Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
15 juillet 2015 3 15 /07 /juillet /2015 13:07

 

Atlas National, Fayard, 1864. Photo : T. Guinhut.
 

 

 

 

 

Elégie et ambition

 

au chevet des grandeurs de la France.

 

Peter Sloterdijk, Patricia Tardif-Perroux.

 

 

Peter Sloterdijk : Ma France,

traduit de l’allemand par Olivier Manonni,

Libella Maren Sell, 256 p, 20 €.

 

Patricia Tardif-Perroux : La France, son territoire, une ambition,

L’Harmattan, 320 p, 29,90 €.

 

      « Une implosion spirituelle permanente », voilà comment le philosophe allemand Peter Sloterdijk qualifie la France. Une telle perspicacité sans compromis ne plaira pas forcément au lecteur français qui eût cru se reconnaître le plus beau en ce miroir. Pourtant on ne peut manquer d’être charmé par le versant affectif du pronom personnel du titre : Ma France. Ainsi l’histoire culturelle, la vie politique, les paysages de l’hexagone sont réunis en cette déclaration d’amour pour le pays de Voltaire et de Tocqueville, de Jules Verne et de Cioran. Quoique cet essai ait quelque chose d'élégiaque, il n'en reste pas moins que La France n'est ni sans atouts ni sans ambition, comme le montre Patricia Tardif-Perroux, dans La France, son territoire, une ambition, même si elle ne laisse guère d'espérance au libéralisme qui devrait l'animer.

      Au plaisir de feuilleter ce recueil de Peter Sloterdijk, autant fait le pour le lecteur allemand que français, se mêle un plus que rien de déception. Une grosse poignée de ces textes en effet n’est pas inédite. S’il s’agit d’une anthologie bienvenue, elle rassemble des essais déjà parus dans Tempéraments philosophiques[1] (sur Descartes, Pascal, Sartre et Foucault), son Derrida un Egyptien[2], divers fragments pris parmi Les Lignes et les jours[3], voire à Colère et temps[4], Le Palais de cristal[5], Tu dois changer ta vie[6], ou à la trilogie Sphères[7] Seuls cinq textes sur vingt-quatre sont inédits et se consacrent à Jean-Jacques Rousseau, Paul Valéry et René Girard, en comptant la préface et l’entretien final.

      Reste que pour l’impétrant lecteur peu familier de la pensée de Sloterdijk, nous ne saurons qu’ardemment lui conseiller cet opus, initiation par la petite porte à son univers et à ses regards pour le moins informés et décapants. À cet égard la préface, écrite en un parfait français par notre germanique philosophe, n’est en rien tendre pour la France. Cette dernière n’a pas su, comme l’Allemagne, se fonder « sur un principe d’autorégulation du marché agencée par une liberté d’entreprise clairement affranchie des lourdeurs administratives et autocratiques de l’économie nationalisée ». Pour le dire en clair, le libéralisme économique est tragiquement aux abonnés absents. De plus, elle a perdu le contact avec les « maîtres d’antan » de la philosophie, y compris jusqu’à Barthes et Derrida. Il faut alors lire ce livre comme une élégie à un monde disparu.

      Un partiel manuel de philosophie française s’ouvre alors. De la « noblesse cartésienne de la compétence », qui est « victoire des ingénieurs sur les théologiens », en passant par Rousseau, ce jalon de la « subjectivité moderne » de par sa propension à la rêverie, et jusqu’à l’assemblée des foules revanchardes de la Révolution, l’histoire de l’intellect et celle de la sensibilité confinent dans une histoire politique coléreuse et sans cesse insatisfaite. Ce pourquoi Le Comte de Monte Cristo, considéré comme une « Iliade moderne », fut un si populaire roman-feuilleton de la vengeance contre les usurpateurs de l’amour, du pouvoir et de la richesse, en une sorte d’équivalent de la colère du peuple théorisée par Marx.

      Or le virus marxiste, fil rouge du livre, a plus intensément contaminé la France que son voisin d’outre-Rhin, malgré la nationalité de son idéologue. Ce pourquoi la partie sur le Français Althusser parle moins de ce malheureux philosophe communiste assassin de son épouse que de l’auteur du Manifeste communiste, en une verrue sur la face d’un livre philosophique, qui, dirait-on, ne peut faire montre de son sérieux sans avoir glosé sur une des plus grandes plumes du totalitarisme qui ait marqué le monde et l’histoire de sa griffe cruelle. D’autant qu’il faudrait infléchir le point de vue conclusif de Sloterdijk affirmant que, en tant que « savoir du pouvoir », le communisme n’a que ce point commun, « sur le plan philosophique, avec le fascisme ». En-deçà de son fantasme de la disparition de l’Etat, dernier stade du communisme, ce dernier est bien, de par son contrôle de l’économie et des masses, de par son éradication de l’individualisme et des libertés issues des Lumières, un frère jumeau du fascisme ; ce que n’a pas manqué de pointer Hayek[8].

 

Atlas National, Fayard, 1864. Photo : T. Guinhut.

 

 

      On n’est pas certain que ce que Sloterdijk -ainsi que la tradition française du même pas- retient de la culture hexagonale lui fasse toujours honneur : Sartre, « génie de la biographie analytique », certes, mais ici trop brièvement traité pour que son engagement communiste délétère soit châtié par une juste raison morale. Cioran qui « est, après Kierkegaard, l’unique penseur de haut niveau à avoir rendu irrévocable la compréhension du fait que nul ne peut désespérer selon des méthodes sûres », ne peut nous être de guère d’utilité, hors une esthétique du pessimisme. En revanche sur l’auteur de La Violence et le sacré[9], Sloterdijk ne manque pas de voir qu’il recycle le mythe du péché originel : « Girard serait-il en vérité un gnostique portant l’habit du théoricien de la civilisation ? » Cependant la conclusion de sa réflexion sur René Girard témoin d’une « réintroduction de la violence de la jalousie dans la civilisation », vaut son pesant d’or : « comment la modernité veut-elle reprendre le contrôle de son expérimentation sur la mondialisation de la jalousie ? » Ce qui est un écho bien senti des thèses de Colère et temps, dans lequel les « banques de la colère[10] » montent à l’assaut du capitalisme…

      Dans sa « Théorie des après-guerres », Sloterdijk montre combien le couple franco-allemand, et plus largement les Européens, ont heureusement « remplacé la préparation de la guerre par le souci de la conjoncture. Ils ont abjuré les dieux militaires et se sont convertis de l’héroïsme au consumérisme » ; mais aussi en remplaçant « des événements réels par les événements du souvenir, phénomène qui a débouché sur une industrie florissante du jubilé -une grande cuisine où seul compte le réchauffé ». Au soulagement apporté par une éthique de paix et d’économie démocratisée, se mêle la satire du pouvoir qui ne vend que l’illusion rassise de sa grandeur.

      Avec force pertinence, il esquisse également un réquisitoire de la société intellectuelle française : « Cette église combattante de la résistance après coup sut se généraliser en critique de la société bourgeoise et de l’ère du capitalisme tardif en mélangeant le marxisme, la sémiologie et la psychanalyse pour en faire un amalgame suggestif ». Ainsi Lacan « se trompe » avec son « dogmatisme de la psychose originelle », comme, diront-nous, le marxisme en arguant du capitalisme comme péché originel…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Cependant son éloge de Foucault, trop bref, souffre du même défaut qu’une bonne part des textes extraits des Tempéraments philosophiques, à la pertinence souvent émoussée. Quand la reprise de « Derrida, un Egyptien », bel exercice de style sloterdijkien, explorant les facettes et les reflets de la « pyramide » derridienne, peine à offrir un miroir suffisant à la pensée du maître. Qui le pourrait d’ailleurs ? Il faut à cet égard pointer le format lilliputien du texte consacré à Tocqueville, cet essentiel penseur de la démocratie libérale et contempteur de la tyrannie de la majorité…

      On ne refusera pas son plaisir à lire cette mosaïque d’essais divers, quoiqu’inégaux, consacrés à la France. L’entretien final, consacré à la passion du philosophe pour le vélo et son ascension du Ventoux avec un maillot jaune, dont, avec son talent de créateur de métaphores stimulantes, il s’amuse (« on a le sentiment de traverser le paysage comme un signal d’alarme vivant »), confirme la relative modestie de l’anthologie d’occasion. Reste qu’admiratif d’une France qui va de Pascal à Derrida, il ne mâche pas son réquisitoire envers notre surdité politique.

      Parmi « la vague montante du néolibéralisme, la France veut être l’exception - et ne peut pas l’être, parce que le temps force ses enfants à suivre la règle », accuse notre réaliste essayiste. Ainsi le socialisme français, auquel on peut légitimement agglomérer le colbertisme de droite, est « de l’étoffe dont on fait les fables ». A-t-on besoin alors d’un philosophe allemand, si talentueux soit-il, pour voir ce qu’ici l’on ne veut voir, pour nous déciller devant l’évidence ? Quoique dans un recueil un peu boiteux et peut-être d’opportunité éditoriale qui n’ajoutera rien à sa gloire, Peter Sloterdijk se penche avec sollicitude et pertinence affutée au chevet d’une France moribonde, coupable de méconnaître le libéralisme économique et de n’avoir plus qu’une culture philosophique appartenant déjà au passé.

Elisée Reclus : Nouvelle géographie universelle. La France, Hachette, 1879.

Photo : T. Guinhut.

 

 

      Connaissons-nous, au-delà des préjugés, notre France ? Pour qui voudrait radiographier l’état présent de notre territoire, ses atouts, ses faiblesses, ses défis et perspectives, le livre de Patricia Tardif-Perroux est une mine d’informations précieuses… C’est ainsi que nous saurons tout sur la « reconfiguration démographique et urbaine », sur le tissu de communications, les performances de la main d’œuvre et la qualité de vie à la française. Et pourtant, son libéralisme introuvable est son pire handicap…

           Quoique en disent les litanies anti-mondialisation (qu’elles viennent de droite ou de gauche) la France est le deuxième investisseur économique mondial, quand elle attire une foule d’entreprises internationales. En effet, 22510 filiales étrangères sont chez nous présentes, employant un salarié sur quatre. Il serait plus que juste d’admettre que nous devons une grand part de notre prospérité à l’étranger, surtout grâce aux Européens et Américains qui investissent durablement, malgré un fléchissement récent dû à la crise. Jusqu’au Chinois Huawei qui annonça en 2009 la création d’un centre de recherche autour des technologies sans fil… Mieux, notre pays compte 39 firmes multinationales parmi les 500 premières mondiales, dont certaines sont les leaders de leur secteur : Accor, Axa, EADS, LVMH, Total, Pernod-Ricard, etc.

            Hélas, ce tableau de la France n’est pas totalement idyllique : la croissance reste « atone » dans un contexte mondial hautement concurrentiel, le rayonnement international est « encore modeste », doux euphémisme pour signifier une perte de vitesse, voire la sanction d’un orgueil aujourd’hui grotesque après que le prestige de la France des Lumières dont la langue rayonnait sur l’Europe se soit effrité… Pire, la puissance économique est en repli. Malgré son attractivité, notre pays se voit accusé « dans son droit du travail jugé trop rigide et son système d’emploi trop couteux ». Si la France reste le sixième exportateur mondial, ce n’est qu’avec 4% des marchandises échangées dans le monde et avec un déficit commercial récurrent et de plus en plus alarmant, quand l’Allemagne affiche un excédent insolent. Quant aux dépôts de brevets français, ils voient leur part mondiale, malgré un 6° rang, diminuer, en particulier dans les nouvelles technologies.

 

 

           Que faire ? C’est alors que dans sa troisième partie, Patricia Tardif-Perroux part à l’assaut des « grands défis » : investir, innover, créer, « créer les conditions de la croissance ». Personne ne s’élèvera contre ces vœux pieux. Reste que notre auteur, Inspectrice à la Direction Générale des Finances Publiques, et membre de jurys de concours de recrutement, qui affiche une culture impressionnante, un esprit de clarté, de synthèse fort louable, se heurte à la limite de l’exercice du haut-fonctionnaire en ses œuvres. Certes, l’état peut impulser des législations (sur la propriété intellectuelle par exemple, à condition qu’elle ne soit pas déconnectée de l’international) des politiques d’investissement, en particulier le plan « France numérique 2012 ».  Mais elle a beau constater avec sagacité un déficit d’investissement productif, tant de la part de l’état que des grands groupes qui préfèrent investir à l’étranger, ainsi qu’une « inefficacité patente de l’interventionnisme économique des collectivités territoriales » (sinon de l’état lui-même), on ne voit pas l’ombre d’une proposition libérale à même de décrisper la croissance française. Ses idées restent typiquement colbertistes et keynésiennes : « redéployer l’offre de financement », « créer un écosystème de croissance et d’innovation » (on admirera au passage le vocabulaire à la mode), « orienter l’industrie »…

               Quand « 6000 dispositifs d’aide économique sont décomptés », par ailleurs en contradiction avec les salutaires règles de la concurrence édictées par l’Union européenne, quand « aucune corrélation entre les montants accordés et le nombre d’entreprises créées n’a été démontrée », quand « les effets incitatifs sur les décisions d’investissement des entreprises semblent modestes, voire contre-productifs » (ce qui est confirmé par la Cour des Comptes), faut-il ne proposer qu’une « refonte du système » ?

         « Bien que depuis vingt ans le soutien de l’état et des collectivités territoriales aux entreprises compte parmi les plus élevés du monde, le tissu productif des PME peine à s’adapter à la mondialisation ». Face à ce constat accablant, votre modeste chroniqueur aimerait proposer quelque chose de radical : cesser immédiatement ce flot de soutiens, aides et subventions. S’il est contre-productif, le supprimer sera un appel d’air salutaire. Et d’où croyez-vous que vienne ce flot ? Mais de nos impôts parbleu ! De cette fiscalité qui accable deux fois plus nos entreprises que celles d’outre-Rhin ! De ce peuple de fonctionnaires qui suce le sang des entreprises privées, que les collectivités territoriales sur-embauchent et sous-emploient par clientélisme (alors qu’ils pourraient contribuer à créer de réelles richesses), de ce dissuasif et idéologique impôt sur la fortune qui rapporte à peine plus que ce qu’ils coûte à percevoir, de cette propension de nos politiques hexagonaux à vouloir passer pour les pères et mères protecteurs de la nation. Que l’on rende leur liberté aux entreprises, que l’on cesse de les accabler par l’imposition, et notre croissance retrouvera son dynamisme. Retrouver le libéralisme, là est le véritable défi auquel notre auteur et notre pays devraient se confronter.

 

      Mieux vaut alors retrouver le plus intense, le plus fin, le plus novateur Peter Sloterdijk en ouvrant de nouveau ses essais magistraux. Si l’on peut à juste titre se sentir intimidé par la monumentalité des volumes de la trilogie Sphères, le plus modeste format de Colère et temps vaudra largement pour une initiation tonitruante. Ainsi l’on saura combien la colère, au-delà d’être traditionnellement un des sept péchés capitaux, est un moteur psychopolitique considérable. Une colère polie ne messiérait pas devant la France, dont l’un des principaux défauts est bien son atonie politique et économique gangrénée de socialisme. Probablement lui manque-t-il également de ne pas avoir de philosophe vivant de la stature de notre cher Peter Sloterdijk…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Peter Sloterdijk : Tempéraments philosophiques, Libella Maren Sell, 2011.

[2] Peter Sloterdijk : Derrida un Egyptien, Maren Sell, 2010.

[4] Peter Sloterdijk : Colère et temps, Hachette Littératures, 2009.

[5] Peter Sloterdijk : Le Palais de cristal, Libella Maren Sell, 2006.

[6] Peter Sloterdijk : Tu dois changer ta vie, Libella Maren Sell, 2011.

[8] Dans Friedrich Hayek : La Route de la servitude, PUF, 2013.

[9] René Girard : La Violence et le sacré, Hachette Pluriel, 2011.

[10] Peter Sloterdijk : Colère et temps, ibidem, p 87.

 

Elisée Reclus : Nouvelle géographie universelle. La France, Hachette, 1879.

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
18 avril 2015 6 18 /04 /avril /2015 12:24

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Le totalitarisme pas à pas ;

 

ou la grande oreille du renseignement.

 

 

 

      Au secours, l’Etat est devenu fou. Une grêle de lois s'abat sur la France. Mais c’est pour notre bien. « Dès lors, on ne fit pas seulement des lois pour tous, on en fit souvent contre un seul ; et plus la République était corrompue, plus les lois se multipliaient[1] », disait déjà l’historien Tacite au second siècle de notre ère. L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. Loi sur le renseignement, interdiction des propos racistes, antisémites, islamophobes et xénophobes, sécurité sociale obligatoire, tiers-payant généralisé : l’ombre d’un totalitarisme soviétoïde et national-socialistoïde s’étend sur la France. Ainsi le Renseignement, cette vaste oreille le couteau de la censure entre les dents, censé nous protéger du terrorisme, devient une grande cause de Sécurité sociale. La lecture de L'Esprit des lois de Montesquieu serait-elle salutaire ?

 

      Un Persan de Montesquieu serait aujourd'hui stupéfait par la France. Les lois coercitives bourgeonnent à plaisir. Un problème, et hop une taxe, une contrainte et une interdiction. Interdire les mannequins trop maigres sur les podiums de la mode, interdire les distributeurs de boissons sucrées, interdire le portable au volant, obliger au contrôle technique tous les deux ans, interdire de fumer en présence d’un mineur en son habitacle, interdiction des marques sur les paquets de cigarettes, interdiction du cannabis, interdiction des bâches publicitaires sur les monuments historiques en réfection, limiter le nombre de stagiaires en entreprise, imposer 153 taxes diverses à ces mêmes entreprises. Pendant ce temps les réels délits contre les biens et les personnes, les crimes, ne sont pas poursuivis, ou avec de dommageables retards. Ainsi, pour reprendre Montesquieu, « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires[2] ».

            La loi santé, sous couvert de rembourser sans peine les Français lors de leurs consultations et soins, ne vise qu’à étatiser au dernier degré la médecine, contrôler (c’est déjà fait) leurs tarifs, salarier comme des fonctionnaires captifs les médecins, afin que rien n’échappe à l’emprise totalitaire socialo-communiste, conjointement avec l’étau d’une Sécurité sociale obligatoire, aux dépens d’une liberté de choisir son thérapeute, de s’assurer auprès des organismes privés et concurrentiels de son choix, comme cela se pratique dans la plupart des pays européens, et qui est d’ailleurs en contradiction flagrante avec les lois européennes sur le respect de la concurrence.

       Mieux et pire, les lois sur le renseignement et la « lutte contre les propos racistes, antisémites et xénophobes » vont la main dans la main, dans leur impeccable et perfide collaboration.

 

Photo : T. Guinhut.

 

      Qu’il faille permettre à l’Etat de traquer le terrorisme, soit. Entre internet, les réseaux sociaux et les messages privés, il est loin d’être impossible que se cachent des informations permettant d’arrêter des criminels, d’empêcher que se produisent des attentats terroristes. Il serait idiot, voire suicidaire, de se priver de ces sources pour assurer notre sécurité, qui est aussi notre première liberté. Mais à la condition expresse que tout contenu sans rapport direct et avéré avec ces imputations soit effacé des grandes mémoires du Renseignement. Que les lois sur le Renseignement ne puissent être en aucun cas utilisées pour une autre fin au service d’un despotisme larvaire et à venir. Sans compter que le 13 avril dernier, seuls 35 députés étaient là pour débattre d’un projet de loi à la merci des thuriféraires les plus activistes d’un gouvernement attentatoire aux libertés. Bientôt, il sera parfaitement légal, d’écouter et épier, micros et caméras cachées, chacun d’entre nous, sans requérir l’autorisation d’un Juge. Outre que notre confiance en la justice est déjà sérieusement écornée, celle que nous pourrions avoir envers d’anonymes larbins zélés de la police étatique reste de l’ordre de la plus saine méfiance scandalisée. Notons par ailleurs que cette loi s’adresserait non seulement aux actes terroristes, donc aux propos dits terroristes, mais serait également dédié au service des intérêts économiques de la France. Disons-le tout net, de façon à ce que chacun, jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat, l’entende j’ai bien envie d’acheter israélien, allemand et américain (malgré la NSA), chilien, plutôt que qatari, voire français ! L’espionnage en ligne d’une prolifique police politique serait donc acté ! Rassurons-nous néanmoins, il n’est pas sûr que ces espions sachent lire notre prose, puisqu’ils ont désappris de lire L’Esprit des lois de Montesquieu, avec un projet de loi de plus qui n’en a plus (d’esprit, pour mettre les points sur les i). Le ridicule ne dégonfle pas l’outrecuidance étatique et socialiste, d’autant qu’une telle surveillance gonflée de milliards de données, même soigneusement filtrées par des logiciels intelligents, n’a statistiquement guère de chance de trouver l’aiguille terroriste dissimulé par la taqiya dans les camions de foin de l’Islam, religion de paix et d’amour que l’on sait.

      Qu’il faille réprimer les actes antijuifs, antimusulmans, anti tout ce que l’on voudra lorsqu’il s’agit de dégradations, d’atteintes à la propriété, de coups et blessures, personne n’en doute. Que la courtoisie la plus élémentaire et la plus humaniste nous invite à respecter l’humanité d’autrui quelque soit sa couleur de peau, sa religion, son origine géographique, soit. Quant à réprimer « tout propos haineux », voilà qui devient plus délicat. Il est certes désagréable d’en être la victime. Mais voilà qui n’entraîne aucune lésion physique sur les personnes et les biens. Outre que les vices (ici la colère) ne sont pas des crimes, à partir de quel degré de vocabulaire, vulgaire ou raffiné, le législateur va-t-il sévir, engorgeant les tribunaux qui ont bien d’autres chefs d’accusation à fouetter ? Une insulte aussi grossière que stupide sur Facebook, une généralisation abusive (« les … sont tous des … »), une argumentation raisonnée, discutable, faillible, assise sur des faits, des textes, contrevenant aux préjugés, au politiquement correct ? La critique d’une religion, voire la citation de ses versets ordonnant le meurtre et la crucifixion de tous ceux qui ne partagent pas un tel entre soi totalitaire, sera-t-il un « propos » haineux, islamophobe ?

      Oh la vilaine blague et insulte raciste, alors que les scientifiques savent pertinemment que les races humaines n’existent pas, si nous entendons ce qu’il ne faut pas entendre, que les noirs et les musulmans représentent 70 % des locataires des maisons d’arrêt françaises, que je n’aime pas le chocolat blanc, qu’un arrière-natif de l’Afrique ou de la Creuse a omis d’utiliser son gel douche…

      Quant au racisme anti-blanc, quand à la christianophobie : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir » ! disait le Tartuffe. La tartufferie va jusqu’à taxer d’actes de « déséquilibrés » les crimes judéophobes, les dégradations de cimetières, les profanations et les incendies d’églises. Surtout ne pas dire qu’il s’agit d’une guerre de religion, surtout ne pas désigner le coupable, par niaiserie tiersmondiste, par peur d’une religion intrusive et totalitaire, par islamophobie rentrée enfin.

      Bientôt notre Etat Monsieur Propre, combattant d’une main le terrorisme islamiste sur notre sol et hors-sol, aura achevé, au moyen de son autre main, de financer, via nos collectivités locales, conjointement avec les Qatar et autres nids salafistes nourris aux pétrodollars, la construction du double des 2000 mosquées déjà construites et actives, aura contribué aux rets étroits d’un Islam « de » France, aura définitivement fermé les yeux et les oreilles sur les poches de charia exponentielles qui mitent notre territoire et les libertés.

Photo : T. Guinhut.

 

      Faudra-t-il alors condamner la lecture de Montesquieu, qui, en son fleuron des Lumières, en son Esprit des lois, affirme « que le gouvernement modéré convient mieux à la religion chrétienne, et le gouvernement despotique à la mahométane » ? Que « la religion mahométane, qui ne parle que de glaive, agit sur les hommes avec cet esprit destructeur qui l’a fondée[3] » ?

