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28 mai 2020 4 28 /05 /mai /2020 14:54

 

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

La photographie,

biographème ou œuvre d’art ?

 

Michel Frizot, Dominique de Font-Réaulx, Walter Benjamin,

Roland Barthes, Denis Roche, Susan Sontag.

 

 

 

 

Michel Frizot : Nouvelle histoire de la photographie,

Bordas / Adam Biro, 1994, 736 p, 199 €.

 

Dominique de Font-Réaulx : Peinture et photographie. Les enjeux d’une rencontre, 1839-1914,

Flammarion, 2020, 336 p, 25 €.

 

Walter Benjamin : Petite histoire de la photographie, suivi d’Une photo d’enfance,

traduit de l'allemand par Olivier Mannoni,

 Petite Bibliothèque Payot, 2020, 96 p, 6,90 €.

 

Walter Benjamin : L'oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique,

 

traduit de l'allemand par Lionel Duvoy,

 Allia, 2020, 96 p, 6,20 €.

 

Roland Barthes : La Chambre claire. Note sur la photographie, 1980, 200 p, 24,90 €.

 

Denis Roche : Conversations avec le temps, Le Castor astral, 1985, 69 p, 21 €.

 

Susan Sontag : La Photographie,

traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Gérard-Henri Durand et Guy Durand,

Christian Bourgois, 2008, 280 p, 8 €.

 

 

 

 

      Il a été, c’était là, semble dire la photographie. Alors que le vernis de la peinture en son cadre, semble dire : il est toujours là, telle une icône. La seconde, même médiocre, paraît devoir afficher son statut d’œuvre d’art, quand la première, qui lui est bien postérieure de quelques millénaires, peine encore, bien qu’on l’expose à tours de bras et de cimaises, est encore suspecte de ne pas advenir à la dignité de l’art, d’autant qu’à force d’Iphone et de selfies elle se vulgarise à qui mieux mieux, voire de pire en pire, quoique leurs légitimités puisse être réévaluées - notons à cet égard que les photos qui illustrent cet étude sont faites avec un IPhone. Déjà, et nonobstant bientôt deux siècles, l’Histoire de la photographie, élevée par les hommages de Michel Frizot, Dominique de Font-Réaulx, Walter Benjamin, Susan Sontag, Roland Barthes, avait posé les bases séminales de notre réflexion, pour qui aurait la fatuité, la vanité, de dépasser le biographème et faire œuvre d’art photographique.

 

      D’abord enregistrement poussif du réel, la camera oscura de la photographie a visé à témoigner de deux présences, celles du regardeur et du regardé. Le « cela est » devient très vite un « cela était », comme le modèle confie au futur l’identité de son visage pour qu’il bascule bientôt dans le passé, surtout tant qu’il garde la stature sculpturale et fantomatique du noir et blanc. Ainsi naissent les premières photographies, en 1839, date à laquelle l’Académie des sciences reconnaît l’invention du daguerréotype, quoique Nicéphore Niepce ait réalisé en 1926-1927 une héliogravure : « Point de vue pris de la fenêtre du Gras », et qu’Hyppolyte Bayard ait peut-être précédé Daguerre.

      Avec la Nouvelle histoire de la photographie, la réflexion et la somptueuse iconographie - soit 1050 photographies reproduites - se partage entre déroulé chronologique et parties thématiques. Michel Frizot lui-même y rédige, outre l’introduction et la conclusion, quatorze chapitres, avec le secours d’une pléiade de spécialistes pour quarante et un autres chapitres, ce qui place l’ouvrage sur le fil d’un délicat équilibre, entre une originalité conceptuelle orchestrée par le maître d’œuvre et la pluralité des perspectives, quoique le lecteur y soit plutôt gagnant.

      Des pratiques sociales aux pratiques esthétiques, un siècle et demi de photographie voit ici son expansion. Guidant les démarches historiques, techniques, géographiques et artistiques, ce sont en cet ouvrage des perspectives aussi diverses qu’éclairantes : « Usage et diffusion du daguerréotype », « Anonymat et célébrité », « L’hypothèse de la couleur », « Le Japon et la photographie », « La surface sensible, support, empreinte, mémoire » (ce qui est un fort beau titre), « Formes du regard. Philosophie et photographie », ou encore « Intimités et jardins secrets ». Professionnelle ou d’amateur, de commande ou spontanée, exhibée ou cachée, officielle ou pornographique (quoiqu’ici l’on reste trop pudique), et plus seulement ancré dans la problématique qui dichotomise le document et l’art, la photographie telle qu’elle se déploie en cette œuvre-maîtresse s’expose et s’explose en ses diversités, ses pluralismes, ses renouvellements.

