux frontières des interdits », qui usent souvent de l’artifice mythologique. Sans compter que les détails sont parfois croustillants, voire édifiants, comme lorsque l’adultère de Victor Hugo conduisit sa partenaire seule en prison, ou comme lorsqu’au détour du Tableau de l’amour conjugal de 1686, il apparait que la position dominante pour la femme est non seulement contraire à la « naturelle domination masculine », mais peut engendrer des enfants boiteux et stupides !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Bien avant Une Histoire des sexualités, c’était à partir de 1976 l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault[11], écrite jusqu’à la veille de sa mort en 1984. Nuance d’importance. L’on se doute que l’auteur des Mots et les choses n’affectait pas ainsi une position d’autorité absolue. Il faut cependant admettre que ce qui est aujourd’hui un quatuor d’essais sur les mœurs, depuis l’Antiquité et jusqu’au premier Moyen-âge, laisse le lecteur rêveur : si le sida avait prêté longue vie à l’auteur, jusqu’où n’aurait-il pas été, jusqu’à notre contemporain, érigeant une somme plus solide que la tour de Babel, inventoriant les discours qui ont réglé, inventé et orienté la sexualité de toute l’humanité…

      Ne boudons pas notre plaisir, malgré une légère frustration : quel dommage que ce quatrième volume, posthume (quoique l’auteur prétendait : « Pas de publication posthume »), n’ait pu rejoindre ses congénères dans le coffret de la Pléiade, faute d’une trop tardive volonté de faire savoir de la part des ayant-droits, car nous voici avec un volume orphelin, si à l’occasion nous nous sommes séparés de ses trois prédécesseurs.

      Quand La Volonté de savoir était un vaste prologue méthodologique, intégrant le couple discours et répression à l’usage de « nous autres, victoriens », dépassant le concept de pouvoir par celui de biopouvoir, le second volume, L’Usage des plaisirs est celui des anciens Grecs du IV° siècle, dont les catégories, le « rapport aux corps, à l’épouse, aux garçons et à la vérité[12] », les interdits n’ont pas grand-chose à voir avec ceux du Christianisme. Le Souci de soi prolonge cette enquête historique chez les Romains en interrogeant Galien, Artémidore et le Pseudo Lucien : comment les exigences de la nature et de la Cité permettent-elles de se soucier de son corps autant que de l’éducation de son esprit ?

      Comblant judicieusement un vide entre l’Antiquité et le Moyen-Âge étudié dans la précédente Histoire des sexualités, l’ouvrage de Michel Foucault en est en quelque sorte le chaînon manquant. Ces Aveux de la chair sont assurément des discours, étudiés en tant que tels, dans le cadre de « la gouvernementalité pastorale », et en effet la répression n’est jamais loin de l’obéissance et de la pénitence. Ils bâtissent les fondations du Christianisme et de sa règle sexuelle aux travers des plus grands Pères de l’Eglise. Clément d’Alexandrie, Cyprien, Ambroise, Jean Chrysostome, Cassien, et, richissimes cerises sur le gâteau, Augustin et Tertullien, Pères de l’Eglise des II° au V° siècles, sont au centre de cette philologie de la confession et de la pénitence, de la rhétorique et de la morale. La quête de la vérité, car au travers du confesseur Dieu sonde les reins et les cœurs, irrigue le cheminement du Chrétien. Il s’agit d’orienter son âme au travers des voies de la virginité et de la chasteté, de la concupiscence et du devoir conjugal, entre célibat des clercs et mariage des laïcs : selon Saint Ambroise, « la virginité est pour quelques-uns et le mariage pour tous ». Il est nécessaire de purifier le désir, d’éloigner, d’exorciser le démon de la luxure, rejeté en enfer, pour gagner le paradis de la procréation qui augmente les fidèles du Christ et celui de l’esprit angélique abondé par la chasteté. Ainsi l’essayiste montre comment la formation de l’expérience christique, depuis le baptême jusqu’à cet examen de soi qui est « l’art des arts », passe par deux chemins du corps et de l’âme : « Être vierge », « Être marié ». Car il s’agit de pratiquer l’abstinence anachorétique ou la continence conjugale, de penser « la  disqualification du plaisir » pour s’affranchir du mal », en particulier de ce mal qui est la concupiscence, le péché capital de luxure. Ainsi va la « libidinisation du sexe », qui est à la fois une morale et une médecine : « Ce que produit la volupté, n’est-ce pas trop souvent la ruine de la santé ? », écrit Saint Augustin dans La Cité de Dieu. Or la lecture des Pères de l’Eglise ne se limite pas à la condamnation des aiguillons de la chair et des emportements de l’orgasme qui volent à l’humanité la maîtrise de soi, mais elle engage une éthique intellectuelle bien comprise par notre philosophe : « la chasteté comme maîtrise des passions charnelles au sens strict est indispensable à la science spirituelle ».

      Il semblerait qu’il n’y ait guère de continuité à cet égard entre l’Antiquité et le Christianisme ; pourtant l’examen de conscience stoïcien, qui est une « discipline de soi », est à la source de cette rencontre qu’est la confession, au pied du directeur de conscience, reflet de l’omniscience divine. Cette continuité permit de faire accepter par Rome le Christianisme. Il y avait « l’usage des plaisirs » et leur gestion raisonnée,  il y eu cependant une herméneutique du désir, « de se manifester en vérité ». Au point que soient liés « le sexe, la vérité et le droit » dans une ère où s’invente « une forme de la subjectivité », un dire des « mystères du cœur ».  Ne peut-on pas déduire que de ce travail d’introspection découlera l’individualisme moderne ?

      Au-delà de la patiente richesse de l’érudition de Michel Foucault, l’on retrouve ici, même si l’on ignore dans quelle mesure il eût peaufiné ce texte d’ailleurs inachevé, l’élégance de son écriture, la capacité à déplier les règles et les motivations d’une époque de la sexualité humaine, celle du christianisme primitif, sans le vouer aux gémonies, et dont on peut encore mesurer aujourd’hui parmi nos mœurs et nos mentalité la trace, même si, au sortir de cette généalogie de la sexualité, elle s’efface, « comme à la limite de la mer un visage de sable », pour reprendre la célèbre dernière phrase des Mots et les choses.

 

Dionis : Cours d'opérations de chirurgie, Laurent d'Houry, 1724, p 237.

Photo : T. Guinhut.

 

      L’on sait que Michel Foucault faisait de ses cours un banc d’essai pour ses livres. Les volumes en paraissent peu à peu : le dernier en date étant La Sexualité, avec des cours venus des universités de Clermont-Ferrand en 1964 et Vincennes en 1969. Cette « formation culturelle » se découvre au moyen d’une « archéologie » de la sexualité, au travers du concept du tragique face au droit et à la mort. Une trilogie thématique irrigue le volume, entre masturbation, hystérie et homosexualité. Mieux, au-delà de la question du droit des femmes et du mariage au cours de l’Histoire, se dresse un savoir biologique qui, au cours du XIX° siècle, peut accéder au statut d’utopie, de Sade à Histoire d’O, en passant par Le Nouveau monde amoureux de Charles Fourier, prémisses de cinquième et sixième volumes futurs jamais rédigés. Sexualité naturelle et révolution sexuelle y sont opposées. Cependant l’idée, déjà bien datée, voire désuète, selon laquelle la psychanalyse puisse être « la clé de toutes les sciences humaines » laisse le lecteur pantois.

 

      Si la liberté est un pouvoir, les pouvoirs ont toujours tenté, et tentent toujours, d’ordonnancer et de réprimer la et surtout les sexualités. Entre gynécologie, pilule contraceptive et avortement, la science et le droit issus des Lumières se sont alliés pour libérer les individus et au premier chef les femmes des contraintes cruelles de la nature, des clans, des gouvernements, des églises et des mosquées. Au-delà des oripeaux et des carcans religieux, des assignations identitaires, y compris hétérosexuelles, gays, transgenres, asexuelles, ou tout ce que l’on voudra imaginer, il est à espérer que l’on puisse devenir enfin, au-delà du « régime victorien[13] », dénoncé en 1976 par Michel Foucault et aujourd’hui dépassé, « le sujet moral de [sa] conduite sexuelle[14] ». Souhaitons également  que par-delà tous ces pouvoirs aliénants, que la liberté ne se contente pas et ne se cadenasse pas dans et par la sexualité. N’y-a-t-il pas d’autres dimensions au sein de l’être humain, ne seraient-ce que celles de l’art…

 

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Renzo Tosi : Dictionnaire des sentences latines et grecques, Jérôme Million, p 291.

[4] Friedrich-Karl Forberg : Manuel d’érotologie classique, Joëlle Losfeld, 1995.

[9] Didier Eribon : Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes, Larousse, 2003.

[12] Michel Foucault : L’Usage des plaisirs, Œuvres II, La Pléiade, Gallimard, 2015, p 764.

[13] Michel Foucault : La Volonté de savoir, Œuvres II, La Pléiade, Gallimard, 2015, p 617.

[14] Michel Foucault : L’Usage des plaisirs, Œuvres II, La Pléiade, Gallimard, 2015, p 764.

 

Mondoñedo, Galicia. Photo : T. Guinhut.

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13 octobre 2018 6 13 /10 /octobre /2018 10:30

 

Salvador Dali, Abbaye de Flaran, Gers.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

 

Eloge de vos folies contemporaines.

À l’occasion d’Erasme

et de Jean-François Braunstein :

La Philosophie devenue folle.

 

 

 

Erasme : Eloge de la folie, traduit du latin par Jean-Christophe Saladin,

230 p, Les Belles Lettres, 75 €.

 

Jean-François Braunstein : La Philosophie devenue folle,

Grasset, 400 p, 20,90 €.

 

 

 

 

 

      Prenez votre miroir et regardez-moi : je suis la Folie. Moins folle que vous certes, mais mauvaise langue en diable : garez-votre vanité, car vous allez en prendre plein les badigoinces ! Si en tous siècles et en tous continents je m’appelle la Folie, et en toutes les langues les plus folles qui se puisse imaginer, croiriez-vous qu’avec vos Lumières et vos positivistes progrès, qu’avec vos sciences et vos raisons, vous m’auriez chassée de la surface du présent ? Que nenni ! Par une généreuse corne d’abondance, je répands mes bienfaits sur vos têtes enfiévrées. Je suis toute ouïe et toutes lèvres pour pérorer en toute impudeur parmi vous, en vous et pour vous, pour déculotter et fesser enfin vos folies contemporaines, politiques, religieuses et tutti quanti. Et voici qu’aujourd’hui, outre à ma droite mon cher Erasme, qui me fit porter un généreux bonnet à clochettes, j’ai à mon côté un nouveau maître es folie, un naïf nommé Jean-François Braunstein, qui, de son plumeau, croit pouvoir ramener vos folies philosophiques à la raison.

      Combien frappadingues sont-ils, ceux qui coincés dans leur bastion hexagonal, gouvernent une machine à entretenir les chômeurs, bien huilée de surfiscalité, de normes exponentielles, d’aides sociales, sans l’ombre d’un résultat, alors que leur cécité s’arrête aux frontières, au-delà desquelles des pays moins bruyants, comme celui des horlogers consciencieux, hébergent un plein emploi et une prospérité enviables. Il semblait qu’il fallait observer, étudier et imiter les bons maître pour réussir ; eh bien ces dingos ne savent qu’adorer le dieu Socialisme, Etatisme, Economie régulée, pour ne mal réguler que la pénurie ! Comme mes chers Shadocks, qui ont été des élèves zélés dans mon école de Folie-sur-Bargeot, l’on pompe l’argent de ceux qui travaillent, le versant sur ceux qui ne travaillent pas, pour éviter de produire l’argent qui servirait à être pompée !

      Et vous, tous mes fous en troupeaux consentants, vous allez braire à la mangeoire du bureau de vote pour les élire aux chaires de l’Elyséenne folie, années après années, décennies après décennies, d’autant que naïvement vous croyez, en changeant de bonnet rouge, vert, bruns ou bleus, changer de politique : on dirait que la berlue vous fait les yeux chassieux, les oreilles longues comme le bras, les langues sèches comme le porte-monnaie du contribuable en milieu d’année fiscale. Rien ne vous sert de leçon ? Allez, mes fous, reprenez-en une volée de bois vert, jusqu’à ce que la volée soit de bois brun ou rouge, ou d’un vert de moins en moins exotique, vous jaillisse sur les omoplates !

      De même, outre-Atlantique, celui qui arbore un bonnet orange de fou sur la tête[1], a beau jeu d’amuser le berlaud avec ses saillies twitesques, ce denier l’en croit d’autant plus fou, stupide, infantile, déséquilibré et psychopathe, et, cela sans dire, sexiste et fasciste, sans que l’on tienne compte de ses succès indéniables et stupéfiants sur le front du chômage et de la diplomatie. Mais, sachez-le mes fous, plus il réussira, plus les fous le haïront !

      Ainsi l’on partage le monde entre fascistes et antifascistes. Qu’importe que ces premiers fous aient à peu près disparu, qu’ils n’agitent plus leurs grelots aux sommets des gouvernements, sinon au détour de quelque logorrhée vaguement mussolinienne, qu’ils ne comptent plus que quelques troupailles de néofous, bombés de blousons kakis et rasés comme des œufs de caillera, plus ils sont imaginaires, plus ils sont faciles à combattre par de vaniteux antifascites bombés de blousons noirs, cagoulés et battés comme des ânes sur un terrain de base-ball, plus violents, plus follement fascistes, et plus sûr d’eux que jamais, car de nanarchisme et de gauche, cette vache sacrée de l’idéologie politique, comme l’étaient les tenants du National-Socialisme !

      Ah, j’en ai plein ma hotte de Mère-Noël, de ces folichons qui professent l’anticapitalisme, et mordent le sein qui les nourris, qui rêvent de se l’approprier au bénéfice de leur totalitarisme pour le démanteler au profit du socialpauvrisme. Ils en rempliront, faites confiance à la longue expérience de la Folie, à sa vaste culture historique et hystérique, à sa sagesse politique inénarrable, des goulags et des logaïs, de bourgeois, de banquiers et de Juifs !

      On passera, après la folie des mâles, qui fournissent les bataillons des armées et des prisons, sur la folie des femelles, que l’on nomme viragos, et vont jusqu’à rêver un égalitarisme forcené (y compris jusque dans les prisons ?), au point de préférer à nombre égal, une incompétente à un compétent, le contraire évidemment leur semblant folie, voire rêver la castration des mâles. Quel dommage, moi, Folie allégorique, je ne règnerais que sur un demi-cheptel !

 

Erasme : Eloge de la folie, traduit du latin par Gueudeville, 1757.

Photo : T. Guinhut.

 

      Passons sur la folie de la Déséducation[2] Nationale qui livre ses professeurs en pâture à la folie des racailles, qui lèchent la paresse en toutes langues de bois et de borborygmes, qui expectorent un bouquet d’insultes à leur adresse, qui leur interdisent de parler de ces problématiques affectivement sensibles qui heurtent des sensibilités alternatives. Taisons enfin ces mêmes professeurs et médias officiels qui enfouissent le vocabulaire et le raisonnement d’euphémismes[3] comme l’autruche met la tête dans le sable à l’approche du prédateur…

      Tous les fous savants savent que le racisme, ce n’est pas bien joli, mais à condition qu’il soit blanc, car s’il est noir, il est au mieux un juste retour du bâton, une vengeance de l’Histoire, au pire l’indicible revers d’un pitoyable atavisme, quoique tous vos cloaques fécaux soient de la même couleur ; aussi faut-il être calciné de l’encéphale pour estimer que l’un est plus excusable, plus taisable, que l’autre. Le fou tire en effet gloriole de sa couleur de peau, comme le fou tire gloire de sa métropole et de son trou, de son équipe de foot, quoiqu’il n’ait rien fait pour y contribuer et qu’il ne tire au but que la chasse sur sa folie.