      Haïr, ou, plus simplement, ne pas aimer, refuser, quelque irrationnel et mal élevé que ce soit, reste-t-il de l’ordre de la liberté d’expression ou de l’injure caractérisée ? Il faudra au législateur, aux associations dénonciatrices, au juge, à l’Etat in fine, bien du zèle collabo, bien du discernement sémantique et philosophique pour trancher. Ne doutons pas que leur compétence éclairée sera sans faille, aussi efficace que la gestion de l’économie et du chômage par notre bel et bon, saint et vénéré Etat, tel qu’il se perfectionne depuis trois décennies pour le bien de ses citoyens choyés. Encore une fois, notre Etat oublie d’entendre Montesquieu, lui qui stipule « qu’il ne faut pas décider par les principes des lois civiles les choses qui appartiennent au droit des gens[4] ».

      Un gigantesque magnétophone contre xénophobie et antisémitisme, un gigantesque Observatoire contre l’islamophobie étendent leurs filets sur les langues, sur les sites internet, les messages de nos smartphones, les propos de comptoir, bientôt les titres de nos bibliothèques publiques et privées… Nous nous aimerons tous la langue ligotée. Nous nous entrelécherons tous les papilles avec des propos aimants. Gare aux langues et aux claviers récalcitrants ! Ce sera législatif, financé (100 millions d’euros pris au fond de nos poches contribuables à merci), répressif. Et pédagogique, vous dis-je ! Comme lorsque les programmes du collège à venir ne stipulent parmi l’étude des religions qu’une seule obligatoire, l’Islam, quand le Christianisme ne doit guère mettre en avant ses réalisations morales, intellectuelles et artistiques ; n’ordonnent que l’étude de l’esclavage (européen bien sûr) et de la colonisation (forcément abjecte) aux dépens des Lumières optionnelles…

      Pédagogique, vous dis-je ! Comme un conte de bonne maman à l’usage des citoyens : « Ma mère-grand, que vous avez de grandes oreilles ! – C’est pour mieux écouter, mon enfant. – Ma mère-grand, que vous avez de grands yeux ! – C’est pour mieux voir, mon enfant. –Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents ! –C’est pour te manger ![5] » Et en disant ces mots, le méchant Etat se jeta sur le petit citoyen, et le mangea.

      La cause est entendue. Taisons nous donc. Les grandes oreilles de l’Etat-Dumbo nous écoutent. Big ear is watching you, aurait chuchoté Orwell, réécrit par Edward Snowden[6]. Vous ne m’avez pas entendu. Je n’ai rien dit. D’ailleurs « je » n’existe plus. « Dire » n’existe plus. « Rien » n’est même plus une chose. Les lois n'ont plus d'esprit. Seul reste le silence des tombes profanées. Mais remboursées par la Sécurité sociale en faillite…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 


[1] Tacite : Annales, II, XXVII, Garnier, sans date, p 155.

[2] Montesquieu : L’esprit des lois, XXIX, XVI, Garnier 1961, t II, p 293.

[3] Montesquieu : ibidem, XXXIV, III, p 135 et 137.

[4] Montesquieu : ibidem, XXVI, XX, p 189.

[5] Charles Perrault : Le Petit Chaperon rouge, Contes des fées, Le Livre Club du Libraire, 1957, p 25.

Partager cet article
Repost0
9 avril 2015 4 09 /04 /avril /2015 17:29

 

Lichen sur une épave, Marais de La Groie, Saint-Clément, Île de Ré.

Photo : T Guinhut.

 

 

 

 

Tout peut changer, sauf Naomi Klein :

 

Le manichéisme à l’assaut du capitalisme.

 

et à la rescousse du changement climatique.

 

 

Naomi Klein : Tout peut changer. Capitalisme & changement climatique,

traduit de l’anglais (Canada)

par Geneviève Boulanger et Nicolas Calvé,

Actes Sud / Lux, 640 p, 24,80 €.

 

 

 

      Plus tenace qu’un lichen indicateur d’absence de pollution, Naomi Klein récidive avec virulence. Au moins on ne peut lui reprocher ni son manque de constance, ni son avancée parmi de nouveaux champs politiques. Faux courage en fait que celui d’enfoncer avec vigueur des portes déjà ouvertes, de marteler les thèses à l’emporte-pièce, de statufier la doxa anticapitaliste de l’or blanc dont on fait les mausolées de marbre rouge. C’est là son troisième ouvrage de poids, cette fois pour nous persuader, si nous n’avions pas déjà connaissance de l’évidence, que le climat est à l’agonie, que la planète terre frôle l’apocalypse, et qu’il suffit de pourfendre l’éternel chevalier noir qu’est le capitalisme toujours coupable, pour que notre blanche chevalière soit le héraut du rétablissement de la pureté écologique ! Si l’on ne peut que saluer les qualités d’opiniâtreté et d’investigation de l’ambitieuse essayiste, il faut se résoudre à dénoncer son manichéisme, ses prémisses et conclusions hallucinées.

      La passionaria de l’anticapitalisme militant avait fourbi ses armes avec le fer anti-mondialisation en publiant un lourd opus, No logo[1], qui se voulait dénoncer la dictature des marques. Il suffisait de penser un instant que le consommateur peut cesser de consommer tel produit et d’afficher son crocodile, peut créer à son tour marques et non-marques, pour voir tout cet édifice pseudo-intellectuel s’écrouler dans le ridicule. C’est alors qu’elle fomenta La Stratégie du choc[2] qui fustigeait les politiques d’austérité, sans prendre conscience que nous ne souffrions pas de trop de capitalisme, mais de trop d’étatisme. Il lui restait assez de clairvoyance pour constater que les stratégies économiques et politiques n’étaient évidemment ni celles des tendres, ni celles de purs esprits seulement préoccupés du bien des populations. On est en droit aujourd’hui de se demander si cette clairvoyance n’avait qu’un œil d’aveugle, qui aurait pris chaud un jour de sursaut climatique.

      Qu’il existe des catastrophes climatiques, personne ne peut le nier. Là Naomi Klein joue sur du velours. Inondations immenses par le Mississipi ou le Brahmapoutre, assauts marins contre les côtes en Vendée… Cependant, si l’on excepte pour le second cas la déforestation excessive des pentes, bien présomptueux celui qui ferait un lien avéré de cause à effet entre l’activité humaine et ces désastres. L’urbanisation des rives, des côtes et des deltas, de plus en plus intensive, multiplie les dégâts, alors que l’Histoire ne se prive pas de mentionner, depuis le mythique déluge, des pluies, des tornades et typhons, des sécheresses, des hivers terribles. Si l’on relit l’Histoire du climat d’Emmanuel Leroy-Ladurie[3], n’apprend-on pas qu’un optimum climatique régna pendant le chaud Moyen-âge, que la Loire gelait, que le vin gelait dans les barriques, sous Louis XIV, lorsqu’une longue période froide s’abattit sur l’Europe. Sans que la main visible de l’homme y fut pour quelque chose, y compris depuis la fonte des glaciers, avérée depuis la fin du XVIIIème siècle.

      Qu’il existe également des déprédations immenses sur le paysage, du fait de vastes entreprises capitalistes, là il faut l’avouer, le dénoncer avec Naomi Klein : les sables bitumineux exploités comme par un bulldozer chtonien dans l’Alberta sont hélas assez impressionnants pour l’attester. Mais les décisions des gouvernements, prétendument écologiques, sont parfois pires que le mal contre lequel ils veulent lutter : fermer les centrales nucléaires allemandes après Fukushima est aussi irrationnel que contreproductif. En effet les centrales thermiques au charbon, les mines de lignite (dont l’une est aussi vaste dans la Rhur que la ville de Lyon) entraînent une pollution au CO2 et aux particules fines sans précédent, si l’on excepte les temps révolus du smog en Angleterre, des pluies acides venues des industries de l’ex-Allemagne de l’est.

      Le remède prôné par Naomi Klein est le suivant : « planifier et interdire ». Que l’on se laisse persuader avec elle par l’accumulation des agressions environnementales commises par les grandes entreprises d’extraction des combustibles fossiles est une chose, mais il est à craindre que le remède soit pire que le mal. Que l’on souhaite avec elle que les individus et les entreprises autogérées prennent en main la production d’autres énergies, certes, mais il faut la convaincre (quoiqu’à l’idéologue nulle argumentation ne sera audible) qu’il s’agit là de ce qu’elle abhorre : la « main invisible » du marché et du libéralisme.

      Les « guerriers du climat », les « zadistes » de la « Blocadie », sont les élus du cœur militant et rougeoyant de Naomi Klein. Que le droit naturel et celui de la propriété doivent se défendre contre une agression environnementale, nous en conviendrons. Mais nous ne sommes pas sûr qu’avec de tels acteurs que ce soit « l’amour qui sauvera la planète » (oui, il s’agit bien du titre d’une des parties de cet opus).

      De Tchernobyl à la mer d’Aral, en passant par la Chine, les pays communistes ont été et sont les pires pourvoyeurs de pollution et de destruction des espaces naturels et humains. Parce qu’un projet collectiviste chapeauté par un parti totalitaire avait pris des décisions aberrantes. Si les pays capitalistes ne sont pas à l’abri de décisions politiques et économiques aux conséquences désastreuses, ce qu’il reste de démocratie ainsi que les multiplicités des acteurs économiques indépendants, des consommateurs et propriétaires privés des terrains peuvent avoir voix au chapitre pour contester et porter des initiatives plus propices à un espace écologique vivable et productif. C’est en fait ce que réclame Noami Klein, mais sous le drapeau d’un projet iréniquement totalisant, voire absolument totalitaire : « sous l’égide d’un programme cohérent destiné à protéger l’humanité à la fois des ravages d’un système économique d’une injustice féroce et d’un système climatique déstabilisé ». Pourtant, elle n’est pas sans reconnaître « une peur légitime envers ce que certains appellent le fascisme vert ».

      Comment, dans un combat capitalisme contre climat, ce dernier donné gagnant à cent contre zéro, peut-on asséner un tel pavé sur la tête du lecteur en faisant précéder le parti-pris, la foi, avant l’enquête ? Comment en des matières aussi complexes et incertaines que le climat, qui plus est l’anticipation climatique, peut-on foncer bille en tête, sans nuances ni concessions, avec tant d’immodestie péremptoire, d’hubris en un mot ? Sans compter que l’anticapitalisme primaire, soviétoïde, libertaire, idéaliste en diable, aurait dû faire long feu, du moins pour tout cerveau doué d’un minimum de raison et de capacités d’observation de la réalité qui nous entoure…

 

 

      On n’a pas vu l’Ile de Ré, si basse sur l’eau, être submergée par la fonte des glaciers. Car si la banquise arctique s’est considérablement réduite depuis quelques décennies (ce qui n’a aucune influence sur le niveau des mers), mais semble depuis peu s’étendre de nouveau, si les glaciers, dont ceux du Groenland diminuent bien, la calotte glaciaire antarctique, elle, atteint des surfaces de plus en plus étendues. Si le siècle précédent a vu la température planétaire très légèrement s’affoler, on observe depuis deux décennies une stabilisation.

      Aussi, la foi apocalyptique du GIEC en un réchauffement climatique inexorable ne cesse de gagner des affidés, malgré les bidouillages de données, malgré l’évidence de leur industrie intellectuelle au service de leur propre domination sur les esprits et les subventions qui ne submergent que leur modestie scientifique.

      Quoique souvent ostracisés, et au premier chef par Naomi Klein, les climato-sceptiques ne sont pas que des abrutis ou d’affreux capitalistes qui s’en mettent plein les poches en sifflant « advienne que pourra ». Pourtant l’on sait bien que la longue histoire de la planète a connu bien des alternances de réchauffements tropicaux, de glaciations, aux conséquences bien pires que celles d’aujourd’hui pour les créatures vivantes. Les taux de CO2 ont pu être parfois supérieurs grâce aux seules activités de la nature. Sans compter que l’augmentation de ce taux a pour conséquence heureuse un reverdissement visible par satellite, donc une activité agricole plus propice.

      Qui, hors les associations et politiques écologistes, les scientifiques arrosés de financements destinés à gonfler leurs études acquises à la thèse du réchauffement anthropique, profite donc de la manne venue des taxations et des décisions publiques ? Eh bien le capitalisme de connivence avec les Etats et les organisations internationales, au détriment du capitalisme réellement libéral, et in fine, du consommateur et du citoyen attaché à la qualité de son environnement. Ainsi, nous risquons nous seulement de plomber notre économie, mais de retarder les recherches qui mènent à de nouvelles énergies aussi propres que rentables. La science, pourtant déontologiquement sceptique,  devient l’otage d’une doxa idéologique, dans le cadre d’une guerre contre la science[4]

      On ne peut douter que des lobbys politiques encouragent les réchauffistes, alors même que des lobbys industriels attachés aux énergies fossiles financent des climato-sceptiques... Que penser des scientifiques qui, au contraire, observant en particulier les cycles de l’activité solaire, prédisent une mini ère glaciaire à venir ? Si cela s’avérait vrai, ne doutons pas que le coupable serait tout désigné. Qui donc ? Mais bon sang, c’est bien sûr : le capitalisme lui-même tel que l’éternité le change…

      Ce sont pourtant des entreprises tout ce qu’il y a de plus capitalistes et de plus innovantes (que la « main invisible du marché soit louée !) qui inventent des composants photovoltaïques de plus en plus performants, des exploitations du gaz de schiste de plus en plus inoffensives, des moyens de recycler le pétrole, le plastique, y compris celui flottant sur les océans. Bientôt, n’en doutons pas, nos transports n’aurons plus besoin des énergies fossiles, mais d’hydrogène, d’eau, de thorium. Qui sait ce que demain inventera pour nos villes et nos forêts soient bien plus vivables…

        Est-ce à dire qu’il ne faut pas lire Naomi Klein ? Certes non. Mais avec l’œil du sceptique scientifique et politique. On lui saura gré d’accumuler des exemples de ravages de l’activité humaine sur la nature et sur la santé humaine. De dénoncer « le commerce de la pollution ». D’offrir les apparences d’une livre savant bourré de notes. Et de cirer la langue de bois, entre « décombres du néolibéralisme » et « forces progressistes ». Nous avions déjà signalé combien le discours écologiste n’avait fait que verdir les vieux habits rouge du marxisme léninisme[5], il est à craindre que le nouveau livre de messe de Naomi Klein en soit une plus indigeste preuve qu’espéré…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 


[1] Naomi Klein : No logo. La tyrannie des marques, Actes Sud, 2001.

[2] Naomi Klein : La Stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud / Leméac, 2008.

[3] Emmanuel Le Roy Ladurie : Histoire du climat depuis l’an mil, Flammarion, 1967.

[5] Voir : Pour une archéologie de l'écologie politique : d'Ovide et Rousseau à Sloterdijk

 

Anse du Martray, La Couarde, Île de Ré. Photo : T Guinhut.

Partager cet article
Repost0
4 février 2015 3 04 /02 /février /2015 13:18

 

Iglesia de Santa María de Sádaba, Zaragoza, Aragon.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

De l’argument spécieux des inégalités.

 

Rousseau, Marx, Arendt, Piketty,

Norberg, Jouvenel, Hayek...

 

 

 

 

      La justice serait-elle au côté du pauvre quand l’injustice assure les biens du riche ? Les inégalités se propagent et se creusent, pense-t-on faussement, fomentant monstrueusement la bassesse de la pauvreté. Prendre au riche pour enrichir le pauvre est alors, pense-t-on naïvement, la solution idoine. Cependant, en paraissant assurer la légitimité morale et économique de l’intervention étatique, au moyen de la redistribution, au service de l’égalité et du bonheur économique, l’argument des inégalités, cet argument apparemment éclatant, destiné à tromper les naïfs, n’est-il pas spécieux, faux enfin ? Ne vaut-il pas mieux s’intéresser à la pauvreté, à ces causes, et lever les barrières qui l’empêchent de devenir richesses… Plutôt que de se servir de l’argument spécieux des inégalités pour transformer les sociétés en une contre-utopie corsetée, appauvrie, ne faut-il pas mieux se servir de l’argument de la pauvreté, scandaleuse en soi, pour rendre à la cité ses libertés ?

 

De Rousseau à Marx, le réquisitoire contre le riche

       Souvenons-nous que l'humanité ne fut d'abord qu'absolue pauvreté, qu'égalité dans la plus abjecte pauvreté ; hors l'inégalité naturelle des forces physiques et intellectuelles. Bientôt, chefs de clans et princes s'enrichirent, par la prédation, le pillage, l'impôt, tandis que cultivateurs, artisans et entrepreneurs purent néanmoins améliorer leur conditions. Poursuivant sa course, le capitalisme contribuait à la prospérité d'une part croissante de l'humanité.

      Toutefois, une archéologie des inégalités, pour reprendre le concept de Michel Foucault[1], ne doit omettre ni Rousseau, ni Marx. Le philosophe des Lumières était assez éclairé pour séparer les deux natures de l’inégalité : « Je conçois dans l’Espèce humaine deux sortes d’inégalité ; l’une que j’appelle naturelle ou physique, parce qu’elle est établie par la Nature, et qui consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du corps, et des qualités de l’Esprit, ou de l’Àme ; l’autre qu’on peut appeler inégalité morale, ou politique, parce qu’elle dépend d’une sorte de convention. […] Celle-ci consiste dans les différents privilèges, dont quelques-uns jouissent au préjudice des autres, comme d’être plus riches, plus honorés, plus puissants qu’eux, ou même de s’en faire obéir.[2] »

      Cependant, Rousseau, en clamant que la décision de clore un terrain en proclamant « Ceci est à moi », lui fit jeter un anathème malvenu sur la propriété privée : « Vous êtes-perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la Terre n’est à personne[3] ». Donc, in fine, une réprobation sans appel sur la propriété entrepreneuriale et capitaliste. Au point de vouloir « qu’on établisse de fortes taxes […] sur cette foule d’objets de luxe, d’amusement et d’oisiveté[4] » ; forgeant ainsi le principe de l’impôt fortement progressiste, non seulement sur la richesse mais ce sur quoi l’Etat se permet indument une réprobation morale. Etait-ce encore, de la part de Rousseau, Lumières ? Il est permis d’en douter, face à un autre essayiste de l’Enlightenment : l’économiste Adam Smith qui préféra, aux causes de l’inégalité les causes de la richesse des nations[5]

      Digne -en dépit de leur indignité commune sur ce point- successeur de Rousseau, Marx ordonna : « L’égalité comme raison du communisme en est la justification politique », non sans mentionner que « pour surmonter la propriété privée réelle, il faut une action communiste réelle[6] ». Le remède ultime et supérieur aux inégalités serait donc la confiscation, l’interdiction de la propriété privée. Ce que confirment les « mesures » réclamées par cette désastreuse déclaration d’intention qu’est Le Manifeste communiste : « Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l’Etat. Impôt sur le revenu fortement progressif. Abolition du droit d’héritage ; confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles. Centralisation du crédit entre les mains de l’Etat, au moyen d’une banque nationale à capital d’Etat et au monopole exclusif. » L;on ne s’attardera pas ici sur la « Centralisation entre les mains de l’Etat de tous les moyens de transport et de communication » et sur le « Travail obligatoire pour tous[7] »… Le communisme, intrinsèquement et génétiquement tyrannique, aux conséquences historiques meurtrières et totalitaires que l’on sait, bien plus que la propriété selon Proudhon - qui d’ailleurs nuança son propos -, c’est le vol.

Jean-Jacques Rousseau : Œuvres , Dupont, 1823.

Photo : T. Guinhut.

 

 

Inégalités planétaires et doxa selon Piketty

      Voici le type de réquisitoire qu’aime développer à l’envi l’icône de la doxa contre les inégalités -nous avons nommé Thomas Piketty- : 350 millions de personnes les plus pauvres de la planète équivalent aux 85 personnes les plus riches de cette même planète, les premiers vivant avec 486 dollars, les second avec 20 millions de dollars. De plus, au sein des pays développés, le revenu des 10% de plus riches est 9,5 fois plus élevé que celui des 10% les plus pauvres, selon le journal L’Humanité[8]. Malgré notre confiance plus que prudente envers un organe communiste, on doit supposer que l’information est crédible. Doit-on, de plus, croire l’information selon laquelle les 1% les plus riches soient en passe de posséder plus que le reste des habitants de la planète ? Affirmation fort sujette à caution, ne serait-ce que parce qu’elle ne tient pas compte de la mobilité des fortunes. Alors, la cause est entendue : l’écrasante inégalité qui règne sur le monde est le péché originel du capitalisme.

      Si, selon Thomas Piketty, « les inégalités se sont réduites en France au XXème siècle », malgré la persistance de l’inégalité des revenus, c’est moins par l’augmentation à peu près continue des taux d’imposition pour les plus riches, que par l’augmentation du pouvoir d’achat qu’a permis la croissance de la productivité -quantitative et qualitative- du capitalisme. Pourtant, vient arguer Piketty, ces inégalités, criantes avant la première guerre mondiale, se sont réduites au travers des « chocs subis par le grand capital », guerres, inflation et crises économiques, mais la cause majeure en est l’impôt progressif sur l’accumulation des patrimoines. Notre diva de l’économie est cependant plus mesurée en sa conclusion que l’on pourrait l’attendre sur ce terrain : « L’impôt progressif a le mérite d’empêcher que ne se reconstituent des situations analogues à celle qui prévalaient à la veille de la première guerre mondiale, et sa mise à mal pourrait avoir pour effet de long terme une certaine sclérose économique[9] ». Ah, qu’en termes prudents ces choses-là sont dites ! Alors que cette sclérose économique va s’aggravant en France depuis trois décennies, passant aujourd’hui de la sclérose en plaque au cancer généralisé…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      L’on sait, depuis Le Capital au XXIème siècle[10] que Piketty a conclu à un fort accroissement des inégalités patrimoniales et de revenus depuis les trente dernières années parmi les pays développés. Pour lui, le rendement du capital aurait tendance à croître au-delà du taux de croissance. En conséquence de quoi, il préconise, outre un impôt sur les hauts revenus jusqu’à 80 %, une taxation mondiale du capital. On n’a pas manqué de contester sa méthode et sa thèse. Il n’est pas sûr que les évaluations des patrimoines mobiliers soit fort objectives. De plus il faut invalider sa prémisse selon laquelle les grandes fortunes n’ont de cesse de croître. Bien des nouvelles fortunes mondiales sont fort récentes, d’autres, plus anciennes, se sont érodées, la mobilité est plutôt la règle, signe d’une prime à l’inventivité plutôt qu’au capital lui-même. Enfin le capitalisme de connivence avec l’Etat est omis par Piketty, au point de penser qu’il soit un frein oublié au développement des entreprises concurrentielles, donc de la démocratisation de l’enrichissement. L’idéologie postmarxiste, quoique invalidée par les faits, a de beaux jours -ou plutôt d’affreuses nuits- devant elle, secourue par la démagogie. L’on sait que ce livre, quoique son auteur affecte de rejeter l’auteur du Manifeste communiste, se veut un rejeton scientifique de l’opus de Karl Marx. Or, lourd et verbeux, bourré de tableaux et de courbes, il est plus acheté que lu, en tant que garant de l’idéologiquement correct et de l’aura de solidarité dont il aime s’entourer.

