Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
17 avril 2012 2 17 /04 /avril /2012 12:19

 

Grand'Rue, Poitiers, Vienne. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Muses Academy V.

Récit de la danseuse :

Terpsichore

ou les noces de l’Ardeur et de la Paresse.

 

 

      À l’idée d’entreprendre ce récit de la jeunesse de ma sœur terrienne… la fatigue et le sommeil me prennent. Que ne puis-je laisser raconter, en digne Muse Terpsichore revenue un moment du royaume de notre confrère Hypns, ce rêve nocturne salement brumeux, aux noirceurs confuses, son inconscient qui, sûrement, a enregistré cette vile histoire criminelle, cette séquestration d’une danseuse, ces viols ? Et ainsi nous éviter la peine des longues phrases aux subordonnées complexes, aux assommantes causalités, aux délibérations impuissantes… Puisque hélas il me faut bien relater cet épisode répugnant de sa vie artistique, mais aussi ce collant tremplin vers sa gloire professionnelle, je vais en quelque sorte mettre sa conscience en sous régime. Comme sous l’auto-hypnose du sommeil, je vais laisser sa peu musculeuse bouche parler pour elle. Ainsi, en digne Muse, j’infuse ce terrible poème sur la scène sonore d’une mortelle. Voici ce que son cervelet n’a pu oublier, ce que lui ont patiemment arraché, avec mon captivant concours, et avec le scalpel de leur sollicitude envahissante, les juges d’instruction. D’un souffle, je lui verse le don du récit, et pendant que devant vous je danse, chaussons et tutus comme pour un Lac des cygnes tempétueux, écoutons la parler :

      Je m’appelle Ophélie. J’avais seize ans. J’étais une petite danseuse niaise avec la goutte de lait encore sur la lèvre supérieure qui donne à tant d’hommes encore l’envie de téter cette minime excroissance pulpeuse sur mon visage maigre, comme sur la minceur sauvage de mon corps la lourdeur de mes seins que vous avez sûrement la discrétion de trouver petits. Je dormais devant mes cahiers de cours ; je dormais devant mon assiette ; je dormais dans mon lit. Ma mère m’habillait, mon père me transportait. Mes résultats scolaires étaient médiocrement passables, sans rien faire. Ou je faisais le minimum pour éviter la peine d’être grondée, remise en question. De même, aucune amitié, je n’en avais pas l’énergie. Une zombie, portée, effacée par la vie…

      Paresseuse et molle, avec le culte de l’oreiller, figurante dans un ballet pour le palais du Dieu du Sommeil, où seuls Morphée, Phantasos et Phobétor, ses trois aides, l’un pour le pouvoir de se transformer en qui l’on voudra, l’autre pour les fantasmes imagés, le dernier pour la peur et les cauchemars épuisants, mettent pour moi en scène, à travers le tuyau vide de ma bouche, la fatigue de ma non-vie…

      Oui, paresseuse en tout, en gestes et en pensées, sauf la Danse. Pourquoi avais-je et ai-je toujours cette énergie furieuse de danser ? Sûrement parce que ma mère, elle-même danseuse ratée, qui ne travaillait plus qu’en danseuse sur le clavier de sa dactylo - elle était la secrétaire du Président de l’Opéra-Ballet-Rivoli - m’avait poursuivie d’un rêve et d’une intransigeance auxquels je ne devais à aucun prix résister sous peine de haine éternelle, de damnation, d’être déshéritée, reniée, ravalée dans le sperme de mon père, être sans personnalité qui ne pouvait en rien contrebalancer sa peu tendre moitié. Je compris très vite que correspondre à cette image de photo sous verre et sur guéridon, petit fille en tutu blanc et chaussons roses, et glisser dans le pilotage automatique d’une énergie plastique toute entière dévouée à la danse, me permettait le pardon, mieux la bénédiction pour l’absence d’autres activités qu’on dit vitales, jouer, travailler, ranger ses affaires, et j’en passe, faute de courage pour une telle fastidieuse énumération.

      À huit ans, comme d’autres petites filles couvraient les murs de leur chambre de posters de dauphins ou de chevaux et leurs étagères de poupées Barbies, je vivais dans une boite à petits rats et danseuses étoiles. A neuf ans j’étais moi-même un de ces petits rats, à douze ans, première des rats, j’allais bientôt pouvoir espérer devenir une de ces étoiles naines qui gravitent autour de la constellation originelle des géantes roses… Quand ma poitrine se mit à pousser. D’abord discrète, boutons de roses sur la grande tige que je devenais, de plus en plus élancée, plume éthérée vers l’espace, puis très vite énorme, bubons de roses transgéniques gonflés et lourds, tirant vers le bas, vers le poids du sol, mon corps aliéné, massacré. Il me semblait également que mes hanches s’arrondissant, j’allais être une boule de plomb collée à la terre. Je me mis à haïr la puberté, haïr la part physique de mon corps, abhorrer la masse graisseuse qui, comme aimantée, s’était précipitée sur ma légèreté pour s’y coller, comme un quatuor de mammouths sur le stradivarius de mon art à jamais alourdi. Deux seins et deux fesses comme quatre pneus de bulldozer, un nez devenu monstrueusement aquilin et aussi disgracieux que le bec d’une pelleteuse. Toutes caractéristiques venues de mon père, gras, mou, et au nase d’aigle qui n’a jamais su voler. Il m’avait charmé quand petite il me lisait des histoires avec son after-shave, il m’était indifférent, il me devint haïssable. Sans pourtant avoir l’énergie de le lui faire voir. Comment ma mère, ce modèle de minceur aux seins absents et aux traits légers, avait-elle pu consentir à s’accoupler avec un tel verrat sans caractère? Sûrement c’était de ma faute si je n’étais pas assez ma mère et l’idéal qu’elle attendait de moi. Elle réduisit cette nourriture que jusque là elle m’encourageait à prendre pour le bien de ma vigueur musculaire. Je l’aidais en allant me faire vomir dans les toilettes et en doublant mes exercices à la barre, aux chaussons. Sur mes pointes, et sur mes pointes seulement, j’avais accès à la légèreté, à l’euphorie de la vigueur, comme le départ d’une aile d’ange, je vibrais à l’unisson de l’effort et de la fatigue épurée, réussissant les sauts les plus aériens, les grands écarts les plus cabrés, les élans vers la finesse et le haut, comme si le seul fluide, la seule drogue versée dans mes sens depuis la bouche de Terpsichore m’affolait dans ses baisers mystiques.

      Mais une fois la danse passée, je tombais dans l’épuisement, l’abattement sans sommeil, les migraines nauséeuses, les seins comme deux culs de camion-bennes sur l’œsophage, la respiration creuse, je ne voulais que jouer une nouvelle mort du cygne sur une scène paradisiaque. Car l’examen spectacle qui allait décider de mon admission à la haute école de danse de l’Opéra, approchait.

      Je ne sais comment je m’y rendis, emportée dans les bras de ma mère, incapable d’autres pas que ceux de la danse sur un plancher de cours ou de scène. Et là je dansais comme une reine, comme une déesse, comme Terpsichore en personne. Les seins bandés et comprimés sous mon tutu, il me semblait qu’ils avaient disparus, pour me changer définitivement en ange asexué, volatile.

     Je ne sus quand je m’écroulai avant les derniers sauts qui auraient dû me consacrer au firmament de l’art. On me dit que Monsieur Prunier, le pianiste qui animait nos cours, s’était jeté du premier rang sur la scène pour me prendre dans ses bras et me coucher dans la déréliction du linceul de l’infirmerie.

      Ma mère eut alors pour moi l’œil de l’exécration. Je l’avais cruellement déçue. Je ne la remplaçais pas au pinacle où elle n’avait pas atteint. Je lisais une répugnante pitié dans les yeux chassieux de l’être que je n’appelais plus mon père. Seule sur le lit vide du néant, je ne valais plus rien, n’étais rien.

      Soudain, j’étais abandonnée. Par ma mère et par la danse. On ne m’amenait plus à aucun cours. La barre de la salle de jeux avait été démontée. La maison ne résonnait plus des disques en continu du Lac des cygnes ou de Coppélia.  Le frigo était vide de ses habituels petits choux boulimiques de crème. Le tutu en lambeaux était mon seul costume. Mes chaussons roses dépassaient de la poubelle de cuisine. Les portes étaient ouvertes sur la rue.

J’errais, avec ce seul vêtement, sur le goudron sale des avenues. Ne sachant pas si j’allais me coucher dans le caniveau comme un bébé femelle chinois abandonné, ou dans le lit définitif du fleuve… Quant une main glaciale, aussi squameuse qu’un serpent d’eau, me toucha l’épaule. C’était Monsieur Prunier. « Que fais-tu là jeune fille ? Je te cherchais. »

      Je lui racontai à peine mon abandon. Il m’enleva alors dans sa voiture, sans le moindre effort, physique ou de persuasion : j’étais molle comme un linge mouillé. Muscles épuisés, moelle osseuse vidée, je ne perçus pas le moindre centimètre du trajet. Pas même lorsque de ses grosses mains boudinées, au bruit du cliquètement de clés nombreuses, il me transporta dans ce que je ne sus que plus tard être un sous-sol, sans fenêtres.

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

      Je me réveillai dans une lueur d’aube artificielle descendue du plafond. Un lit paradisiaque, blanc, nuageux et douillet me retenait de tomber dans je ne sais quels limbes. Sur les murs de cette petite chambre, il n’y avait que des posters géants de danseuses rosées, dans des lueurs pastelles, des flous dorés à la David Hamilton. Moi-même, je portais un tutu neuf, blanc et miraculeusement à ma taille. Monsieur Prunier, qui était là, m’observant de ses deux yeux de limace derrière ses binocles globuleuses, m’avait donc dépecée de ce vêtement de scène que ma mère avait sur moi déchiré, m’avait donc vue parfaitement nue. Mécaniquement je cachai avec mes coudes trop minces, insuffisants, ma poitrine ballonnée aux pointes aiguës que rien ne contraignait sous l’obscène et moulant tissu. Quand je réalisai que Monsieur Prunier avançait vers moi un plateau de petit déjeuner chargé d’un chocolat au lait, d’un croissant doré, d’un énorme chou à la crème, d’une rose dans un cristal et d’un verre de jus de pamplemousse. Comment connaissait-il mes gourmandises ? Je me jetai sur ces merveilleuses senteurs jusqu’à me faire des moustaches de crème…

      - Et ne va pas le vomir ensuite. Je reste avec toi.

      Monsieur Prunier n’avait donc pas seulement un joli son de piano, mais une belle voix, grave, mâle, expérimentée.

      - Ton royaume est à côté, ma princesse. Fais-le vivre. Et reviens quand tu veux.

      Autour d’un parquet blond courait une barre. Un vaste piano à queue trônait. Tchaïkovski et Delibes tournaient tour à tour dans l’air. Le paradis originel dont j’avais été chassée avait été reconstitué, mieux, élargi, embelli, et dominé par les doigts paternels et virevoltants de Monsieur Prunier sur un Chopin d’ivoire…

      Mais lorsqu’à la barre et sous sa mâle direction, je devais sans relâche exercer mes muscles pour assouplir et allonger et mes tendons et mes os, les plier jusqu’à mes tempes, ouvrir à l’équerre et à la règle les fuseaux virevoltants de mes cuisses et de mes pieds, celui dont je ne dois plus prononcer le nom me pinçait dans ses serres, écartait mes membres, observait mes pas et mes jetés, scrutait mes aisselles ouvertes, palpait mon pubis béant, mon périnée écartelé… Le salaud, le vicelard, le brouteur de touffe, le rat des tunnels glauques ! Au secours ! Où trouver la couette et l’oreiller qui m’enfouiraient dans leur sommeil chaud et protecteur pour ne plus le voir me mater, le sentir me fouiller avec ses appendices corporels de gnome, ses ongles noirs de sorcier, sa mentule de requin marteau…

      Oh, j’étais si bien chez monsieur Prunier… Jamais un mot plus haut que l’autre, toujours un sourire, une main pour me soutenir, un encouragement pour me chérir… Que je l’aimais ce bon bonhomme qui m’a jamais touché autrement que par la discrète intercession des vêtements, draps et serviettes de toilette propre qu’il laissait toujours à ma disposition… Le quitter, moi jamais ! La clef bien huilée était toujours sur ma porte, côté intérieur s’entend, ma main toujours prête et jamais empêchée de la toucher, de la masser sans cependant le moindre besoin d’aller affronter la fatigue du dehors et son air froid comme la solitude…

      Je suis la victime innocente d’une traque, d’un enlèvement et d’un viol à répétition. Mon ravisseur - celui dont je ne dois pas prononcer le nom - m’enferme dans sa cave aménagée en salle de danse où je dois vivre nue et en tutu, lui donner en spectacle mes exercices au sol et à la barre, en tutu seins nus et babioles génitales exposées à sa vue. Mis à part mon opiniâtreté à la barre et sur le parquet dont l’art me transcende et me sauve, dont l’art est la seule soumission possible au monstre dont je ne dois pas prononcer le Prunier, je ne suis que paresse, sans aucune initiative, me laissant masser, manipuler, malaxer, car ma chair n’est chair que dans la danse, mon autre chair est répugnante sous la paire de pupilles sales de Prunier, sous la paire de mains sales de Prunier, sous la paire de testicules sales de Prunier, sous le pic à glace unique et rouge et bien suffisant de Prunier qui me transperce journellement jusqu’au sang. Que me reste-t-il sinon danser, car là je ne pense ni ne sens rien d’autre. Que me reste-t-il sinon dormir, car là je ne suis que paresse intellectuelle et sensitive, je ne pense ni ne sens rien d’autre, je ne suis que paresse de la sensibilité physique et morale, là où je fuis dans la force de la danse, là où je me love et me niche dans le sommeil sans fond sans rêves… Prunier peut alors me faire tout ce qu’il veut. Je suis sûr que cette face de rat aux dents jeunes dont je suis le petit rat rose prisonnier ne dort jamais, qu’il me découvre la nuit pour baver des ronds de salive sur ma peau, sur mes seins qu’il alourdit de ses pognes, sur mes fesses qu’il manie comme l’air manie les ballons dirigeables, dans mon intérieur génital par ses soins vicieux déformé, ensanglanté, conspué comme le Christ sur la croix… Je suis sûre que ce rat jaune court à petits pas la nuit sur la nudité d’une belle au bois dormant que je ne veux ni voir ni connaître…

      Une fois, pendant ma séquestration qui a duré des années, ou plusieurs fois peut-être, de trop nombreuses fois, j’ai eu la fièvre. Ce bon Monsieur Prunier tamponnait mes tempes d’ouate humide, de serviettes fraîches, me tenait le front de ses mains douces pour que je vomisse sans ces spasmes qui m’arrachent l’estomac. C’est parce que j’ai mangé ; une danseuse ne doit pas manger, mais danser, rester plus légère que le vol des grues au-dessus de la scène du crépuscule. Ce bon Monsieur Prunier dont la compassion, l’humilité et le recueillement conduisent à ne pas devoir prononcer son nom, me secondait dans mon effort : un régime draconien de brin de salade verte, de lamelle de carotte orange et de blanche crème chantilly allégée sans sucre, c’était tout ce qu’il m’administrait. Et si j’avais fauté dans son frigo, il avait le devoir de me frapper le sillon fessier à coup de ceinture, à coup de nerf d’homme, là où c’est gras, si graisseux et noir, là où le corps ne peut jamais danser. Pour être pure danse, il me faudrait être délivrée des fonctions digestives et excrétives, devenir sylphe, plume, nuage et air…

      Oh toi dont je ne peux prononcer le nom ni ne le dois, Maître de la danse des gnomes et des sylphes, punis ma paresse de ne pas pouvoir voler ! Soit viol puisque je ne suis pas vol ! Oh je m’effondre épuisée, les membres aussi secs, minces et sans force que des spaghettis dans l’eau croupie des égouts. Tombée dans mon lit, roulée dans mon duvet blanc, je suis enfin l’allégorie de la Paresse, la Miss conquérante de l’anorexie au service de la beauté, je m’envole enfin, légère dans les prémisses d’un sommeil aussi total que l’art de la danse ; je danse disparue, sans corps ni poids, pure dans un rêve de vol qui n’a pas de fin.

      Non, je ne bougerais plus de ce lit si bon. Tu as beau, Prunier, me traiter de paresseuse, me traîner devant une jatte de lait, un gigot d’agneau, un steak de cheval pur sang, je vomis mes organes internes comme je vomis la vie, je danse au-dessus de ce spectacle disparu, je m’évanouis dans une danse aisément mentale et fatale…

      Parfois je vais mieux. Mon tortionnaire m’a fait ingérer je ne sais quel liquide corporel, par je ne sais quelle transfusion buccale, sexuelle, nasale, stomacale ou artérielle… Il me viole maintenant quatre fois par jour avec je ne sais quels instruments et tuyaux, de fer, de plastique. La chambre est blanche et je ne la reconnais plus ; celui dont je ne dois pas prononcer le nom est aussi habillé de blanc avec un collier de caoutchouc et d’acier sur le ventre… Je vais beaucoup mieux, ma main s’appuie sur la barre, Monsieur Prunier peut de nouveau me guider, mes jambes s’appuient sur une paire de pointes en chaussons roses. Je danse avec des muscles de chair et d’acier. Je danse sur la poignée de la porte qu’une seule fois depuis des années il a oublié de fermer. Je sors comme danse le vent dans la rue. Le monstre dont je ne dois pas prononcer le nom me rattrape, me prends la taille, je roule sur le gravier de l’allée où je ramasse un débris de brique et lui colle en travers du front avec l’énergie du désespoir. Je m’échappe de ses mains lâches, je tombe encore, je me traîne à quatre pattes molles jusqu’à une rue que je ne connais pas, je tombe encore, faible comme un duvet échappé de l’oreiller, sur une arête de trottoir vive.... Je me réveille un instant dans les bras d’un bel et jeune policier, la tempe contre le cuir et le métal de son ceinturon, il me couvre avec sa veste qui sent la sueur, et je ne sais plus…

      De nouveau je puis être à la barre. Je ne reprends conscience du crime que devant vous, Mesdames et Messieurs les jurés. Prenez-conscience, vous aussi, de la gravité des outrages que j’ai subis, du crime de ce monstre qui est devant vous, devant moi, j’ai nommé : Monsieur Prunier ! Ne m’a-t-il pas empêché d’atteindre la pure danse en me nourrissant outre mesure, en me changeant en bonbonne avec deux outres de lait gras sur la poitrine, avec une grossesse immonde autour de la taille… J’en vomis… Regardez, j’en vomis… Devant vous… Oh, je sais… C’est répugnant… Oh, je vomis tout… Sur la barre… Enfin libérée… J’avorte ses crimes… Son engeance… Et mon corps.

      - Ne voyez-vous pas qu’une fois enfuie, après avoir réussi à blesser d’un coup de brique au crâne son prétendu tortionnaire, pour ne pas dire trop gentil père de substitution, ainsi rendu aphasique et passablement débile, qu’elle n’était en rien enfermée et qu’elle n’a pas été violée, qu’il ne s’agissait que d’un inoffensif mécène particulier. Sûrement s’est-elle laissée emporter par son fantasme, sa paranoïa, arguant que toute attitude et sollicitude masculine n’est que masque du désir prédateur et violent… A moins que lassé de son attitude molle, de son anorexie militante, hors la danse, il l’ait menacée de la jeter hors de ce cocon-atelier qu’il avait créé pour sa fille décédée et qu’il lui avait offert, croyant qu’elle avait les capacités de la remplacer. Il n’en reste pas moins, que vous avez, Mesdames et Messieurs les jurés, une affabulatrice qui use de tous les délires pour faire enfermer son bienfaiteur, mon client respecté, ici présent, monsieur Prunier lui-même, que je confie, Mesdames et Messieurs les jurés à votre sereine indulgence, à votre sens inné de la justice. Merci pour la vérité et pour mon client.

      - Ma jeune cliente a sans nul doute blessé son ravisseur par légitime défense. Elle n’est que la victime d’un véritable et inacceptable rapt à la fin duquel son tortionnaire moral et physique aurait ouvert les portes, la sachant sous l’emprise du syndrome de Stockholm. Peut-il y avoir d’autre fin au procès de son séquestrateur que la plus sévère condamnation? Vous le condamnerez pour enlèvement, séquestration, mauvais traitements (voyez la maigreur de cette fille) et viol sans atteinte à la virginité.

      Contre moi, Ophélie Primavera, seront retenus le faux témoignage, la dénonciation calomnieuse et l’entrave à la justice. Contre lui la séquestration et les violences sexuelles. Je laisse la place, par paresse intellectuelle vous l’avez compris, à ces deux fins, sans livrer le verdict final que j’attendrai toujours. Comme tous les femmes, comme Phèdre, comme Myrrha, Ophélie et Lady Macbeth, j’attends, silencieuse, dansante, et de mauvaise foi, mon jugement sans la fatigue de penser. Qu’on me laisse enfin dormir…

      Moi Terpsichore, Muse de la danse, je laisserai donc le voile du silence tomber sur Ophélie, mon petit double, ce voile blanc de transparence qui offre à la rêveuse animation de la chorégraphie de ma sœur terrienne tout son mouvement dans l’air…

      Et pendant ce récit, chacun avait pu voir la danseuse (était-ce Terpsichore ou son reflet, son émanation, quelque film stéréoscopique ou hologramme ?) d’abord maladroite sur ses pointes, mais acharnée, puis madrée après l’affreuse nymphose, devenue parfaite et mobile, comme le vol de l’aisance et de la lumière, papillon du jour aux seins lourds et aux ailes aériennes, ensuite modulée par des rythmes jazz et blues, élonguée, saccadée, et enfin brisée, tutu griffé, bas filés, dévastée par des convulsions trash sur le sol, chaussons en lambeaux, côtes du squelette crevant les ordures du frêle costume, saccades comme des ultimes crampes de l’agonie, achevant sa figuration par la métamorphose d’un sommeil qui parut un instant mortel, avant de battre de la paupière du rêve et d’éveiller la pupille de l’ironie…

      Ainsi Terpsichore acheva de danser son histoire, en un ballet tour à tour sensuel, chaste, et obscène. Chacun se rassasia en silence de cette pantomime immense et terrifiante, observant les dessins, les torsions et les volutes mobiles de son corps mince en toutes parties : seins imperceptibles, petit nez mutin, yeux bleus, voix de pépiement d’oiseau. Comme si la chirurgie esthétique de l’art, nez et seins, lentilles aux iris bleus, opération des cordes vocales, avaient changé une pauvre humaine en Déesse…

VI Deuxième soirée.

      - La danse est-elle encore un art, sinon totalement désuet, demande Uranos avec un rictus cruel dans la voix ? Qui aujourd’hui danse encore comme un art quand on se secoue dans les boites de nuits, quand on fait la toupie en hip-hop, quand on martèle le goudron aux cris égoïstes des revendications sociales ?

      - La preuve, s’il en était besoin, elle ne danse que l’échec de la danse, le fantôme de cet art mort, assène, péremptoire Melpomos.

      - Et l’on ne sait même pas si cette petite danseuse est une pauvre victime ou une infâme manipulatrice. Ardente et paresseuse à la fois, tout est incohérence en ce récit !

      - La nature humaine est plus complexe que les jugements entiers, tempère Clios.

      - Comment peut-on imaginer qu’une jeune fille, danseuse par surcroit, soit autre chose qu’une proie pour l’assouvissement du prédateur masculin dominé par ses sales hormones pédophiliques ? s’insurge Polymnie.

      - Allons donc, rit Melpomos ! Ton féminisme naïf - sexiste par là même - semble oublier que le diable peut-être femme, y compris si jeune femme…

      - On peut soutenir l’hypothèse de la fausse accusation, reprend Clios, sans pourtant dédouaner les vrais violeurs.

      - Et personne ne se moque de ses deux fins possibles indignes d’une Muse ? contrattaque Euterpe. Mademoiselle se prend-elle pour un Diderot qui bâcla trois fins pour son Jacques le fataliste, ou pour un John Fowles qui hésita entre deux conclusions pour La Maîtresse du Lieutenant français… Peut-on ainsi savoir la vérité, due à tout bon récit policier ?

      - Mettez plutôt à l’épreuve votre sens du verdict, tranche Calliope… En attendant c’est sur la qualité de ce récit que votre verdict est attendu. Votons donc.

      - Je ne sais pas, je ne veux pas savoir, débrouillez-vous, je vous laisse la responsabilité du choix, intervient aussitôt Terpsichore. Je ne consens à voter ni pour ni contre moi-même et mon récit…

      La juge éloquente condamne non seulement le machisme prédateur universel, mais ce récit qui ne sait pas choisir son camp. Clios, Euterpe et Calliope approuvent son récit, lorsque l’on aboutit à un score désastreux : trois voix pour, cinq contre, les plus virulents paraissant être Uranos et Melpomos, laissant une fois de plus au public télévisuel de Muses Academy garder son vote secret jusqu’au dernier jour… Terpsichore, malgré son indifférence affichée, parait accuser le coup : son regard chancelle. Elle se reprend pourtant en annonçant qu’elle part prendre un bain…

 

Extrait d'un roman à venir : Muses Academy, synopsis, sommaire et Prologue

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
17 avril 2012 2 17 /04 /avril /2012 10:30

 

Palazzo Ducale, Venezia. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

Le Fantôme du CouloirdelaVie.com

Muses Academy, V bis.

      -Ecoutez ! intime Calliope, notre reine des Muses, l’index sur le chocolat au lait de ses lèvres ourlées. Le précédent récit, celui de notre Terpsichore endormie, n’était-il pas bien court ?

      -Paresseux pour le moins, ironise Melpomos, la lippe viscéralement méprisante.

      -Aussi je devine une voix qui veut se faire entendre.

      -Voix de notre mère, la Mémoire, ou voix d’un oracle ? demande Clios.

      -Ecoutons-la. Ce sera un récit surnuméraire.

     -Un récit fantôme avec des fumées du Styx et des souffleries d’arrière-scène, s’amuse Thalios.

       -Chut :

      -Qui êtes-vous ?

      -Je suis celui qui vient.

      -Pourquoi ?

      -Parce que je suis ton fantôme.

      Ce dernier mot avait dans sa bouche absente une saveur de vieilles ailes de papillons de nuit écrasés, d’écorce de bouleau mangée de lichen...

      La mécanique ridicule -et depuis des siècles usée- des cauchemars n’avait déjà plus de sens dans mon fantasme diurne. Ou dans mon rêve nocturne. Alors que le matin de la minuit écrasait les aiguilles désossées de la montre-bracelet qui étranglait mon poignet. Je m’extirpais comme une larve de mon fauteuil de cuir froissé. Les volumes du Tour d’écrou, de Frankenstein, de La morte amoureuse m’étaient tombés sur les genoux, les chevilles, sur le tapis élimé.

      -Je suis celui qui revient.

      Cette fois, à moins qu’en me frottant les paupières j’avais rêvé que je me réveillai, il était bien là, en smoking crasseux, avec des doigts osseux, un sourire étroit laissant transparaitre des dents bien trop technologiques pour être naturelles.

      -Je suis celui que tu seras et que tu étais.

      -Pouvez-vous être plus clair ? lui demandai-je, tentant de faire front avec fermeté à sa voix éraillée, un brin nasillarde.

      -Je suis le clone de toi auquel tu ne peux échapper. Car tu as souhaité, payé. Tu es mort et tu n’es pas mort.

      Je crus m’en sortir avec aménité :

      -Veuillez sortir, s’il vous plait.

      -Mais je suis là parce que tu es là. Inséparable de toi. Quoique ta disparition n’enrayera en rien mon existence, mon éternité qui est la tienne, reproduit que tu es pour te succéder ad vitam eternam. À demain, même nuit, même nulle part et partout, cher Maxime…

      J’allais m’ébrouer le visage dans la force de Coriolis de l’évier. La clarté paisible de la salle de bains aux frais carrelages bleutés, le duvet moussu et neigeux d’une serviette contre ma peau, voilà qui faisait de nouveau partie de mon réel préféré.

Même nuit en effet. À moins que ce fut la reproduction de la précédente. Il était là, miroir où je crus reconnaître mes pires défauts, dominant mon lit, mon oreiller, mon rêve :

      -Te souviens-tu des locaux de la Fondation ? Du Couloir de la Vie ? Là où glissait ton corps-esprit ? Là où une lecture intégrale t’a cloné en moi-toi-même…

      Je me souvenais, oui, avec la plus impeccable netteté, de la chose, de ce voyage horizontal dans la lumière. Après être entré dans le bâtiment de la Zone Technologique de Zurich, m’être miré dans la blancheur de ses parois, le cristal de sa porte double. Un personnel impeccablement silencieux aux traits anonymes. Linge de papier, gants d’ailes de libellules, masque d’air stérile. Scan intégral en sur et infra-luminescence en tunnel, code ADN et ARN, groupe sanguin, groupe tissulaire, groupe cellulaire, infographie de la moelle épinière, numérisation neuronale en surcode de Türing, fond d’œil, aura charnelle et intellectuelle, poétique épique et affective, toutes les données furent prises et enregistrées en moins d’un quart d’heure. Pour bien plus qu’un quart d’éternité…

      -Tu oublies l’essentiel, reprit mon fantôme. Ensuite, imprimante par nuage d’Osborne en moins de neuf mois. Plus exactement en neuf heures, neuf minutes, neuf secondes. Puis neuf jours en cocon-sarcophage. Tout cela en dehors de tes yeux qu’il ne fallait pas blesser. Et me voilà ! Moi, ton semblable, ton jumeau, ton interchangeable, ta résurrection…

      J’en restai bouche bée.

      -Souviens-toi ! Le Couloir de la Vie est en fait double. Le premier où ton corps et ton esprit ont glissé pour être cartographié, enregistré, en cinq dimensions, la quatrième étant biochimique et la cinquième conceptuello-neuronale. Le second, où, par la vertu d’une imprimante cinq dimensions, c’est moi, Hortus Major, qui ait éclos, clone impeccable et définitif.

      Dès le nuage de lait dans la noirceur du café, j’oubliai tout ce fatras, qui se détachait de mon enveloppe cervicale comme un vieux plâtre inutile. J’allais vaquer à mes raisonnables et légitimes occupations…

      Le lendemain (quel lendemain ?), n’ignorant pas que les portes du cauchemar sont au sommeil de la raison, là où s’auto-engendrent les monstres, je le réentendis, assénant ses vitupérations :

      -Sache que je suis tes pires terreurs : l’Inquisition et le fascisme, le communisme et le terrorisme, le fanatisme des lapidations. Et bien pire : le néant de l’oubli qui te condamnerait à la plus définitive des inexistences.

