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25 décembre 2020 5 25 /12 /décembre /2020 11:14

 

John Stuart Mill : La Liberté, Le Gouvernement représentatif, Guillaumin & cie, 1877.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

À la recherche des années Trump :

peser le pour et le contre.

Jérôme Cartillier & Gilles Paris :

Amérique années Trump ;

Guy Millière : Après Trump ?

 

 

Jérôme Cartillier & Gilles Paris :

Amérique années Trump, Gallimard, 2020, 400 p, 23 €.

 

Guy Millière : Après Trump ? Balland, 2020, 222 p, 18 €.

 

 

 

Vous accueille au mieux un regard de commisération, pire un verdict d’insensé demeuré, si vous avez l’incongruité de défendre un instant l’histrion américain, le dangereux fasciste. Nous aurons l’indécence de nommer le Président Donald Trump autrement qu’avec force sarcasmes entendus, reductio ad hitlerum et autres grégaires vociférations. Peut-on se faire une conviction saine, à l’abri des fleuves de blâmes viraux ; mais aussi de rares éloges dithyrambiques ? Sans se contenter de lire ce qui confortera notre opinion, observons avec équanimité Jérôme Cartillier et Gilles Paris dresser une fresque édifiante de l’Amérique années Trump, accumulant les motifs de réquisitoire au risque de ne s’intéresser qu’au style et guère aux résultats. Alors que dans son Après Trump Guy Millière ne néglige pas de les mettre en avant, avec une admiration sans mélange ; ce pourquoi le blâme fomenté par les uns doit être dialectiquement opposé à l’éloge proposé par le second, auxquels notre lecteur devra s’affronter en gardant la tête froide. Dangereux histrion majeur ou ardent défenseur de la démocratie libérale, de la paix et de la prospérité ? Après une première analyse[1] il y a trois ans, l’auteur de ces modestes lignes, qui ne prétend pas tout savoir et peut se tromper,  doit écrire à l’ère d'un éventuel crépuscule trumpien. Non sans s’inquiéter d’une succession qui placerait la démocratie libérale dans une posture dangereuse, car si l’Amérique parait débarrassée d’une tignasse rousse, il est à craindre qu’un voile rouge veuille la recouvrir… Aussi en novembre 2024, n'en déplaise au complot des socialistes patentés, faut-il saluer le retour de Donald Trump, même s'il n'emporte pas notre adhésion sur tous les sujets, en particulier la question de la liberté un brin menacée de l'avortement, et un protectionnisme excessif en dépit du libéralisme économique qui contribue fort à son succès. Aussi est-il temps de balayer les haines socialistes, wokistes et islamogauchistes, pour accéder à une analyse rationnelle du phénomène.

Attentifs correspondants à Washington, au plus près de la Maison blanche, journalistes pour l’Agence France Presse et Le Monde, Jérôme Cartillier et Gilles Paris ont beau jeu de lister les travers de Donald Trump, ses foucades et fanfaronnades, ses tweets impénitents, ses revirements et ses rapports conflictuels avec ses collaborateurs ; mais aussi le populisme[2], les collusions avec les chrétiens conservateurs et autres évangélistes, avec le Tea Party partisan du moins d’Etat, avec la chaîne Fox News, en tant qu’il participe d’une proximité avec le peuple, celui déclassé, laminé par le chômage, oublié par les élites des côtes Est et Ouest lors de l’ère Obama, qui fut d’ailleurs, ne l’oublions pas, également un auteur de tweets impénitent.

Cependant un rien de mauvaise foi anime la paire de journalistes lorsqu’ils postulent « Un système électoral sur mesure », alors que l’on sait que le vote d'une majorité n’entraîne pas forcément la composition du collège électoral, le système favorisant Démocrates ou Républicains, selon les cas, même s’il bénéficia en 2016 à Donald Trump. Cette mauvaise foi atteint des sommets en attribuant la baisse du chômage aux efforts de Barak Obama, à l’aide fédérale, alors que seuls les baisses d’impôts (pas seulement pour les hauts revenus) et de normes ont permis à Donald Trump de diviser ce chômage par deux, soit 3,5 % en février 2020, avant la crise du coronavirus. L’on a compris que les deux compères ne sont en rien des partisans du libéralisme économique et comptent pour peu de choses les millions d’Américains qui ont accédé à un emploi et ont amélioré leur condition. Le taux de chômage de novembre dernier, suite au choc du coronavirus et des confinements, autour de 8 %, ferait pourtant pâlir d’envie tout Français en tant soit peu sensé que n’aveugle pas l’enfer fiscal. Ce qui nous ramène au grief de « l’optimisation fiscale » réalisée en sa faveur par Donald Trump, controversée, et cependant légale.

Conspuant le discours anti-immigration de Donald Trump et son mur, notre duo de choc oublie que ce dernier a été soutenu par Barack Obama, que l’immigration n’est plus ce melting pot qui fit l’Amérique, mais en sus des pauvres qui veulent améliorer leur condition, la violence des gangs mexicains et la menace de l’islamisme… De même, s’il s’agit de libre-échange, qui serait menacé selon nos journalistes, n’oublions pas que la « guerre commerciale » et les barrières douanières contre la Chine ne l’invalident pas, au contraire, dans la mesure où cette dernière ne pratique pas la réciprocité et pille sans vergogne les découvertes technologiques d’autrui. Déplorant la fin de l’Obamacare, le duo oublie combien il s’agissait de la confier à peu d’entreprises qui allaient en bénéficier au dépend d’une augmentation des coûts pour les Américains. La baisse drastique du chômage est à cet égard bien plus efficace.

Il est vrai que tout n’est pas brillant dans le bilan des années Trump : « l’envolée de la dette fédérale », poursuivant celle de son prédécesseur. L’essai ne néglige rien pour noircir le tableau. L’abandon des Kurdes au Moyen-Orient signe la fin de la mission démocratique américaine à travers le monde et de l’interventionnisme militaire. Faut-il le regretter, alors que sept-mille boys sont morts sur des fronts lointains depuis l’invasion de l’Afghanistan, pour un résultat plus que mitigé ? Cependant affirmer qu’il s’agit d’une « diplomatie délaissée » est pour le moins spécieux, tant les Kurdes du PKK sont des terroristes, et tant les Kurdistan irakien et syrien sont devenus des zones de non belligérance entre Turcs et Russes. Même si le dossier coréen, avec un Kim Jong-un provisoirement assagi, se révèle décevant, revenir sur les accords avec Cuba et l’Iran est peut-être de bonne prudence, tant le premier reste un fossile communiste et tant le second est une sérieuse menace nucléaire et terroriste. Exiger que tous les membres de l’OTAN payent leur quote-part n’a rien d’indécent. Faut-il remarquer combien la paix au Proche-Orient a gagné, grâce aux accords entre Israël et les pays arabes, même s’ils ont été réalisés depuis l’écriture de ce livre ? On lui reproche « sa fascination pour la Russie » et « ses diatribes contre l’Islam ». Sans que la première soit un modèle, et dont le Président se méfie, mieux vaudrait ne pas se tromper d’ennemi[3]. Nos deux journalistes n’appréciant pas le moins du monde la reconnaissance des colonies israéliennes et de Jérusalem capitale, est-ce à dire qu’ils préfèrent le terrorisme palestinien à une démocratie libérale avancée ? De surcroît tout est mis en œuvre pour déplorer l’assassinat du général iranien Qassem Souleimani, pourtant responsable de la mort de centaines d’Américains, alors que les prédécesseurs du Président ont eux déclenché des guerres, dont bien évidemment Barack Obama. Certes, quant au coranavirus, la réaction présidentielle n’a peut-être pas été à la hauteur, selon « de longues semaines d’atermoiements », des remarques pour le moins approximatives et à l’emporte-pièce, une gestion erratique, des emportements partisans, voire des appels à la désobéissance civile à l’égard d’Etats qui prônent le confinement ; mais quel Président peut se targuer d’une réelle efficacité ? N’a-t-il pas assez tôt fermé les aéroports aux avions venus de Chine ? Reste « une occasion manquée » de s’affirmer face au candidat démocrate Joe Biden, alors que la Chine et les Etats-Unis ne s’affrontent plus seulement dans un conflit commercial et douanier, mais dans une responsabilisation de la diffusion du virus, voire une guerre bactériologique initiée par le régime communiste

Quant à l’affaire George Floyd, scandaleusement plaqué au sol par la police, quoique criminel et drogué notoire mort d’overdose au Fentanyl (ce que taisent nos journalistes), elle est l’occasion de conspuer Donald Trump, qui « reste immobile ». Comme si seule la police blanche tuait les Noirs ! L’indignation relève pourtant d’une récupération indigne, d’un racisme anti-blanc et d’une radicalisation antifasciste et extrême gauchiste… Cependant un Président s’honorerait de consentir à débaptiser les bases militaires portant des noms de généraux sudistes, donc esclavagistes. Mais peut-on lui reprocher de vouloir rétablir l’ordre lors des émeutes, des pillages et des meurtres qui émaillèrent des manifestations prétendument pacifiques ? C’est pourtant ce que font sans vergogne nos journalistes, scandalisés que Donald Trump dénonce « un nouveau fascisme d’extrême gauche », pourtant avéré…

Tout conspire en cet essai à quatre mains à dézinguer le Président : « hystérisation de la politique », « abandon de l’exemplarité personnelle », « inaction climatique », « défiance vis-à-vis de la science », « mépris des fonctionnaires fédéraux », « xénophobie », « mépris des dossiers et de leur complexité », « inconstance » et « brutalité », « unilatéralisme méprisant les engagements internationaux des Etats-Unis », « soif de reconnaissance », « absence du couple Trump » (ce impliquant Melania qui n’en peut mais), il a « sollicité une ingérence étrangère pour favoriser sa réélection »,  prétention à avoir le droit de faire ce qu’il veut avec le ministère de la Justice (selon sa propre faconde), influence du couple formé par sa fille Ivanka et son mari Jared à la limite du népotisme, valse des collaborateurs éjectés, les éloges discutables des dirigeants russe, turc et chinois. Malgré nos objections passablement informées, le réquisitoire contre « le style de la présidence » ravira les inconditionnels de l’antitrumpisme et les trumpophobes qui se drapent dans leur dignité morale en accusant les traits déjà peu élégants d’un homme brut de décoffrage, sinon vulgaire, aux références historiques pour le moins approximatives, passablement girouette et vaniteux.

Mais en s’attachant au style plus que discutable, ne ratent-ils pas la visibilité des résultats ? Il est vrai que comme la foule des Démocrates il n’y a pour eux guère de résultat qui compte hors l’affichage de l’idéologie étatiste au service d’une justice sociale qui entretient la pauvreté d’autrui et couvre de rentes le capitalisme de connivences et les serviteurs de l’Etat, qu’il soit parmi les cinquante ou fédéral.

Un dialogue de sourds s’instaurerait avec nos deux journalistes si l’on venait à dénoncer la comédie de l’impeachment pour collusion avec la Russie puis celle de l’affaire ukrainienne, soit l’obstination démocrate qui fait feu de toute mauvaise foi pour tenter de masquer les réussites. Et, n’en doutons pas, si notre duo écrivait après l’élection de novembre 2020, il balaierait d’un revers de main les allégations trumpiennes de fraudes démocrates…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De toute évidence, Jérôme Cartillier et Gilles Paris, certes fort informés et au plus près du volcan, mais  partisans jusqu’à la moelle, sont des fervents du côté démocrate, voire « progressiste », selon une terminologie idéologique post-marxiste. Guy Millière, lui, appartient au camp républicain et va jusqu’à penser que l’Amérique file un coton communiste. La tentation pourrait être de les renvoyer dos à dos, si ne l’on ne pointait pas combien les premiers dénoncent le populisme trumpiste, et combien le second réhabilite la légitimité du peuple et dénonce le complot démocrate qui entache l’élection de 2020 de fraudes avérées, alors que les premiers appartiennent à la doxa qui veut laisser croire au complotisme des partisans des succès des années Trump. Cas d’école s’il en est que cette arène politique, idéologique et rhétorique…

La cause parait entendue, et surtout en France : Donald, histrion majeur, est un fauteur de troubles, indigne de sa fonction. Y aurait-il quelqu’un, sans être un fanatique au verbe creux, pour assurer sa défense ? Guy Millière prend le risque d’assumer de jouer ce rôle avec une rare conviction, dans son essai Après Trump ? Et non seulement plaide-t-il la cause de son champion, mais de surcroit il charge de son réquisitoire acéré le camp démocrate, accusé de « coup d’Etat ». Car selon lui, « la quasi-totalité de ce qui se dit et s’écrit sur le sujet en France est essentiellement négatif […] est aussi essentiellement inexact ».

L’essai de Guy Millière est vigoureux, ordonné, argumenté. Depuis 2016, alors qu’ils pensaient leur victoire certaine, les Démocrates n’ont cessé de contester l’élection de Donald Trump, de fomenter des complots pour l’abattre. Le rapport Mueller était censé montrer la collusion avec la Russie, il se révéla pourtant vide, quoique de telles rumeurs aient pu entraîner l’accession d’une majorité démocrate à la Chambre des Représentants en 2018. L’allégation d’échange d’une enquête sur Hunter Biden (notoirement corrompu) contre des aides financières à l’Ukraine, quoique Donald Trump publia l’entretien téléphonique anodin, conduisit les Démocrates à voter comme un seul homme un impeachment qui ne put aboutir. Il fallait trouver autre chose, alors que les succès économiques et le plein emploi semblaient mener à une réélection. La crise du coronavirus vint à point pour accuser le Président d’inaction, alors qu’il ferma dès février la venue des avions de Chine, puis d’Europe en mars, ce pourquoi on l’accusa de xénophobie, alors qu’il conseilla le confinement (mais cela restait du ressort des Etats). Et lorsque la situation se stabilisa, ce sont les Etats et les villes démocrates qui n’ont pas libéré l’économie, sachant combien le rebond n’allait pas les favoriser. C’est bien ce qui se passa quand l’affaire George Floyd éclata providentiellement, le mouvement « marxiste Black Lives Matters » accusant le pays de racisme, usant de « méthodes léninistes », entraînant un climat insurrectionnel, abattant les statues, incendiant les villes démocrates d’émeutes violentes et criminelles, alors que ces dernières s’ingéniaient à les laisser flamber : il leur faut des pauvres et des victimes pour voter pour eux. Et « s’ils perdent les voix noires, ils sont finis politiquement », dit Candace Owens, une noire conservatrice.

L’enseignement lui-même est soumis à la propagande de la gauche extrême, qui vise à « remplacer la connaissance » ; ce pourquoi Donald Trump a promu l’enseignement d’excellence gratuit dans les « charter schools ». Sans compter les médias plus qu’orientés, les réseaux sociaux, jusqu’à Google, qui ne négligent pas la censure. Les juges sont le plus souvent à gauche, et la nomination du conservateur Brett Kavanaugh à la Cour suprême suscita une absurde et infamante allégation de viol à son encontre par une militante démocrate.

Guy Millière n’hésite pas à taxer le « sénile » Joe de Biden aux « propos incohérents », de corruption avec la Chine et l’Ukraine, via son fils Hunter, tant les preuves existent, quoique savamment passées sous silence. Le taxer d’avoir un programme calqué sur celui du délirant gauchiste Bernie Sanders, soit de fortes augmentations d’impôts, la quasi doublement du salaire minimum, une politique keynésienne anti-libérale, la reprise des réglementations abolies par Donald Trump, suivies de bien des nouvelles réglementations au service d’un capitalisme de connivence avec l’Etat ; ce qui ne manquera pas d’affaiblir l’économie et de briser les reins de l’emploi, sans compter la régularisation d’une dizaine de millions d’immigrés et la création de deux nouveaux Etats, dont Porto Rico, tous destinés à voter démocrate. Sans oublier « les logements gratuits pour les criminels sortant de prison », la fin du pétrole et du charbon en un écologisme totalitaire, la fin des « charter schools », « une aide au définancement des forces de police et au remplacement des policiers par des travailleurs sociaux ». La Vice-présidente Kamala Harris étant bien évidemment en phase…

Parmi ses nombreuses publications, le politologue français Guy Millière (né en 1950) parti s’installer au Etats-Unis, dénonce vigoureusement l’antisémitisme, les dangers de l’Islam radical ; mais aussi, en tant que spécialiste de la politique américaine, il analysa l’ère de Georges Bush et celle délétère de Barack Obama[4], Président islamophile, au vu du discours du Caire en 2009, et passablement socialiste. Penseur libéral au sens classique (et proche de Friedrich A. Hayek et de Leo Strauss) Guy Millière est également l’une des âmes du site polémique Dreuz.info, un blog qui se revendique comme « pro-américain », « pro-israélien » et « néo-conservateur » et qui d’après Décodex et le journal Le Monde « publie régulièrement de fausses informations, notamment sur l'immigration ». Quoiqu’il publie de régulières informations sourcées sur les élections américaines et sur les nombreuses fraudes ; comme en ce rigoureux indispensable essai, précisément nanti de sources en de nombreuses notes, même s’il est affecté de bien des coquilles, probablement dues à une publication hâtive.

Que Donald Trump soit soutenu par des « suprémacistes blancs », par des délirants aux fantasmes sataniques de la secte QAnon, soit, mais l’associer à ces derniers est pour le moins délirant tant l’on n’est pas responsable de ses soutiens, lui accoler l’étiquette de « pouvoir raciste » est indigne, si l’on se souvient que son club de Floride a été le premier à s’ouvrir aux Noirs. Que Donald Trump soit vulgaire, doive plus souvent tourner sept fois sa langue dans la bouche avant de s’exprimer - défauts que Guy Millière passe sous silence - certes, mais à ne regarder que le masque de celui que l’on prend pour un clown empêche de se déciller sur l’efficacité de sa politique. Aussi n’entendre que le style d’harangueur de foire et de téléréalité, la démagogie de bateleur attisant les rancœurs et les enthousiasmes d’un bas peuple, ou de gens simples, c’est se condamner à ne pas voir les faits, les actions, largement positifs, dépliés parmi les pages profuses de l’essai de Guy Millière à méditer, si l’on n’avait pu pleinement les percevoir au travers de nos médias plus qu’orientés. Les accomplissements de la présidence Donald Trump sont lisibles sur la page de la Maison blanche[5].

Premier Président n’ayant impliqué les États-Unis dans aucune guerre depuis Eisenhower, déménageant l’ambassade des États-Unis à Jérusalem devenue capitale, il a su négocier plusieurs plans de paix au Proche-Orient, les accords Abraham entre Israël et des pays arabes, dont l’Arabie saoudite qui tend à se réformer et a cessé ses financements terroristes. Il a volatilisé l’Etat islamique et éliminé les deux principaux terroristes au monde dont Abou Bakr al-Baghdadi. Dénonçant l’accord nucléaire avec l’Iran, il a asphyxié le régime iranien, qui a dû également cesser ses financements terroristes, et supprimé les aides à l’Autorité Palestinienne tant qu’elle ne renoncerait pas à salarier à vie les terroristes et leurs familles. Par ailleurs l’accord de normalisation économique entre la Serbie et le Kosovo ne lui est pas étranger. La construction du mur aux frontières du Mexique, quoiqu’inachevé, a considérablement réduit l’immigration illégale, dont celles des gangs de trafiquants de drogue hyper-violents. Sans oublier qu’il a mis fin à la politique de capture suivie de libération sans contrôle des immigrés illégaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les résultats économiques ont été stupéfiants, le chômage chutant à 3,5% avant le coronavirus, et sont indubitables. Grâce à la baisse des impôts sur les entreprises (à 21%) et les particuliers, grâce à l’abolition de maintes réglementations fédérales qui bridaient les activités et les innovations, un nombre considérable d’entreprises est rentré aux Etats-Unis, les salaires ont augmenté, la capitalisation des retraites a bondi, permettant d’augmenter les pensions. Plus de quatre millions d'américains sont sortis du seuil de pauvreté en trouvant un travail. Le chômage des Noirs et des Latino-américains n’a jamais été aussi bas qu’au printemps dernier. De plus le Président, qui ne touche pas son salaire de 400 000 dollars annuels, a contribué à l’arrêt de la politique judiciaire des « trois coups », soit jusqu’à la prison à vie à la troisième récidive, quelques soient le délit ou le crime, politique qui affectait d’abord les jeunes Noirs.

En se retirant de l'accord de partenariat transpacifique, les échanges commerciaux ont été rééquilibrés avec la Chine, lui imposant des tarifs douaniers plus équitables, par exemple des taxes douanières sur les machines à laver, les panneaux solaires, dont elle est une exportatrice forcenée. Ainsi le Président a-t-il imposé des taxes ou interdit des produits qui menacent l’indépendance américaine, comme la 5G d’Huawei, qui a pour destination une surveillance totalitaire, au-delà de ses frontières. Il a remplacé l’ALENA qui favorisait les entreprises étrangères au détriment des constructeurs Américains par l’USMCA ; tout en taxant par ailleurs les Etats profiteurs de l’OTAN qui ne réglaient pas leur contribution.

La corruption profonde et pro-démocrate latente à l’intérieur du FBI, de la CIA, de la NSA a été entrebaillée, alors que dans le même temps une pédophilie frôlant le milieu Clinton et Hollywood fut dévoilée dans le sillage de l’affaire Epstein. La collusion partisane des médias avec la doxa démocrate a été mise en évidence.

Permettant aux Etats-Unis de devenir le premier producteur de pétrole au monde, qui plus est exportateur (même si la crise du coronavirus a infléchi la donne), il a réactivé les projets de construction de deux oléoducs, Keystone et Dakota, avec le Canada, bloqués par Barack Obama pour des raisons environnementales, tout en permettant au charbon de retrouver un certain lustre, malgré ses discutables pollutions. Il faut alors admettre que la problématique entre la vie économique et la décroissance écologique est à cet égard criante.

Parmi les financements fédéraux, il faut compter les collèges Black, les patrouilles frontalières, des parcs nationaux (donc en faveur de la nature et de la biodiversité), le doublement du financement de la lutte contre les incendies de forêt, 100 millions de dollars pour le logement des citoyens à faible revenu.