      Il est de plus battu en brèche par maintes analyses, dont la plus pertinente et accessible est celle menée sous la direction de Jean-Philippe Delsol, Nicolas Lecaussin et Emmanuel Martin, et intitulée Anti-Piketty. Vive le capital au XXI° siècle[11], dénonçant une mystification économique et idéologique. Raisonnements lacunaires, chiffres tordus et tyrannie fiscale sont les mamelles du pikettisme, alors que les inégalités n’ont cessé de décroître sur la planète depuis surtout un demi-siècle, grâce à la mondialisation du capitalisme libéral. L’ultra-égalitarisme du sieur Piketty, gourou de son état, mènerait sans nul doute à une débâcle économique et sociale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le rôle positif des inégalités

      Mais au Siècle des Lumières, il n’y a pas place que pour l’égalité imposée par la volonté générale du Contrat social rousseauiste. Répondant à la question de la reproduction des richesses inégales par les privilèges et les héritages, Diderot rétorque légitimement : « A chacun son mérite » […] « En même temps que le mérite sera plus honoré, la cupidité diminuée, le prix de l’éducation mieux senti, les fortunes seront moins inégales. [12] » Plus tard, en 1848, c’est-à-dire la même année que le Manifeste communiste, Adolphe Thiers, contribue à l’idée de la moralité des inégalités : « De la transmission héréditaire proviennent de nouvelles inégalités acquises, qui, s’ajoutant aux inégalités naturelles, produisent certaines accumulations qu’on appelle la richesse. Ces accumulations n’ont rien de contraire à l’équité, car elles n’ont été dérobées à personne, contribuent à l’abondance commune, servent à payer les produits les plus élevés de toute industrie perfectionnée, et, nées du travail, se dissipant et périssant par l’oisiveté, présentent l’homme récompensé ou puni par la plus infaillible des justices, celle du résultat[13]. » Ce qui permet au péché capital de la cupidité et de l’avarice de trouver le moyen d’être utile au capitalisme libéral qui irrigue la société entière[14]. Reste évidemment, pour compenser les inégalités de départ liées à l’héritage, autant financier que culturel, d’assurer l’éducation gratuite pour tous, ne serait-ce que par le chèque éducation, seule redistribution qui demeure un investissement indispensable.

      Plus tard encore, Fukuyama, en 1992, déplie la défense des inégalités : « Les sociétés de classe moyenne sont destinées à rester fortement inégalitaires à certains égard, mais les raisons en seront de plus en plus imputables à la différence naturelle des talents et à la division économiquement nécessaire du travail. On peut interpréter en ces termes la remarque de Kojève selon laquelle l’Amérique de l’après-guerre a effectivement réalisé la « société sans classes » de Marx ». Alors que « le projet marxiste a cherché à promouvoir une forme extrême d’égalité sociale aux dépens de la liberté[15] », c’est-à-dire l’égalité du goulag, hors quelques dignitaires soviétiques au sommet de leur sphère, inégalité plus extrême et plus honteuse que tout autre, parce que non seulement économique, mais aussi politique, de plus sans le moindre espoir de sortir des bas-fonds. Ce qu’a contrario permet le capitalisme libéral, qui ne s’est pas gêné pour assurer aux masses une aisance que n’eurent pas rêvé ni le zek ni le kolkhozien…

      Certes, les inégalités spoliatrices, c’est-à-dire acquises par le vol et la tyrannie, par exemple dans la possession des terres en Amérique latine aux dépens des petits propriétaires, des indigènes, sont moralement et pénalement condamnables devant le tribunal du droit naturel. En revanche les inégalités attribuables au travail et au mérite ne sont que positives et n’ôtent rien aux pauvres, qui, au contraire, trouvent à en profiter grâce à l’accroissement de l’activité concurrentielle, de l’offre, corrélé à la baisse des prix. À condition, une fois encore, que la fiscalité ne gonfle pas ces derniers…

      Il faut alors percevoir que les inégalités ont un rôle positif : dans la mesure où les pauvres sont motivés à créer de la richesse, où les jeunes générations choisissent de faire fonctionner l’ascenseur social, dans le cadre de la liberté des échanges et de la mondialisation. Ce que confirme Johan Norberg : « contrairement à ce qu’on pourrait penser, les inégalités entre les pays ont diminué constamment depuis le début des années 1970. […] les économistes mesurent habituellement le degré d’inégalité à l’aide du coefficient Gini [qui] pour le monde entier est passé de 0,6 en 1968 à 0,52 en 1997, soit une baisse de plus de 10 %.[16] » Malgré quelques exceptions notoirement socialistes et communistes, théocratiques et soufflées par la guerre, le mouvement d’augmentation du niveau de vie ne semble pas près de s’arrêter.

      Une étude de l’Institut Economique Molinari[17] bat en brèche l’argument des inégalités en pointant que les émoluments des cent Présidents Directeurs Généraux les mieux payés au Canada équivalent à 171 fois le salaire moyen. Horreur ! Mais cette même étude offrait un calcul fort simple : divisant cette colossale rémunération par le nombre de leurs salariés (2 423 530), l'on obtient 326 dollars par an, soit 90 cents par jour, ou encore 0,7 % de hausse salariale. Dérisoire… Comme quoi la redistribution est parfaitement vaine. Pire encore, en imaginant que cette dernière soit assurée par l’Etat, le coût prohibitif de sa gestion la rendrait encore plus pitoyable, sans compter les dommages ravageurs à l’encontre de la société toute entière, privées non seulement du savoir-faire de ces patrons, mais également de leur dévouement à leur propre porte-monnaie qui est la source du dévouement de l’économie à la prospérité générale. Loin de contribuer à cette dernière, la redistribution contribue à la détruire. Vouloir à toute force et par idéologie recourir à la surabondance de la redistribution épuisant les acteurs économiques serait de l’égalitarisme forcené, au même titre qu’une tyrannie économique et sociale voisine du totalitarisme.

      L'on s’amusera en citant Michel Onfray qui, dans une perspective nietzschéenne, parvient à une réelle pertinence, en animalisant poétiquement l’égalité, intrinsèquement envieuse et revancharde : « Un triangle noir sur le dos / La tarentule prêche l’égalité. / Animal de la vengeance / Elle nomme justice / Sa haine et son aigreur. / La tarentule prêche l’égalité ; / Araignée de la jalousie / Elle déteste ce qui est / Fort et puissant. / Bête du ressentiment / Elle calomnie le monde / La vie et la vigueur. / La tarentule prêche l’égalité.[18] »

      Méfions-nous donc de l’égalité : outre son Envie prête à dévorer la liberté d’autrui, elle entraîne bien trop souvent la pauvreté de l’envieux. Autant l’inégalité devant le droit est à proscrire, autant les inégalités de richesses sont à considérer dans leur perspective dynamique d’enrichissement général… Tocqueville savait que « les peuples démocratiques ont un goût naturel pour la liberté. […] Mais ils ont pour l’égalité une passion ardente, insatiable, éternelle, invincible ; ils veulent l’égalité dans la liberté, et, s’ils ne peuvent l’obtenir, ils la veulent encore dans l’esclavage. Ils souffriront la pauvreté, l’asservissement, la barbarie, mais ils ne souffriront pas l’aristocratie[19] ». Tout est dit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’Ethique de la redistribution selon Jouvenel

      L’Etat est un « minotaure », accuse en 1951 Bertrand de Jouvenel, dans son Ethique de la redistribution ; surtout lorsque devenu Etat-providence, il use de son usine à gaz à redistribuer les revenus. Son omnipotence fabrique des assistés aux dépens non seulement des plus riches, mais des classes moyennes ; « et, tout compte fait, encombré du fardeau de ses multiples engagements, il n’applique les consignes de la redistribution que dans sa façon de prélever l’argent, et non dans sa manière d’en faire profiter largement sa population[20] ». Ainsi  « tout pouvoir de redistribution signifie un surcroît de pouvoir dévolu à l’état[21] ». Ce qui ne laisse pas d’être inquiétant, ne serait-ce que dans le domaine culturel, aux dépens du pluralisme. La conclusion de Bertrand de Jouvenel est sans appel : « les pouvoirs publics n’ont d’autre choix, s’ils veulent donner à tous, que de prendre à tous. […] les familles aux revenus faibles dans leur ensemble, versent au Trésor public davantage d’argent qu’elles n’en retirent.[22] » Ce qui ne vaut pas pour celles qui sont sans travail et ne vivent que des subsides alloués par l’Etat, qui par là-même, au moyen de sa sur-fiscalité et d’une législation du travail coercitive, les prive de ce travail qui assurerait leur indépendance…

      Lutter contre les inégalités est trop souvent le masque des parasites politiques et bureaucratiques qui démagogiquement gèrent la redistribution, aux dépens des créateurs de richesses et donc d’emplois. Les inégalités sont bien un argument spécieux, en tant qu’au nom d’une solidarité électoraliste, il sert de levier à l’Etat spoliateur, justicier et stratège, à ses hordes d’élus et de fonctionnaires, en particulier des ministères des finances, ainsi à tous ceux, mus par l’Envie, qui pensent en profiter.

      La redistribution peut rester morale et défendable lorsqu’elle pallie aux handicaps de ceux qui ne peuvent travailler. Hélas, elle a rapidement le grave défaut d’employer une noria de fonctionnaires exponentielle pour sa gestion d’une part, et d’autre part, à partir d’un seuil trop vite atteint, quoique assez subjectif, de décourager les entrepreneurs dont la motivation financière n’a rien de méprisable, de réduire leurs capacités d’investissement, sans oublier la fuite des énergies au-delà des frontières, comme en témoignent les 400 000 français vivant à Londres, dans un Royaume-Uni ainsi dopé, qui vient dépasser la France, en devenant à son tour cinquième puissance économique mondiale. Pire, s’il en est, la recette publique s’affaiblit alors, la courbe de Laffer venant opportunément vérifier l’adage selon lequel trop d’impôt tue l’impôt.

      Force est de constater qu’une France dont 57% du PIB sont consacrés aux dépenses publiques ne contribue qu’à appauvrir ses habitants et contraindre au chômage une énorme partie d’entre eux ; alors que des pays comme l’Allemagne ou la Norvège, avec un chiffre de 45 % ont un chômage deux fois moindre et une économie bien plus florissante. Tout en criant haro sur les riches, les seuls riches qui paraissent légitimes sont ceux qui, élus et haut-fonctionnaires, vivent au bénéfice de la fiscalité oppressive. Curieusement, ils sont traditionnellement bien moins dépréciés que les chevaliers d’industries et les patrons d’entreprise, du plus aisé au plus modeste. Ce que note Bertrand de Jouvenel : « Pendant toute la période dominée par la société commerciale, depuis la fin du Moyen-Âge jusqu’à nos jours, la fortune du riche marchand a inspiré bien plus de ressentiment que le faste dont s’entouraient les dirigeants.[23] »

      Plutôt que de reprocher aux riches Bill Gates ou François Pinault leurs fortunes insolentes, remarquons qu’ils les ont gagnées en créant des richesses et des emplois, qu’ils la dépensent pour contribuer à la santé, au développement des Africains pour l’un et à l’expressivité et au niveau de vie des artistes pour l’autre ; alors que tant de magnats du pétrole arabique répugnent à élever le niveau de vie et de liberté de leurs citoyens et immigrés…

      La reproduction sociale - si chère à Bourdieu[24] -, si décriée, est pourtant, au-delà de la sélection aristocratique des seuls descendants, une sélection des savoirs, des compétences et des mérites. Pourquoi, au nom de l’origine sociale des parents, faudrait-il se priver de toutes ces qualités, même si cette reproduction est également, pour une grande part celle des inégalités ? Seule la réhabilitation d’une école exigeante et d’une éducation aux nobles ambitions pourra redonner du lustre à l’ascenseur social, de façon à donner leurs chances aux esprits venus des milieux les plus modestes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      La majeure partie des Etats étant furieusement endettée, ce n’est certes pas en taxant les riches, qu’ils se reproduisent de manière endogame ou non, que l’on parviendrait à mieux user de leur argent, mais à le dilapider. Mieux vaut alors faire confiance aux riches et à ceux qui ont la capacité de le devenir pour dynamiser l’économie et la croissance, y compris le porte-monnaie des pauvres. Et se défier de notre Etat. Fiscocratie[25] s’il en est, la France a eu l’ingéniosité de mettre en place cinquante taxes nouvelles en six ans, sans compter la hausse de plus anciennes, quand en 2014, 182 articles de lois fiscales ont été adoptés. Taux de prélèvement obligatoire à 45% du PIB, taux d’impôt maximal sur les sociétés à 38 %. En toute logique, le chômage ne cesse également d’augmenter et dépasse 11 % de la population active, sans compter tous les désinscrits… L’Heritage Fondation publie chaque année un Indice de Liberté Economique. Que croyez-vous qu’il arrive à la France ? Elle est honteusement classée 73ème, après le Kazakhstan et l’Albanie, à cause du poids de l’Etat et de la rigidité de la législation du travail.

      Autour de la France et de quelques pays idéologiquement rétrogrades à son image, le monde s’enrichit, la pauvreté recule sur la planète, les classes moyennes renforcent leur nombre, les riches se multiplient. L’extrême pauvreté (moins de 1,25 dollar par jour) a reculé de cinquante pour cent depuis 1990. Et cela grâce, non au communisme et aux systèmes de redistribution étatiques, mais à la mondialisation capitaliste. C’est bien ce que note Johan Norberg, dont le Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste remplace avantageusement (et plus lisiblement) Piketty : « Au cours du demi-siècle qui vient de se terminer, le développement matériel a permis de sortir plus de trois milliards de personnes de la pauvreté[26] ».

      Ainsi, l’on peut reprendre une réflexion d’Hannah Arendt, jetée parmi son Journal de pensée, en 1955, vérifiant une fois de plus sa perspicacité : « À propos de « Property and Equality » : c’est une erreur que de croire qu’on peut parvenir à l’égalité caractéristique de l’homogénéité grâce à l’ « equality of condition » […] donc par l’homogénéité des rapports de propriété. […] c’est l’homogénéité du troupeau qui se met en place.[27] » Du troupeau à l’abattoir totalitaire, il n’y a qu’un pas ; en effet, assure-t-elle, « L’égalité de condition parmi leurs sujets a été l’un des principaux soucis des despotismes et des tyrannies depuis l’Antiquité[28] ». Voilà, s’y l’on n’y prend garde, à quoi peut mener la lutte étatique contre les inégalités économiques. Au nom du « mirage de la justice sociale ou distributive », l’injustice passe son rouleau compresseur sur la société entière. Hayek savait cela bien avant 1976 lorsqu’il écrivit : « Aussi longtemps que la croyance à la « justice sociale » régira l’action politique, le processus doit se rapprocher de plus en plus d’un système totalitaire[29]. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      L’on peut se demander d’ailleurs dans quelle mesure un anarchiste et socialiste libertaire comme Proudhon ne frôle-t-il pas cette dimension totalitaire en étant si persuadé : « J’ai démontré […] que l’inégalité des fortunes, bien qu’en vertu de conventions expresses et dans l’intérêt des relations économiques elle puisse être l’objet d’une certaine tolérance, n’a rien en soi cependant de nécessaire et d’humain ; qu’en tant qu’elle est le fait de la nature, c’est un accident auquel la prudence du législateur, l’habileté de l’économiste, la sagesse du pédagogue, sont appelés à porter remède ; en tant qu’elle résulte de l’anarchie politique, mercantile et industrielle, une violation du droit ». Il prétend à « une certitude désormais invincible[30] » !

      Un argumentaire aussi fin, rigoureux, que synthétique vient à point pour répondre à Proudhon et pour étayer notre thèse : Harry G. Frankfurt, professeur émérite à l’Université de Princeton, publiait en 2015 un bref et roboratif essai, sous le titre d’On Inequality, volontairement laconique. Ce n’est pas à la pensée égalitariste que nous devons faire allégeance, à fin de démagogie, mais à la nécessité morale d’éradiquer la pauvreté. Que « certains ne possèdent pas assez » est un problème autrement pressant que celui de savoir si d’autres possèdent trop, d’autant plus que le curseur du trop est sujet à caution. Il y a bien un vice intellectuel à vitupérer contre les inégalités plutôt que contre la pauvreté, en fait ce qui anime le préjugé est moins l’altruisme que la virulence de l’envie, du pouvoir désiré d’arracher la richesse au profit de sa tyrannie prétendument au service de tous. Car « une répartition égalitaire des revenus ne maximise pas nécessairement l’utilité agrégée ».

      Le « conflit entre égalité et liberté » est trop souvent oublié, surtout lorsqu’intervient l’argument du mérite et de l’excellence du travail récompensé au service de l’humanité. De plus « exagérer l’importance morale de l’égalité économique s’avère nuisible, parce que cela est aliénant. En agissant ainsi, on sépare l’individu de sa réalité propre, et on l’incite à focaliser son attention sur des désirs et des besoins qui ne sont pas authentiquement les siens ». Avec De l’inégalité[31] Harry G. Frankfurt fait œuvre salubre, digne d’être lue : la réflexion économique est également morale, non sans souligner, bien plus que l’exigence de l’égalité, celle du respect d’autrui.

 

      Au-delà des forces d’imposition (dans les deux sens du mot) que sont le socialisme et le théocratisme, l’individualisation de la richesse permet sans nul doute les progrès des conditions, des mœurs et de l’esprit humain, sans empêcher en rien - au contraire - ses dimensions spirituelles et culturelles : « La meilleure manière de comprendre la vague individualiste est sans doute de la considérer comme une forme luxueuse de l’être-dans-le-monde[32] », affirme avec justesse Peter Sloterdijk. Ainsi l’argument spécieux des inégalités et de la redistribution étatique est balayé par celui, nettement plus efficace, de l’enrichissement des pauvres au moyen de la mondialisation des initiatives et du capitalisme libéral. Alors qu’incessamment le David de la pauvreté socialiste tente de terrasser le Goliath de la richesse, en se gonflant de lui jusqu'à en éclater, il faut se rendre à l’évidence : en vérité, le David de la richesse tend à terrasser le Goliath de la pauvreté.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 


[2] Jean-Jacques Rousseau : Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Œuvres III, Gallimard, Pléiade, 2003, p 131.

[3] Jean-Jacques Rousseau : ibidem, p 164.

[4] Jean-Jacques Rousseau : Sur l’économie politique, Œuvres II, Pléiade, 1968, p 276.

[5] Adam Smith : Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations, PUF, 1995.

[6] Karl Marx : Economie et philosophie, Œuvres II, Pléiade, 1968, p 98.

[7] Karl Marx : Le Manifeste communiste, Œuvres I, Gallimard, Pléiade, 1963, p 182.

[8] L’Humanité.fr, 28 décembre 2014.

[9] Thomas Piketty : Les Hauts revenus en France au XXème siècle, Grasset, 2014, p 547, 548.

[10] Thomas Piketty : Le Capital au XXIème siècle, Seuil, 2013.

[11] Anti-Piketty. Vive le capital au XXI° siècle, sous la direction de Jean-Philippe Delsol, Nicolas Lecaussin et Emmanuel Martin, Libréchange, 2015.

[12] Denis Diderot : « Réfutation d’Helvétius », Œuvres politiques, Garnier, 1963, p 475.

[13] Adolphe Thiers : De la Propriété, Paulin, Lheureux et cie, 1848, p 96.

[15] Francis Fukuyama : La Fin de l’Histoire et le dernier homme, Flammarion, 1992, p 328-329.

[16] Johan Norberg : Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste, Plon, 2003, p 44-45.

[17] Etude publiée sur Contrepoints : http://www.contrepoints.org/2015/01/04/193268-reverser-aux-salaries-le-salaire-des-patrons-90-cents-par-employe

[18] Michel Onfray : Bestiaire de Nietzsche, Galilée, 2014, p 43.

[19] Tocqueville : De la Démocratie en Amérique, II, II, 1, Œuvres, t II, Gallimard, Pléiade, 2001, p 611.

[20] Bertrand de Jouvenel : L’Ethique de la redistribution, Les Belles lettres, 2014, p 106.

[21] Bertrand de Jouvenel : ibidem, p79.

[22] Bertrand de Jouvenel : ibidem, p 113.

[23] Bertrand de Jouvenel : ibidem, p 120.

[24] Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron : La Reproduction sociale, Minuit, 1970.

[26] Johan Norberg : ibidem, p 20.

[27] Hannah Arendt : Journal de pensée, Seuil, 2005, p 741.

[28] Hannah Arendt : Les Origines du totalitarisme, Quarto Gallimard, 2010, p 632.

[29] Friedrich A. Hayek : Droit, législation et liberté, II Le Mirage de la justice sociale, PUF, 1981, p 82.

[30] P J. Proudhon : De la justice dans la révolution et dans l’église, Garnier, 1858, p 380

[31] Harry G. Frankfurt : De l’inégalité, Markus Haller, 2017.

[32] Peter Sloterjik : Ecumes, Sphère III, Hachette Pluriel, 2006, p 737.

 

Constellation de la Balance, cadran solaire de Bianchini,

Chiesa Santa Maria degli Angeli, Rome.

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
21 janvier 2015 3 21 /01 /janvier /2015 17:54

 

Condorcet : Vie de Voltaire, Imprimerie de la société littéraire-typographique, 1789.

Voltaire : Mélanges, 1764. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Tolérer Voltaire

 

& retrouver notre sens politique :

 

du Fanatisme au Traité sur la tolérance.

 

 

 

 

      Décidément Voltaire est intolérable. Auteur de tragédies post-raciniennes fastidieuses, de contes pour sujets de commentaires littéraires lors de l’épreuve du Baccalauréat, d’une correspondance pléthorique (24 000 lettres en treize tomes de la Pléiade), de divers textaillons intolérablement boutefeux qu’il vaudrait mieux laisser dormir au secret… Pourtant, lire Voltaire, c’est retrouver notre sens politique ; ce que nous montrerons grâce au badinage de quelques extraits de la tragique Mort de César, de l’érotique Pucelle, du fanatisme dans la Henriade et Mahomet, à moins d’oublier les billevesées de l’ « Horrible danger de la lecture », de la « Liberté d’imprimer » et du « Traité sur la tolérance ». Auxquelles il faudra d’importance apporter le correctif de Karl Popper.

       Face à César, Brutus est un farouche républicain. Si l’on sait que le héros a mauvaise presse, tant il fut l’assassin du premier empereur en ensanglantant les dernières scènes de la tragédie, si l’on n’approuve pas l’acte criminel, il est chez Voltaire un défenseur des libertés. Ecoutons-le :

« Je déteste César avec le nom de roi ;

Mais César citoyen serait un dieu pour moi ;

Je lui sacrifierais ma fortune et ma vie.

César :

Que peux-tu donc haïr en moi ?

                        Brutus :

                                                           La tyrannie. »

       Quand César prétend que « Rome demande un maître », Brutus répond en usant de l’exemple de Sylla :

« Longtemps dans notre sang Sylla s’était noyé ;

Il rendit Rome libre et tout fut oublié.[1] »

        Qui a dit que les tragédies de Voltaire étaient ennuyeuses et pompeuses ? Certes, il n’ajoute guère aux qualités du vers racinien qui l’a précédé, à l’imitation de l’Antiquité qui était le crédo des Classiques, mais, en 1735, la pensée des Lumières est bien là, dans la tradition du Traité du gouvernement civil de Locke et de L’Esprit des lois de Montesquieu, lorsqu’il défend la démocratie et la liberté romaines contre l’absolutisme impérial qui sera celui d’Auguste et de ses successeurs[2].