      Encyclopédie raisonnée des origines, des genres, des acteurs, des faire et des mentalités, la Nouvelle histoire de la photographie supplante tous les précédents, voire tous les successeurs, par la multiplicité des approches, l’abondance de la bibliographie et l’avalanche de ses reproductions, belles jusqu’à la sensualité. Le miracle est, qu’à part des icônes plastiques et conceptuelles, comme « L’autoportrait en noyé » d’Hippolyte Bayard, « L’appareillage » de Stieglitz, « La critique » de Weegee ou le « Tissu pour Harper’s Bazar » de Hiro, très peu d’images fassent doublon avec la plus modeste et cependant très honorable, donc complémentaire, Histoire mondiale de la photographie de Naomi Rosenblum[1].

 

 

      Michel Frizot fait la part belle au XIX° siècle et à ses anonymes dont le talent parfois inouï est magnifié, telle cette boule de verre miroir de la famille du photographe au jardin, autour de l’appareil sur pied, prise vers 1910, et qui ouvre le livre. Les délicieux tons sépia reviennent alors du passé pour rendre une sensuelle et subtile matérialité terreuse, vporeuse, à des centaines d’images. Les noirs profonds et luisants de Margaret Bourke-White, les couleurs éthérées du « Rodin autochrome » de Steichen ou violentes d’Ernst Haas, font de ce volume digne d’un lutrin un monument de voyeurisme luxuriant, comme si l’on révélait un passé interdit par le temps. Car déjà les nouvelles tendances des années quatre-vingts ont quelque chose de nostalgique. Quant aux textes, ils sont fins et distanciés, sans verbiage, s’attachant autant à l’esthétique personnelle du créateur qu’au contexte technique, intellectuel ou institutionnel, en pointant par exemple le rôle des commandes qui peuvent susciter la créativité, ou l’académisme. Certes, en cette bible, que l’on se gardera de penser définitive, quelques grand maîtres sont brouillés par le saupoudrage et le parti-pris. Bill Brandt et Ansel Adams, par exemple, sont un peu amputés, l’un du graphisme épuré de ses nus, l’autre de la transcendance de ces vastes paysages de l’Ouest américain. Quant à l’immanence, elle se trouverait parmi les paysages de photographes plus contemporains : Robert Adams et Lewis Baltz. Ainsi va la tension entre réalisme et platonisme dans la photographie[2].

      Cependant des cahiers de plusieurs pages font honneur au vieux Paris d’Atget, au Pittsburg. A photographic essay de W. Eugene Smith, « qui accumula 11 000 négatifs » entre 1955 et 1957. Autre volupté parmi cent, les jaquettes et doubles pages conçues par les photographes eux-mêmes, maquettistes pour l’occasion, comme Doisneau, Brassaï ou  Kertész, qui prétendait que l’appareil photographique lui permettait de donner sens à tout qui l’entourait. Ce qui valorise l’objet livre par rapport à l’image isolée du collectionneur et montre s’il en était nécessaire l’efficacité d’une déclinaison thématique, d’une rime plastique, graphique ou colorée. À cet égard un mince reproche peut être envisagé : un tel ouvrage privilégie absolument le noir et blanc, comme laissant entendre que la couleur serait le parent pauvre de la photographie d’art, qu’elle serait confinée à la facilité plébéienne du portrait de famille, du voyage touristique ou à la publicité luxueuse du créateur de mode. Pourtant Harry Callahan ou Eliot Porter ont su magnifier par leur goût de la splendeur colorée, qui les paysages urbains, qui les canyons de l’Ouest américain. Ce n’est cependant pas le cas dans un ouvrage plus récent inventoriant la « Collection Neuflize Vie[3] », dans laquelle, malgré une résilience toujours vivace du noir et blanc, les photographes d’aujourd’hui pratiquent sans regret la couleur, qu’il s’agisse de celle pixélisée ou floue venue de la vidéo, ou de celle de coloristes impénitents.