      Il y a les fous de tabac que leurs cancers ne dissuadent pas, de viande, de burgers et de Mc Donald, que leurs artères obèses ne dissuadent pourtant pas.  Mais à l’opposé du spectre, règnent les gourous du véganisme, pour qui le crime suprême est de déguster un suprême de volaille. Ils se proclament antispécistes[4], prétendant qu’il ne faut faire aucune espèce de distinction entre les espèces, que vous soyez lombric ou Jivaro, orang outan ou crevette, vipère ou Mongolien, que c’est aussi criminel de manger du bœuf que de la Folle de Chaillot, du poulpe que du cuissot d’intellectuel ! Aussi vont-ils jusqu’à se priver de sous-produits animaux, de lait, d’œuf et de cuir, battant le pavé en basquets de plastique et en sandales de peau d’ananas. Pourquoi pas, mais outre qu’ils taguent les boucheries, insultent les fromagers, giflent les cordonniers, ils préférent agresser les hommes que leurs frères animaux ! Supposons que leur frère âne, s’il avait un brin de conscience morale, en serait outré. Ne suffirait-il pas de réclamer des conditions de vie et d’abattage (passablement tardif) pour les animaux qui ont l’immense désavantage de ne guère connaître la folie ; que nenni, les voilà reniant leur condition omnivore, se forçant à devenir strictement granivores, frugivores et légumivores, mangeant leurs frères botaniques dont on sait qu’ils ont chimiquement conscience d’être agressés, ce au prix de carences et de compléments alimentaires, en particulier la vitamine B12, qui, comme chacun ne le sait pas, est produite à partir de bactéries, qui sont des organismes vivants microscopiques, parfois pluricellulaires, donc des animaux. On comprend que les végans aient des crampes d’estomac et se rendent fous de mauvaise humeur ! Prescrivons-leurs des compléments de folie pour les ramener à un semblant de raison…

      Rassurons-nous, quelques-uns d’entre eux prévoient de rééduquer, de manière véganement correcte, leur frère lion qui devrait éthiquement manger des graminées innocentes au lieu de ses sœurs gazelles. Cela dit, n’est-il pas fou de prétendre que tous soient frères ou sœurs, quand on sait que ces derniers parfois se détestent cordialement en famille, et combien il est folie de partager des sentiments fraternels avec une autre folie que la sienne ?

      Taisons les galopins qui régentent leurs parents, esclaves des désirs et des émotions puériles, les élèves qui insultent et frappent leurs professeurs, eux-mêmes enseignant l’ignorance, taisons les pompiers incendiés par la populace, les médecins blessés par leurs impatients. Taisons les fols de la robe judicaire qui absolvent les délinquants, les racailles machistes qui embastillent des quartiers entiers pour le bénéfice de leurs trafics, le bonheur de leurs caillassages et l’orgasme de leurs coups de couteaux et de kalachnikovs, brutalisant et assassinant jusqu’à la police, qui, elle, ne laisse pas impunis les excès de vitesse routières, au bénéfice d’un ministère des Finances qui ne pourrait plus les payer sans cela. Fous sans bourse lier, vous dis-je, qui se mettent le doigt de la folie dans l’occiput jusqu’au coccyx !

Erasme : Eloge de la folie, traduit du latin par Gueudeville, 1757.

Photo : T. Guinhut.

      Si je veux m’étrangler de rire en avalant les grelots de mon bonnet, j’amènerais à la barre les sectateurs de leur dieu[5]. Outre ceux qui voient des dieux partout, ainsi saisis d’hallucinium tremens, des Mercure et des Vishnou, sont saisis de démence obsessionnelle les prêtres et fidèles d’un dieu unique, vainqueur de tous les autres et tyran. Pas étonnant qu’ils aient des visions, seulement nourris qu’ils sont par une hostie pas plus épaisse qu’une peau de scarabée ou affligés par un jeûne qui les contraint à la fureur primitive du manque.

      Folle espèce. Ils ont des dignitaires, uniquement masculins, car leurs femelles sont indignes de servir leur dieu, qui jouent à touche-pipi sans se mouiller le doigt avec leurs enfants de cœur, ils éditent des permis de lecture, ils croient obliger les ventres de leurs femelles à laisser croître le produit d’un viol ou d’un accident de la nature. On se doute qu’ils ne tiendront ni le biberon, ni ne prendront soin d’un fou congénital, pourtant mon frère…

      Mais les plus atteints parmi nos fous à lier, mais pas le moins du monde alliés, sont certainement ceux qui partagent le monde en çaram et banal, qui ne lisent qu’un seul livre, suivent le Courant, pour qui les chiens sont çaram, qui haïssent tout ce qui est çaramel, le rouge et le porc, l’innocente brebis qui n’a pas été égorgée le gosier tourné vers une certaine bourgade qui tourne autour d’une pierre noire et avec le secours d’un prêtre infatué de versets et gourmand de se voir verser la dîme, qui recouvrent soigneusement d’un lard fou la chevelure et le faciès de leurs femelles, des fois que leur pensée résiduelle serait là-dessous étouffée, quand leur mâles, s’ils ne se griment en Occidentaux, s’entorchonnent de capelines blanches et s’embarbent comme des boucs. Une dinguerie consanguine s’empare de leur entendement lorsqu’ils prétendent que la terre est plate, en dépit d’Aristote, de Saint Thomas d’Aquin et de cent preuves, tant l'évidente rotondité de la lune voisine, des fuseaux horaires que de l’exploration spatiale. Aussi faut-il les soigner avec une cure d’urine de camélidé ; mais qui serait assez fou pour administrer un tel remède ?

      Or plus dingos du cervelet sont ceux qui, ne sachant pas lire, devraient retourner en petite section et cours élémentaire pour reprendre le B A Ba à la racine et vous ânonnent que la lame de l’épée est une religion d’amour et de paix ! Qu’ils chaussent leurs bésicles jusqu’aux narines et déchiffrent ces chapitres appelés des saroutes, dans lesquelles on enferme et bat les femelles (car l’on a jusqu’à quatre par maison), dans lesquelles un dieu commande à ses affidés de tuer et de crucifier ceux et tous ceux qui ne vénèrent pas leur dieu invisible, dégustent du goret, et prient tournés vers Trifouillis-les-Oies et non vers Le-Mec-des-Sables ! Non content d’être dingos au point d’en attraper une scoliose du raisonnement, nos fous du Vivre-ensemble appellent de leurs vœux pieux ces peuplades étranges que l’on appelle les Mi-grands (de quelle taille est leur degré de Vivre-ensemble ?) pour leur réserver des quartiers entiers de riacha, fruits que les enfoulardeurs et enfoulardées croquent à belles dents, parmi des masquées qui ont remplacé les églises, grand remplacement de la coqueluche par le choléra. Ô fous parmi les fous, qui tendez l’épée de votre suicide aux descendants de quatorze siècles de colonisation et de génocide ! Nonobstant, mes fols, vous battez infiniment votre coulpe pour quelques malheureuses décennies de colonisation, parfois meurtrières, parfois civilisatrices, pour une poignée de petits siècles d’esclavage sans castration, alors que vos adversaires en ont plein les mains, les doigts et doigts de pieds, plein le passé ancestral, le présent et le futur, que vos ancêtres ont été des petits joueurs en la demeure, que vos ancêtres Chrétiens et libéraux ont effacé ce même esclavage ! Allez, repentez-vous, mes fous, pissez les sanglots de l’hominidé blanc, fouissez vos remords, et pendant que l’on lapide vos femelles à l’acide, enfouissez-vous dans la soumission…

Erasme : Eloge de la Folie, illustré par Dubout, Gibert Jeune, 1951.

Photo : T. Guinhut.

      Quant au Groupement Idiotique d’Etudes Climatiques[6], le voilà pris au piège lorsqu’au détour d’une phrase il avoue que la hausse des températures ne fut que d’un degré depuis l’ère préindustrielle. Oh, la belle billevesée, si l’on pense qu’il suffit de l’explosion d’un volcan indonésien pour que l’année sans été de 1816 subît une baisse de deux degrés, entraînant désastre des récoltes et famines ! Il s’alarme de la hausse du taux de gaz carbonique, qui n’est pas un polluant et contribue à verdir la planète et favoriser l’agriculture. Oh, le vert bonnet de fou qui s’agite sur leur écotête ! Et plus fous encore ceux qui les arrosent de leur culte moutonnier, sans compter la manne financière d’origine fiscale qui les entretient comme de gras gorets nourris au vert…

      Ils vouent aux gémonies, traitent bruyamment de nazis anti-climatiques ceux qu’ils couvrent de l’infamie du vocable suivant : « climatosceptiques ! » C’est plus qu’un blâme, qu’une insulte : une excommunication urbi et orbi, ils sont jetés hors du Bien comme des hérétiques, des apostats, jetant ainsi aux poubelles de l’inhumanité la plus raisonnable prémisse scientifiques : il faut alors avec eux ou contre eux assumer des démarches coercitives pour laver le climat plus vert que vert, dans la lessiveuse caniculaire de leur folie…

      Ces fous ont imaginé une solution pour dépolluer la planète : outre, évidemment évacuer le capitalisme, car le bonnet rouge se cache sous le bonnet vert, évacuer leur progéniture, ne plus faire d’enfant. Ainsi l’on ne menacera plus les autres espèces humaines (une pincée d’antispécisme ne nuisant pas), singes, perroquets, moutons, dodos, cloportes, moustiques et virus ; ainsi la planète débarrassée de son sale affreux méchant pollueur pourra joyeusement polluer toute seule comme une grande folle avec ses avalanches, ses feux de forêts, ses volcans soufrés, ses nappes de pétrole naturel ; youpi mes fous patentés ! Rassurez-vous, un autre bonnet vert se charge de multiplier sa descendance à votre place, ô mes mignons foldingues…

 

Photo : T. Guinhut.

 

      Oui, que l'on me rende hommage ! Que l'on use des années de sa vie à traduire mon Eloge, comme ce fol Jean-Christophe Saladin ! Cependant, oser emprunter ma langue, oser ressortir des corbeilles à papier de l'histoire littéraire les commentaires inédits en français de mon père Erasme, de Listrius et de Myconnius, sans oublier les quatre-vingt-deux dessins de Holbein... L'impudent traducteur, l'impudent éditeur ! Bourré de talent, le bougre, et de ténacité, puisqu'il avait longuement dirigé l'édition des Adages de mon géniteur. Irions-nous imaginer que l'on jette soixante-quinze euros par les fenêtres pour me lire tant en latin qu'en français dans un volume toilé rouge du plus fol effet ! Le pire serait que sous un telle robe l'on prenne au sérieux mes bavasseries de 1'an 1511, que l'on lise avec pénétration mes joyeux auto-éloges, mes critiques à peine voilées d'un clergé fou d'orgueil et d'argent. Comment donc oser produire un livre aussi luxueux, alors que je moque le luxe et les Indulgences vendues par l'Eglise ?

      Enfin, trêve de billevesées, je ne rougirais pas qu'ainsi vêtu de pourpre, mon livre ait autant de succès qu'au siècle de l'humanisme, avec pas moins de onze éditions en quatre ans. Imaginez combien je me regorgeais de fierté, combien je me trouvais géniale, combien mon bonnet à grelots en tressaute encore. Aussi, saperlipopette, achetez-moi, lisez-moi, achetez-moi encore et encore ! Sucez le lait de mon antiphrase, plutôt que le vinaigre des philosophes scolastiques férus d'Aristote jusqu'au trognon (pour ne pas dire la rime), plutôt que de me jeter dans le cul-de-basse-fosse de l'Index des livres prohibés par la papauté. Lisez-moi, goûtez ma sapience et mon effronterie. Aussi, ne résistons pas au plaisir de m'auto-citer : « Applaudissez, vivez, buvez ! »

 

      Et voilà que, Folie en personne, je me vois nantie d’un sérieux concurrent : un fou dresseur de fous : obscur professeur de démence aux petites maisons de la Sorbonne. Car notre féal, Jean-François Braunstein pour ne pas le nommer, croit redresser la raison des philosophes, ce en quoi il est plus professeur Nimbus que tous les autres, agitant sa marotte aux pompons rouges sur les têtes dignes des bocaux de la psychiatrie la plus expérimentale de ses collègues et néanmoins ennemis.

      Il s’en donne bien pourtant de la peine, notre Jean-François, éminent fou d’entre les éminents, fouillant sans peur de se salir les paluches dans le cloaque de la philosophie contemporaine ! Tenez, lorsque La philosophie devenue folle s’empare du « genre », de « l’animal » et de « la mort », c’est un festival.

      Pour le psychologue John Money, « le sexe n’existe pas », le corps non plus d’ailleurs, seul le genre existe. Il faut « en finir avec la biologie viriliste », établir un « état civil neutre ». Si vous êtes femme, vous pouvez vous sentir homme et corroborer le « transsexualisme » ; blanc depuis des générations, vous pouvez vous sentir noir et vous penser en termes de « transracialisme » ; si vous êtes bête comme un âne, rien ne vous empêche le « transpécisme », sans compter le LGBTQIsme, cette véritable « soupe à l’alphabet », dans laquelle se dispersent des dizaines d’identités sourcilleuses au point d’en perdre la notion d’humanité. Aussi pourquoi ne pas changer de sexe tous les matins, comme l’on change de bonnet d’ânesse, voire s’amputer un membre qui ne correspond pas à notre image, comme le préconise le fondateur de la théorie du genre ? Ce John Money cloué au bâton de la folie prétend qu’élever un garçon comme une fille (et vice avec verça) permet d’acquérir une identité indépendante de l’anatomie. Il l’a d’ailleurs prouvé en 1996, en conduisant au suicide David, dont le pénis avait été endommagé. Il suffit alors, conseille-t-il, de se débarrasser des testicules ; ce qui n’empêche pas le drôle de se sentir homme. Ajoutez à cela une greffe traumatique de bistouriquette et vous saurez pourquoi John Money cria au complot d’extrême droite lorsqu’il se vit dénoncé !

      Autre singerie, celle d’une « primatologue », Donna Haraway, pour qui humains, chiens et cyborgs ne sont pas des espèces séparées. Qu’elle éprouve la plus grande délectation au cours de ses « baisers mouillés » avec sa chienne « Mlle Cayenne Pepper »  est le moindre de nos soucis. Et puisqu’il est méchant-méchant de se nourrir de chair de bêtes, il serait moins bête d’être gentil-gentil et de partager des gros-câlinous avec nos non-humains préférés : qu’y a-t-il de mal en effet à zoophiler avec une chauve-souris vampire, un chaton siamois, un hippopotame boueux, un boa constrictor… Que d’échanges de fluides et autres enlacements prometteurs ! Et avec une huître, donc, un moustique chikungunyesque ? C’est dengue !