        Au noble sérieux de la tragédie, Voltaire sut plus tard opposer un humour fort coquin. Dans La Pucelle, il conte, une fois de plus en vers, la vie de la pucelle d’Orléans, en d’autres mots Jeanne d’Arc, quoique d’une façon passablement irrévérencieuse. Voulez-vous savoir, aux yeux du roi, « Comment elle eut son brevet de pucelle » :

« Jeanne lui dit : O grand sire, ordonnez

Que médecins, lunettes sur le nez,

Matrones, clercs, pédants, apothicaires,

Viennent sonder ces féminins mystères :

Et si quelqu’un se connait à cela,

Qu’il trousse Jeanne, & qu’il regarde là.[3] »

        On consulte ici une édition de 1780, prétendument publiée à Londres, sous le manteau, quoiqu’à Paris, chez Cazin, modestement classée parmi les curiosa ou erotica, tant l’irrespectueux humour envers la sainte patronne de la France choqua. Ce qui nous semble aujourd’hui bénin, d’une légère gaillardise rabelaisienne, passait pour fortement indécent, voire blasphématoire, et risquait d’être brûlé, tant ce texte, publié anonymement en 1755, attirait les foudres du clergé et du pouvoir royal. Pourtant un peu d’humour ne ternit en rien la vertu de celle qui défendit sa patrie contre l’invasion étrangère, donc encore une fois la liberté. Certes, Jeanne est ici une grossière servante qui doit garder sa pureté pendant un an, faute de quoi la France serait perdue, qui est poursuivie par les assiduités du démon hermaphrodite Conculix, puis d’un baudet qui lui sert de coursier, avant de céder après le temps requis à de beaux bras amoureux ; mais cette parodie libertine de poème chevaleresque ne fait pas de mal à une mouche, sauf aux esprits chagrins qui s’imaginent blessés par quelques centaines de décasyllabes. La satire anticléricale va jusqu’à rire des ébats des soudards aux dépends de moniales ; du moine Lourdis qui vit au « règne de la Sottise ». Dévots fanatiques, écartez-vous prestement du chemin de Voltaire…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Ainsi une pièce -irreprésentable aujourd’hui- quoique par ironie dédiée au Pape Benoît XIV qui la reçut avec grâce en 1741, accable une autre religion : Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète. Ce dernier est haï par Zopire qui ne voit en lui qu’un imposteur, fanatique instigateur du meurtre de sa femme et de ses fils. Le prophète fomente de faire assassiner Zopire par Séide, car il a de plus le bonheur intolérable d’être aimé par Palmire. Le prophète engage Séide au meurtre, ce devoir commandé par Allah. Aussitôt après avoir exécuté l’ordre abject, l’assassin expire à son tour au moyen d’un poison obligeamment offert par Mahomet. Palmire, privée de son amant, se tue sous les yeux de celui qui voit disparaitre l’objet de ses désirs.

        Cette tragédie fit se lever les foudres de la controverse. La critique virulente de toute forme de fanatisme, de superstition, sans oublier la soumission à l’arbitraire du dogme, fit passer Voltaire, que l’on sait pourtant déiste, pour un indécrottable athée. Depuis, la pièce est top souvent taxée d’ « une faible valeur littéraire[4] ». Quoique… Rien n’est moins sûr en effet. Dès les premiers vers le talent rhétorique et politique de Voltaire est redoutable. Ainsi fait-il tonner Zopire :

« Qui ? moi, baisser les yeux devant ces faux prodiges !

Moi, de ce fanatique encenser les prestiges ! »

Ce à quoi lui répond le sénateur de la Mecque, Phanor :

« Mahomet citoyen ne parut à vos yeux

Qu’un novateur obscur, un vil séditieux :

Aujourd’hui c’est un prince, il triomphe, il domine,

Imposteur à la Mecque, et prophète à Médine,

Il sait faire adorer à trente nations

Tous ces mêmes forfaits qu’ici nous détestons. »

Plus loin, dans l’acte II, le lieutenant Omar répond de Séide :

« Séide est tout en proie aux superstitions ;

C’est un lion docile à la voix qui le guide. »

      On n’y verra bien entendu aucune anachronique allusion au terrorisme islamiste de notre siècle. D’autant que ce Séide, qui eut la chance de passer à la postérité par antonomase en devenant un nom commun, est solidement assermenté par Omar :

« J’ai mis un fer sacré dans sa main parricide,

Et la religion le remplit de fureur.»

Et si Séide a la présomption d’hésiter, le voilà conspué, excité par son maître :

« On devient sacrilège alors qu’on délibère.

Loin de moi les mortels assez audacieux

Pour juger par eux-mêmes et pour voir par leurs yeux !

[…] Obéissez, frappez ; teint du sang d’un impie,

Méritez par sa mort une éternelle vie. »

        Assez ! La cruelle clairvoyance de Voltaire est intolérable ! Qu’on l’embastille et le censure ! Surtout après avoir entendu Séide se préparer à obéir :

« Affermissez ma main saintement homicide.

Ange de Mahomet, ange exterminateur,

Mets ta férocité dans le fond de mon cœur ![5] »

      Non seulement Voltaire est ici un fin psychologue, en mettant à nu les mécanismes de la sujétion au fanatisme, mais il exécute une précieuse satire religieuse et politique, sans donner le moindre crédit au prétendu délit de blasphème, au service de la lutte contre l’obscurantisme, donc au service de la liberté des Lumières.

        Le fanatisme est aussi, hélas, chrétien, quoique en contradiction totale avec le message du Christ dans les Evangiles. C’est au cœur de La Henriade, une épopée de 1723, dans laquelle Henri IV met fin aux fratricides guerres de religion, entre catholiques et calvinistes, épopée prétendument ratée, prolixe et touffue, que des vers formidables tonnent :

« La Discorde attentive en traversant les airs,

Entend ces cris affreux, & les porte aux Enfers.

Elle amène à l’instant de ces Royaumes sombres,

Le plus cruel Tyran de l’Empire des ombres.

Il vient, le FANATISME est son horrible nom :

Enfant dénaturé de la Religion,

Armé pour la défendre, il cherche à la détruire,

Et reçu dans son sein, l’embrasse & le déchire.[6] »

        Qui a dit que la poésie était une bluette, une niaiserie sentimentale ? Poète engagé, dont le style ici allégorique peut ne pas convaincre, Voltaire l’est pourtant supérieurement.

Frontispice de 1768 pour La Henriade de Voltaire. Photo : T. Guinhut.

 

        Cependant la prose de l’auteur de Candide, sait être tout aussi vigoureuse, ne pas rater d’un pouce la cible des superstitions obscures. Comme en un bref essai aiguisé par l’ironie : « De l’horrible danger de la lecture ». Sous la forme d’une lettre, d’une ordonnance, Voltaire imagine en 1765 un « mouphti du Saint-Empire ottoman », nommé par dérision « Joussouf-Chéribi », qui « par la grâce de Dieu », se met en tête « de condamner, de proscrire, anathémiser ladite infernale invention de l’imprimerie ». Mais pourquoi, nous direz-vous ? Elle tend en effet à « dissiper l’ignorance, qui est la gardienne des Etats bien policés », à proposer « des livres d’histoire dégagés du merveilleux ». Qui sait si « de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d’éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit avoir jamais de connaissance » ? C’est alors que « nous serions assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat énorme contre les ordres de la Providence ». Ne croirait-on pas entendre Boko Haram (ce qui signifie livres impurs) : « nous défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle […] nous défendons expressément de penser ». Voilà l’édit prononcé dans le « palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l’an 1443 de l’hégire[7] ». Le blâme paradoxal est succulent, fort d’une ironie corrosive et joviale. C’est par l’absurde que le mouphti se décrédibilise, ridiculisé par la caricature, qui, hélas, est trop souvent réaliste, y compris au IVème siècle des Lumières.

Voltaire : Mélanges, 1764. Photo : T. Guinhut.

      Ainsi la voltairienne « Liberté d’imprimer » préconise : « En général, il est de droit naturel de se servir de sa plume comme de sa langue, à ses périls, risques et fortune. Je connais beaucoup de livres qui ont ennuyé, je n’en connais point qui aient fait de mal réel. […] Mais paraît-il parmi vous quelque livre nouveau dont les idées choquent un peu les vôtres (supposé que vous ayez des idées), ou dont l’auteur soit d’un parti contraire à votre faction, ou, qui pis est, dont l’auteur ne soit d’aucun parti : alors vous criez au feu ; c’est un bruit, un scandale, un vacarme universel dans votre petit coin de terre. Voilà un homme abominable, qui a imprimé que si nous n’avions point de mains, nous ne pourrions faire des bas ni des souliers [Helvétius, De l’Esprit, I, 1] : quel blasphème ! Les dévotes crient, les docteurs fourrés s’assemblent, les alarmes se multiplient de collège en collège, de maison en maison ; des corps entiers sont en mouvement et pourquoi ? pour cinq ou six pages dont il n’est plus question au bout de trois mois. Un livre vous déplaît-il, réfutez-le ; vous ennuie-t-il, ne le lisez pas. »

      On peut cependant rétorquer à notre philosophe, même avec un brin d’anachronisme, qu’il eût dû connaître quelques livres qui aient fait du mal réel. Ce sont ces volumes aux contenus totalitaires et génocidaires : le Coran, le Manifeste communiste, Mein Kampf, Le Petit livre rouge… Quoique l’on puisse arguer que ce sont moins ces livres que les hommes qui les manient qui font le mal[8]

 

 

         Si Henri IV était le héros historique de la tolérance, Voltaire en son Traité de la tolérance, en est enfin le héraut. Son chapitre XIII, « Prière à Dieu », est à cet égard éclairant. Comme un pasteur protestant, le philosophe déiste tutoie Dieu : « Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais […] que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelées hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution. » Ce bel aveu de modestie est une ode au respect des différences, mais pas au point de tolérer la différence intolérante du fanatisme : « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes[9] ». Que ce texte militant soit né en 1763, à l’occasion de l’affaire Calas, et des funestes querelles entre catholiques et protestants, à peu de choses près révolues, n’enlève rien à son universalité, à son éternité.  

        Comment pourrions-nous respecter la tradition des Lumières, sans, comme Voltaire, être irrespectueux envers les baudruches sanglantes des tyrannies politiques religieuses ? C’est seulement ainsi que l’on pourra retrouver notre sens politique : « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur[10] », disait Figaro. Blâmer les théocraties, les fanatismes mahométans, communistes ou nazis, reste un voltairien devoir de la liberté. Il faudra donc, pour honorer la liberté et l’humanité, tolérer celui qui, comme Peter Sloterdijk, « se fonde sur l’éthique de la science universelle de la civilisation[11] », tolérer enfin  Voltaire.

 

Mais à ce vœu pieux il est nécessaire d’ajouter un correctif, celui du paradoxe de la tolérance, tel qu’avec brio et clarté il est énoncé par Karl Popper et que nous citons in extenso : « Le paradoxe de la tolérance est moins connu : Une tolérance illimitée a pour conséquence fatale la disparition de la tolérance. Si l’on est d’une tolérance absolue, même envers les intolérants, et qu’on ne défende la société tolérante contre leurs assauts, les tolérants seront anéantis, et avec eux la tolérance. Je ne veux pas dire par là qu’il faille toujours empêcher l’expression de théories intolérantes. Tant qu’il est possible de les contrer par des arguments logiques et de les contenir avec l’aide de l’opinion publique, on aurait tort de les interdire. Mais il faut toujours revendiquer le droit de le faire, même par la force si cela devient nécessaire, car il se peut fort bien que les tenants de ces théories se refusent à toute discussion logique et ne répondent aux arguments que par la violence. Nous devrions donc revendiquer, au nom de la tolérance, le droit de ne pas tolérer les intolérants. Il faudrait alors considérer que, ce faisant, ils se placent hors la loi tout mouvement prêchant l'intolérance se place hors la loi et que l’incitation à l’intolérance est criminelle au même titre que l’incitation au meurtre, par exemple[12] ».

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Voltaire : La Mort de César, III, 4, Théâtre, t I, Garnier, sans date, p 168-169.

[3] Voltaire : La Pucelle, chant second, A Londres, 1780, p 44.

[4] Dictionnaire des œuvres, Laffont-Bompiani, 1958, t II, p 324.

[5] Voltaire : Le Fanatisme ou Mahomet le prophète, Théâtre, ibidem, p 226, 251, 252, 253.

[6] Voltaire : La Henriade, Genève, 1768, p 88.

[7] Voltaire : « De l’horrible danger de la lecture », Mélanges, Gallimard, Pléiade, 1995, p 713-714.

[8]  Voltaire : Dictionnaire philosophique, J. Bry ainé, 1857, t IV, p 223.

[9] Voltaire : « Traité sur la tolérance », Mélanges, ibidem, p 638.

[10] Beaumarchais : Le Mariage de Figaro, V, 3, La Trilogie de Figaro, Club des Libraires de France, 1959, p 294.

[11] Peter Sloterdijk : La Folie de Dieu, traduit de l’allemand par Olivier Manonni, Libella/Maren Sell, 2008, p 188.

[12] Karl Popper : La Société ouverte et ses ennemis, Seuil, 2011, t I, p 222.


 

Voltaire : Correspondance avec les souverains, Baudoin, 1828.

Voltaire : La Pucelle, 1775. Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
12 janvier 2015 1 12 /01 /janvier /2015 11:27

 

Marais de la Groie, Les Portes-en-Ré, Charente-Maritime.

Photo : T. Guinhut.

  

 

 

 

Requiem pour la liberté d’expression :

 

De la censure,

 

entre Milton et Darnton,

 

Charlie & Zemmour.

 

 

 

 

        Charlie Hebdo, Eric Zemmour, Michel Houellebecq, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélanchon, Anne Onyme, Salman Rushdie sont les garants de notre liberté d’expression. Ces joyeux et tristes sires ne rencontrent certes pas forcément  l’assentiment de tous, y compris de l’auteur de ces lignes, mais quelques soient leurs vérités et leurs erreurs, ils restent une espèce à préserver devant les ciseaux et les kalachnikovs de la censure. Censures qui peuvent être le fait de nos propres médias, de nos propres juges, de notre Etat, voire des individus et des associations maniant la cancel culture et ses annulations idéologiques, ou de l’autocensure que nous nous imposons à corps défendant, devant celle mortelle de l’Islam obscurantiste. Pour éclairer l’ombre de notre contemporain, ne faut-il pas recourir à deux livres fondamentaux : l’Areopagitica de Milton et le De la Censure de Robert Darnton, et ainsi mieux interroger la chronique d’une République vermoulue et menacée, autant de l’intérieur que de l’extérieur.

  Milton, fondateur de la liberté de la presse

         Un préalable indispensable à notre culture libérale et des Lumières fut écrit en 1644 par Milton : l’Areopagitica ou liberté d’imprimer sans autorisation ni censure. Le philosophe sait que les livres sont « aussi vifs, aussi puissamment féconds que les dents du Dragon de la fable : avec un champ ainsi tout ensemencé peut-être en jailliront des guerriers en armes. Toutefois réfléchissons aussi que si l’on opère sans circonspection, autant, presque, tuer un Homme que tuer un bon livre ». Ce père du libéralisme politique et précurseur des Lumières réclamait à l’acmé de son essai : « Par-dessus toutes autres libertés, donnez-moi celle de connaître, de m’exprimer, de discuter librement selon ma conscience[1] ». Phrase que reprendront à leur manière les grands classiques du libéralisme, de Voltaire à Tocqueville, en passant par Benjamin Constant…

        En ce sens, la censure viole le droit naturel à la liberté d’expression. Si cette dernière s’arrête là ou commence l’injonction publique à la violence et au meurtre, elle s’étend de la Déclaration universelle des droits de l’homme au premier amendement à la Constitution américaine. Rappelons à cet effet la loi française du 29 juillet 1881 sur la liberté d’expression, qui régit l’imprimerie, la librairie et la liberté de la presse, et stipule en son article premier que « la librairie et l’imprimerie sont libres. » En d’autres termes la liberté d’expression va jusqu’à englober celle de dire le faux, le scandaleux, l’inacceptable… Celui qui accepte d’entendre les erreurs, les offenses et les billevesées de l’autre, permet que l’autre accepte la liberté d’émettre ce que l’un pense être, peut-être à tort, judicieux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Charlie Hebdo contre les religions

 

         Combien l’humour, même graveleux, indigne, reste une assurance contre la certitude des pisse-froids, puritains et fanatiques de tous bords ! Que ces derniers apprennent à le supporter, à rire malgré eux ! Si nous ne pouvons que pleurer les crayons de la liberté fauchés par le terrorisme islamiste, si nous ne dénions pas un instant le droit indéfectible de la satire, n’en oublions pas que le rire rabelaisien, grossier et à l’emporte-pièce de Charlie Hebdo, si fier de sa liberté d’expression caricaturale, n’en réclamait pas moins d’interdire le Front National, que leur amalgame, dans leurs charges tous azimuts contre les religions, n’en mettaient pas moins ces dernières toutes sur le même plan, alors qu’il est indéniable qu’elles n’ont pas toutes les mêmes qualités de tolérance, de paix et de civilisation[2]. Les Chrétiens ne se précipitent pas pour assassiner une poignée de dessinateurs ou de cinéastes (comme Théo Van Gogh en 2004 aux Pays-Bas) aux cris de « Christ Roi », ni les Juifs aux cris de « Moïse vaincra » ! On se demande par ailleurs si un tel attentat, au lieu de frapper Charlie Hebdo, avait frappé Minute ou La Croix, eût un tel retentissement nécessaire…

        Quelle que soit la teneur du blasphème, à l’occasion d’un coup de feutre ridiculisant Mahomet, ce chef d’accusation n’a pas un instant à être reconnu par quelque institution, association, Etat que ce soit ; à l’encontre par exemple de la Turquie ou du Pakistan, semi-théocraties de sinistre réputation. Hélas, le parlement français a voté une résolution en faveur de la reconnaissance d’un autre sinistre lieu, la Palestine, lieu terroriste s’il en est,  qui n’a heureusement pas abouti, alors que l’antisémitisme, y-compris français, ne cesse de vilipender l’Etat d’Israël, rare démocratie libérale du Proche-Orient. Ce qui n’est pas sans contribuer, outre l’insécurité chronique, au départ de 7000 Juifs français, en 2014, vers Israël. La France, comme à peu près déjà la Suède, pour les mêmes raisons islamiques, serait-elle en passe de devenir « Juderein », c’est-à-dire sans Juifs, pour n’avoir pas su les protéger de l’intolérable ? Attentats, exactions ; bien plus que le blasphème contre ces derniers.

        Nous occidentaux, élevés au lait de Voltaire et des Lumières, du pardon du Christ et des sciences de l’interprétation du Judaïsme, nous avons, en notre tolérance béate, financé une pléthorique immigration arabo-musulmane, laissé le Quatar acheter le football, financer les banlieues, des imams prêcher à tort et à travers, nous avons toléré deux mille mosquées en France et autres associations culturelles musulmanes, qui n’étudient guère Les mille et une nuits[3], ni Al Fârâbî commentant ainsi Platon : « Puis il rechercha dans un de ses livres si l’homme doit ou non préférer la sécurité et la vie accompagnée de l’ignorance, un mode de vie bas et de mauvaises actions[4] ». Ces mosquées et associations qui ânonnent plutôt le Coran et les Hadiths, textes mortifères s’il en est. Nous n’avons pas su séparer le bon grain de l’ivraie, le Musulman adepte d’une religion intime, républicaine et réformée, du Musulman qui applique à la lettre les surabondantes injonctions coraniques et des hadiths au djihad et au meurtre des Juifs, Chrétiens, Athées, Apostats, Homosexuels, Femmes et autres individus libres. Car la vie du prophète Mahomet est profuse en assassinats d’opposants ; et en particulier d’un poète satirique qui le contestait, occurrence significative de la censure assassine en l’origine d’une religion totalitaire, incompatible avec la liberté d’expression occidentale. Ce que ne se privent pas de dénoncer des essayistes et des philosophes musulmans, comme Ibn Warraq, dans son Pourquoi je ne suis pas musulman[5]

        Pensez-vous que les caricatures contre l’Islam soient la seule motivation d’une frange de terroristes ? Oubliez-vous que les Chrétiens du Nigéria n’ont pas l’excuse du blasphème contre un prophète pour se faire massacrer par Boko Haram, que Malala ne voulait qu’étudier avant d’être outrageusement blessée au Pakistan ? Laïcaphobie et christianophobie meurtrières n’ont qu’un motif : la racine totalitaire de l’Islam. Qui ne supporte évidemment pas les interventions militaires françaises (peut-être inutiles d’ailleurs) au Mali, en Centrafrique, en Irak… De facto, l’Islam - pas tous les Musulmans, faut-il le répéter ? - est consubstantiellement, une censure.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Quant aux « contenus islamophobes » qui devraient être « signalés » au gouvernement, faut-il en déduire que toute critique argumentée, fondée sur les textes du Coran et autres publications voisines, doive être soumise à la censure d’Etat ? Non seulement la liberté de la presse et du net serait alors bafoué, mais il s’agit là d’un déni d’intelligence ! Saurons-nous séparer les réelles incitations à la violence de la critique raisonnée ? Est-ce par ailleurs trop demander que d’enjoindre l’Islam à se réformer, comme le réclament d’ailleurs bien des Arabes, d’abandonner ses versets et commandements mortifères et sexistes, comme l’ont fait les Chrétiens et les Juifs au sujet des bien plus rares occurrences semblables que l’on trouve au détour du Deutéronome et du Lévitique ?

        La seule justification de la censure ne se trouve-t-elle pas dans la loi lorsqu’elle pénalise la diffamation ainsi que l’incitation à la violence, comme lorsque des rappeurs furent condamnés pour avoir appelé en leurs chansons à tuer des « flics ». De plus, l'article 421-2-5 du Code pénal dispose que « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l'apologie de ces actes est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende », et précise que « les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne ». Hélas, à ce dernier compte, alors qu’une apologie ne soit pas en soi un acte criminel, il faut craindre que les tribunaux des banlieues chariaisées soient aussitôt encombrés et pris d’assaut… L’infraction pénale caractérisée par « l’association criminelle en relation avec une entreprise terroriste » est déjà conceptuellement assez floue pour que l’on risque d’inculper quelqu’un qui n’est que susceptible d’agir sans avoir agi, quoiqu’il soit difficile de contester qu’en la matière il soit nécessaire de prévenir plutôt que de guérir l’inguérissable. N’omettons pas de craindre que l’on n’y surajoute de nouvelles et orwelliennes surveillances bridant la liberté et la confidentialité du citoyen non criminel sur le net[6].

        Hélas, le seul fait que l’on puisse, par le biais d’associations, porter plainte, voire aboutir à une condamnation pénale, pour incitation à la haine en fonction de la religion, du sexe, de l’ethnie, de l’orientation sexuelle ou du handicap, malgré les intentions louables, laisse à la porte ouverte à la censure ; donc ferme de fait le bec à la liberté d’expression. Or la haine est peut-être un sentiment moralement condamnable, un vice, mais pas un acte, pas un crime. Où ira-t-on si l’on peut faire condamner quelqu’un au motif qu’il vous offense par des mots, des images, dont la plus immense majorité ne leur est, qui plus est, pas personnellement adressée... L’Etat n’a pas vocation à criminaliser les mots, les images, sinon il est le complice des tyrannies, s’il n’en est pas déjà une.