      Cette fois-ci, il avait un pantalon fraise écrasée, une veste banane et une cravate petits pois. Un clown, un dingo ! Avec un miroir sur le visage, avant de s’évaporer dans la touffeur nocturne…

      De guerre lasse, épuisé par ces nuits où ce qui restait de moi s’affalait devant la consistance assurée de celui qui se disait mon fantôme, mon double, ma reproduction, mon clone -il avait l’impudence de se dire mon ami, mon cœur, mon confident, mon amant secret !- je décidai de procéder aux indubitables vérifications du réel.

Je me rendis d’abord, après quelques heures de route, dans cette Zone Technologique de Zurich où j’avais signé le contrat, puis glissé, allongé comme un passager intergalactique, dans le Couloir de la Vie. Je reconnus en effet la bretelle d’autoroute, l’ « Aire des Technologies d’Avenir » et, parmi ses bâtiments rutilants d’inox et de verre, aux toits végétalisés et arbustifs, le hangar bleuté, se confondant presque avec le ciel à peine nuageux de l’après-midi, dont l’entrée s’acheminait par un labyrinthe de buis miniature. La porte était bien là, et, comme l’on gravait d’or au fronton des églises « Porta Coelis », la raison sociale de la Fondation gravée en argent sur verre : « CouloirdelaVie.com ».

 

     Mais à l’encontre de mon souvenir, ou de ce que l’on m’avait persuadé de concevoir comme un souvenir, la baie de verre ne s’ouvrit pas à mon approche. Rien d’ailleurs ne permettait d’imaginer un bouton de porte, un audiophone, une présence humaine. Le nuage de la baie n’offrait à la vue que le reflet du ciel vide, qu’un ombreux reflet immature de ma personne, désemparé. Par les excroissances, les adjacences et les articulations du labyrinthe de buis, je fis le tour, en trente-cinq minutes, du bâtiment aux inusables parois d’acier poli. Sûrement, si j’avais dû dessiner le plan de ce dernier, j’aurais abouti à quelque chose qui aurait dû ressembler aux peintures abstraites et calligraphiques acérées du peintre Georges Mathieu.

      De retour devant l’entrée, qui visiblement ne consentait pas à en être une, mon smartphone tenta d’appeler le secrétariat, voire la tête pensante du « Couloir de la Vie.com ». Seule une délicieuse voix féminine, plus sucrée qu’un gâteau bavarois à la crème et aux fruits confits, me répondait, ou plus exactement me répétait en boucle : « Le CouloirdelaVie.com est au regret d’être fermé pour vacances. Veuillez renouveler votre appel à une date ultérieure ». S’en suivait une alarmante répétition, en boucle, des premières mesures de l’Orfeo de Monteverdi.

      Je rentrais à Genève. Pour le moins surpris, j’évitais de me laisser submerger par une quelconque inquiétude, pourtant sourde, évitant de savoir qu’une créature de la nuit se disant moi allait une fois de plus me rendre visite, réclamer d’autorité mon attention, me la sucer, me la vampiriser. Qui sait, jusqu’à la remplacer par l’autorité de sa présence, de ses impératifs physiques, intellectuels et moraux.

      -Ecoute-moi bien, Hortus Minor. Je suis Hortus. Mais Hortus Major. J’ai le tiers de ton âge. La forme physique et spermatique de tes vingt ans. Mais la force intellectuelle de ta maturité. La somme de tes connaissances, de tes capacités argumentatives, y compris ce que, sans que tu t’en doutes peut-être, tu as perdu, est en moi. C’est-à-dire en plus. Je suis ton surhomme.

      Le rêve -ou la réalité- se brouilla aussitôt, ne laissant qu’une persistante odeur de métal poli au-dessus de mon bureau…

 

Vestiaire d’Esprit. Photo : T. Guinhut.

 

 

      Le lendemain, mon smartphone rappela les locaux zurichois du CouloirdelaVie.Com. En trois langues, allemand, français et italien, une voix cyclamen fit son chemin dans mon couloir auditif : « Le numéro que vous demandez est actuellement en dérangement. Veuillez renouveler ultérieurement votre appel ». Il n’y avait même plus de musique.

 

      Cette fois il était jour, du moins me semblait-il.

      -Ecoute-moi bien, Hortus Minor. Je suis ton Hortus préféré. D’ici quelques années, tes forces, physiques, affectives, intellectuelles, décroitront. Alors que je serai dans la force d’un âge insensible au temps. Pourquoi ne pas maintenant te dissoudre et te confier totalement à ce que tu es ; c’est-à-dire moi, le vrai toi ? Pourquoi résister à cette dernière et indispensable étape : l’acquiescement ? La disparition de ta conscience en voie de péremption ne signera que ta résurrection effective dans ta surconscience qui est en face de toi, qui est Hortus Major. Tu découvriras alors ton entièreté, ta solidité, ta force de vie éternelle. N’y a-t-il pas un contrat signé de ta main, de notre main ? Laisse-toi glisser, mieux qu’Alice, de l’autre côté du miroir…

      Certainement j’avais trop lu Frankenstein bien avant dans les oreillers de ma nuit. Comme si entre deux chapitres s’étaient intercalées les séquences de mes rêves et cauchemars, les séquences de mes démarches administratives et scientifiques, comme si l’intrus et comédien, envoyé plus ou moins bien programmée du CouloirdelaVie.com, avait entrebâillé autant la porte de ma conscience que de ma chambre.

      N’importe quoi ! Les seuls intestins du cauchemar, les flatulences de la spéculation nocturne… À moins que quelque chose de rationnel, un seul fait, se soit glissé sous ce délire. Cette fois le numéro de Couloir de la vie.com, quoique toujours trilingue, comme en Suisse il se doit, ne savait plus que répéter : « Le numéro que vous demandez n’est pas attribué ». Jusqu’à ce qu’une croissanterie, une nouvelle station de téléphérique, qui sait, réponde à son tour…

      Le site internet lui-même, pourtant luxueux, n’affichait plus que « Désolé. La page demandée n’existe pas ».

      Soudain, je me rassérénai : s’il y avait ne serait-ce qu’un embryon de réalité à toute cette affaire, il ne devait pas manquer d’exister une trace de paiement ! En effet, consultant mon compte bancaire genevois, quelques milliers de Francs avaient été réglés à la société Neurobiotech. Comment avais-je pu oublier cela ? Ma nuit était opaque, mon jour laiteux à ce point ! Je retrouvai aussitôt l’objet du délit : le code source de l’imagerie bioneurale réalisée à mon nom. Rien moins que deux centaines de pages, pour moi illisibles, mais dont nous avions joué à croire, avec la réceptionniste et le technicien, qu’elles permettraient, dans le cadre d’une technologie qui n’avait pas encore vu le jour, de réactiver le corps et la mémoire une fois remplacée, plus efficacement certes, la résurrection des corps peinte aux fresques des églises médiévales.

      Décidément le goût du réveil, parmi mes pourtant meilleurs oreillers, était moite…

      -Petit Hortus minor, entendons-nous bien. La pâle copie que tu es me fatigue. Cesse de compulser cette liasse de papier qui n’est qu’une trace sans vie, destinée au broyeur de documents confidentiels. Jette-là sans tarder dans la bouche bleue de l’appareil ! Bien. Maintenant, parlons tout net. Il est impossible que nous coexistions ; j’avoue d’ailleurs ne pas comprendre ce qui autorise cette coexistence. Impérativement l’un de nous deux, puisque nous ne sommes qu’un, le même, doit disparaître. Dois-je te faire un dessin ? Je suppose qu’au moment même où je corporifiais tu aurais dû t’évanouir du même souffle. Par conséquent la politesse voudrait que tu cèdes cette place que de longtemps déjà tu as occupée. Qu’attends-tu pour t’annihiler ? D’ailleurs, tu n’y perdras rien puisque je suis toi, puisque tu seras moi, puisqu’il est de toute nécessité de supposer et d’affirrmer preuves immédiates à l’appui que ta conscience misérablement individuelle à demi, se résorbera pour se réaliser en toute puissance dans la mienne. En ton immédiate et plus que parfaite résurrection.

      Je crus m’éveiller en sursaut. Quoi, ce faciès en quoi je reconnaissais l’abjection du miroir était pour moi le mal radical ! Non que je sois la bonté originelle, bien sûr… En attendant ma chambre était vide, insonore, étouffante…

      -Vous n’existez-pas ! lui criai-je, exaspéré. Pas même un fantôme. À peine l’ombre noire d’un fantasme.

      J’eus la sensation ridicule de m’adresser à une urne de poussière, au vide où ne sont même pas les trous noirs de la cosmologie. Seul un rai oblique agitait, depuis l’interstice des rideaux estivaux, les fibrilles et les insectes translucides de la lumière.

      Mais pourquoi restais-je à Genève par cette chaleur qui engendre des monstres ? J’aurais dû rejoindre la fraicheur de la raison, à l’hôtel Weishorn par exemple, à plus de deux mille mètres d’altitude, donc au bas mot dix degrés de moins, sans compter le vent des orages, l’onction des pluies.

      -C’est toi, petit animalcule, reprit mon trop cher fantôme, impavide et narquois, qui va dans un instant ne plus exister ! Il va suffire que je te touche pour que n’existe plus de toi que le vide entre tes électrons…

      Malgré moi je reculai. Son index, mollement tendu comme celui du Dieu de Michel-Ange, s’approchait inexorablement de mon visage, de ma peau, de la peur de mes pores…

      Il y eut une muette déflagration. Je crus un instant que la commotion m’était fatale. Mais l’infime contact de son empreinte digitale sur ma joue avait soudainement résorbé son corps, son entité, son aura, en une infinie chute de particules cendreuses, le plus souvent dorées. Elles dansèrent en groupe un bref moment, comme dessinant la vapeur d’un corps sous la douche, puis s’égaillèrent sur la blondeur fauve du parquet. Ce n’étaient plus que quelques cendres comme de papier journal après la crémation, quelques écailles infimes comme venues de la desquamation d’un tableau pré-Renaissance à fond d’or, là où l’on représentait les saints et leurs auréoles généreuses. Un souffle d’une fraîcheur relative venu du changement de temps annoncé passa par les fentes des persiennes et balaya ce qui n’était plus qu’une absence…

      Bon débarras ! Quoiqu’il ne restât pas même l’âcreté d’une poussière pour authentifier l’événement, pas même un champ de particules pour imaginer identifier l’ADN de la Créature rendue ad patres, je jubilai ! Certes, il faut aimer son ennemi, conseillait le Christ, mais en toute cette dramatique je ne m’étais guère senti la patience du martyr. Je me passais même du trophée, peau d’écorché, momie cartonnée, saint-suaire turinois (était-il nu, vêtu ?), qui aurait pu signaler au monde ma victoire, même si je n’avais absolument rien su faire pour elle.

      Depuis combien de temps durait cette histoire ? Un mois ? Une semaine ? Quelques interstices du cauchemar nocturne, du fantasme gourmand et du rêve éveillé peut-être. À moins qu’il s’agisse des éclats de la création d’un savant fou qui m’aurait manipulé, d’un artiste qui m’aurait écrit…

      Toute cette histoire n’était évidemment que celle d’une poignée de nuits caniculaires dans des draps en sueur. Ou d’une seule. Entrecoupées de réveils, de bribes de cauchemar, de verres d’eau glacée… Le matin était bien là, déjà torride. Cependant, à mon plus grand soulagement, une ribambelle de cirrus voluptueux s’étalait au travers du bleu du ciel, présageant pour la soirée l’arrivée d’un front froid, de pluies fraiches et d’automne précoce.

      Je me jetai sous la douche, sur un thé à la menthe, des confitures de litchi et des pains aux noisettes, heureux de vivre, d’être unique et singulier.

      Devais-je alors tirer, le plus rationnellement du monde, une morale de cette déflagration d’images et de sons ? Il me semblait qu’une fois de plus, les avancées scientifiques les plus audacieuses, les plus spéculatives, si elles promettaient de frôler le sol des réalités, engendraient à mon intellect défendant, moins l’enthousiasme, même circonspect, que les craintes, y compris les plus irrationnelles. Comme si l’escalier de la peur allait devoir s’effondrer parmi les couloirs de la prométhéenne catastrophe, du châtiment opposé à celui qui avait eu l’indécence coupable de forcer les lois de la nature, voire d’un Dieu, de dépasser les limites de la vie et de la mort… Une sorte d’éthique conservatrice grotesque imposait le respect obligé des contraintes dont la nature nous borne aux frontières inéluctables de la mort. Transgresser les limites de la vie serait, alors, comme auprès d’un bûcher médiéval, le péché capital, punissable du pire enfer…

      Balivernes que tout cela. L’imagination scientifique et biotechnologique devait avoir droit de cité, hors de toute irrationnelle déflagration du cauchemar aussi bien diurne que nocturne.

      Quand, sur le côté gauche, de mon bureau une liasse inconnue attira mon attention : quelques centaines de pages, des séries de chiffres, absolument illisibles, comme des agrégats de code-barres. Visiblement de ma plume, j’avais biffé ainsi le cartonnage jaunâtre qui servait de malhabile couverture : « Hortus ou Le Fantôme du CouloirdelaVie.com ».

 

      -Joli récit, je like et surlike, annonce Erato. Serait-ce une de tes manipulations favorites, Calliope ?

      -Entendu et approuvé ! ajoute notre Historien Clios. Mais pourquoi les avancées de la Science seraient-elles forcément effrayantes ?

     -Rappelle-toi Frankenstein, intervient farouchement Melpomos. Si l’homme s’empare du pouvoir de la vie conféré aux Dieux seuls, son hubris ne peut qu’aboutir à la catastrophe.

      -Toujours tragique, notre Melpomos, assure Uranos. Au contraire, la vie humaine n’est qu’une lutte contre les excès du Destin. Il n’est pas interdit aux Muses d’inspirer l’humanité et les sciences pour qu’elle améliore et dépasse sa condition. Un transhumanisme est à notre portée.

      -À condition d’en user avec sagacité, remarque Clios.

      -En un mot, continue Calliope, de rester au service de l’humanité dans ce qu’elle a de meilleur.

      -Les hommes ne sont-ils pas les clones inférieurs des Dieux et des Muses ? tonne Melpomos.

      -À moins que ces derniers ne soient les clones des animaux religieux et politiques, corrige Clios.

      -Il reste un moyen, pour le moment plus sûr, de se cloner, affirme Calliope.

      -Lequel ? demande Polymnie.

      -Nous le savons toutes ici : l’œuvre d’art…

 

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

Voir : Muses Academy, synopsis et sommaire

 

 

Monasterio de Yuso, San Millan de la Cogolla, La Rioja. Photo. T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
16 avril 2012 1 16 /04 /avril /2012 14:21

Stiftsbibliothek, St.Gallen, Schweiz. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Muses Academy

 

IX

 

Récit du cinéaste Thalios

 

L’ecpyrose de l’Envie.

 

 

 

(...)

Les vols en série me devinrent coutumiers, facilités par de sophistiquées techniques de pickpocket, d’illusionniste. Il me fallait consacrer mon peu d’argent à voyager pour léser de nouvelles victimes aux richesses trop concurrentes qui ne pouvaient être amoureuses de leurs livres puisqu’elles les vendaient. Voyager pour brouiller les pistes, ne pas voler plus de deux fois dans la même boutique, écumer Bruxelles et Francfort, Lyon et Genève, Milan et Munich, Bordeaux et Londres… Si je ne dépensais plus guère mes sporadiques émoluments dans les librairies anciennes et modernes, je les jetais à pleines mains (lorsque je réussis à vendre le scénario de Ghost in the black town) dans les billets d’avions qui étaient autant de sésames vers de nouvelles boutiques, de nouveaux trésors qui surprenaient mon érection bibliophilique autant dans ma culotte que dans ma calotte crânienne : les Mille et une nuits illustrées par Van Dongen et reliés par Paul Bonet, un San Antonio illustré par Dubout et dédicacé, Les Baisers de Dorat aux gravures, bandeaux et cul de lampes par Eisen dont j’embrassais longuement la reliure en cuir de biche tendre ornée de fers dorés aux baisers, la Bible miniature de Rutlangenner, dont la plupart des exemplaires furent brûlés à cause de la gravure jugée licencieuse de Loth et ses filles, le Voyage in moda Utopia de Pichegrande et ses illustrations sur canivet, le Manuel d’inquisition des sorcières relié au XVI° en peau de fesse de suppliciée, Les Priapées de Saint-Vit faussement relié sous le cuir noir à la cathédrale des « Prières matinales pour le parfait chrétien » en fait pour de culottés calotins…

Jusque dans les films de mes rêves j’allais voler. Je rêvais de lèvres de crapauds qui se pendaient aux oreilles, de livres de magie noire jamais répertoriés, y compris à la Bibliothèque du Congrès, sur le pouvoir obscène de la bave de crapaud, sur l’encre magique que l’on pouvait extraire de crapauds pressés entre deux plaques de bronze, de livres païens reliés en peaux de crapauds pustuleux et racontant les amours interdites de crapaudes bipèdes aux cuisses ouvertes au-dessus des humains fascinés… Et le matin, lorsque je voulus lever des croquis de ces livres pour les filmer, ils avaient disparus… Qui donc me les avait volés dans mon rêve ?

Toujours, une micro-caméra en marche à la boutonnière, j’illustrais le sempiternel combat et l’assomption enlacée de ces ami-ennemis indissociables : le livre et le cinéma. J’aurais voulu pouvoir me greffer sur la cornée une pellicule sensible enregistrant pour la postérité ma vision ainsi que mon permanent jeu d’acteur reflété dans une dimension satellitaire sans cesse suspendue autour de moi… Un film racontant l’histoire d’un bibliophile animé par le démon de l’Envie, ce suave péché capital, me venait à l’esprit…

Un jour cependant, je fus à un doigt de me faire prendre. A Lyon, une fois la vitrine ouverte avec la permission de la clef de l’officiante, mes doigts salivèrent au contact d’un Ronsard publié du vivant de l’auteur et couvert de peau de vélin aux fers dorés. La libraire était digne, son chignon impeccable, ses fines lunettes lui faisaient une maturité charmante. Est-ce parce que je me laissai chavirer un moment par ce charme que mes doigts perdirent le charme qui devait les faire agir en glissant l’un des deux objets de mon désir dans une de mes poches aux fonds masqués ? « Si Monsieur veut bien nous rendre le Ronsard avant que j’appelle la police… ». Thalios recouvra en un instant son meilleur sang froid. « Ah pardonnez, j’ai dû le reposer de manière erronée parmi les Bible ou les Elzevier ». Ce tour de passe-passe, étant donné le format modeste, fut exécuté sans coup férir, Thalios le faisant jaillir d’entre deux tomes de La Jérusalem délivrée. « Que Monsieur m’excuse, j’avais cru… » « Ce n’est rien », la coupa-t-il. Peut-être aurait-il pu alors, la glace étant rompue, changer son visage de crapaud en celui d’Humphrey Bogart et tenter une délicate manœuvre de séduction empruntée à Jean Marais, mais en tuant un de ses désirs, et le plus aigu, elle avait tué l’autre… Ce Ronsard lui manqua longtemps…

Mais dans ma grange bibliothèque, malgré quelques travaux sommaires livrés aux paluches grossières d’un artisan morvandiau, la splendeur de mes collections, les tranches peintes par des doigts experts en fleurs de lys et autres marbrures, les reliures aux sourdes brillances souffraient d’une incongruité monstre. Poutres torves, murs lépreux -qu’on ne voyait d’ailleurs presque plus sous les étagères de planches moisies lourdement garnies- plancher noir de nœuds, troué d’yeux aveugles, tatoué de crasse séculaire, plafond de plâtre taloché et tordu comme l’estomac d’un variqueux, l’écrin n’était en rien digne des bijoux indiscrets. Il fallait bien effet l’œil inexpert du menuisier plâtrier pour se contenter d’expectorer un « Ben Bon Diou, y en a pour du pognon ! », car quiconque eût ici pénétré, dans ce bâtiment aux extérieurs un brin sordide, n’aurait pu que s’exclamer combien il était transporté dans un musée richissime. Je manquai de place, je manquai de beauté. J’eus beau livrer à l’autodafé d’un joli brasier rouge et bleuté, quelques médiocres centaines de films bêtement accumulés, pour ne garder que le meilleur du cinéma et ainsi gagner quelques mètres de rayonnages, les acquisitions nouvelles confluaient et se bousculaient comme les containers dans un port chinois. Il me fallait donc un lieu que je ne pouvais acquérir. Pourquoi alors ne pas se transporter, avec la fine fleur de sa collection, dans une des plus belles bibliothèques d’Europe et s’y livrer à une occupation, une possession exclusive et ultime, dans le sublime orgasme du bibliophile comblé ? Ce serait mon rôle le plus intime, révélateur, au dessus de la verdeur grenouillesque de mon visage, de mon goût parfait, de ma capacité de composition d’un univers en réduction par la grâce de la bibliophilie filmée, ce serait mon film le plus esthétique et extatique, enfin échappé dans la transcendance…

Patiemment, j’échafaudais un plan parfait pour parvenir à mon acmé. Après maintes documentations, explorations et délibérations, j’arrêtai mon choix sur la bibliothèque Anna Amalia de Weimar. La plus belle de toutes, certes pas l’une des plus vastes, des plus nombreuses et des plus riches, mais encore à taille humaine, intime comme l’amour autour d’un corps. Son plan ovale mimait le cosmos. Son Apollon vainqueur et solaire s’élançait au plafond peint au travers et au-dessus des balustrades du seul étage. Ses bustes de poètes et de philosophes étaient aussi purs et blancs que ses stucs baroques. Ses étagères exquisément moulurées et peintes étaient chargées de trésors sensuels en cuirs et vélin, en allemand et latin, en italien et français, manuscrits enluminés et incunables, jusque là hors de ma portée qui allaient devenir miens et dont j’allais abreuver mes yeux et caresser mes doigts jusqu’à l’âme… Sûrement, son Conservateur pourtant comblé de suavités bibliophiliques ne savait pas la posséder, l’aimer, l’idolâtrer…

Sous les caméras de surveillance d’Amalia, Thalios revint plusieurs fois, à chaque fois discrètement déguisé en un écrivain différent, et chaque fois déguisant sa voix comme un acteur de comédie à petit budget qui doit interpréter à lui seul tous les rôles, depuis la diva jusqu’au bruiteur de dessins animés : Walter Benjamin à moustache et feutre mou, Tristan Tzara au nœud papillon et à la voix perchée sur son monocle, Richard Burton noir de mélancolie et à la voix rauque comme un dragueur de bile, Virginia Woolf au chapeau-cloche, Casanova aux poignets de dentelles et aux tabatières de diamants, Raymond Chandler au col de celluloïd taché d’encre de machine et à la voix déglinguée d’alcool, Léopold Sédar Senghor vêtu de perroquets violets et d’un chapeau d’écorce de baobab, Thomas Mann aux boutons de manchettes en or, Borges en aveugle avec canne à pommeau elliptique et cosmique, Dante en bonnet pendant, Umberto Eco avec barbe et lunettes, Roberto Bolano aux traits émaciés par le cancer du foie, Murasaki Shikibu en kimono d’intérieur aux oies sauvages volant vers le septentrion, Héraclite avec des cendres volcaniques sur ses pieds nus, Rudyard Kipling sous un turban indien, Cervantes avec une fraise comme sur le portrait du Comte d’Orgaz par Le Gréco, Frédéric Dard sous une piteuse calvitie, Proust en veston blanc et cathleya à la boutonnière avec une voix de folle achevée... A chaque fois, je cachai quelques uns de mes livres préférés derrière les rangées de livres en prenant bien garde que la Cerbère à gros cul et jupe entravée jusqu’aux lèvres en col de poule ne me vit pas. Après une cinquantaine de visites toujours plus extasiées, je me cachai derrière une étagère en espérant que la grue filiforme de garde qui remplaçait ce jour là mon anti-égérie avait omis de compter le lot de visiteurs. Je collai alors sur les œilletons des caméras une photo approximative de ce qu’elle devait veiller, photo piratée en m’introduisant via internet dans le logiciel de sécurité.

Dans mon hôtel de Weimar, dont le balcon avait reçu la morve allemande des discours éructés par le Führer (ce charlot qui avait écrit un mauvais livre et avait fait brûler ceux d’autrui sur des bûchers vulgaires et criards), je rêvais sur écran géant  de crapauds immenses envahissant la bibliothèque Anna Amalia de leurs sexes pustuleux ouverts comme des doubles pages in folio pour absorber leur lecteur; je rêvais de Charlot Chaplin jeune qui venait me prendre la main pour me remettre sur la scène un bouquet d’Oscars, et c’était un panier de ces livres reliés en peau de crapaud noir, de ces démonologies interdites qui brûlaient les mains de ceux qui les saisissaient autrement qu’avec des gants en peau de porc, qui brûlait le désir et le cerveau et la bistouquette innocente des bibliophiles obsessionnels…

Je venais alors de déchiffrer une affichette chez le seul libraire d’ancien de Weimar -ce pourquoi je m’étais bien gardé de le piller, malgré une tentante édition originale du Werther de Goethe, reliée en veau blond raciné- qui mettait en garde contre un voleur bibliophile poursuivi par Interpol. Il y avait également un portrait robot alarmant, qui ne me ressemblait pas vraiment, ou qui ressemblait à l’acteur de mon propre rôle… Mes jours de liberté étaient probablement comptés. Mon projet devenait plus qu’urgent. Ma quête des plus grands livres de la civilisation humaine allait de toutes-façons trouver son terme. Soit j’étais menotté avec un ultime livre précieux sous mon aisselle ; soit je consentais à voir avorter l’expansion infinie de ma collection en cessant tout bonnement mon activité paradisiaque. Penser que j’aurais pu ainsi, si l’impunité m’avait préservé, doubler, tripler, sextupler pour moi seul la richesse de l’Anna Amalia…

 

Stiftsbibliothek, St.Gallen, Schweiz. Photo : T. Guinhut.

Enfin, une nuit, sous mes propres projecteurs, sous ma propre caméra, j’installais au centre du parfait ovale baroque, entre les manuscrits enluminés et reliés en peaux de porc, les Genèses incunables aux fermoirs de fer et aux gravures coloriées par de saintes mains, les Décaméron historiés, les vies et les conciles ecclésiastiques, les auteurs latins traduits pour la première fois en français, les éditions originales de Goethe et Schiller, les études de linguistique arabe et les contes des Mille et une nuits dans l’édition du Cabinet des fées, j’installais disais-je, les fleurons de ma collection volés aux douze coins de l’Europe. Je les rangeais sur le sol. En ordre de bataille, comme de braves soldats du feu. Les plus petits devants. Les plus grands derrière. Tous leurs dos aux titres dorés riant vers la lumière. D’abord une minuscule Foutromanie du XVIIIème français aux gravures cochonnes et maladroites, premier opus que j’avais ici amené sous le manteau. Au second rang, la première édition complète et ne varietur de l’édition Brockhaus, conforme au texte original de Casanova, de L’Histoire de ma vie, reliée en maroquin citron. Au troisième rang mon Diable à Paris, objet de mon premier amour voleur. Au quatrième rang les grands cartonnages Hetzel en percaline vieux rose illustrés par Gustave Doré. Au dernier rang les in-folio pour lesquels j’avais dû harnacher l’intérieur du dos de mon pardessus : Atlas de Blaeu et autres volumes de planches de L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Avec quel ravissement et religieuse vénération n’installais-je pas mon Discours du Songe de Poliphile, exemplaire venu des bibliothèques Fuger et Esmérian, illustré par Cousin ou Goujon et relié dans le style de Grolier, rarissime objet volé à Chartres chez Sourget. Et mon Ovide, les Métamorphoses en latin, publiées en format oblong chez Plantin à Anvers en 1591, illustrées de 180 gravures sur cuivre qui me mettait le feu aux joues à chaque fois que je ne faisais que penser à lui. Environ cent cinquante volumes chatoyants ou ternis par la gloire des temps qui allaient être rédimés dans la gloire du feu intellectuel et d’origine divine qui les créa. Parmi lesquels, bien sûr, Les Cent visages du cinéma, dont les 700 pages, sur vélin pur fil Lafuma numéroté, avec envoi de l’auteur, étaient reliées avec un savant collage de chutes de pellicules de L’Eternel retour de Cocteau ; ainsi que mon fripon Voleur de Darien au tout premier rang relié plus rouge que le feu aux joues de la honte et du bonheur mêlés. Car qui ne sait pas que la mort de l’aimée est pour l’amant l’émotion la plus folle et la plus transcendante… Je voulais donc pour mes livres et pour la bibliothèque la plus belle ecpyrose : brûler d’amour pour eux et pour elle ensemble !

Mes cinquante tickets d’entrée, je les avais avec soin collectionnés: quels délicats allume-feux ne feraient-ils pas ? L’essence des grands textes et des beaux livres allait se réaliser dans l’essence qui les humectait, dans l’essence qui allait jaillir comme du sperme igné de l’esprit séminal de notre Thalios, ainsi définitivement unis au corps des livres et subsumé en parfaite essence bibliophilique dans l’embrasement amoureux et conjoint de son enveloppe mortelle, de l’éternité des livres, de l’éphéméréité de la belle Anna Amalia Bibliotheka.

Mon savant délire de complètement allumé m’avait permis, lors de mon dernier voyage, de cacher dans mes jambes de pantalon et manches de veste -j’avais eu l’air alors d’un Joyce haltérophile à moitié invalide à Zurich- huit longues fioles de zinc remplies d’essence sans plomb qui allaient se muer en autant de cocktails molotov. Sans compter les deux litres d’eau de vie de framboise dissimulées sous mon chapeau qui avaient accentué ma dégaine d’auteur de polars de gauche bourré comme un coing et qui allaient arroser ma chère collection de volumes précieux. Y-compris le tirage de tête dédicacé, sous reliure ignifugée, du Nom de la rose d'Umberto Eco...

Mais au moment de réaliser mon grand œuvre, mon opération alchimique, qui évacuerait ma peau de crapaud, ma voix coassante, conjointement à l’ecpyrose de la masturbation splendide de ma colonne grecque, et au moyen de l’allumette soufrée frottée contre les flancs violets de la boite, jetée sur les reliures imbibées et odorantes, lorsque le ballet des flammes s’éleva vers moi en un vlouff soudain et salvateur- Thalios n’avait pas prévu (oh cécité de la volonté !) qu’un performant système de sécurité allait se mettre en action.