En ce qui concerne la Santé, il a non seulement imposé des baisses massive des prix des médicaments sur ordonnance, mais donné 100.000 dollars sur sa propre cassette pour financer un traitement contre le Covid 19. L’obligation tyrannique de souscrire à Obamacare a été supprimée, de façon à éviter un projet monopolistique, des coûts prohibitifs, et permettre une concurrence saine.

En ce qui concerne la Justice, 53 juges ont été nommés dans 13 cours des États-Unis, 205 juges à la Cour fédérale, 3 juges à la Cour suprême. De surcroit, le Président a déclenché une chasse à MS-13, le pire gang des Etats-Unis. Il a mené une lutte contre le trafic d’enfants, qui, selon des voix qu’il resterait à certifier, ne sont pas sans lien avec l'arrestation de Jeffrey Epstein puis celle de Ghislaine Maxwel.

Acharné à la défense du monde libre et de la civilisation occidentale face aux régimes totalitaires, qu’il s’agisse de l’Islam ou de la Chine communiste, Donald Trump n’a visiblement pas été compris par la plupart de l’Europe alors qu’Europe et Etats-Unis devraient rester des alliés naturels dans le cadre des démocraties libérales, alors qu’il a tenté, hélas sans guère de succès, de faire barrage au socialisme américain, pourtant d’une virulence inquiétante.

Comment peut-on imaginer élire un Joe Biden ? se demande Guy Millière. Une marionnette de langue de bois sénile, manipulée par une oligarchie dangereuse, voire pré-totalitaire (l’on censure Trump de Twitter à CNN), qui cherche et perd ses mots, confond sa femme et sa fille, a voté la politique pénale des trois coups abolie par Trump, a régné 40 ans comme sénateur puis vice-président sans que le chômage ait diminué. Et c’est à cet homme-là que va la préférence de la Russie, de la Chine, de l’Iran et de la Turquie…

Il est à craindre que les décrets de Joe Biden soient désastreux. Ouverture des frontières à l’immigration mexicaine (le Mexique étant l’un des plus violents Etats du monde) et depuis les pays islamiques terroristes, intégration de millions d’immigrés illégaux destinés à être naturalisés donc à voter démocrate, réintégrer l’accord de Paris sur le climat donc au dépens de l’économie américaine et au profit de la Chine non concernée, coup d’arrêt au pipe-line et à l’indépendance énergétique des Etats-Unis au profit de la dépendance auprès des Etats du Golfe persique, préférence accordée aux Palestiniens au dépens d’Israël, etc.

Il faut imaginer un nouvel essai fomenté par Guy Millière. Faut-il accorder crédit aux allégations de fraudes ? Cent millions de vote par correspondance, l’absence de carte d’identité obligatoire, des centaines de témoignages sous serment arguant de fraudes massives, des camions de bulletins trimballés, des machines à voter « Dominion » trafiquées et connectées à Internet, des milliers et milliers de votes Trump volatilisés dans les « swing states », des comtés et des Etats présentant 1,8 millions d’électeurs de plus que ceux en âge de voter, c’est ce qui semble ressortir malgré les dénégations. Face à de telles aberrations, un Guy Millière fulmine : les juges semblent ne plus assumer leur mission, n’ayant pas voulu examiner les preuves, jusqu’à la Cour suprême et au Vice-Président qui laissent passer ce que d’aucuns considèrent comme le couronnement d’un coup d’Etat signant la mort de la démocratie libérale américaine. Tandis que cinq cents éditeurs se liguent pour ne pas publier de livre de Donald Trump ou des membres de son administration, une « ombre totalitaire » pèse sur les Etats-Unis ; avec la complicité de Facebook, Twitter et autres GAFA gourmands de censure[6]….

Hélas le dernier acte de la Présidence Trump ne plaide guère en sa faveur : appeler ses partisans à manifester devant le Congrès lors des certifications de Joe Biden en se réclamant du vol de l’élection risquait bien d’amener des débordements, quoiqu’il ait appelé à « une marche pacifique », et n’ait pas appelé à une violence qu’il condamna ensuite, tant il faut se méfier de la foule et tant les Démocrates en seraient friands. Envahir le Congrès et le Capitole est un crime grave, déniant la démocratie, néanmoins plus près du chahut que de la tentative de putsch, quelques centaines de manifestants non armés n’en ayant guère les moyens (l’on s’émut bien moins lorsque des démocrates envahirent le même lieu en décembre 2017), loin des pillages et destructions ailleurs menés par les Antifas. Faut-il alors se demander pourquoi la police n’a su ou voulu empêcher une telle intrusion de grotesques factieux excédés par une élection qu’ils pensent être une injustice, alors que Washington a un maire démocrate et que le Pentagone a d’abord rejeté la demande de déploiement de la garde nationale ? À moins que, selon quelques témoignages, se soient infiltré des antifascistes (le F.B.I. ayant inculpé l’activiste de gauche John R. Sullivan qui incita les émeutiers à l’intrusion), d’autant que deux bombes ont explosé (sous le contrôle de démineurs) le même jour au siège du parti républicain et que, de plus, l’on imagine que l’on ne criera pas aux « violences policières », lorsque quatre personnes ont été tuées.… Faut-il craindre une sécession entre l’Amérique trumpiste et celle démocrate ? Reste que les Démocrates en s’indignant peuvent jubiler, pensant ainsi voir définitivement décrédibilisé Donald Trump et assoir leur triomphe à la Maison blanche et au Congrès. Certainement, pour restaurer leur brillant aux Etats-Unis, il faudra un autre candidat républicain en 2024, en espérant qu’il puisse être porté à la dignité suprême dans le cadre d’une intégrité électorale sans faille. Mais il ne faut pas vendre la peau de l’éléphant avant de l’avoir tué…

Thierry Guinhut

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17 octobre 2020 6 17 /10 /octobre /2020 18:25

 

Martyre de Saint-Etienne, Cathédrale de Bourges, Cher.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Violence anthropologique et vices politiques.

En passant par Walter Benjamin,

Laurence Hansen-Løve, Wolfgang Sofsky

& William T. Vollmann.

 

Walter Benjamin : Pour une critique de la violence,

traduit de l’allemand par Antonin Wiser, Allia, 2019, 64 p, 6,50 €.

 

Laurence Hansen-Løve : La Violence. Faut-il désespérer de l’humanité ?

Editions du Retour, 2020, 164 p, 14 €.

 

Wolfgang Sofsky : Traité de la violence,

traduit de l’allemand par Bernard Lortholary, Tel Gallimard, 1998, 228 p, 11 €.

 

Wolfgang Sofsky : Le Livre des vices,

traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau, Circé, 2012, 240 p, 21 €.

 

William T. Vollmann : Le Livre des violences,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Paul Mourlon,

Tristram, 1999, 960 p, 35 €.

 

 

Alors que l’Europe s’ensauvage, que Paris voit crimes et délits augmenter considérablement, que le terrorisme frappe ses rues à coups de feuilles de boucher et de kalachnikovs, répétant la litanie des martyrs chrétiens devenus martyrs agnostiques et laïcs, la violence, anthropologique, religieuse et politique, historique et culturelle, est un vice dont on se passerait bien. À moins qu’elle nous soit chevillée au corps, voire qu’elle soit nécessaire, tout au moins aux tableaux, poèmes et romans, voire symphonies, qui l’exaltent et la pleurent, de la colère de l’Iliade aux mélancolies de Guerre et paix. Cependant la violence du souverain policier est l’objet de la critique de Walter Benjamin, alors que Laurence Hansen-Løve craint de devoir désespérer de l’humanité. Quand Wolfgang Sofsky se fait l’historien et le clinicien de la violence, il la range en quelque sorte parmi son Livre des vices, sans guère d’illusion irénique, alors que William T. Vollmann plonge au sein de son Livre des violences au péril de son écriture et de sa vie.

 

Pulsion génétique, la violence a besoin de mythes, tant celui de l’Iliade, dont la colère est le premier mot, dont la guerre et les morts sont les conséquences, que celui de Marsyas, écorché vif par Apollon pour avoir prétendu être meilleur musicien que lui, dans les Métamorphoses d’Ovide[1]. Nous n’ignorerons pas le crime fratricide de Caïn sur Abel. Ce premier meurtre, parmi ceux infligés par les dieux et les hommes, n’est que l’inaugural maillon d’une longue chaîne qui culmina lors des totalitarismes, islamistes, fascistes et communistes, au cours des siècles. Les barbares Germains et Francs, Gengis Khan et Pol Pot, ou encore des écrivains comme Mutanabbî, qui « ne prend plaisir qu’aux jeux de guerre[2] », et Sade aimaient la violence comme une luxure,

Pourtant l’on doit, au contraire du préjugé commun, envisager l’idée qu’au cours des millénaires la violence n’a cessé de régresser. Si les mammifères qui nous précédaient n’étaient qu’environ 0,3 % à mourir en conséquence d’un conflit avec leurs congénères, les primates passent en l’occurrence à 2%, comme probablement les premiers hommes. Ainsi, selon Mark Bekoff, expert en comportement animal et professeur émérite au sein de l'université du Colorado à Boulder, l’on a tendance à exagérer la violence des animaux[3]. Or les tribus de l’Orénoque ont pu sacrifier dans des guerres tribales jusqu’à 60 % de leurs jeunes hommes. La période médiévale fut particulièrement meurtrière, avec une violence interhumaine responsable de 12 % des décès connus, entre invasions barbares, conquêtes islamiques, guerres de toutes sortes et criminalité urbaine et rurale. En revanche, au cours du siècle dernier, notre espèce s'est montrée relativement pacifique, ne s'entretuant qu'au taux de 1,33 % à travers le monde. De nos jours, le taux d'homicide des régions les plus pacifiques de la planète, comme le Japon ou la Suisse, peut descendre aussi bas que 0,01 %, offrant à notre portée une société pacifique.

Le dieu biblique est passé d’une violence punitive terrible et presque universelle en détruisant l’humanité, hors l’arche de Noé, en brûlant Sodome et Gomorrhe, à une alliance avec son peuple qui lui permit bien plus de bienveillance, évolution qu’il est permis de comparer avec celle qui fit passer les Furies de la Grèce antique au statut de Bienveillantes. « Il faut cependant abominer toute violence mythique, fondatrice de droit, que l’on est autorisé à dire arbitraire. Et abominer également la violence conservatrice de droit, cette violence administrée qui est à son service. La violence divine, qui est insigne et sceau, jamais moyen d’exécution sacrée, peut porter le nom de violence souveraine[4] ». Ainsi, en une apothéose mystique, Walter Benjamin conclue-t-il son bref essai Pour une critique de la violence, quoiqu’il l’eût plus exactement placé sous l’égide d’une conviction anarchiste.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le philosophe de Paris capitale du XX° siècle[5] et lecteur émérite de Baudelaire[6] parait défendre une vision passablement conservatrice, ce qui n’a rien de déshonorant, en concédant, ce de manière paradoxale, la violence légitime à une police émanant d’un pouvoir fort : « son esprit est moins dévastateur dans la monarchie absolue, où elle représente la violence d’un souverain qui réunit en lui l’omnipotence législative et exécutive, que dans les démocraties, où son existence, soutenue par aucune relation de ce type, témoigne de la plus grande dégénérescence possible de la violence ». Ne soyons pas dupe d’une fausse nostalgie. Méfions-nous, tant « l’intérêt du droit à monopoliser la violence au détriment de l’individu ne s’explique pas par l’intention de défendre les fins légales, mais bien plutôt de protéger le droit lui-même ». En ce sens le droit peut être injuste et peut-être délégitimé en passant du droit naturel au droit positif, comme le note Leo Strauss[7]. Cependant, et au-delà de ce « service militaire [qui] est un cas d’usage de la violence conservatrice », Walter Benjamin en recherche avant tout la légitimité : « En tant que moyen, toute violence est soi fondatrice, soit conservatrice de droit. Si elle ne prétend à aucun de ces deux prédicats, elle renonce d’elle-même à toute validité ». Mieux encore elle est en quête de paix, comme en passant par Machiavel d’ailleurs qui privilégiait « vertu contre fureur[8] » : « Aux moyens légaux et illégaux de toutes sortes qui relèvent sans exception de la violence, il faut effectivement opposer, en tant que moyens purs, ceux qui bannissent la violence. La civilité cordiale, la sympathie, l’amour de la paix, la confiance ».

L’on pourrait trouver à discuter la thèse de Benjamin qui, à la suite de Gorges Sorel[9], prétend que « la grève générale », et donc son programme révolutionnaire,  exclut « toute fondation de droit », prétendant qu’ « à cette conception profonde, morale et authentiquement révolutionnaire, on ne peut opposer aucune considération qui voudrait stigmatiser ce type de grève générale du nom de violence en raison de ses conséquences possiblement catastrophiques ». Au nom du « droit à la violence » de la classe ouvrière organisée », qui aurait pour seul mérite illusoire de détruire la violence juridique et étatique, le spectre de Marx et le déni de la violence populacière autant que révolutionnaire hantent déraisonnablement et dangereusement Walter Benjamin qui, écrit en 1921, soit sans encore guère de connaissance du pouvoir bolchevique et de son totalitarisme…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La question de la moralité de la violence traverse sans cesse le discours politique. Entre violences policières et violences antipolicières, notre temps ne sait plus où placer le cursus de la défense des libertés, donc celui de la légitimité, non plus au sens des lois, guère appliquées d’ailleurs, mais au sens de l’intégrité de l’individu et de la propriété.

Après avoir tenté d’« oublier le bien et de nommer le mal[10] », dressé un tableau de L’Art, de Aristote à Sonic Youth[11], Laurence Hansen-Løve prend bien garde d’être violente dans son appréciation du sujet qui nous occupe. Cette violence est-elle objective ou subjective, est-elle une fatalité abjecte ou un espoir, légitime ou illégitime ? Aussi tente-t-elle de ne pas « désespérer de l’humanité ».

Certes les homicides, les tortures, les plus vastes guerres et l’esclavage ont considérablement régressé, comme le confirment les chiffres et les analyses de Steven Pinker[12], parmi les pages documentées de son essai La Part d'ange en nous, sous titré « Histoire de la violence et des son déclin  ». C’est toutefois un peu trop oublier la persistance, voire le regain de l'esclavage, sans oublier la permanence, voire le regain des dictatures, les attentats terroristes et l'entêtement continu « de traditions religieuses archaïques ». D’autant que notre essayiste, notant que les religions ont « pour vocation de capter, d’encadrer et de canaliser la violence », omet l’Islam, qui de par sa coranique essence, doit se montrer génocidaire de tout ce qui ne se plie pas à son diktat. Quant à la thèse de Maurice Bellet - dans Le Dieu pervers[13] - à l’égard du Christianisme selon laquelle « il n’a pas plus cruel, plus exterminateur […] que cet amour qui s’imagine être la toute-puissance », elle n’est valable que pour le Dieu vengeur du début de l’Ancien Testament, ce qui n’écarte pas le risque inhérent au monothéisme, soit son intolérant rejet des autres dieux.

Or « la violence n’est pas une donnée naturelle », postule Laurence Hansen-Løve, sauf du point de vue subjectivement humain de qui est abattu par un tigre ou une avalanche. Elle n’est réellement violence qu’à l’aide du pouvoir d’une main, et « qu’à partir du moment où elle touche des rapports moraux », pour reprendre l’essai précédent de Walter Benjamin. En outre, il faut penser au « caractère protéiforme et indécis du concept », tant au-delà du ravage physique s’étend le territoire du désastre psychique, si l’on pense au harcèlement, ou à l’euphémisme des incivilités par exemple. De plus, il peut s’étendre à l’animal battu ou enfermé, à la nature sujette à un « écocide » qu’il faut peut-être criminaliser…

Néanmoins la violence peut-être au service de la liberté. Reste à savoir où placer le curseur. Car la « complaisance marxiste à l’égard de la violence » ne peut se prévaloir de l’argument de la violence bourgeoise, confondre justice et vengeance et justifier la terreur révolutionnaire, alors que le but de l’Etat libéral est d’aboutir à une non-violence. Aussi la violence de l’Etat, aussi légitime soit-elle, est bien plus une contrainte au service de la justice, de la paix et de la liberté.

Il n’y a pas de violence légitime, semble penser Laurence Hansen-Løve, y compris la « contre-violence », qui ne doit pas céder le pas à la loi et au droit. À moins que le violent ne puisse comprendre que la violence qui le briderait… Toutefois, il n’est pas certain qu’il faille donner crédit à tout ce qui « blesse mon identité familiale, nationale ou religieuse » : auquel cas l’on bannirait toute parole critique, toute altérité de la pensée et de l’expression, donc la liberté. Serions-non alors coupables de nous laisser choquer ?

Si la violence est indubitablement un moteur de l’Histoire, elle n’est pas aussi massive que le prétend François Cusset, dans son Déchaînement du monde, dont l’anticapitalisme obsessionnel et la confusion intellectuelle affaiblissent considérablement le propos, et auquel nous avons déjà fait un sort[14]. Certes, au travail, dans les manifestations, sinon partout, les violences essaiment.

Cependant la non-violence est-elle une permission faite à la violence d’autrui, voire une incitation ? Si celle de Gandhi se dressait contre des Britanniques passablement civilisés et ainsi put être efficace, celle qui affronterait le fascisme nazi, le communisme, ou l’islamisme se verrait balayée faute de volonté politique et de moyens considérables et pugnaces. C’est en quelque sorte ce que défend Günther Anders, dans La Violence : oui ou non ? Une discussion nécessaire, qui prétend qu’il faut tuer ceux qui sont prêts à tuer l’humanité[15] , omettant la question de l’intention qui n’est pas encore une réalisation. À cet égard la liberté doit indubitablement avoir les mains armées, dans le cadre d’une guerre juste, d’une violence éthique : « Si vis pacem para bellum », disait l’adage antique, soit, « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Il faut cependant prendre garde qu’un tel raisonnement pourrait justifier le recours à la violence au service de bien des causes, par exemple l’éco-terrorisme ou l’anticapitalisme. Et savoir que la culture de l’ennemi et la sortie des armes de leur étui risquent l’oubli des considérations morales. Peut-être peut-on « changer le monde sans faire couler le sang », comme l’espère Laurence Hansen-Løve, mais peut-être pas sans de nouveaux avatars du totalitarisme, par exemple écologiste.

L’essai de Laurence Hansen-Løve a non seulement le mérite de la clarté très informée par des références philosophiques nombreuses sans cuistrerie ni obscurité, mais aussi de soulever maints questionnements judicieux sur une violence, ce « virus mutant », qu’il est, au rebours du préjugé, délicat de définir et de juger, voire de condamner, en ses nombreux aspects ; et de laisser ouverte la critique du lecteur, comme en une opération maïeutique, qui viserait à accoucher d’une maturité philosophique et sociétale. Cependant il semble qu’elle s’illusionne en croyant naïvement que le Tribunal Pénal International puisse être pur de toute intention idéologique, de toute pulsion tyrannique, et en ne voyant qu’à l’extrême-droite des violences à venir, l’autre bout du spectre, à gauche (ce dont témoignent les Black-blocs), étant probablement plus à craindre. Ces derniers usent d’ailleurs à leur manière d’une violence « métapolitique », à l’instar des fanatiques de tous poils, comme le reconnait notre philosophe. Elle est « infrapolitique, s’il s’agit de masculinisme outrancier (il existe un tel féminisme) nourri de viols, de harcèlement et d’oppression de la gent féminine. Et la marche du progrès permet une « cyberviolence », qu’elle assume encore une fois des pulsions anthropologiques, personnelles ou politiques…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si les progrès scientifiques et ceux de l’humanisme ont pu faire considérablement reculer la violence, elle reste une pulsion paranoïde, une libido dominandi qui n’est hélas pas près de s’éteindre. Aussi faut-il avoir en mémoire ses formes trop nombreuses. Ce sont, déclinées, les douze heures du jour de la violence de l’humanité, en autant de chapitres au long de l’essai du sociologue allemand Wolfgang Sofsky : Traité de la violence. Car elle est « inhérente à la culture », et « la culture est au service de la violence ». Aussi le catalogage de notre sociologue allemand va de l’arme à la culture, en passant par la torture, les spectateurs, l’exécution, le combat, la chasse, les « massacres festifs », la destruction… Cette violence antique et également contemporaine s’illustre sous sa plume par de petits récits, des apologues en fait, dans la tradition philosophique Hobbes et de Rousseau ; en passant par David et Goliath, Bacon peignant une crucifixion, Saint Brandan et la programmation des tortures infligées à Judas, Saint Augustin confronté aux cruels jeux du cirque, la guillotine de 1792… Lors, la torture antique, manuelle, outillée, en passant par l’inquisition, s’adjoint de modernes moyens technologiques, jusqu’aux médecins nazis. La « jubilation du public » associe sadisme et catharsis, la fièvre du combat et de la chasse satisfait le besoin d’intensité du guerrier, du lyncheur, du terroriste, mieux que l’orgasme…

Ainsi un ordre, clanique, royal, impérial, communiste, fasciste, théocratique, voire démocratique, accouche-t-il d’un cycle de violences. Parmi les camps de concentrations et d’extermination, goulags et logaï, la terreur sûre d’elle-même et de sa légitimité se met au service d’un ordre dystopique et totalitaire. La violence peut-être fondatrice de l’Etat, un peu comme le postulait avec Caïn ou la crucifixion  René Girard dans Des Choses cachées depuis la fondation du monde[16]. En ce sens, et constitutive de l’humanité, y compris lorsqu’elle est le nécessaire ressort de l’émulation, de la concurrence et des progrès qui rejettent ce qui est obsolète, y compris les hommes qui en sont les acteurs, elle n’est pas près de s’annihiler.