      Il est évident que cette Nouvelle histoire de la photographie est à la fois un somptueux livre d’art autant qu’une référence probablement indépassable ; sauf par les rebonds ultérieurs de la création bien sûr. Ce qu’ont pourtant tenté, non sans vertus, mais avec une splendeur plus modeste, André Gunthert et Michel Poivert dans L’Art de la photographie[4]. Certes, le quart de siècle qui a passé depuis le travail monumental de Michel Frizot laisse deviner qu’il faudrait y ajouter, outre des noms de nouveaux créateurs, l’usage généralisé du numérique, qui a ringardisé - ou muséifié - la pellicule argentique et la diapositive, le développement des IPhone et cet avatar de l’autoportrait que l’on appelle par un triste anglicisme le selfie, qui à la fois démocratisent encore plus la technique et laissent imaginer des floraisons artistiques peut-être inédites.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Avec « l’aspiration artistique » et « l’image symboliste », la photographie tente assez vite de s’extraire de son syndrome de l’enregistrement du réel pour se laisser aller à « la tentation des beaux-arts », telles que les pointent Michel Frizot et ses compères. C’est ce mouvement que problématise Dominique de Font-Réaulx en son Peinture et photographie, sous-titré « Les enjeux d’une rencontre, 1839-1914 ». Dès sa naissance, la nouvelle concurrente de la peinture a suscité enthousiasmes, méfiances et railleries.

      Cependant, les historiens de l’art ont trop souvent « ignoré, occulté parfois, le rôle et la place que la photographie avait prise dans les processus créatifs des peintres. Ils ont passé sous silence, ou même refusé de regarder, ce que les nouvelles images crées par le procédé avaient apporté à la représentation esthétique ». C’est bien le contraire que se propose Dominique de Font-Réaulx, car en 1955 une première exposition juxtaposait sur les cimaises peintures et photographies. Cette fois « l’étude par genres picturaux a donné la possibilité de souligner l’ambition esthétique des photographes », mais aussi « la façon dont leur travaux les ont modifiés, voire transgressés, bouleversant la tradition picturale[5] ». Se cantonnant majoritairement à la France, l’ouvrage réussit son pari, intégrant parfois des comparaisons bienvenues avec les genres théâtral, opératique, et leurs décors. Le subterfuge photographique va jusqu’à reproduire la peinture, confronter portraits peints et portraits photographiés, jouer avec les tableaux vivants, avec le nu, la nature morte, réfléchissant ou décevant la tradition picturale. Si les photographes imitent et songent les peintres, ces derniers se font parfois photographes, soit pour des études préparatoires, soit pour enclencher une créativité adjacente à leur art, mais pas forcément pensée comme digne de dédain. Observons à cet égard des artistes comme Edgar Degas, Fernand Khnopff, Pierre Bonnard ou Pierre Vuillard. L’ouvrage fait bénéficier son argumentation d’une iconographie comparée tout à fait judicieuse. Or si les artistes tels que ces derniers n’ont pas dédaigné la photographie, même s’il s’agit d’une sorte d’argument d’autorité, c’est qu’elle peut dépasser sa qualité de reproduction du réel pour accéder à sa singularité esthétique, à sa qualité nouvelle d’œuvre d’art.

 

Salon des collectionneurs, Magné, Deux-Sèvres.

Photo : T. Guinhut.

 

      En 1857, Théophile Gautier, dans le journal L’Artiste, préfigurait la réflexion de Walter Benjamin : « Bref, la photographie est un miroir qui retient toutes les images réfléchies et les multiplie à un nombre illimité d’exemplaires - prodige inouï que l’antiquité eût sans nul doute attribué à la sorcellerie[6] ». Presqu’un siècle plus tard, en 1936, l’auteur de Paris capitale du XIX° siècle[7] publiait L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée.  Imprimerie, lithographie, photographie, tous conspirent, malgré la démocratisation nécessaire, à un effacement : « À la reproduction, même la plus perfectionnée, d’une œuvre d’art, un facteur fait toujours défaut, son hic et nunc, son existence unique au lieu où elle se trouve ». Car « les composantes de l’authenticité se refusent à toute reproduction […] ce qui dans l’œuvre d’art, à l’époque de sa reproduction mécanisée, dépérit, c’est son aura ». En ce sens une œuvre d’art sans son aura n’en est pas une. De plus « dans la photographie, la valeur d’exposition commence à refouler sur toute la ligne la valeur rituelle[8] ».