Echaudés par le précédent incendie, causé celui-là par une défaillance électrique, le conservateur et ses multiples experts avaient fait installer le nec plus ultra en matière de protection contre le feu. Au même instant, sans rien distinguer de sa folie, que sa caméra, elle, distinguait, Thalios entendit le souffle vainqueur de son bûcher, le glissement de vitres anti-feu le long des boiseries de chaque rayonnage et une vigoureuse douche de neige mousseuse. Cramé autant qu’enneigé, plus noir et blanc qu’un caractère d’imprimerie à demi effacé sur une page, Thalios barbota quelques minutes dans la boue crémeuse, qu’il ne confondit qu’un instant avec le sperme misérable de l’extase qu’il s’était procurée au moment exact du frottis inflammatoire, à moitié étouffé jusqu’aux amygdales, les chairs des membres moins caramélisées qu’une peau de magret de canard jetée sur la poêle…

Quand un escogriffe neigeux surgit alors… Il crut distinguer le Conservateur lui-même, les bras et les globules des yeux en bataille, la robe de chambre ailée comme les serpents d’une Furie… C’était lui en effet, hurlant indistinctement et projetant un Niagara de postillons qui aurait éteint à lui seul tout bon incendie normalement constitué. Jetant les pans protecteurs de son habit d’oiseau de nuit sur les volumes accumulés par Thalios, atterrissant tel un rugbyman dégingandé sous la gorge de Thalios qu’il agrippa de ses serres inflexibles… Menacé de perdre l’usage de son larynx, l’incendiaire refroidi brandit alors un in folio (la percaline rosée de L’Enfer de Dante illustré par Gustave Doré) qu’il asséna bruyamment sur la tête de son agresseur. Sous la violence du coup, la vieille momie s’écroula comme une crêpe chantilly. Thalios l’aurait achevée en ajoutant l’indispensable confiture de fruits rouge à son grand-œuvre si le gardien ne lui avait vigoureusement et dans un cri de rage plaqué les coudes sur les omoplates. Le bibliophile voleur et incendiaire -ainsi il apparut à la une des journaux de Thuringe et de Bavière- quitta menotté sa chère bibliothèque pour une cellule de dégrisement, via l’arrière d’une voiture de police, tandis que le Conservateur refusait tout soin pour apporter les siens aux volumes abandonnés par leur illégitime propriétaire. L’enluminure du feu et du sang de la gorge de Thalios sur le vélin de quelques pages du Hieronymus de Pragagel imprimé au XVI° siècle à Venise méritait-elle d’être ainsi pieusement conservée en mémoire de l’événement ?

La caméra que Thalios avait installé sur pied continua de fonctionner jusqu’à ce que le seul maître du terrain bibliophilique la récupère intacte. C’est bien ainsi que l’on put retrouver le film des événements où l’ou voyait s’agiter un Buster Keaton compulsif jouant une religiosité hyperbolique. Bientôt, les volumes si adroitement volés retrouvèrent leurs précédents propriétaires. A moins que, là où Thalios les avait échoués, ils fussent recueillis par défaut. Mais ce ne fut pas un défaut pour notre Conservateur Von Wilemnine ainsi aisément guéri de ses émotions et commotions qui consentit de bonne grâce à enrichir avec eux les collections de l’Amalia…

Quant à Thalios, ce bibliophile kleptomane dont l’autodafé n’avait léché qu’une poignée de cheveux, d’épiderme et de reliures, il fut déclaré maniaque responsable par le tribunal de Weimar, bien que son avocat eût plaidé le désordre psychique. N’avait-il pas montré qu’il ne comprenait pas toute son histoire ? Que son immaturité maladive confondait l’objet de son désir avec la réalité de la propriété ? Il serait aujourd’hui, et par ironie du sort consentie, connu de quelques malfrats d’occasion pour être le bibliothécaire de la prison-hôpital, gérant les poches avachis et délabrés, pour la plupart des polars de seconde zone -San Antonio mal traduits et SAS aux pages parfois manquantes- et des revues pornographiques tachées par la salive et le sperme sidaïque des détenus. Le pauvre garçon reste bourrelé de remords pour avoir, croit-il, sauvagement tué le conservateur de l’Amalia qu’il persiste à appeler du nom d’on ne sait quel maffioso de seconde zone… Il fut condamné à vivre sans allumettes, briquets et autres silex et amadou pendant un purgatoire de sept ans dont l’Histoire ne retint pas la fin. Ce pourquoi son histoire est ici néanmoins racontée. Libre à vous d’en relier précieusement un exemplaire veillant derrière de pudiques vitrines ignifugées.

Aux dernières nouvelles, les producteurs qui lui avaient été les plus infidèles se livrèrent à de considérables batailles de chiffres pour acheter le dernier scénario de leur Muse soudain favorite : un pont d’or lui fut ouvert, qu’il ne pourrait cependant franchir qu’une fois sa peine purgée. Jouerait-il son propre rôle ? Hélas, il lui fallait refuser : il avait présentement un autre engagement. Le contrat fut signé et paraphé, les acteurs engagés, le film tourné. Il put le visionner dans sa cellule, mais sans se reconnaître sur l’écran -brûler des livres, quel fou furieux !- malgré le rythme, la couleur et l’inventivité du metteur en scène.

Le succès fut évidemment au rendez-vous. Et l’on dit que le crime ne paie pas ! Dans quelques années, peut-être retrouvera-t-il sa grange aux rayonnages dévastées par la justice, pour la changer enfin en digne réplique de son fantasme…

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

Voir : MUSES ACADEMY, roman, sommaire

 

Stiftsbibliothek, St.Gallen, Schweiz. Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 18:16

 

Teatro La Fenice, Venezia. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Muses Academy,

roman.

 

XI

 

Récit de la musicienne :

 

Euterpe ou la gourmande des sons.

 

 

 

 

        Notre singulière affaire criminelle commença lorsqu’un employé particulièrement perspicace d’une entreprise de vente de plats surgelés vint au domicile de sa cliente pour garnir, comme chaque semaine, son congélateur. Quelle était, au fond d’un des caveaux glacés du meuble au design impeccable, cette moisissure violacée qui innervait la viande prétendue rouge sous le scellofrais de son entreprise, la Food and Frais, bien connue de tous les consommateurs de deux continents ? Pour lui, sans rien en dire devant sa belle et goûteuse cliente, il s’agissait d’un produit qui avait été décongelé, puis recongelé par cette dernière. A moins d’une erreur dans le processus de préparation ou de conditionnement de la viande de bœuf de premier choix -un beau morceau dans la culotte- qu’il n’avait à la livraison pas pu percevoir, évidemment revêtue du suggestif cartonnage à fenêtre armorié et labellisé Rouge Surchoix de la Food and Frais. Animé des meilleures intentions, l’employé, que nous appellerons David Xemeneies, subtilisa adroitement la pièce à conviction. Son intention était double. Protéger sa cliente, séduisante, aux yeux de chair fondante, quoique terriblement distante, d’une éventuelle intoxication alimentaire, et protéger son entreprise multinationale d’un problème toujours possible. Il remplaça la pièce de bœuf par une autre, conforme, elle. Notre trop romanesque jeune livreur avait peut-être sauvé la vie, pensait-il, de celle qu’il appelait en secret sa « Lolita », bien que seule sa minceur, son minois frais et sa relativement petite taille, aient pu justifier qu’il l’appelât du nom d’une célèbre et trop jeune nymphette…

       En vérité, la Lolita criminelle de notre romanesque livreur, par ailleurs totalement dénué de curiosité intellectuelle et de culture musicale, se nommait Julia Ventosa i Calvell. Je fis sa connaissance lorsque je ne pus refuser une invitation à présider un énième concours de chant lyrique qui, pensais-je, ne promettait guère d’exploits vocaux et expressifs. La profession de Muse, vous vous en doutez, n’est pas faite que de sinécures et de ravissements : vous savez combien sans nous les humains sont plats et décevants.

        Erreur… Quoique je fusse alors l’impresario d’un jeune violoncelliste aux archets émouvants (imaginez quel était le deuxième) muet par ailleurs et dont vous savez qu’un tragique accident d’avion a depuis causé la mort, une surprise fabuleuse m’attendait. Parmi les voix confondantes de banalité et leur technique excellemment correcte mais sans le brio de la sensibilité, cette Julia Ventosa i Calvell stupéfia son auditoire : jamais je n’avais entendu ainsi l’air des cloches de Lakmé, tel que seul Léo Delibes l’avait rêvé. Libérant tout naturellement les contre-fa et les contre-la, elle était l’ardeur et la cristallinité mêlées, la chaleur et la transcendance. Chacune des bulles sonores qui coulaient de sa glotte était un champagne de bonheur, ses cordes vocales étaient violoncelle et hautbois d’amour, sa langue l’exquise succion du son jusque dans l’oreille de chaque auditeur dont la moelle épinière trembla comme un jeune bouleau sous un vent de neige printanière…

       De quoi donc pouvait se nourrir un si jeune corps pour tirer de ses viscères une telle sonorité ? La Malibran, La Callas, La Bartoli, que sais-je encore, parurent soudain, n’être que raclements de gorges sur l’échelle soudain distendue des valeurs vocales. Je ne croyais pas savoir que l’ambroisie des dieux était en vente libre ou sur aucun marché délictueux. Je me chantais mentalement quelques dangereuses mesures de cet air célèbre. Bien, cette chipie ne m’avait pas volé ma voix, elle ne faisait que m’approcher, ce qui, convenez-en, pour une mortelle, est au choix un crime de lèse Muse ou une grâce momentanément cédée par le Dieu des dieux à une péronnelle, suite au travail de sape de la jalousie d’une mes sœurs Muses… Non, ne vous récriez pas !

         Certes, j’aurais pu voter publiquement contre elle, monter une acide cabale, jeter la massue de mon droit de véto, arguer de sa jeunesse de petite pisseuse, la mettre au défi de chanter ex abrupto la Reine de la nuit, la scène dernière d’Elektra…

        Mais je sentais bien qu’elle avait pris le public aux tripes, aux couilles et aux ovaires, que toutes les oreilles étaient ses heureuses captives. Sans compter mon fond de bonne foi ; je suis viscéralement bonne joueuse et dus reconnaître in petto que j’avais bien inspirée cette petite. Sûrement cela s’était-il produit lors d’un de ces multiples rêves nocturnes que nous oublions trop souvent et que j’avais imprudemment confié à notre ami le Dieu du Sommeil et à ses trois aides, Morphée, Phantasos et Phobetor… Quoiqu’une telle pureté sensuelle n’eût pu échapper à ma pleine et souveraine intention… D’où cette adorable pécore tenait-elle l’aliment de sa voix ? De quel louche contrat faustien, de quel vol au domaine des dieux, de quel rapt parmi le club des Muses -pourtant je m’appartenais encore, moi Euterpe, Muse de la musique et du chant lyrique- tenait-elle le joyau vocal qui palpitait autour de la chair pulpeuse de sa langue, comme la gainant du baiser ultime de l’art…

       Mais revenons à Julia Ventosa i Calvell. Elle fut fêtée, engagée. A peine le moindre bout d’essai. Voulait-elle chanter Rosine au Met, Armide à la Scala, Manon à Covent Garden ? Les pétales de roses couraient sous ses semelles comme un tapis des Mille et une nuits. Les cœurs énamourés crevaient de tout leur sang sous ses ongles de fée. Les hommes et les femmes découvraient soudain qu’ils n’avaient jamais su ce qu’était l’amour. Bref, l’encre d’imprimerie allait maculer les revues musicales et à scandales, les électrons frapper en mesure les écrans plats des chaines hertziennes, numériques et des blogosphères. Pourtant, déjà, elle gardait, hors les archipels du chant, une froideur, une insensibilité apparente, une discrétion, en un mot une tenue irréprochable qui désarma les ragots, sinon les jalousies.

      Qu’on me pardonne si j’anticipe, si la prolepse de la narratrice enthousiaste (quoi, moi soulevée par les Dieux au contact d’une mince mortelle tout juste pubère !) m’emporte. Revenons à ce concours. Où il parut soudain que le décibel Julia Ventosa i Calvell, était un bonbon magique, une valeur inédite et prête à être cotée en bourse. S’en suivit donc un cocktail-repas, un de ces micros évènements soudain à la mode au pays de ce chef ultra médiatisé qui applique la chimie la plus sophistiquée à la cuisine.

       Regarder Julia pincer entre les lèvres de ses doigts mignons une fumée d’escargot aux morilles, une vapeur de truffe à la vanille et les porter à sa bouche comme une note de Mozart où un accord de Rossini qu’on avale et déglutit au lieu de les expectorer dans un souffle à l’intention des auditeurs enlacés fit aux assistants du cocktail le même effet que lors de cet historique et pourtant minimal récital. Chacun eût voulu être la bouchée que la porte des sons lubriques confisquait à mesure, chacun, ingéré par ce délicieux orifice buccal et pavillon vocal, eût voulu ainsi se fondre en mystère du chant, en sa formule biologique née dans la chair secrète de la trachée, des joues et des poumons de la belle.

        Mais foin de ces éloges sans portée, de ces périodes muettes, de ces fades compliments qu’on tentait inopportunément de lui adresser en l’approchant avec crainte ; notre petite dinde se farcissait force bouchées apéritives, certes avec la lenteur étudiée de la dégustation capiteuse, intime et strictement personnelle, mais avec l’irrattrapable régularité métronomique de l’affamée méthodique. Elle mangeait. Voilà qui parut un tantinet scandaleux à quelques aficionados de l’art lyrique qui vainement avaient tenté de lui faire parler de Tosca ou d’Eurydice, ne serait-ce que pour tester sa précoce culture musicale et au moins l’entendre, faute de chant, parler. Elle dévorait. Filets de cuisses de grenouilles au romarin, dés de râbles de lièvres au poivre, œufs de caille au sfumato de genièvre, nuages d’huitres au Sauternes, perles de fuet catalan, écorces de cédrat au gel de miel quittaient les coupes de cristal et les présentoirs de porcelaine pour s’unir à l’intérieur gourmand de son estomac capitonné de roses muqueuses. Elle se goinfrait avec lenteur. Comment allait-elle pouvoir, après ce pelletage néanmoins raffiné, ce remplissage rabelaisien, chanter ? On exigeait en effet, et ce le plus traditionnellement  du monde, un air après boire de la lauréate… Le champagne avait bien sûr entre temps régulièrement humecté son gosier -une Veuve Cliquot qui acceptait sans broncher ce nouveau mariage- au point que l’on se demandait si une aussi mince créature, à la peau si parfaite, n’allait pas tomber aussitôt dans un coma gastronomique, à moins qu’elle soit depuis l’enfance affectée d’un exigeant ver solitaire.

         Connaissez-vous cet air : Casta Diva ? Oui, bien sûr. Vous pensez à La Callas qui le tirait de sa chair comme on module un long orgasme du sentiment. Mais après que Julia eût dévasté coupes, ramequins et plats à la taille de paquebots -on se demanda d’ailleurs comment sa taille n’avait pas éclaté comme la grenouille de La Fontaine- la plus naturelle respiration du chant souleva Bellini hors de sa tombe au point qu’il parût ressusciter à ses pieds pour révérer à la fois sa création et sa créatrice. Dire que le public fut subjugué est au-dessous de ce que sentirent les amateurs d’art lyrique, de ce que seule la langue des Muses peut exprimer et qu’elles ne consentiront pas à laisser aux piètres humains. Une telle gourmandise vocale était-elle possible ? Une telle dégustation musicale offerte à l’oreille choyée des auditeurs captifs était-elle imaginable ? Et comme une note da capo jetée à la soif des auditeurs mystifiés, sa main de biche piocha au creux du dernier cristal l’ultime bonbon de feuille de menthe au Chianti pour en nourrir la source du chant. Il n’y eu pas d’autre bis.

       On sut qu’elle avait dix neuf ans. Que sa porte était gardée par une Cerbère à faciès de lesbienne outragée. Qu’elle ne donna prise à aucun bruit à réelle connotation sexuelle. Qu’hors les deux plaisirs de la bouche qui l’accaparaient toute entière, elle menait une vie plus monacale qu’un chant grégorien inviolé par l’oreille du profane.

         Deux semaines plus tard, elle remplaçait Anne Sofie Von Otter (angine blanche et lit au mol édredon) à Lisbonne, dans Cosi fan tutte, phagocytant le rôle de Fiordiligi. On craignit que son amoureux lui restât fidèle. Le pauvre, s’il chantait pour elle, cela restait d’un niveau acceptable, mais s’il le faisait pour sa rivale, il frisait sans cesse le fiasco… Qu’importe si la grâce scénique de Julia ne fut pas encore tout à fait aussi communicative que l’on aurait pu l’espérer. Elle rayonnait. Les boiseries de la salle gardèrent longtemps et jalousement dans leurs pores des éclats de la sonorité adulée. Longtemps encore des amateurs viendraient poser le coquillage de leur écoute sur les nœuds du bois, espérant leur arracher un soupir exhalé par l’ardeur de la cantatrice légendaire.

        Si elle chantait dans un théâtre, elle gagnait avant et après des restaurants soigneusement sélectionnés. A Bordeaux, après la Poppée de Monteverdi, elle se nourrit de magret de canard au sang. A Vienne, elle épuisa Elektra et des symphonies alpestres de gâteaux à la crème. A Prague, elle fit le délire des spectateurs dans L’Affaire Macropulos en se gavant de l’élixir de longue vie d’Emilia-Elina. Elle chantait tout. Elle avait de plus le don des langues, sans compter le feu et la cascatelle des vocalises. Elle était selon les cas, mezzo, soprano et alto, stupéfiant les amateurs. Etait-elle mezzo profonde, soprano colorature, contralto rêveuse ou alto cristalline ? Elle chantait comme personne le « Empio, diro, tu sei » et le « Va tacito » du Jules César d’Haendel , ressuscitant mieux que tout haute-contre, falsetto ou contreténor, l’or fantasmé, longtemps pur et solide des plus légendaires castrats. Le Lamento d’Ariana de Monteverdi lui allait aussi bien que le grand air d’Amina dans La Somnambule. La berceuse de Marie dans Wozzeck affolait toutes les larmes, l’obscénité de Lulu faisait chavirer les bas-ventres des messieurs et des dames, les lèvres de Carmen caressaient l’hystérie dans le sens du poil, l’air de la poupée des Contes d’Hoffmann robotisait l’auditeur. La suave agilité de son gosier fleurissait de redoutables, périlleux et impeccables contre-fa lorsque la Reine de la nuit chantait l’effroi. L’opera seria et buffa, le singspiel et la tragédie lyrique, le bel canto et le sprechgesang lui seyaient à son gré. Pascal Dusapin, Steve Reich et György Ligeti ne l’effrayaient pas le moins du monde. Andreas Scholl, le plus délicieux et puissant des contreténors, vint lui-même baiser ses pieds. Les compositeurs se bousculaient pour lui offrir un rôle qui la magnifiât. Seule Kaija Saariaho eut son imprimatur. Pour la Julia, la seule Julia, elle fit un personnage de déesse cosmique, au centre et au-dessus de son opéra Musique des ellipses, un rôle fait à sa démesure : elle fut toutes les Eve et les Gaïa des récits de créations venus de cent bibles et mythologies, accompagné par la basse Klaus Mektoub pour le bruit de fond de l’univers. A Bayreuth, elle fit bientôt Elsa, Brunehilde, Isolde et Kundry, vampant les plus revêches aficionados par son souffle, sa mémoire, ses masques naturels, sa profondeur, sa magie… Son da capo était redoutable, aussi attendu que le Messie, à la différence qu’il venait infailliblement, comblant de joie liquide les épidermes, les viscères et les synapses. Voix ronde et chaude, sans acidité aucune, sauf ce qu’il fallait parfois de fraîcheur citronnée, voix sensuelle, nerveuse et souple jusqu’au grave, souvent orangée, parfois pourpre, quelquefois bleutée jusqu’à l’azuré, et si généreusement cristalline quand il le fallait. Pas une voix d’oiseau mécanique, mais celle du corps caressé jusqu’au cœur troublé, une voix dansante, justement émue et superlativement émouvante. Il semblait que sa voix puisait dans le sang vineux des grands Bordeaux qu’elle goûtait, des Pétrus et des Pape Clément que religieusement elle sirotait, des Montrachet qu’elle infusait lentement de ses papilles à l’oreille enivrée jusqu’au coccyx, au nerf érecteur, au clitoris soudain savant des fans. On aurait donné ses richesses, ses cuisines, ses enfants, ses couilles, sa moelle épinière, sa vie même, pour l’entendre rien que pour soi… Tout chanter et tout manger étaient sans cesse à la mesure de sa voracité. On commençait à croire qu’elle pourrait également interpréter les rôles de Faust et de Méphistophéles. Mais le monstre sacré d’un mètre cinquante neuf ne daigna pas offrir ces plaisirs à ses fans.

        De restaurants viandeux en cocktails salés, de réceptions sucrées en déjeuners briochés et pantagruéliques, où les humoristes imaginaient qu’elle n’allait faire qu’une bouchée de Guy Savoy, Ferran Adrià, la Mère Poulard et les frères Troisgros, elle paraissait ne pas prendre un gramme ; où le mettrait-elle d’ailleurs sur une ligne aussi parfaite ? A moins que, dans le secret bien gardé de son appartement parisien, elle pratiquât un régime draconien de sylphide : bouillon de navet, demi filet de perche au citron, fraise unique et sans sucre pour seule gloire journalière de son appétit…

        On sut, par on ne sait quelle indiscrétion, qu’elle donnait parfois des dîners. Nombreux furent ceux qui auraient donné jusqu’à la chair leur placenta originel pour y assister, ne fût-ce qu’au titre de spectateur. Lassée des questions dont on taraudait ma sagacité professionnelle, je résolus de m’y faire inviter. On ne refuse rien à sa Muse, n’est-ce pas… Même si j’ignorais comment je l’avais si bien inspirée (à moins qu’il s’agisse d’une intrusion d’une de mes collègues dans la sphère réservée de mon influence) je savais comment, d’un coup sec et bref, couper la corde vocale qui la suspendait au génie.

       Je n’eus pas besoin d’un tel argument. Il me suffit de l’aiguiller sur le sous-sol B 3 de la bibliothèque du couvent San Stefano de Venise, où, parmi les moisissures des missels pisseux, gisait le manuscrit que cherchaient désespérément les musicologues : Le Phaéton de Cremonini. C’était un vague contemporain de Vivaldi, prêtre albinos, trousseur de fioles et de jupons crasseux qui mourut prématurément de la petite vérole : c’est moi qui la lui ait envoyée tant il refusait de composer un second opéra. Son unique chef-d’œuvre, une seule fois représenté (il en avait caché le cahier, déçu qu’il fût par l’exécution) avait incendié les chroniques. Phaéton était en effet destiné à une basse profonde pour Apollon, mais surtout à un castrat pour le rôle titre. Parmi des difficultés vocales sans nombre que l’on comparait aux Trilles du Diable du fameux Tartini, l’air immense de l’ascension du char du soleil, de l’affolement des chevaux, puis de la chute du fils intrépide, avait brûlé la voix de celui qui s’y était essayé, pourtant doué d’un brio qui fit se pâmer une assistance réduite en cendres.

 

Photo : T. Guinhut.

 

       Une fois qu’elle eût la précieuse partition entre les lèvres, je fus son obligée à la vie à la mort… Imaginez Julia sur le point de ressusciter un rôle mythique après trois siècles. Avec une faim sonore digne de Tantale, elle absorba les portées et les notes comme on engloutit la chair des huitres avec leurs perles pour mieux briller de la phosphorescence d’un chant solaire jusqu’alors inconnu. Elle confia l’orchestre à Jean-Marc Spinosi qui avait recréé quelques dizaines d’opéras du Prêtre roux. Il ne pourrait faire moins pour le Prêtre albinos.

        Quand à la Fenice les trilles dépassèrent les contre-la avec la vélocité de la folie, sans nuire un instant à l’intelligence du texte, le public suspendit son rythme cardiaque jusqu’à la limite de l’infarctus. Mille juliesques langues de feu parurent jaillir de la bouche de l’extatique cantatrice jusqu’à lécher d’amour les conduits auriculaires et les viscères les plus secrets des auditeurs en pamoison. Et lorsqu’elle retomba, comme le fils trop intrépide d’Apollon, du ciel du théâtre à machines sur le sol caverneux de la scène, on crut un moment qu’il ne restait plus que des cendres à venir pieusement recueillir…

       Les fleuristes de la Vénétie entière avaient ce soir là fait fortune. Ce n’était pas une morte que l’on couvrait ainsi de fleurs, mais une bien palpitante, vivante, riante Julia qui crevait la tempête des pétales en croquant celles qu’elle savait être toutes comestibles,  menthes et pensées, achillées et capucines, acacias et glycines, au-dessus de la basse continue des applaudissements à s’en rompre les paumes jusqu’aux omoplates…

       Il fallut à Julia un cortège de police pour franchir les portes des loges, pour descendre les degrés du théâtre, pour s’engouffrer dans une voiture sans que les inconditionnels de son triomphe se pressent contre son corps, la dévorent des mains, des baisers et des dents, au travers du corset des uniformes, comme s’ils voulaient en un cannibalisme inconscient et sacrificiel ingérer la substance miraculeuse de la Diva et de sa voix…

        Je fus donc une des rares invités de ce cocktail privé. Car dans le nouvel et, cela va sans dire, vaste et luxueux appartement de Julia, un salon de réception, entre un piano à queue Steinway et un clavecin Ruckers, offrait les bras ouverts de ses divans et les poitrines bombées de ses tables à quelques élus gourmets. Celle qui savait chanter depuis l’Eurydice de Monteverdi jusqu’à La Mort à Venise de Britten, opéra dans lequel elle s’était adjugée la voix de contre-ténor de cet autre Apollon, savait à l’évidence recevoir. Il fallait bien que quelque autre Muse concurrente et un peu salaupiote se soit mêlée de ce talent…

         Là étaient quelques personnages fantomatiques dont on aurait pu se demander s’ils venaient à un bal masqué plutôt qu’à un diner. Vêtu de rouge et noir, alors qu’habituellement son habit était aussi falot que son visage, l’impresario, connu pour être d’une discrétion de rase-murs, inattaquable, injoignable, de notre cantatrice affectait alors une aura méphistophélétique risible. Trois jeunes filles pâles jusqu’à l’excès étaient affublées de tailleurs blancs monacaux et paraissaient la suivre comme les servantes, les vestales d’un culte démodé. Le chef d’orchestre en chemise verte sur un pantalon jaune paille n’orchestrait visiblement ici rien du tout de ses mains désemparées. Une demi douzaine de vieux messieurs et de vieilles dames en smokings bleutés et Chanel roses semblaient pépier du haut du rocher des siècles, ruinés et cependant marmoréens, solides au point d’adresser un éternel sourire d’ironie à tout soupçon d’avalanche matérielle ou temporelle. Qui étaient ces Parques grotesques ? Les oncles et les tantes qui ont assuré mon éducation, payé mes études en Suisse, mes classes du Conservatoire, me dit-elle, sans préciser lequel…

       -Le dîner est servi, criailla le chœur des Anciens en tirant sur deux cordes de théâtre qui ouvrirent un vaste rideau pourpre sur ce qui ne fut, à ma grande surprise, qu’un cocktail de viandes. Viandes crues sur des planches, viandes cuites froides sur des feuillages, viandes en gelée sur des banquises de glace, viandes tièdes sur des assiettes chaudes, viandes frémissantes et caramélisées sur des poêlons rougis au feu… Viandes blanches de volailles, viandes roses de porcs et de veaux, viandes rouges de bœufs et de corridas, sans compter des nuances de carmin et de grenat que je n’avais jamais vues au monde.

        Ce qui ne sembla pas décourager les goulus vieillards aux ongles et aux canines goulues qui précédèrent même La Julia selon une étiquette qui paraissait aussi bien réglée qu’imparable. Sans compter qu’il fallait se servir avec les doigts, y compris pour les bouchées brûlantes qui paraissaient ne causer aucun dommage aux épidermes depuis longtemps cuirassées de la bande des antédiluviennes Parques.

       Pendant ce temps, sans perdre un instant l’art de la manducation et de la déglutition, sans interrompre le ballet de ses dix doigts vers ses deux mâchoires, La Julia indiquait de sa voix immanquablement chantante les noms des mets ainsi miraculeusement offerts : viandes de cygne au perlier d’eau, chevreuil au jojoba acide, singe à la fraise des savanes, sanglier au réalia de Provence, mystère de viande innommée au Margaux, tartare d’ennemi à l’ail, caille au pépin de sein de Smyrne, œil de loutre au sang d’agneau, magret de tadorne sur lit de pommes, surprise de viande innommable au sang de bœuf, jambon de rat aux truffes, filet de pigeon mêlé de confiture aigre douce, corde vocale d’alouette au cerfeuil, inventivité de viande dont on taira le nom au sel rose de Ré, aileron de requin au chorizo, faisan mariné dans l’ambroisie, création de viande dont il ne faut pas prononcer le nom au airelles de Finlande, toutes gastronomiques inventions que Julia identifiait comme une œnologue experte en plaçant des mimiques vocales irrésistibles à chaque bouchée…

      Et parmi ces plats étranges et colorées où l’on avait inventé des sculptures buccales inconnues, comme venues des Mille et une nuits, et des goûts aussi merveilleux que le chant de la Diva, on ne buvait que vins rouges ; et, pour les inconditionnels des ligues antialcooliques, des litres de jus de groseille, cerise, cassis et autres betteraves.

          Le chef d’orchestre, voyant probablement que j’étais la plus circonspecte, s’approcha en me glissant -le pauvre chéri que j’avais pourtant daigné favoriser de mon inspiration, fulgurante, il faut l’admettre- qu’il était végétarien. Je ne pus retenir mon rire en notant qu’au moins il ne mourrait pas de soif. Sans toutefois lui laisser imaginer que nombre de ses boissons aux carafes rougeoyantes était sans nul doute des jus de viandes. Sinon du sang.

        Derrière les plats déjà dévastés -j’avoue que je contribuais avec une ardente politesse à cette hécatombe- des assiettes noires quadrangulaires laissaient reposer des muscles entiers aux dimensions diverses. Malgré la taxinomie distribuée par notre Diva -biceps de lièvre à l’origan, triceps de laie aux morilles, Prostituée de biche au jus, rumsteck de panthère aux myrtilles, Inconnu de la plage, foie de crocodile au naturel, Impensable de songe au cri, Sein de sirène tranché, langue de vipère au ketchup, pénis d’orteil, testicule de cerf de Patagonie, nerf érecteur d’Adonis, corde vocale de Sainte-Cécile, pubis au sang de Roméo, pupille en gelée de Don Juan, proie de pédophile au jus de phallus impudicus, fesse de fée au cobalt- j’avais crainte de devoir regarder certains des ces esthétiques morceaux comme des muscles, des organes et des viscères d’enfants et d’adultes sur l’écorché des planches anatomiques.