 

 

      Pourquoi, puisqu’il n’y a pas de différences entre l’homme et l’animal, qui doit avoir autant de droits[7] que lui, ne pas avoir avec le second des relations sexuelles « mutuellement satisfaisantes », comme le soutient le théoricien de la libération animale Peter Singer, glorieux créateur du concept d’antispécisme et véganiste forcené ? L’homme étant un singe (son savoir rire nous l’avait déjà prouvé), les trisomiques et autres frappées de maladies génétiques et dégénératives, mériteraient bien moins de vivre qu’un bonobo dans la force de l’âge.

      Pourquoi, si l’on peut interrompre des « vies indignes d’être vécues », ne pas tuer les enfants « défectueux », voire prélever sur les quasi-morts tous les organes en faveur de « vivants plus prometteurs » ? Ainsi le fondateur de la bioéthique, Hugo Tristram Ebglehardt, imagine « des expérimentations médicales sur des malades aux cerveaux lésés plutôt que sur des animaux non humains ». On avancerait l’heure de la mort pour maximiser le prélèvement d’organes, de sang, voire de neurones connectés,  en un « éloge de l’infanticide ». Comment, l’on voudrait voler la palme à un autre éloge que celui de la folie ?

      « Amputomanie, zoophilie, eugénisme » sont parmi les folies de ces universitaires d’Absurdistan, dont le docte essayiste fait son hochet sonore. Et hop la boum, l’on éradique toutes frontières : entre sexes, animaux et hommes, vie et mort ! L’art de la discrimination[8] s’étant perdu en route, l’on mélange les torchons et les serviettes, les rats pesteux et ceux qui éradiquent la peste ! Quand les concepts de limite, de frontière, voire de transgression, sont pensés par des philosophes un peu moins atteints de dementia praecox, comment ne pas se huiler les cuisses de rire devant un tel déni du réel, une confusion pire que celle des langues ?

      Mais, comme il y a chez tout sage un grain, sinon un plomb de folie, l’auteur de La Philosophie devenue folle a forcément une ou deux pattes folles. Si l’on peut admettre (est-on sûr que Jean-François Braunstein l’admette ?) que chacune fasse de son corps ce qu’il entend, comme le ou la drag-queen Conchita Wurst, qui est à la fois « con » et « saucisse », faut-il que la philosophie se fasse non plus libérale, mais prescriptive au point d’imposer des comportements idéologiquement normés, comme elle le reproche aux traditions de répartition obligée des sexes ? En outre, n’est-ce pas folie que notre élève méritant désapprouve les transplantations d’organes ? Que de rejeter l’euthanasie au secours d’une souffrance irréversible ? Que de jeter le bébé avec l’eau du bain en paraissant ôter bien de la validité aux études de genre, qui permettent plus de libertés dans les définitions des sexualités et de leurs marges ?

      Que notre essayiste aussi documenté qu’indigné se rassure : au cours de ma longue carrière, j’ai connu d’autres fous pire délirants que ceux dont il fouette les fesses et se rie, et qui ont passé : les hérétiques Stylites, Turlupins et Cathares, les dictateurs caligulins, staliniens, hitlériens et maoiens, quoique d’autres aient tendance à se longtemps planter au travers du monde comme une arête au travers de la gorge, sans compter ceux à venir et que vous ne voyez pas venir.

      Chers racornis du bulbe, chers siphonnés du bocal, ne suis-je pas votre mère la Folie, votre amie de cœur et de fesse ? Soyez-rassurés, je ne vous abandonnerai pas, veilleuse d’accouchement, qu’il soit gynécologique ou maïeutique, compagne de vos vies, et veilleuse de votre putréfaction dernière, quoique vous soyez déjà putréfiés par l’amollissement cervical, sous les coups répétés des grelots de mon bonnet. Remarquez que dans ma sage folie, je n’ai pas oublié l’immodeste auteur que vous lisez, et qui croit se dissimuler sagement derrière ma signature. Chers fous anticapitalistes, climatiques, chers demeurés du véganisme et de la pulsion totalitaire, chers fous de Justice sociale et de Llah, fous de votre couleur de peau et de la sagesse de votre nombril, oui, je vous l’accorde, oui, il vous est permis de baiser onctueusement mes pieds et mes entre-orteils avec la vénération qui convient à votre maîtresse aimée : la Folie.

À Folipolis, le treize octobre de l’an XVIII du deuxième millénaire.

 

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

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24 juin 2018 7 24 /06 /juin /2018 13:33

 

Museo de Carmona, Sevilla. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Jusqu’où faut-il respecter les animaux ?

Autour de l’utopie animale d’Aymeric Caron

et de sa réfutation par Jean-Pierre Digard :

Antispéciste, L’Animalisme est un antihumanisme.

 

 

 

Aymeric Caron : Antispéciste, Points Seuil, 480 p, 8,20 €.

 

Jean-Pierre Digard : L’Animalisme est un antihumanisme,

CNRS Editions, 128 p, 14 €.

 

 

 

 

      Moro-sphinx de la littérature, butinant le savoir humaniste, Montaigne, au XVI° siècle, s’élevait déjà contre la cruauté infligée aux animaux. De Voltaire à Marguerite Yourcenar, une telle éthique alla s’amplifiant. Aujourd’hui, végétariens et végans vont jusqu’à réclamer la fin de la moindre chair animale. Ainsi, après Gary Francione et son Introduction au droit des animaux[1], Aymeric Caron. Partant de la prémisse selon laquelle la terre vivante est menacée par l’activité humaine, ce dernier se propose de « réconcilier l’humain, l’animal et la nature », dans son intéressant et néanmoins fort discutable manifeste végétarien et végan titré Antispéciste. Aussi demandons-nous jusqu’où faut-il respecter les animaux. Car abolir toute exploitation de nos frères non humains ne va pas sans contreparties antihumanistes, telles que le montre Jean-Pierre Digard parmi les pages de son stimulant ouvrage : L’Animalisme est un anti-humanisme.

      En ses Essais, Montaigne blâmait une trop courante iniquité humaine : « Les naturels sanguinaires à l’endroit des bestes tesmoignent une propension naturelle à la cruauté[2] ». A la suite de cet humanisme étendu aux frères animaux de Saint-François d’Assise, Voltaire en ses Lumières fulmine en défendant les « Bêtes » contre « l’animal machine » de Descartes et Malebranche : « Quelle pitié, quelle pauvreté, d’avoir dit que les bêtes sont des machines privées de connaissances et de sentiments, qui font toujours leurs opérations de la même manière, qui n’apprennent rien, ne perfectionnent rien ! ». Il allègue les nids des oiseaux, l’affection et l’éducation du chien, tout en qualifiant de « barbares[3] » ceux qui le dissèquent tout vivant. Aujourd’hui il pourrait ajouter l’étonnante gorille Koko, éduquée par l’éthologue Penny Partterson, qui alla jusqu’à communiquer avec les humains, via 2000 mots, au moyen du langage des signes.

      « Qui sait si l’âme des bêtes va en bas ? » demandait Marguerite Yourcenar en 1981, faisant allusion à l’Ecclésiaste : « Qui sait si l’âme du fils d’Adam va en haut et si l’âme des bêtes va en bas ?[4] » La romancière use d’un réquisitoire aiguisé contre la cruauté humaine qui fait des animaux des « déchets de l’épouvante et de l’agonie […] aboutissant aux mâchoires de ces dévorateurs de biftecks ». Si la Déclaration des droits de l’homme n’a pas empêché guerres, viols et massacres, la Déclaration des droits de l’animal (proclamée à la sauvette dans le hall de l’Unesco en 1978) n’en est pas moins nécessaire, plaide-t-elle. Cependant elle ne fait pas tout à fait la confusion entre le « Tu ne tueras point » de la loi biblique et le meurtre animal, en ajoutant, consciente de la question de la nourriture, « du moins tu ne les feras souffrir que le moins possible ». Il n’est pas sûr que le rapprochement, « il y aurait moins d’enfants martyrs s’il y avait moins d’animaux torturés[5] » puisse suffire à convaincre…

      L’utopie d’Aymeric Caron, après son totalitaire et brouillon Utopia XXI[6] est d’abord - et cela parait une relative nouveauté dans la littérature utopique - animale, écologique autant qu’humaine, dans son essai titré Antispéciste et sous-titré « Réconcilier l’humain, l’animal, la nature ». Or l’essayiste avait déjà œuvré au service de la libération de la condition animale, dans un volume nourri d’informations historiques, anthropologiques, philosophiques : No steak[7]. Il s’y livrait à un réquisitoire argumenté contre une société mondiale qui sacrifie soixante milliards d’animaux par an à son appétit.

      Si l’homme est un animal politique, quelle politique doit-il observer à l’égard des animaux ? Autrement dit, doit-on les manger, comme le demandait l’écrivain américain Jonathan Safran Foer[8] ? Ce dernier s’appuyait sur quatre arguments principaux : les conditions d’élevage peu reluisantes, l’abattage d’une cruauté souvent impardonnable, la dangereuse pollution du lisier de porc et enfin la sensibilité animale.

L’essai d’Aymeric Caron est « antispécite », c’est-à-dire qu’il « considère qu’il n’y a aucune justification à discriminer un être en raison de l’espèce à laquelle il appartient ». Outre que notre philosophe (ou journaliste) de la « biodémocratie » n’emploie plus le terme discriminer en son sens premier (distinguer en fonctions de critères précis[9]) mais uniquement en terme jugement défavorable indu, il semble oublier que comme chez les hommes il existe des chats doux et d’autres agressifs, qu’il est préférable de discriminer une mygale venimeuse d’une araignée inoffensive, un virus du sida d’une blanche colombe, un ours d’une biche, un requin tueur d’une mésange… Ainsi va-t-il jusqu’à démissionner de la capacité de juger, alors qu’il ne se prive pas de condamner par ailleurs. Antispéciste est bien « Ne fais pas aux truies ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ». Ainsi détourne-t-il avec humour l’impératif catégorique de Kant ; sauf que les truies ne se privent pas de manger d’autres créatures vivantes.

      Ce qui n’empêche pas cependant d’élargir « notre cercle de compassion afin d’accorder aux animaux non humains notre considération morale ». Rien ne nous impose en effet d’infliger la souffrance aux animaux, voire d’attenter à leur « vouloir vivre ». Si Aymeric Caron ne veut pas qu’ils soient mangés, répondons qu’ils peuvent au moins être élevés dans des conditions respectueuses de leur bien-être et sacrifiés de la manière la plus sédative qui soit (ce qui n’est guère le cas dans tous les abattoirs), dans la cadre d’une chaine alimentaire qui n’exclut naturellement ni les hommes ni les animaux, dont nous sommes. Sans oublier que l’on peut modérer sa consommation de viande. Mais, avec notre essayiste, l’on ne peut être que choqué devant les tortures et les massacres inutiles infligés à des lions ou des dauphins. Avec lui, on apprécie l’empathie des animaux non seulement entre congénères, mais aussi à l’égard d’autres espèces, y compris humaine. Avec lui l’on réprouve les « conditions concentrationnaires » de la plupart des zoos et des cirques, de l’élevage, ou plutôt cet esclavage tortionnaire, car saumons, poules, canards, lapins sont industriellement saccagés, voire victimes d’un « génocide », ce qui est pour le moins un abus de langage. Faut-il, comme il le préconise, obliger sur les produits carnés des photos semblables à celles des paquets de cigarettes, montrant les atroces conditions d’élevage et d’abattage ? Et encore ne dit-il rien de l’égorgement halal…

      L’on sait, hélas, que, depuis un demi-siècle, la moitié des vertébrés a disparu de la surface de la terre. Chasse, pêche, braconnage, déforestation, activités agricoles et industrielles, urbanisation… Un désastre écologique sans nul doute. Le réquisitoire est imparable. Sans oublier la vivisection, que ne justifie pas toujours la science médicale, appelée à disparaître face aux méthodes substitutives, telles les cultures de cellules.

      Pourquoi ne serions-nous pas végétariens, s’il est avéré que nous n’avons besoin ni de viande, ni de poisson et autres crustacés pour croître sans déficience, s’il était avéré que le lait de nos bébés puisse être produit sans vaches ? Les végétariens sont-ils victimes d’une moins bonne espérance et qualité de vie que les omnivores, point sur lequel les scientifiques sont partagés ? Faut-il mettre en balance le végétarisme avec le régime cétogène, lui qui préfère les graisses aux sucres et féculents ?  Ces deux dernières questions sont passées sous silence par Aymeric Caron. Pourrions-nous passer de fourrure et de cuir ? Interdire la corrida ? La chasse ? Les courses hippiques ? Où s’arrête la tyrannie contre les animaux, où commence la tyrannie contre les hommes ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      L’on sait que l’agriculture, en particulier bovine, est très subventionnée par l’Etat et l’Europe, pour des revenus aux agriculteurs parfois misérables. Mais ne sont-ils pas comme nous tous, saignés d’impôts et de taxes ? La Nouvelle-Zélande qui a cessé toute subvention agricole et baissé sa fiscalité est redevenue une exportatrice, en particulier de viande ovine. Quand verrons-nous une agriculture libérale et respectueuse de l’environnement et des espèces ? Quand les pesticides, sans qui la productivité se verrait décimée par l’insuffisance, voire la famine, seront-ils remplacés par des Plantes Génétiquement Modifiées de façon à ne sélectionner que les insectes réellement ravageurs. Cette solution hérisse fort notre essayiste, qui s’appuie sur l’expérience des rats de Seralini, alors que notoirement frauduleuse. En conséquence son expertise scientifique est-elle rudement soumise à caution.

      Cependant, à l’irénisme animal d’Aymeric Caron, il faut opposer de nombreux arguments. Vouloir étendre la compassion humaine aux animaux n’est-il pas également anthropocentrique ? Le loup ne compatit pas à l’agneau de La Fontaine, et son retour parmi les montagnes françaises n’est pas pour lui la seule occasion de se nourrir, mais de tuer pour le plaisir, comme le chat avec la souris. Il faudrait alors convaincre les tigres de ne plus goûter la chair humaine, le moustique le sang humain et animal (notre essayiste avoue qu’il tue ceux qui l’agressent), les lions et les rats de devenir végétariens ! Sans compter les souffrances indues infligées à ceux qui sont jugés indignes de la compassion des végans : ces végétaux qui, sans cerveaux sont méprisés, alors qu’ils usent de leurs sens, comme le montre L’Intelligence des plantes[10], ces arbres[11] qui ressentent le stress et communiquent entre eux. Ainsi l’antispécisme et le véganisme étant pétris de contradictions et d’arguments spécieux, mieux vaut alors considérer que la morale humaine n’est qu’une parmi d’autres au sein du monde vivant, sans vouloir cependant choir dans le relativisme. C’est d’ailleurs ce qui ressort également d’une lecture critique de l’ouvrage collectif La Révolution antispéciste[12].