        À cet égard, les lois Pleven, Gayssot, Taubira contribuent à rogner en France, patrie des droits de l’homme, la liberté d’expression. En 1972, la loi Pleven, qui se veut antiraciste, réprime « la provocation à la discrimination, à la haine ou la violence », assimilant mots et intentions à la violence en actes. En 1990, la loi Gayssot interdit le négationnisme des « crimes contre l’humanité », tout en ne s’appliquant qu’aux crimes du nazisme, et non à ceux du communisme et de l’Islam. Retouchée en 2010 et 2011, elle condamne la négation des génocides reconnus par la loi, comme le celui des Arméniens. En 2001, la loi Taubira, intime aux programmes scolaires et de recherche le devoir d’accorder « à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente qu’ils méritent », s’agissant de l’Amérique, de l’Afrique et des Caraïbes, en passant sous silence les autres occurrences de l’esclavage. Interventions intempestives de l’Etat dans la discipline des historiens, dans le langage, confusion de l’expression de sentiments et de pensées, quoique stupides, infondées et insultantes, avec des crimes, la loi française n’épargne pas ses intrusions parmi le champ de la liberté d’expression[7]. Y compris s’il s’agit de faire l’apologie du cannabis, certes désastreux, y compris lorsque que le syndicalement et politiquement corrects taisent le débat sur le monopole indu de la sécurité Sociale

        Ainsi la déjà citée loi Gayssot (du nom d’un député communiste) du 13 juillet 1990, permet-elle également de « réprimer tout propos raciste, antisémite ou xénophobe » : «  toute discrimination fondée sur l'appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion est interdite ». Nous sommes évidemment consternés d’entendre des propos anti-juifs ou anti-arabes, résultats de préjugés ineptes et de généralisations infâmes. Mais combien de propos de comptoir faudrait-il condamner et ainsi encombrer nos tribunaux qui ont mieux à faire ? Il est évident alors qu’à gauche (et à droite, terrorisée par les diktats moralisants de la bonne conscience morale de gauche) l’on vise d’abord les personnalités politiques et médiatiques en vue qui doivent se poser un bâillon mental sur le cerveau dès lors qu’une constatation réaliste, qu’une analyse ou proposition frôle l’aire de l’immigration en nos douces banlieues. D’autant que le terrain de chasse d’associations subventionnées dont c’est le fond de pouvoir et de commerce (et qui évitent de s’attaquer au racisme anti-blanc et de faire siennes les préoccupations féministes et humanistes de Ni Putes ni Soumises) est tout tracé. Ainsi la Licra ou SOS Racisme deviennent, malgré leurs premières et honorables indignations, de nouveaux inquisiteurs. L’enfer -le sait-on ?- est pavé des meilleures intentions. Ces princes de la moralité, plus virulents qu’un clergé qu’ils ont évincé (tout en évitant de s’attaquer aux vitupérations des imams) veillent avec leurs affidés nombreux sur chaque demi-mot énoncé par les représentants politiques et autres journalistes. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Eric Zemmour et le suicide de la liberté

 

         Il est loisible de ne pas apprécier le personnage d’Eric Zemmour et ses idées nettement réactionnaires et colbertistes, mais il est également le garant de nos libertés en perdition. Sa condamnation au nom de l’antiracisme fut une honte, le suicide de la liberté. Mais, au-delà du fusible qu’il représente, nombre d’opinions et analyses présupposées incorrectes sont la cible de l’ostracisme des associations, des juges, du et des pouvoirs. A l’occasion de la montée controversée de l’Islam, les ciseaux infâmes de la censure sont-ils de retour ? Que fait Amnesty International en ne dénonçant pas la France comme un pays attentatoire à la liberté d'expression ? Que penser de la récente décision d’i-Télé d’obtempérer à l’injonction du Parti Socialiste qui demanda la tête médiatique d’Eric Zemmour ? Légitime droit d’une chaîne privée à licencier qui ne lui convient pas, ou chasse aux sorcières, maccarthysme socialiste ?

        En effet, Eric Zemmour eut l’impertinence sur Canal Plus, le 6 mars 2010, de prononcer les phrases suivantes : « Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c'est comme ça, c'est un fait ». Les employeurs « ont le droit » de refuser ces derniers. Il fut depuis condamné à verser 2000 euros d'amende pour « provocation à la discrimination raciale ». Vérité bâillonnée, selon les uns, déplorable racisme selon les autres. Certes, le chroniqueur doit sa condamnation à ce qui serait une incitation à la discrimination à l’embauche. Prenons-la plutôt pour une revendication de la liberté de choisir, même si des critères de couleur de peau et d’origine culturelle sont a priori ridicules, sans compter que l’on consentirait ainsi à se priver d’une éventuelle compétence… Mais au pays des bonnes intentions se propagent les faits têtus.

        L’on sait en effet que les délinquants originaires de l’Afrique du nord sont environ 70% des détenus de nos prisons françaises[8]. Ce qui ne contrarie pas bien sûr le fait avéré qu’une énorme majorité de descendants de cette aire géographique soit respectueuse des lois, et de plus excédée par les comportements inacceptables de leurs coreligionnaires. Un rapport du Sénat de 2008 ne dit pas autre chose[9]. Cette sur-délinquance, niée, minimisée, pour des raisons de mansuétude discriminative, doit être étudiée avec réalisme, mais aussi modestie, devant la complexité des phénomènes que nous avons, il faut l’avouer, bien du mal à percevoir avec objectivité, complétude et nuances.

        Certes on arguera non sans raisons des difficultés économiques et de la discrimination à l’emploi dont peuvent être victimes ces nouveaux arrivants. Mais s’ils sont de la 2° ou 3° génération ? Le bon sens doit remarquer que les immigrés d’origine chinoise ou portugaise n’ont pas le même profil. Sont-ils alors délinquants parce que génétiquement noirs ou Arabes ? Non, bien sûr. Il faut chercher alors dans des explications culturelles, liées à Islam et aux ethnies, ce qu’approcha le sociologue Hugues Lagrange[10] : l’autoritarisme paternel, le code d’honneur machiste imposé au garçon, le mépris du compromis, le fatalisme déresponsabilisant, le peu de liberté féminine sont à la racine du comportement délinquant, même s’il faut se garder des généralisations abusives. Il faut aussi interroger du côté du manque de personnel judiciaire[11] et de saines prisons. Que l’on sache, prévention, éducation et juste répression vont de pair. A moins de la trop française culture de l’excuse qui n’ose réprimer et reste victime du syndrome de Jean Valjean, ce héros hugolien qui vole parce que pauvre et affamé. Outre que nos jeunes voleurs volent plus de consoles de jeu que des miches de pain et que nos dealers de drogues se font quelques milliers d’euros en quelques heures, nous voilà loin d’une conception romantique du délinquant forcément victime des conditions économiques et du capitalisme bien entendu oppresseur. Ce qui permet à la pensée rose et marxiste de s’acoquiner avec ceux qui, croient-ils, sont leurs alliés naturels. Varlam Chalamov[12], qui connaissait  fort bien les prisonniers de droit commun, puisqu’ils étaient ses gardiens et tortionnaires au goulag, a battu en brèche ce cliché. Le délinquant est rarement une victime : il fait des victimes, y compris économiques.

        Reste que les statistiques ethniques sont interdites. Préfère-ton les rumeurs indémontrables, les allégations à l’emporte-pièce ? Certes, les origines métissées et le défilement des générations risqueraient de les rendre illisibles, mais elles pourraient être, non un outil de discrimination négative, mais un savoir qui, appuyé par les connaissances des historiens, des sociologues, ethnologues et criminologues, un outil de pensée et de remédiation fort pragmatique. S’il s’agit de conspuer en bloc les Roms ou les Maliens, la démarche est en effet moralement condamnable (ce qui ne signifie pas pénalement). Mais la connaissance statistique doit être au service de la connaissance des causes particulières et culturelles de la délinquance, de façon à penser autant la prévention que la répression de manière ciblée, au service donc de tous, y compris de ces populations d’origines diverses qui sont aussi les premières à souffrir des affronts répétés aux lois et aux populations. Pire, faute d’analyser, de comprendre et d’envisager des remédiations adaptées, les préjugés vont bon train, entre angélisation et diabolisation des immigrés. La voix du Front National et de Marine Le Pen devient hélas  alors la seule à peu-près audible sur ces questions. A force de s’interdire de penser avec sérénité, il ne reste plus place que pour les éructations, les arguments creux, la démagogie et ce populisme vulgaire, ce que les Grecs appelaient l’ochlocratie, le gouvernement par la populace…

         Comme en un écho d’Eric Zemmour, lundi 4 avril 2011, à Nantes, Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, a expliqué qu’il y avait « très peu de musulmans en France » en 1905 et qu’aujourd’hui, «  on estime qu’il y a à peu près 5 ou 6 millions de musulmans en France ». Il ajouta :  « C’est vrai que l’accroissement du nombre des fidèles de cette religion, un certain nombre de comportements, posent problème » (…)  «  Je dirais tout simplement qu’il n’y a aucune raison pour que la République accorde à une religion particulière plus de droits qu’elle n’en a accordés en 1905 à des religions qui étaient anciennement ancrées dans notre pays  » (…) « il est clair que les prières dans les rues choquent un certain nombre de concitoyens. »  On peut encore une fois ne pas apprécier l’homme, sa pensée. Plutôt que de s’offusquer et de crier à la discrimination et au racisme, pourquoi ne pas contre-argumenter, pourquoi se voiler la face (on aura compris la volontaire allusion) devant de réels problèmes et des propos somme toute raisonnables et, espérons-le, préalables à un assainissement des mœurs profitables à tous, et non, comme le fantasme en court parfois, à un rejet des immigrés à la mer aussi stupide qu’inhumain.

        La censure étatique n’est aujourd’hui que la résultante logique d’une intimidante censure d’un consensus politique, social et intellectuel (donc forcément pseudo-intellectuel), des associations et d’un politiquement correct niveleur intégré au plus profond de la bonne conscience de nombre d’entre nous ; qui trouvent en Eric Zemmour un bouc émissaire d’autant plus révélateur qu’avec les centaines de milliers d’exemplaires vendus de son Suicide français[13] il focalise une sourde envie. Une fois de plus, ce sont le bon et le bien collectifs, après et dans la logique du fascisme et du communisme, aujourd’hui roses et verts, socialisants et écologiques, qui sont à l’origine de cette censure qui avance masquée. Comme une sorte de Big Brother intériorisé, l’oreiller de plume et de plomb qui endort notre pensée critique s’infiltre en tant de domaines, au risque de nous empêcher de penser notre contemporain et donc de remédier à ses dysfonctionnements.

        Quoique l’on pense de l’argumentation erratique et fourvoyée d’Eric Zemmour en son Suicide français, plutôt que de se contenter de polémiquer -non sans raison d’ailleurs- sur sa vision du régime de Pétain qui aurait contribué selon lui à sauver des Juifs, ne vaut-il pas mieux pointer sa nostalgie rétrograde qui inclue de Gaulle et Georges Marchais en une sorte de paradis perdu ? Si d’une manière trop souvent maladroite le polémiste dénonce l’immigration et la gestion pour le moins discutable des gouvernements successifs, on en oublie son antilibéralisme désastreux, tant dans le domaine des mœurs que de l’économie.

 

Deux poids et deux mesures de la presse et de l’opinion

      Alors que Charlie Hebdo fit une de ces couvertures en affublant impunément Christiane Taubira, Garde des sceaux, donc ministre de la Justice, d’un corps de singe, une internaute fut condamnée pour avoir sur Facebook pratiqué le même genre de délicate attention : hélas, cette dame était encartée au Front National, alors que les caricaturistes sont de mordants libertaires d’extrême-gauche. Non, il n’y a pas deux poids, deux mesures, vous dit-on ! Défendons haut le crayon le blasphème de ce même Charlie Hebdo montrant Mahomet sodomisé par le Pape, lui-même par un rabbin, et par une croix et un chandelier à six branches ; et condamnons Christine Tasin pour avoir proclamé -à l’occasion d’une manifestation contre un abattoir de l’Aïd- que « L’Islam est une saloperie » : elle fut en effet d’abord condamnée par le tribunal de Belfort à 3000 € d’amende, quoique relaxée en appel, pour « injure et provocation à la haine raciale ». Ce qui montre encore une fois la confusion pénale entre les actes et les mots. Non, il n’y a pas deux poids, deux mesures, vous dit-on ! Y compris si le grotesque Dieudonné antisémite est interdit de spectacle alors que Charlie Hebdo est plus largement antireligieux. Y compris lorsque les Femen furent relaxées pour la dégradation d’une cloche de Notre-Dame de Paris et que deux épouses de gendarmes, furent, en l’île de Mayotte, condamnées à neuf mois de prison, dont six avec sursis, pour avoir profané une mosquée en déposant une tête de porc. Alors que tant d’églises françaises sont profanées : autels couverts d’excréments, statues brisées… Y compris lorsque l’on appellerait volontiers à censurer Eric Zemmour, tout en sanctifiant nos dessinateurs. Y compris lorsqu’une manifestation de soutien national au journal satirique, donc à la liberté d’expression, dénie le droit au Front National et à Marine le Pen d’en être. Quoique nous pensions de ces derniers[14], la liberté d’expression n’est pas négociable selon les expressions.

      Les choix de l’information ne sont pas innocents. Gageons que l’indignation contre les terroristes islamistes fusillant cinq dessinateurs de Charlie Hebdo n’atteint pas le même retentissement que celle qui devrait s’élever lorsque des policiers ainsi que quatre otages juifs ont également été mitraillés lors de l’attentat contre une supérette kascher. Alors que les agressions antisémites, en particulier dans le XIXème arrondissement de Paris sont monnaie courante… Sans compter que les hurlements de joie pro-terroristes qui embrasent les quartiers nord de Marseille et autres banlieues ne seront guère stigmatisés. Sans compter les élèves qui contestèrent et raillèrent la minute de silence organisée dans des établissements scolaires. Ne soyons pas surpris par ailleurs qu’un tel massacre sur le sol parisien fasse mille fois plus de bruit que le génocide des Chrétiens en cours[15] de par le monde. Ainsi le cri d’alarme grotesque contre l’islamophobie a-t-il une presse qui laisse dans l’ombre judéophobie et christianophobie autrement meurtrières…

      Les tirs d’Israël sur la bande de Gaza font les gros titres, ceux des Gazaouis au mieux les entrefilets. Qui prendra le parti de la seule réelle démocratie libérale du Proche-Orient (malgré son imperfection) contre une bande de corrompus totalitaires islamistes et génocidaires, se verra vouer aux gémonies par la bien-pensance antisioniste (traduisez antisémite), cette fois non pas droitiste, mais gauchiste, quoique Jean-Marie Le Pen fût fort ami avec Sadam Hussein. Il n’est pas indifférent de noter que les Arabes israéliens vivent mieux que ceux de Gaza. Moralité : ces derniers feraient mieux de devenir Israéliens. On imagine qu’une telle proposition, pourtant au service des libertés de l’humanité, ferait hurler…

      De même, les choix historiques sont à examiner avec perspicacité. Un voyage scolaire à Auschwitz est à juste titre une merveille pédagogique et du devoir de mémoire. Mais quid de la Kolyma et des goulags qui, de Trotsky à Staline et au-delà (sans compter Mao, Castro et l’icône romantique du Che Guevara), ont été aussi radicalement abominables ? Mieux vaut alors aller à Buchenwald où le camp a servi d’abord à interner et laisser crever les opposants politiques au nazisme, puis, après 1945, les opposants politiques au communisme. La leçon d’Histoire y est enfin équilibrée.

      L’opinion devrait à juste titre être stupéfiée du traitement de l’information et de l’anathème plus qu’inégalement distribué. Eric Zemmour est un délicat enfant de chœur en face des manifestants pro-charia du 9 avril 2011 à Londres et Paris, rejetant l’application de la loi sur le voile et appelant à l’épuration des mécréants « avec des bombes atomiques ». « L'islam est venu pour dominer le monde y compris la France », annonce un de leur site internet. Ces suprématistes musulmans ne devraient-ils pas être poursuivis devant un tribunal pénal, pour incitation à la haine, à la violence, sans compter leur culte de l’oppression des femmes ? Soudain les âmes de l’antiracisme et de défense des droits de l’homme brillent par leur silence impétueux. Ils préfèrent cette grotesque et pusillanime facilité qui consiste à traquer tout propos susceptible d’islamophobie, à dénoncer les publications argumentées et discutables de « Riposte Laïque », ou les « apéros saucisson pinard », qui après tout ne sont qu’une juste revendication d’un innocent mode de vie, face à des codes alimentaires qui sont de l’ordre de la superstition tyrannique, face aux prières de rues illégales et musclées par des milices religieuses. Cette indignation affreusement sélective permet d’ostraciser à peu de frais quelques catholiques intégristes, certes excessifs, mais bien moins mortifères, sans compter tous ceux que la liberté anime. Ainsi, parler des racines judéo-chrétiennes et gréco-romaines de l’Europe, deviendrait un péché raciste. A quand la dénonciation des Lumières ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Robert Darnton : De la censure

      Hélas, en ce siècle des Lumières, la censure n’abandonnait pas ses fers. Robert Darnton, qui ne manqua pas de faire l’Apologie du livre[16], y situe l’un de ses trois essais réunis sous le titre aussi bref que percutant : De la censure[17]. Comment se manifeste-elle ? Existe-t-il une civilisation, un siècle qui soit indemne des ciseaux et des munitions enclenchés contre la paix des opinions et des convictions ?

      En ce triptyque, le premier exemple choisi par l’historien Robert Darnton relève du XVIIIème siècle français : écrire un conte politique put valoir treize d’internement rigoureux en un couvent à une demoiselle Bonnafon. « Approbation » et « Privilège du Roy » étaient alors indispensables pour qu’un libraire puisse faire paraître un ouvrage. À moins de la faire sous le manteau, prétendument à Londres ou La Haye, avec les risques inhérents à l’exercice. Etonnamment, la censure ne veillait pas seulement à l’orthodoxie religieuse et monarchique, mais parfois aussi à la qualité du style et de l’argumentation. C’est alors que l’on découvre qu’une femme de chambre de Versailles est l’auteure d’un volume circulant en toute discrétion : Tanastès, conte de fée travestissant les amours du Roi d’une manière choquante, et « crime de lèse-majesté littéraire ». Mlle Bonnafon, l’imprimeur et quelques colporteurs furent embastillés. L’histoire est aussi savoureuse que terrible : « elle avait cherché à s’enrichir en diffamant la couronne ». Quoique remerciée par le mépris royal, notre Valérie Trierweiler est aujourd’hui plus chanceuse…

      Moins prestigieuse que les difficultés de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert à la rencontre de la « police du livre », cette affaire est pour Robert Darnton symptomatique de son siècle, à la marge des textes libertins ou athées traqués par le pouvoir. Aux qualités de l’essai d’investigation historique, s’ajoutent celles d’une saisissante galerie de personnages.

      Qualités que l’on retrouve avec plaisir lors de la seconde affaire de censure, située entre « libéralisme et impérialisme » : en Inde britannique du XIXème siècle. Songez qu’en entonnant l’allégorique « Chanson du rat blanc », qui laissait entendre que « les dirigeants anglais ont tout dérobé au pays », Mukunda Las Das écopa de trois ans d’ « emprisonnement rigoureux ». Bien que les Anglais vissent dans le livre « une force civilisatrice », qu’ils dussent promouvoir la liberté de la presse, les chansons bengalies parurent « répugnantes et corruptrices ». Si pouvait y couver la révolte contre l’occupant britannique, les poèmes étaient dits « séditieux » et réprimés comme tels.

      Le dernier volet du triptyque, consacré au XXème siècle, se penche, non, comme on l’aurait trop facilement attendu, sur les noirceurs du nazisme, mais sur celles, symétriques de l’ex-Allemagne de l’Est. C’est alors que, « sept mois après la chute du Mur », Robert Darnton peut rencontrer « deux authentiques censeurs en chair et en os, tout disposés à parler ». Ce sont « des membres loyaux du parti communiste est-allemand et des vétérans de la machine d’Etat à rendre conformes les livres à la ligne du parti ». Tout cela en dépit d’une constitution qui « garantissait la liberté d’expression » ! Las, un certain Walter Janka subit « cinq ans d’isolement carcéral » pour avoir publié Luckas, un auteur pourtant fort marxiste, cependant soudain réprouvé. La « planification » littéraire ne plaisantait pas un instant, afin d’éviter la souillure du modèle communiste et la corruption de l’Ouest capitaliste. On préfère alors le « kitsch socialiste » : « Quand des amants s’embrassent ou se maquillent, ils rendent hommage à la profonde qualité des relations personnelles dans un système affranchi du caractère superficiel engendré par le consumérisme ». Ce serait à pouffer de rire, si ce dernier argument n’était pas encore celui de tant d’anticapitalistes et autres écologistes ! Cette « lutte contre vents et marées pour maintenir un niveau élevé de culture tout en bâtissant le socialisme » est si édifiante, quand les auteurs, adeptes du « Bourgeois tardif », « pouvaient être expédiés en prison ou condamnées aux travaux forcés -l’équivalent du goulag ». On sait combien la Stasi, police politique, était omniprésente ; ce dont témoigne la polémique selon laquelle Christa Wolf elle-même, « qui ne dévia jamais de son adhésion aux idéaux socialistes de la RDA », fut forcée de renseigner le régime…

      Relativisons néanmoins -tant que nous pouvons encore le faire, semble dire Robert Darnton en sa conclusion- notre petite censure qui s’adresserait à un Eric Zemmour. Les trois auteurs pris en cas d’école auraient pu subir bien pire, entre tortures et morts. Cependant notre historien parvient à une thèse fort pertinente : Leo Strauss, dans La Persécution et l’art d’écrire[18], penchait pour la stupidité des censeurs, lui affirme leur « raffinement intellectuel ». Comme en sont capables les fonctionnaires de nos Etats, « en particulier en des temps où il semblerait que l’Etat surveille le moindre de nos faits et gestes ». Ne doutons pas que l’historien du passé et du présent, voire du futur, fasse allusion à la surveillance informatique généralisée qui, si elle doit se renforcer pour traquer le terrorisme, ne doit pas traquer le citoyen libre.

      Avec intelligence, Robert Darnton a mis en scène et fouillé trois curieuses occurrences de la censure d’Etat. Reste un quatrième volet à écrire en appendice à son essai, celui d’une censure mondialisée, la kalachnikov et le couteau d'égorgeur à la main, qui s’appuie sur une injonction sacrée. Citons le Coran qui parait en la sourate cinquième fort bien commencer, alors que la suite est bien moins chez nous citée : « Voici, qui tue quelqu’un qui n’a tué personne ni semé de violence sur terre est comme s’il avait tué tous les hommes. […] Mais voici, après cela, il est sur terre un grand nombre de transgresseurs. Mais ceux qui guerroient contre Allah et ses envoyés, semant sur terre la violence, auront pour salaire d’être tués ou crucifiés[19] ». Les armes sont bien celles de la Folie de Dieu, pour reprendre le titre de Peter Sloterdijk, qui analyse sans ambages le comportement islamiste : « Bien qu’ils ne détiennent aucune autorité savante, les activistes des organisations guerrières actuelles savent se référer aux sourates adaptées. Leurs actes peuvent être bien répugnants, leurs citations sont sans erreurs[20] ». Ces dernières citations étant également sans erreurs, elles n’ont pourtant que le caractère inoffensif de la liberté d’expression et de la réflexion raisonnée…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le spectre de l’autocensure

      A la censure jadis -pas toujours jadis pourtant- d’Etat, s’est substituée une autocensure, qui à l’occasion de l’assassinat des dessinateurs de Charlie Hebdo n’est pas sans avancer son mufle spectral. C’est après de multiples interrogations internes que de nombreux médias étrangers, en particuliers américains, se sont résolus à couvrir l’événement en publiant des photographies contenant des images floutées des couvertures controversées du magazine. Certes, personne n’a le devoir de les publier, et les journaux peuvent légitimement s’appuyer sur l’argument qui consiste à vouloir se protéger et protéger la vie de leurs employés. Ainsi un journal de Hambourg qui vient de les publier vit ses locaux aussitôt incendiés. Il est également loisible de ne pas apprécier l’humour grossier et scatologique, sans oublier encore une fois l’amalgame indigne qui est fait en ces caricatures entre les religions. Mais n’est-ce pas assurer l’avantage de la censure au bout du canon que d’accepter le diktat de l’impubliable ? Ainsi, sous la contrainte criminelle, nous acceptons qu’une liberté soit éradiquée…

      Cette autocensure va jusqu’à confier à des juristes des maisons d’édition les textes à polir et ébarber pour ne pas risquer de contrevenir au politiquement correct, aux lois sur le racisme, aux diktats des associations féministes… Censure populaire et autocensure marchent la main dans la main, dhimmiitude et lâcheté dans le même sac à burqa, lorsqu’en septembre 2014 un spectacle anima la ville d’Angers, présentant des humanoïdes au comportement de primates enfermés dans des cages. Brandissant des Corans, une douzaine de Musulmans insultèrent les comédiens, en les traitant d’ « impurs », au point que le spectacle fut interrompu par le maire UMP, arguant du « désordre public », suspendant du même coup les représentations des autres troupes flouées. De même l'on déprogramme des films qui risqueraient de déplaire à la tyrannie islamique, sous couvert de prudence...