      Cependant, un peu plus tôt, soit en 1931 et 1934, dans sa Petite histoire de la photographie, Walter Benjamin avait cru déceler dans la photographie un « inconscient optique », ce quelque chose que nous captons sans le savoir en appuyant sur le déclencheur, qui permet à l’image d’engager un dialogue avec l’intime C’est à l’occasion de la découverte d’un portrait de Kafka enfant que le philosophe, en cela influencé par le surréalisme, s’émeut profondément : « portant un costume d’enfant étriqué et pour ainsi dire humiliant, surchargé de passements, un garçon d’à peu près dix ans dans une sorte de paysage d’hiver. Des palmiers sont figés à l’arrière-plan. [en] ces tropiques molletonnés et torrides, le modèle tient à la main gauche un chapeau d’une taille disproportionnée ». Cette image « d’une tristesse sans borne » et « abandonnée de Dieu » ne peut fonctionner que comme une sorte de préfiguration a posteriori pour qui a lu Kafka, frappant ainsi le philosophe. Il s’agit bien d’un double biographème, à la fois kafkaïen et Benjamien, alors que les photographes « considérèrent que leur mission était plutôt de donner l’illusion de l’aura[9] ». Pourtant Kafka lui-même était plus que méfiant à l’égard de la photographie qui « concentre le regard sur le superficiel[10] ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Cette photo d’enfance, devenue kafkaïenne, n’est pas loin de la lecture de Roland Barthes, dans La Chambre claire, en 1980. Quand Walter Benjamin s’étonnait des yeux du futur Kafka, l’auteur de L’Empire des signes voyait « les yeux qui ont vu l’empereur ». Ne doutait-il pas pourtant pas que la photographie disposât d’un génie propre » ? Etait-ce l’amitié ou l’émotion suspensive de l’art qui lui avait fait choisir pour frontispice un « polaroïd » de Daniel Boudinet représentant l’ombre d’un rideau ?

      L’on se rappelle son « punctum », ce détail « qui me point » ; quant au « studium », il est de l’ordre de l’ « affect », du « goût » au sens culturel, où « rencontrer les intentions du photographe ». Or pour l’essayiste, la photographie « répète mécaniquement ce qui ne pourra jamais plus se répéter existentiellement ». Elle est donc inhérente au temps, ce qui la renvoie à ce qui, en tant que « studium », enchante l’essayiste : « des biographèmes » ; la Photographie a le même rapport à l’Histoire que le biographème à la biographie ». La fonction proustienne de la photographie consiste pour lui en ce qu’elle est liée à la mémoire ; en particulier ces modestes épreuves qu’il range après la mort de sa mère et où il la découvre avant qu’il puisse se souvenir d’elle. Là réside sa folie, « faisant revenir à la conscience amoureuse et effrayée la lettre même du Temps »…

      Cependant la proposition de Roland Barthes selon laquelle « la Photographie est contingence pure et ne peut être que cela (c’est toujours quelque chose qui est représenté)[11] », se révèle discutable : il suffit de lui trouver l’équivalent de la peinture abstraite, où plus rien n’est représenté, mais où seule la photographie donne à voir, comme avec Edward Weston et Minor White, qui, en prélevant un fragment de réel, effacent toute référence et tout souvenir pour faire advenir une disposition et une expressivité plastiques.