          Cette gourmandise pour les corps goûtés, dévorés, me parut alors une sorte de cannibalisme culinaire raffiné quoique un peu répugnant. Et si l’on observait les vieillards, quelque chose comme une seconde jeunesse paraissait les électriser à mesure que leurs crocs, qui ne ressemblaient en rien à des dentiers de cacochymes, se hérissaient de lambeaux musculaires, que leurs mentons et leurs plastrons dégoulinaient de sangs divers et variés. Quand à l’imprésario, Monsieur Personneum en personne, il ne mangeait ni ne buvait, regardant avec une neutralité sans bornes le combat de gladiateurs se livrer dans l’arène de la salle à manger entre les viandes mortes et les viandes vivantes. Déjà il ne restait rien dans aucun plat, lapé jusqu’à la consommation des siècles. Le silence des mastications, des déglutitions et autres claquements de canines et de langues n’était plus dominé que par les petits cris orgasmiques et dodécaphoniques venus des lèvres roses et de la gorge de pigeonne de Julia Ventosa y Calvell. Qui n’était plus que chant lyrique pour avoir béatement terminé l’assiette de langues de rossignols aux pétales de rose, notre Diva, La Julia !

          Qui donc était à l’origine de ce contrat faustien ? L’une parmi nous ? Quelle Muse infâme aurait pu s’arroger l’impossible droit de marcher sur mes prérogatives ? Quelque Dieu d’une religion concurrente ? Depuis combien de temps duraient ces festins de viandes étranges et indispensables ?

         Trois jours plus tard, le signalement de la viande suspecte par David Xemeneies à la Food and Frais, révéla au travers des analyses, puis des enquêtes policières éclairs et ADN diligentées, que cet aréopage lyrique réuni autour de Julia Ventosa y Calvell se nourrissait de viandes humaines : plus exactement de jeunes corps disparus, enlevés et dépecés vivants par on ne sait quels maniaques grassement payés… Etait-ce là le secret de la voix de la Diva ?

         On ne retrouva jamais Monsieur Personneum. La Cerbère à faciès de lesbienne outragée venait de rejoindre les bords fumant du Styx au moyen d’un providentiel accident cérébral. Les six vieillards crevèrent très vite, de faim sembla-t-il, car ils ne pouvaient plus rien absorber, ou plus exactement plus rien d’autre. Les vestales n’étaient que de niaises apprenties cantatrices à qui l’on n’avait rien dit, sauf de ne toucher sous aucun prétexte aux viandes innomées et à celles sur les plats noirs. Julia Ventosa y Calvell se mourait dans un obscur hôpital militaire d’une chronique extinction de voix. Depuis l’heure où l’on annonça son décès, qui scandalisa les âmes qui la voyaient ainsi échapper à son procès et fit pleurer à larmes folles les aficionados, on ne trouve plus, parmi les cacophonies des orchestres et de ses partenaires, qu’un vide blanc sur les sillons des enregistrements qui avaient voulu recueillir son chant. Charron, dans sa barque, peina un peu plus sur sa rame et sous le poids sous estimé des morts, de la frêle Julia au sang pesant, qu’il dut cette nuit là charrier sur l’eau lourde. Dès la rive noire, les attendaient mes terrifiantes collègues en divinité, les Bienveillantes, ainsi nommées par antiphrases, ou Furies si l’on préfère, celles qui sont aussi vieilles et furieuses que le crime qu’elles persécutent, et dont, pour le bonheur de cette infernale cargaison, je vais prononcer les noms aux pouvoirs vengeurs et déments : Mégère. Tisiphone. Alecton.

Thierry Guinhut

Extrait d’un roman à paraître : Muses Academy

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
15 avril 2012 7 15 /04 /avril /2012 06:52

 

Marché à la Brocante d'Ars-en-Ré. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

La Peintresse assassine, Récit d’Erato.

 

Muses Academy XIII, roman.

 

 

 

 

        Je vais vous raconter une histoire d’amour ; ou peut-être deux. Belle et terrible. Belle comme le corps de la jeunesse et de la femme, et terrible comme la putréfaction de la mort. Cette histoire digne d’être peinte, c’est celle d’une criminelle autant que celle d’une victime…

      La routine. Un matin de café froid, de cendre de cigarettes puantes encore chaudes dans le gobelet de plastique et dans le gel sur le perron du Commissariat. Un matin de paperasseries et d’ennui au service des personnes disparues. Si seulement quelqu’un disparaissait pour nous délivrer de l’ennui, ce faux chômage technique… Cela faisait deux semaines que personne ne s’était éclipsé dans le vide. Il fallait être un brin perverse pour souhaiter le malheur d’autrui et justifier ainsi sa profession et son service. Je m’appelle Gurmensès. Inspectrice Sylvie Gurmensès. Trente ans et la constatation infrangible qu’Aphrodite a du m’oublier au tirage au sort de la génétique. Je suis maigre comme un balai, la tronche taillée comme un manche, une sensibilité à la beauté rentrée et la fonction de voiture-balai de la société. Enfin, à midi moins dix (j’allais encore manger une aile d’anchois sur une croûte de pain rassis), un appel.

       Sapphô Descurets a disparu.

      On gicle. On ouvre. C’est une drôle de galerie d’art. J’ai jamais vu des trucs pareils. Cinq nanas à poil complètement peinturlurées qui divaguent dans l’air surchauffé. Elles sont immobiles ou s’animent au souffle de nos regards éberlués : des visages et des corps sont peints sur leurs visages et sur leurs corps. On comprend au bout de quelques minutes de réflexion que trois d’entre elles sont des statues d’une matière dermoplastique imprécisée et que les deux autres sont vivantes. Une secrétaire à chignon réglementaire derrière un bureau de verre et qui n’est pas nue mais vêtue d’un ensemble tailleur aussi bariolé que les nanas dégingandées. Aux murs, des photos géantes de corps féminins peints, en pied, ou en détail : une omoplate légèrement charnue s’évadant du dos comme une aile et recouverte de plumetis de couleurs irisées. Ou encore des photos repeintes dont les diverses couches aux épaisseurs mystérieuses donnent à ces portraits une épaisseur historiciste infinie. Bon, ne croyez pas que je suis une spécialiste, je ne rédige un tel rapport que parce que je me suis vue obligée d’écouter et d’observer, y compris d’étudier la documentation fournie par la galeriste.

      C’est elle qui nous a appelés. Oui, « nous », parce que je suis accompagné de Jeannot, mon collègue lourd et taiseux, celui dont la poigne est aussi persuasive qu’une paire de menottes. Elle apparaît aussitôt, vêtue d’une robe longue comme la nuit et couverte d’un longiligne corps d’ébène peint bien qu’elle soit plus blonde qu’une finlandaise au bord d’un lac gelé. C’est une demoiselle d’Avignon version tribale qui flotte autour de la pâle et granitique inquiétude de Madame Carfeuil. Florie Carfeuil, née à Paris le 2 juin 1970, études d’Histoire de l’art à Paris et à Londres, employée par le mécène Argiopoulos pour promouvoir la Corpo-interpicturalité. Elle n’expose que des artistes travaillant sur la représentation du corps. Excébel et ses tableaux sur lesquels se sont roulés les tubes d’huiles et d’acryliques écrasés par les vieillards nus qui laissent ainsi une dernière empreinte de leur présence terrestre. Jezabel Torremolina qui sculpte dans le marbre la monstruosité des fœtus avortés et prématurés. Jasmine Artaz et ses portraits éthérés d’amoureux et d’amoureuses sur gaze et ouate… Mais surtout celle qui nous intéresse aujourd’hui, la Peintresse Erato, dont les œuvres sont ici exposées et dont la pièce maîtresse a disparu.

      C’est donc la galeriste qui a signalé la disparition. Sapphô aurait dû être au vernissage la veille au soir, figurant la Grâce centrale, peinte d’anges d’or comme chez les primitifs italiens, alors que ses deux faire-valoir ici présentes ne sont peintes que d’ors et d’azurs siennois et de ciels de Constable et de Turner. La plupart d’ailleurs des représentations picturales, photographiques et sculpturales, comme autant de pièces à conviction, sont inspirées par la jeune disparue. Hier soir, donc, la Peintresse l’avait laissée partir à pied de son atelier en direction d’un institut esthétique pratiquant une parfaite épilation. Elle l’attendit ici pour une fois de plus préparer son corps, mais vainement. Angoisses et coups de téléphone -portable, atelier, institut- n’apportèrent pas la moindre solution à la dommageable absence. La foule qui se pressait dans la galerie ne put que regretter le manque du modèle qui défrayait la chronique des magazines d’art… La Peintresse eût beau au retour et toute la nuit retourner son cerveau, les fil de ses nombreuses relations, puis ce matin à l’aide de la galeriste le maigre réseau de la famille et des amis, il fallut bien se résoudre à une angoisse plus grande encore : elle s’était évaporée dans le mince triangle (quelques centaines de mètres dans le quartier du boulevard Saint-germain) formé par l’institut de beauté, la galerie et l’atelier de la Peintresse où vivait avec elle la jeune fille.

      -Pourquoi est-ce la galeriste qui signale cette disparition et non la Peintresse elle-même ?

      -Parce qu’elle est prostrée dans son atelier, parce signaler cette disparition c’est pour elle en quelque sorte l’accepter, la rendre irréversible, parce que trop d’images de Sapphô constellent cette galerie devenue insupportable à ses yeux…

      -Pensez-vous qu’elle puisse avoir choisi sa disparition ?

      -Non. Ce serait abandonner une situation en or. J’ai rédigé avec le juriste-conseil de Monsieur Argiopoulos son contrat. Chaque prestation en galerie, la mienne ou tout autre lieu public ou privé, lui rapporte deux cent euros de l’heure. Elle reçoit sur chaque œuvre vendue la représentant, qu’il s’agisse de statue, de photographie, de peinture, ou même de carte postale, y compris d’un détail aussi infime qu’un orteil ou qu’un lobe d’oreille, cinq pour cent. Sans compter que les heures de pose ou de préparation pictocorporelle lui sont payées cent euro chacune.

      -Travaille-t-elle depuis longtemps avec vous et avec Erato ?

      -Deux ans. Erato l’a découverte alors qu’à dix-huit ans elle payait ses études de management artistique en faisant le modèle pour croquis à l’Ecole des Beaux-Arts. Depuis, elle a fait les couvertures d’Art Flavour, d’Elle USA, de Malerei, de Twilight Contemporary Art, et j’en passe. Notre exposition d’y a vingt mois a lancé un véritable phénomène et une inspiration nouvelle pour Erato. C’est avec ce modèle qu’elle a découvert et lancé la Corpointerpicturalité, c'est-à-dire la peinture sur corps de citations  retravaillées des représentations corporelles de l’histoire de l’art. Le succès a été immédiat. Les photographies sont tirées à cinquante exemplaires numérotées. Les robes peintes originales sont maintenant déclinées en imprimé haute couture et en prêt-à-porter… Vous imaginez la jeune fortune de Sapphô. Non, une jeune fille heureuse de ce qu’elle faisait, sa popularité, un vrai conte de fée, une poupée de sourires, une place immanquable dans l’histoire de l’art, non, elle ne peut souhaiter de quitter une telle gloire, une telle inventivité permanente, même pour la triste sérénité de l’anonymat…

      -Qui aurait intérêt à la voir disparaître ?

      -Personne ! Répond avec une incassable certitude cette galeriste dont, je ne vous ai pas dit, le visage, régulier jusqu’à la fadeur, respire pourtant l’intelligence et la détermination.

      -Une jalousie ?

      -Vous vous tournez, je vois, vers Jessie et Flavie, nos deux autres Grâces… Non, elle ne doivent leur existence ici qu’au succès de Sapphô et au talent d’Erato qui  proclame haut et fort qu’elle ne rêve d’aucun autre modèle favori. Hélas, je n’ai aucune piste à vous proposer ; peut-être faut-il fouiller dans son passé, imaginer un rapt obscène en plein trottoir. Aussitôt son visage se brisa en éclats de cristal et les larmes maculèrent de perles sauvages l’ébène de sa robe…

      À l’institut, rien, elle n’était pas apparue ce soir là. J’avais par ailleurs lancé une recherche familiale. Pire encore, ses parents avaient émigré à Winnipeg dix-huit mois plus tôt pour y ouvrir un restaurant français. Il ne me restait que notre glaciale Florie qui s’était pourtant mise à fondre si facilement… Craignait-elle pour le succès de sa galerie ? Etait-elle amoureuse comme une perdue de la belle disparue ?

 

Aqua Libris, Saint-Maixent-L'Ecole, Deux-Sèvres.

Photo : T. Guinhut.

 

      J’avais déjà laissé un enquêteur financier pour éplucher les comptes de la galerie. Qui sait si une sordide et splendide histoire d’argent… Pourtant la chose allait se révéler aussi claire et parfaitement respectueuse de la légalité qu’un bois de bouleaux sous la lumière d’hiver.

      Je me précipitai alors lentement chez la fameuse Peintresse en réfléchissant. Lorsque derrière moi Flavie, ou Jessie, l’une des deux Grâces, aussi nue dans la fraîcheur de la rue que le lui permettait sa couverture picturale me retint :

      -Je n’ai pas voulu en parler devant Madame Florie, mais avant-hier, lors de la répétition générale privée, destinée seulement à une dizaine de clients privilégiés, un homme parut l’importuner. Mais je ne sais comment dire… ce n’est pas vraiment l’importuner.

      -Dites-moi, l’encourageai-je .

      -Il n’a pas touché Sapphô. Il ne lui a même pas parlé.

      -Alors ?

      -Il la regardait. Avec la fixité, si j’osais… de la passion aveugle… Pendant de très longues minutes, des minutes infinies… D’abord elle ne parut pas gênée. C’est, vous savez, une très grande professionnelle qui ne se trouble pas pour autant. Mais par la suite, devant sa constance, son insistance, sa condamnation… S’il m’avait regardée comme ça, je serais morte comme bête ou amoureuse comme la vie. Mais elle… elle… n’a finit par concéder qu’une légère incision d’ironie. Qui parut enfin blesser l’homme. Il a continué de la fixer, avec le filtre et le brillant d’une larme sur la pupille, une de ces larmes qui ne tombent jamais mais se solidifient comme une carapace de glace vive sur la déception qui fait le cours de la vie.

      -Oh, vous vous emballez, mademoiselle Flavie…

      -Non, Jessie… Jessie Tramezaigues.

      -Excusez-moi. Vous devriez écrire des romans d’amour… Mais le nom de cet homme, de quel client s’agit-il ?

      -Oh, attendez, c’est un collectionneur de photographies. Il nous a déjà acheté un jeu complet de la précédente exposition « Odor di femmina »… Donc fort riche. Ou monomane.  Il ne regardait jamais les gens ni les corps, uniquement les photographies. Pour la première fois, il regardait quelqu’un jusqu’à l’âme.

      -Dites-moi, Jessie, vous l’avez, vous, bien observé… Et depuis longtemps. Son nom ?

      Elle rougit alors violemment, figurant un soleil couchant au travers du bleuté et de l’or qui la couvrait… 

      -Pourquoi dénoncez-vous celui que vous aimez, Jessie ?

      -Visiblement la peinture dermatologique était à l’épreuve des larmes. Je la ramenai dans la galerie, à l’écart d’une Florie stupéfaite, car les passants avaient commencé de s’attrouper devant le couple étrange que nous formions, moi habillée en jean et blouson informes, elle nue comme la déesse de l’aube que ponctue la rosée…

      - Je ne le dénonce pas ; je veux que nous retrouvions Sapphô. Je veux savoir s’il est indigne de ma tendresse désespérée…

      -Pourquoi l’aimez-vous ? Parce qu’il est riche ? Parce qu’il est beau ?

      -Parce qu’il aime tant l’art. Parce comme lui probablement je sens que je ne suis pas autant œuvre d’art que voudrait nous le faire croire Erato, moins en tous cas que ces photos qui nous statufient dans un au-delà et un en-deça. Parce qu’il n’y a pas de parce que à l’amour, parce ses veines sous la peau de son poignet sont si gonflées d’une attente qu’il ne se connait pas.

      -Donc vous étiez jalouse de Sapphô ? Est-ce votre mobile ?

      -Oh, vous pensez que je pourrais être la coupable de ce forfait ? Alors qu’elle va peut-être, je l’espère tant, réapparaître parmi nous avec l’explication simple et rationnelle qu’il faut ? Non, j’étais à la galerie toute la journée d’hier. Je ne suis sortie que pour manger là, en face : « Aux herbes de la passion », un végétarien…

      -Nous vérifierons. Son nom ?

      -Il se nomme Edouard Daubrey. Vous trouverez son adresse dans le fichier.

      -Mais vous le connaissez.

      -Je ne connais que ses fenêtres vues de la rue. Trois fenêtres immenses où il ne paraît jamais, au 225 de notre boulevard.

       -Merci. Et lisez un peu moins Barbara Catland.

      -Ce qui n’empêche en rien de lire des essais sur l’art…

      Je préférais, je ne sais pourquoi, ou plutôt parce que cette histoire me paraissait assez floue, parce que j’avais autre chose à faire que de rassurer les amoureuses éperdues, même doctorantes en art contemporain, ou habiles à cacher leurs propres manigances, aller aussitôt, quoique envoyant quelqu’un veiller à la présence de cet Edouard en son nid et réunir tout le fourbi d’infos habituelles sur cette Jessie et son Edouard, chez la Peintresse.

      Elle m’attendait. Style Wegwood, anglaise par son père, née à Cherbourg trente-deux ans plus tôt. Nom de Peintresse: Erato. Etudes aux Beaux-Arts de Londres, Amsterdam et Paris, stages à Los Angeles. L’obscurité, jusqu’à ce qu’elle fonde sa Corpointerpicturalité, deux ans plus tôt, puis le succès. Elle venait de téléphoner une fois de plus à la galerie, m’apprit-elle, précipitée, en m’ouvrant la porte cochère de son atelier, au fond d’une cour miséreuse… J’entrai. Que de couleurs… A s’en écarquiller les paupières jusqu’au sang ! Là dedans, la Peintresse était d’une pâleur à tuer les morts. « Vous allez m’aider », me répétait-elle sans fin… Ses larmes rayaient ses traits comme des éclats de diamants sur le verre. Je l’assis dans un fauteuil rococo aux couronnes de bois chantourné au dessus d’un chatoiement de coussins bouffants rouges… Pas une beauté devinait-on à travers les sargasses de ses larmes, mais une personnalité, des traits dessinés au scalpel et parfaitement lisible lorsqu’elle ravala son cinéma et me tendit un visage essuyé par un chiffon à peinture, un visage parfaitement déterminé où un nez aquilin saillait en toute connaissance de cause.

      -Vous allez la ramener à la vie. Oui ?

      -Voulez-vous dire que vous la savez morte ?

      -Non, mais si elle n’est pas près de moi, c’est comme si l’inspiration me quittait, comme si sa vie quittait ce monde : le monde de l’art…

      La Peintresse, ébouriffée, échevelée, me montra la chambre de la disparue. Fastueuse et bordélique. Des bijoux sur des bustes de plâtre barbouillés. Des robes comme si les princesses pleuvaient dans les placards géants. Des commodes aux tiroirs chamarrés de culottes bouillonnantes de dentelles roses et bleutées, de porte-jaretelles fleuris et tout le toutim. Un lit rond comme la lune (je me demandai d’ailleurs comment je devrais chaque matin, le faire) mais encombré de revues d’art et de tirages photographiques qui représentaient la disparue, ce qu’elle me confirma.

      -Dort-elle dans votre chambre ?

      -Comment le savez-vous ?

      -Facile déduction venue de son prénom.

      -Elle ne dort que dans mes bras. Quant au prénom, vous n’êtes pas sans savoir qu’il s’agit de celui de l’état-civil. Il faudra revoir votre stratégie.

      Elle n’avait pas froid au bout du nez, la Peintresse-bougresse. En son temps, s’il le faut, je mettrai ici une équipe à la recherche d’éventuels indices, taches de sang ou de ne sais quoi.

      -Vous confirmez qu’elle est d’ici partie pour disparaître sur le chemin de la beauté ? Oups, de l’institut de beauté…

      -Oui.

      -Et votre chambre ?

      Elle était pire encore. Certes les accessoires vestimentaires étaient un peu plus masculins. La Peintresse portait d’ailleurs une vaste salopette sans forme qui peut-être avait été bleu dur, mais s’étoilait de tous les dripping picturaux de la création. En fait le concept de chambre ne devait guère exister pour elle. Certes, il y avait bien un lit, mais dont les draps roulés en boule étaient du même type de tissu originellement peint qui habillait la galeriste. Ce n’était en fait qu’une annexe de l’atelier, avec toiles et photographies encadrées dans des formats inhumains et dont la plupart représentaient des avatars plus ou moins lisibles de la disparue.

      Il y avait d’autres répliques du lieu central de la création. Une cuisine où l’on croyait ne manger que de la peinture, des débarras, des entrepôts à bidons, rouleaux de toiles, fagots de pinceaux, rouleaux de pellicules photos, appareils photographiques sur pieds, établi de menuisier avec burins, serpettes et marteaux, étagères peuplées d’un monde de flacons, tubes et autres bricoles innommables par le commun des mortels. Bref une collection complète d’instruments contondants, d’armes du crime potentiel. Devrais-je faire analyser tous les tableaux de peur que les rouges étalés soient mêlés du sang de Sapphô ?

      Je revins à l’atelier central. Des futs de peintures aux couleurs de leur liquide intérieur formaient au fond des colonnes mésopotamiennes. Dans ce temple fuchsia, bistre, azur et or, je ne sus d’abord pas distinguer les torchons maculés des peintures en cours ou achevées. Des photos et des appareils sur pieds devant un dais de toile blanche. Les outils innommables et les quincailleries du parfait grand chimiste, sinon alchimiste. Mais indubitablement, sur un piédestal digne de Pygmalion, ce qui attirait au centre de la confusion de l’atelier c’était la statue.

      -C’est-elle ?

      -Oui.

      -C’est en quoi ?

      -À partir d’une empreinte moulée réalisée directement autour de son corps, je coule une résine polymérisée à prise rapide, ensuite recouverte d’un film d’acier, puis de lin où je peins. Vous avez pu en contempler une réplique dans la galerie, quoique peinte de nombreux nus féminins de l’histoire de l’art. Pour celle-ci, j’ai peint une trentaine de nus masculins sur son corps. Nus enchevêtrés et lascifs. Vous reconnaissez ici un fragment du Laocoon, les cuisses d’un Apollon de Lebrun, un torse préraphaélite, la joue d’un autoportrait de Géricault…

      -Mais ainsi, comment la reconnaissez-vous ?

      -Parce que c’est elle. Ses traits sont exactement là. Si vous faites abstraction du dessin et de la couleur, ses beaux seins disparus sont là, son visage aux nez mutin est là, l’essence de sa féminité est là. C’est elle. Ce que vous voyez peint sur son corps ici, et sur la réplique dans la galerie, n’est que le reflet exact de ses goûts artistiques. Vous avez ici la prosopographie et l’éthopée, et en même temps je vous offre l’ekphrasis…

      -Doucement, là vous dépassez mes modestes compétences d’ignare. Epargnez-moi le traité abscons sur l’art, je vous prie. Dites-moi plutôt qui pourrait avoir motif à lui en vouloir. Qui pourrait la haïr, la jalouser, la désirer ?

      -Personne. Elle ne connaît, à part le milieu de l’art qui n’aime que l’art et donc ne peut que respecter celle qui est à la fois inspiratrice, modèle et œuvre d’art, que moi.

      -Je vous trouve bien idéaliste. Curieux, elle aimerait les hommes…

      -Nous ne les aimons qu’en art. Retrouvez-là ! Je ne suis plus rien sans elle. Elle disparue, à peine vingt ans, enlevée au sommet de sa beauté par quelque malfrat qui exigera une rançon, tuée peut-être par quelque pervers, et ce dans les souffrances de l’avortement de sa sexualité sous le pic infâme du mâle…

      Elle se remit alors à pleurer, passant sa manche sur ses joues pour effacer un clair torrent aussitôt maculé de traces de ces peintures qui sur son bleu de travail avaient du être clairvoyantes et n’étaient plus, mélangées, que des balayures brunâtres : ce fut aussitôt un visage de Méduse…

      -Racontez-moi. Qui est Sapphô ? Comment l’avez-vous rencontrée ? Quels sont vos rapports exacts avec elle ?

(...)

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

T. Guinhut : gouache sur papier.

Partager cet article
Repost0
14 avril 2012 6 14 /04 /avril /2012 11:55

 

El Pueyo de Araguas, Alto Aragon. Photo : T. Guinhut.
 

 

 

 

 

 

Muses Academy

 

XVII

 

Récit de la juge éloquente :

 

Polymnie ou la tyrannie politique.

 

 

 

       « All men are alike in the poetic genius », disait William Blake. Me voici, Polymnie, Juge éloquente et Docteur de la Loi, Juge d’instruction et d’assises des libertés et des tyrannies, vêtue de toge noire et d’hermine, pour instruire parmi vous le procès, votre procès, du plus retors, ébouriffant et répugnant criminel de notre temps. Mais n’allez pas croire, perfides consœurs Muses, et saligauds audispectateurs, que comme Pilate vous allez vous en laver les mains avec l’eau la plus pure, et vous les essuyer ensuite avec le linge le plus blanc pour y abandonner ou y vénérer la sale trace de l’infamie, comme Véronique et son voile essuyant le Christ. En mon héroïne, vous allez reconnaître vos instincts les plus immondes, vos crimes les plus vrais, vos ambitions les plus basses. Cette criminelle, cette Richard III en jupes-pantalons, pourtant nommée Pan Crespès, jugez-en, c’est mon accusée, c’est ma victime, c’est vous, c’est moi.

       Pan Crespès naquit à Fiume, sur les bords poétiques de l’Adriatique. Une généalogie compliquée d’aristocrates oublieux de leurs devoirs, de prêtres luxurieux, de moniales abusées, de prostituées picaresques jamais assouvies, ni par l’argent ni par le stupre, de délirantes visionnaires brûlées sur les bûcher, puis de pauvres hères sans pouvoir ni imagination, courbés pendant des siècles sur une terre peu nourricière, sur les ordures napolitaines et les ateliers du cuir milanais, présidèrent à la naissance d’une chétive drôlesse à laquelle le gynécologue accoucheur ne laissait guère d’espoir, ni de force physique, ni d’élan mental… Scolarité médiocre parmi des maîtres français (ses parents avaient émigré les semelles de corde aux pieds) aussi petits que scolaires, éducation familiale à la va comme je te pousse les taloches, les raisonnements boiteux, les tautologies et les lourdeurs péremptoires.

        Elle n’avait d’abord guère la vivacité de son Dieu tutélaire : pas de sabots étincelants sur la pierre, pas d’œil pétillant au travers des mèches bouclées. Seul son occiput aurait pu porter les courtes cornes de cet entêtement qui plus tard se changea en détermination. Jeune fille malingre aux cheveux plats et gras, au faciès boueux, elle n’attirait du sexe fort que la faiblesse des quolibets, des crachats dans des préservatifs qu’on lui jetait à la tête depuis le fond de la classe… Elle ne lisait pas, n’avait pas d’amis, ne vivait pas ; elle ne devenait pas obèse malgré son appétit rageur pour des nourritures que la gastronomie n’aurait regardé qu’avec l’œil du vomi, en particulier son légendaire bâton de réglisse usagé…

       Pourquoi suis-je laide, bêtasse, molle, se demanda-t-elle lorsque l’éclair de la lucidité lui tomba sur la nuque (sûrement s’était-il trompé d’adresse). La chape de smog de l’absence de pensée rembrunit aussitôt les mordantes rides d’expression de son front taurin. Pourtant, ses résultats scolaires étaient affublés de chiffres corrects. Il faut supposer qu’elle ne faisait que ce qui était demandé, rien d’autre, pour se protéger de ces ennuis inutiles qui auraient pu contribuer à briser la coquille de polystyrène dont elle entourait son apathie. Les filles l’appelaient « Tête de pou », les garçons « Pan dans la gueule ».

        Un matin que ses voisines de préau jouaient à l’oracle des mots, elles l’invitèrent, sûrement pour l’humilier, à ouvrir le dictionnaire et y poser son doigt. Quand les autres étaient tombées sur « poupée », « fleur », « fortune », elle vit : « avarié ». Conclusion, il valait mieux ne pas lire (le travail scolaire n’était pas lire mais obéir). Solitaire comme un chien bâtard, elle se renfrogna une fois de plus en mordant son habituel bâton de réglisse. Pourquoi, deux jours plus tard, ramassa-t-elle ce livre qui baillait dans une poubelle du centre ville de Lyon ?

        « All men are alike in the poetic genius », lut-elle soudain. Elle avait assez d’anglais pour la chose. Mais le sens ? Elle sut alors qu’elle n’était pas « alike ». Il devait y avoir une erreur dans l’univers. Le reste du livre -il était de William Blake- ne l’enrichit guère, hallucinant et incompréhensible, aussi le lendemain, le rendit-elle à sa native poubelle. 

        Mais le ver rongeur était dans le fruit, si avarié fût-il. Si les hommes sont semblables dans le génie poétique, comment expliquer que je ne sois ni belle, ni capable de répartie brillante, encore moins susceptible d’enchanter le monde autour de moi ? Pourquoi autour de moi cette injustice de l’intelligence, de ceux qui comprennent et qui apprennent vite, qui ont une mémoire disponible et aisée, des idées brillantes et originales, qui cassent la doxa et les préjugés, qui en un mot peuvent créer du nouveau, quand d’autres, tant d’autres ne peuvent rien de tout cela… Pourquoi Blake a-t-il pensé cela, alors que je ne pense rien ? Il avait du génie et moi pas !

        Elle décida alors qu’elle aurait du génie. Ou plus exactement que personne n’en aurait plus qu’elle. Qu’il y avait une injustice insondable à corriger par l’égalité. Et qu’elle allait être celle qui parviendrait à ravaler les inégalités. Pour cela, elle comprit qu’il lui fallait travailler plus que les autres, briller sans éclat dans toutes les matières scolaires, étudier le droit, faire Sciences Politiques. Etonnamment, elle gagna un respect méfiant et bovin de la part de ses parents en bossant comme une bête, en buchant comme une tâcheronne, en travaillant comme une intellectuelle précise et complète. Elle comprit également que ce n’était pas en brûlant son énergie dans le maigre milieu bouffi de suffisance qui l’entourait qu’elle parviendrait à imposer la vérité. Fût-ce par la force. Il lui fallait attendre d’avoir les connaissances et les réseaux nécessaires à son projet grandiose. Avancer masquée. Qui eût cru que cette tête de pou, sortie du rude tamis de l’élitisme républicain, allait intégrer Sciences Po Paris? Là encore, comme dans ses années lycéennes, elle progressait en silence, se gardant bien de mettre ses idées à l’épreuve de ses condisciples qui la fuyaient respectueusement, ou plutôt avec la crainte que l’on éprouve devant la placidité des monstres.