Wolfgang Sofsky est-il trop pessimiste en affirmant que « la culture n’est nullement pacifiste » ? « Les intervalles pacifiques ne sont que des épisodes », écrit-il en 1996 ; que dirait-il au regard du choc des civilisations, ou de la civilisation et du retour de la barbarie, entre Occident et Islam, qui va s’aiguisant ? Pourtant l’humanité va mieux, les famines diminuent, l’espérance de vie et la prospérité économique vont croissant…

Un vice est-il plus amusant qu’une vertu ? Essayez donc d’affrioler le lecteur avec cette dernière… Après avoir dressé un catalogue édifiant dans son Traité de la violence, l’essayiste et sociologue allemand Wolfgang Sofsky bâtit son Livre des vices, qui sont, comme chacun sait, l’envers des vertus. À cette impressionnante énumération, illustrée d’exemples nombreux, il manque cependant une réflexion plus soutenue sur le pourquoi de la quasi disparition de cet ancien concept des vices parmi notre horizon éthique. En ce partage du bien et du mal qui pourrait paraître au lecteur un brin moralisateur, voire obsolète, il ajoute heureusement sa patte personnelle et contemporaine, d’autant plus pertinente qu’elle se double d’une inscription des vices privés dans la dimension indispensable des vices politiques.

Dépoussiérant nos catégories, Sofsky ne se contente pas de la liste des sept traditionnels péchés capitaux établie par Saint-Augustin : avarice, luxure, gourmandise, envie, colère, paresse et orgueil, ils sont en effet à l’origine de tous les délits et crimes. Ainsi, en une nouvelle typologie aux dix-huit entrées, nous voyons disparaitre la gourmandise, qui ne prive plus autrui de nourriture, mais qui conduit pourtant bien souvent à l’obésité et autres dégâts sur la santé. La luxure est elle aussi effacée de son moderne panorama, quoique l’on puisse se demander en quoi elle concourt aux maladies sexuellement transmissibles, sans compter le népotisme. En fait chacun de ces vices personnels peut être le déclencheur d’une violence envers autrui…

Cependant, notre sociologue des mœurs  entreprend un toilettage de quelques vieux péchés : l’envie est aujourd’hui « la jalousie », « l’avarice » s’adjoint « la cupidité », l’orgueil se scinde en « prétention » et « arrogance », comme si des concepts s’étaient démodés, passant de la dimension religieuse à celle de la vie sociale. En revanche, au-delà des mises à la trappe, faites peut-être avec un peu de légèreté, et des rhabillages séculiers, apparaissent des nouveaux venus. L’on comprendra que le trio lâcheté, soumission et indifférence soit justement examiné, mais l’on sera plus étonné, mais finalement convaincus, que l’auto-apitoiement puisse trouver ses lettres de laideur morale. Mieux encore, la vulgarité  prend place avec hauteur - et non sans perspicacité - parmi ce vaste podium.

Nous sortirons alors plus humbles de cette lecture de nos vices privés et intimes, qui ne manquent pourtant pas d’exaspérer autrui. A la satire de nos contemporains, en une sorte de réécriture des Caractères de La Bruyère, s’ajoute, en un miroir infaillible, l’examen que chacun peut faire de soi. N’y a-t-il pas en chacun d’entre nous au moins un peu de chacun de ces vices ? Ainsi la satire de « la paresse », de « l’intempérance », de « l’insoumission » ou de « la fourberie » finit par composer une pitoyable fresque personnelle et de société, faite de portraits incisifs, aisément reconnaissables, qui appelle la nécessité de s’amender…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À cet essai surprenant, pertinent, manque toutefois de fouiller le pourquoi de l’effacement de la catégorie des vices dans nos sociétés occidentales. Il cherche plus à réaliser un édifiant tableau descriptif, plutôt qu’à démêler des causes. « La morale du plaisir semble avoir détrôné la vieille morale vertueuse. » explique-t-il… Certes. Gourmandise, envie et cupidité peuvent être aujourd’hui aisément satisfaites et parées des prestiges de l’hédonisme et de l’ostentation festive, de la fierté, voire de la jouissance communicative et consensuelle. Mais il ne faudrait pas oublier que l’on peut considérer l’avarice et la cupidité, depuis La Fable des abeilles de Mandeville[17], comme des vices privés qui concourent aux vertus publiques, au moyen de l’épargne, du travail et de l’investissement productif capitaliste. De plus, les diktats religieux, depuis les Lumières et le positivisme, sans compter les analyses nietzschéennes du substrat du ressentiment dans la religion, ont reculé au point de faire perdre une grande partie de sa légitimité au jugement moral, au profit de l’utilitarisme. Mais surtout, il faut compter avec l’idée, cohérente avec le concept de responsabilité, selon laquelle les vices ne sont pas des crimes. D’une manière ou d’une autre, une société centrée sur l’interdépendance de ses membres et affectée par les pénuries et les dangers, a pu voir rapidement les vices privés déboucher sur des conséquences publiques. Aujourd’hui nos richesses et un individualisme bienvenus permettent que nos vices ne soient que d’éventuelles salissures intimes. Quoiqu’ils ne soient pas sans rebondir sur la sphère publique.

Renouvelant et contextualisant le champ des vices, notre sociologue montre qu’une typologie et un jugement moraux contemporains peuvent enrichir et corriger le patrimoine éthique et social de l’humanité. La perspicacité politique de cet ouvrage est alors fondamentale, quand « la crédulité est un des fondements de la démocratie moderne », quand « l’indifférence » est trop souvent confondue avec la tolérance, faute de concevoir une universalité du bien. Soksky s’élève alors contre le relativisme et son incapacité à concevoir les travers humains autrement qu’à travers le prisme des aires culturelles. Mieux, il fustige la chute morale de notre démocratie et du système majoritaire : « Depuis, dans l’ochlocratie[18], n’a plus cours que la rustrerie de la bassesse. Les séides sont toujours à disposition pour l’invective. » Ou encore : « la paresse des représentés est considérée comme une vertu politique ».

C’est lorsque ces vices deviennent  collectifs que la dimension politique de cet essai prend toute son ampleur, qu’il s’agisse de « la vengeance des geignards » responsable de sanglantes révolutions, ou de cette « lâcheté » qui « est l’une des principales causes du conservatisme », du moins d’un conservatisme paresseux, car il existe un conservatisme judicieux, comme peut le démontrer Roger Scruton[19]. Pire, notre sociologue observe une gradation ascendante, une spirale exponentielle du vice, terminant par « la soumission » et sa servilité, « la colère » et « sa puissance destructrice », et enfin « la cruauté » de celui qui « privilégie le soutien du pouvoir », quand « surveiller et punir sont ses tâches favorites ». Sofsky ferme alors de manière cohérente la boucle avec son précédent opus, Traité de la violence, montrant comment des vices intimes sont la source de ce vice collectif : la virulence totalitaire. Ces derniers, quotidiens, démocratiques, publics et politiques, sont hélas bien éloignés de l’idéal de liberté et de tolérance des Lumières. En ce sens, il serait bon de bon d’écrire un contre-miroir, un livre des vertus, et surtout des vertus politiques[20], à l’instar d’André Comte-Sponville et son Petit traité des grandes vertus[21]

Pour prendre un bain de réalité qui devrait nous alerter, regardons les statistiques. « Plus de 120 agressions à l’arme blanche ont lieu chaque jour en France[22] » Les faits constatés de coups et blessures volontaires sont passés de 17 000 en 2014 à 25 000 par trimestre à la fin de l’été 2020[23]. Dans le même temps les violences sexuelles enregistrées ont doublé. Si l’on observe Paris entre 2013 et 2019, l’on y compte plus 27% de vols avec arme blanche, les coups et blessures augmentent de 46 %, les vols avec violence (sans arme) de 93 %, les viols, harcèlement et agression sexuelle de 100%, alors que s’envolent les vols à la tire, soit plus 684 % ! Ce n’est qu’un exemple de l’état du monde, où le vice des gouvernements pusillanimes et d’une justice débordée, tant par le nombre que par une idéologie qui refuse la violence de la punition, s’adosse à une immigration incontrôlée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre baigneur dans un réel virulent, l’Américain William T. Vollmann plonge à mains nues au plus profond de son Livre des violences, ce au péril de son écriture et de sa vie. Il a en effet rédigé, tel un forçat, fouillant les bibliothèques et les mémoires, sept volumes en vingt ans, dont cette édition française est un condensé, quoique fort impressionnant du haut de ses 960 pages. Il n’a pas omis de courir sur les théâtres de la guerre, parmi une douzaine de pays, dont la Yougoslavie ou la Somalie, au risque d’y crever, puisqu’une attaque de sa voiture, en Bosnie, tua deux de ses camarades. Le récit et le témoignage côtoient donc l’érudition philosophique, théologique, stratégique, interrogeant tant les amoureux de la guerre, comme Ernst Jünger le fut pendant la Première Guerre mondiale, et les pacifistes.

Lui aussi interroge frénétiquement la dimension morale et immorale des acteurs et des penseurs, de façon à délimiter, si tant que faire se peut, la violence justifiée de celle injustifiable, par exemple lorsqu’il s’agit de « la défense violente du moi » : « Mon objectif, quand c’est possible, est de laisser brièvement le lecteur voir à travers les yeux de chaque acteur moral, et de donner des exemples de décisions humaines universelles. Aussi, successivement, parcourt-il les continents, entre génocides et « autodéfense ethnique », les différentes « défenses », celles de la race, de la patrie, des animaux, en un catalogue qui est l’envers de celui de Wolfgang Sofsky. Aussi offre-t-il sa complicité à l’autodéfense et aux « milices civiles », jusqu’à des extrémités parfois fort discutables, lorsque la « défense de la terre » le conduit à se reconnaître une certaine parenté avec cet « Unabomber » qui haïssait les technologues et les écocides au point de réaliser des attentats à la bombe meurtriers. Enfin, en une gigantesque énumération argumentée, il examine le « calcul moral » de Cicéron et de Lénine, de Jeanne d’Arc et de  Robespierre, de Sun Tzu et de Gandhi… Sauf qu’avec notre ogresque essayiste l’on ne sait pas réellement au bout du compte ce qu’est une « fin injuste » et une « fin juste », et pas plus qui doit en décider.

L’essayiste, également romancier[24], mais ici autant anthropologue que témoin personnel, n’ignore pas que « tuer est non seulement humain, mais proto-humain », depuis au moins Neandertal. La théologie biblique sait que « la violence est une sorte de poussière qui gît dans la maison de l’âme ». Les rivalités idéologiques et politiques ne peuvent pas ne pas savoir qu’elles entraînent trop souvent « le changement par le moyen du sang ». Hélas « aucun credo n’éliminera le meurtre », mais c’est « dans un esprit d’espérance » que William T. Vollmann écrit son « ouvrage d’éthique aux descriptions fleuries ». Une somme monstrueuse et prolixe, voire par moments surabondante, quoique de manière dommageable réduite quant aux enquêtes de terrain, est au service d’une l’humanité qui voudrait bien la lire avec humilité et humanité. Pourtant, ayant tendance à penser plus aux ressorts égoïstes que collectifs, et emporté par l’ardeur de son sujet, l’auteur parait ignorer que les violences ont globalement diminué sur la surface de la terre au profit de rapports sociaux plus pacifiques.

 

Puisque le vice n’est pas un crime, suivant Lysander Spooner[25], il n’est qu’une violence de la pensée que l’on devra bien supporter (comme l’on doit tolérer le blasphème) et qui n’est pas un acte de harcèlement, d’oppression et de sang versé. Toutefois, puisque ne suffit pas le « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas ce qu'il te fasse », il est alors indéniable de devoir compter parmi les vices politiques le laxisme et l’impuissance devant la violence. Est-ce à dire que, faute de croire en la vertu de la violence légitime et de la mettre en œuvre avec discernement, le ventre mou du politique encourage la dague qui déchire les biens, les esprits et les chairs de citoyens, au bénéfice des violences prédatrices, instinctuelles, jouissives, de barbares ; ou d’affidés et de séides dont l’idéologie, la religion cimentent de manière spécieuse la légitimité indue. Heureusement, quoiqu’il existe des pensées bien dangereuses, la dignité des penseurs permet de ne pas désespérer de l’humanité ; ainsi l’assure Laurence Hansen-Løve : « Le propre de l’homme n’est pas la violence mais la pensée ».

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] Mutanabbî : Le Livre des sabres, Actes Sud, 2012, p 111.

[3] National Geographic, 09-2020.

[4] Walter Benjamin : Pour une critique de la violence, Allia, p 54.

[7] Leo Strauss : Droit naturel et histoire, Champs Flammarion, 2017.

[9] Georges Sorel : Réflexions sur la violence, France Loisirs, 1990.

[12] Steven Pinker : La Part d’Ange en nous. Histoire de la violence et de son déclin, Les Arènes, 2017.

[13] Maurice Bellet : Le Dieu pervers, Desclée de Brouwer, 1979.

[14] Voir : De la violence biblique et romaine à la violence ordinaire- d'aujourd'hui

[15] Günther Anders : La Violence : oui ou non ? Une discussion nécessaire, Fario, 2014, p 122.

[16] René Girard : Des Choses cachées depuis la fondation du monde, Grasset, 1978.

[17] Bernard Mandeville : La Fable des abeilles, dans Les Penseurs libéraux, Les Belles Lettres, 2012.

[18] L’ochlocratie désigne le pouvoir par le bas peuple.

[19] Roger Scruton : Conservatisme, Albin Michel, 2018.

[20] Le Dictionnaire du libéralisme, dirigé par Mathieu Laine, Larousse, 2012, pourrait jouer ce rôle.

[21] André Comte-Sponville : Petit traité des grandes vertus, PUF, 1995.

[22] Le Figaro, 16-02-2020.

[23] Ministère de l’Intérieur, Ouest-France, 04-09-2020.

[24] Voir : Vollmann : Guerre et paix en Central Europe

[25] Lysander Spooner : Le Vice n’est pas un crime, Les Belles Lettres, 1993.

 

Pinacoteca de Brera, Milano. Photo : T. Guinhut.

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8 octobre 2020 4 08 /10 /octobre /2020 17:57

 

Masque nigérian, Arte Africana, da coleção de José de Guimarães.

Centro Internacional das Artes José de Guimarães, Portugal.

 Photo : T. Guinhut.

 

 

Métamorphoses du colonialisme

et de l'islamisme.

En passant par Jules Ferry, Franz Fanon,

Jacques Marseille, Achille Mbembe,

Guillaume Blanc, Bernard Rougier, Jean-Pierre Obin.

 

 

 

De quel colonialisme parle-t-on ? À peu près uniquement de celui de l’Europe occidentale sur l’Afrique, voire sur les Amériques. Alors qu’il s’agit d’un phénomène consubstantiel à l’humanité depuis la préhistoire, sinon depuis l’animalité. Les Babyloniens ont envahi la terre d’Israël et ont déporté ses habitants en esclavage à Babylone. Les Grecs se sont installés en Sicile, les Romains sur tout le pourtour méditerranéen, jusqu’au breton mur d’Hadrien et aux abords de la Perse, moissonnant leurs esclaves, l’Islam a conquis les trois-quarts de la Méditerranée, l’Indonésie et le Sahel, massacrant par pelletées et esclavagisant les populations. Seul l’Occident issu des Lumières et des libéraux, comme Victor Schœlcher, en 1848, a su libérer ses esclaves, mettre hors la loi l’esclavagisme et en débarrasser la plupart des pays d’Afrique à l’occasion de la colonisation. Cependant au dire des décolonialistes, la décolonisation de l’Après-guerre, soit il y a plus d’un demi-siècle, serait encore à parfaire, y compris dans les mentalités. Au risque d’oublier que le mouvement colonisateur ne souffre pas de coup d’arrêt, tant il retrouve des ardeurs depuis d’autres aires géographiques, voire en inversant la tendance, de l’Afrique vers l’Occident, en une colonisation islamique.

C’est au XVIII° siècle, soit celui des Lumières que le mot « colonie » introduit ses dérivés, « colonial » et « coloniser » sous l’impulsion des philosophe de l’Encyclopédie et de deux Indes de Raynal[1], dans le sens d’une exploitation économique de l’outre-mer. Ce n’est qu’à la fin du siècle suivant, en une acception marxienne, qu’apparait le « colonialisme », puis son corollaire « anticolonialiste », alors que dans les années soixante naissent « décoloniser » et « décolonisation », et plus récemment « décolonialisme. Le vocabulaire dit autant l’Histoire que l’évolution des mentalités et des idéologies. Or si l’on parle du colonialisme, c’est d’une part parce que seuls les Occidentaux ont su en discuter, en invalider l’idéologie et fournir les armes idéologiques nécessaires à ceux qui vinrent s’en plaindre, et d’autre part par esprit de revanche des descendants des colonisés.

N’oublions pas que l’impulsion précoloniale française en Algérie fut fournie par les prédations répétées des Maures. Outre une sombre histoire de dette et un consul français frappé « au visage d’un coup de chasse-mouches formé de plumes de paons », il s’agissait de « la destruction définitive de la piraterie, la cessation absolue de l’esclavage des chrétiens[2] ». En 1830 Alger fut prise et bombardée avant que l’Afrique devienne la proie des colons européens. La conquête des côtes, malgré la résistance de l'émir Abd El-Kader, précède celle de l’intérieur et du sud, alors qu’à partir de 1879 une intense immigration française et européenne (les « Pieds noirs ») vient exploiter et gérer le Maghreb et l’Afrique équatoriale ; car l’ensemble du continent est colonisé, par les Français du Maroc au Congo-Brazzaville, par les Anglais de l’Egypte au Kenya jusqu’en Inde, par les Allemands, les Néerlandais en Indonésie…

Jules Ferry, propagateur de l’école publique et laïque, était un colonialiste fervent. Selon lui, en particulier lors de la séance parlementaire du 28 juillet 1885, la République française doit veiller à la prospérité économique et maîtriser une stratégie mondiale : « La France ne peut être seulement un pays libre. [...] Elle doit être aussi un grand pays […] et porter partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie ». De plus sa dimension civilisatrice et humanitaire doit exporter son savoir-faire : « Il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. […] Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ». Certes il dénonce « la traite des nègres », mais pense devoir exploiter leurs richesses territoriales. Il contribue activement à l’expansion militaire et économique en Tunisie, au Congo, à Madagascar, au Tonkin, cette dernière expédition se soldant par un cuisant échec en 1885.

Loin des allégories de rayonnement civilisationnel et de conquêtes héroïques, une tyrannie oppressive, de surcroit raciste, animait nombre de colons européens. Pour preuve les témoignages tant de Las Casas aux Caraïbes que de Jules Verne pour l’Australie[3], mais aussi les photographies retrouvées dans les archives privées du début du XX° siècle qui exhibent un monde régi par une violence souvent systématique, physique, sexuelle et psychologique, sur l’indigène assujetti. Cependant les mœurs brutaux et tyranniques des Arabes et des Bédouins qui s’appuyaient sur la piraterie, les razzias, le pillage et l’esclavage n’ont-ils pas été avantageusement remplacés par la civilisation, même oppressive ? Car l’aménagement économique, l’accent mis sur l’éducation et les soins médicaux contribuèrent à faire de celui qui n’était qu’un indigène un citoyen du monde. Mais à partir de 1947 et de la fin du joug administratif anglais en Inde, la décolonisation ne cesse d’enflammer tous les continents, libérant les peuples, jusqu’à la déflagration de la Guerre d’Algérie et l’indépendance de cette dernière en 1962.

Certes la décolonisation n’est probablement pas partout terminée. En témoigne l’essai de Joseph Confavreux, en partenariat avec Médiapart : Une Décolonisation au présent. Kanaky-Nouvelle-Calédonie : notre passé, notre avenir[4]. La France de Napoléon III s’empara de la Nouvelle Calédonie le 24 septembre 1853 et l’on constate que cette emprise ne s’achève pas le 4 octobre 2020, lors du scrutin grâce auquel les habitants du « Caillou », aux réserves de nickel, de magnésium, de fer, de cobalt considérables (convoitées par la Chine), ont voté contre l’indépendance de l’île. Cependant les accords de Matignon de 1988, consécutifs à la tragédie de la grotte d’Ouvéa puis l’accord de Nouméa de 1998, dont le préambule reconnut officiellement le fait colonial par la République française, semblaient devoir acter une transition de trente ans, à l’issue de laquelle la Kanaky-Nouvelle-Calédonie, comme la nomment les partisans de l’indépendance,  pourrait accéder à la souveraineté. Les dissensions meurtrières entre Kanak et Caldoches des années 1980 laissent espérer un apaisement, et craindre un retour de flamme. Archipel géographique et mosaïque ethnique, cette Calédonie, l’une des rares colonies de peuplement de la France et dont le peuple autochtone - les Kanak - a failli disparaître, saura peut-être laisser émerger un Etat viable pour tous. C’est ainsi que les auteurs de cet essai imaginent avec pertinence une décolonisation réussie ; mais avec une bien moindre pertinence celle d’une économie non capitaliste. La décolonisation semble plus avancée que la démarxisation…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Si le colonialisme ne s’est pas contenté d’être une bienveillance civilisationnelle, il est violence. Ce pourquoi Franz Fanon réclame une violence nécessaire pour s’en libérer. Publié en 1961 pendant la Guerre d’Algérie, Les Damnés de la terre firent de Franz Fanon un maître à penser controversé. Ne serait-ce que par la préface de Jean-Paul Sartre - dont le communisme est un colonialisme peut-être pire - enjoignant : « il faut tuer : abattre un Européen c'est faire d'une pierre deux coups, supprimer en même temps un oppresseur et un opprimé ». Franz Fanon le disait avec plus de rigueur : « Le colonialisme n’est pas une machine à penser, n’est pas un corps doué de raison. Il est la violence à l’état de nature et ne peut s’incliner que devant une plus grande violence ».