      Inquisiteurs politiques et censeurs puritains relèvent ainsi du même coup leur nez en forme de ciseaux. Notre Etat sait trop bien que sa censure serait impopulaire, quoique s’il savait répondre aux aspirations populaires il ne se gênerait pas pour y recourir. Alors, l'Etat-carpette l’a déléguée en accordant à des associations et autres communautés le droit de traîner en justice le contrevenant à la pensée au nom du préjudice moral et de la nouvelle moralité en marche. Mais c’est aussi une censure volontaire par le peuple lui-même -du moins une intelligentsia à laquelle il faudrait peut-être retirer cette dignité-, donc par un pire pouvoir que le pouvoir lui-même qui le craint, une réplique aberrante de la « servitude volontaire » de La Boétie. L’on demande de ne pas penser, de ne pas penser mal, selon une partisane conception (à laquelle nous n’échappons peut-être pas) du bien, donc forcément de ne pas penser le réel qui n’est, lui, intrinsèquement, ni bien ni mal. Ce réel alors devenu invisible, inanalysable, irrémédiable, n’est plus alors soumis à la critique nécessaire et constructive. On ne l’améliorera plus, on le condamnera à pourrir. Et s’il parait anesthésié, ce sera certainement, en un retour implacable de la vérité des faits, en un retour du refoulé, un réel plus dangereux encore. Lorsque les analystes sereins, les pragmatiques qui se doivent d’œuvrer sur nos réalités pour leur porter remède, doivent se taire, ce sont les démagogues anti-libéraux, du Front national au Front de gauche qui ont le front de nous asséner leurs vérités pré-totalitaires. Ainsi, ne pas vouloir penser l’immigration, l’Islam et les freins étatiques à l’expansion économique et à la liberté d’entreprendre, c’est pratiquer la politique de l’autruche, se mettre la tête dans un sable mouvant, cacher le thermomètre pour ne pas voir monter la fièvre. L’agressivité des associations, des politiques, des intellectuels et des grands soumis à la bien-pensance n’est que le reflet de leur désir d’abattre (quelque soit leur allié provisoire) le capitalisme libéral et d’y substituer leur tyrannie. A moins que la terreur de l’affrontement avec l’islamisme et avec tous ceux qui monopolisent la délinquance soit leur motivation profonde. Il est plus facile d’être vigilant contre les islamophobes, surtout prétendus tels, que contre les islamistes. Contrevenir aux formules de la pensée magique, prononcer certaines opinions ou analyses -certes toujours discutables et dignes d’être si besoin réfutées- est aussitôt susceptible d’une réaction pavlovienne au vocabulaire, taxé au mieux de provocation, au pire de reductio ad hitlerum, jamais de reductio ad stalinum ou reductio ad islamum… Employer des expressions comme « la bombe démographique musulmane », même si l’on appelle de ses vœux un Islam des Lumières, fondé sur une religion privée et non politique et compatible avec la démocratie libérale, suffit pour vous vouer aux gémonies d’une « novlangue[21] » qui ne dit pas son nom, mais qu’Orwell n’aurait pas désavouée.

      Le Léviathan de Hobbes[22] était composé d’une multitude de gens qui s’accolaient pour tenir entre leurs mains les attributs du pouvoir spirituel et temporel. Ce sont ces mille tyrans assemblés sous leur Servitude volontaire qui nous soumettent et nous entravent aujourd’hui aux moyens de leurs injonctions politiques et terroristes. Faudra-t-il imaginer une judicieuse (car elles ne le sont pas toutes) désobéissance civile[23] ? La Boétie décrivait ainsi la condition de qui se soumet volontairement au tyran ; ce que nous dirons au tyran polymorphe de la bien-pensance, religieuse et politique : « Ce n’est pas tout à eux de lui obéir, il faut encore lui complaire ; il faut qu’ils se rompent, qu’ils se tourmentent, qu’ils se tuent à travailler en ses affaires, et puis qu’ils se plaisent de son plaisir, qu’ils laissent leur goût pour le sien […] qu’ils prennent garde à ses paroles, à sa voix, à ses signes, à ses yeux, qu’ils n’aient ni yeux, ni pieds, ni mains, que tout soit au guet pour épier ses volontés et pour découvrir ses pensées. Cela est-ce vivre heureusement ? Cela s’appelle-t-il vivre ?[24] ». Pensons que La Boétie, l’ami de Montaigne, écrivait cela en 1549, à l’âge de dix-huit ans, toujours jeune précurseur du libéralisme politique. Qu’il faut conserver et lire, auprès de Montesquieu et d’Orwell, dans l'intelligence de la bibliothèque universelle, espace de liberté tant qu'il est encore possible. Aux côtés de laquelle Facebook, nos blogs et nos sites internet, où écrire autant des sonnets lyriques que des essais politiques, sont de formidables instruments de liberté d’expression, une revendication de libre création face aux asservissements religieux et politiques de tous bords.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      En 2019, la situation ne fait que s’aggraver. La philosophe, pourtant de gauche, Sylviane Agacinski, entendant disserter sur les risques éthiques de la Procréation Médicale Assistée et de la Gestation pour autrui, est interdite de conférence à l’Université de Bordeaux par un courant féministe outrageusement sûr de lui, la courageuse et sensée journaliste et polémiste Zineb el Rhazoui menacée de mort par le fanatisme islamisme, Eric Zemmour chassé par une meute d’activistes et journalistes-procureurs, par les annonceurs publicitaires, au mépris de la liberté académique, de penser, d’écrire... Le tableau de la liberté d’expression est chaque jour insulté, lacéré, déchiré, bientôt effacé par un bâillon tyrannique.

      Jusqu’à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui a conclu un arrêt le 25 octobre 2018, énonçant que les critiques à l'encontre de Mahomet, fondateur de l'Islam, étaient constitutives d'une incitation à la haine et ne relevaient pas du droit à la liberté d'expression ! En l’occurrence, il s’agit d’Elisabeth Sabaditsch-Wolff, condamnée en Autriche, en première instance et en appel, en 2011, pour « dénigrement de doctrines religieuses » dans le cadre de conférences qu'elle donnait sur les dangers de l'Islam fondamentaliste. Avec un tel arrêt inique et sans précédent, la Cour de Strasbourg - qui a juridiction sur 47 pays européens et dont les décisions sont juridiquement contraignantes pour les 28 États membres de l'Union européenne – vient non seulement de légitimer la fin de la critique intellectuelle venue de l’humanisme et des Lumières, mais aussi de légitimer en Europe le blasphème, qui plus est islamique, afin de « préserver la paix religieuse », c’est-à-dire la soumission et la charia.

 

Mille exemples peuvent être fournis de cette rage contre la liberté d’expression. Lorsque Pauline Harmange publie un Moi les hommes, je les déteste[25], elle se livre à un éloge de la misandrie contre la misogynie. Grand bien lui fasse. Si stupidité il y a, qu’on la discute. Mais, sans probablement l’avoir lu, un chargé de mission au Ministère de l’égalité femmes-hommes menace les éditeurs de saisir la justice si l’ouvrage n’est pas retiré de la vente, au motif que la provocation à la haine à raison du sexe est un délit pénal. La haine a bon dos, et il faut lui renvoyer dos à dos celle de la liberté d’expression.

La « Cancel culture[26] », ou « culture de l’annulation », ou encore de « l’effacement », use, entre autres, des réseaux sociaux. Cette anti-culture en fait n’aime rien tant que d’abattre et censurer au nom des luttes féministes, gays, antiracistes. Aux Etats-Unis, le « name and shame », condamne des paroles, des opinions, des analyses, pour effacer leur auteur à coups de pétitions, cyberharcèlement et autres pressions, de façons à proprement effacer l’individu coupable de pensées offensantes. Ainsi se sentir offensé, avoir l’incapacité d’y résister ou de l’ignorer, vaut un brevet de respectabilité et de devoir de censure. Jusqu’à forcer à la démission, au licenciement. Adolph Reed, professeur noir émérite de l’université de Pennsylvanie, qui arguait que la gauche privilégiait les débats sur la race au rebours des inégalités sociales, vit son intervention au débat, menacée de piratages, annulée. L’ostracisme condamne à l’effacement la représentation à la Sorbonne de la pièce d’Eschyle, Les Suppliantes, dont le metteur en scène et les acteurs devaient exhiber leur « blackface ». L’appropriation culturelle étant devenue un péché mortel contre la race. Aussi la presse elle-même, voire l’édition peuvent craindre de publier un texte qui ne réponde pas aux clichés attendus, aux militantismes consacrés par une desintelligenstia. Comme le dénonce Bari Weiss, la journaliste en charge des pages « Opinions » du New-York Times, harcelée par ses pairs, la guerre contre le pluralisme ronge un journal qui prétendit à rester une référence culturelle.

Au nom d’une vérité militante, activiste - autant de noms pour l’aube d’une tyrannie - la cancel culture, soit celle de l’effacement de toute pensée contraire, une censure politique, historique, artistique et sociale, balaie notre présent pour étoufer le futur et assurer le règne de tyrans, qu’ils soient racialistes, décolonialistes, écologistes, féministes, jusqu’à interdire la musique de Beethoven, parait-il symbole du mâle blanc occidental !

Ce que l’on appelait le quatrième pouvoir, autrefois la presse, aujourd’hui celui des médias, serait-il devenu le premier ? Facebook ferme des groupes, par exemple « Didier Raoult versus coronavirus », en s’érigeant en censeur scientifique, interdit, à l’instar de Twitwer, la mention des corruptions de Joe Biden et de son fils Hunter stipendiés par le gaz ukrainien et la Chine, s’érigeant en censeur politique anti-Trump, au mépris de la constitution américaine et de son premier amendement sur la liberté d’expression. Pour continuer avec l’alarmant exemple américain, des chaines comme CNN coupent un discours du Président encore en exercice, usant de la censure politique à vocation totalitaire, à l’instar de réseaux sociaux comme Twitter et Facebook, jusqu’au moteur de recherche Google. Ces derniers évacuent les informations relatives à de tels corrompus notoires, ainsi que des contenus de ce même Président et des soixante-dix millions d’électeurs qu’il représente, réseaux qui se targuent de savoir et ordonner ce qu’il est politiquement juste et bon de dire, de laisser paraître. Au point que les bonnes âmes de la vérité médiatique chapeautent tout curieux qui aurait l’insolence d’imaginer penser par lui-même, ce du haut de leur application à minimiser, nier, faire disparaitre tout allégation, toute preuve des fraudes électorales généralisées comme une machine de guerre. La recherche de la vérité devient a priori complotisme et post-vérité admonestés avec la dernière vigueur par une doxocratie…

Le cours apparemment paisible de l’Histoire subit soudain des accélérations surprenantes, imprévues - du moins si l’on n’avait perçu les convulsions de souterraines excavations -, tant de nouvelles bulles vénéneuses de censure éclatent. Ce sont les réseaux sociaux, là où nous avions trouvé de fabuleux espaces de communication, de créativité et de liberté, qui démentent leur vocation originelle en fauchant toute une frange de leurs clients et contributeurs pour de sinistres raisons idéologiques. Outre la cancel inculture, il s’agit d’une évacuation politique. Le président républicain Donald Trump se voit éjecté de Twitter, de Facebook, donc de Messenger, lui qui drainait des dizaines de millions d’abonnés. À la suite, des partisans de ce dernier se voient également virés sans autre forme de procès.

Amazon pratique la censure en déréférençant des livres, en bloquant Parler.com dont il détient le serveur, ce pour péché de trumpisme. Youtube ferme des chaines et censure, Odysee, Vimeo, Mailchimp, Researchgate censurent, Facebook également, que ce soit pour nudité ou fausses informations selon sa bonne doxa, sa filiale Instagram idem… Certes il s’agit là, non d’Etats et de sphères publiques, mais d’entreprises privées, libres en cela d’accepter ou refuser qui bon lui semble, d’expulser qui ne correspond pas à sa politique, son éthique, voire son caprice. Néanmoins elles vivent des informations, des opinions (fussent-elles délétères et pitoyables) de leurs adhérents, dont elles exploitent le bon vouloir par le biais de la publicité. Or, autant face à des personnalités individuelles qu’à des masses faites de millions de citoyens, elles acquièrent une responsabilité morale qui devrait pour le moins les conduire à respecter leur pluralité. Le risque de la concentration monopolistique, de la confusion avec un organe idéologique tel que peut l’être un média, voilà qui en outre concourt au glissement vers un totalitarisme dangereux.

Heureusement, ce qu’il reste d’économie libérale et concurrentielle permet que la sanction du public, et par voie de conséquence de la bourse, tombe. Facebook et Twitter par exemple perdent nombre d’abonnés, qui migrent vers des cieux plus nettement respectueux de la liberté d’expression et par ailleurs dénués de publicités invasives : MeWe, Minds, Signal, par exemple. Donald Trump fomenterait avec Elon Musk un réseau social plus clément envers les Républicains trumpistes. Fort bien, les répliques sont judicieuses. À la réserve près - et d’importance - que nous risquons d’évoluer dans des réseaux bulles recelant les partisans d’une cause ou d’une autre, alors que sur Facebook l’on pouvait croiser et fréquenter des « amis », voire nouer des amitiés virtuelles, avec des gens dont les convictions politiques sont à des hémisphères l’une de l’autre. Là nous pouvions parler avec bonheur de poésie avec un tenant du communisme, par exemple ! Nous serions alors libres de nous exprimer dans une ruche, mais inlibres (pour jouer avec le novlangue orwellien) de croiser les abeilles de ruches lointaines…


 

     Connaissons-nous le mot attribué à Voltaire : « Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire » ? Ce pauvre homme des Lumières dont on ne plus aujourd’hui représenter sa virulente tragédie à charge : Le fanatisme ou Mahomet le prophète [27], pourtant magnifique liberté d’expression et de critique en actes et en cinq actes… Relisons donc son Traité sur la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas[28]… Et n’oublions pas que liberté d’expression rime non seulement avec argumentation, mais aussi avec le rire[29], la satire, la caricature, le blasphème, quoique ce dernier doive s’arrêter aux portes des lieux de culte qui méritent en leur sein le respect. Certes, ce titre « Requiem pour la liberté d’expression », qui n’a pas le talent de Voltaire, est une hyperbole ; souhaitons qu’il ne devienne pas réalité. Qui nous protégera de l’imminence de ce Requiem ?

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] John Milton : Areopagitica ou liberté d’imprimer sans autorisation ni censure, traduit de l’anglais par O. Lutaud, Aubier, 1956, p 127 et 211.

[4] Al Fârâbî : La Philosophie de Platon, traduit de l’arabe par Olivier Seyden et Nassim Levy, Allia, 2002, p 30.

[5] Ibn Warraq : Pourquoi je ne suis pas musulman, traduit de l’anglais, L’Âge d’homme, 1999. Voir : Pourquoi nous ne sommes pas religieux

[8] Farhad Khosrokhavar : L'islam dans les prisons, Balland, 2004.

[9] Dans un article du Monde, du 16 mars 2010, les rapports des RG sur les bandes violentes montraient que 87 % étaient de nationalité française, 67 % d'origine maghrébine et 17 % d'origine africaine.

[10] Hugues Lagrange : Le déni des cultures, Seuil, 2010.

[11] L’Allemagne a deux fois plus de juges que la France et deux fois moins de délinquance.

[12] Essai sur le monde du crime, traduit du russe par Sophie Benech, Récit de la Kolyma, Verdier, 2003.

[13] Eric Zemmour : Le Suicide français, Albin Michel, 2014.

[14] Voir : Front Socialiste National et antilibéralisme, le cancer français

[15] Voir : Christianophobie et désir de barbarie : Le Livre noir de la condition des Chretiens

[16]  Voir : Destins du livre : du papyrus à google-books

[17]  Robert Darnton : De la censure, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-François Séné, Gallimard, 2014.

[18]  Leo Strauss : La Persécution et l’art d’écrire, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Olivier Seyden, Tel, Gallimard, 2009.

[19]  Le Coran, 5. 32-33, traduit de l’arabe par André Chouraqui, Robert Laffont, 1990, p 225-226.

[20] Peter Sloterdijk : La Folie de Dieu, traduit de l’allemand par Olivier Mannoni, Libella-Maren Sell, 2008, p 96.

[21]  George Orwell : 1984, Gallimard, 1972.

[22]  Thomas Hobbes : Léviathan, Gallimard, folio, 2000.

[23] Voir : Thoreau : le Journal de la désobéissance civile en question

[24]  La Boétie : De la Servitude volontaire, Montaigne, Essais, t IV, Charpentier, 1862, p 436.

[25]  Pauline Harmange : Moi les hommes, je les déteste, Seuil 2020.

[26] Voir : Pour l'annulation de la Cancel culture

[27] Voltaire : Le fanatisme ou Mahomet le prophète, Garnier, sans date.

[28]  Voltaire : Mélanges, Pléiade, Gallimard, 1961.

[29]  Voir : Peut-on rire de tout ? D'Aristote à San-Antonio

 

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
13 septembre 2014 6 13 /09 /septembre /2014 16:55

 

Passo Sella, Südtirol, Trentino Alto-Adige. Photo T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Pour une archéologie de l’écologie politique :

 

d’Ovide et Rousseau à Sloterdijk.

 

 

 

 

Peut-être faut-il aller chercher l’origine de l’écologie politique dès l’antiquité. En fouiller, en déterrer les vestiges depuis les mythes. Ensuite, en passant par le romantisme et le marxisme, le terreau de l’écologie politique a verdi et reverdi en de multiples avatars, depuis le champ de la vertu morale, en passant par la nécessité scientifique et humaniste, jusqu’à la tentation totalitaire… Âge mythologique, âge scientifique, âge politique, donc idéologique, sont les étapes d’une pensée écologique qui cependant aujourd’hui reste embourbée dans ses prémisses. Devons-nous appeler de nos vœux la décroissance pour retrouver une pure nature ? Ou un âge économique, appuyé sur la permanence de l’éthique scientifique, qui grâce à l’offre concurrentielle saura contribuer à offrir un air sain, des énergies propres, des espaces esthétiques et naturels, aux côtés de nos espaces artificiels et également esthétiques, à une demande démocratisée…

À l’aube des Métamorphoses d’Ovide, âge mythologique s’il en est, réside l’âge d’or, ère heureuse d’osmose totale avec une nature généreuse :

La terre, vierge encor, fertile sans culture,

Du soc qui la déchire ignorait la blessure.

[…]

Ce fut le règne heureux d’un éternel printemps[1] »…

Bientôt, l’âge d’âge d’argent, de bronze et, pire, l’âge de fer vont dégrader ce paradis originel. Métallurgie et travail asservissent l’homme dévasté par les guerres et par « la soif de posséder », tandis que :

« La terre, ainsi que l’air, longtemps libre et commune,

Connut de l’arpenteur la limite importune. [2]  »

Un schéma voisin innerve la Bible : le jardin d’Eden est le lieu de l’innocence et du bonheur, bientôt fermé par le péché originel, condamnant Adam et Eve au labeur agricole et aux souffrances. Mythologie gréco-romaine et judéo-chrétienne s’unissent pour illustrer la nostalgie d’une nature parfaite et intouchée, d’une Gaïa maternelle et bienheureuse…

Un discours de la nature originellement bonne est dès à présent -et plus exactement dans l’éternel présent du désir, du fantasme et de l’imagerie- mis en place pour l’éternité des représentations. Foin de la nature ingrate et dangereuse, dont il faut se défier, se délivrer par la technique, le naturel parait rester supérieur à l’artificiel. L’artisanat, la science et la technologie auront beau améliorer considérablement la condition humaine, une aura de justesse éthique et de perfection permet au discours de l’âge d’or primitif de  subvertir et de remplacer le réel.

La virtu romaine des philosophes, qu’ils soient épicuriens ou stoïciens, recommande la proximité de la nature. Ce pourquoi Rousseau, dans sa prosopopée de Fabricius, exalte « ces toits de chaume et ces foyers rustiques qu’habitaient jadis la modération et la vertu », tout en conspuant le luxe, les sciences et les arts : « hâtez-vous de renverser ces Amphithéâtres ; brisez ces marbres ; brûlez ces tableaux ; chassez ces esclaves qui vous subjuguent, et dont les funestes arts vous corrompent[3] ». Dans son Essai sur l’inégalité, Rousseau est resté fidèle à la vision mythologique d’Ovide : «  La Terre abandonnée à sa fertilité naturelle et couverte de forêts immenses que la cognée ne mutila jamais[4] ». Dans la seconde partie de cet essai, il dénonce avec fureur les ravages humains sur une planète qui ne connait pas encore le mot écologie : « Le premier qui ayant enclos un terrain, s’avisa de dire, ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs, n’eût point épargné au Genre-humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables. Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la Terre n’est à personne. […] il fallut faire des progrès, acquérir bien de l’industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d’âge en âge, avant que d’arriver à ce dernier terme de l’état de nature.[5] »

Ainsi, non content d’être à l’origine du communisme de sinistre mémoire, Rousseau est à l’origine d’une écologie politique régressive. Celui qui inventa en français le mot romantique dans sa « Cinquième Promenade[6] », fut pourtant, il faut le reconnaître, l’un des inventeurs d’une nouvelle et bienvenue sensibilité à la nature sauvage : « sur les hautes montagnes où l’air est pur et subtil, on se sent plus de facilité dans la respiration, plus de sérénité dans l’esprit […] les méditations y prennent je ne sais quel caractère grand et sublime[7] ».

C’est au XIXème que la sensibilité écologique trouvera à s’épancher dans les tableaux de Turner et de Friedrich, non sans que le romantisme entraîne la naissance de surgeons américains, d’Emerson à Thoreau, jusqu’à l’étudiant de « l’université de la nature sauvage[8] », découvreur de l’ouest américain et fondateur du Sierra Club, en 1892, John Muir, dont les Célébrations de la nature[9] associent au lyrisme de l’écriture un talent scientifique de naturaliste. Car les naturalistes, au-delà de Rousseau qui aimait herboriser, deviennent, de Buffon à Linné, ceux qui permettent à la sensibilité écologique d’atteindre son âge scientifique : « Dès qu’on a acquis une connaissance réelle, caractéristique, des produits de la nature, on peut alors étudier avec fruit leurs rapports, leurs phénomènes, leurs qualités, leurs propriétés, leurs usages. Par ces connaissances, on voit évidemment que la science de la nature est le fondement de la diète, de la médecine, de l’agriculture, de l’économie domestique ; et, ce qui est le plus intéressant, tous ces rapports combinés entre eux constituent une grande branche des connaissances humaines, et ce que nous appelons l’économie de la nature », ainsi Linné présentait-il, en 1805, son Abrégé du système de la nature[10].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De Humboldt à Linné, de Darwin à Fabre, l’âge romantique de l’écologie fait sa mue en âge scientifique. En 1866, le biologiste et zoologiste Haeckel forme le mot écologie pour signifier la science des milieux vivants, avant que dans la seconde moitié du XXème siècle elle devienne une doctrine visant une meilleure adaptation de l’homme à son environnement, puis, plus tard, un courant politique défendant cette doctrine. Au point que l’écologie puisse aborder son âge idéologique.