        Nul n’ignore qu’en 1981, date historique de la déculottée des Conservateurs, la France élut une Présidente libérale. Aussitôt, Sophia Calliope s’entoura d’un gouvernement restreint : une Garde des Sceaux nommée Polymnie, Clio ministre de l’Economie et des Finances, Euterpe à la Culture et Communication, Uranie à l’Aménagement du Territoire, Terpsichore à la Santé, Thalie à l’Education, Erato aux Affaires étrangères, Melpomène à la Police et la Défense.

         On attendait de cette aristocratie des Muses, de ce gouvernement féminin une juste et douce évolution des mœurs. Il fallut bien cependant user non seulement de la conviction, de la persuasion, mais aussi de la fermeté, quoique en restant strictement dans les limites constitutionnelles, pour imposer des réformes libérales, dans les mœurs aussi bien qu’en économie. Ainsi, tout, ou presque, prospéra, si bien inspirés par notre Gouvernement des Muses que les citoyens étaient… Car tout en diffusant l’inspiration, elles faisaient confiance à leurs initiatives. Les interventions des Muses devinrent discrètes, loin du l’état monstre ou providence. La police de Melpomos sut faire respecter un ordre et une liberté fluides avec une force impeccable et gantée de velours. La justice rapide et sensée de Polymnie eut des prisons humaines d’où l’on pouvait ressortir lavé et prêt à servir la multiplicité des Muses en même temps que la multiplicité de ses bonheurs. Pourtant, la libre prospérité, si elle profitait au plus grand nombre, laissait derrière elle non seulement ceux qui n’avaient pu ou su en profiter, mais plus encore ceux que la prospérité d’autrui paraissait diminuer, même si la leur croissait de manière convenable. Qui eût cru que la prospérité générale entraînât l’envie ? La réussite du gouvernement des Muses était insupportable à ceux que leur ressentiment  poussait à haïr celles qui avaient fait la preuve de la fausseté de l’idéologie dirigiste, colbertiste et postmarxiste.

       En 1988, suite aux menées des conservateurs qui trouvaient que la liberté des autres menaçait leur nostalgie et feu leurs privilèges de capitalistes non libéraux, suite aux lazzis des communistes qui ne s’étranglaient jamais autant que devant le libéralisme des mœurs et des activités, l’individualisme et la réussite d’autrui, y compris lorsqu’ils leurs profitaient, la campagne électorale qui devait assurer un triomphe au gouvernement sortant fut rien moins que troublée : collectifs clairsemés et bruyants parmi les rues, partis d’autant plus criards qu’ils étaient aux abois, piquets de grève des délinquants que la police et les juges empêchait de prospérer, sans abris et drogués qui refusaient d’user des libéralités humanitaires du gouvernement et des charités privées, nostalgiques d’une utopie qui ne pouvait s’incarner dans le réel, folkloriques opposants aux Muses qui espéraient substituer la tyrannie médiocre de leur pouvoir sur autrui à la grandeur bienveillante de mille pouvoirs laissés aux responsabilités individuelles…

        Survint alors la splendide réélection de l’aristocratie des Muses. On peut légitimement se demander ce qui poussait dans les rues les gorges enrouées et égosillées des manifestants au cours de cette seconde période de prospérité économique et des libertés. Plus que la prospérité, ils voulaient le pouvoir des saints, ils voulaient l’ivresse du martyre, ils voulaient offrir la perspective perdue de l’utopie, ils voulaient dire qu’ils savaient où était la vérité unique de la collectivité. Du moins c’était l’argument le plus rationnel qu’ils puissent montrer avant la pulsion de mort et la soif de guerre. Pour eux, en effet, cette prospérité tant vantée était une insulte à la nature avant son extinction, une acmé du capitalisme sans partage, où la richesse aiguisait une concurrence effrénée. Ils voulaient l’absolu. Un seul pauvre, chômeur ou délaissé était la preuve de l’échec d’une civilisation fondée sur les puissances de l’argent. En fait, ils n’étaient que quelques uns à dénoncer cette ploutocratie arrogante, cette aristocratie injuste, pour reprendre leur rhétorique, mais ils suffisaient à divertir de leur pittoresque les écrans et les journaux, à faire peur autant qu’envie au moyen de leur jacquerie bruyante et colorée qui  paraissait à quelques uns être investie d’un sens supérieur de la vie… Cependant, ces hordes professionnelles, aussi peu nombreuses que peu infleuentes, n’auraient pas prospéré comme elles le firent bientôt, sans une curieuse et géniale oratrice et politique…

        Au cours de cette législature maigrement troublée, lors d’un scrutin partiel -suite au décès inspiré d’un député conservateur- un candidat du Parti Communiste fut élu (un de ces député-maires de la banlieue rouge qui s’ingénient à écarter l’implantation des entreprises pour favoriser la pauvreté dont ils font leur terreau). David Doubs, le seul de ce parti obsolète à figurer dans l’hémicycle, eut l’heureuse idée d’aller fouiller, pour reprendre ses mots, dans cette élite venue des bas-fonds méprisés. Il y puisa Pan Crespès que personne ne connaissait, pour la nommer sa suppléante, en même temps que son attachée parlementaire. Deux mois plus tard, après qu’en un discours marquant il eût fustigé les inégalités sociales et financières -ce genre de scie marchait toujours auprès de quelques esprits obtus- avec une furia hystérique et un rouge érythème facial qui lui valurent les honneurs de la télévision et ceux de figurer parmi les listes du baromètre des personnalités en vue, après qu’il eût montré en son assistante l’exemple des réprouvés de l’esthétique du capitalisme, David Doubs mourut d’un coup, d’un rare empoisonnement intestinal dû vraisemblablement, selon le légiste, à l’ingestion d’une côte de porc avariée, comme Mozart. Il se targuait d’un estomac de bronze, mangeait les restes laissés par le grand capital, laissait moisir son frigo… Les mauvaises  langues dirent que le fiel de son discours l’avait tué.

       Pan Crespès sauta sur l’occasion comme la faim sur le pauvre monde pour se présenter comme son successeur. D’après elle, cette mort était due aux puissances d’une industrie agroalimentaire qui ne visait qu’au profit financier au détriment de la santé populaire. On fut stupéfait de la vigueur de l’éloquence d’une inconnue que les initiés n’osèrent plus appeler « Tête de pou » et dont le seul vice connu était son bâton de réglisse parfois mâchonné. D’autant qu’elle se targuait de sa différence esthétique pour incriminer le monde d’inégalités dans lequel nous vivons :

         -Devant l’Orgueil de l’aristocratie, il est naturel que naisse l’Envie de la démocratie. Peut-on empêcher le désir d’égalité ? Cette présidence des Muses cumule tous les pouvoirs : exécutif, législatif et judicaire, certes. Mais pire encore, voyez les privilèges indus que confèrent les pouvoirs de l’inspiration ! Qui, parmi nous, peut atteindre aux qualités, aux talents et aux profits outrageants dont jouissent les neuf Muses qui nous gouvernent ? De plus, à l’aveugle, comme Eros et Plutus, elles distribuent parmi nous la beauté et l’argent, l’habileté manuelle ou les qualités intellectuelles, pour en léser le plus grand nombre. Et contrairement au préjugé commun, on ne leur doit rien, à ceux qui réussissent et par là permettent à l’humanité de sot disant progresser. Car ils ne le peuvent que parce que les Muses leur ont tout donné, volant ainsi les dons à ceux qui en sont honteusement dépourvus. Aucun mérite ne leur revient, en tous cas bien moins qu’aux pauvres lésés de l’intelligence et des dons, eux qui ont le vrai mérite d’assumer leur médiocrité, leur imbécillité, leur paresse, leur pauvreté, toutes choses dont ils ne sont pas responsables. En effet, l’ayant hérité depuis le berceau de la reproduction muséale, génétique et sociale, ils ne peuvent s’en extirper, au point qu’ils soient condamnés à rester des exclus des Muses, des prolétaires bafoués des arts, des chômeurs de l’inspiration…

      Ne voyez-vous pas que la dictature de cette oligarchie est aussi arbitraire qu’injuste, distribuant par les couloirs étroit du népotisme le don des langues et de l’économie, offrant le don des arts et de la parole à leurs chéris, leurs préférés, ou, pire, selon le hasard et l’injuste fortune… Les Muses, en inspirant les uns, en leur distribuant une culture élitiste et exclusive, vident les autres de l’inspiration nécessaire pour jouir et briller. Nous, petits de l’inspiration, malheureux du bonheur, miséreux de la carte de crédit, bafoués de l’intelligence, nous subissons la tyrannie la plus injuste de l’Histoire : celle de l’inspiration inégalement répartie, celle de cette inspiration dont nous ne voulons plus, que nous rejetons, vomissons… Afin de rétablir avec moi, Pan Crespès, cette égalité qui grandira enfin les petits, les pauvres en esprit que nous sommes !

        C’est de ce discours inaugural que l’historien Siméon Goldsberger, dans son ouvrage Le Rationnel dans l’Histoire, date ce qu’il appelle « le glissement vers l’irrationnel », quoique d’autres soulignent que cette irrationalité lui était antérieure, voire perpétuellement constitutive de l’Histoire.

         Déjà Pan Crespès faisait preuve d’un charisme insidieux, d’un charisme prenant, du charisme ravageur de l’avalanche noire et désirée… Sa laideur avait quelque chose d’écœurant : la marque de la fadeur au plus étroit du terme, à laquelle pourtant certaines -et certaines- étaient sensibles, comme un charme secret qui les pouvait persuader qu’elle était la marque indélébile des sans beauté, des sans grade, des sans inspiration ; la plupart de nous tous en fait. Car nous pouvions tous trouver quelqu’un qui avait plus de dons que nous. Et la trouvaille de son coiffeur ne fut pas pour rien dans sa métamorphose : une petite mèche noire malpropre qui lui barrait le front et accrochait les cœurs malades à elle. Le plus surprenant était l’absence de charisme de sa voix : couineuse dans les aigus, gutturale et crapoteuse dans les graves, aux inflexions faites d’à-coups et de vagues de fond violentes. Les froids observateurs, s’il en restait encore d’assez nombreux, ne comprirent pas que c’était justement l’infamie de cette oralité bestiale, la passion perpétuellement et obscènement caressée, cassée et éructée, qui se faisaient le moteur des adhésions populaires, voire, déjà, de certains intellectuels que le peu de succès de leur démarche alambiquée reléguait dans l’ombre du ressentiment.

        Elle fut élue en effet. On n’avait jamais vue une si laide créature à l’Assemblée Nationale. Elle paraissait à distance sentir la sueur, les pieds de porc et le souffre rance. Une haine froide semblait sourdre des ses yeux fixés sur ses congénères comme la gluance marron de la limace sur le marbre blanc des Vénus. Ce qui, de sa part, était un calcul : la haine qu’elle allait susciter chez ses pairs allait se retourner contre eux en un imparable argument.

        -J’ai la haine. Nous avons la haine. J’ai la haine de la richesse, de la richesse d’argent, de talent et d’inspiration. Savez-vous combien j’ai dû sacrifier ma jeunesse pour parvenir à cet emploi et à cette candidature ? Combien j’ai du essayer de crachats physiques et moraux, de harcèlements sournois tout au long de mes études ? Non pas pour faire étalage de mes talents, mais pour parvenir à une position qui permette de faire entendre la vraie voix, notre vraie voix, celle du peuple ininspiré, la juste revendication de ceux qui ne sont ni inspirés par le talent, ni par l’intelligence supérieure, ni par l’argent… Ma jeunesse ne fut qu’un ténébreux orage : pas d’amitiés, pas de loisirs ni de sorties, pas de joies, seul ce laborieux travail intellectuel (sociologie, histoire, philosophie politique, culture générale, droit et économie, sans compter l’anglais et l’allemand, tout ce cependant qui n’est rien devant la souffrance de tous les inégaux). Sans compter celui manuel de décharger des cageots de légumes sur les marchés populaires pour payer ces études, études qui n’ont pas été au service de ma réussite qui n’est rien, mais au service de tous, vous les démunis, les pauvres, les déclassés… Voyez comme à l’Assemblée la haine suinte de la classe entière des députés contre moi. Qu’importe que ce soit contre moi. J’y suis habituée. Mais le vrai est que c’est contre le peuple des désinspirés que cette haine se cristallise. Vous êtes méprisés parce qu’à côté d’eux vous n’êtes rien. Rien que leurs déchets, les écales des noix qu’ils ont mangées. Ils ne vous flattent que pour conserver et augmenter leurs fonctions et leurs privilèges. Ils sont la négation de l’Egalité, de celle qui devrait être la vôtre, vous les moins payés d’argent, d’intelligence et de superbe, vous que les banques pressurent, que l’argent sépare de la satisfaction, que les inspirés séparent de la communauté !

 Photo : T. Guinhut.

        C’est ainsi qu’alors Pan Crespès put fonder le Parti Anti Muses. Sa conquête de l’Egalité s’élança vers la gloire avec un succès bientôt fulgurant. Son discours inaugural avait enfiévré les populations, bien qu’il fît rigoler les nantis qui pensèrent l’oublier aussitôt. Hélas, il fallut bien qu’il effrayât non seulement ceux qui paraissaient les plus directement menacés, mais aussi ceux qu’un peu de discernement n’avait pas quittés. Ce réquisitoire contre la société, les institutions, et les vertus morales de l’inspiration leur parut signer la naissance l’égalitarisme le plus tyrannique. On n’entendit alors plus parler que du PAM de Pan Crespès !

         Au cours de son fameux Discours de Reims, elle affuta son réquisitoire contre l’injustice de la répartition de l’inspiration parmi les hommes, trop chichement allouée par les Muses. Cet arbitraire du don des Fées n’était ni la récompense d’un effort, ni le résultat de l’amour d’autrui. Seule une injustice native, génétique ou sociale fournissait le droit, d’être heureux ou malheureux, irrémédiablement. Quant à l’individualité de l’inspiration, elle était une insulte à celui qui en était exclu, une violence envers la solidarité populaire… Exigeant l’établissement de l’égalité de l’inspiration pour tous, et la fin immédiate de l’excès d’inspiration qui chapeautait la tête des privilégiés sans cesse caressés par les neuf sœurs, Pan Crespès lançait sur les Muses honnies les fusées chargées de missiles de ses actes d’accusation :       

      A Calliope d’abord, elle reprochait d’être au-dessus des Muses et à fortiori de tous. D’être la plus belle et la plus inspirée. De recevoir la part royale venue des dieux.

      A Polymnie d’être la tyrannique ministre de l’injustice, non seulement de celle qui perdurait parmi les cours de justice et sur le sol du peuple, en poursuivant par exemple les pauvres délinquants qui n’étaient inspirés ni par la vertu du travail ni par celle de l’honnêteté, mais aussi Garde des Sceaux de cette abondance d’inspiration qu’elle ne versait qu’à bien peu d’élus sur le parquet des palais de Justice et dans les universités de Droit.

      A Clio d’être la ministre ploutocrate de la richesse qui pleuvait comme une manne au-dessus de la bouche ouverte de quelques uns sans déborder plus de quelques miettes aux nécessiteux que nous sommes tous.

       A Euterpe de ne verser la Culture et le don de communiquer qu’à quelques artistes qui agrégeaient autour d’eux la masse du succès ou l’aura du poète maudit.

       A Uranie un aménagement du Territoire absolument dépourvu de rationalité et d’équité. Pourquoi des villes saines et ventées par l’air pur des forêts et des mers alors que d’autres souffraient de pollutions et d’encombrements, pourquoi certaines étaient-elles irriguées par des  autoroutes fluides et des canaux charmants, bâties de splendeurs architecturales, quand d’autres ne fournissaient que le déterminisme des laideurs, des incommodités, délinquance et autres travaux débilitants, dégradants…

        A Terpsichore d’offrir et de refuser la santé avec l’arbitraire le plus total. Pourquoi celui là mourait-il à cent douze ans, qui plus est dans son sommeil, après une vie exempte d’accident et de maladie, alors que tant d’entre nous succombent à des cancers et autres sidas, sans compter mille souffrances et invalidités qui frappent jusqu’aux plus jeunes…

        A Thalie de distribuer l’Education par des maîtres aux qualités et compétences disparates, sans compter les dispositions intellectuelles et comportementales inégales aussi bien socialement que culturellement des élèves et des étudiants, inadmissible gestion de l’égalité des chances…

       A Erato d’offrir aux pays amis les relations les plus courtoises, voire les aides les plus généreuses alors que les autres se voyaient méprisés, bafoués, sinon menacés.

        A Melpomène d’inspirer une police qui abusait de l’insulte raciste et anti-jeune, des violences, de la loterie de l’emprisonnement et des meurtres impunis, sans compter la pléthore de coûteux procès verbaux vidés à sac sur le bas peuple contribuable à merci.

            Et, au Gouvernement des Muses tout entier de n’inspirer le talent, la beauté, la santé et la richesse qu’avec parcimonie et inégalité. Le système de la vie et de l’économie tout entier était à revoir de fond en comble, à balayer et récurer pour élever une utopie enfin raisonnable : celle de la justice esthétique, sociale, sanitaire et talentueuse…

          Le réquisitoire à boulets feux et aux arguments spécieux parut convaincre toutes les oreilles. Toutes les bouches répétaient à l’envie ces barbarismes faciles et péremptoires. Dès lors la côte de popularité de Pan Crespès frôla les sommets de l’enthousiasme. Au moins, alors, chacun se sentait inspiré par Pan Crespès et non par d’injustes inspiratrices. Ce qui était un bel argument dans les mains des ses lieutenants, de ses plus chauds partisans dont le nombre croissait comme grêle en l’orage…

         Car le PAM avait son logo : le triple éclair rouge pour ses trois lettres. Et bientôt, l’autre nom de ce Parti qui paraissait avoir le don d’ubiquité, le PEG, ou Parti de l’Egalité, eût aussi son logo : le rose signe égal. On les voyait fleurir sur les banderoles des manifestants, sur les drapeaux, fanions et flammes qui partout s’agitaient, sur les tee-shirts pour l’été, sur les bonnets et les cagoules intégrales pour l’hiver et pour les hordes des délinquants qui brisaient les vitrines des magasins, pillaient les richesses des possédants pour se les redistribuer en bons Robin des bois qui œuvraient pour les pauvres… Les trois éclairs du PAM, logo et parti de combat destinés à disparaître lorsque l’utopie concrète de l’Egalité serait établie pour tous, voisinaient avec le signe égal du PEG sur les deux joues des sympathisants et des thuriféraires hilares qui, lorsqu’ils se rencontraient, y compris sans se connaître, s’embrassaient, se caressaient en une fraternité érotique et festive qui semblait ne jamais devoir s’éteindre. Déjà on n’avait pas plus à avoir une quelconque individualité pour s’intégrer au PAMPEG : il suffisait d’afficher ces signes de reconnaissance, d’appartenance et d’utopie pour que tous soient choyés en toute égalité les uns par les autres : unis dans le même désir et le même cri !

      Pourtant Clio, Muse de l’Histoire et ministre de l’Economie, avertissait sans cesse les électeurs du danger des théories et des projets de Pan Crespès. Elle rappelait à qui ne voulait pas l’entendre les avertissements de Tocqueville selon qui le culte de l’égalité allait à l’encontre des libertés. Pan Crespès et ses affidés allaient semer la discorde et l’impéritie, épuiser le pays, récolter la violence et la ruine… Déjà les lycées et les universités avaient leurs portes bloquées par des chaises, des tables et des bibliothèques renversées, gardées par des gros bras encagoulés refusant l’éducation muséale, bourgeoise et sélective, refusant l’élitisme et la discrimination… Erato voyait dans cet anti-intellectualisme la fin de la culture et des musées, où l’on commençait d’ailleurs à recenser des attentats contre des chefs-d’œuvre trop généreusement inspirés, peintures de Mantegna lacérées, statues grecques renversées et dessins de Watteau couverts de tags fluos ou salis de jets d’encre par de piètres Pollock rigolards et hargneux… Terpsichore voyait venir avec horreur la fin de la légèreté physique et mentale: on allait marcher en frappant de lourdes godasses au lieu de s’élever par l’aile de la danse, sans compter les blessés qu’il allait falloir soigner. Euterpe n’entendait plus ni Bach, ni Schubert, ni Garbarek, mais seulement les pulsations assourdissantes des basses de la techno et d’un rock trashmétal hurlés dans de tribaux rassemblements de teufeurs qui squattaient les rues de leurs violences sonores. Uranie voyait les meutes des manifestants préférer les tentes de chiffons et de cartons aux architectures qu’elle avait contribué à construire pour ceux qui ne voulaient plus être des citoyens. Polymnie usait sa rhétorique à tenter de persuader et de convaincre les foules de retrouver le chemin perdu de l’inspiration, quand Calliope paraissait atone, quoique espérant un sursaut de l’intelligence qui ne pouvait selon elle se faire attendre devant une telle gabegie. Son rayonnement n’avait plus le moindre effet sur ceux qui désertaient tout travail et  préféraient la fraternité rituelle de l’oisiveté… Melpomène annonçait, le visage sombre, les lèvres serrées, des bains de sang, tout en usant de sa douce colère, trop douce aux dires de certains, contre les séditieux violents, quoique ses justes arrestations et châtiments furent délégitimés par le chantage au fascisme bramé par les plus nerveux des affidés de Pan Crespès. Thalie, quant à elle, préférait l’arme de la comédie pour tenter de disqualifier la nouvelle égérie de la populace, faisant d’elle une parodie de Charlot dans Le Dictateur

          En 1993, à l’issue d’une campagne menée haine et joie battantes, Pan Crespès fut avec éclat élue Présidente. A l’annonce des résultats, son visage perdit en brûlante inquiétude et gagna en détermination froide. L’héroïne, enfin parvenue à monter à l’assaut du château des Muses sur leur Olympos, parut avoir enchaîné définitivement leurs langues lorsque les législatives confirmèrent aussitôt en sa faveur le fanatisme populaire.

         La tyrannie de Pan Crespès fut d’abord douce d’apparence, sans violence… Mais en une semaine, elle parvint à faire voter par le parlement un addenda à la Constitution qui stipulait que tout comportement attentatoire à l’égalité devait être réprimé. La liberté n’était Liberté pour tous que si elle était subordonnée à cette Egalité qui permet la Fraternité. La camaraderie festive, grégaire et fusionnelle devait être préférée à la solitude, qui plus est si elle était intellectuelle, donc prétentieuse et discriminatoire. D’abord, elle conseilla, puis dénonça, enfin punit. Menacées d’être appréhendées, jugées et condamnées sans appel, les Muses s’enfuirent d’un seul coup d’aile au-delà des frontières, attendant que le régime de Pan Crespès pourrisse, que le peuple las les rappelle, disaient-elles. Seule, Clio entra en clandestinité.

         Tous les élèves, tous les étudiants sans exception, durent recevoir un 12 pour tous leurs travaux. L’école étant l’apprentissage de la sélection, du rejet, de la domination sociale, car sélectionner, discriminer, c’est exclure, opprimer, enferrer les inégalités d’inspiration. Mieux encore, les enfants des intellectuels et des classes possédantes furent interdits d’éducation, ce pour écrémer par la racine l’hérédité des inégalités. Une euphorie assez générale noya les quelques protestataires qui avaient l’outrecuidance de vouloir s’élever au-dessus du vulgaire. Les apprenants étaient d’ailleurs encouragés à divulguer devant le Commissaire à l’Egalité de quartier ou de commune les manquements des professeurs à cette justice rendue à l’humanité. Les éditeurs ne durent plus refuser le moindre manuscrit. Tous furent dans l’obligation de tout publier au même tirage, roman, mémoires, chanson, essai, dictionnaire, manuel de physique nucléaire ou du petit bricoleur amateur… Le fallacieux critère de qualité étant abrogé, chacun pouvait étaler sur des pages papiers et internet ses bidouilleries analphabètes, ses miroirs de fantasmes éculés, ses insipidités permanentes et leur donner dans les bibliothèques dévastées la place indue accordée autrefois à Kant, Proust ou Coleridge, ces péteux illisibles. La critique littéraire fut prohibée, car elle est publicité à but financier ou choix d’un individu en faveur d’un individu, ce qui est un autre mot pour inégalité. Le championnat de patinage artistique désigna 38 premiers ex aequo. Toute discrimination, qu’elle soit positive ou négative, tout jugement de valeur porté sur un individu, puis un objet d’art (car c’était humilier le non connaisseur, l’inéduqué au bon goût bourgeois que de valider une échelle de valeur) fut compris comme une fracture grave dans le corps de l’Egalité et de la dignité humaine.

        En conséquence de cette égalité de l’inspiration, des revenus et des biens, l’économie fut intégralement dirigée, régulée selon la justice sociale par une meute de fonctionnaires égalitaires nouvellement embauchées aux frais de l’état, ce qui miraculeusement résorba le chômage, d’autant que ceux qui tenaient à conserver des privilèges indus étaient virés sans être comptés ni indemnisés par les services de l’emploi. Les impôts purent croître, pour les plus favorisés, jusqu’à cent-cinquante pour cent des revenus et cent-quatre-vingts pour cent du patrimoine. Les banques furent nationalisées, les banquiers jetés dehors les fesses à l’air, pour être mieux fustigés d’orties, de ronces et de barbelés. Mieux encore, les héros tournants -car chacun avait sa minute d’héroïsme télévisé- organisaient des opérations gratuité dans les supermarchés, les magasins, les galeries d’art, des pique-niques improvisés, des redistributions spontanées des richesses par le pillage et le gaspillage…

        L’égalité des connaissances historiques, économiques et politiques, l’égalité générale des productions signaient la fin de la tyrannie de l’émulation, de la compétition, de la concurrence. Aucun citoyen ne pouvait plus être suspecté de se voir préférer un autre travail, un autre talent, une autre production que les siens, qu’il s’agisse de fraises, de pièces mécaniques, de poèmes ou de rapports comptables, puisque tous étaient enfin, sous Pan Crespès, égaux…

          Malgré les dires de Pan Crespès, le PAM et ses trois éclairs rouges de combat n’avaient pas disparus. Au contraire, il ornait les casquettes et les cagoules des milices spontanées. Malgré l’exil des Muses, il restait encore et toujours bien de leurs partisans visibles ou cachés à débusquer, tous ceux qui étaient encore illégalement inspirés par ces chiennes de Muses et qui devaient être impérativement ramenés au moule commun ou éradiqués par l’Egalité, et ce pour le bien de tous…

          Bientôt, le blâme fut interdit, puis, par voie de conséquence, l’éloge. Les meilleurs n’avaient plus droit de cité. Chacun put tour à tour, selon un tirage au sort public et festif, occuper toute fonction publique (car les fonctions privées n’existaient plus) qu’il désirait, à condition bien sûr d’appartenir au PAMPEG. Pan Crespès, elle, et avec l’assentiment de tous, ne restait au pouvoir que comme la garante historique de l’Egalité, interdisant bien sûr officiellement tout culte de la personnalité, quoique l’on sût qu’il se faisait sous le manteau un commerce de médailles pieuses à l’effigie de la nouvelle vierge.

          Le faible ne pouvait plus être méprisé. Il fallait donc que toute réussite fût conspuée, jetée à bas, lacérée, livrée aux sbires de l’Egalité, quand elle ne fût pas mise à mort par des foules coiffées des cagoules rouges et roses de l’Egalité, dans les rues où les caniveaux rougissaient de honte malodorante… Ornés des teeshirts et des turbans du PAMPEG, on devenait soudain tous des héros, brisant des nuits de cristal parmi les boutiques de luxe, brisant le beau langage bourgeois par le hurlement des insultes, par le remugle des vulgarités, du vocabulaire estropié, syntaxe saccagée, mots cassés, on s’étreignait entre pampegueurs parmi les trottoirs salis de crachats, puants d’alcool et de la fumée des joints et des incendies…

          Résultat, si l’on parvenait à lire les libelles publiés sous le manteau par Clio et ses quelques complices, les pires ennemis du peuple que l’Histoire selon Crespès eût comptés, la pauvreté générale de l’inspiration, la médiocrité et la disette, la fin de l’émulation, de la concurrence et de l’excellence. Tous les Michel Ange, de l’art aussi bien que de l’économie, de l’amitié aussi bien que de l’artisanat, présents et futurs, avaient disparu. Plus que jamais, l’incompréhension de ces derniers, lorsqu’ils avaient pu appartenir au passé, se faisait générale. L’art, la littérature et les sciences politiques devinrent le règne de la médiocrité sans pour autant faire disparaître le mal et la sensation d’abandon qui ne put même plus être contrebalancée par la contemplation et l’étude du génie qui étaient un œilleton, une porte possibles vers le génie… Cette égalité qui inspirait la haine, le crime et le sang était la tyrannie des médiocres. Une ochlocratie, ou gouvernement immonde par la populace ! On était si bien asservi que l’on réclamait à toute liberté d’être à son tour asservie. C’est ainsi que Clio, décidément mal inspiré, insultait les Pan Crespès que nous sommes tous.

        La tête des Muses, ces Dames invisibles dont certains cerveaux nostalgiques étaient secrètement encore amourachées, fut alors mise à prix. Et plus encore celle de Clio qui avait le front d’imprimer et de diffuser des torchons clandestins, venus d’on ne savait quelles imprimeries, d’on ne savait quelles caches, quelles complicités de rebelles et de résistants à l’Egalité ! Heureusement on avait mis fin à leur ploutocratie…

       Pan Crespès s’attela alors à un vaste chantier national -avant bien sûr qu’il devienne mondial-, il lui fallait réécrire l’Histoire dans le sens de l’Egalité, biffer les atteintes aux populations exploitées et malheureuses dont la dignité allait être redorée, blanchir comme une page vide les noms des héros de la guerre, des arts et des sciences qui s’étaient rendus coupables de crimes contre l’Egalité…

       Les beaux eux-mêmes, car ils se sentaient rarement assez beaux, voire disgraciés, en voulurent un peu plus à la beauté qui fut dans la rue conspuée. Les affiches publicitaires représentant de beaux modèles à fin de vanter quelque soin, parfum ou voiture, furent souillées, lacérées, arrachées. Les visages jugés trop beaux furent giflés, griffés, tuméfiés par esprit de justice et d’Egalité. Plutôt que la belle Melpomène, celle qui inspirait la beauté des tragédies qui assaillent toujours les humains en y ajoutant ce supplément de beauté et d’âme qui peut les rendre un peu plus supportables, du moins peut-être sensées et esthétiques, les sbires du PAMPEG veulent des tragédies dégueues comme un abat de tripes sanglantes jetées dans la rue, humiliantes comme la gratuité de la haine, autodestructrices et veules…

        Quand, au plus fort de sa tyrannie, le PAMPEG paraissant solidement assis sur ceux qui opprimaient savamment ceux qui leur avaient été supérieurs, Clio fut arrêtée dans le maquis… En jugement express, celle qui avait le front de croire qu’elle allait inspirer encore quelques esprits supérieurs et individualistes, quelques bourgeois élitistes, quelques aristocratiques banquiers nostalgiques de leurs sofas dorés, fut condamnée à mort. Il ne fallait pas moins que la peine capitale à ceux qui conspiraient contre l’Egalité des vies et des destins. A l’aube d’une heure de grande écoute, elle fut pendue. On entendit en direct sur toutes les télévisions étatisées le craquement de ses cervicales dans l’air froid. Son corps à la tête ballante fut jeté dans un trou à fumier au-dessus duquel les pleutres du PAMPEG venaient pisser leur gloriole et chier leur diarrhée onomatopesque.