Sauf que Franz Fanon exigeait des réparations au-delà des générations coupables : « Le colonialisme et l’impérialisme ne sont pas quittes avec nous quand ils ont retiré de nos territoires leurs drapeaux et leurs forces de police. Pendant des siècles les capitalistes se sont comportés dans le monde sous-développé comme de véritables criminels de guerre. Les déportations, les massacres, le travail forcé, l’esclavagisme ont été les principaux moyens utilisés par le capitalisme pour augmenter ses réserves d’or et de diamants, ses richesses et pour établir sa puissance. Il y a peu de temps, le nazisme a transformé la totalité de l’Europe en véritable colonie. Les gouvernements des différentes nations européennes ont exigé des réparations et demandé la restitution en argent et en nature des richesses qui leur avaient été volées [...]. Pareillement nous disons que les États impérialistes commettraient une grave erreur et une injustice inqualifiable s’ils se contentaient de retirer de notre sol les cohortes militaires, les services administratifs et d’intendance dont c’était la fonction de découvrir des richesses, de les extraire et de les expédier vers les métropoles. La réparation morale de l’indépendance nationale ne nous aveugle pas, ne nous nourrit pas. La richesse des pays impérialistes est aussi notre richesse. [...] L’Europe est littéralement la création du tiers monde[5] ». Ce n’est parce que des vainqueurs ont exigé réparations qu’il faut un demi-siècle plus tard outrepasser la loi du talion et risquer la guerre perpétuelle. D’autant si l’on refuse d’examiner dans les plateaux de la balance les quelques bienfaits de cette même colonisation : éradication presque totale de l’esclavage tribal et musulman, médecine, éducation, infrastructures et développement économique, dont les Etats surgis de la décolonisation n’ont pas toujours su prolonger les vertus.

Cette violence retournée contre le colon tyrannique pouvait se justifier en 1961. Reste que, soixante ans après, vouloir décoloniser ce qui ne l’est plus et dont les conditions désastreuses ne sont plus de la responsabilité de cette colonisation est une ruse d’une autre tyrannie. C’est en Afrique qu’il faut se libérer de traditions religieuses coraniques, de politiques socialistes, de gouvernements dictatoriaux, de la corruption, et non prendre prétexte d’une Histoire obsolète pour établir sa tyrannie décolonialiste.

L’on n’est pas étonné que le livre de Franz Fanon ait contribué à la création des Black Panthers, aussi afro-américains que marxiste-léninistes et maoïstes. S’il y avait une oppression blanche américaine, la ségrégation, à renverser, ce n’était pas pour fonder avec de tels maîtres à penser un totalitarisme. Ce qui n’est pas loin, tyranniquement parlant, d’un leader noir américain, Louis Farrakhan, dirigeant de l’organisation religieuse et politique suprémaciste noire Nation of islam. Le sexisme, l’homophobie, le racisme et l’antisémitisme du bonhomme ne sont un secret pour personne, au point que l’on ait pu le surnommer « le Hitler noir ».

Selon la profession de foi anticolonialiste, et de surcroit marxiste, ce serait grâce à la colonisation que l’Occident aurait gagné sa prospérité, comme grâce à l’esclavage les Etats-Unis, alors que seule la révolution industrielle et le développement du capitalisme en sont responsables. Jacques Marseille montre non seulement qu’il n’est en rien, mais que l’argent, les matériaux, l’énergie et les bras déversés sur les colonies ont été un investissement dont la rentabilité fit défaut. L’on peut subodorer que sans cette exploitation et exportation des ressources européennes, l’Europe eût pu devenir encore plus riche et prospère, ce que vérifient sans peine la Suisse ou la Corée du Sud. Dépouillant maintes archives, venues de centaines de sociétés coloniales, les chiffres du commerce extérieur français de 1880 à 1960, Jacques Marseille, d’abord communiste et persuadé des bénéfices de l’exploitation de l’Afrique, dut changer son fusil d’épaule devant l’épreuve des faits. En 1984, il publia son essai Empire colonial et capitalisme français, qui aurait dû tordre le cou au mythe du pillage au profit de la France : « la logique du profit est peut-être davantage moteur du progrès que coupable de pillage[6] ». Alors que la décolonisation était un impératif économique, sinon humanitaire, les mythes ont la vie dure, prétendant encore pour longtemps que les pays colonisateurs se sont abreuvé des richesses africaines sans contrepartie, même si l’on ne cachera pas que certains hommes d’affaires en ont tiré grand profit. Pourtant, coloniser c’était gaspiller des capitaux considérables sans guère de bénéfice, c’était attacher un boulet au pied du capitalisme français et de sa modernisation, boulet dont le poids, y compris idéologique, est encore présent. Ferghane Azihari, délégué général de l'Académie libre des sciences humaines, le confirme : « Ni la colonisation ni l’esclavage n’ont enrichi l’Occident[7] ».

Une telle thèse est honnie par les études décoloniales qui postulent que, malgré l’indépendance, des rapports de pouvoirs persistent entre les métropoles et les colonies passées, ce qui est certes patent à travers le Franc de la Communauté Africaine. De même elles prétendent que la division économique et raciale des populations reste prégnante, que l’Occident et ses instances, Fonds Monétaire International et Banque mondiale maintiennent le Sud dans une servitude pérenne. Il n’est pas impossible cependant, faute d’avoir su, quoique avec des réussites indéniables, être les acteurs d’un réel développement économique et social, que les Etats du Sud et leurs activistes préfèrent exciter l’envie, la colère, le ressentiment et l’esprit de revanche le plus malsain plutôt que de voir la poutre dans leur œil. L’on se doute alors que l’anticapitalisme est un moteur de l’idéologie qui risque de glisser vers une tyrannie aussi racialisée que post-communiste.

Voici venir le temps du décolonialisme et de la « postcolonie ». Il nous semblait pourtant que les dernières colonies européennes avaient acquis leur indépendance au début des années soixante, soit il y a soixante ans de cela. Ce décolonialisme ne sentirait-il pas le réchauffé ? Certes les historiens et penseurs n’ont pas forcément achevé le travail de déconstruction du colonialisme. Mais qu’ont fait la plupart des Etats nés à cette occasion sinon recourir au socialisme autoritaire, à l’arabisation, sans compter la corruption faute de libéralisme économique ? De plus la « défaillance du droit », en particulier de propriété, entraîne la « mort du capital » et le sous-développement, tel que l’analysa Hernando de Soto à propos de l’Amérique latine, convaincu qu’il est de « vouloir réaliser la transition vers un capitalisme de marché qui respecte les désirs et les convictions des gens[8] ». Plutôt que de se remettre en question et de remettre en question ses élites captatrices, il est plus facile alors d’attribuer l’impéritie récurrente à autrui, soit l’Occident et le capitalisme, d’autant qu’un poison marxiste contribue d’alimenter la bile de l’envie. En à peine deux générations, et sans guère de ressources, la Corée du Sud est passée de la pauvreté à la prospérité ; qu’ont fait de ces décennies l’Algérie, l’Egypte ou le Mali ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une telle analyse est loin d’être ignorée par Achille Mbembe qui soutient qu’en Afrique, « la propriété en appartient au roi et à l’Etat par droit de souveraineté ». S’il ne le dit pas tout à fait de cette manière, son « essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine », titré De la postcolonie, se livre à une vigoureuse critique de la tyrannie et de l’autoritarisme qui met en pâture les Etats issus de la colonisation. Cependant, en conscience que tout Africain est un « ex-esclave », il n’ignore pas la « tradition d’Etats prédateurs vivant de la razzia, du rapt et de la vente des captifs », en particulier dans « les régions sous influence musulmane », puis, à la suite du commerce triangulaire, « l’extorsion des ressources » par les Européens et enfin « la tutelle des créanciers internationaux » ; tout ceci aboutissant à ce qu’il appelle « émasculation de l’Etat » et « excision de la souveraineté[9] ». Ces dernières métaphores participant d’une riche réflexion philosophique sur la stylistique du pouvoir et sa production fabuleuse plutôt que réaliste, quoique le propos d’ensemble soit parfois un rien confus.

Prônant le retour des Africains en Afrique, Kémi Seba est une figure du panafricanisme et du suprémacisme noir. Il a ses thuriféraires pour lesquels la remigration de tous les Noirs vers le berceau de l’humanité vaut la terre promise. Franco-Béninois, il est le messie de la cause noire radicale. Pourtant natif de Strasbourg, il réclame de « décoloniser les rues » de Belgique, d’Afrique, de France et tutti quanti. En cela il incarne le contraire du mouvement Black Lives Matter, coupable de rester selon lui victime en Occident et aux Etats-Unis.

Le délire s’empare de domaines qui semblent fort lointains des problématiques colonialistes, par exemple la littérature romanesque. La preuve, pour reprendre Jonathan Franzen, qui témoigne que selon les excités « qu’habiter la subjectivité d’un personnage différent de l’auteur est un acte d’appropriation, voire de colonialisme ; que le seul mode narratif authentique et politiquement défendable est l’autobiographie[10] ».

En sortant des bureaux du magazine Valeurs actuelles, qui eut la désastreuse maladresse - ou la finesse, diront les autres - de mettre en scène la députée noire Danièle Obono (qui apporta son soutien à Nique la France) en la portraiturant en esclave enlevée par des négriers noirs et rachetée par un missionnaire chrétien dans une fiction illustrée, bureaux illégalement investis en guise de protestation, le porte-parole de la « Ligue de défense Noire Africaine », prévint : « À ceux qui pensent que la France est à eux on vous dit que dorénavant on occupe le terrain. De Gaulle, tout ça c’est fini, maintenant c’est la Ligue de défense Noire Africaine ! » En subodorant qu’une Ligue de défense Blanche européenne s’attirerait les foudres bienpensantes, l’on peut plus galamment dire la menace et la réalité en cours d’une occupation et d’une colonisation par la force…

Rappelons-nous le discours à Madrid, puis dans une tribune de Project Syndicate (29 novembre 2019), de la jeune propagandiste écologiste Greta Thunberg : « La crise climatique ne concerne pas seulement l’environnement. C’est une crise des droits de l’homme, de la justice et de la volonté politique. Des systèmes d’oppression coloniaux, racistes et patriarcaux l’ont créée et alimentée. Nous devons les démanteler ». Les coupables sont cloués au pilori de la vindicte : anciens pays colonisateurs, quoique seulement occidentaux, les racistes, quoique seulement blancs, enfin les systèmes patriarcaux, mais surtout pas coranique et musulman. La vision androcentrée, blanche, hétérosexuelle est de l’ordre du pléonasme, comique s’il n’était si transparent de tyrannie.

Musée des Arts premiers, Paris.

Photo : T. Guinhut.

 

Nouveau racisme anti-blanc, nouveau colonialisme anti-occidental. Faut-il qualifier de nouveaux trafiquants d’esclaves, ceux qui prétendent sauver des réfugiés de la menace des flots méditerranéens pour en faire des instruments de chantage, de déstabilisation des pays européens, et favoriser un nouveau colonialisme, en se targuant d’être antirascistes ? Cette fois le profit n’est pas financier, quoiqu’il faille compter sur des subventions, mais politique et idéologique. D’autant qu’un dangereux acteur, la Turquie d’Erdogan, manœuvre ces migrants de la Lybie à Lesbos, exerçant son chantage à l’égard de l’Europe et avançant les pions de la colonisation islamique.

Autre colonisateur puissant, entreprenant et déterminé, sans état d’âme cela va sans dire, se révèle le communisme chinois. La Chine en effet exploite méthodiquement et sans vergogne les richesses africaines, entre Instituts Confucius et entreprises d’extraction minières et agricoles. L’empire du milieu pratique un impérialisme qui ne fait guère sourciller les bonnes consciences. Ainsi, à la suite d’incapacité à rembourser ses dettes, la Zambie a perdu le contrôle de son aéroport international Kenneth Kaunda ainsi que de son réseau électrique, comme le Kenya risque de voir les Chinois s’emparer de ports et de lignes ferroviaires que ces derniers ont financés. Taïwan News met en garde les débiteurs de la Chine : « Les États africains doivent se réveiller face à une nouvelle forme de colonialisme de la part de la Chine qui grignote, l’une après l’autre, leurs principales infrastructures ».

Le colonialisme git parfois là où l’on ne l’attend pas. Dans les réserves africaines par exemple. Ce que révèle un essai surprenant de Guillaume Blanc : L’Invention du colonialisme vert[11], sous-titré « Pour en finir avec le mythe de l’Eden africain ». Si naïvement l’on pensait que la défense de la nature était vertueuse, en voici un sérieux démenti. Car les « éco-gardes » des parcs naturels africains n’hésitent pas à chasser les habitants, rayer de la carte des villages entiers, comme près de Gondar, en Ethiopie, où sept villages furent brûlés. En quoi ils sont ardemment soutenus par Unesco, le World Wildife Fund et autres Organisations Non Gouvernementales affidées à la défense de l’environnement au dépens de l’humanité.

Dans les années soixante, Ian Grimwood, consultant pour l’Unesco en Ethiopie, préconise « d’éliminer, dans les zones à mettre en parcs, tous les droits humains » ». De la Guinée à l’Afrique du sud, un mot d’ordre circule : « pour sauver la nature africaine, il faut empêcher ses habitants d’y vivre ». Sachons qu’ « aujourd’hui encore, la gestion des parcs africains oppose deux camps : les habitants qui veulent vivre dans la nature et les conservasionnistes qui entendent la protéger. Les premiers essaient de cultiver la terre et les seconds de les en empêcher, à coups de sanctions, d’amendes et de peines de prison ».

Factuel et rigoureux, ponctué de récits et de témoignages, le très documenté réquisitoire de Guillaume Blanc, historien de l’environnement, est sans appel. Le colonialisme à la grand-papa, exploiteur et civilisateur, s’est trouvé un nouvel avatar, la tyrannie verte : « Derrière la nature, la violence ». Décidemment, entre les puissances européennes des XIX° et XX° siècles, la Chine et l’écologisme, le continent africain n’en a pas fini avec le colonialisme et ses avatars, dont la sacralisation d’une nature fantasmée n’est pas le moindre mobile.

 

Marwan Muhammad, du CCIF, soit le Collectif Contre l’Islamophobie[12] en France, veut une France islamique, donc colonisée, peut-être pas si inatteignable. C’est bien ce qui ressort hélas de l’essai dirigé par Bernard Rougier : Les Territoires conquis de l’islamisme. Quoique son titre fasse preuve d’une pudeur de nonne effarouchée en ajoutant un superfétatoire « isme », l’ouvrage témoigne d’une colonisation en voie d’accomplissement. Car le mouvement décolonialiste se voit phagocyté par l’islamisme, c’est-à-dire l’Islam le plus politique et djihadiste qui soit, tant ce dernier est l’exacte application du Coran fondateur de l’Islam.

Aux bons soins d’une douzaine d’auteurs, l’essai, soutenu par une cartographie précise, déploie les Molenbeek français, d’Aubervilliers à Argenteuil, de Marseille à Toulouse, alors que le séparatisme, ce doux euphémisme en cours dans les allées d’un pouvoir politique qui n’en a plus guère, révèle en fait la conformité de bastions et de milices à la déité djihadiste. L’on y glane d’édifiantes informations et déclarations : en 1990, le « responsable islamiste tunisien Rached al-Gannouchi […] annonce l’entrée de la France dans le dar-al-Islam (domaine de l’islam). De mêmes, les militants issus des Frères musulmans usent en 2004 du slogan post-antiraciste « Touche pas à mon foulard » et « posent les bases de la dynamique décoloniale ainsi que du militantisme islamiste hexagonal », il serait plus juste de dire : de la colonisation par l’Islam…

En un « écosystème islamique », une pléthorique littérature, jusque dans les livres destinés aux enfants, fait l’apologie de l’islam religieux et politique, « de la non-liberté » religieuse, « de l’inégalité entre les hommes et les femmes, de l’intolérance envers les mécréants ». « La mosquée devient un équivalent de Pôle-Emploi pour les jeunes », « salafistes et tablighi » se disputent l’Île de France, le Val-de-Marne vit « à l’heure yéménite », les jeunes femmes jihadistes de la prison de Fleury-Mérogis usent de la taqiyya (dissimulation) face aux tentatives de déradicalisation…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cheville directrice de ce précieux avertissement, Les Territoires conquis de l’islamisme, Bernard Rougier n’est ni un naïf ni un provocateur inconséquent. Déjà auteur de Qu’est-ce que le salafisme ?[13], il sait en conscience et en toute documentation où il entraîne son lecteur déniaisé. Il faut à cet égard remercier les Presses Universitaires de France de jouer leur rôle d’éditeur avec dignité.

Financés par les pétrodollars arabes, insufflés par des institutions de la péninsule arabique et du Maghreb, ces islamistes, en particulier les Frères musulmans, ont édifiés des réseaux structurés. Le hallal est un blanc-seing de reconnaissance dans les rues, les foyers et les prisons, alors que l’excision, les tests de virginité, le voile et la polygamie se répandent au dépend des femmes ; l’oumma, communauté des Musulmans, est leur supranationalisme ; le radicalisme contrôle la plupart des mosquées, des pseudo-associations culturelles, coraniques en fait. Pire, d’apparentes structures républicaines, la Ligue de l’Enseignement, la Ligue des Droits de l’Homme sont noyautées, la Fédération des Conseils de Parents d'Elèves ne sont pas indemnes ; des entreprises, comme la Régie Autonome des Transports Parisiens, des syndicats, des conseils municipaux, voire des mairies, ne leur échappent pas tout à fait. Sans compter le vandalisme et les incendies de bibliothèques[14], de cimetières, d’églises et de cathédrales, symboles d’une civilisation exécrée…

Outre la chariaisation, la démographie est un facteur aggravant. Si les Musulmans sont plus de dix millions en France, pas loin de 20% de la population si l’on compte les étrangers illégaux (quoique les chiffres soient sujets à caution), leur natalité n’est pas loin du double de celle des femmes originairement françaises et européennes. Le « grand remplacement » à venir n’est donc pas un fantasme du sieur Renaud Camus. À moins qu’une proportion suffisante d’entre eux se détourne de l’Islam mortifère pour accéder à l’athéisme ou au Christianisme, la réversibilité du colonialisme s’annonce pire que son anti-modèle historique.

Certes tous les Musulmans ne sont pas musulmans stricto sensu, ni djihadistes patentés, mais un sondage propose un résultat alarmant : « À la question de savoir si la loi islamique, en France, devrait s'imposer par rapport aux lois de la République, 27% des personnes interrogées répondent positivement. Parmi ceux qui sont de nationalité étrangère, 41% adhèrent à cette affirmation. Et parmi ceux qui sont de nationalité française, ils sont 20%. » De plus 74% de leurs moins de vingt-cinq ans prétendent privilégier la charia[15]. Aussi la font-ils déjà régner dans les « territoires perdus de la République[16] », ces quartiers et banlieues ou police et pompiers n’entrent plus sous peine d’être caillassés, brûlés, assassinés.

Sans compter que l’avenir s’annonce sous de troubles auspices, tant l’éducation de nos jeunes est empêchée et pervertie. Dans Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école[17], Jean-Pierre Obin révèle les conclusions d’une longue expérience et d’une enquête sourcilleuse assurée par une rare intelligence des enjeux et du contexte politique français, et au-delà. Depuis plusieurs décennies, la poussière infectieuse et obscurantiste tendait à être balayée sous le tapis de l’Education Nationale, qui chérissait la formule « Pas de vagues » et la « pusillanimité ». Pendant que « l’héritage marxiste ou la gauche victimaire » avait toutes les tendresses pour l’immigration jusqu’à ce que l’on nomme l’islamo-gauchisme. Il ne faudrait pas « stigmatiser les Musulmans et faire le jeu de l’extrême-droite », disait-on !

Pourtant la laïcité s’érodait, au point de ne subsister aujourd’hui que par archipels. Malgré son trop peu fameux « Rapport Obin » de 2004, cet Inspecteur général de l’Education Nationale, se doit d’exposer à qui ne veut pas l’entendre l’étendue des dégâts.

Dans certains lycées, le « jilbab », couvrant tout le corps, contourne l’interdiction du hijab, soit le voile que l’on doit dehors porter sous peine de harcèlement ; les cours de sport, voire de science, sont désertés, le vendredi est boycotté ; l’islamophilie de l’administration est parfois telle que tout le monde y mange hallal, que le séparatisme alimentaire règne dans les cantines, que fleurissent des « salles de repos » pour les jeûneurs du ramadan, la mixité étant remise en question, l’arbre de Noël fustigé. Tout est prétexte à la contestation du principe de laïcité, au relativisme, donc à l’autocensure des enseignants qui n’enseignent plus Darwin ou Charles Martel, voire des pans entiers de l’Histoire et de la littérature, et qui, par ailleurs ne connaissent rien de l’Islam et guère des autres religions. Au point que de rares professeurs enseignent avec un Coran bilingue sur leur bureau, par conformisme, sinon pour parer à toute contestation sur la prétendue religion de paix et d’amour, et à leurs risques et périls. Tout cela sans compter les tags insultants ou prosélytes, l’antisémitisme récurrent, les violences sexistes et à l’égard des « Céfrancs », les agressions au couteau, les élèves qui courent vers l’Etat islamique ou sont classés « radicalisés », les hurlements de joie lors de l’attentat contre Charlie Hebdo, voire les collèges incendiés. Non seulement les élèves, peu sanctionnés, mais les parents, les membres du personnel entrent dans la danse anti-laïque. Jusqu’en maternelle où le conte des Trois petits cochons se voit radié des lectures, dans des classes où la couleur rouge est déclarée haram. En primaire, des bambins défilent en criant « Allah Akbar », en un territoire qui de « Dar al-Harb (territoire de la guerre), devient celui de la soumission : « Dar al-Islam ». Et des professeurs refusent tout contact avec des femmes. Par ailleurs des écoles salafistes, y compris clandestines, prospèrent. Malgré le vœu pieux de Jean-Pierre Obin, il est à craindre que soutenir un « Islam des Lumières » soit voué à l’échec. Ainsi compris, et comblé de faits ordonnés, imparables et comptables de la colonisation islamiste, l’indispensable réquisitoire de l’humaniste Jean-Pierre Obin fait froid dans le dos !