En 1974, René Dumont, alors candidat à l’élection présidentielle française, lançait son comminatoire « L’écologie ou la mort », présageant avant la fin du siècle « l’épuisement des réserves minérales et pétrolières » […] « la dégradation poussée des sols […] la pollution devenue insoutenable de l’air et des eaux […] une altération des climats[11] »… Que les dégradations des sols, les pollutions ne manquent pas, personne ne le contestera, quoiqu’en Occident bien des rivières aient retrouvé leur relative pureté grâce aux stations d’épuration, quoique le sinistre smog et les pluies acides aient disparu, grâce à la diminution des industries et des chauffages liés au charbon -en particulier dans l’ex-bloc communiste- cet épuisement des ressources n’a pas eu lieu. Sans cesse, nouvelles découvertes et nouvelles technologies repoussent l’horizon de l’épuisement du pétrole et du gaz. Jusqu’à ce que de nouvelles énergies, dont peut-être nous n’avons pas aujourd’hui la moindre idée, viennent les remplacer. Quant aux ressources minérales, recyclage et mutations des produits ne se feront pas faute de proposer de nouveaux horizons de consommation…

Certes les ressources halieutiques sont mises à mal, les abeilles se raréfient, la Chine est une cocotte-minute brûlante de pollution, les fonds marins ex-soviétiques sont parsemé d’armes et de déchets nucléaires, les forêts tropicales se défont comme peaux de chagrin. Chaque espèce animale ou végétale disparaissant équivaut à une culture évanouie, parallèle que Pascal Picq met en lumière dans son essai De Darwin à Lévi-Strauss. L’homme et la diversité en danger[12].

La terre, la nature, n’a en rien été faite à l’usage de l’homme, encore moins à son usage exclusif. Ce qui peut conduire Paul Shepard à avoir conscience que « récolter n’importe quelle nourriture, c’est tuer des êtres vivants », et à penser en post-rousseauiste que « la qualité de la vie humaine a commencé à se détériorer avec la domestication des plantes et des animaux[13] », rejetant la culpabilité écologique originelle sur l’agriculture. Ce qui conduit les tenants de la « Deep ecologie », comme Arne Naess, à « éprouver un respect profond, voire une vénération, pour les différents formes et modes de vie », et postuler l’ « égalité de vie[14] » entre les hommes et les créatures. Cet égalitarisme écologique s’oppose à juste titre à la destruction des espèces, à moins qu’il dénie tout droit d’exploitation de la nature par l’homme, voire toute vie humaine. Vaut-il mieux alors imaginer, comme Michel Serres, « la passation d’un contrat naturel de symbiose et de réciprocité où notre rapport aux choses laisserait maîtrise et possession pour l’écoute admirative, la réciprocité[15] » ? Le risque pour l’écologie politique est alors de se mettre à voter les lois de la nature, comme le préconise Eric Aeschimann[16]. À ce compte l’idéologie et la démocratie vont de pair pour trahir la science, voire préparer une tyrannie écologique.

«Quel est « le manuel d’instruction du vaisseau Terre ? », se demande Peter Sloterdijk[17]. « La liberté d’exagérer et de gaspiller, et même pour finir, de pratiquer l’explosion et l’autodestruction » ; ce qui est l’opposé d’une liberté responsable, conforme au concept fondateur du libéralisme politique. Or, lorsque, arguant d’un changement climatique bien peu probant, « les climatologues sont ainsi entrés dans le rôle de réformateurs », on a tout à craindre de l’abandon de nos libertés pour la tyrannie responsable des verts. Sloterdijk compare alors cette réforme écologique, à « une sorte de calvinisme météorologique ». Ce qui reste un euphémisme, aussitôt corrigé par un plus pertinent « socialisme météorologique », dans lequel « chaque individu gérerait un petit crédit d’émissions qui lui serait accordé ». Cette gouvernance du climat par un état global écologique devenant « une sorte d’état de guerre écologique dans lequel on imposera ce qui ne peut être atteint sur une base volontaire [18] ».

 

      Au-delà du souci légitime d’une planète propre, d’espèces diversifiées et d’une santé humaine préservée, on a bien compris que les discours mythologiques et religieux d’une part, idéologiques et militants d’autre part, innervent et enveloppent dans une toile arachnéenne une pulsion de pouvoir continue. Pouvoir d’un discours d’écologie politique qui veut être le discours dominant et législatif, voire sacramentel, bientôt totalitaire.

      Car le ressentiment marxiste a trouvé dans l’écologie un exutoire prétendument imparable. Le concept de lutte des classes et son eschatologie terrienne de bonheur communiste ayant subi un vaste démenti (quoique jamais complètement assumé), une cause supérieure providentielle a rempli d’espérance les transfuges de la manipulation marxiste : voici en effet un autre moyen, prétendument scientifique et planétaire pour imposer une nouvelle tyrannie, pas si différente des anciennes. La crise capitaliste, toujours fantasmée, quoique précipitée par le boyau d’étranglement du socialisme, a été remplacée par la crise écologique comme levier d’une hégémonie sur les consciences et les actes, sur l’humanité enfin.

      Aux motivations politiques s’ajoutent des motivations psychologiques : une pulsion de culpabilité, de mort, accuse et punit l’homme d’exister, d’exploiter la nature. L’exploitant, fidèle en cela à la rhétorique marxiste, est un exploiteur indu et punissable. Pour l’écologiste, le capitaliste est le coupable originel, le bouc émissaire chargé d’assumer les péchés imprescriptibles de pollution et de destruction, confirmant la communauté de sentiments et de décisions du socialisme et du communisme d’une part, et de l’écologisme politique d’autre part. À la décroissance jalouse imposée par le marxiste génocidaire au riche bourgeois correspond la décroissance imposée au producteur par l’écologiste professionnel.

      Ainsi, nonobstant les progrès considérables au service de l’humanité apportés par l’exploitation des énergies fossiles, par le nucléaire civil, les OGM, les gaz de schiste[19] ou les nanotechnologies, l’écologie politique, nouveau Méphistophélès, est un « esprit qui toujours nie[20] ». Sa pensée magique est un obscurantisme non plus au service de l’humanité, mais de la décroissance économique et humaine, voire de la disparition exigée de l’espèce humaine, cette engeance qui a rompu le pacte originel de la prétendue pacifique interaction des espèces, minérales, végétales et animales…

      Le voile de l’écologie politique sur la réalité est évidemment de l’ordre de la prestidigitation intellectuelle, du travestissement des réalités, en particulier scientifiques et économiques, souvent trop complexes, attentatoires aux préjugés et aux fantasmes sécurisants. Enfumer le peuple, y compris au prix de mensonges, de rhétorique catastrophiste, de manipulations statistiques, comme lors de la grande fiction du réchauffement climatique aux causes anthropiques et de la vaste esbroufe du GIEC, permet alors de paraître être à même de sauver le monde et d’assurer son emprise politique, ses financements par les gogos, les associations, les fondations et les états, soucieux de se donner une image de respectabilité altruiste, quoiqu’en puisant dans la poche des contribuables bernés ; et en favorisant par un flot de subventions les technologies dites vertes (éoliennes, photovoltaïques…) dont le coefficient de rentabilité est le plus souvent désastreux, aux dépens de technologies novatrices que le capitalisme et le marché concurrentiel pourraient être amenés à mettre en œuvre…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     « La vulnérabilité critique de la nature par l’intervention technique de l’homme[21] » -pour reprendre Hans Jonas- doit permettre de penser que lorsqu’exploiter est une chose, préserver n’en est plus une autre ; car préserver les ressources naturelles, c’est pouvoir les exploiter en conscience. Pourtant, faute d’avoir toujours mesuré en toute conscience combien nous avons gagné à maîtriser la nature grâce à l’âge industriel, nous gardons des schémas inconscients qui nous rattachent à la nostalgie d’une fiction : une nature originellement bonne, et indemne de ces catastrophes climatiques, de ces pollutions naturelles. Ainsi de l’écologie politique il advient, pour reprendre Foucault, une « histoire de ces philosophies d’ombre qui hantent les littératures, l’art, les sciences, le droit, la morale et jusqu’à la vie quotidienne des hommes ; histoire de ces thématismes séculaires qui ne se sont jamais cristallisés dans un système rigoureux et individuel, mais qui ont formé la philosophie spontanée de ceux qui ne philosophaient pas[22] ». C’est ainsi que l’on peut se livrer à une « analyse des opinions plus que du savoir, des erreurs plus que de la vérité, non des formes de pensée mais des types de mentalité[23] ». Car l’écologie politique est plus une doxa idéologique, une stratégie de pouvoir, qu’une philosophie assise sur une science raisonnable et raisonnée.

      Après l’âge mythologique ou religieux, la foi ovidienne et rousseauiste a peu à peu été balayée par la science et la raison, autant que par la pollution. L’empathie pour la nature que nous habitons et qui nous abrite, si nécessaire soit-elle, ne doit pas se diriger, en une nouvelle dérivation de la foi, vers un socialisme écologique à vocation tyrannique, mais vers une réactivation des sciences dans la perspective d’une écologie responsable. Ainsi l’économie écologique ne sera pas menée par des idéologues qui jettent l’argent des fiscocraties par les fenêtres, mais par une interaction de l’offre et de la demande, entre citoyens soucieux de vivre aux côtés d’une nature respectée et productrice d’une part et entreprises du capitalisme libéral d’autre part : « Dans le monde des entreprises, celles qui obtiennent les meilleurs résultats économiques et sont les plus innovantes sont souvent celles qui obtiennent les meilleures performances sur le plan à la fois humain et environnemental[24] », note Pascal Picq. Ne faut-il pas appeler de nos vœux cette « économie de la nature », pour reprendre la formule chère à Linné ?

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Ovide : Les Métamorphoses, traduction Desaintange, Desray, 1808, p 12-13.

[2] Ovide : ibidem, p 17.

[3] Jean-Jacques Rousseau : Discours sur les Sciences et les Arts, Œuvres III, Pléiade, 2003, p 14-15.

[4] Jean-Jacques Rousseau : Discours sur l’origine de l’égalité, Œuvres III, Pléiade, 2003, p 135.

[5] Jean-Jacques Rousseau : ibidem, p 164.

[6] Jean-Jacques Rousseau : Les Rêveries du promeneur solitaire, Œuvres I, Pléiade, p 1040.

[7] Jean-Jacques Rousseau : La Nouvelle Héloïse, I, XXIII, Œuvres II, Pléiade, p 78.

[8] John Muir : Souvenirs d’enfance et de jeunesse, José Corti, 2004, p 186.

[9] John Muir : Célébrations de la nature, José Corti, 2011.

[10] Cité dans : Les Grands textes fondateurs de l’écologie, Champs classiques, 2013, p 37.

[11] Cité dans : Les Grands textes fondateurs de l’écologie, ibidem, p 213.

[12] Pascal Picq : De Darwin à Lévi-Strauss. L’homme et la diversité en danger, Odile Jacob, 2013.

[13] Paul Shepard : Nous n’avons qu’une seule terre, José Corti, 2013, p 11 et 14.

[14] Cité dans : Les Grands textes fondateurs de l’écologie, ibidem, p 238-239.

[15] Cité dans : Les Grands textes fondateurs de l’écologie, ibidem, p 303.

[16] Eric Aeschimann : « Le climat mis au vote », Libération, 20 12 2010.

[18] Peter Sloterdijk, dans : Les Grands textes fondateurs de l’écologie, ibidem, p 347 à 357.

[20] Goethe : Faust I, Théâtre complet, Pléiade, 1951, p 86.

[21] Cité dans : Les Grands textes fondateurs de l’écologie, ibidem, p 272.

[22] Michel Foucault : L’Archéologie du savoir, Gallimard, 1969, p 179.

[23] Michel Foucault : ibidem, p 179.

[24] Pascal Picq : ibidem, p 261.

 

Lichen, Llanos del Hospital, Benasque, Alto Aragon. Photo T. Guinhut

Partager cet article
Repost0
16 juillet 2014 3 16 /07 /juillet /2014 19:09

 

Flavius Josèphe : Antiquités juives et Guerre des Juifs, Chauvert-Hérissant, 1756.

Photo : T. Guinhut. 

 

 

 

 

 

 

Eloge d'Israël : une épine démocratique

 

parmi la tyrannie de l’Islam.

 

 

 

« Tu ne tueras point », disent les tables de la Loi. Pourtant Israël tue. S’agit-il de légitime défense ? Seule démocratie libérale au milieu d’un marais de tyrannies militaires et obscurantistes, Israël est paradoxalement vilipendé par la communauté internationale. Bafoué, sans cesse menacé, bombardé par la Palestine de Gaza, le Hamas et le Hezbollah, ce pays parait l’oppresseur inique, le talon de fer des opprimés et des faibles, quand il est la cible de la judéophobie et de l’anticapitalisme mondialisés. De fait, il serait en la matière prétentieux de prétendre à l'impartialité, à la connaissance totale des tenants et des aboutissants. Ce pourquoi rien n'interdit de développer une contre-argumentation... Tentons cependant de penser la justice en ce terrain malaisé : là où Israël est une épine démocratique parmi la tyrannie de l’Islam.

Quel pays avertit les habitants du pays visé avant les frappes de ses missiles (ce qui est confirmé par un rapport de l’ONU) ? Quel pays voit ses soldats protéger ses femmes et ses enfants quand celui d’en face se sert de ses femmes et de ses enfants comme boucliers humains pour protéger en ses écoles et hôpitaux ses terroristes et ses caches d’armes (ce qu’avoue même le Hamas) ? Israël, à chaque fois. L’on sait qu’Israël, malgré les impayés, approvisionne Gaza pour 70 % de son électricité, qu’Israël livre nourriture, carburants et médicaments, qu’Israël soigne en ses hôpitaux des blessés cisjordaniens et syriens…

Certes, on ne peut imaginer, en un concours de manichéisme, qu’Israël ne soit que le chevalier blanc du bien face à au Satan noir du mal. Il y a sans nul doute parmi les Hébreux suffisamment de représentants de la nature humaine pour y intégrer « le mal radical » selon Kant, ou « la banalité du mal » selon Hannah Arendt. L’on sait que le démon de la vengeance, de la loi du talion, a pu pousser quelques-uns à brûler un adolescent palestinien en représailles de trois adolescents juifs enlevés et assassinés par le Hamas. Que l’intégrisme de certains fondamentalistes d’un Talmud exagérément rigoriste puisse les pousser à la haine, jusqu’à séparer les hommes des femmes par des draps tirés au travers des rues…

Mais les chiffres des morts et des blessés sous les coups des agressions israéliennes sont invérifiables. Seul le Hamas les fournit aux Nations Unis, et l’on peut imaginer combien ils puissent être des leviers de désinformation, y compris lorsque ses propres missiles tuent. Non évidemment que ces frappes soient indolores, mais elles sont le désir du Hamas qui en tire argument pour dénoncer la violence, le prétendu apartheid et la colonisation. S’appuyant sur la guerre de l’image et de l’information : des photos sanglantes venues de Syrie sont utilisées sans vergogne pour dénoncer les frappes israéliennes.

Gaza abritant des milliers de roquettes (plus de 1400 tirées sur Israël depuis janvier), mortiers et autres armes (venues le plus souvent d’Iran) on est en droit de se demander d’où vient l’argent pour cet infructueux commerce. De l’aide internationale et en particulier de la communauté européenne qui paient les fonctionnaires de Gaza, donc alimentent la corruption, les trafics d’armes, alors que les hôpitaux sont financés par Israël… Ainsi Gaza, quoiqu’il ne s’agisse guère d’un champ de pauvreté à ciel ouvert, plutôt que le paradis de l’économie et des libertés, choisit, aux dépens de ses innocents, de son peuple que le Hamas opprime, la contre-culture de l’endoctrinement fanatique et du terrorisme, maniant le ressort extatique de la haine.

C’est alors que la légitime défense est un droit naturel. Quand 70% de son territoire est sous la menace des roquettes, missiles et autres bombes, le devoir de protection, grâce au précieux dôme de fer, et le devoir de réplique sont les garants de la souveraineté et de la liberté.

 

Flavius Josèphe : Histoire des Juifs, Roulland, 1696.

Photo : T. Guinhut.

 

Les gisements de gaz au large de Gaza ont évidemment un rôle à jouer dans l’avenir du conflit. On a accusé Israël de viser ces énormes réserves, alors qu’il n’en manque pas au large de ses côtes, l’exploitant depuis un an ; au point qu’il est en passe de devenir exportateur et de déséquilibrer la donne énergétique au Moyen-Orient. Ce qu’il craint est bien plus l’approvisionnement financier qui pourrait en découler, et donc alimenter encore la puissance de feu palestinienne ; sans oublier sa puissance démographique, dont les ventres sont de potentiels soldats.

 

Que faire ? Investir chaque mètre carré de la bande de Gaza, vider toutes les caches d’armes et neutraliser les terroristes ? C’est ce que préconisent les Faucons de la droite israélienne et une bonne partie de la population exaspérée. Mais à ce compte, l’occupation devrait être pérenne, donc coûteuse en énergies, en vies coupables et innocentes, donc passible de la pire diabolisation internationale. Croire en l’amitié entre les peuples ? Se limiter aux frappes chirurgicales et ciblées, à quelques opérations commandos contre les positions et les tunnels du Hamas ? Mais extraire au scalpel une tumeur terroriste ne signifie en rien éradiquer le réseau de tumeurs malignes qui irrigue le Hamas. C’est entrer dans le jeu de ce dernier qui comptabilise les morts (près de deux cents à ce jour) pour avec joie arguer de la vilénie sioniste et juive. C’est attendre que le rayon d’action et le nombre des missiles augmente, que leur sophistication croissante handicape sévèrement la défense de Tsahal, que l’étau venu du califat iroko-syrien, peut-être capable de s’armer de bombes sales aux éléments radioactifs pillés dans les hôpitaux de Mossoul, étende son pouvoir de nuisance et de guerre totale… La raison n’a guère de prise en cet imbroglio, comme lors de trop de tentatives de dialogues sereins, argumentés et mesurés, qui butent sans cesse contre la passion aveugle, les a priori enferrés, les fins de non-recevoir…

Flavius Josèphe : Antiquités juives et Guerre des Juifs, Chauvert-Hérissant, 1756.

Photo : T. Guinhut.

 

 

Le conflit palestino-israélien n’est pourtant, numériquement, qu’un épisode mineur parmi les métastases immenses de l’atavique conflit entre Sunnites et Chiites, qui ravage l’Islam depuis quatorze siècles, parmi les guerres perpétuelles de conquête qui visent à étendre le califat depuis un obscur désert saoudien jusqu’en Europe et en Asie du sud-est. Sans compter les exterminations de Chrétiens, Azéris, animistes, homosexuels, femmes tentant de se libérer, apostats, athées et autres païens… Ce conflit reste le fer de lance empoisonné qui gangrène les médias occidentaux et mondiaux, tâchant, avec un certain succès hélas, d’exhiber la paille dans l’œil d’Israël, dont les frappes sont loin d’être irréprochables, pour masquer la poutre de tyrannie dans celui de la Palestine et de l’aire arabo-musulmane entière.

Pourquoi cette disproportion ? Des milliers et des milliers de morts en Syrie, au Darfour, au Nigéria, en Irak, au Congo, et le silence radio n’est qu’à peine troublé. Un Gazaouï blessé, aussitôt le curseur de la surinformation, de l’indignation collégiale s’affole. Certes un seul mort, un seul blessé, quel qu’il soit, est toujours un scandale au regard de l’humanité, mais c’est bien là montrer le traitement de faveur et de défaveur accordés sans autre forme de procès à la Palestine et Israël. Au milieu d’un océan arabo-musulman, l’oasis de la liberté religieuse et de la réussite économique et intellectuelle est un scandale permanent pour l’obscurantisme et la tyrannie ambiants. La rage contre Israël est d’autant plus forte que ses succès sont grands, car ils ont le tort d’exhiber par contraste ce que l’on ne veut pas voir : les échecs alentour, que les revenus du pétrole n’ont en rien voulu corriger, sinon pour irriguer le prosélytisme djihadiste.

De même l’anticapitalisme postmarxiste et international exècre Israël. Parce que la judéophobie, de Marx à Staline -mais sans oublier la haine du juif chez un autre socialisme, de Céline à Hitler- ne déteste rien tant que ceux qui démontrent combien le libéralisme économique réussit à ceux qui ainsi leur font un pied de nez. Quand liberté religieuse et liberté économique s’associent, les opposants à la liberté font cause commune.

 

Carte de la Palestine, Joseph-Romain Joly :

La Géographie sacrée et les monuments de l'Histoire sainte, Alexandre Jombert, 1784.

Photo : T. Guinhut.

 

Certes, la légitimité de l’Etat d’Israël est sujette à caution. Pourquoi ce territoire sémite n’est-il pas resté arabe ? Quoiqu’il fût assez vide au XIX° siècle, et très majoritairement peuplé de Juifs. Fallait-il revenir sur la spoliation musulmane originelle au septième siècle, alors que depuis l'Antiquité la Palestine (dont le nom vient des Philistins) était juive ? Alors que la déclaration d’indépendance de 1948 parait être le seul péché originel… Depuis le réinvestissement sioniste théorisé par Theodor Herzl en 1896, en passant par la volonté des alliés de rendre aux Juifs une terre après la Shoah, Jérusalem est le point d’ancrage d’Israël. Hélas, dès l’indépendance, une coalition des Etats arabes voisins fondit sur le jeune Israël, qui, armé par les occidentaux, parvint à les vaincre. D’où l’exode, souvent volontaire, de 700 000 Arabes palestiniens, auparavant attirés par la prospérité économique juive, exode contrebalancé par l’éjection de 900 000 Juifs des pays arabes. Bien malin qui décèlera justesse et justice de cet enchaînement de causes et d’effets… D’autant que la Palestine est une grande fiction, qui n’existait pas quand l’Egypte et la Jordanie en hébergeaient les habitants, mais qui a valeur aujourd’hui de réalité. La question de l’antériorité de l’occupant demeurant le plus souvent indémêlable. À ce compte-là, il faudrait rendre aux Indiens New-York achetée trois fois rien, quoique la plus-value soit absolument considérable ; ce dernier argument étant également valable pour Israël.

Cela dit, qu’est-ce que la colonisation israélienne ? Des terrains achetés à prix d’or, malgré de pauvres résidents sans droit de propriétés -qu’il reste à respecter-, l’extension d’une démocratie et d’une économie bien plus garantes des droits et du confort de ses habitants qu’en tous les territoires qui les entourent… Sachant que 20% des habitants de l’Etat hébreux sont des Arabes israéliens, dont quelques-uns peuvent être députés à la Knesset, le meilleur qu’il puisse arriver aux Palestiniens de toutes régions est de devenir citoyens d’un grand Israël où leur liberté d’expression, de religion et de développement économique soient respectés. Quel vœu pieux ! Les colonies -illégales au regard de la Charte des Nations Unies- apparaissent trop souvent comme des actes de belligérance, comme une appropriation des ressources, y compris s’il s’agit de terrains inoccupés, soudain désirables par tous. Reste que, de crainte d’un éparpillement d’un territoire menacé par la démographie arabe, et des pressions occidentales, nombre de colonies ont été volontairement démantelées, laissant les espaces à la gestion cisjordanienne. Ces causes de friction ne sont guère résolues, pour des raisons stratégiques, sécuritaires, idéologiques, religieuses…

On doit croire alors que le nombril du monde, à la jonction du libéralisme occidental et des pulsions tyranniques moyen-orientales, respire et souffre en ce point nodal de la culture judéo-chrétienne, où l’Islam -aux dépens d’un Islam des Lumières embryonnaire- s’est arrogé par la force millénaire la prétention de faire de Jérusalem une de ses villes saintes.  Au point que ce conflit s’invite parmi les cités occidentales, fomentant des manifestations djihadistes dans nos rues, du Québec à l’Allemagne, sans oublier la France, où, à la veille d’un grotesque et hypocrite défilé militaire du 14 juillet, on toléra qu’une synagogue soit cernée aux cris de « Morts au Juifs ». Au point que la judéophobie ait droit de cité, comme à la veille d’une nuit de cristal islamonazie. La lâcheté se serait-elle  substituée à la force comme vertu ?