        Mais après l’exécution publique du traître à l’Egalité, qui fit jubiler groupuscules et foules dans des manifestations citoyennes qui remplirent rues et avenues, le nom de Clio commença à circuler d’une manière plus souterraine, à bruire sous quelques lèvres, à chanter dans le silence de quelques langues. Sa mémoire devint pour quelques-uns un devoir, un encouragement au secret individualisme, à un héroïsme peut-être à venir… Il fallut cependant attendre une décision plus terrible que jamais de Pan Crespès, de ses affidés, de ses reitres et séides, pour que l’exemple de Clio servit d’exemple vivace à la liberté, d’aliment à l’Histoire.

         Ce fut lorsque Pan Crespès et son gouvernement voulurent gérer l’amour et la distribution des couples en décrétant l’égalité de l’accès à l’éros pour tous, y compris des laids, des puants, des machos et des imbéciles à qui l’on octroyait de force un partenaire, que la révolte contre le PAMPEG au pouvoir éclata. Soudain, ceux qui croyaient encore à son idéologie de l’Egalité, malgré la pauvreté généralisée qui réduisait le peuple à orner les queues devant les magasins faméliques, sentirent la plaie de leur oppression s’ouvrir sous le sel de cette vexation: Pan Crespès était à la fois un commissaire armé du peuple qu’elle brisait, une talibane qui aplatissait sous le joug de la violence civile les mœurs, les vies privées, les goûts et les amours. Voilà à quoi avait mené le charisme de Pan Crespès... La majorité silencieuse et souvent pusillanime se leva au grand jour, rejointe aussitôt par les déçus du régime, par ceux qui sentaient soudain le vent tourner. Partout, tout soudain, on cessa de lui obéir. Cette désobéissance civile devant un totalitarisme impensé apparut aussitôt comme une vertu. Comment avait-on pu avoir les yeux et oreilles si pleins de sang, de pus et de merde pour accorder foi au programme social et économique de Pan Crespès ? La sainte colère de Melpomène ressurgit soudainement pour arrêter les pires responsables de la tyrannie. Seuls quelques disgraciés professionnels de la vie résistèrent devant son palais avant d’abandonner leurs armes à leurs assaillants, ou de tirer avec l’entêtement du désespoir sur leurs propres camarades, en un suicide orgiaque que peut-être ils supposaient pouvoir être étudié par les martyrologues futurs. Quelques hallucinés de l’Egalité se bardèrent alors l’estomac de ceintures d’explosifs et se firent éclater en intestins de feu parmi les foules des libérateurs des Muses, devant le parlement pacifié. On découvrit, au fond de son Elysée, Pan Crespès crispée sur une arme à gros calibre qu’elle ne pouvait se résoudre à armer, le visage plus fermé qu’une autiste, les dents serrés sur un bâton de réglisse moisi, les membres tremblant de peur et d’urine.

         Les bastilles insalubres où gisaient les contrevenants et opposants de Pan Crespès furent bruyamment ouvertes. On libéra les plus valides, soigna les blessés, souvent défigurés pour la peine d’avoir été beaux, intelligents, cultivés et entreprenants, ou pire d’avoir uni la réussite à la richesse, on rendit les derniers honneurs aux corps abandonnés dans les morgues et sous les remblais sommaires des terrains vagues, aux dernières cendres des fours.

           Dès le lendemain, avec la plus grande humilité possible, on rappela les Muses. On implora leur pardon. Elles vinrent. Et reprirent aussitôt leurs fonctions usurpées. Leur premier geste officiel fut de faire exhumer le corps de Clio, dont le visage avait été écrasé, dont la langue avait été broyée. On le posa respectueusement sur un bûcher de bois aromatiques qui brûla pendant une nuit entière, à l’issue de laquelle on vit de ses cendres fumantes, comme le phénix de la légende, ressusciter Clio, nue, telle la vérité. Aussitôt vêtue de lin blanc, souriante parmi les ovations, elle reprit ses fonctions de Muse de l’Histoire et de Ministre de l’Economie.

          Les Muses organisèrent un référendum pour retrouver leur légitimité politique. Il n’y eu que quelques non anecdotiques, à peine un peu plus de bulletins blancs ou nuls. De l’Egalité, il ne resta que la juste égalité devant la loi, celle qui veille à ne plus entraver les libertés. L’aristocratie éclairée des Muses se plia de nouveau à l’ancienne Constitution républicaine pour œuvrer à la reconstruction et distribuer généreusement, récompensant ainsi le travail et le mérite, quoique avec une logique dont elles avouaient humblement ne pas connaître tous les secrets, l’inspiration… Faut-il que nous, Muses, disions que cette inspiration dont nous sommes parfois prolixes et prodigues, parfois chiches, est un autre nom pour la génétique ? A moins qu’il s’agisse d’un contact éclairant entre les lois génétiques, entre des zones plus ou moins développées et entraînées du cerveau, avec le réel, l’éducation et les autres œuvres d’art et de science… Les gênes neuronaux peuvent-ils être sensibles au libre arbitre ? Les Muses sont-elles le signe de la dépendance des hommes ou de leur liberté ? L’aristocratie des Muses se teinta alors d’une humilité bienvenue.

           Lors du procès pour crime contre l’humanité, pour crime contre les Muses (n’avait-elle pas castré l’inspiration de l’humanité ?) dont l’instruction dura six mois (autant que le défunt règne printanier de la prévenue), devant la Cour pénale Internationale de La Haye, et sous l’œil impartial de Clio, on rapporta avec Polymnie les crimes de Pan Crespès et des ses plus cruels affidés : contre la Constitution, contre l’inspiration venue des Muses, contre la liberté des citoyens, contre la prospérité ; on écouta la procession des blessés défigurés dans les geôles à qui la chirurgie esthétique de nouveau permise rendait la dignité, les témoignages des mères, des filles, des pères et des fils, reconnaissant les morts, cherchant en vain les disparus… On ne sut jamais si, comme on le subodorait, Pan Crespès avait empoisonné David Doubs en lui servant intentionnellement la côte de porc fatale. Après avoir écouté les douze avocats de la tyranne déchue, un jury européen de vingt-quatre anonymes condamna celle qui semblait frappée de mutisme à vie, de stupidité éternelle, à la prison à perpétuité dans une cellule où on lui fournit avec humanité les bâtons de réglisse qu’elle mâchonnait cruellement quoique sans plus y trouver de goût, et maints ouvrages, livres qu’elle ne lut jamais, films qu’elle ne fit jamais scintiller sur un écran, consacrés aux plus grands crimes de l’Histoire, à toutes les  tyrannies infectes qui avaient avant elle sali l’humanité. Y compris l’essai magistral de l’historien Siméon Goldsberger, Histoire de l’ochlocratie contemporaine, où moi, Polymnie, j’ai puisé quelques uns des concepts qui ornent ce récit… Merci à vous, chères Muses ici présentes dans notre salon des récits, pour votre aimable participation.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

Extrait d'un roman à paraître : Muses academy

 

Potiers, Vienne. Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
12 avril 2012 4 12 /04 /avril /2012 07:01

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Muses Academy

 

XIX

 

Récit de la jeuvidéaste Calliope :

 

Civilisation, ou la guerre des neuf planètes. 

 

 

 

 

      Le Jeu raconte, mais Calliope est plus savante, qu’il fut créé par celle des Muses que l’on appelle Calliope. Et qu’Hésiode, le poète de la Théogonie, de la Création, la regarde comme supérieure à toutes les autres Muses, que Diodore de Sicile dit qu’elle est la plus savante d’entre elles, que la beauté de sa voix lui a permis ce nom, comme le sait notre historien ici présent de ses yeux feux, à moi farouchement, gracieusement abandonnés. Ce pourquoi, amies et concurrentes, vous allez devoir, en plus d’entendre mon récit, bientôt intervenir dans le Jeu. Jeu qui est à la fois la surface neuronale de mon moi, un logiciel complexe et un tableau polyplanétaire. Sans compter qu’il va révéler, s’il en était besoin, la véritable nature de chacune des Muses ici présentes. Mais n’imaginez pas un instant de vous sentir offensés et de vouloir vous venger de moi, comme lorsque Vénus a fait tuer Orphée. Je n’ai pas de fils, pas même l’historien ici présent, dont il serait vain, dans votre fureur rentrée, d’imaginer la peau brisée par des thyrses de base-ball, les membres arrachés par vos mains de boxeurs, les chairs déchirés par vos dents redessinées par la chirurgie esthétique. Suffit ! Que je lève la langue du récit, comme ceci, voyez, et vous êtes l’immobilité même, statufiés, avec seule la tendresse dans l’oreille. Clios, l’Historien, est mon immortel protégé, dont le talent va plus loin pour transcrire nos voix qu’un simple appareil enregistreur, magnétophone ou puce espionne, aussi loin que le peut la complicité de l’émotion, la sensualité des voyelles, la musicalité des consonnes, l’implicite des intentions et l’animation de cette éloquence qui m’est native, mais qui pour lui être totalement offerte mérite encore la chaleur de sa pédagogue. Regardez comme il brûle, dans ses yeux couleurs de fauve duveteux, dans ses empreintes digitales si douces et cependant nervurées comme l’intensité du plaisir, que je lui fasse l’amour. Peut-être, ne serait-ce, chers auditeurs, que pour vous voir rosir, verdir, bouillir et vomir, et s’il se conduit bien, le satisferais-je. Mais trêve de préambules mythologiques, j’en viens enfin aux labyrinthes imagés de mon nouveau jeu vidéo…

      Le Jeu raconte, mais Calliope est plus savante, comment j’ai créé et fait vivre, en passant par sa vaste expansion, jusqu’à l’imminence de sa destruction et jusqu’à son triomphe enfin, le Jeu vidéo bien connu qui embrasa et pacifia les passions. Dès l’instant de sa conception, je l’appelai « Civilisation ».

      Le Jeu raconte, mais Calliope est plus savante, que « Civilisation » n’est d’abord qu’un logiciel téléchargeable gratuitement, la première case individuelle d’un immense damier en réseau où chaque joueur se voit offrir, de manière aléatoire, un enfant vide. Car il n’a ni ADN ni éducation. Chaque action positive qu’impulse pour lui le joueur, qu’il s’agisse de manger, boire, jouer, mais surtout d’apprendre quelque chose sur lui-même et sur le monde, donne à cet enfant des points de gestation et de connaissance qui lui permettent de s’agréger avec un programme génétique dont les séquences sont péchées de manière aléatoire. Ensuite de se construire un programme éducatif qui enrichit ses possibilités. Quoiqu’en quelque sorte il hérite du patrimoine psychogénétique du joueur qui l’anime.

      Autant dans une sorte de magasin géant où l’on ne paie qu’avec la connaissance et des actions positives -autrement dit des points de Civilisation-, que par l’inventivité du joueur qui peut créer, vêtir et intelligir son enfançon, vont se mettre à vivre et à grandir sur le webjeu mille et un personnages. Au cours de divers apprentissages et épreuves initiatiques, comme apprendre à lire, résoudre des problèmes, sentir des émotions, passer des galops d’essai et des grands oraux, conceptualiser la beauté, produire des ressources agricoles et technologiques, commercer, construire des monuments…, peu à peu ils acquièrent expérience et se mettent à créer, multipliant ainsi leurs points de Civilisation, d’autant plus importants que l’on acquiert connaissances et compétences ; plus importants encore si l’on fonde des institutions démocratiques, si l’on contribue au bien être et à la prospérité du plus grande nombre, si l’on anime des sociétés non exclusives et originales, si l’on ouvre et remplit des bibliothèques, si l’on multiplie les œuvres d’art jusque dans le quotidien.

      Une fois devenu Aube de Civilisation, chaque enfant choisit parmi les neuf planètes celle où investir son capital de Civilisation et sur laquelle, devenu Etre de Civilisation, il peut engendrer d’autres enfants et constituer, ou reconstituer, un groupe de travail, une société. Ainsi, sur Uranus, il intégrera la Civilisation des architectes et astronomes, sur Terpsichora, celle de la danse, sur Clio, l’Histoire, sur Thalius, le cinéma, sur Euterpa, la musique, sur Eratora, la peinture, sur Polumnia, l’éloquence, sur Melpomus, le théâtre, sur Calliope, les jeux. Etant entendu que cette dernière planète est centrale et fournit l’énergie qui fait tourner les huit autres autour d’elle, se nourrissant en retour des arts et des sciences que vous animez et enrichissez pour mon curieux appétit de savoir. Bien sûr, en conséquence, chacune de ces neuf planètes est une cité de la Vertu, du bonheur et de la liberté…

     Sur quelque planète que ce soit, on a la possibilité autant de ressusciter une civilisation disparue que d’inventer de nouvelles, la seule condition étant que le loisir favori de ces sociétés soit en accord avec la destination artistique de chacune des planètes. Néanmoins, il est permis de migrer au gré de ses désirs et plaisirs d’une planète à l’autre, sachant qu’en partant on laisse en héritage la moitié de ses points de Civilisation. Une saine émulation conduira ainsi à décerner au cours de jeux floraux une couronne de Civilisation autant à la planète qui aura le plus brillé parmi ses  concurrentes qu’aux individus qui auront le plus bellement fait prospérer sa société et son être de Civilisation, que ce soit dans la collectivité de l’économie ou dans la solitude de son art, sans que l’un empêche l’autre y compris au sein d’un même et individualiste joueur. La concurrence et l’émulation -donc la liberté- règnent de fait dans « Civilisation ».

      La pose des pierres architecturales vaut à chaque joueur un point de Civilisation par pierre, une caresse du regard vaut un point, un sonnet vingt points, une amitié trente points, une technologie innovante et positive, qu’il s’agisse d’usinage, d’organisme génétiquement modifié, de nanotechnologie ou d’informatique, vaut cinquante points, un amour soixante points, l’éros accompli quatre-vingts, la création d’une œuvre d’art réussie vaut cent points, deux cents s’il s’agit sur Calliopa d’une œuvre d’art totale, sans compter dans les deux cas précédents l’immortalité muséale conférée à son joueur-auteur. Une religion paisible aux transcendances puissantes vaut également deux cents points. Une constitution équilibrée, tolérante et effective vaut trois cent points, en tant qu’œuvre d’art politique…

      Chaque société étant libre de prospérer et d’inventer, déjà l’on voit se mettre en place, depuis le solitaire ordinateur d’un rêveur entreprenant, la fondation de la Cité céleste et ses voix d’anges exaltées sur Euterpa, à laquelle d’autres joueurs, voire un collectif de joueurs, peuvent apporter leur partition, leur logiciel et leurs fonctionnalités si le fondateur y consent. Plus loin, l’un imagine de faire revivre et réussir les communautés anarchistes agricoles du XIX°, l’autre de mettre en scène sur Thalius la bourgeoisie commerçante hanséatique. Ainsi, sur Eratora, les Anasazi du Nouveau Mexique peignent de nouveau sur le sable, les condottières de la Renaissance italienne, le livre de Machiavel à la main, établissent la paix autour de la prospérité florentine, les quakers de la Nouvelle Angleterre concourent aux brouillons et à l’achèvement de la constitution américaine à la fin du XVIII°. Cependant, les civilisations conceptuelles et utopiques ont autant de réalités que les autres. Sur Terpsichora, nait le ballet Alice, développé à partir du livre de Lewis Carroll. Un joueur restitue l’Ile d’utopie de Thomas More avec ses habitants, ses structures économiques et sociales, un autre donne vie à la société communiste idéale telle que l’a rêvée Marx à la fin du Manifeste du parti Communiste… D’autres réécrivent l’histoire en célébrant la réalité des plus belles uchronies. Un joueur spécialiste de l’antiquité romaine imagine d’engager Auguste à libérer tous les esclaves, préparant la première démocratie constitutionnelle alliée avec un tolérant polythéisme, évitant ainsi les succès planétaires d’un obscur prophète appelé Jésus et cantonnant par la suite dans les sables brûlants de l’Arabie un Islam à jamais resté embryonnaire et desséché. Un autre fait intervenir militairement l’Angleterre et la France lors de la remilitarisation de la Rhénanie puis de la prise avortée des Sudètes empêchant ainsi Hitler d’être autre chose qu’un médiocre tyran bientôt affaibli par la prospérité des démocraties environnantes et chassé sous les huées du peuple allemand.

 

Joan Blaeu : Atlas Maior, 1655.

 

 

      Mais, me direz-vous, la violence, le crime, le mensonge, en un mot le mal, n’existaient pas dans « Civilisation » ? Eh bien non ! Comment aurait-il pu y prospérer puisque je n’avais fourni que des briques vertueuses et heureuses à chaque joueur en réseau pour construire et s’échanger la sensation unanime de l’amour.

      Quand apparut soudain, comme une tache en fond d’œil, un virus, un site malade, qui gangréna « Civilisation ». Sur Terpsichora en effet, un accident malheureux, quelque fuite de gaz peut-être, endommagea gravement une pâtisserie d’art, en tuant deux danseuses gourmandes… Quoi ! On égorgea bientôt là-bas de manière atroce quelques jeunes chevreuils de ballet, ces garçons un peu chiens fous mais ravissants. Avais-je commis quelque erreur ou mauvaise vue dans un coin égaré de « Civilisation » ? Etait-ce d’avoir laissé vivre les émotions et l’affect dans toute leur splendeur ? Des joueurs, me semble-t-il, s’étaient sentis frustrés de ne pas engranger autant de points de Civilisation que d’autres, s’étaient aigris de ressentiment au point de laisser pourrir leur jalousie et de jeter des éclaboussures de haine. Ils s’étaient donc désintéressés du bonheur de construire et de la suavité des œuvres d’art parfaites ! Auquel cas peut-être devais-je, non sans châtier là-bas les crimes, faire preuve de tolérance envers ce sentiment d’abandon qui animait des joueurs de Civilisation moins favorisés… A moins que les utopies collectivistes et anarchistes aient révélé leur impossibilité native… Etait-ce la liberté que j’avais posée en dogme qui d’elle-même s’était égarée ? Ce libre-arbitre là incluait-il le possible choix du mal ?

      Le Jeu raconte en effet, mais Calliope est plus savante, qu’un disque dur s’est installé dans « Civilisation » au point de rapidement prospérer comme un Jeu concurrent, dont on apprend bientôt que le créateur est Melpomus par son prière d’insérer qui se veut un addenda à « Civilisation » : « Sur notre planète Melpomus, les points de Civilisation sont trop chichement répartis. Pourquoi ? Parce qu’un théâtre sans tragédie, ou du moins qui ne repose que sur la fadeur de la fiction et sur aucune tragédie réellement vécue et ressentie par les joueurs, n’est d’aucune créativité, d’aucune force esthétique et morale. Toutes les œuvres de « Civilisation » sont lénifiantes et niaises comme l’ennui du bonheur : en un mot médiocres. Pas de bonne tragédie sans le mal, son influence, sa douleur et son vécu. La fadeur d’une vie bonne ne vaut pas la puissance d’une vie excitée par le mal et vécue dans la tragédie. Ce pourquoi je propose à ceux qui voudront me rejoindre un théâtre où s’épanouira et s’épanouit déjà l’intensité immarcescible du tragique : j’ai nommé « Barbarie », le Jeu magnifiquement concurrent, le Jeu où les points de barbarie s’acquièrent en clin d’œil. Au lieu de longues journées et années de Jeu pour accumuler un maigre panier de points de Civilisation, il suffit d’un coup de hache dans un corps -et non dans un arbre dans le but fastidieux de construire une maison- d’un jet d’essence et de flamme sur un musée ou sur un théâtre aussi trompeur que le fatigant labeur de la fiction pour voir régner autour de soi les pleurs et le sang, le vice et la mort, pour aussitôt donc amplement moissonner les points de Barbarie qui vous sacrent instantanément barbare de choc. Qu’importe si vous-même êtes fauché dans la moisson de tripes et d’écorchés, vous voilà auréolé, dans d’éternelles représentations, sur le théâtre de Melpomus, du titre de Grand Héros Tragique dont les exploits seront sans cesse joués sur les scènes de la mémoire. » On ne s’étonnera pas si, parmi les neuf planètes, la contagion de cette exaltation virale et l’extension du conflit avec « Civilisation » s’envenimèrent comme une traînée de sida…

      Le Jeu raconte, mais Calliope est plus savante, que dans « Barbarie », des joueurs pervers se liguent pour installer la victoire des Nazis et des Japonais sur les terres des Etats-Unis, comme dans Le Maître du haut château de Philip K. Dick. D’autres généralisent le succès des plus cruels jeux du cirque romains, ou reprennent les recettes éprouvées des guerres tribales primitives qui tuèrent jusqu’à quatre-vingt pour cent de la population des jeunes hommes, ou encore font revivre les surabondants sacrifices de jeunes filles nubiles pratiqués par les couteaux d’onyx des anciens Aztèques…

      C’est ainsi que jusque dans « Civilisation », les communautés agricoles anarchistes se mirent d’abord à dégénérer dans la procrastination, l’impéritie, les vols, dans les luttes intestines pour le pouvoir, les crimes politiques et les famines. Que la réalisation apparemment parfaite du communisme marxiste originel se gangréna aussitôt de la conception de tyrannies échevelées où fumèrent dans le froid les archipels des goulags, où gelèrent les cadavres que le permafrost sibérien et les sables volatiles du Gobi chinois ne permettaient plus d’enterrer, où les yeux des mères et des fiancées tombaient comme des billes putréfiées, leurs larmes évaporées sur un sol inhumain… La planète Polumnia se révéla soudain totalement gagnée par « Barbarie ». Comment la terre de l’éloquence avait-elle pu faire allégeance à celle qui semblait être par nature la terre du mal ? On peut supposer que pour elle, être juge éloquente était plus excitant dans « Barbarie » que dans la forme précédente du Jeu, où elle animait de démocratiques, nuancés et courtois débats. Que la copulation récurrente qui occupait les héros de Melpomus et de Polumnia était une copulation de combat, barbare et sadomasochiste… Sans qu’on sache qui était le sado et qui était le maso. Les viols de prédateurs et de prédatrices devenaient monnaie courante, monnaie de points de Barbarie qui déboulait comme jackpot sur deux planètes enfiévrées.

      Les Jeux racontent, mais Calliope est plus savante, que le combat de Calliope et de « Civilisation » contre Melpomus et « Barbarie » essaima parmi toutes les joueurs et devint la guerre des neuf planètes. Terpsichora est soudain détruite en guise de déclaration de guerre. Un sombre ballet de linges noircis et ensanglantés n’y danse plus que parmi les ruines de la schizophrénie suicidaire.

      (...)

Voir : Muses Academy, sommaire et synopsis

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
9 avril 2012 1 09 /04 /avril /2012 15:34

 

Museu diocesa, La Seu d'Urgell, Catalunya.

Photo T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Roberto Bolaño

et les parenthèses du chien romantique.

 

 

Arturo Bolaño : Les Chiens romantiques, Un Petit roman lumpen, Trois,

traduits de l’espagnol (Chili)

par Robert Amutio, Christian Bourgois, 96 p, 96 p, 112 p, 12 € chaque.

 

Roberto Bolaño : Entre parenthèses,

traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio,

Christian Bourgois, 490 p, 25 €.

 

 

 

      Pourquoi qualifier Roberto Bolaño de « chien romantique » ? Né dans l’enthousiasme de la jeunesse, de la poésie et de l’amour, il voit son monde laminé par le fascisme de Pinochet, amis dispersés, disparus d’on ne sait quelle atroce façon, lui-même emprisonné quelques jours… L’exil, mexicain, puis espagnol, le laissera sans cesse nostalgique de cette période édénique. Il passera sa vie d’écrivain à osciller entre la scène originelle de la naissance à la jeune poésie chilienne, le traumatisme de la révolution châtrée, puis le tableau d’un quotidien morose, parfois étrangement illuminé par l’examen clinique de ce « secret du mal[1] » pour toujours inaccessible. C’est de ces trois manières que relèvent les trois minces inédits -par la taille et non par leur dimension esthétique et éthique- publiés en bouquet, un surmontés par les fulgurants poèmes gravés dans Les Chiens romantiques. Récits et vers que l’on ne mettra pas Entre parenthèses, comme la modestie de l’écrivain le propose pour une belle poignée de petits essais critiques et autres chroniques.

      Sortis étouffés, épuisés, estomaqués, éblouis, des mille pages de l’immense 2666[2], quête presque infinie de la vérité d’un écrivain mythique, Arcimboldo, et de la résolution impossibles des assassinats de jeunes femmes qui gangrènent le Mexique, nous avions retrouvé en un plus concis roman la quintessence de Roberto Bolano. Ce fut la relecture du fabuleux, percutant, indépassable Nocturne du Chili[3]. Où la culpabilité, la passivité complice devant les crimes hallucinants du fascisme de Pinochet, émanaient d’un magnifique, troublant, cataclysmique monologue du curé Icabache. Pourtant le régime d’Allende, d’un socialisme à la lisière du bolchevisme, n’était guère brillant. Reste à imaginer l’envers nécessaire, où notre bolanien curé ferait son mea culpa en séide du communisme, laissant ainsi la mémoire chilienne devant le biface de sa vérité tyrannique, maintenant qu’heureusement lui a succédé la démocratie libérale…

      Plus modeste encore, ce bouquet de trois inédits, cependant d’autant indispensable à l’aficionado bolanien. Le Petit roman lumpen, est bien dans la manière apparemment pétrie de banalité sociologique de Bolano. Son sous-prolétariat, à la frange de la pauvreté, est constitué d’un frère et d’une sœur qui ont perdu leurs parents dans un accident. Ils ont abandonné le lycée, l’un pour fréquenter des salles de musculation et des amis quelconques, l’autre pour se faire employée de coiffure. Et narratrice romaine de cette tranche de vie falote où la lumière du ciel est étrange, où les sensations frisent l’instabilité métaphysique, le fantastique. La crise économique est suggérée, sans misérabilisme, la fascination irrationnelle de la délinquance trouble la jeune fille dont « l’histoire perd encore plus ses contours », avant qu’elle se prostitue à une ex-star du culturisme et du cinéma peplum, dont le sperme est, selon les points de vue, alternativement « doré » et « noir ». C'est volontiers sordide, sans que les personnages, à la recherche d’un coffre-fort et de la tentation du mal qui les sauveraient de leur médiocrité, en aient complètement conscience. L’écriture parait simpliste, quoiqu’assurée, lorsqu’une béance, une soudaine métaphore jaillit : « une fragilité qui ressemblait à une raie manta tombant du plafond ». Est-ce une satire ? Le constat d’une déréliction contemporaine ? Le tableau de la vanité humaine est tenu à bout de bras par le talent époustouflant d’un Bolano qui sait nous rendre intéressant, presque magique, ce qui pourrait ne pas l’être, comme ce « visage dans l’attente » de la narratrice qui parvient à une « lucidité »…

      Dans Trois, des proses poétiques autobiographiques parcourent d’abord comme un « kaléidoscope » la ville de Gérone. Le poète est inquiet de son droit de séjour, de « l’argent comme cordon ombilical qui te relie aux jeunes femmes et au paysage »… Cinquante-sept « rêves » font « Un tour dans la littérature », où Kafka « voyait brûler le monde », où Pérec « avait trois ans et pleurait, inconsolable ». Le panneau central du triptyque est un fabuleux poème mi-épique, mi-lyrique, au souffle sombre et heurté, qui raconte un voyage vers un « Pérou légendaire » par quelques Chiliens. De leur « bouche ouverte […] sortent / Les rêves : des empreintes / Fossiles / Colorées avec la palette / De l’apocalypse. »

      Tout aussi fulgurants sont les poèmes de ces Chiens romantiques qui, auprès du mal, aboient à la lune de la liberté, de l’amour et de la poésie… Parfois cette dernière a, chez notre malheureux chien littéraire pistant les énigmes du monde, la rapidité omnivore de Ginsberg, parfois elle a l’émotion bouleversante du poème presque final et néo-classique dédié à sa « Muse » : tour à tour à « seize ans », tour à tour dans la maturité, elle est « dans la file / des prisonniers politiques », quand il est son « sillage élégant ». Parmi des vers libres que l’on pourra juger inégaux, se détache un trio dédié aux « détectives », qui sont la mise en abyme d’un plus immense roman : Les Détectives sauvages[4], parmi lequel il voit « les livres de questions que personne ne résout / Les archives ignominieuses ».

      En une réelle lucidité, et non sans amertume, il prend ses distances avec le mythe révolutionnaire : « La révolution s’appelle Atlantide / Et elle est féroce et infinie / Mais elle ne sert à rien ». Le pathétique, y compris en faisant l’amour à des femmes plus inquiètes encore que le poète, côtoie le morbide : « J’avais vu la mort copuler avec le rêve ». On a la sensation terreuse d’entrer « Dans la salle de lecture de l’Enfer » où feuilleter « un recueil de poèmes de terreur », recueil explosif que l’on regrette d’ailleurs de ne pas être bilingue.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Roberto Bolano a les qualités de ses défauts. Délicieux bavard, littérateur et critique sans avoir l’air d’y toucher, il parait en ses parenthèses critiques préférer les anecdotes, les impressions amicales, aux analyses exhaustives, par pudeur, de peur peut-être d’ennuyer son lecteur. Et soudain, parmi cette conversation apparemment légère, ces discours, ces chroniques et un entretien, ces brefs carnets de voyage entre Vienne, Teruel et Blanes où il vivait, un éclairage original et inattendu, une phrase magique, un paragraphe fulgurant nous stupéfient.

      Au déroulé de tant de petits textes, dont le titre, Entre parenthèses, montre la modestie de la dimension et du propos, le lecteur reste trop souvent sur sa faim. A force d’évoquer ces poètes, ces écrivains espagnols et latino-américains que nous connaissons parfois ou qui nous restent douloureusement inconnus, et au vu de l’admiration que Bolano leur voue, une sensation de manque s’installe : que ne trouve-t-on plus souvent un bref résumé de roman, une citation, quelques vers, de façon à ce que nous puissions entièrement partager l’empathie du chroniqueur, de façon à ce que notre curiosité ne soit pas trop déçue, sinon satisfaite, du moins assez excitée pour nous nous précipitions sur ces écrivains qui probablement mériteraient de devenir également nos amis…

      Ainsi, Cesar Aira[5], Roberto Piglia, souvent des romanciers argentins, mexicains, sont en quelque sorte, et pour reprendre un de ses titres, les « étoiles distantes » de notre critique. Ils s’appellent également Bioy, Donoso, Tomeo, Vila-Matas, parmi l’aire entière de la langue espagnole… Ce sont aussi des poètes, souvent espagnols, auxquels il rend visite, comme Olvido Garcia Valdés, « dont la capacité de provoquer l’inquiétude, la réflexion, le plaisir esthétique ne décline pas au fil des jours ». Elargissant l’orbe de ses curiosités, il évoque Cervantès, Amis, Burroughs, K. Dick ou Hannibal de Thomas Harris, accordant une aura privilégiée à Melville, une spéciale admiration à Vargas Llosa, évidemment à Borges, dont il cherche à Genève la tombe, pour y trouver les corbeaux de Poe.