Faut-il accorder du crédit à Bat Ye’or, cette essayiste judéo-égyptienne, qui, dans  Eurabia : l'axe euro-arabe[18], dénonce le spectre du califat, suite à un accord passé entre des instances européennes après la crise pétrolière de 1973, pour sécuriser l’approvisionnement pétrolier, prévoyant de créer un ensemble méditerranéen euro-arabe visant à contrebalancer les États-Unis, tout en favorisant l'immigration musulmane (43% des immigrés sont musulmans) et la conversion des infidèles à l’Islam, et en adoptant une politique anti-israélienne et pro-palestinienne ? Thèse prophétique ou conspirationniste ? Si c’est le cas, un colonialisme islamique est en marche, se nourrissant d’aides sociales, de fraudes sociales et de razzias, avec l’active complicité de l’Occident, qui, fait inédit dans l’Histoire, nourrit, excuse et cajole ses envahisseurs, mieux que les Romains intégrant leurs barbares, qui parfois se sont retournés contre eux. Minoritaire encore quoique armée de sa vitalité démographique, une médiatique et criminelle domination racialiste et islamique se rengorge de notre laxisme, passivité et faiblesse. C’est ainsi que le racisme et le colonialisme ont changé de camp. Pour de pires empires…

Le leader islamique, Abdelaziz Boumediene, Président du Mouvement pour la Solidarité Internationale, déclarait : « l’Islam est la seconde religion, la seconde communauté en France. Ceux qui ne nous aiment pas n’ont qu’à quitter la France. La France on l’aime avec sa communauté musulmane ou on la quitte[19] ». Le groupe Facebook « Parti Arabe » dit la même chose sous d’autres cieux qui n’ont pourtant jamais pratiqué le colonialisme : « Le Parti Arabe veut que tous ceux qui n’acceptent pas la diversité quittent la Suède[20] ». À cette fin, du Maghreb au Sahel, de l’Erythrée à L’Afghanistan, du Pakistan à la Turquie, l’Islam exporte en une tempête migratoire ses affidés à la conquête de l’Occident, conquête dont il est le complice par sa naïveté, sa charité dévoyée, sa culpabilité indue, son irénisme des faibles en voie de soumission…

« Les mosquées sont nos casernes, les minarets nos baïonnettes, les dômes nos casques et les croyants nos soldats », disait le leader Turc Erdogan en 1997. Nul doute qu’il  adhère à ce que l’Algérien Houari Boumedienne avait déclaré en 1974 devant l'assemblée de l'ONU : « Un jour, des millions d'hommes quitteront l'hémisphère sud pour faire irruption dans l'hémisphère nord. Et certainement pas en amis. Car ils y feront irruption pour le conquérir. Et ils le conquerront en le peuplant de leurs fils. C'est le ventre de nos femmes qui nous offrira la victoire ». Il ne s’agissait pas là d’une vaine prophétie colonialiste.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Raynal : Histoire philosophique et politique des établissements & du commerce des Européens dans les deux Indes, Gosse, 1774.

[2] Atlas national, p 438.

[4] Joseph Confavreux, Médiapart : Une Décolonisation au présent. Kanky-Nouvelle-Calédonie : notre passé, notre avenir. La Découverte, 2020.

[5] Franz Fanon : Les Damnés de la terre, La Découverte, 2019, p 29, 61, 99.

[6] Jacques Marseille : Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, Albin Michel, 2005, p 13.

[7] Le Point, 27-08-2020.

[8] Hernando de Soto : Le Mystère du capital, Champs Flammarion, 2006, p 279.

[9] Achille Mbembe : De la Postcolonie. Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, La Découverte, 2020, p 179, 324, 139, 141, 145, 149.

[10] Jonathan Franzen : Et si on arrêtait de faire semblant ? L’Olivier, 2020, p 200.

[11] Guillaume Blanc : L’Invention du colonialisme vert, Flammarion, 2020.

[12] Voir : Islamophobes

[13] Bernard Rougier : Qu’est-ce que le salafisme ? PUF, 2008.

[15] Sondage Ifop publié le 2 septembre pour Charlie Hebdo et la Fondation Jean-Jaurès.

[16] Emmanuel Brenner : Les Territoires perdus de la République, Pluriel, 2015.

[17] Jean-Pierre Obin : Comment on a laissé l’islamisme pénétrer l’école, Hermann, 2020.

[18] Bat Ye’or : Eurabia: l'axe euro-arabe, Jean-Cyrille Godefroy, 2006.

[19] Le Progrès, 05-09-2020.

[20] FL24.net, 15-09-2020.

 

Maurice Allain : Encyclopédie pratique illustrée des colonies françaises, Quillet, 1931.

Bibliothèque A. R. Photo : T. Guinhut.

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26 septembre 2020 6 26 /09 /septembre /2020 08:20

 

Château du Boisrenault, Buzançais, Indre. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Le sabre politique et religieux

des dictatures arabes et ottomanes.

 

Al-Kawâkibî, El-Khoury, El Aswany, Temelkuran.

 

 

 

‘Abd al-Rahmân al-Kawâkibî : Du despotisme et autres textes, traduit de l’arabe (Syrie),

Sindbad Actes Sud, 2016, 240 p, 20 €.

 

Bachir El-Khoury : Monde arabe : les racines du mal,

Sindbad Actes Sud, 2018, 256 p, 22 €.

 

Alaa El Aswany : Extrémisme religieux et  dictature,

traduit de l’arabe (Egypte) par Gilles Gauthier, Actes Sud, 2014, 240 p, 22 €.

 

Alaa El Aswany : Le Syndrome de la dictature,

traduit de l’anglais (Egypte) par Gilles Gauthier, Actes Sud, 2020, 208 p, 19,80 €.


Ece Temelkuran : Comment conduire un pays à sa perte. Du populisme à la dictature,

traduit de l’anglais par Christelle Gaillard-Paris, Folio, 2020, 288 p, 20 €.

 

 

 

« Souvenez-vous que la paradis est à l’ombre des sabres », enseigne en 870 de notre ère un hadith de Bukhari[1]. Le poète du X° siècle Mutanabbî écrivit en ce sens son vindicatif Livre des sabres : « Mon sabre scintillant occultera l’éclair céleste / Et le sang répandu lui tiendra lieu d’averse[2] ». Sur l’étendard des pays arabes, le sabre signifie l’alliance de la politique et de la religion. Aussi dénoncer le despotisme n’est pas chose aisée parmi le monde arabe, tant il est lié à celui religieux. Entendons à cet égard l’avertissement implicite d’Al-Mawardi (974-1058), considéré comme l’un des plus fermes théoriciens politiques de l’Islam : « Dieu ne dissocie donc pas la rectitude de la religion de la bonne direction de l’Etat et du bon gouvernement des sujets[3]. » Au contraire du Judaïsme et a fortiori du Christianisme (même si l’on parla en Occident de l’alliance du sabre et du goupillon, certes bien plus modeste), cette unicité du religieux et de l’étatisme dictatorial handicape depuis longtemps et lourdement les pays arabes, jusqu’à la Turquie ottomane. En 1902 le Syrien ‘Abd al-Rahmân al-Kawâkibî, faisait ce constat dans son traité Du despotisme, avant d’être empoisonné par les agents du Sultan égyptien. Et même si le XX° siècle arabe et ottoman a vu des gouvernements un tantinet séparés du religieux, car socialistes, comme en Algérie et en Egypte, ou passablement laïque avec Mustapha Kemal en Turquie, le mal est loin d’être éradiqué, au point qu’il prolifère de pire en pire. C’est ce terrible constat que font aujourd’hui Alaa El Aswany, Bachir El-Khoury et Ece Temelkuran, non sans nous avertir des conséquences, jusqu’en notre Occident.

Consultons l’autorité de l’historien arabe du XIV° siècle, Ibn Khaldûn, d’origine andalouse et yéménite, qui confirme le caractère irrévocable de cette association totalitaire : « Dans la communauté musulmane, la guerre sainte est un devoir religieux, parce que l’islam a une mission universelle, et que tous les hommes doivent s’y convertir de gré ou de force. Aussi le califat et le pouvoir temporel y sont-ils unis, de sorte que la puissance du souverain puisse les servir tous les deux en même temps. Les autres communautés n’ont pas de mission universelle et ne tiennent pas la guerre sainte pour un devoir religieux, sauf en vue de leur propre défense. Les responsables religieux n’y sont en rien concernés par les affaires du gouvernement[4] ». Un tel précepte gouverne encore, voire de plus, en plus les pays islamiques, sans compter les poches occidentales de prosélytisme et de charia, ces « territoires perdus de la République[5] ».

Sans doute, c’est en 1902, avec ‘Abd al-Rahmân al-Kawâkibî, que le despotisme musulman fut d’abord mis en cause et réfuté. Certes, par une prudence bien compréhensible, l’essayiste a farci son ouvrage, intitulé Du Despotisme, de « louanges à Dieu », et prétend que « le virus responsable de notre mal est la dérive de notre religion, à l’origine instinctive et sage, ordonnée et ardente, portant le message clair du Coran ». C’est faire bon marché d’une religion explicitement totalitaire. Mais notre auteur pouvait-il alors en traiter autrement pour tenter d’avancer sa thèse ? C’est avec pertinence qu’il note : « Le pouvoir despotique s’étend à tous les niveaux, depuis le despote suprême jusqu’au policier, au domestique et au balayeur des rues. En profitent les plus vils de chaque niveau ». Or, pour se débarrasser d’une telle chaine tyrannique, il réclame la liberté de conscience et d’expression (qu’invalide le livre du Prophète), l’égalité des citoyens et la séparation des pouvoirs, non seulement exécutif et législatif, mais aussi religieux et politique. Le voici donc un réel précurseur des démocrates libéraux arabes qui aujourd’hui encore constatent les effets délétères du despotisme arabe en matière d’éducation, d’économie et de progrès scientifique. Il faut alors dépasser « un éléphant de préjugés », bousculer « l’apathie » arabe et ottomane (sauf lorsqu’il s’agit de faire jaillir le sabre du châtiment et de la guerre), dont il liste 86 causes, dont « l’oubli de la tolérance religieuse », « la croyance que les sciences rationnelles sont contraires à la religion », « l’affaiblissement de l’opinion publique du fait de la censure », « l’ignorance satisfaite », « la négligence dans l’éducation des épouses »… La lecture méditée d’un tel traité politique, dont l’éthique résulte de l’influence des Lumières occidentales, devrait faire le bénéfice des amants de la liberté et du développement des connaissances, bien au-delà du monde arabe et ottoman.

Seule la Turquie, à l’occasion de la gouvernance, par ailleurs un brin despotique, de Mustafa Kemal Atatürk, entre 1923 et 1938, a connu une fenêtre laïque, refermée par Recep Tayyip Erdogan, président depuis 2014 et despote aussi religieux que politique, nationaliste belliciste de surcroit, menaçant aujourd’hui gravement la Méditerranée, la Grèce et l’Europe. Le monde arabe quant à lui est resté prisonnier d’une « aliénation dans le temps », d’un « sous-développement intellectuel », pour reprendre les termes de Fouad Zakariya, dans Laïcité ou islamisme. Les Arabes à l’heure des choix[6].

Ce serait cependant trop simple d’attribuer au seul cancer religieux le mal qui dévore les sociétés arabes. Bachir El-Khoury trouve au Monde arabe : les racines du mal. Elles sont d’abord en un indécrottable substrat socio-économique. L’extrême pauvreté d’une large couche d’une population par ailleurs affligée par une démographie pléthorique, la rente pétrolière - voire « la malédiction pétrolière » -, la corruption récurrente, un droit du travail plombé et une lenteur administrative exaspérante, une éducation à la traîne, tout se coagule pour assurer un immobilisme moisi, sans oublier la désertification. Nous y ajouterons le socialisme et l’antilibéralisme économique. Si les « printemps arabes » ont paru un moment secouer la chape de sable, bien vite l’hiver leur a succédé, infiltrés qu’ils étaient par l’islamisme et le terrorisme, conduisant aux chaos syrien et libyen, à la fragilité démocratique tunisienne, entre autres exemples. Sans compter qu’aux conflits religieux récurrents, intra-musulmans entre sunnites et chiites, et aux éliminations des Chrétiens d’Orients, des Yazidis, des zoroastriens et des Baha’is, s’ajoutent les guerres ethniques : il suffit de penser aux Kurdes livrés au génocide par la Turquie, voire par leurs voisins.

Malgré les nombreuses qualités de cet essai documenté, nanti de graphiques chiffrés, il est stupéfiant de lire chez Bachir El-Khoury, un éloge de modèles comme le Brésil et le Venezuela qui seraient parvenus à réduire la pauvreté. Si cela est vrai pour le premier, le socialisme autoritaire du second aboutit à la catastrophe que l’on sait ! De plus, comme trop souvent, il oublie un facteur de sous-développement non négligeable parmi l’aire islamique : la consanguinité, qui, au moyen de récurrents mariages entre cousins, affecte dangereusement l’intégrité et les potentialités intellectuelles de ses habitants, entre Algérie et Pakistan.

Faut-il penser que la signature de l’accord d’Abraham, impulsé par Donald Trump, qui noue des alliances entre Israël, Bahreïn et les Emirats Arabes Unis, sous l’œil probablement bienveillant à cet égard de l’Arabie Saoudite, prélude à des jours meilleurs pour le monde arabe ?

C’est en la tradition d’‘Abd al-Rahmân al-Kawâkibî, tradition hélas minoritaire, que s’inscrit Alaa El Aswany pour s’attaquer au Syndrome de la dictature, écrit et publié prudemment en anglais et à Londres en 2019.

L’on connaissait le romancier satiriste, non sans tendresse, de L’Immeuble Yacoubian[7], qui radiographia la vie des Cairotes et obtint un succès mérité en jouant avec le réalisme social et les mœurs sexuelles de ses personnages. Talent narratif et sens du portrait ne l’empêchent pas d’être un essayiste politique informé, un polémiste vigoureux. Il avait commis en 2011, mais en arabe, un volume d’une vingtaine d’articles : Extrémisme religieux et dictature. Ces deux phénomènes jumeaux sont en effet indissociables, tant le salafisme, le frérisme musulman et le wahhabisme cimentent le retour de l’Islam originel et de sa charia. Le dilemme est cruel pour un moyen-oriental : sans Islam, pas de démocratie libérale, avec la démocratie libérale le lien avec la tradition religieuse se rompt.

L’égalité entre hommes et femmes, entre Coptes et Baha’is d’Egypte d’une part et Chiites et Sunnites d’autre part, sans compter les athées et apostats, les homosexuels, n’est qu’un vœu pieux, la justice un rêve, la tolérance une hallucination. Aussi Alaa El Aswany dénonce-t-il « l’influence négative du niqab pour la femme et la société », niqab qui ne diminue en rien les agressions sexuelles et l’omniprésent harcèlement sexuel, malgré le couple « puritanisme et bigoterie ».

Autres mœurs, autres maux. Un restaurant ostensiblement pieux triche sur le poids, applique des prix démesurés, évite les contrôles sanitaires et s’en porte le mieux du monde en son hypocrisie rapace. La tartufferie est la règle, de la jeunesse à la police en passant par les politiques, qui falsifient les élections. Les religieux véhiculent à qui mieux mieux des énormités anti-scientifiques…

Il faut lire ce bel exercice : « Être musulman en Grande-Bretagne », où les croyants de l’Islam sont opprimés de mille façons. Mais un addendum signale « une erreur volontaire » : « Veuillez changer le mot « Grande Bretagne » par le mot « Egypte », le mot « musulman » par « copte et le mot « mosquée » par « église », puis lisez l’article à nouveau pour comprendre ce que signifie être copte en Egypte aujourd’hui ».

En 2009 le vote de l’interdiction des minarets en Suisse, scandalisa les naïfs, y compris notre auteur, en tant qu’attentat à la liberté religieuse. S’il montre l’hypocrisie des Egyptiens qui dénient aux Coptes la construction d’églises (quoique ces derniers ne soient guère des modèles), s’il renvoie aux Musulmans la responsabilité de leur image désastreuse, il semble oublier qu’un minaret, une mosquée donc, est le fer de lance du fascisme religieux qu’il dénonce.

Relatant de significatives anecdotes come cette Française assaillie par la rue lubrique, Alaa El Aswany radiographie la société égyptienne et arabe avec la vivacité de son regard et la verdeur de la satire argumentée. Mais est-ce par prudence, ou par illusion qu’Alaa El Aswany prétend qu’au cœur de la religion se trouvent des « valeurs universelles » ? Celle de la « soumission » est cependant radicalement contraire au libre-arbitre, donc à la liberté… De même le voici défendant la tolérance de la civilisation islamique, dont l’omni-tyrannie a pu légèrement s’assagir au cours de son histoire. A-t-il cependant oublié les massacres récurrents, la dhimmitude des Juifs et des Chrétiens en Al-Andalus[8], tant vantée par les chantres de la coexistence des cultures ? « La démocratie est la solution », répète en fin de chaque article notre écrivain égyptien. Pour asséner cet insoutenable oxymore : « l’Islam est la vraie démocratie ». Sauf que lorsque celle-ci consiste en l’expression d’une majorité affamée de tyrannie et de servitude volontaire, elle ne vaut rien. La démocratie est libérale ou n’est pas.

Néanmoins l’argumentation se développe avec une rigueur implacable dans Le Syndrome de la dictature, second volet politique d’ Alaa El Aswany. Une dizaine de parties guident le lecteur de la définition de ce « syndrome » à l’association de « l’esprit fasciste » avec le « terrorisme », jusqu’à la « prévention », soit « la séparation de la religion et de l’Etat », puis un « scepticisme salutaire ».

Ce n’est pas que le fait du tyran : « Comment des traces d’attitudes dictatoriales s’immiscent-elles dans le comportement du citoyen de tous les jours ? » Ainsi la foi en la propagande se vit déçue lorsque Nasser, en 1967, attaqua Israël pour essuyer une brusque défaite ; ce qui ne détourna pourtant pas le peuple de le confirmer au pouvoir. Il est fait alors allusion au principe de la « servitude volontaire », analysé par La Boétie. Corruption, brevet d’obéissance pour obtenir un poste, presse stipendiée, tout concourt à la doxa autoritaire et à sa « contradiction entre ce qui est annoncé et la vérité ». S’ensuivent des exemples de brutalités tyranniques, du monde arabe à l’Afrique et au-delà. Les « théories du complot » prospèrent, comme celle des Protocoles des sages de Sion, un faux notoire, qui nourrit l’antisémitisme[9], d’Hitler aux pays arabes. L’on stigmatise les « conspirateurs », l’étranger ou l’impie. À ces manipulations s’adossent la répression et la « déshumanisation ».

De la nationalisation de la presse, au service d’une « vision unique pour tous », à la censure, tout ressemble à l’Allemagne nazie, à l’Union Soviétique, aux « dictatures religieuses », d’Iran, d’Arabie saoudite. Les exemples de livres et de films attaqués pour « offense à Dieu » abondent. Sans oublier des souvenirs personnels, comme lorsqu’étudiant, il entendit un professeur de chimie barbu jurer de faire échouer quiconque « est communiste ». La militarisation de la société devient évidente « car une hiérarchie semblable à celle de l’armée était partout en place ». Tout aboutit au « démantèlement du milieu intellectuel », comme pour Thomas Mann ou Soljenitsyne, sauvé par l’exil, ou jeté au goulag, par les régimes de leurs pays. En revanche, pensant à Garcia Marquez et Fidel Castro, « il est indécent qu’un grand écrivain soit l’ami d’un tyran », un « intellectuel mercenaire », comme ces auteurs égyptiens adulant le piètre écrivain que fut Kadhafi.

Etudiant la tradition dictatoriale comme une maladie, une « hypnose de masse », le réquisitoire d’Alaa El Aswany, dont les œuvres furent bannies d’Egypte en 2014, dépasse largement la perspective égyptienne, nourri d’anecdotes étonnantes, par exemple sur Saddam Hussein, et de portraits psychologiques des tyrans. C’est une nécessaire plaidoirie en faveur de la liberté politique. Sachant que notre essayiste a déjà été inculpé de « diffamation des institutions de l’Etat », l’on en déduit à quelle portion congrue la liberté d’expression est réduite. Le diagnostic édifiant d’El Aswany embrasse toutes les dictatures.

De même la Turquie peut être lue comme le parangon d’un despotisme qui a la prérogative de ne potentiellement épargner aucun Etat. Comment conduire un pays à sa perte est un manuel pratique élaboré par Ece Temelkuran. Sous-titré Du populisme à la dictature, il est à lire, sous la plume de la journaliste turque aujourd’hui en exil, comme un avertissement, espérons-le salutaire. Hélas, en associant de manière répétée Erdogan à Donald Trump, elle commet une infâme assimilation, une indigne reductio ad hitlerum caractérisée ; non sans vouloir égratigner sans cesse les Boris Johnson et les Viktor Horban et autres « populistes de droite », qui ont le malheur de lui déplaire. Cela suffirait à décrédibiliser cet essai qui se veut « progressiste », dégoulinant de confusion, sautant du coq à l’âne, de Facebook à Zizek, prosélyte du communisme, donc d’une tyrannie. Dommage, car les « sept étapes » qui permettent à un « leader populiste » de devenir un « autocrate sérieusement terrifiant » pourraient contribuer à une réelle analyse ; ce en associant les techniques du récit et de l’essai, car il s’agit à la fois d’une autobiographie politique et d’une mordante satire d’un régime qui chassa l’auteure de son pays en même temps que la liberté de la presse.

« Créer un mouvement », celui du « vrai peuple », en fait issu de la « secte religieuse » islamiste est le premier pas. Il est animé par « le désir suspect du je de se fondre en nous ». Il suffit ensuite de « détraquer la raison et affoler le langage », de « dissiper la honte », pour « démanteler les dispositifs judiciaires et politiques » et « façonner ses propres citoyens » de façon à ce qu’ils puissent « rire devant l’horreur » ; c’est ainsi que « construire son propre pays » revient à le bétonner par un despotisme meurtrier et grotesque, puisqu’Erdogan n’hésite pas à diffuser l’image d’une petite fille de neuf ans coiffée d’un foulard, prétendument « élue au poste de présidente du Parlement ».  La Turquie est devenue un bastion islamiste autant qu’un vindicatif surgeon du nationalisme expansionniste ottoman.