      Prétendument inscrit dans la logique du sexisme et du racisme, le spécisme est alors spécieux… Aussi craindrons-nous sans peine, par les foudres du ténor de l’antispécisme, d’être qualifié d’ « animalosceptiques », ce qui serait excessif, tant nous reconnaissons les animaux comme des êtres sentients[13], autant que de climatosceptiques, ce qui est de notre part plus avéré[14]. Il y a chez Aymeric Caron, dont l’essai parfois intelligent, quoique erratique, navigue entre cosmologie, génétique, zoologie, satire de l’argent, philosophie, éthique et droit, avec une richesse d’informations non négligeable, un risque de propension à l’anathème et à la culpabilisation à l’égard des mangeurs de viande et consommateurs de sous-produits animaux qui parait frôler l’intolérance dangereuse de certains végans militants. Quoiqu’il pense à dénoncer « les militants du droit des animaux qui semblent vouloir décrocher un brevet de pureté en envoyant à l’échafaud ceux qui dévient de la ligne du Parti ». Il sait que « la revendication de la pureté révolutionnaire […] a engendré les pires horreurs » et a conscience que l’intransigeance végane dans sa supériorité a quelque chose de spéciste. D’autant que l’omniprésence des sous-produits animaux, jusque dans les médicaments, rend la pureté inaccessible. Or il n’ignore pas la distinction entre « les welfaristes et les abolitionnistes », comme Gary Francione[15], les premiers pouvant accepter la consommation d’animaux dans le respect de leur dignité, ce qui nous semble ici préférable.

 

Coq de roche. Charles d'Orbigny : Atlas d'Histoire naturelle, Renard et Martinet, 1849.

Photo : T. Guinhut.

 

      Même si l’on eût aimé que la couverture de cette édition ait la modestie d’être un peu moins narcissique et anthropocentrique (ô le bel animal !), l’essai d’Aymeric Caron, tentative de révolution copernicienne des rapports homme-animal et d’« anumanisme », est à méditer, plus nuancé que l’on aurait pu le craindre, malgré des chapitres dont on se demande ce qu’ils viennent faire là, sur le bonheur, sur le sport… À cet égard, notre utopiste est pour l’entraide et contre la compétition, mais admire l’athlétisme où il se s’agit de « se dépasser » ; où est la cohérence ? Si dépasser l’autre est un vice, l’on risque de perdre l’occasion de bien des innovations, et gagner un égalitarisme mortifère.

      L’orthorexie végane bute cependant sur de nombreux soucis, et pas seulement logiques. Quelques voix s’élèvent contre la doxa de l’alimentation toute végétale. On note des faiblesses chroniques, des symptômes dépressifs qu’un retour à un peu de viande et poissons suffit à désamorcer. Malgré les admonestations des alimentaires verts, il semble bien que nous soyons ataviquement omnivores, et que malgré le soin à choisir ses graines et feuillages, ses protéines végétales, dans un narcissisme et exhibitionnisme de la vertu, le véganisme entraîne des carences en zinc, fer (surtout chez les femmes) et en toutes sortes de vitamines B. Il est vrai que pour contrer ces inconvénients graves, du moins si c'est suffisant, il est possible d'utiliser des compléments alimentaires, en particulier la vitamine B 12, venue des bactéries procaryotes. Sans compter qu’il faudrait se priver de sérums, de médicaments contenant de la gélatine de porc.

      Voici une sérieuse réfutation de l’irénisme animaliste : Jean-Pierre Digard et sa mûre réflexion titrée L’Animalisme est un anti-humanisme. La thèse est inscrite au fronton de l’essai, qui relève du « devoir critique ». Après une brève historique de la relation homme animal et de la montée des revendications en faveur du respect de la sensibilité animale, il pointe nombre d’incohérences. L’antispécisme, copié sur l’antiracisme, est bien une fumisterie : si les races humaines n’existent pas, les espèces animales si, car il y a bien entre elles des « barrières génétiques infranchissables ». Il s’agit d’appliquer aux bêtes un anthropomorphisme abusif en parlant de bien-être animal, alors que le bien-être humain reste en partie subjectif et si peu appliqué dans le monde, sans parler des agriculteurs et éleveurs qui connaissent un taux de suicide élevé. Préférons-lui le concept de « bientraitance ». L’on nage en plein irénisme lorsque l’on imagine que les animaux vivent en solidarité, alors que les violences sont monnaie courante ; il suffit d’observer notre chat si mignon, qui s’écharpe avec les mâles concurrents et bat des records de prédation en chassant et tourmentant rongeurs et oiseaux innocents qu’il ne mange pas toujours. L’on va jusqu’à imaginer également que les singes donnent dans la démocratie participative, alors qu’il ne s’agit que de grégarisme !

      Même si des singes accèdent au langage des signes, guépards, libellules et méduses, quoique doués de sensibilité à la souffrance rappelons-le, en sont absolument incapables, et tous ne pensent ni ne créent de cathédrales, de lieder ou de centrales électriques, ni de médicaments, donc n’ont pas de culture. Animaux et hommes, quoique égaux en droit à  la vie, ne sont par ailleurs pas redevable de l’égalité. Dire le contraire, c’est faire preuve de « l’hyper-relativisme dont le sociologue Bruno Latour[16] s’est fait le porte-parole » (ce qui est un peu excessif alors que ce dernier récuse les absolutismes) et qui remet en cause l’humanisme, de même que l’anthropologue Philippe Descola[17]. Philipe Muray se moquait de « cette action positive en faveur de l’égalité des chances pour le monde animal[18] ». Rappelons que seule l’espèce humaine s’interroge sur ses propres valeurs et sur le sort des autres espèces. Si elle détruit, elle protège également et il est à parier que les avancées scientifiques (si les écologistes anti-sapiens ne s’y opposent pas) rendront à la terre de son intégrité face aux actuelles pollutions qui d’ailleurs régressent dans les pays développés.

      Faire d’exceptions, comme les répréhensibles violences sur des ovins vivants aux pattes arrachées dans les abattoirs, des généralités est une technique éprouvée par les animalistes pour manipuler l’opinion. D’autant qu’ils ne s’interrogent pas, ô la pleutre omission, sur l’égorgement halal qui fait fi de l’étourdissement électrique préalable à la mise à mort de nos futures côtelettes. N’oublions pas de surcroit que la domestication protège les animaux d’élevage de leurs prédateurs, hors l’homme bien entendu. Accuser l’élevage d’antiécologisme est d’autant plus stupide qu’il valorise des espaces impropres à tout autre agriculture, et permet de changer des végétaux inconsommables en viande et en lait. Pensons également que réguler des espèces invasives (sangliers, cormorans, loups) et se protéger des mangeurs d’hommes et autres scorpions et mygales n’a rien d’anti-écologique.

      Pour contrer ceux qui prétendent qu’aimer l’animal permet de mieux aimer l’homme, Jean-Pierre Digard rappelle opportunément qu’Hitler était végétarien et que le III° Reich avait une législation très favorable aux animaux. Heureusement ces derniers n’ont pas de culture, ce qui les sauve d’avoir été juifs…

      Ne plus consommer d’animaux, soit. Mais d’où viendra le lait pour bébé à moins d’augmenter la mortalité infantile ? Que fera-t-on des coquelets, taurillons et béliers si l’on veut leur laisser vivre leur jeunesse, car puisqu’ils ne donnent ni lait ni rejetons l’agriculture valorise leur chair. Faut-il les rendre à la nature sans garantie contre les inconvénients, ou subventionner les agriculteurs pour leur faire des mamours pendant des décennies ? Il est dommage que Jean-Pierre Digard, en son essai, ne se pose pas ces questions.

      Sait-on enfin qu’aux Etats-Unis, comme le mentionne Jean-Pierre Digard, l’activisme de groupuscules animalistes très violents leur vaut « d’être classés comme la deuxième menace terroriste derrière l’islamisme » ? Comme quoi une minorité éclairée par le grand bien de la nature y trouve un exutoire pour sa violence totalitaire.

      La meilleure attitude à adopter semble bien être celle du welfarisme (ou protectionnisme), c’est-à-dire une position visant à la protection des animaux et à l’amélioration de leur condition de vie, tout en ne refusant pas sa condition d’omnivore, donc en partie carnassière. Que des individus soient végans, ou véganistes, comme Aymeric Caron, grand bien leur fasse, leur liberté n’est pas à éradiquer. Mais en conservant le droit inaliénable de faire connaître leur cause, les purificateurs de la consommation animale doivent veiller à convaincre et ne pas contraindre, à n’exercer aucune violence contre qui ne partage pas leur cause jusqu’au-boutiste, plus émotionnelle, idéologique, que scientifique et intellectuelle. « Sous l’amour de la nature, la haine des hommes », disait Marcel Gauchet[19]

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[2] Montaigne : « De la cruauté », Les Essais, II, XI, PUF, 1965, p 433.

[3] Voltaire : « Bêtes », Dictionnaire philosophique, T I, Bry Ainé, 1856, p 54-55.

[4] L’Ecclésiaste, III, 21.

[5] Marguerite Yourcenar : Le Temps, ce grand sculpteur, Essais et mémoires, La Pléiade, Gallimard, 1991, p 371-376.

[7] Aymeric Caron : No steak, Fayard, 2013.

[8] Jonathan Safran Foer : Faut-il manger les animaux ? L’Olivier, 2011.

[10] Stefano Mancuso et Alessandra Viola : L’Intelligence des plantes, Albin Michel, 2018.

[12] Yves Bonnardel, Thomas Lepeltier, Pierre Sigler : La Révolution antispéciste, PUF, 2018.

[13] Voir : note 1

[15] Voir: note 9

[16] Bruno Latour : Chroniques d’un amateur de sciences, Presses des Mines, 2006.

[17] Philippe Descola : Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005.

[18] Philippe Muray : Après l’Histoire, Tel Gallimard, 2007, p 474.

[19] Marcel Gauchet : « Sous l’amour de la nature, la haine des hommes », Le Débat, n° 60, p 247-250, 1990.

 

 

Poitiers, Vienne. Photo : T. Guinhut.

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21 janvier 2018 7 21 /01 /janvier /2018 16:15

 

Santa Maria Gloriosa dei Frari, Venezia. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

 

 

De la vulgarité langagière au règne du langage ;

 

avec le secours de Jean Yvane,

 

Richard Millet & Tom Wolfe.

 

 


 

Jean Yvane : Touche pas à ma langue,

Pierre-Guillaume de Roux, 2018, 192 p, 19,90 €.

 

Richard Millet : Français langue morte. Suivi de l’Anti-Millet,

Les Provinciales, 2020, 176 p, 18 €.

 

Tom Wolfe : Le Règne du langage,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Bernard Cohen,

Robert Laffont, 2018, 216 p, 19€.

 

 

 

 

      « Une autre cause d’erreur, & qui tient pareillement à l’ignorance, c’est l’abus des mots & les idées peu nettes qu’on y attache[1] », disait le philosophe des Lumières Helvétius. Ajoutons l’abus des mots sales, des mots sottement empruntés à une autre langue, et de leurs substituts abrégés, travestis et retournés comme la peau d’un vil lapin. Toute cette basse sauce langagière contemporaine, outre la vulgarité native ou apprise des locuteurs, n’a guère d’autre cause que la paresse. Entre grossièretés, anglicismes clinquants, sigles et acronymes décérébrés, s’installe un royaume pourri, celui de la vulgarité, qui n’est pas seulement la grossièreté, mais aussi, selon l’étymologie latine -vulgus-, l’expression de la foule, rétive au raffinement et à la distinction. Même si nous ne voulons pas être un censeur du vocabulaire et ainsi le fermer d’un préservatif, comme le héros de Jean Yvane dans Touche pas à ma langue, il faut fustiger et éduquer notre parler, à moins que Français langue morte soit le glas sonné sans retour par Richard Millet, alors que, selon l’intelligent Tom Wolfe, l’homme doit son évolution au Règne du langage.

      Quel besoin a-t-on de se vautrer la langue dans la grossièreté ? Le stade anal, pointé par Freud, permet à l’homme -surtout masculin, mais sans exclusive-, de s’engraisser de scatologie. Mais à force de dire « merde », « fait chier », votre langue a un « goût de chiottes », à laquelle il faut offrir un papier-toilettes, pour que vous essuyiez l’orifice buccal qui excréta ce mot en forme d’odorant étron. Hélas vous n’avez pas l’humour de Rabelais, qui savait « torcher le cul » de Gargantua « d’une poule, d’un coq, d’un poulet, de la peau d’un veau », et qui leur préférait « un oison bien duveté […] car vous sentez au trou du cul une volupté mirifique […] laquelle facilement est communiquée au boyau culier, et autres intestins, jusqu’à venir à la région du cœur et du cerveau[2] ». Il faut bien être rabelaisien pour avoir un cerveau qui s’élève de la vulgarité.

      De même, il vous échappe de la bouche si souvent le pet d’un « Putain ! », qu’il faut vous répondre : « Moi, c’est Thierry ; enchanté ». Chacun ses vertus, ou grossièrement sexistes, ou galamment polies. Tant d’allusions sexuelles piteuses et pisseuses vous tiennent-elles d’érections mentales ?

      Un Président français conspuant ceux qui « foutent le bordel », un Président des Etats-Unis qualifiant Haïti et la plupart des pays d’Afrique de « shit holes », ou trous à merde, ou encore trous du cul du monde, seraient évidemment comptables d’une vulgarité indigne de leur fonction ; pourtant ils ont ainsi l’oreille d’une frange (une fange ?) de leurs électeurs. Il n’en reste pas moins que, outre que cette saillie trumpienne fut démentie par les participants à la réunion où elle fut censée avoir été prononcée, sur le fond notre Donald a passablement raison : saleté environnementale, corruption, dictature, délinquance, théocratie, tyrannie contre les femmes, situation sanitaire en déshérence, sans vouloir tomber dans la généralisation abusive, sont hélas le lieu commun de nombre de ces pays, dont pourtant nombre de leurs habitants sortent ou tentent d’en sortir, et plus particulièrement par les migrations. S’il dit tout haut ce que beaucoup, y compris d’autres Présidents, pensent tout bas, il s’abaisse néanmoins à parler à la hauteur de son cul, car « sur le plus haut trône du monde on n’est jamais assis que sur son cul », disait Montaigne qui pouvait se permettre une telle licence. Et qui ajoutait : « Et les Rois et les philosophent fientent, et les dames aussi[3] »

      Pour rester dans la déferlante scatologique, la métaphore populaire « ça me troue le cul », pour signifier la stupéfaction (vocable ignoré, dirait-on), engage-t-elle à l’inconscient sodomite ou à l’exhibition viriloïde de qui se joue sans peur et sans reproche de sa vulgarité ? Ainsi les métaphores inénarrablement lourdes, comme « envoyer du lourd », qui est au sans-gêne malodorant ce que le canon est au pistolet à bouchon, car le bouchon de la délicatesse et de la politesse a sauté depuis longtemps, éclaboussant de sa mousse bréneuse le destinateur et le destinataire. Sans oublier le qualificatif  exclamatoire, « grave », dont on ne connait plus le sens originel, et qui tend à remplacer le langage articulé par l’expectoration.

      Autre métaphore, pour marquer son plaisir, l’on dit « une tuerie ». N’est-ce qu’une innocente antiphrase et hyperbole, ou le secret désir de sadique de tuer ? À moins de « se suicider au yaourt périmé », ce qui est plus amusant, donc de salir la « malbouffe », quoiqu’à cet égard la vulgarité langagière veuille bien dire ce qu’elle veut dire, coller enfin à l’infamie d’un gras McDonald… On parlera comme l’on mâche la lie du fromage industriel en éludant les négations, en aplatissant les mots : « chépas », dit-on la bouche pleine de phonèmes écrabouillés.