     Roberto Bolano, dont on connait l’ampleur et l’acuité de romans insurpassables comme 2666 ou Nocturne du Chili, est certes ici pieds et poings liés par les contraintes du genre. Ce sont en effet de brèves chroniques pour un journal catalan, puis un quotidien chilien. Mais très vite, la si reconnaissable voix bolanienne s’installe, en toute  musicalité amicale et intellectuelle, parfois impitoyablement provocatrice. Il sait cingler les mauvais, dont nous tairons les noms, et les bons faiseurs de clichés, comme la romancière chilienne Isabel Allende : malgré ou de par son « glamour », son « kitsch », « la littérature d’Allende est mauvaise, mais vivante ». Et comme elle, Paolo Coelho n’a qu’un mérite : « il vend des livres ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Mieux, Roberto Bolano rédige « Trois discours insupportables », des pages plus denses, des conférences dans lesquels il tacle la gauche sud-américaine : « Nous avons combattu pour ses partis qui, s’ils avaient remporté la victoire, nous auraient envoyés immédiatement dans un camp de travail forcé. » Ce qui est une façon discrète de renvoyer le socialisme d’Allende, balayé par Pinochet, à ses réalités. Comme Cervantès, il choisit, au-delà du métier des armes, celui de la poésie : « savoir mettre la tête dans l’obscur, savoir sauter dans le vide, savoir que la littérature, fondamentalement, est un métier dangereux. » Plus loin, il croise un libraire qui lui parle de « plus d’un romancier capable de recommander ses propres livres à un condamné à mort ». Ironie ou profond sérieux lorsqu’il s’agit de « lecteurs désespérés » ? Dans sa « cuisine littéraire », il « affronte son adversaire sans faire ni demander de quartier ». Une éthique alors traverse les humbles prestations de l’écrivain, en marge du grand-œuvre, celle d’une urgence devant le tragique de la condition humaine, à traiter avec ce qu’il faut de légèreté, d’angoisse et de grandeur. Façon d’évoquer discrètement les thèmes de ses grands romans, le mal fasciste chilien et le mal assassin mexicain, mais aussi bien sûr universel, le mystère de l’écrivain au centre du maelstrom, depuis Les Détectives sauvages jusqu’au cosmos douloureusement terrestre de 2666, en passant par l’introspection coupable et fulgurante de Nocturne du Chili.

      Si brèves que soient ces pages, certaines s’installent durablement dans la mémoire du lecteur, telles d’évocateurs poèmes en prose, d’incisifs essais. Ainsi, dans « Civilisation », il compare l’odeur du napalm, qui est celle de la victoire pour le personnage d’Apocalypse now, à celle des crèmes bronzantes : ces onguents « sentent la démocratie, ils sentent la civilisation ».

      Ainsi, malgré la modestie apparente des propos, le côté recueil de circonstance et posthume, ce livre devient nécessaire, y compris en recueillant un entretien pour le magazine Playboy : il est la bibliothèque intérieure, car « pour le véritable écrivain, l’unique patrie est sa bibliothèque », il devient l’autoportrait sensible et intellectuel de notre auteur chilien météorique et préféré.

      Mal ici et maintenant, mort en 2003 à cinquante ans, nostalgique d’une jeunesse chilienne poétique à jamais perdue, confronté à la concaténation du mal, sans espoir autre que la littérature qui seule lui rendit ses aspirations à une totalité brisée, sans les résoudre en sa « pugnace vie livrée aux intempéries », que ce soit dans ces petites parenthèses ou dans ses roman-monstres Roberto Bolano est bien notre « chien romantique » préféré…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Titre d’un mince récit  d’ailleurs aussi décevant que la quête impossible de la résolution du mal, dans Le Secret du mal, Christian Bourgois, 2009.

[3] Voir note 2.

[4] Roberto Bolano : Les Détectives sauvages, Christian Bourgois, 2006.

 

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
7 mars 2012 3 07 /03 /mars /2012 09:35

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

 

Les Sphères de Peter Sloterdijk,

 

esthétique ou éthique politique

 

de la philosophie.

 

 

 

 

        Esthète ou philosophe politique ? Nouveau Copernic de la philosophie ? Ne sont-ce que d’élégants « globes » à l’érotisme flatteur ou englobent-ils avec rigueur toute la pensée humaine, jusqu’à un penser le monde contemporain… La parution du troisième volet du triptyque intitulé Sphères, permet enfin de tenter une vue synthétique, quoique forcément modeste et lacunaire, devant la pagination monstrueuse et bouillonnante de ce philosophe allemand à la mode, qui, si sa pertinence est avérée, mérite de le rester. Peter Sloterdijk, né en 1947, professeur d’Esthétique à Karlsruhe, est en effet l’auteur d’une œuvre profuse qui dénonce la mort de l’humanisme et promeut une réflexion globale sur l’histoire de l’humanité autant que sur les perspectives de notre temps. Si cette grande figure de la philosophie contemporaine a séduit de nombreux lecteurs, son audace polémique et politique n’a pas manqué de le placer sur le fil de controverses brûlantes. C’est après avoir salué l’importance de son premier ouvrage, Critique de la raison cynique[1], depuis traduit en une trentaine de langues, qu’Habermas lui-même s’est scandalisé des propos, selon lui eugénistes, de ce penseur gargantuesque. Comme d’autres se sont étranglés devant ses remises en question de la gauche, de l’impôt… Quoique les écrivains ne soient pas « les coursiers de l’absolu, mais des individus qui ont à l’oreille les détonations de notre temps »[2], force est de constater que le démiurgisme totalisant de Peter Sloterdijk et son habileté polémique sont triplement séduisants : autant par les positions conceptuelles que par la dimension esthétique, non moins que par la subtile et judicieuse boite à outils de la pensée politique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rigueur baroque du philosophe

 

        Par sa position conceptuelle d’abord : rien moins que dire le monde sous l’égide des sphères, cercles, boules et autres globes, de façon que rien ne lui échappe, que tout y trouve place ordonnée. Une sorte de tentative philosophico-romanesque de raconter la pensée de l’homme au cours d’une traversée cependant non totalisante de la pensée, dans laquelle la recherche des angles d’attaques prévaut sur le concept d’unification générale. « La philosophie, aujourd’hui, c’est l’art d’établir un rapport immédiat avec des supercomplexités »[3]. Voici donc une histoire de la philosophie au travers des bouleversements dans la conception du monde sphérique. Mais aussi à travers l’idée de « l’immunologie générale », depuis les rituels primitifs, en passant par le système du droit, jusqu’à l’immunologie biologique et thérapeutique de la science, de façon à nous protéger de l’irrationnel, de la criminalité et de la mort[4]… Enfin, à travers une remise en cause de « la boutique d’antiquité de gauche » et « la tradition paranoïaque du marxisme[5] » , il s’agit pour lui de refonder une éthique politique.

        Posture esthétique et esthétisante ensuite. Le lecteur qui aurait crainte de s’engager dans un ensemble ardu et hautain, jargonnesque et pesant (totalisant en trois volumes quelques deux mille et cent pages, parmi une vingtaine de volumes publiés) a la surprise de se sentir guidé par une main prudente et néanmoins propice à la pyrotechnie langagière et conceptuelle, touché par l’élégance de la prose et surtout instantanément conquis par la sûreté conceptuelle, les allusions culturelles, les rapprochements surprenants et rarement vains… D’autres seront irrités par cette maestria, ce jonglage de concepts, de faits et d’images ; voire ce bavardage, cette esbroufe, diront les plus récalcitrants. Bien des philosophes de profession ont été d’abord déconcertés, ne serait-ce que devant ce très beau moment ontologique d’écriture autobiographique, prénatale et placentaire, dans le chapitre V de Bulles[6] : « Boule de basalte noir, je repose en moi, je couve dans mon milieu comme une nuit de pierre. »… En effet, l’engagement stylistique de cette littérature pensante pratiqué par Sloterdijk, déploie une inventivité rhétorique autant qu’une manière pour le moins originale de construire et de développer ses livres comme des romans philosophiques, non sans mêler à cette distanciation sereine qui fait le philosophe, autant le lyrisme de la prose que les perles métaphoriques, autre sujet d’irritation pour les grincheux. Les néologismes abondants marquent l’avancée intellectuelle et imagée du philosophe esthète : « sphérologie », « insulations » « atmoterroriste », « érototope »… Sans compter qu’il s’attache à des sujets aussi scabreux que réjouissants pour ce rabelaisien encyclopédiste : du « latrinocentrisme » et de « l’autocoprophagie » à la « Merdocratie », dans Globes[7] jusqu’à « Pisser contre le vent idéaliste » ou « Du point de vue sémiotique, nous comptons le pet dans le groupe des signaux » (dans Critique de la raison cynique[8]) ce qui est suivi par une pétomane anecdote venue de La Guerre des Juifs de Flavius Josèphe. Son sens de la formule est souvent aussi insolite qu’éclairant : la ville antique comme « système immunitaire », l’enfer comme « antisphère » ou mieux encore, dans Colère et temps les partis de gauche vus -non sans ironie- comme des « banques de la colère[9] »…

        Certes, Peter Sloterdijk est professeur d’Esthétique. Il est inutile de ce fait de lui rappeler la traditionnelle opposition kierkegaardienne selon laquelle l’éthique est le stade supérieur de l’esthétique ; imaginons cependant qu’il l’a dépassée en postulant que l’esthétique est la forme parfaite de l’éthique ; en effet, la dimension de l’esthétique est constitutive du contenu de vérité des connaissances. Point n’est besoin du jargon philosophique sous-heideggerien, rien de pesant, l’écriture et la curiosité intellectuelle sont sans cesse stimulantes. A la rigueur conceptuelle de la démonstration s’ajoute, sans rien y gâter, une écriture baroque. Ainsi ce poète du concept, comme il le note au sujet de Nietzsche dans Le Penseur sur scène[10], échappe à la froideur désincarnée attendue de ses pairs, et assure une bonne partie de son succès. Car, outre sa capacité à balayer l’art et l’histoire, autant qu’à se mettre à l’épreuve de la mobilité du contemporain, il anime, non sans humour une sorte de suspense sensuel et vigoureux, parfois émaillé de bombes polémiques…

 

De la gestion du parc humain

        C’est en 1999 que Règles pour le parc humain, provoqua une rude controverse en Allemagne, et au-delà. Oubliant leurs éloges, Habermas en tête, les détracteurs de Peter Sloterdijk n’apprécièrent guère l’emploi de mots plus que connotés comme « sélection natale[11] », lorsqu’il commenta les biotechnologies et la génétique. De par un réflexe pavlovien au vocabulaire, on n’y vit rien moins -et le plus abusivement du monde- qu’une apologie de l'eugénisme nazi. Pourtant, contrant l’excès de moralisme d’un humanisme naturiste et désuet qui s’attaque aux techniques du vivant, il ne faisait qu'y souligner l'antiquité de la sélection que s'impose l'humanité, plaidant pour une gestion plus libérale de la fabrication des humains : résultats d’un « élevage » et d’une « sélection », ne serait-ce que par l’éducation et le choix du partenaire, sans compter les avancées anthropogénétiques qui visent à produire un homme exempt de maladies génétiques, voire de tares morales, qui resteraient -non sans danger- à définir. Peut-être s’agit-il d’un humanisme nouveau, quoique Sloterdijk n’ait pas ouvert la boite de Pandore de la liberté procréative par manipulation génétique (et pourquoi pas ?) mais proposé un peu plus tard l’interdiction, pour le moins  prudente, de toute tentative en ce sens. Sloterdijk va-t-il au bout de sa pensée ? Importerait-il de souligner que cette « sélection prénatale » n’est pas l’eugénisme soustractif nazi, mais la liberté de choix parentale (donc non issue de la tyrannie d’un pouvoir collectif), quoique avec le soin de ne pas oublier la liberté de celui qui est conçu de par la peut-être trop précise volonté des géniteurs…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Du rire cynique et de la raison

        Cette coqueluche de la philosophie a souvent eu de quoi irriter les moins frileux. Dans le si brillant essai Critique de la raison cynique, allait-il jouer à l’antihumaniste, reprochant au rationalisme des Lumières les tyrannies qui l’ont suivi ? L’impasse du projet de l’Aufklärung n’aurait plus selon lui comme échappatoire que le rire roboratif du cynique antique et non celui du cynique moderne, ce nihiliste de la dérision… N’allons donc pas croire qu’il élabore un projet anti-Lumières… Au contraire, promouvant une alternative à la « pénombre cynique » (p 109), Sloterdijk nomme insolence « kunique » (p139) cette résistance au cynisme moderne qui se ferait humour vivant et insolent de la vérité. Face au vieux cynisme bougon et désabusé, il faut être l’homme-chien de Diogène : primaire, instinctif, bestial, anti-réflexif, anti-théorique, anti-idéaliste : incarner dans la bassesse du corps toute l’altitude d’une Aufklarüng joyeuse et véritablement débarrassée de toute forme de téléologie, ce en quoi il reste dans la tradition nietzschéenne. A moins que l’esprit manque ici : on sait combien le corps peut être porté aux bas instincts, aux idéologies simplistes et lourdes. Nietzsche lui-même aurait été effrayé par ceux qui l’ont falsifié, récupéré. Le saut conceptuel sloterdikien ne laisse pas de surprendre, même si l’on a bien compris que l’esprit ne lui fera guère défaut puisqu’il conclue sur le « sapere aude », le « ose savoir » kantien[12], comme condition d’une vie réussie, et donc imagine un nouvel humanisme. Dans le court essai « La vexation par les machines[13] », il ajoute : « L’entreprise Aufklärung (…) demeure un jeu gagnant au cours duquel ils peuvent échanger l’illusion contemplative contre le pouvoir opérationnel ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sphères, bulles, globes et écumes

        Cette énorme trilogie baptisée Sphères n’a qu’un défaut majeur : on n’a pas encore inventé le livre sphérique qui pourrait contenir cette histoire du monde par concepts… Le premier volume, Bulles, va de l’utérus à l’extase mystique, interrogeant -entre autres- psychanalyse et religions (de Platon à Lacan), mais aussi les conditions qui permettent à l’homme de se rendre le monde habitable, qu’il s’agisse du monde concret ou du monde intérieur, tous deux pensés comme circularités. Cette complétude recherchée ayant longtemps coïncidé -du moins dans la pensée occidentale- avec le géocentrisme, qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Le second, Globes (dernier paru en France, conformément au vœu de l’auteur), s’intéresse à l’histoire politique : de la perfection initiale et terrienne issue de la totalité divine, à la globalisation, en passant par la révolution copernicienne, le monde peut passer au-delà de sa clôture pour envisager l’infini. Il n’est pas indifférent que ce qui devait être le huitième et dernier chapitre en ait été détaché pour être indépendamment publié sous le titre Le Palais de cristal. A l’intérieur du capitalisme planétaire[14], brillant exercice de style autour de la mondialisation de la consommation et de la communication, dans lequel le palais de cristal est la métaphore des « ambitions finales de la modernité » (p 253). Ecumes[15], enfin, voit se disperser les bulles individuelles et ces écumes que sont nos sociétés : comment concilier individualisme et circulation, espace séparé et espace global ? Expansion de l’individu et ses limites démultiplient alors les aspirations autant que les frustrations et une certaine nostalgie d’une ronde solidarité (peut-être mythique), d’où les révolutions et les utopies… Sans compter que « sur les marchés destinés à la jeunesse, où l’on diffuse le prêt-à-révolter, le mal intégré paraît cool[16] ». Quant à « la vague individualiste », elle est pour lui « une forme luxueuse de l’être-dans-le-monde ». Ainsi nos « écumes » contemporaines s’achèvent sur cette « rose des vents du luxe » qui va de pair avec le « libéralisme érotique[17] » . Notre philosophe alors en appelle à des solidarités à venir pour éviter que le tissu des « écumes » se déchire définitivement. L’hédonisme est-il la fin de l’Histoire ?

       C’est ainsi que, de la Bible utérine à la société de l’abondance et des médias, Sloterdijk englobe dans une trinité sa réflexion d’abord métaphysique et ensuite politique grâce à un faisceau de métaphores filées autour de la circularité de notre espace terrestre, cosmique et communicationnel : il nous dit comment habiter le monde en cohérence avec cette sphéricité autant spatiale qu’intellectuelle, économique et fantasmatique. Pensée non plus systémique, mais métaphorique, intertextuelle, en ce sens postmoderne. Que nourrit également une riche iconographie puisée dans toute l’histoire de l’art, des sciences et de l’architecture. Penser le tout, au sens hégelien, devient, chez Sloterdijk, penser en tous sens. Mais nous ne lui ferons pas l’injure de dire qu’il ne pense qu’en rond… Comme le « danseur de corde » du prologue du Zarathoustra de Nietzsche qui finira par tomber, risque-t-il de choir dans le grand écart entre métaphores poétiques et prudence philosophique ? Est-on sûr que la métaphore puisse tenir lieu de concept ? Ce en quoi cette lecture du monde comme « sphères » peut paraître forcée, comme un prétexte à penser plus qu’une pensée finie et close, à moins d’une floraison de pistes destinées à germer, comme le chou-fleur qui multiplie lui-même ses arbres et ses fleurs fractales... Ce philosophe bien carré dans ses raisonnements autant que florissant des écumes d’une pensée multipolaire peut apparemment sans peine porter comme Atlas toute la terre philosophique et caresser les rondeurs d’une pensée, depuis la boule du divin où le centre est partout est nulle part jusqu’aux fractales écumes de l’individualisme contemporain, en passant par l’analyse critique des systèmes politiques successifs. Voici par exemple comment il définit le postcommunisme : « un passage entre des systèmes fondés sur la dynamique de la colère et de la fierté, d’un côté, des systèmes fondés sur la dynamique de l’avidité, de l’autre – ou encore, pour l’exprimer dans le cadre de l’analyse psychopolitique : avec le rejet du primat du thymotique en faveur d’une érotisation sans limite[18] ». Notre philosophe a sans nul doute développé une sphère de cohérence aux bulles et écumes nombreuses pour soutenir la complexité du devenir humain.

      Voici venir dans ces Sphères une phénoménologie de l’espace qui va du cosmos aux couveuses, des cocons aux serres, des espaces ontologiques aux espaces de vies, en passant par ceux de l’imaginaire. S’éloignant sans retour bien sûr (dans la continuité d’Heidegger) des pistes éculées de la métaphysique (étudiées comme historicité) pour s’engager résolument dans les voies les moins idéalistes et les plus rationnelles du possible, quoique avec l’indispensable tremplin de la métaphore, dont il est bien connu qu’elle est aussi subjective que stimulante pour le rafraichissement de la pensée. Après L’Etre et le temps, voici l’homme et l’espace, à condition qu’il soit circulaire ou fait d’éclats circulaires, comme dans Ecumes. La plasticité de l'espace répond au comment nous façonne l'espace en fonction de la bulle que nous projetons autour de nous. L’ère des bulles, du point de vue « psycho-historico-anthropologique », de la préhistoire au Moyen-âge, précède celles des Globes, de la révolution copernicienne aux mondialisations, tandis que celle des écumes rejaillit sur le XX° siècle, ses sphères totalitaires, le cocon de ses état-providences et ses individu-bulles contemporains et dispersés. Ainsi l’homme n’est plus seulement une essence mais un processus, y compris par la fabrication, qu’elle soit conceptuelle, technologique ou biologique. Ce pourquoi Sloterdijk n’est pas sans penser que la « monosphère métaphysique était vouée à l’échec », ce qu’il montre dans Ecumes.

 

Le palais de cristal capitaliste

        Notre philosophe a trouvé au capitalisme sa vitrine, sa métaphore, dans ce qui brilla au sein de la première exposition universelle anglaise en 1851 : ce « Palais de cristal » exposant les merveilles du monde, du commerce et de l’industrie, première bulle visible de la mondialisation planétaire capitaliste. L’universalisation de la science et de la finance, jusqu’à la bulle internet qui est devenue sphère, écume et réseau, permet, grâce à l’échange exponentiel de la production et de la consommation, un hédonisme jamais vu, en expansion, peut-être infini. Mais cette bulle surprotégée du « Palais de cristal » occidental et capitaliste, pour laquelle il fait la différence entre capitalisme de travail, d’investissement, de production et de récompense et le « capitalisme de la Fortuna[19] » (pour les bulles spéculatives fondées sur les pyramides de Ponzi et sur la procrastination de la dette de l’état-providence), qui sait, attaquée par d’autres sphères et écumes -religieuses, régressives ou terroristes-, jusqu’où elle s’étendra, jusqu’à quand elle durera. Cependant, si on a reproché à notre philosophe d’accepter ce capitalisme, de choir dans les tréfonds de l’ultralibéralisme -procès certes partisan- il n’en reste pas moins qu’il est le seul système économique, malgré ses défauts, ses oppressions et ses crises, à avoir amené tant de populations à la prospérité.

Penser la politique

après l’effondrement des traditions de gauche

        C'est alors que la charge satirique n’hésite pas à stigmatiser le socialisme comme « bourse aux illusions » et en écartant (non sans provocation) Marx et Lénine : « les classiques marxistes sont pratiquement devenus illisibles pour les gens dotés de réflexes intellectuels, moraux et esthétiques contemporains ». Sans compter qu’ils « fournissent la démonstration d’une foi aveugle dans le conceptuel telle qu’on n’en observe d’ordinaire que dans les sectes fondamentalistes[20] ». Ce qui fut ressenti par les tenants de l'Ecole de Frankfort (pour qui la philosophie est d'abord une critique sociale du capitalisme), Habermas en tête, comme une gifle sonore. En ce sens, le projet de Sloterdijk n’est pas seulement rétrospectif, mais résolument contemporain, jusqu’à l’interrogative anticipation, sans se laisser séduire ni par les chants de sirène des utopies politiques ou religieuses ni par celui du catastrophisme écologique.

      Autre provocation apparente. N’allait-il pas jusqu’à affirmer (non loin de la thèse de Fukuyama qui voit la démocratie libérale comme horizon de la Fin de l’histoire[21]) lors d’une conférence à Strasbourg[22]: « Les synergies du consumérisme victorieux avec les mondes figurés de la belle vie et la chape de doctrines libérales placées au-dessus d'eux conduisent à résilier la plus grande partie de nos mémoires sombres et pathétiques ». Il pronostiqua « l'effondrement des traditions de gauche », avec peut-être un peu trop d’aplomb, car on sait que les traditions et les idéalismes ont la vie dure, y compris contre les faits. Que l’on veuille le suivre ou non, Peter Sloterdijk, Gargantua au-dessus de la mêlée des philosophes européens, parait pouvoir embrasser l'ensemble des problèmes qui embarrassent notre monde. Même si l’on peut légitimement, quoique modestement, s’interroger : Sloterdijk connaît-il la tradition de la pensée philosophique, économique et politique d’une -plus généreuse qu’il n’y parait- pensée libérale?

         La position politique de Sloterdijk reste pour ses détracteurs, dont la doxa consiste à penser que seule la bonne conscience de gauche est une morale philosophique inattaquable, sujette à caution. Ce à quoi il répond : « Je reste un social-démocrate tout en acceptant certains arguments du courant libéral » ajoutant avec plus de plaisir polémique : « La victimologie dominante interdit d'observer cette réalité en face. Il faut que les riches soient coupables et les pauvres innocents. Il existe une véritable haine à l'égard de la contre-proposition libérale et de sa prétention à mettre l'accent sur le mérite et le hasard.[23] »

       Cependant il fit pire, ou mieux si l’on veut bien casser son sac à préjugés. C’est dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung[24] que, s’interrogeant sur l’avenir du capitalisme, il conspua l’Etat-providence et ses dangers : « la suréglementation qui réfrène à l’excès l’élan entrepreneurial, la surimposition qui pénalise la réussite et le surendettement où la rigueur budgétaire -dans le secteur public comme dans le privé- se trouve contrecarrée par une frivolité spéculative. » Ce dans le cadre d’une aussi surprenante que finalement (si l’on consent à y réfléchir) stimulante charge contre l’état dont « la main qui prend » a remplacé « la main invisible » d’Adam Smith[25]. « Oui, le pauvre exploite le riche. » continue-t-il, en comparant « l’impôt progressif sur le revenu » avec « l’expropriation socialiste », en s’étonnant « qu’une poignée de citoyens performants fournissent sans ciller plus de la moitié de l’impôt sur le revenu ». En conséquence, « nous ne vivons pas le moins du monde dans un système capitaliste ». Pour lui « la thèse libérale, ô combien plausible, de l’exploitation des citoyens productifs par les citoyens improductifs aurait damné le pion à la thèse socialiste de l’exploitation du travail par le capital, tellement moins vraisemblable ».

         Cette mise au point faite, qu’on se rassure, Sloterdijk ne remet pas en cause la nécessité de l’impôt, ne serait-ce dans l’intérêt de la gestion du vivre ensemble. Quoique son dernier livre écorne sérieusement l’éthique de l’imposition… Dans repenser l’impôt[26], il dénonce la « fiscalité contraignante » et son « irrationalité babylonienne », et qualifie de « criminel » l’endettement de l’état. Pour redonner sens à ce qui n’est plus que « fiscocratie » et « soumission à l’imposition », il propose une éthique du « don », de façon à dépasser l’éros du désir, de l’envie qui orientent la redistribution vers une justice sociale du ressentiment, pour accéder au thymos de la dignité du soi fier de celui qui choisirait librement vers quel bien commun orienter son argent…

        Notre philosophe nous maintient-il dans une dommageable incertitude ? Sur quel pied faut-il danser : est-il plus libéral -au sens classique, d’Adam Smith à Raymond Aron- qu’il ne veut le faire entendre, ou sa prudence le pousse-t-elle à ménager d’éventuels censeurs et autres ostracismes, en continuant de faire allégeance à une politiquement correcte social-démocratie…

 

 

Changer la vie vers la hauteur

        Tu dois changer ta vie[27], son récent opus, moins polémique, voire plus consensuel, est alors une injonction à la verticalité, opposée à l’horizontalité matérialiste du capitalisme, dans laquelle cependant il n’y a ni dieu ni métaphysique. Par l’ascèse, par les disciplines du savoir et des arts, il s’agit de maîtriser un peu plus notre destin. Peu nouveau vadémécum de développement spirituel et de comportements responsables, ou système d’immunologie au service d’un mieux vivre  qui serait « une structure co-immunitaire planétaire[28] »? Politique de précaution pour l’individu, l’humanité, la terre et l’environnement technique (en tant qu’impératif écologique), ou poursuite intellectuelle de la chasse aux préjugés pour aller de l’avant, au-delà du post-pessimisme ?

        De fait, la boule de la mondialisation, de la richesse et du confort, quoique encore à venir, quoique livrée aux attaques sporadiques, intestines et marginales, permet à Sloterdijk de postuler ce post-pessimisme. Même les inquiétudes climatiques, les raréfactions des énergies fossiles n’entament pas sa confiance en les capacités d’invention de l’humanité. Selon lui, notre époque est le foyer de possibilités stimulantes. Même si « l’insulation[29] » risque de générer un dernier homme nietzschéen, un consommateur célibataire et détaché de ce collectif consistant et pérenne qui aurait sa place dans une cohérence cosmologique, notre ogre de la connaissance et des métaphores filées, fait de son optimisme, au-delà de ces « modernes intoxiqués par la plainte[30] », la réelle et rafraichissante soif d’un homme œuvrant dans le réel et pour le réel à édifier un monde de créativité.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

Lire également : Peter Sloterdijk : Contre la fiscocratie, repenser l’impôt

Et : Peter Sloterdijk, le temps du philosophe : Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

 

Sloterdijk Colère

  Sloterdijk-Palais.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Christian Bourgois, 2000.

[2] Ni le Soleil ni la mort, entretiens avec Hans-Jürgen Heinrichs, Pauvert, 2003, p 12.

[3] Ni le Soleil ni la mort,  Pauvert, 2003, p 32.

[4] Voir l’entretien avec Stephan Maus, Repenser l’impôt, Maren Sell, 2012,  p 259.

[5] Repenser l’impôt, p 35 et 45.

[6] Hachette Littératures, 2003, p 376.

[7] Libella Maren Sell, 2010, p 300.

[8] p 142 et 196.

[9]  Hachette Littératures, 2009, p 87.

[10] Christian Bourgois, 2000.

[11] Mille et une nuits, 2010, p 52.

[12] Dans « Qu’est-ce que les Lumières ? », Œuvres philosophiques, Pléiade, T 2, p 209.

[13] Dans Essai d’intoxication volontaire, p 246, Hachette littératures, 2007.

[14] Hachette Littératures, 2008.

[15] Maren Sell, 2005.

[16] Le Palais de cristal, p 247.

[17] Ecumes, p 737 et 760.

[18] Colère et temps, p 263. (Lié au désir de reconnaissance,  le thymos désigne le foyer d’excitation du Soi fier).

[19] Colère et temps, p 271.

[20] Colère et temps, p 296.

[21] La Fin de l'histoire et le Dernier Homme, Champs, Flammarion, 1992.

[22] Le Point, 17 01 2007.

[23] Le Point, 24 09 2009.

[24] Quelques pages en ont été traduites dans Courrier international du 1 au 19 août 2009.

[25] La Richesse des nations,  PUF, 1995, p 513.

[26] Maren Sell, 2012.

[27] Maren Sell, 2011.

[28] Libération du  25 04 2009.

[29] Ecumes, p 273.

[30] Globes, p 24.

Nota bene :

Les livres de Peter Sloterdijk sont traduits de l'allemand par Olivier Mannoni,

que nous remercions chaleureusement.

 

Photo : T. Guinhut.

Partager cet article
Repost0
6 mars 2012 2 06 /03 /mars /2012 16:31

 

Bois de Payolle, Campan, Hautes-Pyrénées. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Les fantômes de David Mitchell :

 

Ecrits fantômes, Mille automnes, Slade House.

 

 

 

David Mitchell : Écrits fantômes, L'Olivier, 2004, 542 pages, 21 € ;

Le Fond des forêts, L’Olivier, 2009, 480 p, 23 €.