Un Monde sans Islam, titrait Aquila[10]. Si les causes socio-économiques du mal arabe n’auraient pas pour autant complètement disparu, nul doute qu’un surcroit de liberté et de vitalité intellectuelle et scientifique aurait nourri un Moyen-Orient qui aurait pu s’inspirer de ce que l’Occident a de meilleur, non sans oublier que le Christianisme, grâce au libre arbitre et à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, put être le socle du libéralisme. Même si l'Occident non plus n’est pas débarrassé de la pulsion despotique, son Histoire l’a prouvé. Il lui reste à se garder de l’importation et de l’infiltration d’un fascisme religieux attentatoire à la vie et à la dignité de l’humanité.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Le Syndrome de la dictature a été publiée dans Le Matricule des anges, juillet 2020.

 


[1] Livre 52, 2666 1.

[2] Mutanabbî : Le Livre des sabres, Sindbad, 2012, p 41.

[3] Al-Mawardi : De l’éthique du prince et du gouvernement de l’Etat, Les Belles Lettres, 2015, p 360.

[4] Ibn Kaldün : Muqaddima I, Le Livre des exemples, La Pléiade, Gallimard, t I, 2013, p 532.

[5] Emmanuel Brenner : Les Territoires perdus de la République, Pluriel, 2015.

[6] Fouad Zakariya : Laïcité ou islamisme. Les Arabes à l’heure des choix, La Découverte, 1991.

[7] Alaa El Aswany : L’Immeuble Yacoubian, Actes Sud, 2006.

[10] Voir : L'arbre du-terrorisme et la forêt de l'Islam II

 

Fresque XVI°, Saint-Barthélémy, Mont, Hautes-Pyrénées.

Photo : T. Guinhut.

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12 septembre 2020 6 12 /09 /septembre /2020 12:56

 

Marché de La Couarde-sur-mer, Île de Ré. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Métamorphoses du racisme

 et de l’antiracisme.

En passant par Buffon, Gobineau et Ibram X. Kendi.

 

 

 

Le racisme est le requin blanc de l’humanité. D’autant que les blancs puissent être l’auteur de ce concept humiliant. Mais il est à craindre qu’il s’agisse là d’un préjugé dont il faudrait limer les dents suraigües. Face à la gueule dentée de l’antiracisme, la contrition blanche ne devrait plus avoir d’autre limite que la disparition. Aussi faut-il que consentants ils s’agenouillent en prière devant la noirceur de leurs crimes esclavagistes et de leur mépris des peaux noires. En dépit de l’expansion peut-être salutaire de l’antiracisme, faut-il laisser croître l’emprise de nouveaux racismes, de métamorphoses de la bête aux crocs sournois ?

Le racisme est un collectivisme. Puisque l’on ne considère pas la personne en fonction de caractéristiques individuelles mais d’une superficielle enveloppe commune qui bouche les yeux de l’observateur prétendu, soit la couleur de la peau, ou, par extension, l’origine géographique (parlons alors de xénophobie) et la religion, comme dans le cas de l’antisémitisme. Le racisme, qui n’a évidemment aucun sens scientifique, ou plus exactement, pour reprendre le néologisme judicieux de Toni Morrison[1], le « colorisme », efface et nie à la fois l’individualisme et le libre arbitre. Cette hiérarchisation hostile a pu conduire jusqu’au génocide, comme lorsque les Allemands massacrèrent 80 % des Héréros au début du XX° siècle, dans l’actuelle Namibie.

« Le racisme est la création des Blancs », tonne dans The Daily Telegraph[2], Liz Jolly, bibliothécaire en chef de la prestigieuse British Library londonienne, en un propos en soi raciste. Forcément, l’institution qu’elle dirige entretient avec son histoire, celle de l’impérialisme britannique et celles de minorités brimées une relation pour le moins suspecte, puisque le philanthrope du XVIIIe siècle qui la dota, Sir Hans Sloane, a financé en partie sa collection de 71 000 objets avec de l’argent de la plantation de canne à sucre de sa femme en Jamaïque, qui utilisait le travail des esclaves. Aussi faut-il décoloniser et colorer l’espace pour en finir avec une violence institutionnelle ! Comment va-t-on rééduquer, moraliser, voire dépecer la bibliothèque universelle ? Un comble, alors qu’à peu de choses près seule la culture occidentale sut s’intéresser aux autres cultures, voire les protéger de la disparition.

En fait, si le racisme parait au naïf et à l’idéologue une création blanche, c’est faute de regarder partout où il s’exhibe et se cache, et faute de documents écrits de la part de peuples aux cultures orales. Puisqu’il s’exprime jusqu’entre ethnies aux semblables couleurs de peaux, il est en quelque sorte atavique à l’humanité, depuis la préhistoire, voire depuis l’animalité. Ce dont témoigne Buffon en parlant des « Nègres de Gorée [qui] font un si grand cas de leur couleur, qui est en effet d’un noir d’ébène profond et éclatant, qu’ils méprisent les autres Nègres qui ne sont pas si noirs, comme les blancs méprisent les basanés […] ils aiment passionnément l’eau de vie, dont ils s’enivrent souvent ; ils vendent leurs enfants, leurs parents, et quelques fois ils se vendent eux-mêmes pour en avoir ».

Ce naturaliste des Lumières, en dépit de la somme des connaissances ordonnées sur la diversité du monde, ne laisse pas d’exsuder quelques pointes que l’on qualifierait aujourd’hui de racistes : les Lapons, par exemple, « paraissent avoir dégénéré de l’espèce humaine, […] ils sont plus grossiers que sauvages, sans courage, sans respect pour soi-même, sans pudeur : ce peuple abject n’a de mœurs qu’assez pour être méprisé ». Plus loin, il examine les peuples africains : « Ceux de Guinée sont extrêmement laids et ont une odeur insupportable ; ceux de Soffala et de Mozambique sont beaux et n’ont aucune mauvaise odeur[3] ». Faut-il cependant ne plus exercer de jugement, certes discutable et destiné à être remis sur le métier ? Ne jetons pas l’opprobre sur les Lumières, tant Montesquieu, De Raynal, donc Diderot, ou Condorcet étaient anti-esclavagistes.

En 1543, Gomes de Zurara, dans sa Chronique de la découverte et de la conquête de la Guinée[4] ne fut guère plus tendre, malgré sa compassion pour les victimes, en prétendant que « les Noirs n’avaient aucune compréhension du bien, ne savaient que vivre dans une paresse de bêtes ». L’immense naturaliste Carl von Linné, dans son Systema Naturae de 1735, établit quant à lui une hiérarchie, depuis le blanc, en passant par le jaune et le rouge, jusqu’au noir, associé à la paresse. Cette prétendue science, datée, est évidemment battue en brèche, car tous les individus issus de tous ces groupes colorés peuvent potentiellement accéder à l’étude, à la culture, à la science, voire y briller.

De quel racisme parle-t-on ? Celui, abject de l’esclavage[5], puis de la ségrégation qui sévit longtemps aux Etats-Unis ; ou celui des Africains esclavagistes en leur continent et leurs ethnies, ou encore des Arabes eux-mêmes continument et férocement esclavagistes, sans omettre leur racisme (en particulier des Algériens) envers les Noirs, sans exclusive cependant. Car si l’on lit l’historien arabe du XIV° siècle, Ibn Khaldûn, d’origine andalouse et yéménite, l’on s’aperçoit que le racisme est consubstantiel à l’Islam : « Au sud de ce Nil est un peuple de Noirs qu’on appelle Lamlam. Ce sont des infidèles ; […] Il n’y a que des hommes plus proches des animaux que d’êtres raisonnables. […] Ils se mangent souvent entre eux. On ne peut les considérer comme des êtres humains[6] ». L’on sait que les Arabes et Berbères d’Al-Andalus[7] ne se privèrent pas d’être violemment racistes et persécuteurs envers les dhimmis juifs et chrétiens. Plus près de nous, pensons également au génocide exercé entre Hutus et Tutsis du Rwanda…

C’est au tout début de ce XX° siècle si fécond en génocides que fut inventé le mot « racisme », alors qu’en 1853 Arthur de Gobineau avait publié son Essai sur l’inégalité des races humaines. Blanches, jaunes et noires, ce sont ces dernières qui sont selon l’écrivain frappées d’infériorité : «  Les deux variétés inférieures de notre espèce, la race noire, la race jaune, sont le fond grossier, le coton et la laine, que les familles secondaires de la race blanche assouplissent en y mêlant leur soie tandis que le groupe arian, faisant circuler ses filets plus minces à travers les générations ennoblies, applique à leur surface, en éblouissant chef-d'œuvre, ses arabesques d'argent et d'or ». Notons cependant qu’Arthur de Gobineau n’a qu’un très faible intérêt pour le concept de race aryenne et que le nazisme, en conséquence, n’a pu que travestir le discours de l’essayiste, qui était élogieux à l’égard des Juifs : « que furent les Juifs ? Je le répète, un peuple habile en tout ce qu’il entreprit, un peuple libre, un peuple fort, un peuple intelligent, et qui, avant de perdre bravement, les armes à la main, le titre de nation indépendante, avait fourni au monde presque autant de docteurs que de marchands[8] ».

 Cependant l’ouvrage d’Arthur de Gobineau est moins un vulgaire pamphlet qu’une étude scientifique et historique fort documentée, dont la thèse discutable souligne que le mélange des races est le moteur de l’Histoire : « L’espèce blanche, considérée abstractivement, a désormais disparu de la face du monde. Après avoir passé l’âge des dieux, où elle était absolument pure ; l’âge des héros, où les mélanges étaient modérés de force et de nombre ; l’âge des noblesses, où des facultés, grandes encore, n’étaient plus renouvelées par des forces taries, elle s’est acheminée plus ou moins promptement, suivant les lieux, vers la conclusion définitive de tous ses principes, par suite de ses hymens hétérogènes[9] ». Que dirait-il aujourd’hui, à l’ère du métissage !

Car en 2010, les mariages mixtes concernaient 27% des mariages en France. De plus 60% de ces mariages mixtes sont contractés au Maghreb, en Turquie et en Afrique francophone, entre tradition, prescriptions religieuses musulmanes et stratégie d'immigration. En fait il ne s’agit pas de métissage mais d’une endogamie en relation avec le village ou le bled d’origine d’une famille. Ce serait un moindre mal si le risque de consanguinité n’y était considérable, de par des mariages entre cousins, entraînant des déficiences physiques et mentales courantes, des quotients intellectuels faibles. Arthur de Gobineau se scandaliserait à bon droit d’un tel métissage convoqué pour régénérer le sang de ces malheureux Français dont la baisse démographique menace !

Malgré l’érudition d’Arthur de Gobineau, mais une science sans guère de conscience, ou la pseudoscience raciale nazie, le racisme est avant tout une réaction épidermique (c’est le cas de le dire !) à la différence, à l’étrangeté, mue par l’ignorance et l’incapacité d’accéder à une nouvelle connaissance, mais aussi une peur irrationnelle, qui entraîna longtemps l’adage américain : plus la peau est claire, plus la peine est légère ».

Ne tombons pas dans ce qu’il faut reprocher à autrui, soit la généralisation abusive : tout individu à la pigmentation plus ou moins chocolatée - étant entendu qu’il existe du chocolat blanc - n’est pas forcément comptable des excès de son groupe. Et, de plus, comme le dit Ibram X. Kendi, « Nos erreurs étaient généralisées pour devenir les erreurs de notre race ».

Qui sait si un antiracisme pourrait être le garant d’une réelle équité au point de considérer toutes les couleurs de peau avec le même égard, et de traquer avec justice et pertinence toutes les manifestations indues de racisme. C’est l’idée que défend avec ardeur Ibram X. Kendi (né en 1982) en son Comment devenir antiraciste[10]. Ce professeur fondateur et directeur du centre de recherche sur l’antiracisme de l’American University de Washington D.C. prétend en quatrième de couverture que si l’on croit que « les problèmes se trouvent leurs racines chez des groupes de gens », l’on est raciste ; alors qu’elles sont « dans le pouvoir et la politique », et seule cette dernière option permet pour lui d’être antiraciste ». Il nous semblait pourtant que pouvoir et politique étaient l’apanage de groupes de gens et que dénoncer des groupes de gens n’avait pas forcément à voir avec la pigmentation et l’englobante détestation… Fort heureusement l’on comprend vite qu’il s’agit là de « groupe racial ».

Narrant son adolescence lycéenne, Ibram X. Kendi revient sur lui-même : « je regroupais les jeunes noirs sous un « ils » ». C’est effectivement une forme avérée de « racisme intériorisé ». Au-delà de cette « Introduction raciste » et affinant peu à peu sa pensée en une série de mea culpa, il tient à traquer et contester les iniquités liés aux différences raciales, de façon à permettre un monde plus juste, quoique sans guère d’illusions. Avançant de manière ordonnée des arguments historiques, politiques, biologiques, culturels, comportementaux, sexuels (à l’occasion d’un racisme sexiste), de classe et de genre, à l’assaut du piètre racisme, y compris ethnique entre Afro-Américains et Antillais, en presque une vingtaine de parties, fort documentées et riches d’enseignements, l’essayiste offre une lecture salubre. Il dénonce non seulement l’eugénisme racial, du darwinisme au nazisme, mais aussi la « composante génétique du comportement humain » de Nicholas Wade[11], ou encore les « solidarités de race ». Non sans parvenir à cette conclusion : « la source des idées racistes n’était pas l’ignorance ni la haine, mais l’intérêt.

Nombreux sont les points qui nous paraissent pourtant pêcher. L’« iniquité raciale », par exemple en ce qui concerne les propriétaires de logements, factuelle, n’est cependant pas qu’une affaire de « politique raciale », comme le prétend notre auteur, mais de facteurs divers et complexes, historiques, génétiques, culturels, sanitaires. Il note d’ailleurs que l’espérance de vie des Noirs est plus faible aux Etats-Unis que celle des Blancs, que la surreprésentation des noirs dans la population carcérale est patente, en grande partie à cause de cette guerre contre les drogues probablement contre-productive. Il défend la discrimination positive, en arguant que les non-Blancs ont été défavorisés, mais ce ne sont plus les mêmes personnes qui sont en cause ; et favoriser un étudiant noir de par sa couleur et en dépit de concurrents blancs plus performants, et des Asiatiques que leurs succès scolaires dévalorisent, c’est nier autant l’individu que le mérite, de plus, obérer les chances de la société en son entier. Les thèses de l’essayiste ne s’améliorent guère, lorsqu’il s’agit de climat[12] : « une politique climatique consistant à ne rien faire est une politique raciste. Puisque le Sud de la planète, majoritairement non blanc, est bien plus victime du changement climatique que le Nord ». De surcroit, son grotesque  « anticapitalisme » viscéral, qui l’entraîne à prétendre qu’ « aimer le capitalisme revient à aimer le racisme » et que ces derniers « sont nés ensemble », l’empêche de percevoir le sens du capitalisme authentiquement libéral qui en tant que tel ne peut être raciste et dont les libertés économiques sont accessibles à toutes les couleurs de peau. Serait-il raciste de penser que le capitalisme n’est pas fait pour les Noirs…

Lorsque les Noirs représentent 13% de la population des Etats-Unis, « les corps noirs » représentent 21% des morts causés par la police, rapporte-t-il, mais ceux désarmés sont deux fois plus susceptibles d’être tués s’ils sont noirs. Cependant rappelons que le taux de délinquance des Noirs est presque 8 fois plus élevé que chez les Blancs et les premiers tuent bien plus de Noirs. Que le risque pour un policier d'être abattu par un homme noir est 18,5 fois plus important que le risque pour un homme noir désarmé d'être abattu par un policier (Wall Street Journal, le 2/06/2020). Noyons cependant avec l’auteur une « corrélation bien plus forte entre le niveau de criminalité et le taux de chômage qu’entre la criminalité et la race ».

Nous pourrions également discuter l’affirmation selon laquelle l’« antiraciste culturel rejette les standards culturels et égalise les différences culturelles entre les groupes raciaux ». Pour qui ne reconnait pas « les groupes raciaux », l’on risque de choir dans le relativisme et de ne pas vouloir constater si des civilisations sont de meilleur aloi que d’autres selon des critères judicieux[13], ce qui n’empêche en rien l’émergence et la reconnaissance de cultures autres et nouvelles. Pourtant Ibram X. Kendi considère le mot « civilisation » comme « un euphémisme poli pour dire racisme culturel »… Parfois l’on se demande si l’auteur n’est pas aveuglé par son objet d’étude, sans compter par instant un côté donneur de leçons et sculpteur de doxa passablement inquiétant.

Récit autobiographique et roman de formation habilement entrelacé dans essai, depuis la rencontre de ses parents parmi l’église de la libération jusqu’à la maturité de sa pensée et jusqu’à son cancer et celui de son épouse, le livre d’Ibram X. Kendi est d’une lecture stimulante, émouvante, propice à la réflexion du lecteur, y compris critique. Le réquisitoire est argumenté, à charge contre les politiques reaganiennes en particulier, rejetant également « les idées assimilatrices et les idées ségrégationnistes », les unes infantilisantes, les autres injurieuses. « La race est un mirage, ce qui ne diminue pas sa force », dit-il. Ce pourquoi il exècre les « races monolithiques ».

Que Donald Trump ait eu à cet égard des propos discutables, soit ; mais l’associer aux « suprémacistes blancs » est pour le moins excessif, lui accoler l’étiquette de « pouvoir raciste » est indigne, surtout sachant que le chômage des Noirs n’a jamais été aussi bas qu’au printemps dernier et que ce Président a contribué à l’arrêt de la politique judiciaire des « trois coups », soit jusqu’à la prison à vie à la troisième récidive, quelques soient le délit ou le crime. Autre bévue d’Ibram X. Kendi, qui est certainement démocrate : associer les Musulmans à une race, même si ce dernier mot est d’usage bien plus large aux Etats-Unis qu’en France. Pire, il tonne que « la première puissance mondiale [fut] la première à faire le commerce exclusif d’esclaves de la race construite des Africains ». C’est oublier les esclavagistes africains et islamistes, qu’étonnamment il mentionne quelques pages plus loin ! De même, parlant des Musulmans discriminés, il oublie la dimension sexiste, génocidaire de l’Islam. Ainsi des pages exaltantes côtoient des pages pour le moins irritantes…

Nous sommes reconnaissants à notre essayiste de constater l’existence du « racisme anti-Blancs », et de son mea culpa : « Je ne crois plus qu’un Noir ne peut pas être raciste ». Néanmoins il est à craindre que notre essayiste pense trop en termes de Blancs, de Noirs, de races, quoiqu’il s’agisse là d’un tropisme américain, même s’il privilégie l’individu, ce à l’encontre de la notion d’humanité. Autrement dit, un antiracisme qui ne serait pas universaliste serait un faux semblant, versant raciste de l’antiracisme. Ainsi à l’issu de cette lecture, l’on balance entre l’éloge et le blâme…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme ses pères et mères, Ibram X. Kendi, sut améliorer sa condition, plutôt que de sombrer dans le chômage, la drogue et la délinquance. Telles sont les voies de la réussite. Ainsi le sénateur noir de Caroline du Sud, Tim Scott qui rappela, lors d’une intervention à la Convention républicaine, que l’Amérique était la terre des libertés et des réussites. Ses ancêtres ramassaient le coton dans les champs, pourtant, après de brillantes études, il est devenu membre du Congrès, d’abord à la Chambre des représentants, ensuite au Sénat. « Les études et le travail m’ont permis de réussir », a souligné Tim Scott, en une ode aux possibilités offertes par l’Amérique. En effet, l’American Enterprise Institute souligne la progression sociale des hommes noirs aux Etats-Unis : 41% d’entre eux étaient considérés comme pauvres en 1960, ils ne sont plus que 18% aujourd’hui ; 38% faisaient partie de la classe moyenne, ils sont 57% aujourd’hui. En avril 2019, Chicago sut élire maire Lori Lightfoot, une femme noire. Ainsi, elles sont une bonne dizaine à diriger les plus grandes villes, San Francisco, Atlanta, Nouvelle Orléans, Washington. En 1965, il n’y avait que 5 représentants noirs au Congrès, en 2019 ils étaient 52.

Hélas, aux Etats-Unis, une élite identitariste s’appuie sur des groupes identitaires, ethniques et raciaux (à l’exclusion du mâle hétérosexuel blanc), tous groupes victimisés de façon à engranger sans cesse de nouveaux adhérents afin de justifier des discriminations positives et d’opérer de juteuses captations de fonds publics par des agences dédiées. La culture blanche, forcément oppressive, selon un mantra postmarxiste, doit céder la place à d’autres cultures, entraînant dans son discrédit jusqu’à la science qui a le tort d’être occidentalocentrée. De même l’enseignement se voit corrompu par une idéologie qui considère en premier lieu l’origine ethnoraciale des élèves, en fonction de laquelle l’on devra enseigner. Toutes évolutions désastreuses que démonte l’essai de Mike Gonzalez : The Plot to Change America - How Identity Politics is Dividing the Land of the Free[14].

Une perversion de l’antiracisme change ce dernier en racisme pur et dur, sans vergogne, qui ne se cache guère d’être le fer de lance d’une pulsion de violence continue, voire d’un dessein d’extermination au service d’une prise de pouvoir en cours. L’inversion des valeurs permet la soumission d’une partie de l’intelligentsia blanche depuis longtemps remuée par « le sanglot de l’homme blanc[15] », le repentir pour les fautes des pères et des ancêtres supposés. Ce n’est plus la loi du Talion, mais le retour à la culpabilité et au châtiment prononcés jusqu’à la septième génération. Alors que l’on cache sous le tapis les crimes de ses propres ancêtres, esclavagistes noirs africains et arabes et de ses contemporains dans des pays où l’esclavage est encore bien vivace[16]. Aussi soupçonnerait-on, si l’on était mauvais esprit - mais à mauvaise foi, mauvaise foi et demie - qu’il s’agit de faire des Blancs d’aujourd’hui les esclaves de demain, alors qu’ils sont déjà les généreux pourvoyeurs d’aides sociales. Car une leader du mouvement Black Lives Matter, Sasha Johnson, annonce que le combat n'est pas que les Noirs soit l'égal des blancs... mais que les blancs soit réduit en esclavage. Ce n’est là peut-être qu’une extrémiste surexcitée, mais elle montre bien jusqu’où l’esprit de revanche peut envenimer un antiracisme qui devient un mouvement guerrier, véhiculant un projet d’oppression inique, montrant au passage que les leçons de l’Histoire et de l’humanisme peuvent être vaines…

 

L’argument ad hominem, ou plus exactement ad colorem, l’emporte sur tout autre : blanc, vous avez tort, noir, vous détenez la vérité inaltérable : sur le plateau d’échec du débat, les blancs non seulement ne jouent plus les premiers, mais sont échec et mat avant d’avoir touché un pion. La blancheur de la peau signe ab ovo la génétique du racisme colonial et systémique - selon une généralisation abyssale - et tout argument est d’avance invalidé, qu’il s’appuie sur l’Histoire, les faits, le droit naturel, la justice…

À force de s’attaquer à une prétendue négrophobie d’Etat et à un racisme systémique et de multiplier les « activismes » violents, ne risque-t-on pas un retour de bâton qui ferait couver un racisme blanc que l’on croyait disparu ou résiduel parmi quelques hordes suprémacistes, que l’on verrait se barder d’étincelles criminelles ? À moins que ce soit là précisément le but recherché, de façon à faussement valider le « Ah, je vous l’avais bien dit », soit la preuve par la provocation.