      De même les pires infamies, venues de l’infra-langage des cités islamisées, font flores : traiter un chacun de « bâtard », c’est revenir au mépris ancien des enfants abandonnés ou illégitimes. « Kiffer », pour aimer, fait aujourd’hui partie du langage courant, alors que l’on oublie qu’il vient de l’arabe « kief », qui signifie la drogue, le cannabis, vendu par de trafiquants délinquants. Entendons encore l’interjection « wesh », également venue de l’arabe « wesh rak », ou comment vas-tu ? quoi ? signal de salut et de provocation, souvent avec une connotation négative. Ce « wesh » est devenu, du moins  prétendument, une langue de la culture urbaine et du rap -ou d’une inculture revendiquée.

      Reste à pointer ces pléthoriques « voilà », « donc » et « voilà donc », dont on ne sait plus s’ils commencent ou achèvent, une phrase, un raisonnement, si tant est qu’il y en ait un. Ce sont des tics de langage, des hocquets, des parasites qui ne signalent que l’incapacité à parler, le manque outrageant de vocabulaire.

      Est-ce à dire que la vulgarité empire et qu’au temps jadis  nous étions plus policés ? Probablement non ; n’idéalisons pas le passé. Or, les médias télévisuels, radios et internet en réseaux donnent un plus grand rayon d’action, une plus grande visibilité à la populace, et visent à l’audimat, au plus grand nombre, donc au vulgaire, également féru de la vulgarité du sport[4]. Sans compter que cette familiarité du causer vulgaire contamine l’écrit, la presse, le roman, l’essai, pour « faire genre », faire peuple, et ouvrir sans gêne son manteau sur une décarrade de « cons » et de « bites », censée faire vrai…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Ce pourrait être un enrichissement linguistique, dû aux nouvelles technologies ou à de nouveaux concepts ; non, le plus souvent l’anglais ne fait qu’effacer un équivalent français, l’appauvrir. Quand le Globish (ce mot-valise pour global anglais) est un pauvre jargon international néanmoins utile qui ne retient que les mots utilitaires et simples de l’idiome de Shakespeare, l’invasion des anglicismes pourrit un franglais de plus en plus agressif et régressif, refusant la modeste peine de la création linguistique ; ce que font par exemple les Québécois avec le mot-valise « clavarder » pour « tchatcher »…

      Déjà, dans Parlez-vous franglais ?[5] Etiemble dénonçait en 1964 cet empiètement de l’anglais sur le français, alors que ces deux langues doivent garder leur génie propre. S’il s’agit d’emprunter, utilisons par exemple le « paquebot », venu du « packed boat », disait-il. Mais s’il s’agit d’adopter un anglicisme par ignorance de sa propre langue, une régression est à l’œuvre.

      « Une preview du print de votre choix parmi votre best of photos », dit une publicité. On devine les vocables français -comme les épreuves d’imprimerie- qu’il faut rétablir en place de ce sabir petitement prétentieux. On veut bien cependant que ce qui vient des nouvelles technologies américaines enrichisse notre vocabulaire ; mais que n’a-t-on l’inventivité nécessaire pour franciser « haschtag », « big data », « hacker », « wifi », qu’il s’agisse de mot cliquable, d’information globale, de pirate informatique, de connectonde. On n’y risque pourtant pas le « burn out », cet épuisement professionnel, cet incendie mental. À moins de « fighter » ou combattre, d’aller au « clash » ou au conflit, avec le vulgaire, conflit dont on se gardera de « spoiler » la fin (ou révéler et déflorer, soit divulgâcher), tel est le « deal » ou le marché, sans « bullshit », que nous ne traduirions qu’avec vulgarité sexiste !

      Certes, pour crime de lèse-peuple, votre modeste satiriste risque le « bashing », ce qui est un éreintement, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas un « jogger », et méprise le « fast food », même pour le « fun ». « Et pis », en not’ « time », les « top model » sont « trop cool » ou trop « people » et  « bling bling » ; de véritables « alien », qu’il vaut mieux « zapper », dans le bon « timing ». D’autant que devant la menace des « Fake news », ces fausses informations, ou pire de celles de leur interdiction au moyen de la loi, il risque de dénoncer que la liberté d’expression[6], c’est « dead »…

      Tréfonds de la paresse, ces sacrosaints apocopes, aphérèses, verlans et acronymes, qui font chébrans. Que ce soit « pub » pour publicité, « télé », « projo », salle « poly », une civilisation épuisée n’a même plus la force de prononcer les mots entiers. Ou mange, en avalant de faiblesse sa propre langue, le début des vocables : on se « phone », on prend le « bus », on va sur le « net ». C’est « chelou », n’est-ce pas ? On va m’prend pour un keuf du langage, hein keum, ferai mieux de faire la teuf… Quel effet bœuf et bauf ça fait d’être appelée « meuf », verlan de femme, cette dernière étant meuglée. Prétendument d’jeun, le verlan est pourtant avéré depuis le XVI° siècle.

      Prenez-garde à rester chébrans, s’il s’agit d’un projet de loi sur la PMA ou la GPA. Nos législateurs et journalistes ont-ils un abcès purulent sur la langue, qu’il leur faille user du sigle technocratique pour la Procréation Médicale Assistée (ou procréméda) et de la Gestation Pour Autrui (ou ventreloué). L’Education Nationale (pardon l’EN), est friande des babioles sigliques et acronymiques : Les filières S, L et ES côtoient les STMG et les ST2S, les assistants d’éducation ont la joie d’être des assédus, les assistants de vie scolaires sont honorés d’être des AVS, les apprenants vont en SVT, en Littsoc (nous vous laissons sécher devant ce lit de sottises), en EPS, tellement qu’avec l’Education Physique et Sportive on se la pète adonf ! Le pire du pire de cette déshumanisation, de cette déculturation étant le CDI (Centre de documentation et d’information) qui avait le tort de s’appeler bibliothèque, où sous prétexte d’être technique et d’accueillir ordinateur et internet (sûrement pour faire du copier-coller), l’on jette les livres au pilon. Et s’il en reste quelques-uns, les lecteurs de « books » se font une PAL, une pile à lire ! C’est au point que des expressions élégantes, comme maisons de retraites (certes un euphémisme), subissent un ravalement de façade avec un affreux acronyme : EHPAD (pour Etablissement d’Hébergement de Personnes Handicapées et Dépendantes). Ainsi nous voici tous des personnes dépendantes des sigles, des accros à l’acronyme.

      Passons en baillant sur les expressions pompeuses et alambiquées, incorrectes en fait, lorsque l’on prétend « solutionner une problématique », alors qu’il s’agit le plus souvent de résoudre un problème ; d’ « accidentogène » pour dangereux, d’ « instrumentaliser » pour manipuler, de « finaliser » pour finir le plus simplement du monde, et tutti quanti…

Sans compter que la moitié de la négation disparait (« c’est pas grave »), que la variété du vocabulaire s’évanouit, participant d’un moins disant qui devient un moins pensant : moins de mots, moins de nuances, moins de temps verbaux, voilà qui nous jette dans le simplisme d’un présent pauvre, obérant la liberté de penser et de créer le monde.

      Que reste-t-il de l’art de parler et d’écrire (ne parlons pas de rhétorique cicéronienne) lorsque la fatigue de l’organe du langage signe la disparition du subjonctif, la quasi disparition du passé simple, des connecteurs logiques et de la complexité nuancée de l’argumentationFaut-il corréler le phénomène à la baisse du QI, ou quotient intellectuel, de nos populations ? Reste à prononcer un RIP, un Requiescat in pace pour la langue, surtout si elle s’encombre de latinismes ringards ! En la demeure, soyons un poil indulgents pour ces prolos de la langue de veau et de bois : errare humanum est, sed perseverare diabolicum est. Puisqu’il faut traduire : l’erreur est humaine, mais persévérer est diabolique.

      Il y a bien une vulgarité infligée à la face de la langue, lorsque l’on attente à son raffinement, à son histoire, pour la plier aux bassesses de la rue, aux idéologies du jour, aux diktats de sectes prétentieuses et péremptoires. C’est ce que dépeint avec verve Jean Yvane en son apologue : Touche pas à ma langue.  « Il s’agit avant tout de lutter contre le rachitisme de la langue », s’insurge son personnage, qui entreprend de répondre, comme Rousseau en son temps, à une question posée par l’Académie sur « les atteintes portées aux langues nationales, et, plus particulièrement, au français ». L’universitaire Michel Barbet risque pourtant sa carrière et la contrariété de son épouse cantatrice en épousant la « croisade » de la défense de la langue contre les barbarismes, les aplatissements, les détournements, le « métissage », les castrations que lui font subir le vulgaire et les prétendants au pouvoir sur les ruines de la littérature. En outre, son fils Tom est un adolescent qui, après avoir été moqué, frappé, pour « ses perfections langagières », colle à toutes les vulgarités et paresses de la langue, « e » muet à tout bout de champ, américanisation du vocabulaire et autres « S’lut M’man », « Ben, quoi »,  « heu », « ciné », « Laisse béton », « F’chier », « Ça m’fout les bou’l »…

      « On ne parle plus le français, on le chie, on le rote, on l’émascule », déclare un condisciple. « Pécher contre la langue, c’est déjà pécher contre l’esprit », lui répond Barbet. Ses collègues traquent également l’évolution de la langue, dont Driss, dit « le Maure », qui « lance une fatwa contre les pollueurs du langage avant d’entraîner vers la porte Mlle Lamiaux promise au tchador ». Un autre parle du « complot de la médiocrité », accuse le yéyé et le rap. L’on se demande, devant l’invasion des sons étrangers, si « l’environnement phonétique détermine nos modes de pensée, tout autant que la syntaxe et le vocabulaire ». « Sus au newspeake ! », s’exclame Barbet, de plus en plus délirant, « tyrannique […] bretteur engrammairisé ». « Vive les mélanges, au bout du compte, et même la saleté », lui objecte-t-on, en lui offrant des biscuits appelé « Délices de Babel ». Voici, posé de manière amusante, aigûment piquante, le problème de la pureté de la langue, du « phonétiquement correct », de ses frontières ouvertes ou trop poreuses. Sombrons-nous dans un « purisme excessif » ?

      Ses pairs, ses étudiants, tous abandonnent Michel Barbet, sauf s’il se réconcilie avec son fils et son épouse. Que restera-t-il de cet « obsédé du phonème », et de son intransigeance ravageuse et nationaliste, signant la mort annoncée du (trop ?) beau parler. Ne gît plus sur le sol de nos bibliothèques publiques désertées qu’un exemplaire de cet apologue savoureux à l’écriture enlevée, à l’humour rayonnant, ravageur, qui se joue des subjonctifs et des pirouettes, joliment satirique et pathétique : ce Touche pas à ma langue au titre grammaticalement incorrect, on ne sait pourquoi provisoirement exempt de pilonnage et de poubellage…

      Le romancier Jean Yvane fut dix ans expert pour le programme Babel qui favorisait le multilinguisme. On devine que la richesse des vocables lui tient à cœur, soutenu en son combat donquichottesque par son préfacier, le linguiste Claude Hagège, qui voit ce petit roman une « sotie » burlesque.

      L’on pourrait ajouter à l’apologue de Jean Yvane cette réécriture de la série policière adolescente du Club des cinq, à la fois politiquement correcte et expurgée du passé simple et du vocabulaire complexe, ces réformes de l’orthographe, cette grammaire inclusive[7] : voilà bien sous l’apparent courage des réformateurs et des censeurs, une démission devant l’intelligence. Car les difficultés orthographiques n’empêchent en rien, voire au contraire, l’acquisition d’une langue (sinon où en seraient les Japonais ?), car les caprices du genre grammatical ne sont guère les reflets d’une domination masculine indue.

      En ce sens, la vulgarité de langue est aussi celle de l’inculture, de la facilité d’embrasser la profession de censeur devant la difficulté de faire œuvre : l’un, démetteur en scène, change la fin de l’opéra de Bizet, Carmen, pour ne pas faire injure aux femmes, prétend-il, en faisant assassiner Don José par Carmen ; l’autre veut attenter à l’Histoire en débaptisant les rues et les places lorsque Colbert fut le promulgateur du Code noir, qui réglementait l’esclavage, alors qu’il ne pense pas aux avenues Lénine de nos banlieues rouges…    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Vulgaire, paresseuse, bête crasse et franglaise, le langage des élites de l’infamie signerait-il l’enterrement du Français langue morte, tel que le déplore avec verdeur et alacrité Richard Millet ? En son pamphlet, l’essayiste, un tant soit peu désespéré, veille encore à défendre la langue : « seule responsabilité politique que je me sente », dit-il. Le livre est fait d’aphorismes, jetés dirait-on à la va-comme-je-te-pousse, mais non sans art, de la plus brève trouvaille, « Langue lyophilisée », ou facilité, « On s’abandonne aujourd’hui à l’anglais comme au tout-à-l’égout », jusqu’au paragraphe touffu et argumenté. Les exemples ici fournis de la crasse post-linguistique et idéologique sont édifiants : « malbouffe », le « coaching », « un apprenant », « avoir un date », « éco-responsable », le « vivre-ensemble », habiter « sur Paris ». Voilà en quoi « on est parlé par la doxa bien plus qu’on s’exprime en français ».

      De telles propositions, qui font le plus souvent mouche, sont placées sous un « liminaire » en forme de prière d’insérer, attribuant le délitement de la langue aux « coups de la pression migratoire, de la dé-catholisation, [au] remplacement du génie français par le multiculturalisme d’Etat et [aux] mots d’ordre de l’anglais international ». De plus, s’éloigner des origines gréco-latines, se couper du classicisme, « être devenue incertaine quant à la syntaxe et à la sémantique », font indubitablement partie du diagnostic. L’exercice pamphlétaire peut sembler excessif, il n’en est pas moins perspicace, même si le coq français doit déposer son orgueil : « Nous vivons dans les ruines d’une grande langue dont les locuteurs ont élu la barbarie réinversée pour modèle de civilisation ». La propension pour une civilisation des loisirs débouche sur « la haine de la langue, du travail, de la profondeur, de la mémoire ». Ainsi la publicité véhicule un parler appauvri, l’oralisation évacue les liaisons, le tutoiement généralisé et les mots orduriers précipitent la langue dans la fange. Au point que l’industrie du livre ne propose plus guère que des « flatulences post-littéraires ». Richard Millet appartient ici sans nul doute à la succession d’un pamphlétaire grandiose et fort discutable : Léon Bloy.