 

David Mitchell : Les Mille automnes de Jacob de Zoet, 2012, 704 p, 24 € ;

traduits de l’anglais par Manuel Berri.

 

David Mitchell : Slade House,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Manuel Berri, L’Olivier, 272 p, 22 €.

 

 

 

       Quel étrange et polymorphe écrivain ! A chaque publication, il change de monde, d'esprit, en une sorte de métempsychose, de renaissance romanesque... Il nous apparut d’abord comme un fantôme, ou cartographiant des univers, puis sortant du fond des forêts, chassant mille automnes japonais ; enfin explorant les abîmes de Slade House.

         Recueil de nouvelles ou roman ? Émiettant une dizaine de récits apparemment indépendants, et néanmoins palpitants, qu'un lecteur fureteur peut aborder au gré du hasard, David Mitchell vient nous piéger en ses fantômes. Distraitement, il abandonne des bouts de fils épars, des échos inattendus, des liens qui tressent un étrange et incertain réseau. Ce livre fascinant, à tous égards mystérieux, collationne une dizaine de pièces à conviction, chacune prise en charge par des narrateurs à la première personne, forts crédibles et tous différents, sauf le premier et le dernier, tous deux venus d'un « Pur » affilié à une secte apocalyptique. Il y aurait une raison à l'œuvre, un esprit peut-être, dans ces Écrits fantômes...

        Quel fantôme erre dans ce livre ? Celui de la raison littéraire ? De l'inconscient de l'écrivain ? Du dieu qui donnerait sens au livre et à l'univers ? Du lien holistique qui unirait les récits dispersés sur le globe et le réseau mondial afin d'en dévoiler l'entière destinée et nécessité ? À première lecture, il n'y a de fantomatique que l'état des personnages qui rêvent leur vie, fantasmant le « Nouvel Ordre » des « Purs », une vie conjugale idéale dans un chalet suisse jamais atteint, ou la consacrent à une jeune fille, une hutte à thé, un gourou meurtrier. Nous étions dans l'île d'Okinawa, fuyant le métro de Tokyo où le délire d'un illuminé déposa ce gaz mortel qui raya du monde quelques « impurs ». Nous rêvions d'une histoire d'amour adolescent et de jazz à Tokyo. Nous sommes à Hong Kong parmi les angoisses d'un avocat de la finance qui tous les jours détourne les lois. Nous montons les marches de « la montagne sacrée » où défilent les témoins et les acteurs de l'Histoire chinoise, du maoïsme, de la Révolution culturelle et de ses horreurs. Quand sur les steppes de la Mongolie, un esprit pratique la « transmigration » d'homme en femme, de Russe en enfant... Plus loin, à Saint-Pétersbourg, notre russe mafioso rencontre, au milieu d'un tragique trafic de tableaux de musée, l'écho des malversations financières de l'avocat dont l'ex-femme, à Londres, croise par hasard, croit-on la destinée d'un Don Juan amoureux. Plus loin encore, sur une île irlandaise, une femme tente, toutes peines perdues, de fuir les sbires d'une firme américaine qui a vu les bénéfices que l'industrie de l'armement pouvait tirer d'une spécialiste de la « cognition quantique ». Enfin, sur Night Train FM, aux États-Unis, le radionoctambule Bat Secundo, fait parler un gardien de zoo qui déborde de visions prophétiques et croit, à vue de satellite, déchiffrer un complot nucléaire, incroyable zombie qui met cependant la puce à l'oreille au FBI...

 

 

         Les genres se bousculent : polar, métaphysique, biographie, dialogue radiodiffusé... Même si la narration se fait parfois fantomatique, le lecteur ne peut s'empêcher, amusé, interpellé, commotionné, de s'engager dans un jeu de pistes, un puzzle aux archipels manquants, où traquer les détails récurrents, les allusions, les réseaux lexicaux, les personnages reparaissants ; comme dans La Comédie humaine de Balzac... « De notre point de vue de mortel, c'est le hasard. Mais si l'on porte un regard extérieur, comme à la lecture d'un livre, alors c'est bien la fatalité qui, de bout en bout, dirige notre existence. » La somme complexe des causes et conséquences permet-elle le libre-arbitre ? « Nous croyons tous contrôler notre existence, mais celle-ci n'est que l'œuvre des nègres du destin ». L'auteur, nègre d'une totalité impossible, a pour métaphore cet esprit qui « transmigre » dans les personnages visités, et dénonce les complots visant à décimer l'humanité.

        Traquant les défis planétaires, David Mitchell invente un troublant jeu de pistes narratif qui brouille les destinées individuelles. Œuvre ouverte, au sens d'Umberto Eco, ce roman polymorphe et postmoderne, infiniment séduisant, suscite une réflexion jamais close, à moins que tout ce galimatias pseudo-scientifique ne soit qu'un miroir aux alouettes pour gogos adonnés aux fantasmes de complots et autres fumées spiritualistes. Ce serait là moins un portrait du monde tel qu’il est, qu’une figure de notre irrationnel esprit…

 

     Nous avions cru, avec David Mitchell, nous habituer à des romans aux structures conceptuelles inhabituelles. Ecrits fantômes télescopait des récits par une distribution géographique, alors que Cartographie des nuages distribuait les temps historiques et biographiques jusqu’à l’horizon de la science-fiction. Il est, dans Le Fond des forêts, nettement plus traditionnel et réaliste. Au risque de proposer le roman autobiographique obligé de l’enfance s’ouvrant à l’adolescence.

          Mais il n’est pas facile d’être incompris. Par ses parents et, pire encore, par ses camarades qui ne jurent que par de stupides valeurs viriles. Le chemin à frayer est jonché d’embûches par les « barbares poilus » parmi lesquels il aimerait s’intégrer. Mais il faut cacher qu’il aime les livres et écrit des poèmes primés sous le pseudonyme d’Eliot Bolivar. Il sera traité de « pédoque » comme tous ceux qui lisent ou aiment Bach. Pire, notre Jason est affligé de « bégaiement tonique » et peut-être d’un « cancer de la personnalité ». Tel un chasseur de société primitive, il fera tout un parcours du combattant à la lisière de la délinquance pour faire partie du groupe. Hélas, il n’échappera pas aux humiliations en série, sauf au « fond des forêts ». Le voilà bientôt côtoyant l’Histoire de l’Angleterre, lorsqu’un ancien élève de son école meurt lors de la guerre des Malouines. Le récit bascule lors de la rencontre de Mme Crommelynck qui s’intéresse à son « œuvre ». Vif et pertinent, l’échange littéraire et critique donne une profondeur soudaine à la destinée de Jason qui s’interroge sur sa création : « Dès qu’un poème a quitté le nid, il n’en a plus rien à faire de vous ».

       Plein de fantaisie et de tendresse, de poésie et de psychologie, ce roman d’initiation -y compris à l’amour et au divorce de ses parents- a le mérite insigne de montrer, en une discrète et cependant efficace charge satirique, combien nos contemporains sont encore barbares à l’encontre des valeurs intellectuelles et poétiques.

 

       Encore une volte-face romanesque. Après la structure géographique des Ecrits fantômes, après Cartographie des nuages et ses archipels temporels, le recours au récit autobiographique du Fond des forêts tranchait également et absolument avec ce qui, dans Les Mille automnes de Jacob de Zoet, relève d’un genre apparemment passéiste : le roman historique.

      Nous sommes en effet en 1799. Dans le cadre de l’accord privilégié qui permit aux commerçants hollandais d’établir des comptoirs en un Japon jalousement fermé aux Européens, Jacob de Zoet obtient mandat de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales pour commercer avec l’Empire du soleil levant. C’est un jeune clerc, un brin naïf, qui devra affronter les regards sans indulgence et se frayer un chemin ardu. Surtout lorsqu’il devient amoureux d’une jeune femme captive du Seigneur Enomoto qui est plus proche du sadisme que de la cordialité. Au roman sentimental s’ajoutent les péripéties dramatiques du pavé farci d’aventures : enlèvement, esclaves sexuelles, visage semi-brûlé de la belle qu’il faudra sauver… On pourrait croire à un ouvrage dont l’objectif serait, outre l’exotisme, la distraction de son lecteur emporté par l’aisance de la narrativité. Mais l’acuité réaliste, par exemple la mise en scène d’un accouchement, puis de l’opération d’un calcul de la vessie, permet de percevoir l’état des sciences à la fin du XVIII°. L’échange encyclopédique de connaissances, économiques, politiques, entre Néerlandais et Japonais est ainsi fructueux, malgré l’interdiction d’apprendre la langue de l’archipel… Confrontant l’Orient et l’Occident, en un choc des cultures, entre un protestant passablement puritain et la langue salée des japonaises, leurs mœurs surprenantes, le jeune héros, déraciné, réenraciné, devient une sorte d’homme aux identités plurielles, un peu comme son auteur.

 

 

      La structure du roman puzzle est propice au fantastique. Ainsi David Mitchell compose un ensemble de cinq récits, dont le pivot est la maison du titre : Slade House. En dépit du temps, elle sait garder ses secrets, car tous les neuf ans, depuis 1979 jusqu’en 2015, elle engloutit ses visiteurs derrière sa porte cachée dans une ruelle. Là un jardin florissant, une demeure digne d’un manoir paraissent assurer le bonheur de ses habitants et de ses invités, comme la pianiste qui se voit fêtée.

      Pourtant ce réalisme, d’abord affecté par l’étrangeté, est de plus en plus perturbé, chamboulé par l’interversion du rêve et de la réalité, à laquelle est d’abord sensible un enfant, Nathan, qui oscille entre l’Amérique maternelle et la Rhodésie paternelle. Quant au policier qui rencontre l’amour auprès de la maîtresse du lieu, Chloe, il croit mener une enquête conventionnelle, concernant la disparition de Nathan et de sa mère, tout en devant accepter l’idée de paisibles fantômes, ceux des jumeaux Norah et Jonah venus du premier récit. « Promettez-moi que je ne suis pas en train de vous rêver », s’entend-il dire lorsque le délire de l’espace et le désordre du mental s’emballent. Y compris parmi le « club Paranormal », qui reprend l’enquête, les avaleurs d’âmes sévissent sans espoir de retour dans une introuvable maison.

      « Ton âme se dissoudrait comme un morceau de sucre », prévient un des personnages. Est-ce le destin qui attend tout visiteur, voire tout lecteur de Slade House ? David Mitchell, connu pour ses romans singuliers, aux structures étonnantes, comme La Cartographie des nuages, maîtrise en virtuose les particularités des voix narratives. En cette réécriture toute personnelle du mythe des vampires, il répond à un chef-d’œuvre contemporain de la littérature américaine fantastique : La maison des feuilles de Mark Z. Danielewski.

        Après avoir vécu au Japon, le romancier anglais David Mitchell, né en 1969, semble, au cours de sa carrière d’écrivain, prendre successivement en écharpe tous les genres romanesques. Jusqu’où ira-t-il ? S’il parait à chaque fois moins novateur qu’attendu, il s’en tire toujours avec richesse et brio, comme par une pirouette générique. Jacob de Zoet s’était acclimaté dans l’incroyable au point de se retrouver un étranger à son retour. De même, au sortir de chaque roman de David Mitchell, puzzle géographique, temporel, autobiographique ou historique, ou encore fantastique, le lecteur se sent à la fois, sans qu’il faille les opposer, plus étranger au monde et plus présent dans la littérature…

 

Thierry Guinhut

Les parties sur Ecrits fantômes et Le Fond des forêts ont été publiées

dans Le Matricule des Anges, juin 2004 et mars 2009, celle sur Les Mille automnes, avril 2012,

celle sur Slade House, juillet-aoüt 2019.

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : thierry-guinhut-litteratures.com
  • : Des livres publiés aux critiques littéraires, en passant par des inédits : essais, sonnets, extraits de romans à venir... Le monde des littératures et d'une pensée politique et esthétique par l'écrivain et photographe Thierry Guinhut.
  • Contact

Index des auteurs et des thèmes traités

Devenez mécène :
tipeeethierry-guinhut-litteratures.com

 



 

 

 

 

Ackroyd

Londres la biographie, William, Trois frères

Queer-city, l'homosexualité à Londres

 

 

 

 

 

 

Adams

Essais sur le beau en photographie

 

 

 

 

 

 

 

Aira

Congrès de littérature et de magie

 

Ajvaz

Fantastique : L'Autre île, L'Autre ville

 

 

 

 

 

 

Akhmatova

Requiem pour Anna Akhmatova

 

 

 

 

 

 

 

Alberti

Momus le Prince, La Statue, Propos de table

 

 

 

 

 

 

Allemagne

Tellkamp : La Tour ; Seiler : Kruso

Les familles de Leo et Kaiser-Muhlecker

 

 

 

 

 

 

Amis

Inside Story, Flèche du temps, Zone d'intérêt

Réussir L'Information Martin Amis

Lionel Asbo, Chien jaune, Guerre au cliché

 

 

 

 

 

 

Amour, sexualité

A une jeune Aphrodite de marbre

Borges : Poèmes d’amour

Guarnieri : Brahms et Clara Schumann

Vigolo : La Virgilia

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Luc Ferry : De l'amour au XXI° siècle

Philosophie de l'amour : Ogien, Ackerman

Erotisme, pornographie : Pauvert, Roszak, Lestrade

Une Histoire des sexualités ; Foucault : Les Aveux de la chair

 

 

 

 

 

 

Ampuero

Cuba quand nous étions révolutionnaires

 

 

 

 

 

 

 

Animaux

Elien Ursin : Personnalité et Prosopopée des animaux

Quand les chauve-souris chantent, les animaux ont-ils des droits ?

Jusqu'où faut-il respecter les animaux ? Animalisme et humanisme

L'incroyable bestiaire de l'émerveillement

Philosophie porcine du harcèlement

Philosophie animale, bestioles, musicanimales

Chats littéraires et philosophie féline

Apologues politiques, satiriques et familiers

Meshkov : Chien Lodok, l'humaine tyrannie

Le corbeau de Max Porter

 

 

 

 

 

 

Antiquité

Le sens de la mythologie et des Enfers

Métamorphoses d'Ovide et mythes grecs

Eloge des déesses grecques et de Vénus

Belles lettres grecques d'Homère à Lucien

Anthologies littéraires gréco-romaines

Imperator, Arma, Nuits antiques, Ex machina

Histoire auguste et historiens païens

Rome et l'effondrement de l'empire

Esthétique des ruines : Schnapp, Koudelka

De César à Fellini par la poésie latine

Les Amazones par Mayor et Testart

Le Pogge et Lucrèce par Greenblatt

Des romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

Antisémitisme

Histoire et rhétorique de l'antisémitisme

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Céline et les pamphlets antisémites

Wagner, Tristan und Isolde et antisémitisme

Kertesz : Sauvegarde

Eloge d'Israël

 

 

 

 

 

 

Appelfeld

Les Partisans, Histoire d'une vie

 

 

 

 

 

 

 

Arbres

Leur vie, leur plaidoirie : Wohlleben, Stone

Richard Powers : L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

Arendt

Banalité du mal, banalité de la culture

Liberté d'être libre et Cahier de L'Herne

Conscience morale, littérature, Benjamin

Anders : Molussie et Obsolescence

 

 

 

 

 

 

 

Argent

Veau d'or ou sagesse de l'argent : Aristote, Simmel, Friedman, Bruckner

 

 

 

 

 

 

Aristote

Aristote, père de la philosophie

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

Art contemporain

Que restera-t-il de l’art contemporain ?

L'art contemporain est-il encore de l'art ?

Décadence ou effervescence de la peinture

L'image de l'artiste de l'Antiquité à l'art conceptuel

Faillite et universalité de la beauté

Michel Guérin : Le Temps de l'art

Théories du portrait depuis la Renaissance

L'art brut, exclusion et couronnement

Hans Belting : Faces

Piss Christ, icone chrétienne par Serrano

 

 

 

 

 

 

Attar

Le Cantique des oiseaux

 

 

 

 

 

 

Atwood

De la Servante écarlate à Consilience

Contes réalistes et gothiques d'Alphinland

Graine de sorcière, réécriture de La Tempête

 

 

 

 

 

 

Bachmann

Celan Bachmann : Lettres amoureuses

Toute personne qui tombe a des ailes, poèmes

 

 

 

 

 

 

 

Bakounine

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

L'anarchisme : tyrannie ou liberté ?

 

 

 

 

 

 

Ballard

Le romancier philosophe de Crash et Millenium people

Nouvelles : un artiste de la science-fiction

 

 

 

 

 

 

 

Bande dessinée

Roman graphique et bande-dessinée

 

 

 

 

 

 

Barcelo

Cahiers d'Himalaya, Nuit sur le mont chauve

 

 

 

 

 

 

Barrett Browning

E. Barrett Browning et autres sonnettistes

 

 

 

 

 

 

 

Bashô

Bashô : L'intégrale des haikus

 

 

 

 

 

 

Basile

Le conte des contes, merveilleux rabelaisien

 

 

 

 

 

 

Bastiat

Le libéralisme contre l'illusion de l'Etat

 

 

 

 

 

 

Baudelaire

Baudelaire, charogne ou esthète moderne ?

"L'homme et la mer", romantisme noir

Vanité et génie du dandysme

Baudelaire de Walter Benjamin

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

Beauté, laideur

Faillite et universalité de la beauté, de Platon à l’art contemporain

Laideur et mocheté

Peintures et paysages sublimes

 

 

 

 

 

 

Beckett 

En attendant Godot : le dénouement

 

 

 

 

 

 

Benjamin

Baudelaire par Walter Benjamin

Conscience morale et littérature

Critique de la violence et vices politiques

Flâneurs et voyageurs

Walter Benjamin : les soixante-treize sonnets

Paris capitale des chiffonniers du XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

Benni

Toutes les richesses, Grammaire de Dieu

 

 

 

 

 

 

Bernhard

Goethe se mheurt et autres vérités

 

 

 

 

 

 

 

Bibliothèques

Histoire de l'écriture & Histoire du livre

Bibliophilie : Nodier, Eco, Apollinaire

Eloges des librairies, libraires et lecteurs

Babel des routes de la traduction

Des jardins & des livres, Fondation Bodmer

De l'incendie des livres et des bibliothèques

Bibliothèques pillées sous l'Occupation

Bibliothèques vaticane et militaires

Masques et théâtre en éditions rares

De Saint-Jérôme au contemporain

Haine de la littérature et de la culture

Rabie : La Bibliothèque enchantée

Bibliothèques du monde, or des manuscrits

Du papyrus à Google-books : Darnton, Eco

Bibliothèques perdues et fictionnelles

Livres perdus : Straten,  Schlanger, Olender

Bibliophilie rare : Géants et nains

Manguel ; Uniques fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Blake

Chesterton, Jordis : William Blake ou l’infini

Le Mariage du ciel et de l’enfer

 

 

 

 

 

 

Blasphème

Eloge du blasphème : Thomas-d'Aquin, Rushdie, Cabantous, Beccaria

 

 

 

 

 

 

Blog, critique

Du Blog comme œuvre d’art

Pour une éthique de la critique littéraire

Du temps des livres aux vérités du roman

 

 

 

 

 

 

Bloom

Amour, amitié et culture générale

 

 

 

 

 

 

Bloy

Le désespéré enlumineur de haines

 

 

 

 

 

 

 

Bolaño

L’artiste et le mal : 2666, Nocturne du Chili

Les parenthèses du chien romantique

Poète métaphysique et romancier politique

 

 

 

 

 

 

 

Bonnefoy

La poésie du legs : Ensemble encore

 

Borel

Pétrus Borel lycanthrope du romantisme noir

 

 

 

 

 

 

Borges

Un Borges idéal, équivalent de l'univers

Géographies des bibliothèques enchantées

Poèmes d’amour, une anthologie

 

 

 

 

 

 

 

Bounine

Coup de soleil, nouvelles élégiaques

 

 

 

 

 

 

Brague

Légitimité de l'humanisme et de l'Histoire

Eloge paradoxal du christianisme, sur l'islam

 

 

 

 

 

 

Brésil

Poésie, arts primitifs et populaires du Brésil

 

 

 

 

 

 

Bruckner

La Sagesse de l'argent

Pour l'annulation de la Cancel-culture

 

Brume et brouillard

Science, littérature et art du brouillard

 

 

 

 

 

 

Burgess

Folle semence de L'Orange mécanique

 

 

 

 

 

 

Burnside

De la maison muette à l'Eté des noyés

 

 

 

 

 

 

Butor

Butor poète et imagier du Temps qui court

Butor Barcelo : Une nuit sur le mont chauve

 

 

 

 

 

 

Cabré

Confiteor : devant le mystère du mal

 

 

 

 

 

 

 

Canetti

La Langue sauvée de l'autobiographie

 

 

 

 

 

 

Capek

La Guerre totalitaire des salamandres

 

 

 

 

 

 

Capitalisme

Eloge des péchés capitaux du capitalisme

De l'argument spécieux des inégalités

La sagesse de l'argent : Pascal Bruckner

Vers le paradis fiscal français ?

 

 

 

 

 

 

Carrion

Les orphelins du futur post-nucléaire

Eloges des librairies et des libraires

 

 

 

 

 

 

 

Cartarescu

La trilogie roumaine d'Orbitor, Solénoïde ; Manea : La Tanière

 

 

 

 

 

 

Cartographie

Atlas des mondes réels et imaginaires

 

 

 

 

 

 

Casanova

Icosameron et Histoire de ma vie

 

 

 

 

 

 

Catton

La Répétition, Les Luminaires

 

 

 

 

 

 

Cavazzoni

Les Géants imbéciles et autres Idiots

 

 

 

 

 

 

 

Celan

Paul Celan minotaure de la poésie

Celan et Bachmann : Lettres amoureuses

 

 

 

 

 

 

Céline

Voyage au bout des pamphlets antisémites

Guerre : l'expressionnisme vainqueur

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

 

Censure et autodafé

Requiem pour la liberté d’expression : entre Milton et Darnton, Charlie et Zemmour

Livres censurés et colères morales

Incendie des livres et des bibliothèques : Polastron, Baez, Steiner, Canetti, Bradbury

Totalitarisme et Renseignement

Pour l'annulation de la cancel culture

 

 

 

 

 

 

Cervantès

Don Quichotte peint par Gérard Garouste

Don Quichotte par Pietro Citati et Avellaneda

 

 

 

 

 

 

Cheng

Francois Cheng, Longue route et poésie

 

 

 

 

 

 

Chesterton

William Blake ou l'infini

Le fantaisiste du roman policier catholique

 

Chevalier

La Dernière fugitive, À l'orée du verger

Le Nouveau, rééecriture d'Othello

Chevalier-la-derniere-fugitive

 

Chine

Chen Ming : Les Nuages noirs de Mao

Du Gène du garde rouge aux Confessions d'un traître à la patrie

Anthologie de la poésie chinoise en Pléiade

 

 

 

 

 

 

Civilisation

Petit précis de civilisations comparées

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

 

 

 

 

 

 

Climat

Histoire du climat et idéologie écologiste

Tyrannie écologiste et suicide économique

 

 

 

 

 

 

Coe

Peines politiques anglaises perdues

 

 

 

 

 

 

 

Colonialisme

De Bartolomé de Las Casas à Jules Verne

Métamorphoses du colonialisme

Mario Vargas Llosa : Le rêve du Celte

Histoire amérindienne

 

 

 

 

 

 

Communisme

"Hommage à la culture communiste"

Karl Marx théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

 

 

 

 

 

 

Constant Benjamin

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Corbin

Fraicheur de l'herbe et de la pluie

Histoire du silence et des odeurs

Histoire du repos, lenteur, loisir, paresse

 

 

 

 

 

 

Cosmos

Cosmos de littérature, de science, d'art et de philosophie

 

 

 

 

 

 

Couleurs
Couleurs de l'Occident : Fischer, Alberti

Couleurs, cochenille, rayures : Pastoureau

Profondeurs, lumières du noir et du blanc

Couleurs des monstres politiques

 

 

 

 

 


Crime et délinquance

Jonas T. Bengtsson et Jack Black

 

 

 

 

 

 

 

Cronenberg

Science-fiction biotechnologique : de Consumés à Existenz

 

 

 

 

 

 

 

Dandysme

Brummell, Barbey d'Aurevilly, Baudelaire

 

 

 

 

 

 

Danielewski

La Maison des feuilles, labyrinthe psychique

 

 

 

 

 

 

Dante

Traduire et vivre La Divine comédie

Enfer et Purgatoire de la traduction idéale

De la Vita nuova à la sagesse du Banquet

Manguel : la curiosité dantesque

 

 

 

 

 

 

Daoud

Meursault contre-enquête, Zabor

Le Peintre dévorant la femme

 

 

 

 

 

 

 

Darger

Les Fillettes-papillons de l'art brut

 

 

 

 

 

 

Darnton

Requiem pour la liberté d’expression

Destins du livre et des bibliothèques

Un Tour de France littéraire au XVIII°

 

 

 

 

 

 

 

Daumal

Mont analogue et esprit de l'alpinisme

 

 

 

 

 

 

Defoe

Robinson Crusoé et romans picaresques

 

 

 

 

 

 

De Luca

Impossible, La Nature exposée

 

 

 

 

 

 

Démocratie

Démocratie libérale versus constructivisme

De l'humiliation électorale

 

 

 

 

 

 

Derrida

Faut-il pardonner Derrida ?

Bestiaire de Derrida et Musicanimale

Déconstruire Derrida et les arts du visible

 

 

 

 

 

 

Descola

Anthropologie des mondes et du visible

 

 

 

 

 

 

Dick

Philip K. Dick : Nouvelles et science-fiction

Hitlérienne uchronie par Philip K. Dick

 

 

 

 

 

 

 

Dickinson

Devrais-je être amoureux d’Emily Dickinson ?

Charyn : La Vie secrète d’Emily Dickinson

 

 

 

 

 

 

 

Dillard

Eloge de la nature : Une enfance américaine, Pèlerinage à Tinker Creek

 

 

 

 

 

 

Diogène

Chien cynique et animaux philosophiques

 

 

 

 

 

 

Dostoïevski

Dostoïevski par le biographe Joseph Frank

 

 

 

 

 

 

Eco

Umberto Eco, surhomme des bibliothèques

Construire l’ennemi et autres embryons

Numéro zéro, pamphlet des médias

Société liquide et questions morales

Baudolino ou les merveilles du Moyen Âge

Eco, Darnton : Du livre à Google Books

 

 

 

 

 

 

 

Ecologie, Ecologismes

Greenbomber, écoterroriste

Archéologie de l’écologie politique

Monstrum oecologicum, éolien et nucléaire

Ravages de l'obscurantisme vert

Wohlleben, Stone : La Vie secrète des arbres, peuvent-il plaider ?

Naomi Klein : anticapitalisme et climat

Biophilia : Wilson, Bartram, Sjöberg

John Muir, Nam Shepherd, Bernd Heinrich

Emerson : Travaux ; Lane : Vie dans les bois

Révolutions vertes et libérales : Manier

Kervasdoué : Ils ont perdu la raison

Powers écoromancier de L'Arbre-monde

Ernest Callenbach : Ecotopia

 

 

 

 

 

 

Editeurs

Eloge de L'Atelier contemporain

Diane de Selliers : Dit du Genji, Shakespeare

Monsieur Toussaint Louverture

Mnémos ou la mémoire du futur

 

 

 

 

 

 

Education

Pour une éducation libérale

Allan Bloom : Déclin de la culture générale

Déséducation et rééducation idéologique

Haine de la littérature et de la culture

De l'avenir des Anciens

 

 

 

 

 

 

Eluard

« Courage », l'engagement en question

 

 

 

 

 

 

Emerson

Les Travaux et les jours de l'écologisme

 

 

 

 

 

 

 

Enfers

L'Enfer, mythologie des lieux

Enfers d'Asie, Pu Songling, Hearn

 

 

 

 

 

 

Erasme

Erasme, Manuzio : Adages et humanisme

Eloge de vos folies contemporaines

 

 

 

 

 

 

Esclavage

Esclavage en Moyen âge, Islam, Amériques

 

 

 

 

 

 

Espagne

Histoire romanesque du franquisme

Benito Pérez Galdos, romancier espagnol

 

 

 

 

 

 

Etat

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Constructivisme versus démocratie libérale

Amendements libéraux à la Constitution

Couleurs des monstres politiques

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Socialisme et connaissance inutile

Patriotisme et patriotisme économique

La pandémie des postures idéologiques

Agonie scientifique et sophisme français

Impéritie de l'Etat, atteinte aux libertés

Retraite communiste ou raisonnée

 

 

 

 

 

 

Etats-Unis romans

Dérives post-américaines

Rana Dasgupta : Solo, destin américain

Eugenides : Middlesex, Roman du mariage

Bernardine Evaristo : Fille, femme, autre

La Muse de Jonathan Galassi

Gardner : La Symphonie des spectres

Lauren Groff : Les Furies

Hallberg, Franzen : City on fire, Freedom

Jonathan Lethem : Chronic-city

Luiselli : Les Dents, Archives des enfants

Rick Moody : Démonologies

De la Pava, Marissa Pessl : les agents du mal

Penn Warren : Grande forêt, Hommes du roi

Shteyngart : Super triste histoire d'amour

Tartt : Chardonneret, Maître des illusions

Wright, Ellison, Baldwin, Scott-Heron

 

 

 

 

 

 

Europe

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

Fables politiques

Le bouffon interdit, L'animal mariage, 2025 l'animale utopie, L'ânesse et la sangsue

Les chats menacés par la religion des rats, L'Etat-providence à l'assaut des lions, De l'alternance en Démocratie animale, Des porcs et de la dette

 

 

 

 

 

 

Fabre

Jean-Henri Fabre, prince de l'entomologie

 

 

 

 

 

 

Facebook

Facebook, IPhone : tyrannie ou libertés ?

 

 

 

 

 

 

Fallada

Seul dans Berlin : résistance antinazie

 

 

 

 

 

 

Fantastique

Dracula et autres vampires

Lectures du mythe de Frankenstein

Montgomery Bird : Sheppard Lee

Karlsson : La Pièce ; Jääskeläinen : Lumikko

Michal Ajvaz : de l'Autre île à l'Autre ville

Morselli Dissipatio, Longo L'Homme vertical

 

 

 

 

 

 

Fascisme

Histoire du fascisme et de Mussolini

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Haushofer : Sonnets de Moabit

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

V bis Le fantôme du CouloirdelaVie.com

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets des paysages

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V L'Hôtel-Monastère Santa Cristina

VI Le Club des tee-shirts politiques

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme et Aldo Manuzio

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder ; Un été sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Maladie et métaphore : Wagner, Maï, Zorn

Pandémies historiques et idéologiques

Histoire des pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Sonnets pour Hélène LXVIII Commentaire

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Sonnets autobiographiques

Sonnets de l'Art poétique

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

Steiner

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

Trias de Bes

Encre, un conte symbolique

Encre

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

Recherche