Après avoir protesté et lutté pendant des décennies contre la ségrégation et l’apartheid, l’on risque d’y revenir, cette fois par une contrainte inverse : ce sont des Noirs qui réclament de se séparer de l’impureté blanche, revendiquant et instituant des bastions communautaires et universitaires fondé sur la couleur de peau.

Comme en toute évolution civilisationnelle, ou révolution marxiste et fasciste, le vocabulaire subit des distorsions, des curetages et des excisions, que l’on agite comme des armes tranchantes : ainsi les mots « racisé », racialisé », décolonialisme, intersectionnel, genré… Le néologisme « racisé », avec son pendant « non racisé » est à cet égard particulièrement abject, alimentant un désir de haine blancophobe.

« Il existe pourtant, en France, une loi sur les discours de haine, discutable au demeurant[17]. Mais devinez qui sera vilipendé, par une « cancel culture «  (soit de l’élimination pour éviter le désastreux anglicisme), voire inculpé : le malheureux abruti front nationaliste et identitaire franchouillard qui aura noirci ses indignes menaces et insultes de Blanc indigne ; alors que celui qui en dit autant envers des Blancs parait un justicier à visage découvert. Cette cancel culture » cache à peine un syndrome du lynchage. L’on abat les statues[18], supprime des auteurs, des artistes.

Post mortem, Agatha Christie, l’auteur de du célébrissime Dix petits nègres se voit désavoué par son descendant qui efface le titre jugé raciste (et les nombreuses occurrences du trop coupable mot, pour y substituer un fade « Ils étaient dix ». Le lavage de cerveau militant et consenti offense non seulement à la propriété intellectuelle, mais aussi à la dignité de l’artiste. Au point que le distributeur Amazon a tiré la chasse d’eau désodorisante sur son stock de l’ancien titre. Aussi il est inévitable de se demander si ce blanchiment des saletés racistes ne va pas courir débaptiser les infamants Nègre du Narcisse de Joseph Conrad, Le Nègre de Pierre le Grand de Pouchkine jusqu’aux écrivains à la peau chocolatée à qui il ne serait peut-être plus permis de colorer leur langue : Léopold Sédar Senghor avec Négrutide et humanisme, Aimé Césaire avec Nègre je suis, nègre je resterai, ou notre contemporain Alain Mabanckou avec ses Propos d’un Nègre presque ordinaire, sans compter un silence discret sur les « Negro spiritual »…

Que « nègre » vienne du latin nigrum, sans aucune connotation particulière, semble échapper à nos piètres linguistes ; serait-il respirable de le réhabiliter en toute paix ? Il est vrai que le mot, peut-être irrévocablement, fut sali par les insultes qui le portèrent, par la « traite négrière ». Peine perdue pour toute argumentation nuancée, la bonne conscience intrusive et péremptoire commande le révisionnisme.

De même, une poignée de membres du gouvernement de l’État du New Jersey réclamèrent de retirer Les Aventures d’Huckleberry Finn de Mark Twain de leurs établissements scolaires, au motif de la présence d’insultes et autres stéréotypes raciaux. Sans songer un instant que ce roman du XIXe siècle est à lire en tant qu’ouvrage antiraciste. Les travestissements idéologiques qui voulurent justifier l’esclavage y sont démontés, alors que les personnages esclaves sont plein d’une humanité au service de l’égalité et du droit naturel à la liberté.  La volonté de soustraire un tel toman du canon littéraire américain, actée parmi certaines écoles et universités, relève ni plus ni moins de l’imbécile censure. D’autant que si l’on prétend ainsi protéger les jeunes générations contre les mots et les sentiments racistes, le résultat tendra vers l’ignorance et l’absence de sens critique, et surtout l’absence de protection intellectuelle contre le racisme atavique de la rue et de la foule.

Pire encore, l’on va aux Etats-Unis jusqu’à vouloir effacer un immense philosophe de l’Antiquité. Certes Aristote ne réprouvait pas l’esclavage, comme le consensus de l’époque n’imaginait guère de le faire, mais prétendre, au motif qu’il y eut des gens qui ont ressenti directement les conséquences pratiques des vues - dit-on - haineuses d’Aristote, le rayer de l’enseignement témoigne d’un abrutissement de la pensée, tant on oublie ses contributions à la philosophie politique, à la physique, et caetera, au fondement de la civilisation occidentale. Une exhibition prétendument éthique d’aujourd’hui vise à lacérer la culture, qui est plus complexe qu’elle, plus sage en fait…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme les Asiatiques affichent un Quotient Intellectuel plus élevé que les autres, les régressistes antiracistes leur collent un handicap de 140 points au concours d'entrée des universités américaines. Au bénéfice de 130 points de bonus pour les Hispaniques et 310 points de bonus pour les Blacks. La couleur de peau et l’origine ethnique sont devenus des critères prioritaires et politiques, au-delà de l’intelligence, de la culture et des compétences. Ce qui est rapidement contre-productif, dans la mesure où sont sacrifiés in nucleo les réalisations de qualité qui seraient au service de la société entière, outre le sentiment de frustration des uns et de préférence indue des autres. L’injustice prévaut sur l’excellence, la médiocrité est encouragée, l’excellence découragée, y compris chez ceux, Hispaniques ou Blacks, qui se voient recrutés non pour leurs qualités intrinsèques, mais pour leur couleur ethnique, ce qui est attentatoire à l’équité humaine, à l’universalisme. À tel point qu’enfin l’Université de Yale vient d’être accusée de discrimination contre les Blancs et les Asiatiques !

Ainsi le galimatias à la mode parvient à de tels intitulés : « Lutter contre l’islamophobie et le patriarcat dans un contexte décolonialiste et anti-capitaliste : une solution au réchauffement climatique ? » Ou encore : « Inventé par les mâles blancs dominants, les Lumières sont un concept raciste et islamophobe », comme le disent les Frères musulmans et autres décervelés. L’expression serait-elle plus supportable si l’on parlait de « femelles noires » ?

 

Figuier : Les Races humaines, Hachette, 1873.

Les Merveilles des races humaines, Hachette, 1913.

Bibliothèque A. R. Photo : T. Guinhut.

 

L’infamie idéologique racialiste se glisse jusque-là où aurait dû être une des plus prestigieuses écoles du monde. Sciences Po Paris vient d’offrir une liste de lectures estivales sur son compte Instagram officiel. Soit une flopée d’ouvrages racialistes colorés, anti-blanc. Le parti pris idéologique « célèbre le militantisme, l'action, la diversité, et la jeunesse », au  travers de How To Be An Antiracist, que nous venons de lire ci-dessus avec un esprit critique qui probablement ne plairait guère aux concepteurs de la liste. L’on y trouve en outre : Me and White Supremacy, Why I'm No Longer Talking to White People About Race White Fragility, The Next american revolution. Les titres sont assez clairs sans qu’il soit besoin de traduire. Même s’il faut avoir la prudence d’avouer que nous ne les avons pas lus (ce qui n’est guère le cas de piètres détracteurs), n’est-il pas discutable qu’une école censée éduquer nos futurs politiques promeuve des ouvrages où la couleur de la peau détermine l’identité et les droits, où l’on exècre un privilège blanc fantasmé, où le dogmatisme s’enferre en idéologie tyrannique, appelant cela progressisme, à l’instar des « Indigènes de la République ». Et quoique l’on espère que les étudiants lisent assez bien l’anglais, l’on se demande pourquoi, par exemple, l’on ne recommande plus d’Alexis de Tocqueville De la démocratie en Amérique, les quatre volumes de L’Avènement de la démocratie de Marcel Gauchet et L’Histoire de la philosophie politique de Leo Strauss ; ils ne sont ni noirs ni marxistes…

Le racisme anti français existe bel et bien. A-t-on vu passer ce bel ouvrage qui s'intitulait Nique la France. Devoir d’insolence[19] (à l’explicite couverture exhibant une dame enturbanée qui offre un élégant doigt d’honneur) de Saïd Bouamama ? La haine raciste y fleure bon. Faisons allusion à un odieux essai Les Blancs, les Juifs et nous[20], dont l'auteure franco-algérienne, Houria Bouteldja, employée de l'Institut du Monde Arabe à Paris, et présidente de l'association des « Indigènes de la République », qui aime traiter les Français de « souschiens » ? Ce pourquoi elle fut mise en examen pour « racisme anti-français » par le juge d'instruction du tribunal correctionnel de Toulouse. Même si l’on doit considérer avant tout la liberté d’expression, il faut prendre garde aux jugements et arrêts prononcés par les tribunaux­­­­­­­­­, qui feront jurisprudence.­­­­­ ­­­­­­­Qui sait s’il s’agira de permettre un racisme alors qu’un autre est condamné… Finalement la Cour d’appel de Lyon l’a condamnée en 2018 à la peine symbolique d’un euro de dommages et intérêts, mais assortie de l’injonction de verser 3000 € à l’association plaingnate, l’AGRIF (Alliance Générale contre le Racisme et pour le respect de l'Identité Française et chrétienne) pour ses frais de procédure et d’avocat. Pensons également à la secrétaire générale du syndicat étudiant, l’UNEF de Lille, Hasfa Askar, qui twitta sans vergogne : « On devrait gazer tous les blancs, cette sous-race ».

Pendant ce temps, le conservateur du Museum of Modern Art de San Francisco , Gary Garrels, a été accusé de suprématisme blanc et a dû démissionner : « Je ne crois pas avoir jamais dit qu’il est important de collectionner les œuvres des artistes blancs. J’ai dit qu’il est important de ne pas exclure les œuvres des artistes blancs ». Ainsi vont les métamorphoses du racisme.

Ce dernier serpente jusque parmi le terrain des sciences. Titania Mcgrath, « poétesse intersectionaliste radicale », va jusqu’à professer : « la science est une fiction irrémédiablement blanche, patriarcale et cisnormative qui n'existe que pour rejeter les identités marginalisées ». Le délire de la dame prétend réfuter « la nature performante de la maladie et du bien-être vers un objectif néolibéral : l'autonomie individuelle comme moyen d'assurer un travail (c'est-à-dire une « main-d'œuvre saine ») au profit du système capitaliste […] Afin de démanteler les structures médicales oppressives, nous devons faire ce qui suit : Fermez tous les hôpitaux, chirurgies, cliniques et autres établissements. Détruisez tous les manuels médicaux et soulevez des façons non scientifiques de savoir ». S’il s’avère en fait qu’il ne s’agit que d’un compte twitter parodique, la parodie sait l’art de radiographier les errements du temps. Ainsi la triste science soviétique du Lyssenkisme et du Stalinisme se voit remplacé par un obscurantisme racialisé et indigénisé au motif de rabattre la suprématie blanche grâce à des camps universitaires de rééducation. Alors qu’il devrait être évident que l’on n’enseigne pas un savoir blanc suprématiste et colonial, parure de l’homme blanc hétérosexuel et raciste, mais un savoir universel de Platon à Einstein, d’Ambroise Paré à Pasteur, de Shakespeare à Murasaki Shikibu…

Ainsi, grâce à l’onction médiatique, Lilian Thuram, un richissime footballeur, risque de se glisser dans la peau de la haine raciale et du communautarisme indu en publiant un livre au titre discutable : La pensée blanche[21]. Certes, il s’agit de dénoncer, non sans pertinence, le sort trop souvent fait à ceux qui portent la couleur noire sur leur visage et l’illusion de la normalité de celui qui porte un faciès blanc, mais il est à craindre, outre qu’il puisse attiser un racisme anti-Blanc, qu’affubler la pensée d’une couleur de peau soit dommageable pour l’humanité que cet essayiste prétend défendre.

SOS racisme n’a pas de pluriel, aussi l’opération risque-t-elle, par un renversement de l’objectif affiché, de glisser vers un l’établissement d’un bastion d’orgueil noir méprisant, voire visant l’exécration, la domination de la blancheur occidentale, à qui l’universalisme des Lumières[22] est dénié. Fracturer la société entre Blancs et Noirs, et en ce sens atomiser la République, est le but avoué de ces groupuscules activistes antihumanistes.

Avatar gauchiste du maccartysme, un fascisme vêtu de chemise noire sévit aux Etats-Unis. Conforme aux canons du fascisme historique il dispose d’une milice armée pour soumettre à sa terreur la population civile et substituer à la démocratie libérale un Etat fondé sur la race noire et débarrassé de l'économie de marché originairement blanche. Ce fascisme incendie des églises et les synagogues, pille des commerces, se livre à des agressions, voire des assassinats (être un partisan de Donald Trump peut vous coûter la vie), à l’encontre de ceux qui n’ont pas la chance d’avoir leur couleur de peau, exige de se substituer à la police honnie. Quand on lui résiste, elle met le feu aux commerces et à des quartiers entiers et pille les magasins tenus par la race ennemie. Une nouvelle race supérieure vise à exproprier autrui, annexer les biens et exercer le pouvoir absolu. Ainsi les villes démocrates, dont les maires refusent l’aide des forces fédérales, sont gangrénées par les « Antifas » et autres « Black Lives Matter », dont la passion marxiste s’enflamme contre  la « blanchité » - et plus précisément l’homme blanc hétérosexuel. Une prétendue injustice raciale dépecée depuis des décennies aux Etats-Unis mobilise les factieux pour établir leur totalitarisme. Nul doute que les Républicains et Donald Trump réélu devront ramener l’ordre et la paix.

Concept spécieux et tordu, de plus fluctuant selon les langues et les cultures, la race est une fiction qui n’a aucun sens biologique. Attaché à de superficiels marqueurs, au premier chef la pigmentation, cet arbre qui cache la forêt de l’unité et de la diversité humaine, le racisme est bien un puéril fauteur d’exploitations et de conflits. Si l’on pouvait espérer qu’un « sens de l’Histoire » hégélien, qu’une « fin de l’Histoire » à la Fukuyama pourraient effacer peu à peu le primitivisme du racisme, le progressisme - dont l’atavisme sémantique est d’ordre marxiste -, menace de substituer à de récurrents racismes anti-Noirs et intra-Noirs, un racisme anti-Blanc non moins ravageur, comme l’on tue encore en certaines contrées africaines, du Mali au Malawi, les Noirs albinos. Il est à craindre cependant qu’au-delà de ce colorisme un monstre plus puissant soit à l’œuvre : la libido dominandi, soit la pulsion tyrannique, voire totalitaire.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[2] 29 August 2020.

[3] Buffon : Œuvres, Histoire naturelle. De l’homme, Furne, 1853, t III, p 297, 268, 269, 295.

[4] Gomes de Zurara : Chronique de Guinée, Chandeigne, 2012.

[6] Ibn Khaldûn : Muqaddima I, Le Livre des exemples, La Pléiade, Gallimard, t I, 2013, p 279.

[8] Arthur de Gobineau : Essai sur l'inégalité des races humaines, Livre I, chapitre 6, Oeuvres, Pléiade, Gallimard, 1983, t 1, p 195.

[9] Artur de Gobineau : Essai sur l’inégalité des races humaines, Firmin Didot, 1884, t II, p 560.

[10] Ibram X. Kendi : Comment devenir antiraciste, Alisio, 2020.

[11] Nicholas Wade : A Troublesome Inheritance. Genes, Races and Human History, Penguin Books, 2014.

[14] Mike Gonzalez : The Plot to Change America- How Identity Politics is Dividing the Land of the Free, Encounter Books, 2020.

[15] Pascal Bruckner : Le Sanglot de l’homme blanc, Seuil, 1983.

[19] Saïd Bouamama : Nique la France. Devoir d’insolence, Z.E.P. 2010.

[20] Houria Bouteldja : Les Blancs, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire, La Fabrique, 2016.

[21] Lilian Thuram : La Pensée blanche, Philippe Rey, 2020.

[22] Voir : Grandeurs et descendances contrariées des Lumières

 

"Négresse albinos". Buffon : Œuvres, Histoire naturelle. De l’homme, T XIV, Verdière, 1826.

Photo : T. Guinhut.

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7 avril 2020 2 07 /04 /avril /2020 15:39

 

Via Lazzaretto, Milano. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Pandémies historiques et idéologiques.

 

Suivi par Ludmila Oulitskaïa :

 

Ce n’était que la peste.

 

 

 

 

 

 

      Le moindre petit caillou dans la chaussure, individuelle ou sociétale, est prétexte à une réaction physique, psychique, d’autant plus si le roc est de taille planétaire. Ainsi vont les réactions à la pandémie coronavirale, venue d'un laboratoire chinois en passant par l'italienne Milan, qui nous occupe, nous meurtrit, nous tue parfois, non qu’elle soit inédite si l’on consulte l’Histoire. Religiosité niaise, nationalisme frileux et xénophobie imbécile, écologisme béat, anticapitalisme furieux, antilibéralisme débile, tout y passe pour refiler les potions magiques de ses postures et obsessions idéologiques et finalement pré-totalitaires, alors que nous sommes presque tous confinés par un biopouvoir, sauf les indispensables petites et grandes mains salvatrices du ravitaillement et du soin, dans un lazaret planétaire. Sans compter l’emballement des phrases définitives et comminatoires, à la « Plus rien ne sera comme avant », « il y aura un avant et un après », « une nouvelle ère », destinées à montrer combien le beau parleur est définitif, combien il gouverne le monde et l’avenir… Cependant, si l'on s'interroge sur la conduite à tenir face à cette pandémie, peut-être faut-il retenir la leçon fournie par Ludmila Oulitskaïa dans son récit, Ce n’était que la peste. Puis, a posteriori, soit presque deux ans après le tsunami coronaviral et son cortège de variants, s’interroger sur les développements et les conséquences liberticides de ce biopouvoir politique.

      L’Histoire humaine est constellée, obérée par les pandémies. Thucydide avait décrit la peste d'Athènes, qui « fit sa première apparition en Ethiopie » et dévasta l’Attique : « Rien n’y faisait, ni les médecins qui, soignant le mal pour la première fois, se trouvaient devant l’inconnu (et qui étaient même plus nombreux à mourir, dans la mesure où ils s’approchaient le plus des malades), ni aucun autre moyen humain[1] ». Le Romain Lucrèce dans son poème De la nature des choses, au Ier siècle, prétend déjà savoir « la cause des maladies contagieuses, de ces fléaux terribles qui répandent tout-à-coup la mortalité sur les hommes et les troupeaux[2] ». C’est une peste particulièrement virulente et venue d’Orient qui cause, en sus des Barbares, l’effondrement de la civilisation romaine[3] au VIème siècle : d’un million d’habitants, Rome s’est vue ramenée à vingt mille. Edward Gibbon rapporte dans son Histoire de la chute et de la décadence de l’empire romain que « la funeste maladie dépeupla la terre sous le règne de Justinien et de ses successeurs ». Ce dernier, frappé par la peste, en réchappa, et « durant la maladie du prince, l’habit des citoyens annonça la consternation publique ; et leur oisiveté et leur découragement occasionnèrent une disette générale dans la capitale de l’Orient[4] ». Une phrase à méditer aujourd'hui. 

      Entre 1347 et 1350, la peste noire ravage un tiers de la population européenne. L’on soupçonne alors un méfait satanique des Juifs. Le pape Clément VI a beau expliquer dans sa bulle de 1348, que ces derniers ne sont pas épargnés, la populace court massacrer les Juifs entre Strasbourg et Zurich. Le virus antisémite continue d’ailleurs d’attribuer notre coronavirus au Juifs !

      Une autre peste obligea en 1564 de jeter les cadavres dans le Rhône, là où la ville de Lyon déplorait 60 000 morts. Les médecins et autres apothicaires étaient lapidés, le désordre et le crime dévastaient les rues, la nourriture manquait, ainsi en témoigne le fameux chirurgien Ambroise Paré…

      L’année de la peste à Londres, entre 1664 et 1665, vit passer outre-tombe au moins 75 000 individus, soit 20 % de la population, ce que rapporte l’auteur de Robinson Crusoé, avec une actuelle pertinence, Daniel Defoe : « La Peste défia tout remède, les médecins furent pris, leurs préservatifs à la bouche, et ces hommes firent leurs ordonnances et dirent aux autres tout ce qu’il fallait faire jusqu’au moment où ils virent sur eux les marques de la peste et tombèrent morts, tués par l’ennemi qu’ils enseignaient aux autres à combattre[5] ».

      Venu du Gange, en passant par l’Arabie, le choléra-morbus vint à Paris en 1831 pour balayer jusqu’à « huit-cent-soixante et une personnes par jours […] et c’est particulièrement dans les rues populeuses et malpropres qu’il a exercé le plus de ravages[6] ».