Ne nous détrompons pas. L’Etat Islamique en Irak et au Levant, s’il ne représente pas l’entier des Musulmans, a ses métastases dans le monde entier, rêvant de restaurer un califat de l’Espagne aux portes de Vienne, du Maghreb à l’Indonésie en passant par le Nigéria, sans oublier les poches de charia parmi nos banlieues et nos cités, de Malmö à Berlin, de Lille à Paris, de Montréal à Birmingham… S’il n’est en rien interdit de douter en toute prudence de la politique menée par le pouvoir israélien (séparé du pouvoir religieux, faut-il le rappeler), de ses modalités, de ses actions de représailles, de ses colonisations délicates, mais peut-être salvatrices pour les Arabes qui s’y agrègeraient en paix, il reste nécessaire à notre conscience de la justice de rester en toute conscience aux côtés du droit naturel à se défendre. Ce de la manière la plus civilisée possible, face à l’agression, aux dépens d’un obscurantisme génocidaire intolérable. Si l’épine démocratique israélienne sait blesser, la rose tyrannique de l’Islam n’a qu’un parfum de mort.

Pourquoi devons-nous défendre Israël ? Quand Israël et Gaza paraissent l’emblème exhibé de bien pires zones victimaires, en particulier celles de la christianophobie guerrière… Parce que seul l’Etat hébreu, bastion avancé de la civilisation occidentale, sait se dresser -avec la force comme vertu- contre la barbarie d’un Islam régressif qui étend partout son cancer. Entre l’incendie des églises de Mossoul autant que des synagogues du Val d’Oise et l’endoctrinement jihadiste des enfants de Gaza d’une part, et la démocratie libérale des cultures et des sciences d’autre part, il faut savoir choisir…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

Flavius Josèphe : Histoire des Juifs, Roulland, 1696.

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
29 mai 2014 4 29 /05 /mai /2014 17:14

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Front Socialiste National et antilibéralisme,

 

le cancer français.

 

 

 


         Tous masqués, ces bateleurs et démagogues, harangueurs et profiteurs, ne cachent qu’avec peine leur vice, qui est le péché capital de l’économie et des libertés : le socialisme. Qu’il s’agisse du Front National ou du Front de Gauche, sans oublier les partis intermédiaires de nos constellations idéologiques, tous n’ont d’autre terrible pitrerie que leur socialisme, leur étatisme, leur colbertisme, leur keynésianisme, ce cancer français, trop français. Pourquoi un tel succès du F N aux récentes élections européennes ? Que proposer pour le contrer et rendre la prospérité à la France ? Imputons l’échec économique de la France aux partis au pouvoir -dits modérés-, avant de dévoiler en quoi l’absence de la brûlante question de l’immigration profite au FN. Montrons enfin la convergence de ces deux Fronts pour parvenir à débusquer l’aveugle obsession contreproductive française : l’antilibéralisme.

             Le Front National parvient à réaliser un score apparemment étonnant avec 25 % des voix aux dernières élections européennes. Cependant, si l’on tient légitiment compte des abstentions, voici les scores réels : Abstention 58 %, FN 10,7, UMP 8,6%, PS 6,1 %, UDI-Modem 4,2 %, Verts 3,7 %, FG 2,8 %, etc. Pas de quoi fouetter un électeur de bon sens. Ainsi, le FN serait le grand gagnant du scrutin des Européennes ? A moins que les autres partis du plus ou moins tous pourris, tous profiteurs et tous inefficaces soient les grands perdants ; avant que le premier puisse les rejoindre dans leur fastueux club. Reste que l’on peut se livrer à l’examen des causes d’une apparente victoire.

              La première cause de la montée du FN est évidemment la débilité du comportement, de la pensée et de l’action des partis de gouvernement qui accumulent échecs sur échecs. D’abord corruptions, emplois fictifs, népotismes, trains de vie somptueux, valises de billets secrètes... Quelques-uns de ces soucis, d’ailleurs, n’auraient plus de raison d’être si les partis politiques pouvaient se financer grâce aux cotisations et aux dons, libres et non plafonnés, à la seule condition que leur montant et leur origine soient publiés en toute transparence. Ce qui permettrait de cesser de faire rembourser les frais de campagne par le contribuable. On a voulu assainir, réguler, corseter : on a encore plus de cadavres dans le placard à finances de la démocratie.

           Il semble de surcroit que la lobotomisation de l’UMP, dépourvu d’idées énergiques, empêtré dans ses affaires de surfacturations, étêté par la démission de ses chefs, n’apparaisse plus comme le meilleur ennemi du Parti Socialiste, au profit du FN. Certes on peut s’étonner de la providentielle coïncidence : que l’affaire Bygmalion éclate si peu de jours après la débâcle du parti socialiste aux Européennes en dit peut-être long sur la célérité des enquêteurs et de la justice que l’on dirait mandatés à point pour qu’un rideau de fumée masque les lambeaux du parti jumeau.

               Un sondage Ifop aurait montré que moins on est instruit plus on vote FN. Soit. Mais on n’en est pas moins instruit du réel, là où gît la seconde raison de ce succès relatif. Faut-il croire que le manque d’éducation autant que sa surabondance font de nous des votants qui se trompent depuis au moins trois décennies, que les seuls savants, cependant inconscients de ce qu’il faudrait savoir, savent s’abstenir devant le pipeau des urnes, qui donnent bénédiction à des oligarchies aux méthodes voisines pour nous rançonner, nous appauvrir… Reste que les électeurs du FN, sans compter les silencieux, les indifférents, les désabusés, les libéraux qui s’ignorent ou n’ont personne pour les représenter, font un évident constat : la progression du chômage et l’appauvrissement minent notre hexagone (sans compter les DOM TOM) et ce avec le soutien obstiné de nos partis au pouvoir depuis trois décennies, et malgré leur alternance, quoique avec l’actuel socialisme la chute soit plus criante encore.

            Quand des entreprises jadis florissantes (même si certaines n’ont pas su s’adapter) cèdent leurs vastes locaux refaits à neuf à Pôle Emploi, où des bataillons de nouveaux inscrits poussent dehors ceux qui renoncent à y pointer en constatant la dépensière inutilité du monstre omnivore : ce sont, depuis deux ans, un demi-million de nouveaux chômeurs embarqués dans la trappe à dégoût du socialisme autiste et clientéliste, dont l’imagination ne dépasse pas les recettes keynésiennes usées jusqu’à la corde des gossplans soviétiques :  emplois jeunes, contrats aidés, n’en jetez plus !

                La dette publique a doublé depuis le début des années 90 jusqu’à atteindre 95 % d’un PIB en berne ; le taux de prélèvements obligatoires dépasse les 46 % du PIB ; pire l’on vient de constater la véracité de la courbe de Laffer : plus on augmente les impôts, moins ils rapportent à l’état épuisant et épuisé. Le salaire minimum et la complexité du Code du travail contribuent à raréfier ce dernier. Nos gouvernements socialistes (droite et gauche confondue) ayant réussi à appliquer une bonne partie du programme communiste de Georges Marchais, le rouge engorge de plus en plus le rose.

           Certes il est de bon ton de se moquer à juste titre des compétences ubuesques de la bureaucratie européenne qui va jusqu’à se préoccuper de la courbure des bananes, de se scandaliser de l’absentéisme de ses parlementaires, des salaires et des retraites exorbitants de ses fonctionnaires. Cependant, elle n’empêche en rien l’Allemagne d’avoir un niveau de vie supérieur au nôtre, un chômage deux fois plus faible et une balance du commerce extérieur avec la Chine excédentaire. De plus, elle peut nous permettre de nous débarrasser des monopoles lourds, déficitaires et désuets, de la SNCF et de la Sécurité sociale en nous contraignait à une concurrence libératoire. Songeons en effet que la Sécu a un coût de gestion deux fois supérieur à la moyenne de l’OCDE, pour des assurances le plus souvent privées. L'Europe n’est pourtant pas si liberticide. Sans elle, personne ne pourrait envisager de quitter la Sécurité sociale. France Telecom resterait un monopole. José Bové aurait conduit à interdire toute recherche sur les OGM, quoique ce but soit à peu près atteint. Reste à savoir si la bureaucratie de Bruxelles est un contrepouvoir suffisant à notre propre bureaucratie…

           La troisième cause de la montée du FN est le déni de réalité, d’abord quant à une délinquance et une criminalité récurrentes, sinon exponentielles, que la police ne peut endiguer, que la justice excuse[1], parfois ignore… Pire, s’il en est, à un phénomène qui est lié au précédent : l’immigration venue d’Islam. Quand les mairies, de Nantes ou de Bordeaux, accueillent des mosquées et des prétendus centre culturels musulmans sur des terrains à peu près offerts, quand des maires fêtent le ramadan et ignorent Pâques, des ministres inaugurent des mosquées, remettent des légions d’honneur à des propagandistes de la charia et du jihad, alors que le christianisme est persécuté dans toutes les terres d’Islam, seul la voix du Front National est assez audible pour s’indigner. Certes, hélas, c’est au nom d’une identité nationale en grande partie fantasmatique, voire de la xénophobie, et non de l’humanisme et des Lumières, que cette protestation court souterrainement. Car ce n’est pas au nom d’un parti, a fortiori d’extrême-droite, que l’on doit se lever, mais au nom des libertés. En effet, l’Islam, mais peut-être pas tous les Musulmans, est indéracinablement antilibéral, au sens non seulement des libertés économiques, mais des libertés politiques et de consciences[2].

 

      Que l’on nous permette de citer la jeune députée Marion Maréchal-Le Pen qui posa les questions suivantes à l'Assemblée Nationale :
      « Où est la justice sociale quand on repousse l'âge légal de la retraite alors que tout étranger de 65 ans n'ayant jamais travaillé ni cotisé en France, a droit à une retraite de 780 euros par mois dès son arrivée ? Où est la justice sociale quand une femme de paysan ayant travaillé 50 ans à la ferme, n'a pas droit à ces 780 euros au prétexte que son mari et elle dépassent le plafond de 1200 euros de minimum vieillesse pour un couple ? Où est la justice sociale quand la sécurité sociale en faillite continue de payer à l'étranger, sans le moindre contrôle, des retraites à d'innombrables centenaires disparus depuis des lustres ? Où est la justice sociale quand l'Aide Médicale d’État soigne 220 000 sans papiers chaque année, à raison de 3500 euros par malade, alors que la sécurité sociale ne dépense que 1600 euros par affilié qui travaille et cotise ? Où est la justice sociale quand des étrangers bénéficient de la CMU et d'une mutuelle gratuite, alors que 5 millions de Français n'ont pas de mutuelle, trop riches pour bénéficier de la mutuelle CMU mais trop pauvres pour s'en payer une ? 30% des Français ont différé leurs soins en 2011 ! Où est la justice sociale quand on sait que 10 millions de fausses cartes Vitale sont en circulation et permettent de soigner des milliers d'étrangers sous une fausse identité, au détriment des ayant-droits ? Où est la justice sociale quand la France entretient des milliers de polygames, certains d'entre eux percevant plus de 10 000 euros par mois sans travailler, alors que la polygamie est interdite et que nos comptes sociaux sont dans le rouge ? Où est la justice sociale quand une famille nombreuse étrangère est prioritaire pour un logement social, alors qu'un jeune couple français doit attendre sept ou huit ans son premier logement pour avoir un enfant ? Où est la justice sociale quand on sait qu'un million de faux passeports, donnant droit à la manne sociale, sont en circulation sur les sept millions de passeports biométriques soi-disant « infalsifiables » ? Où est la justice sociale quand un Français né à l'étranger doit prouver sa nationalité à l'administration, ce qui se traduit souvent par un véritable parcours du combattant, alors qu'on brade chaque année la nationalité française avec des milliers de mariages blancs ? Où est la justice sociale quand la délinquance explose et que les droits des voyous passent avant ceux des victimes ? » La seule réponse de la ministre concernée Marisole Touraine a été: « Vous êtes là pour inciter à la haine et à la discrimination »...


      Si ces questions sont bien légitimes, quoique un spécialiste y trouverait peut-être quelque détail à corriger, il faudrait ajouter que les contraintes du  marché du travail sont telles qu’elles empêchent la plupart des immigrés, peu ou pas qualifiés, d’y accéder. Avons-nous alors participé à la « lepénisation des esprits » en reproduisant ces questions ? Non. Que l’on y réponde, que l’on résorbe cette fuite en avant de l’Etat providence, quand les Pays-Bas viennent d’abandonner enfin ce fardeau, que l’on rétablisse la justice et la paix dans les quartiers dits sensibles, plus exactement cancérisés de charia et de délinquance, que l’on rende la création d’entreprises de richesses et d’emplois à tous ceux qui voudront bien y révéler leurs potentialités étouffées, et le Front National se dégonflera comme un vieux pneu crevé.

       Le Front National est un national-socialisme. S’il n’a pas les projets génocidaires du nazisme, il avoue par la voix de sa Présidente vouloir s’allier, au Parlement européen, avec les éminences néo-nazies des Grecs d’Aube Dorée et des Hongrois du Jobbik. En revanche, il n’a rien à voir avec le leader anglais de l’Upik, Nigel Farage qui, eurosceptique, milite pour le retrait du Royaume Uni de l’Europe et pour la restriction des flux migratoires. Nigel Farage, libertarien, est en faveur de la flat tax et de l’état-minimum. Rien à voir avec le FN, comme trop de médias voudraient nous le faire croire, amalgamant les « populistes » en usant de ce terme aussi vague que dilatoire.

        Anti-européen, mais surtout anti-libre-échange, anti-mondialisation, donc vigoureusement protectionniste, le FN est de plus favorable aux nationalisations, au développement exponentiel des services publics, à une forte hausse des dépenses militaires, à une planification économique…

            Il faut alors noter qu’il a de fort nombreux points communs avec le Front de Gauche, lui international socialiste. Ne les séparent que de légères variantes sémantiques. Les deux Fronts exigent un pôle stratégique de l’industrie, des contrôles des prix, l’augmentation du nombre des fonctionnaires, la perpétuation et l’extension des monopoles d’état (poste, rail, énergie...), l’encadrement de l’activité financière et le blocage de la spéculation (criant haro sur la finance cosmopolite où il faut deviner « Juif »), sans oublier la retraite à soixante ans, l’augmentation radicale du SMIC et un impôt fortement progressif sur le patrimoine… Ce qui explique la porosité de ces deux partis, les électeurs fuyant l’un pour l’autre. Ne les séparent plus que le rejet total du capitalisme et l’affection intéressée pour un capitalisme national de connivence, que l’ouverture et la fermeture à l’immigration. Le masque rouge du tyran table sur la solidarité, quand le masque brun du tyran ne jure que sur le patriotisme. Ne les séparent qu’un antisémitisme résiduel chez les anciens, les cadres, les activistes du FN, qu’un antisémitisme, sous le masque de l’antisionisme, ravageur chez le FG. Le bonnet d’âne de l’étatisme autoritaire, de la tyrannie enveloppante n’a qu’une légère différence de couleur. L’on sait qu’Hitler, Goebbels, Himmler admiraient le putsch léniniste, qu’ils se réclamaient sans cesse, dans leurs discours, du socialisme.

           Tous deux, FN et FG, ils dénoncent l’ultralibéralisme. Pourtant, avec plus de 29 000 lois européennes, la PAC, un code du travail qui a triplé son poids depuis 1978 et 60 000 dispositifs français d’aides aux entreprises, il semble que l’Europe ne soit qu’assez peu libérale, et la France encore moins. Pourtant, les économies qui ont bifurqué vers plus de libéralisme -Allemagne, Suède, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse, Israël, Chili, Nouvelle Zélande, Australie- sont nettement plus performantes, autant en termes de croissance que d’emplois… Ainsi, tous deux, FN et FG, fronts bas et taurins, tous deux sont aussi bouchés qu’incultes, ne connaissant rien du libéralisme[3] et le caricaturant ignominieusement. Tous deux prétendent protéger le peuple, en lui mentant, du loup capitaliste et ultralibéral, suivis en cela par le PS qui n’est qu’à peine une potion light de cette doxa marxiste à laquelle ne résiste que fort mal l’UMP et l’UDI, formatés, soumis à un chantage permanent, qui les empêchent d’ouvrir leurs cerveaux aussi bien aux penseurs du libéralisme qu’aux résultats engrangés par les pays qui l’approchent.

        Voilà une sourde complicité qui doit faire craindre que les échecs continus de nos gouvernements, comme ceux de la démocratie de Weimar dans les années vingt, amènent à un reflux en masse des déçus, des indignés, des envieux et des coléreux vers le parti rouge-brun qui saura les haranguer, lécher le fondement de leurs bassesses, leur promettre une séduisante tyrannie de façon à jouir à son tour des prérogatives d’un pouvoir sectaire, se heurtant à de vastes manifestations, désordres, répressions, révoltes et guérillas. Assez ! Ne jouons pas au vautour de mauvais augure…

            Un philosophe libéral, Friedrich A. Hayek, avait avant nous, dans La Route de la servitude, en 1944, pointé «  les racines socialistes du nazisme », donc cette actuelle coïncidence des Fronts. Dans son chapitre « Les totalitaires parmi nous », il dénonçait « La sélection par en bas » et « un rapprochement toujours plus grand entre les conceptions économiques de la gauche et de la droite, leur opposition commune au libéralisme[4] ». Gauche et droite créent ainsi l’illusion d’être indispensables à la population, prônant des politiques globales et constructivistes, au lieu de faire confiance aux multiplicités créatrices de l’humanité, dont elles n’aiment fondamentalement pas l’indépendance, l’imprévisibilité, pourtant bien plus productives en termes de libertés et de richesses, ce au bénéfice du plus grand nombre.

         Ainsi, le problème n’est pas le capitalisme, ni le libéralisme, mais le manque de capitalisme et de libéralisme. Relisons le sociologue Raymond Boudon : « les maux qu’engendrent les sociétés libérales peuvent être dus, non à ce qu’elles appliquent les principes du libéralisme, mais à ce qu’elles s’en écartent ». Certes, il n’était pas aveugle sur « les effets pervers de l’ordre libéral[5] », ne seraient-ce que la médiocrité de la culture de masse, les dangers inhérents au risque entrepreneurial, ou la surévaluation d’un produit inutile, voire dangereux, mais aussi ces inégalités dont on nous rabat tant les oreilles et qui ne sont désastreuses que pour celui qui est contraint de rester pauvre par une structure étatique castratrice. Mais, d’une part, les régimes planificateurs ne sont pas à l’abri de tels errements, en ce cas plus graves encore puisque monopolistiques et tentaculaires, d’autre part, les pertes sont bien inférieures aux gains sociétaux, comme l’ont montré les succès des démocraties libérales en terme de développement humain.

         Les politiques étatistes, fiscocratistes et en conséquence corruptrices, n’aboutissent, par la collusion de l’envie et de la contrainte, qu’à la ruine de l’économie, qu’à la turpitude des extrêmes idéologiques dressés à monter au pinacle. Ces derniers rivalisent d’incantations et de réquisitoires contre la « puissance du marché », la « société de consommation », le « capitalisme prédateur », le « virus libéral »… Hélas, on fait tout pour brider, étrangler, lobotomiser, un reste de libéralisme, s’il en est. Pour éviter que l’immense pouvoir des régulateurs prétendument intelligents de l’économie soit atomisé : entendez les obsédés du pouvoir total, ces grands ponctionneurs et redistributeurs que sont nos élus et nos haut-fonctionnaires. Pourtant, « à l’emprise contraignante du groupe sur l’individu qui caractérise la communauté, se substitue, dans la société, la complémentarité des individus et leur autonomie[6] ». Pourtant, on a tout essayé, sauf le libéralisme…

            L'on peut dire la même chose du libéralisme et de la mondialisation : ils sont « un bouc émissaire très utile », selon le chercheur suédois Johan Norberg. Cependant, pour ce dernier, « La mondialisation ne reçoit pas d’applaudissements quand les choses vont mieux, quand l’environnement s’améliore, quand l’économie roule à grande vitesse et que la pauvreté diminue. […] Si ce mouvement doit se poursuivre, il devra s’appuyer sur un combat idéologique en faveur de la liberté et à l’encontre des barrières et des contrôles[7] ». La seule réponse crédible au Front National, ainsi qu’à tous les autres partis socialistes, c’est la croissance, la création de richesses et d’emplois, grâce au libéralisme, qu’il s’agisse du travail du dimanche, de l’impôt unique et minimum, de la concurrence encouragée, des OGM et du gaz de schiste. Que fuient d’ici ceux qu’effraient nos libertés ! Et toi, qui promit de diviser le chômage par deux et qui tint ta promesse, chère Margaret Thatcher, reviens !

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[4] Friedrich A. Hayek : La Route de la servitude, PUF, 2010, p 121, 99 et 132.

[5] Raymond Boudon : Pourquoi les intellectuels n’aiment pas le libéralisme, Odile Jacob, 2004, p 195, 161.

[6] Raymond Boudon, ibidem, p 122.

[7] Johan Norberg : Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste, Plon, 2003, p 260.

 

Saint-Michel piétinant le Démon, retable médiéval,

Museu Diocesa, La Seu d'Urgell, Catalunya. Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
25 février 2014 2 25 /02 /février /2014 18:19

 

Musée Bernard d'Agesci, Niort, Deux-Sèvres.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Etat, utopie, justice sociale et tyrannie :

 

de Thomas More à Ruwen Ogien.

 

 

Thomas More : L'Utopie,

traduit de l'anglais par Marie Delcourt, GF, 2017, 256 p, 5,90 €.

 

Ruwen Ogien : L’Etat nous rend-il meilleur ?

Folio essais inédit, 2013, 336 p, 9,10 €.

 

 

 

Une utopie qui ne soit pas une tyrannie est-elle possible ? Le fondateur humaniste de l’Utopie, Thomas More, montra en 1516, à son corps défendant, qu’il n’en est rien. Mieux que Platon dans sa République, il offrit un harmonieux tableau d’une société meilleure où chacun pourrait vivre avec aisance. C’était une Utopie, un lieu de nulle part, mais également une « eutopie », une île bienheureuse, de par et malgré les chaînes de sa coercition. Aujourd’hui, Ruwen Ogien, en son essai sans île d’utopie, en postule cependant l’apparition sur le terrain de notre aujourd’hui. Quoique nettement plus avancé dans la conception d’une société de liberté, il n’en demeure pas moins enclin à une pulsion tyrannique. En effet, de homas More à Ruwen Ogien, le problème clé reste le mythe tenace de l’égalité socio-économique…

 

L'on oublie trop souvent que le texte venu du latin de L’Utopie commence par une première partie en forme de dialogue philosophique, un peu à la façon dont Swift fera converser son Gulliver avec les souverains des îles étranges. Qu’il s’agisse d’essai décrivant un imaginaire, ou d’apologue, l’altérité de l’idéale contrée ne peut se passer d’une dimension pamphlétaire envers son contemporain. De même, ne peut-on pas faire un rapprochement entre l’Angleterre de Thomas More et notre société d’aujourd’hui ? Là où « les brebis mangent même les hommes[1] », il fait allusion  aux expropriations des terres communales par le gouvernement au profit des favoris du roi, qui en avaient chassé les paysans, pour les changer en pâturages. Notre socialisme n’est-il pas en train d’exproprier les citoyens de l’économie au profit de ses élus, édiles, affidés et privilégiés de façon à paraître des brebis dont la mansuétude, via la redistribution, arrose le pays d’aides sociales à bout de course ? De même ces brebis,  dont l’Angleterre couvrait les campagnes du début du XVIème, ne sont-elles pas l’équivalent de ces surabondants fonctionnaires dont l’état socialiste couvre le territoire aux dépens des entrepreneurs spoliés par la tyrannie fiscale ?