      Le polémique et virulent propos de l’auteur du Sentiment de la langue[8] dépasse un premier regard sur la langue pour y agréger ce qui participe de son effondrement : un antiracisme qui devient un racisme anti-blanc et anti-français, une expansion de l’influence musulmane qui dévalorise et pollue la syntaxe et le vocabulaire français…

      Non que cela soit dépourvu d’intérêt, nous laisserons de côté le second volet de ce volume, soit L’Anti-Millet, plaidoirie de l’écrivain qui fut ostracisé pour avoir publié un Eloge littéraire d’Anders Breivik[9] (au titre probablement malheureux que l’on n’a pas voulu dépasser en lisant l’essai pourtant peu amène envers le terroriste) car il est hors de propos quant à notre étude. Nous passerons également sur l’engagement chrétien respectable de l’auteur, qui marque justement le lien entre le verbe divin et la langue, mais qui n’empêche en rien à un athée de déplorer l’affaissement du vocabulaire contemporain. Reste que ce Français langue morte, au titre aussi percutant que pertinent, mérite bien plus qu’un intérêt apitoyé.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

      Nos mots, nos phrases, notre syntaxe seraient donc si précieux ? C’est la thèse de Tom Wolfe dans Le Règne du langage, un essai aussi sérieux que facétieux, dont la lecture est inévitablement captivante. Stupéfait de constater qu’un aréopage de linguistes, dont le pape de l’anticapitalisme Noam Chomsky, déclarât forfait devant la question de l’origine du langage, Tom Wolfe se gausse à plaisir de leurs prétentions écroulées. Non, il n’existe pas la moindre « racine génétique de la parole », pas d’ « organe du langage » sis dans le cerveau humain. La preuve, il existe une peuplade amazonienne, les « Pirahas », documentée par l’anthropologue Daniel Everett, qui est à peu de choses près sans langue, à un niveau préhistorique. Ils n’emploient que le présent, gazouillent, n’ont que trois voyelles et huit consonnes, n’ont pas de chiffres, leur langage « ignore la récursivité », chère à Chomsky. Or, ils sont restés sans religion ni cérémonie, sans mariage ni ornements, sans chef ni musique, ni esthétique ; pire, dans l’incapacité de spéculer, de planifier et d’imaginer des mythes, de construire une Histoire. C’est alors que Tom Wolfe brocarde Chomsky et son idéal d’anarchie, l’envoyant aller se faire voir chez les « Pirahas » !

      Passer de la communication animale, cette « sémantique simiesque » au langage articulé et conceptuel, marque une « distinction essentielle entre l’homme et la bête », affirme Tom Wolfe. Si l’on peut lui accorder que quelques singes ne sont pas loin de la franchir, le prédicat de Darwin, selon lequel les êtres humains sont eux-mêmes des animaux[10], vole en éclat. Fort informé, Tom Wolfe navigue de Cuvier et Linné aux travaux du généticien Mendel et du linguiste Swadesh, en passant par ceux de Darwin et d’Alfred Russel Wallace, dont The Limit of Natural Selection as Applied to Man[11]. Le discours humain n’aurait donc pas de « généalogie animale ». Pourtant, selon le « glottogénésiste »  Morris Swadesh, il permet de manipuler le monde autant extérieur que mental et offre un avantage considérable sur les autres espèces.

      C’est moins la théorie de l’évolution selon Darwin, qui, selon Tom Wolfe, satiriste de haut vol et penseur de bon sens, a fait de nous ce que nous sommes, que l’acquisition du langage, cet « outil culturel » à la sophistication croissante, au moyen d’ailleurs de la « mnémotechnie ». Grâce à ce dernier les civilisations se sont constituées, les sciences, les arts et les lettres ont permis nos progrès et nos bonheurs, même s’il a également contribué aux guerres et aux tyrannies, qu’elles soient politiques ou religieuses, entre Aristote, Galilée, Pasteur, Jésus, Marx ou Mahomet. Ne l’abimons pas, de peur de perdre notre humanité, laisse-t-il entendre. Entre érudition dansante et humour piquant, Tom Wolfe réalise un essai aussi plaisant que nécessaire. Il fallait bien le romancier à succès du Bûcher des vanités[12] et du Gauchisme de Park Avenue[13] pour faire l’éloge du langage, cette « toute première invention » fondatrice, et défendre « l’Homo loquax » contre tous ceux qui l’avilissent.

      Si la limite de notre vocabulaire est celle de notre monde, « ce serait néanmoins une témérité de juger de tous les hommes par le langage[14] », disait Vauvenargues, quoique pour reprendre Marshall McLuhan, le medium soit le message[15]. L’hypocrite et le Tartuffe savent en effet se parer des plus belles plumes de la langue. Il n’en reste pas moins qu’un sale langage ne manque guère de salir celui qui s’en enduit. Aussi ramassons -mais avec des pincettes- quelques-unes de ces réflexions sur le règne de la vulgarité langagière, en se penchant, le nez soigneusement bouché, sur les « chiottes ». Les uns y vont pour chier, excréter, faire ses besoins, se soulager. D’autres préfèrent les WC, sec acronyme pour l’anglais water closet (traduisons : les eaux fermées). Nous préférons les toilettes, lieux plus propres, où asseoir l’acte que l’on y commet, aussi bien que le règne du langage. Et pour reprendre la collusion entre un anglicisme et un acronyme, pensons à DAESH, qui, pour éviter de dire Califat islamique, ce qui est plus réaliste et plus religieusement et théocratiquement effrayant, est de surcroît un de ces euphémismes[16] qui gâtent la langue au point d’en faire un terrible et vulgaire assujettissement de la pensée politique. Rêvons cependant que toute cette vulgarité langagière puisse aboutir à une exception esthétique, comme le tribal, sale et rageur graffiti coloré aux murs du Street art…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Helvétius : De l’Esprit, I, IV, Londres, 1781, p 37.

[2] François Rabelais : Gargantua, Œuvres, Bry Ainé, 1858, p 28.

[3] Montaigne : Essais, III, XIII, PUF, 1965, p 1115, 1085.

[5] Etiemble : Parlez-vous franglais ? Gallimard, 1964.

[7] Voir : Eloge et blâme de la langue de porc : petite philosophie porcine et inclusive

[8] Richard Millet : Le Sentiment de la langue, La Table ronde, 1993.

[9] Richard Millet : Eloge littéraire d’Anders Breivik, Pierre-Guillaume de Roux, 2012.

[10] Charles Darwin : La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe, Champion Classiques, 2013.

[11] Alfred Russel Wallace : « The Limit of Natural Selection as Applied to Man », in Contributions to the Theorie of Natural Selection, Macmillan and co, New York, 1871.

[12] Tom Wolfe : Le Bûcher des vanités, Robert Laffont, 2007.

[13] Tom Wolfe : Le Gauchisme de Park Avenue, Gallimard, 1972.

[14] Vauvenargues : Introduction à la connaissance de l’esprit humain, Persan et cie, 1822, p  36.

[15] Marshall McLuhan : Pour comprendre les médias, Points Seuil, 2015.

[16] Voir : Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

 

Rue de l'Ancien champ de foire, Niort, Deux-Sèvres.

Photo : T. Guinhut.

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3 juillet 2017 1 03 /07 /juillet /2017 15:49

 

Duomo, Milano, Lombardia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

L’humanisme philosophique

 

de Pic de la Mirandole en ses

 

900 conclusions.

 

 

 

Jean Pic de la Mirandole : Les 900 conclusions,

traduit du latin par Delphine Veillard, présenté par Louis Valcke,

Les Belles Lettres, 2017, 382 p, 35 €.

 

Verena von der Heyden-Rynsch : Pico della Mirandola. Le phénix de son siècle,

Gallimard, 2022, 160 p,  15 €.

 

 

 

      L’arbre de Jessé dressait la généalogie du Christ. On peut imaginer que celui de Pic de la Mirandole dessine celle de la théologie et des philosophies, mais aussi de la magie et de la Kabbale. C’est à la charnière de la scolastique médiévale et de l’humanisme de la Renaissance qu’apparait Jean Pic de la Mirandole. Il peut alors sembler étonnant qu’il fallût attendre tant de siècles pour que la langue française présente en édition enfin complète (quoiqu’il y eût un beau précédent chez Allia[1]), bilingue et commentée, son œuvre essentielle : Les 900 conclusions. Un tournant de la théologie et de la philosophie est ici patent.

      Giovanni Pico, comte della Mirandola e Concordia, né à Ferrare en 1463, grâce à l’éducation maternelle fut un enfant prodige : nommé protonotaire apostolique à dix ans, à quatorze il résuma les Décrétales (lettres papales). Il étudia tour à tour à Bologne, à Padoue, à Paris, où rugissait la controverse entre les partisans des Modernes, pour qui la foi et la divinité étaient au-dessus de la raison, et des Anciens, pour qui cette dernière permettait de séparer théologie et philosophie. Esprit vorace, il apprit le grec, l’arabe, l’hébreu, le chaldéen, pour lire dans le texte le Coran et La Kabbale, et, cela va sans dire, le latin. Il connaissait Thomas d’Aquin, Platon et Aristote, Averroès commentateur de ce dernier, sur le bout des doigts. De toute cette somme de connaissances venues des traditions et des philosophies de l’univers connu, il lui fallut offrir la quintessence : ce furent Les 900 conclusions.

      Imprimées à Rome en 1486, ce sont neuf cent thèses, chacune fort brève, venues de sources nombreuses : depuis la philosophie grecque et latine, en passant par le christianisme originel, jusqu’aux kabbalistes, voire Hermès Trismégiste, mais aussi du cru de Pic de la Mirandole lui-même, dans le but affiché de démontrer la vérité chrétienne. Destinées à être discutées l’an suivant à Rome, par tout ce que l’on comptait de savants et théologiens, elles devaient permettre d’établir une paix philosophique universelle…

      Hélas, au moins treize de ses thèses parurent hérétiques. Il lui fallut fuir Rome, car son livre était condamné au feu par une bulle du Pape Innocent VIII à Paris, où cependant il fut emprisonné. Libéré par Charles VII, il rejoignit Marcile Ficin et Laurent le Magnifique à Florence, pour retourner à ses chères études platoniciennes, kabbalistiques et bibliques, qui lui permirent de publier son Heptaplus, dans lequel il prétendait interpréter avec la plus grande sagacité le récit de la Genèse. Il acheva sa vie trop brève dans un couvent de Dominicains où il mourut en 1494, lui léguant sa fabuleuse bibliothèque, qui le suivait, partout où il allait, dans un coche. Une analyse des restes de nitre Pic confirma qu’il avait été empoisonné par son secrétaire, peut-être sur ordre de Pierre de Médicis, qui ne tolérait pas qu’il se reprochât, mais avec tempérance, de Savonarole, ce fameux dictateur théocratique qui, après avoir institué son « bûcher des vanités » finit lui-même sur le bûcher.

      Pic de la Mirandole est bien un pilier de l’humanisme, attaché à ce que l’orbe entière du savoir soit toujours vivifiant. Quoiqu’il soit traditionnaliste, dans le sillage de Thomas d’Aquin, et résolu à faire de l’homme le microcosme du divin dans la réalité terrestre, dans le cadre de laquelle « la liberté toute entière est dans la raison essentiellement (44) ». Tout en parcourant le cercle de la raison et de la déraison humaines, depuis l’argumentation logique jusqu’à la magie, il rassemble son monde dans la direction de la transcendance et du message du Christ. 400 conclusions s’inspirent directement de ceux qui écrivent en latin, Thomas d’Aquin, Duns Scot, des Arabes, d’Averroès[2] à Avicenne et al-Fârâbî, selon qui « Le souverain bien de l’homme est la perfection que l’on atteint par les sciences spéculatives (171) ». Puis des Grecs, des Platoniciens, dont son cher Plotin ; et enfin des Chaldéens, d’Hermès Trismégiste et de la Kabbale. Suivent 500 conclusions « selon ma propre opinion », conciliant Aristote et Platon (dont le concept d’immortalité de l’âme paraît préchrétien), et où il est question de mathématiques, de Zoroastre et des hymnes d’Orphée. C’est le plus souvent limpide, parfois passablement fumeux, il faut faire l’effort d’ « intelliger » (car ce mot revient sans cesse), mais on aimera lire, en un beau syncrétisme : « Les noms des dieux que chante Orphée ne sont pas ceux des démons trompeurs d’où provient le mal et non le bien, mais ceux des vertus naturelles et divines, distribuées au monde par le vrai Dieu pour la plus grande utilité de l’homme, s’il sait les utiliser (800) ».

      Il n’est pas indifférent de considérer quelques-unes de ces conclusions jugées hérétiques. Par exemple : « Le Christ n’est pas descendu véritablement aux Enfers (578) ». « Il n’est aucune science qui nous assure plus fermement de la divinité du Christ que la magie et la cabale (780) ». « Il est plus impropre de dire de Dieu qu’il est intellect ou intelligent que de l’âme rationnelle qu’elle est un ange (548) ». On mesure combien l’autorité ecclésiastique est susceptible, lorsque le dogme est égratigné, lorsque leur Dieu risque d’être amoindri ! Malgré l’écriture d’une Apologie brillante, destinée à défendre ces thèses rejetées, Pic de la Mirandole ne réussit pas à infléchir ses censeurs, irrita grandement le Pape, entraînant le bûcher pour ses 900 conclusions, et un oubli trop sévère pendant quelques siècles, quand une trop mince poignée d’exemplaires furent conservés. Jusqu’à ce qu’en 1860 l’historien d’art Jacob Burckhardt le redécouvre, dans La Civilisation de la Renaissance en Italie[3], quoique d’une manière très partielle, voire erronée…

      Ecrites dans un style sec, hérité du raisonnement scolastique, ces « conclusions », ou « thèses », ne font guère la part à la rhétorique et au raffinement de la langue, mais, à toutes fins utiles, à la rigueur. Il est peut-être regrettable que l’éditeur, malgré l’indéniable richesse de ce volume, n’ait pas consenti à y joindre ce qui devait être un préambule : le Discours de la dignité de l’homme[4], écrit lui avec une virtuose élégance. Il y résume ses thèses, son union de Platon et d’Aristote, de la magie comme philosophie naturelle et de la Kabbale juive. Et, surtout, il plaide que, venu de Dieu, l’homme est libre de devenir ange ou démon, et, qu’à son service la philosophie prépare le règne de la foi et de la paix.

      Rassurons-nous, le mysticisme de Pic de la Mirandole se fera plus raisonnable à l’occasion de l’un de ses derniers ouvrages, Disputationes adversus astrologiam divinatricem, dans lequel il se montre plus que critique envers les billevesées de l’astrologie et de l’ésotérisme !

 

      L'on ne sait ce qu’il faut le plus admirer en cette occasion, la qualité du travail de l’éditeur, de la traductrice aux notes profuses, ou de la préface de Louis Valcke, généreuse, aussi claire qu’érudite. Rappelons-que ce dernier commit, outre son Pic de la Mirandole : un itinéraire philosophique[5], un étonnant essai : Du Cosmos à la conscience[6], dans lequel il pense que les philosophes présocratiques, en particulier Héraclite, ont la prescience du big bang divin, ce en cohérence avec la pensée de Pic de la Mirandole, pour qui les philosophes de l’Antiquité préparent la venue du Christ…

      Acmé du Moyen-Âge et phare de la Renaissance humaniste, ainsi faut-il compter Pic de la Mirandole, dont la monumentale Disputation contre l’astrologie, déjà citée, met en avant une science capable de rendre compte des lois et des mouvements des objets célestes. Moins scientifiques sont les 900 conclusions : aussi peut-on se demander à quoi peut servir un tel livre aujourd’hui, si inactuel, surtout si Dieu est une belle fiction, balisée dans l’espace et dans le temps des hommes. Outre la dimension de jalon de l’histoire de la théologie et de la philosophie, il faut s’étonner de la capacité de l’esprit humain à réunir la somme des spiritualités et des logiques argumentatives venues de plusieurs traditions intellectuelles, en vue du savoir absolu. C’est en cela, outre sa beauté, sa richesse, sa culture aussi encyclopédique que cosmopolite, et sa maîtrise de pas moins de 22 langues, que Jean Pic de la Mirandole nous restera précieux. Si « la beauté est en Dieu par la cause (625) », on ne mettra pas en doute la beauté intellectuelle de notre Pic, dont Verena von der Heyden-Rinsch propose une biographie roborative, à la fois historique et intellectuelle.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Pic de la Mirandole : 900 conclusions philosophiques, cabalistiques et théologiques, Allia, 1999.