      Depuis un siècle les pandémies n’ont guère faibli. En 1918-1919, au retour de la première Guerre mondiale, la grippe espagnole fit en France (alors peuplée de 39 millions d’habitants) au moins 240 000 morts ; et l’on ne se confina pas pour autant, travaillant à la résilience économique. À peu près effacées de nos mémoires, la grippe asiatique aurait causé près de 100 000 morts entre 1957 et 1958, quand celle de Hong Kong, entre 1968 et  1969, n’a balayé de par le monde qu’un million de morts, et plus de 50 000 en France. La grippe H1N1, qui sévit quant à elle en 2009, fit au moins 18 500 morts, quoique ce chiffre paraisse sous-évalué au point que la revue The Lancet Infectious Diseases prétende qu’il y en eut quinze fois plus. Sans oublier le Sida, dont les victimes depuis les années 80 se montent à plus 25 millions…

      Quant à la grippe saisonnière, d’une récurrente banalité, elle parvient à entraîner 650 000 décès bon an mal an, pour lesquels on ne fait pas le moindre pataquès. Mais un chiffre de la mortalité due à l’actuel coronavirus (690 000 dans le monde et 30 000 en France en juillet 2020) serait le lendemain dépassé et à la seule merci de l’historien du futur… Et si la liste ici esquissée est loin d’être exhaustive, elle est assez pandémique pour montrer qu’il eût fallu être naïf pour imaginer que le présent et l’avenir seraient préservés. L’idéologue d’un progrès sanitaire définitivement acquis au point d’abriter une humaine immortalité se verrait démenti.

      Certes l’émergence des maladies infectieuses est directement liée à notre rapport à la nature. Mais le truisme sert d’argument spécieux à l’écologisme forcené. Les zoonoses sont des maladies produites par la transmission d’un agent pathogène entre animaux et humains. L’augmentation démographique contribue à leur multiplication, sauf que ce sont des pratiques de consommations animales ancestrales qui sont la cause de ce nouveau coronavirus, au mépris de l’hygiène moderne. Le coronavirus de Wuhan serait né dans un marché vivant de pangolins et autres chauve-souris où les contrôles vétérinaires sont absents, une tradition chinoise plus que millénaire ; à moins qu’il se soit échappé d’un laboratoire d’armes biologiques, selon des thèses prétendument conspirationnistes ou une maigre confiance dans l’humanisme du régime communiste, ce qui s'avèrera plus pertinent. Voilà qui en ferait un virus bien naturel. La nature est bourrée de microorganismes utiles ou nuisibles à l’homme ainsi qu’à bien d’autres organismes vivants, elle n’est ni bonne ni mauvaise, ni en équilibre, ni en déséquilibre, pas le paradis à restaurer par un écologisme[7] fantasmatique et antihumain. En cette occurrence purement naturelle qu’est le coronavirus, l’écologiste militant accuse derechef le réchauffement climatique d'origine anthropique, la déforestation, l’élevage intensif, le capitalisme outrancier, le végan lui emboitant le pas en incriminant l’alimentation carnée. La déraison obsessionnelle fait concurrence à la déraison des chiffres fournis par le communisme, autre idéologie prometteuse d’un bonheur cette fois politique, qui fut planétaire et survit scandaleusement en Chine totalitaire. Or l’on ne voit pas assez dénoncé le communisme chinois lorsqu’il est de plus en plus soupçonné d’avoir développé une arme biologique qui certes l’a dépassé.

Lucrèce : De la nature des choses, Bleuet, 1795. Photo : T. Guinhut.

 

      L’antiaméricanisme primaire s’en donne à cœur joie, surtout s’il peut cracher son virus sur Donald Trump : Il y avait, le 6 avril 2020, 29 morts par million d’habitants aux Etats-Unis contre 124 en France. Alors que l’on proclame le nombre impressionnant de morts dans un pays qui a cinq fois plus d’habitants que notre petit hexagone et où le dépistage est plus abondant, il faut déduire qu’à cette date, la pandémie tuait quatre fois plus en France qu’aux Etats-Unis, au lieu de bramer que ces derniers sont le pays le plus contaminé du monde, oubliant au passage la Chine. Et forcément l’on dit que le pauvre Américain ne peut payer ses soins, quand le gouvernement fédéral prend intégralement en charge les tests et les soins. Alors que c’est en France que la gabegie et l’incompétence étatiques sont nues, la désinformation idéologique bat son plein ! Les Etats-Unis sont le pays au monde qui dépense le plus en soins de santé, soit 10 000 dollars par habitant (mais avec des inégalités criantes) alors que la France aligne petitement 4 600 dollars, coq juché sur le fumier du meilleur système de santé du monde ! Le certes maladroit Donald Trump (mais que les poêles ne se moquent pas du chaudron !) a fait fermer les vols pour la Chine fort tôt, ceux pour l’Europe peu de temps après, autorisé la peut-être discutable hydroxychloroquine, aidé massivement l’économie qui se relèvera probablement plus rapidement que tout autre, préfère la responsabilité personnelle à un confinement autoritaire et massif. De plus l'Etat de New-York où se trouve l'épicentre pandémique du coronavirus, est dirigé par un gouverneur démocrate. N’oublions pas que chaque Etat détient la responsabilité sanitaire et juge des mesures nécessaires. L'Etat fédéral peut décréter des directives ; et c'est ce que Trump a fait pour venir en aide à ces Etats. La presse américaine, pourtant peu amène envers le Président, regorge de remerciements de gouverneurs, tant démocrates que républicains, à l’occasion des meures considérables prises, tant du point de vue sanitaire qu’économique. L’avenir dira où l’on se relèvera le plus vite et le mieux…

      Ne serions-nous pas également victime d’un antigermanisme ? En une Allemagne décentralisée - sans parler de la Suisse - dont le système de santé pratique la privatisation des hôpitaux et la concurrence entre les caisses d’assurance maladie publiques ou privées, bien sûr exécrée par tant de nos économistes, journalistes et politiques, la bataille contre le coronavirus parait bien plus efficace en termes de lits d’hôpitaux, respirateurs, tests et masques, au point que la mortalité y soit notablement plus faible qu’en notre malheureux hexagone abandonné des dieux et perclus d’un nationalisme narcissique et délétère.

      Il est évident que les idéologies religieuses restent pernicieuses. Tant chez quelques Juifs ultra-orthodoxes, que chez quelques évangélistes américains, et que parmi l’Islam. Communier dans le culte reste premier, au motif que Dieu décide et sauve, au risque de voir déferler les contaminations. Cette bêtise étant consubstantielle à des religiosités obscurantistes et restant ancrée dans les mentalités depuis des millénaires, elle est en quelque sorte hors concours au regard de civilisations qui ont été éclairées par les Lumières de la science, et pourtant encore, nous ne pouvons que le constater, dans l’ombre des idéologies.

      L’on compte, bon an mal an, 1 400 morts par jour en France, 60 000 morts par an en Europe, dont 8 100 morts de la grippe saisonnière pour l’hiver français 2018-2019. Autrement dit la létalité du coronavirus, certes impressionnante, n’est pas absolument exceptionnelle. Or l’unique chiffre qui vaille, de façon à mesurer les conséquences de la pandémie, est celui de la surmortalité, qui ne se révèlera pas absolument flagrant : 52 000 décès supplémentaires en 2020 par rapport à 2019, et 55 000 par rapport à 2018, quoiqu’il faille compter avec le vieillissement de la population, soit un peu moins d’un Français sur 1000, le plus souvent fort âgé, affligé de comorbidités diverses.

      Reste à se demander si la coercition par le confinement aurait un coût économique, voire sanitaire plus grave, d’autant que l’immunité de groupe est peut-être plus avancée que l’on ne le croit. Si l’on incrimine à cet égard la saturation hospitalière, la pénurie de matériel thérapeutique est la conséquence d'un système bureaucratique centralisé à l’inertie proverbiale et incapable d’anticiper. Encore une fois le modèle allemand, si proche, que nous affectons de ne pas voir, dont nous ne voulons pas nous inspirer, fait ses preuves (espérons-les pérennes). Outre-Rhin, le choix du dépistage massif, des masques suffisamment anticipés, du confinement gradué est probablement le meilleur. Souvenons-nous par ailleurs que la France est en 2020 endettée à 100 % de son PIB, que les dépenses publiques s’élèvent à 56 % de ce même PIB, que les prélèvements obligatoires sont parmi les plus élevés du monde à 45 % de ce PIB. Pourtant l’Hôpital du Val de Grâce est un Hôpital Militaire de 45.000 m2 en plein cœur de Paris, nanti de 380 lits, dans un parc de 2,7 hectares, que l’on découvre fermé, à l’abandon ! Il faut cependant noter que la baisse du nombre de lits dans les hôpitaux publics, si décriée, est due aux progrès de la médecine qui permettent de diviser par deux la durée des séjours des patients. Et, au-delà des incompétences de l’Etat stratège, qui, si glouton de nos impôts, ne disposant en avril 2020 ni de masques ni de tests, se paie le culot de faire des appels aux dons, ce sont les initiatives privées, industrielles et individuelles qui viennent pallier l’impéritie : masques Décathlon pour respirateurs, couturier Hermès et mamies cousant des masques cruellement introuvables, chaudronnier inoccupé créant des cloches plastiques pour les brancards des ambulances…

      Il est de notoriété publique, du moins cela le devrait, que l’hôpital public est engorgé de personnels administratifs au lieu des médecins dont le numérus clausus (fomenté par les médecins libéraux, ou leurs syndicats, qui l’avaient réclamé pour tuer toute concurrence) a contribué à étrangler le nombre, que l’État-providence se prétend un dieu omniscient compteur de chaque décision, à la place de la conscience et des talents de chacun. Ce sont jusqu’aux médecins qui ont perdu la liberté d’exercer et de prescrire. Quoi que l’on pense de l'hydroxychloroquine combinée à l’antibiotique azithromycine (le modeste auteur de ces lignes ne prétend avoir en ce domaine pas l’ombre d’une compétence), il est aussi absurde que tyrannique de ne pas laisser les praticiens juges de leurs prescriptions. Plutôt que rien, tenter de sauver des vies (ce qui semblerait être le cas) est un devoir scientifique et moral. Au point que le gouvernement qui ne le permettrait pas puisse être criminel ! Même si nous ne sommes pas des thuriféraires du Docteur Raoult, il a le mérite de proposer quelque chose de peut-être efficace. L'on peut se demander jusqu'à quelle extrémité criminelle se livrent ceux qui refusent ce traitement, par doxa idéologique ; et qui sait par le biais d'une corruption financière dans le cadre d'une connivence de l'Etat et des médecins avec les firmes pharmaceutiques avides de proposer des traitements coûteux... C’est toute une biopolitique à revoir, au sens foucaldien, soit « la manière dont on a essayé, depuis le XVIII° siècle, de rationaliser les problèmes posés à la pratique gouvernementale par les phénomènes propres à un ensemble de vivants constitués en population : santé, hygiène, natalité, longévités, races…[8] »

      Gageons cependant que nous verrons bientôt la fin de cette pandémie, que ce soit grâce à des associations médicamenteuses, soit grâce à de prévisibles vaccins, et surtout grâce à son extinction naturelle. Nous serons heureux d’avoir éliminé une plaie sanitaire par ailleurs peu égalitaire : elle s’abat préférentiellement non seulement sur les hommes et surtout sur les obèses, mais aussi sur les populations noires, qui sont parfois trois fois plus touchées que les autres aux Etats-Unis…

      Hélas, le système de santé publique prétendument modèle, qui méprisa les offres des cliniques privées prêtes à accueillir des malades, est non seulement une faillite, mais une tromperie. La faillite est celle de l’étatisme, de l’Etat-Providence obèse et cul-de-jatte, et pas le moins du monde d’un libéralisme, ou d’un néolibéralisme, hélas à peu près inexistant en France.

      D’aucuns iront jusqu’à penser que le confinement généralisé, sauf pour les cols bleus, les ouvriers, les soignants, les routiers, les magasiniers et les caissiers, corvéables à merci et sommés d’éventuellement mourir pour la patrie, est une mise sous cloche de la population par un Etat collectiviste, incapable encore une fois de fournir masques et tests, d'offrir la liberté de soin et de recherche, qui fait fi des responsabilités et des libertés individuelles, au prix d’un accroissement de la médiocrité économique et de la pauvreté que notre antilibéralisme ne permettra guère de contrecarrer. Peut-être est-ce un fantasme que de pencher pour l’hypothèse selon laquelle le confinement serait une manœuvre de surveillance généralisée, de contrôle des populations, pré-totalitaire, digne d’un pays en voie de sous-développement scientifique et économique. Qui sait ? Si un confinement modéré se justifie, c’est à dire interdire tout ce qui entraîne une promiscuité fort susceptible de contribuer à la contamination, l’on peut se demander si, de la part d’un gouvernement et d’un Président affichant une rhétorique guerrière, engrangeant l’économie de manifestations, l’attentat aux libertés n’est pas incohérent. Une infantilisante autorisation de sortie doit-elle être par soi-même signée, voire verbalisée par la police ? Quel est le sens de ces fermetures incompréhensibles de mairies, de milliers de magasins et d’entreprises, au service de la prospérité économique, alors qu’ils pourraient aussi bien s’adapter que les supermarchés restés ouverts ? De ces interdictions de sorties solitaires et précautionneuses, y-compris dans les solitudes des sentiers de montagne ? Evidemment, pour ne pas plier devant le politiquement correct, osons remarquer que nous risquons une amende si nous sortons plus ou moins indûment et quelque instant de notre confinement, alors que les quartiers pudiquement dits sensibles ne sont guère approchés par la force publique, laissant ainsi les trafics, les tyrannies perdurer et les contaminations pulluler par la vertu du coranovirus (ceci n’est pas une coquille)…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Créer un gouvernement mondial, dit-on ; certainement pour en être le et les gouverneurs, pour qu’une fausse manœuvre bénéficie à tous, pour assurer une tyrannie, un confinement policier. Repenser la mondialisation, dit-on. Ramener nos industries dans le pays au lieu de les abandonner à la Chine pour des coûts inférieurs ; comme cela semble vertueux ! Mais à un tel patriotisme économique[9] qui fleure bon la nationalisation, ne faut-il pas opposer une désindustrialisation française dont la cause est d’abord une taxation éreintante des entreprises ? Que l'Etat sache gérer un budget qui soit en excédent, et qu'il se contente d'une flat tax en libérant l'économie, qui pourra lutter contre le Covid dans le cadre du libre marché. Notons au passage que la liberté économique est infiniment supérieure à Taiwan, 11ème sur la liste de l’Index of Economic Freedom 2020, ou en Corée du Sud, 25ème, tous pays qui ont su gérer au mieux la crise du coronavirus, qu’en France, qui est misérablement au 64ème rang. Il faudrait nous dit-on « changer de modèle économique » (traduction : un socialisme rouge et vert). Et pourtant, si l’on consulte la Banque mondiale, le taux d’extrême pauvreté a chuté de plus de moitié sur notre planète, passant de 18,2% à 8,6%, entre 2008 et 2018. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, plus de la moitié de la population mondiale pourrait être assimilée à la classe moyenne. C’est bien, comme le confirmait en 2003 l’analyse experte de Johan Norberg[10], le capitalisme libéral qui est responsable de ces bonnes nouvelles. Et qui saura nous délivrer du coronavirus - si ce dernier ne s’affaisse tout seul - via la recherche et la créativité. « Le coronavirus ravit tous les ennemis de la liberté[11] », remarquait le romancier et essayiste Mario Vargas Llosa[12].

      Pour revenir à la grippe de Hong Kong, il s’agissait d’une grippe virulente, non d’un virus inconnu, dont la vitesse de propagation était moindre, d’où aujourd’hui l’incertitude, l’inquiétude, l’affolement. Or le regard sur la mort a profondément évolué depuis l’époque médiévale. L’on est passé progressivement de la mort familière, « apprivoisée », au Moyen Âge, à la mort refoulée, maudite et « interdite » dans nos sociétés contemporaines, pour reprendre les mots de Philippe Ariès[13]. Au point que même le décès d’une personne fort âgée, en outre affligée de diverses pathologies, sans compter l’obésité si sensible à notre coronavirus, le tabagisme et l’alcoolisme, soit perçu comme une insulte à l’hédonisme, comme un scandale, certes peu métaphysique, en tous cas sociétal. Bien loin du temps médiéval fataliste, notre temps contemporain, qui nous a bercé de l’illusion d’une vie presque éternelle, aseptisée et heureuse, se voit menacé, ramené à la sanction aveugle de la maladie et de la mort. Sans dieu, voire sans la sauvegarde et l’onction de la médecine, probablement provisoire au vu des recherches, des médicaments et vaccins imminents, ne restent à ceux pour qui la sérénité est inaccessible, que la peur, que le secours boiteux de l’Etat prétendu protecteur, qui faillit à sa mission quand la médecine tente de faire front.

 

      Pas peu fiers de leurs erreurs et crimes passés, les constructivistes[14], étatistes, écologistes et autres anticapitalistes, proclament à qui ne veut pas les entendre leur volonté, bien sûr altruiste, de construire le monde d’après, soit leur dogme d’une société plus juste, sans lésiner sur les taxes, les fonctionnaires et les coercitions liberticides, qui n’auront pour résultat que de coronavirer ceux que le coronavirus n’aura pas tués ou handicapés… Il y a fort à parier que l’épreuve sanitaire une fois passée, et la biopolitique on l’espère (peut-être vainement) remise dans le droit chemin, sans compter la prospérité économique et culturelle ranimée, l’inanité des donneurs de leçons idéologiques (et peut-être celle de l’auteur de ces lignes qui n’est expert en rien et court ventre à terre le risque de se tromper) sera démontrée. Pourtant, fidèles au principe de la connaissance inutile analysé par Jean-François Revel[15], ils continueront leur péroraison, sans vergogne.

 

Une bonne quinzaine de romans et autres nouvelles traduits en France, une vaste perspective historique sur l’Union soviétique et la Russie font de Ludmila Oulitskïa une figure incontournable de la littérature contemporaine. L’on ne se laissera pas abuser par la minceur d’un opuscule qui tient plus de la chronique historique que de l’empreinte romanesque : là une problématique d’importance est effleurée avec plus d’acuité que l’on pourrait le penser dans son récit Ce n'était que la peste[16].

Généticienne de formation, il n’est pas étonnant que l’écrivaine s’intéresse aux pandémies. Celle-ci éclate à Moscou en 1939. C’est un biologiste, Rudolf Meyer, qui découvre cette souche de peste échappée d’un laboratoire, en est atteint, sachant qu’il est susceptible de contaminer autrui. Il va en mourir, ainsi que celui qui le soigne. Que l’on mette en place un rigoureux système de quarantaine pour quelques personnes qui l’ont croisé, y compris dans le train, est plus que judicieux. Cependant toute l’ambiguïté de ce récit repose sur l’éloge de l’efficacité d’une police qui, à l’époque du stalinisme triomphant, est également celle des arrestations politiques, des purges, des goulags, des procès fantoches et des exécutions arbitraires. Aussi comprend-on l’angoisse de ceux qui sont arrêtés, mis à l’isolement, sans qu’ils soient renseignés. Mais aussi la fin heureuse : « Alors que tous les personnages de cette histoire sortent ensemble de l’hôpital retentit un chant soviétique plein d’entrain ».

Le récit, mené avec toute l’efficacité du réalisme et du suspense fonctionne comme un apologue qui résonne dans notre actualité. D’où une question d’éthique politique ne manque pas de s’élever : si l’épidémie est rapidement tuée dans l’œuf, faut-il s’assurer d’une police aux moyens totalitaires pour éradiquer le risque sanitaire ? Est-ce aux dépens de la liberté ?

Presque deux ans après le tsunami coronaviral puis son cortège de variants, les développements et les conséquences de ce biopouvoir politique, pratiquant le confinement aux dépens de la liberté et du développement économique, au dépens de l’explosion de la dette nationale et donc de la prévisible inflation, instaurant le passe sanitaire suivi de celui vaccinal, sont autant politiques que sanitaires, quoique l'Etat, prétendant contrôler la population, laisse vaquer la délinquance, la criminalité et l'expansion islamiste. Si l’on a peut-être lissé les pics d’admission dans les hôpitaux et en particulier en réanimation, rien n’a été fait pour crever l’abcès de la suradministration hospitalière, pour lever les barrières de l’étatisme. La débandade sanitaire s’est enflée d’une rhétorique de la terreur au service de coups d’Etat successifs. Cependant, si les vaccinations obligatoires des enfants ont permis d’éradiquer la poliomyélite ou la tuberculose, probablement faut-il décréter une telle obligation dans le cas de vaccins néanmoins à parfaire, tant il n’y a guère de liberté sans sécurité ni santé. Il n’en reste pas moins que les principes du droit naturel à la liberté ont été bafoués au bénéfice d’une prudence peut-être nécessaire et indispensable, alors que l'état d'urgence s’est substitué à l’Etat de droit, la déraison technocratique ayant pris la place de la raison politique. Au risque qu’information officielle et propagande évincent la dignité du débat contradictoire, comme il est désormais de mise dans un espace médiatique, souvent aussi ignare qu’idéologiquement orienté, qui se moque de la noblesse du politique.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Ludmila Oulitskaïa fut publiée dans Le Matricule des anges, Juillet 2021

 

[1] Thucydide : La Guerre du Péloponnèse, Les belles Lettres, 2019, p 229.

[2] Lucrèce : De la nature des choses, Bleuet, 1795, t II, p 365.

[3] Voir : Causes et leçons de la chute de Rome

[4] Edward Gibbon : Histoire de la chute et de la décadence de l’empire romain, Ledentu, 1828, t VIII, p 175, 177.

[5] Daniel Defoe : Journal de l’année de la peste à Londres, 1664-1665, Aubier Montaigne, 1975, p 43.

[6] A. N. Gendrin : Monographie du choléra-morbus, Baillière, 1832, p 1, 10.

[7] Voir : De l'histoire du climat à l'idéologie écologiste                                               

[8] Michel Foucault : Naissance de la biopolitique, Hautes Etudes, Gallimard / Seuil, 2004, p 325.

[10] Johan Norberg : Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste, Plon, 2003.   

[11] Le Point, 31 mars 2020.

[13] Philippe Ariès : Essai sur l’histoire de la mort en Occident, Seuil, 1975. 

[15] Voir : Socialisme et connaissance inutile, actualité de Jean-François Revel

[16] Ludmilia Oulitskaïa : Ce n’était que la peste, Gallimard, 2021.

 

Faculté de Médecine, Poitiers, Vienne.

Photo : T. Guinhut.

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