[3] Jacob Burckhardt : La Civilisation de la Renaissance en Italie, Le Livre de Poche, 1986.

[4] Pic de la Mirandole : Discours de la dignité de l’homme, L’Eclat, 1993.

[5] Louis Valcke : Pic de la Mirandole : un itinéraire philosophique, Les Belles Lettres, 2005.

[6] Louis Valcke : Du Cosmos à la conscience, Cerf, 2012.

 

 

Duomo, Milano, Lombardia.

Photo : T. Guinhut.

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11 mai 2017 4 11 /05 /mai /2017 17:15

 

Saint-Clément-des-Baleines, Île de Ré, Charente-Maritime.
Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Sens et culture des valeurs,

 

entre sociologie et relativisme :

 

de Nathalie Heinich à Raymond Boudon.

 

Nathalie Heinich : Des valeurs. Une approche sociologique,

Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 416 p, 25 €.

 

Raymond Boudon : Le Juste et le vrai. Etude sur l’objectivité des valeurs et de la connaissance,

Hachette Pluriel, 2009, 576 p, 12 €.

 

 

 

 

      Dans quel bateau embarquer? Vers quelles valeurs nous diriger ? Reste à se former une opinion, une conviction, élogieuse ou dépréciative, appuyée sur le juste et le vrai, sur la beauté, la créativité et l'universalité... Or, si la lumière est une valeur, y compris au sens des Lumières, nous ne la connaissons qu’opposée à l’ombre, à l’obscurantisme. Le beau, opposé au laid et au kitsch, la paix à la guerre, la solidarité à l’égoïsme, la sécurité à la délinquance, la tolérance au fanatisme… Voilà qui pourrait être clair. Pourtant nos politiques nous bassinent en assénant leurs « valeurs » ! Sans qu’ils les nomment la plupart du temps, sans bien sûr qu’ils les définissent, sans qu’ils en détaillent les sources, les mécanismes et les enjeux. À cet égard, il faut à Nathalie Heinich se livrer à ce travail patient, méticuleux, qui consiste en une approche sociologique Des valeurs. Quoiqu’il faille arrimer à son entreprise celle de Raymond Boudon qui, avec une rare perspicacité, se fait le critique de ce trop prégnant relativisme qui affecte dangereusement nos valeurs.

      Selon l’essayiste informée Nathalie Heinich, notre société connait une « inflation d’opinions », d’une part à cause de la généralisation d’Internet et de ses réseaux sociaux, et d’autre part à cause de l’affaiblissement des institutions. Ce qui entraîne « une fragilisation des références partagées, des critères, des modalités de jugement ». Aussi une sociologie axiologique, afférente aux valeurs, est-elle d’autant plus nécessaire. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de confondre valeur et prix. Ni de penser qu’elles ne sont que « droitières », sacrées ou masques idéologiques des dominants. Au-delà d’une fictionnelle réflexion métaphysique, ou d’une réductrice vision marxiste, la sociologie s’intéresse aux acteurs et aux usages des valeurs qui sont « des représentations collectives et agissantes ». Le sociologue réclame alors la neutralité axiologique et analytique pour se livrer à son travail, qu’il s’agisse de s’intéresser au discours du philosophe affuté comme du vulgus pecus : il se présente « dans l’arène des valeurs non en tant que prophète ou professeur de morale, mais en tant que chercheur en sciences sociales ». C’est bien le projet de Nathalie Heinich, qui se penche sur notre rapport aux valeurs : pourquoi et comment accordons-nous de la valeur ? Une « grammaire axiologique » se met en place.

      La « mesure » et l’ « attachement » signent le jugement de valeur : on note, on étoile, on médaille, un film, un vin, un disque. On éprouve des émotions qui relèvent de la psychophysiologie, mais plus pour un bien que pour une valeur. La « valuation » (selon James Dewey) passe par des opinions et des expertises pour émettre un jugement, d’où la valorisation. On opine par socialisation, distinction culturelle et dans une perspective identitaire. On opinait moins si l’on était une fille, on doit opiner si l’on est critique professionnel, ce en quoi l’autorité conforte les valeurs comme les valeurs confortent l’autorité. Faut-il alors se demander si l’opinion est à la hauteur de la conviction, plus rationnelle, plus fondée sur des arguments ? Il semble à cet égard que l’on confond trop souvent persuasion et conviction…

      Cependant, au feu nourri des opinions, « la tolérance est une valeur en hausse », selon Jean-Claude Kaufmann. « Il n’est donc plus permis de donner son opinion pour tenter de l’imposer comme règle commune ». Ce à quoi il faut rétorquer qu’hélas une marée théocratique s’inscrit en faux face à ce beau principe. Il faut lire d’ailleurs cette dernière phrase du modeste auteur de ces lignes comme une dérogation de plus à la neutralité sociologique. À cette dernière, il est bien difficile de se tenir : « le problème structurel de la neutralité », selon Norbert Elias, n’est pas près de se résoudre, devant l’abondance des « idéaux sociopolitiques préconçus ».

      Ainsi sondages et pétitions induisent des courants d’opinions, dont « le nombre fait la valeur », quand l’élitisme concourt mieux -ou devrait mieux concourir- à des causes scientifiques ou morales. À moins que « l’opinion publique » ait remplacé la religion, voire la science[1]

      Savons-nous, que de neuf mois à un an, un enfant commence à élaborer des jugements de valeurs (il préférera son doudou à la Joconde), que ces derniers ont leur siège dans le « cortex préfrontal ventro-médian » ? C’est à partir de ces prémisses que nous pouvons différencier « valeur-grandeur, valeur-objet et valeur-principe ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Ethiques sont les valeurs depuis Aristote ; la philosophie morale précède la sociologie morale, qui s’intéresse à leur essence sociale, au risque d’être une « morale dissimulée ». Il s’agirait alors d’assumer combien il existe de bonnes valeurs et pourquoi. Historiens, anthropologues, philosophes ont alors à charge de nous indiquer si par exemple telle ou telle civilisation est meilleure[2], donc quels choix éthiques, religieux, politiques sont à mettre en œuvre, et au nom de quelles valeurs, travail auquel ne se risque guère les sociologues, qui préfèrent la nomenclature et la généalogie. Ainsi se détachent, selon Schwarz et Bilsky, dix valeurs : « l’autonomie, la stimulation, l’hédonisme, la réussite, le pouvoir, la sécurité, la conformité, la tradition, la bienveillance, l’universalisme ». Ce à quoi bien des auteurs ajoutent l’authenticité, l’éducation, la culture, la créativité, la fonctionnalité, la rareté, l’ancienneté, la beauté, l’empathie, la solidarité et la négociation, entraînant le « polythéisme » des valeurs (selon Max Weber). D’autres sont ambigües : l’individualisme est-il une valeur ou une anti-valeur ?

      D’autres encore peuvent s’entredéchirer : lorsque l’esthétique heurte l’éthique par ses transgressions, l’artiste risque la désapprobation, voire la censure, elle-même devenue une anti-valeur. Ainsi des « conflits de registres » explosent lors d’objets-frontières », comme ceux décriés de l’art contemporain, qu’il s’agisse d’emballer le Pont Neuf pour Christo ou de valoriser un graffiti pornographique ou scatologique, ou encore, pour Irina Ionesco, de photographier sa fillette dénudée, alors qu’aujourd’hui celle-ci demande la destruction des œuvres au bénéfice du respect de la vie privée.

      Les exemples convoqués par Nathalie Heinich sont nombreux parmi les faiseurs de valeurs : critiques gastronomiques, cinématographiques, littéraires. À chaque fois des connaissances sont nécessaires si l’on veut évaluer, particulièrement dans le domaine esthétique. Quoique dans celui plus précis de l’art contemporain, la beauté[3] soit devenue un repoussoir. Comme s’il fallait nier que cette valeur contraire à la justice joue un rôle prépondérant parmi nos sociétés, qu’il s’agisse des relations privées, professionnelles ou de l’arène politique.

      En effet, plusieurs fois, sujet oblige, Nathalie Heinich revient sur l’une de ses premières amours : l’art contemporain[4]. La question de sa valeur est en effet préoccupante, entre prix exorbitants pour un Jeff Koons, chute des cours possibles, et critères de jugements soumis à la versatilité du goût et de la critique. Ou encore l’art brut, « singularité » méprisée, peu à peu élevée au rang le plus noble[5]. L’expert artistique, non loin de « l’arène judiciaire », doit étayer son choix, qu’il s’agit d’achat d’œuvres, de bourses, d’expositions… Là encore, les valeurs « ne sont pas le produit du libre choix des individus, mais fortement contraintes par des institutions, des régulations, des cadres cognitifs, juridiques, administratifs, relationnels… », donc -faut-il le déplorer ?- dépendantes de contextes sociaux. Reste que l’art est un sanctuaire des valeurs, non seulement économique, mais également affective, éthique, esthétique, intellectuelle…

      Outre sa neutralité face à cette science sociale (laissons à d’autres que le sociologue la responsabilité des jugements de valeur), Nathalie Heinich ne se départit guère de sa rigueur et de sa clarté. La lecture de son essai en est aussi aisée que commode, grâce aux encarts récurrents qui présentent tel concept, tel sociologue, s’interrogent sur la réception des « seins nus », sur « hygiène et authenticité », sur « la recherche de l’absolu ». L’un d’eux prend un tour aimablement personnel, lorsqu’il s’agit de l’« histoire de mon vieux sac à main »… Le sommaire détaillé permet de se pencher sur telle ou telle question soulevée. Enfin table des « encadrés » et un index des noms complètent efficacement le manuel de sciences humaines, au service d’une éthique souhaitable : elle conclue en effet avec « Penser le partage et penser la dispute ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      L'on pourrait s’étonner que notre sociologue informée sans nul doute, ne fasse qu’assez peu allusion -au contraire de Pierre Bourdieu- à Raymond Boudon. Pourtant n’a-t-il pas consacré pas moins de trois livres aux questions qui nous occupent : Le Juste et le vrai. Etude sur l’objectivité des valeurs et de la connaissance[6], Le Sens des valeurs[7], Déclin de la morale ? Déclin des valeurs ?[8] En ce sens, si l’on aurait pu espérer que Nathalie Heinich s’intéresse avec plus de vigueur au relativisme, quoique son propos ne soit pas de sortir de la neutralité de son examen des faits et démarches axiologiques, on reste déçu de ne la voir que l’effleurer. Certes elle termine avec prudence en accolant « En finir avec l’universalisme » et « En finir avec le relativisme ». Elle affirme néanmoins avec une judicieuse conviction : « le constat de la relativité effective des valeurs n’implique nullement le relativisme, qui postule l’absence de toute objectivité, de toute universalité, et, partant, de toute nécessité des jugements de valeur ». C’est un peu court, même si cela vaut pour une perspective ouverte à la fin du volume.

      Raymond Boudon, lui (mais aussi Laurence Hansen-Love[9]) s’attache à rogner les ailes vaseuses du relativisme : « Non seulement les valeurs ne sont pas des illusions, mais elles peuvent être objectives[10] », affirme-t-il, tout en égratignant avec vigueur ceux pour qui elles couvrent des phénomènes de domination. Cet objectivisme est tempéré par Nathalie Heinich qui craint « un glissement subreptice de la subjectivité à l’illusion ». Cependant, dans le monde moral autant que scientifique, il faut aller au-delà des arguties et paresses intellectuelles postmodernes qui consistent à propager des idées selon lesquelles le bien moral et la vérité sont des conventions passagères et subjectives. Ainsi la connaissance scientifique vaut bien plus qu’une archaïque ignorance, qu’un mythe ou une foi religieuse. Parler vrai et agir justement restent des nécessités et des objectifs atteignables.

      Reste donc, une fois examinées avec Nathalie Heinich les mécanismes des valeurs, à affronter avec Raymond Boudon les points de fracture du relativisme. La culture nazie, la culture communiste[11], la culture islamique valent-elles la culture des Lumières ? La réprobation de l’esclavage ou de l’excision n’elle qu’un effet de goût personnel, conjoncturel ou sociétal ? « La thèse qui consisterait à réduire ces jugements à un symptôme de la domination de la culture occidentale n’est pas plus sérieuse que celle qui consisterait à affirmer que l’influence des représentations du monde véhiculées par la science occidentale cache un effet de domination[12] ». Répondre par l’affirmative à de telles billevesées serait opérer une désastreuse confusion et lacération des valeurs : collectivisme contre individualisme, tyrannie contre liberté, pensée obligée et ignorance contre pluralisme des connaissances, mort contre vie.

      De même Raymond Boudon applique sa critique du relativisme au monde de l’art : « n’est-ce pas jeter l’enfant avec l’eau du bain que de tirer du discrédit dans lequel est justement tombée l’esthétique de type platonicien l’idée que la valeur de l’œuvre d’art relève de l’opinion ou de la convention ? » Plus loin, il s’appuie sur un exemple parlant : « À la différence des paysages de Friedrich, les formes géométriques et les couleurs franches de Mondrian ne réussissent pas, malgré ses prétentions, à faire passer le message spirituel qu’il prétend exprimer. Elles ont une valeur surtout décorative. Ce qu’ont fort bien perçu les couturiers et les architectes d’intérieur[13] ».

      Les valeurs déclinent-elles, comme le postule l’antienne ? Là encore Raymond Boudon s’inscrit en faux contre le préjugé. En effet « l’autorité rationnelle est désormais plus facilement acceptée que l’autorité charismatique ou l’autorité traditionnelle. Ce glissement traduit l’affirmation d’une valeur : celle de la dignité de l’individu[14] ». On pourrait cependant rétorquer à notre sociologue qu’il fait peut-être trop confiance aux capacités de rationalité de nos contemporains… Pour ne pas léser cette valeur suprême issue du droit naturel et des Lumières, nous avons nommé la dignité de l’individu, nos politiques ont fort à faire pour libérer nos libertés. Or, la gauche met traditionnellement en avant l’égalité et la justice sociale, ces tromperies avérées[15], la droite l’autorité, le trio travail, famille et patrie, quoique ces derniers aient été spécieusement confisquées par un gouvernement de nauséabonde mémoire. Mieux vaut alors, quand la République affiche à son fronton « Liberté, égalité, fraternité », préférer qu’elle affirme : « Liberté, justice, prospérité », étant entendu que cette dernière ne peut découler que la connaissance.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[6] Raymond Boudon : Le Juste et le vrai. Etude sur l’objectivité des valeurs et de la connaissance, Hachette Pluriel, 2009.

[7] Raymond Boudon : Le Sens des valeurs, PUF, 1999.

[8] Raymond Boudon : Déclin de la morale ? Déclin des valeurs ? PUF, 2002.

[10] Raymond Boudon : Le Juste et le vrai, ibidem, p 332.

[12] Raymond Boudon : Le Juste et le vrai, ibidem, p 47.

[13] Raymond Boudon : Le Sens des valeurs, ibidem, p 255 et 291.

[14] Raymond Boudon : Déclin de la morale ? Déclin des valeurs ? ibidem, p 24.

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30 mars 2017 4 30 /03 /mars /2017 17:04

 

Gummenalp, Engelbergrental, Schweiz.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Bonheurs et trahisons du

Dictionnaire Nietzsche.

 

 

Dictionnaire Nietzsche, sous la direction de Dorian Astor,

Robert Laffont, 2017, 1024 p, 32 €.

 

 

 

      Jeté au-dessus de Sils-Maria et des Alpes suisses, l’arc-en-ciel nietzschéen « est une corde, entre bête et surhomme tendue, une corde sur un abîme[1] ». Il faut alors dresser un pont pour accéder à la complexité de l’œuvre, ce qu’a tenté, non sans titanesque talent, Dorian Astor, en son Dictionnaire Nietzsche aux généreuses quatre cents entrées. Il y a par ailleurs des philosophes que l’ampleur de l’œuvre devrait condamner à l’inéluctable nécessité de l’encyclopédique essai, pour synthétiser leur abondance et mieux les effeuiller : Platon, Aristote, Hegel… Cependant, la difficulté de réduire celui qui n’a guère commis de traité, n’a pas cédé à la volonté de système, s’est complu dans l’aphorisme fulgurant et les paraboles, répond à une autre nécessité : le dictionnaire doit réduire avec clarté et sans la trahir une œuvre, sans compter la personnalité et la postérité philosophique, protéiforme. Pari tenu pour le Dictionnaire Nietzsche, qui paraît sans peine être un bonheur de bout en bout. Malgré de vastes trahisons, de ceux - que l’opus n’oublie pas un instant - qui l’ont pillé, réduit à des formules, des mots d’ordre idéologiques, et celles, plus modestes et pardonnables, d’un dictionnaire parfois un tantinet oublieux. Et cependant considérablement précieux.

 

      Aux éléments biographiques, parents, amis, s’ajoutent les lieux nietzschéens, de Naumburg, son lieu de naissance, en 1844, en passant par les villes d’études ou d’enseignement (Bâle), y compris les villégiatures qui ponctuèrent son errance, marines comme Nice, ou montagnardes comme Sils-Maria, en Engadine, où il conçut l’éclair de Zarathoustra. Quoique les dix ans de folie et de prostration mentale, jusqu’à sa mort en 1900, ne soient guère abordées (rien à « Folie », par exemple).

      Les artistes et philosophes côtoyés, qu’ils s’agissent de rapports livresques, comme Platon, Montaigne, Goethe ou Schopenhauer, ou vivants comme Liszt et Wagner, répondent évidemment présents dans ce dictionnaire. C’est alors que les notices consacrées à la musique sont à ne pas négliger pour mieux connaître le jeune philosophe en vogue qui partagea une fascination réciproque avec Wagner, avant de le renier dans Le Cas Wagner, lui reprochant une lourdeur allemande, une complaisance suspecte, maladive, et trop chrétienne à l’encontre du vouloir vivre, à l’occasion de Tristan[2] ou Parsifal. Il lui préférera la vigueur méditerranéenne de la Carmen de Bizet, qui bénéficie également d’une notice. Cependant Nietzsche, très bon pianiste, fut également compositeur : bien que ses œuvres musicales n’aient guère été jugées dignes de survivre, elles ont été enregistrées, dont un bel Hymne à la vie, sur un poème de Lou-Andreas Salomé, son éphémère amour.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Inévitablement les œuvres sont contextualisées, résumés, analysées, sans omettre des citations pertinentes. La Naissance de la tragédie révéla soudain que la Grèce antique n’était pas seulement apollinienne, mais dionysiaque. Aurore, Le Voyageur et son ombre, Le Gai savoir, Par-delà le bien et le mal, et Humain trop humain, marquent la grande période des livres à aphorismes plus ou moins étendus, là où le Dictionnaire Nietzsche devient plus que nécessaire pour débrouiller les lignes de force de la pensée ; quand, d’une manière un peu plus linéaire, La Généalogie de la morale ausculte les racines historiques et surtout morales du Judaïsme et du Christianisme, ces revanches des faibles sur les forts. Ecce homo surgit enfin à la lisière du délire où Nietzsche va bientôt signer « Dionysos » ou « Le crucifié ».

      Traducteurs, exégètes et commentateurs sont légion. Henri Albert fut le premier grand passeur en français, Colli et Montinari furent les maîtres d’œuvres italiens de la splendide édition critique des œuvres complètes, publiées dans la langue de Stendhal aux éditions Gallimard. Bien sûr le trio Foucault[3], Deleuze, et Derrida[4] (que l’on ne suivra pas lorsqu’il affirma qu’en Nietzsche « tous les énoncés […] sont à la fois possibles […] et nécessairement contradictoires[5] »)  s’y taille une place enviable, quand celle d’Heidegger ne s’impose que parce que « nombre de ses commentateurs estiment que la fécondité de ses méditations l’est surtout en ce qui concerne tout ce que nous pouvons apprendre à cette occasion à propos, non pas de Nietzsche, mais de Heidegger ». Ce pourquoi nous risquons de devoir nous abstenir des verbosités de l’ontologue pronazi de la Forêt Noire, qui, même s’il partage avec le philosophe le rejet du platonisme et l’athéisme, est « le plus infidèle lecteur de Nietzsche ».

      La part belle est heureusement offerte aux concepts. Ils sont tous là, de « Dieu est mort » à l’ « Eternel retour » (associé à l’amor fati), du « Danger » (car la philosophie est un danger) à la « Pitié », qui ne sert qu’à propager la souffrance, d’ « Esclaves, Morale d’esclaves » au « Cynisme », de la « Grande politique » et de l’ « Etat », à l’« Egoïsme » (« Il faut réhabiliter l’égoïsme », ou encore « l’altruisme n’est que l’autre nom de l’égoïsme des faibles »). Ainsi l’on comprendra mieux comment Nietzsche est d’abord un philosophe moraliste et critique, comment est judicieux le célèbre « renversement des valeurs », comment le Christianisme est un platonisme pour le peuple…

      Sur l’ « Education », retenons le bel aphorisme 443 d’Aurore : « Peu à peu, la lumière s’est faite en moi sur le défaut le plus répandu de notre formation et de notre éducation : personne n’apprend, personne n’aspire, personne n’enseigne – à supporter la solitude[6] ». Une telle stimulante pensée ne peut évidemment faire le lit d’aucun totalitarisme et collectivisme que ce soit…

      Quant au libéralisme[7], il n’a pas guère bonne presse auprès de l’auteur du Gai savoir, même s’il n’est pas sûr qu’il ait eu les moyen de le réellement comprendre, s’il n’a lu ni Locke, ni Adam Smith, ni Benjamin Constant, ni Tocqueville, en effet ici absents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      De longtemps les polémiques autour du renom de Nietzsche, qui philosopha à coup de marteau, ne s’éteindront pas. En effet, il est hélas facile, trop facile, en accolant quelques concepts, de paraître dérouler un enchainement pronazi : « homme supérieur », « surhomme », « volonté de puissance », « armer les forts contre les faibles ». Mais ce serait céder à une lecture vulgaire et sans nuance. Ainsi « l’homme supérieur », loin d’être une brute nationaliste, est à chercher du côté de l’esprit, en qui il reconnut Renan et Wagner, Byron et Stendhal.

      Fort heureusement ce dictionnaire, où l’on pourra lire de A à W, comme butiner au hasard, ou harponner une entrée précise, saisir les renvois et rebondir, ne laisse pas l’ombre d’un doute sur les trahisons qui encerclèrent la postérité de Nietzsche. En commençant par sa sœur Elisabeth, mariée à Forster, un antisémite notoire, et qui fabriqua, au moyen de colles et de ciseaux malveillants, taillant et tripotant parmi les fragments d’une œuvre encore en gestation -qui sont aujourd’hui les Fragments posthumes- une Volonté de puissance, qui « n’existe pas » pour reprendre le titre de Montinari[8]. On sait en effet qu’il s’agissait d’un titre éventuel parmi d’autres, de surcroît vite abandonné par l’ermite de Sils-Maria. À tel point que ce bricolage put bien étonnamment devenir un bréviaire nazi qu’il n’est même pas, alors que les guerriers aryens emportaient dans leur sac Also sprach Zarathustra, personnage qui devait d’ailleurs se retourner comme un beau diable alors qu’il était engagé en une telle collaboration…

      Reste que notre Nietzsche préféré ne peut rester indemne de tout blâme. Si nous ne le savions déjà, nous apprendrons que l’ « antiféminisme » de l’auteur du Gai savoir était d’une lourdeur inqualifiable, que son bellicisme est outrageant : « Toute philosophie qui place plus haut la paix que la guerre relève de la faiblesse comme maladie ». Ceci au cœur de l’article « Guerre », et nous doutons qu’il ne s’agisse que de joute philosophique guerrière au sens de la métaphore, bien qu’il fût brièvement infirmier sur le front franco-prussien et donc en connût les horreurs. En outre, sa perception de l’ « Islam », en dépit d’une érudition par ailleurs monumentale, est pour le moins lacunaire et de « seconde main » : comme Voltaire il adoucit cette religion pour l’opposer au Christianisme honni, tout en reconnaissant que celle de Mahomet produit une « race de seigneurs, guerrière, altière et conquérante », celle de « la merveilleuse civilisation maure ». Là encore Nietzsche aura bien du mal à recevoir notre assentiment à l’égard de cette « civilisation », si tant est, malgré sa calligraphie et son architecture, qu’elle mérite ce nom tant elle est originellement fondée sur la guerre, le pillage, l’esclavage, la sujétion des femmes et l’écrêtement des libertés… On nous permettra cette lecture critique du philosophe de Sils-Maria, quand les auteurs savent respecter la neutralité, comme il sied en un dictionnaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Il ne s’agira en rien de trahisons, mais parmi les oublis, il est curieux de noter qu’au cours d’une notice sur Peter Sloterdijk, justifiée par son écriture également métaphorique et leur rapport au ressentiment, son ouvrage, Le penseur sur scène. Le matérialisme de Nietzsche ne soit cité qu’en bibliographie finale, et pas le moins du monde analysé. En effet, au-delà de ce qui, entre Apollon et Dionysos, fait civilisation, seul le cynisme, pour Sloterdijk, permet une aventure féconde de la pensée : « Nietzsche a développé deux registres de la vérité plus que tous les autres : le coup de dent de la vérité et le chant de la vérité[9] ».

      Certes, l’art est difficile et la critique facile, selon l’adage, mais il faut se résoudre, devant l’ambition et la beauté de l’ouvrage, à regretter, avec un brin de pédantisme, que ce dictionnaire commencé au A d’ « Affirmation » s’achève au W de Willamowitz-Morllendorf, professeur de philologie, contemporain fort polémiste à l’encontre de la méthode de La Naissance de la tragédie. Puisque nous trouvons Thucydide, pourquoi pas Xénophon, voire Zénon, et mieux encore Zoroastre, ce mage fondateur d’une doctrine opposant le Bien et le Mal, qui permit à Nietzsche de nommer avec liberté son fameux héros-philosophe. Certes la notice consacrée à Ainsi parlait Zarathoustra, en fait mention, mais sur cinq maigres lignes.

      Quoique l’entrée « Antisémitisme » montre à la perfection combien Nietzsche est vigoureusement anti-antisémite, citations à l’appui, il est dommage que le livre de Jean-Pierre Faye[10], dont c’est précisément le propos, au point qu’il parle d’un « Nietzsche contre Hitler », ne soit mentionné, étant donné son titre, qu’à l’article « Guerre », et non pas à la précédente entrée. Autre auteur absent de ce dictionnaire, Ernst Bertram, dont l’ « essai de mythologie», quoiqu’il tentât faire de Nietzsche un Chrétien qui s’ignore, « un masque de Dieu », conclut-il, reste pour le moins curieux, lors qu’il voulut élever un monument à un grand homme de légende et une figure « prométhéenne[11] ».

      Fallait-il également une entrée à « Syphilis » ? Thèses et incertitudes médicales s’affrontent vainement pour déterminer les causes de la folie lorsque le malheureux auteur d’Ecce homo se jette au cou d’un cheval à Turin, puis passe les dix dernières années de sa vie dans un état quasi végétatif…

 

      Mais quel outil précieux que ce Dictionnaire Nietzsche ! N’est-ce qu’un outil pour spécialiste ? Non, un vade mecum, un compagnon de pensée, dont la richesse déborde la fonction documentaire, une brassée d’éclair sur nos destins et notre temps. En un tel panier de savoirs, la clarté ne se dément guère, les citations sont profuses et précisément référencées. Assisté par une équipe d’une trentaine de collaborateurs, tous plus agrégés et docteurs de philosophie les uns que les autres, Dorian Astor, dont on connait son essai Nietzsche. La détresse du présent[12], a réalisé un énorme et louable travail qu’aucune bibliothèque nietzschéenne ne pourra prétendre ignorer. Et combien a-t-il eu raison de poser à l’épigraphe de son avant-propos une citation du Voyageur et son ombre : selon laquelle, en l'aphorisme 11, « Les mots et les concepts nous induisent continuellement à penser les choses plus simples qu’elles ne sont […] Il y a, cachée dans la langue, une mythologie philosophique qui perce et reperce à tout moment, si prudent que l’on puisse être par ailleurs ». Et de savoir, comme Socrate, qu’il ne sait rien (ou presque), car « toute apparence d’une trop grande familiarité avec Nietzsche est illusoire ». Avec le philosophe du Gai savoir et en la compagnie de Dorian Astor, nous sommes « À la fête des moissons de l’esprit[13] »…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Friedrich Nietzsche : Ainsi parlait Zarathoustra, « Prologue », Œuvres philosophiques complètes, Gallimard, 1971, p 25.

[5] Jacques Derrida : L’Oreille de l’autre, VLB, 1982, p 27.

[6] Friedrich Nietzsche : Aurore, 476, Œuvres philosophiques complètes, ibidem, 1980, p 238.

[8] Mazzino Montinari : La Volonté de puissance n’existe pas, L’Eclat, 1996.

[9] Peter Sloterdijk : Le penseur sur scène. Le matérialisme de Nietzsche, Christian Bourgois, 1990, p 142.

[10] Jean-Pierre Faye : Le Vrai Nietzsche. Guerre à la guerre, Hermann, 1978.

[11] Ernst Bertram : Nietzsche. Essai de mythologie, Rieder, 1932, p 458, 22.

[12] Dorian Astor : Nietzsche. La détresse du présent, Gallimard, 2014.

[13] Friedrich Nietzsche : Aurore, 476, Œuvres philosophiques complètes, ibidem, p 249.

 

 

Photo : T. Guinhut.

 

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Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré, une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

VIII Morphéor intelligence quantique amoureuse

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com

XVIII Bibliothèque Hespérus et Petite porcelaine bleue

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme : Ages & Colloques

Manuzio, Budé, Byzantinistes & Coménius

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Vanité de la mort : Vincent Wackenheim

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

La Cité aux murs incertains, L'Incolore Tsukuru

 

 

 

 

 

 

Muray

Philippe Muray et l'homo festivus

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

Miscellanées littéraires : Cloux, Morrow...

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Pléiade & Sonnet pour Hélène LXVIII

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Les obsolètes face à l'intelligence artificielle

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science-fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Métamorphoses du sonnet contemporain

 

 

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Wells

Wells aventurier du temps et socialiste déçu

 

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

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