      Dans ses Conversations avec le temps, Denis Roche n’est pas si loin de Roland Barthes. « Je crois que la photo est empreinte de profondeur, et que cette profondeur est due à la rencontre du Temps et du Beau. Juste avant la prise photographique, c’est le Temps qui règne, juste après, c’est la Beauté qui a lieu. […] Enfin, je crois que raconter les circonstances qui précèdent l’acte photographique lui-même est précisément le seul commentaire esthétique réel qu’on puisse apporter à l’image qui suivra[12] ». Un biographème coïncide avec un lieu (un village du Frioul italien ou la proximité des pyramides d’Egypte), le temps du vécu avec l’espace du monde. Reste qu’il y a bien d’autres commentaires esthétiques à trouver leur nécessité que le seul biographème de l’auteur du cliché, voire sans nul doute une nécessité plus criante.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      En 1973, Susan Sontag pensait que la photographie est une consommation « proche du désir érotique », quoiqu’il demeure là insatisfait. Pire, pour elle « les images consomment la réalité ». Changeant le réel qui nous entoure, et nous-mêmes par la même occasion, en ombre, « les pouvoirs de la photographie ont eu pour effet, en quelque sorte de « dé-platoniser » notre conception de la réalité », alors que nombre d’amateurs et professionnels du XIX° siècle pensaient qu’il fallait idéaliser le monde et affirmer sa beauté. Cependant le réalisme inhérent au medium tendait à faire des choses et des êtres « des objets de mélancolie[13] ». S’agit-il là, face au visible périssable, de penser la photographie comme un concours de biographèmes révélant notre fugacité, ou comme une tentative de rédemption par la beauté de l’art…

      Une photographie peut-elle avoir une aura ? Si l’on suit Walter Benjamin, la réponse est négative ; toutefois l’on expose des tirages soignés, des tirages Fresson, par exemple, ils sont collectionnés, muséifiés. Si l’on permet à l’auteur de ces modestes lignes une expérience personnelle, la vision soudaine d’une photographie, un tirage original d’Ansel Adams, soit une lune au-dessus d’un désert (« Moonrise, Hernandez, New Mexico, 1941), pourtant déjà connue par des reproductions, par des livres souvent feuilletés, déclencha une émotion sans mélange, un trouble exalté devant l’évidence, non seulement de la beauté paysagère, mais de l’acte de beauté du photographe qui avait travaillé un bon nombre de décennies plus tôt - quoique l’on ne soit pas certain que l’expérience émotive et esthétique soit reproductible, ni possible parmi les nombreuses expositions photographiques. Une photographie exceptionnelle avait révélé la sureté de sa composition, son ambigüité entre ombre et lumière, son interrogation ontologique et métaphysique, sa dure pureté, son immobile grâce et son doux effroi, son « kalos kagathos » grec, soit le bel et bon…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      L’ouvrage de Michel Frizot concluait (ou presque) sur un chapitre intitulé « Formes du regard. Philosophie et photographie », sous les doigts judicieux d’Yves Michaud. Image réelle ou Image mentale, analogon ou artifice, « présence magique du disparu et de l’éloigné ou image aussi fabriquée et artificielle que les autres signes », la photographie oscille sans cesse sur la corde raide à l’instar de la tension entre biographème et œuvre d’art. Cependant seul le photographe un tant soit peu attentionné et nourri d’une certaine culture de l’image, y compris picturale, pourra dépasser le procédé mécanique de reproduction au service de sa liberté et de son invention. Au-delà de la conservation d’une icône du passé, la création photographique « rend visible des choses qui, autrement, seraient restées invisibles[14] ». Qui sait si la philosophie a suffisamment regardé et pensé ce qui aura bientôt deux siècles ? Nous ajouterons que, présidée par une conception formelle, la photographie rend grâce à une esthétique, voire à une dimension morale, selon les sujets choisis et surtout la façon de les construire et les illuminer.

      Reste à penser à la belle métaphore de Georges Didi-Huberman, dont il fait son titre : Phalènes. Essais sur l’apparition. Ces papillons nocturnes, qui viennent parfois se consumer sur une chandelle, suscitent chez le philosophe une réflexion poétique : « Savoir regarder une image, ce serait en quelque sorte, se rendre capable de discerner là où elle brûle, là où son éventuelle beauté réserve la place d’un signe secret, d’une crise non apaisée, d’un symptôme[15] »…

      Rosalind Krauss avance quant à elle qu’il est erroné de vouloir penser la photographie selon les critères historiques et taxinomiques qui ont cours pour la peinture, car l’univers de la première est celui de l’archive et non celui du musée. Elle note avec pertinence que Roland Barthes élimine de son sujet tout ce qui « permettrait de constituer la photographie en objet propre de son analyse. Elle n’est pas un objet esthétique ; ni un objet historique ; ni un objet sociologique ». Ce qui lui importe, c’est l’affect. Alors que pour Rosalind Krauss, le photographique est un « corpus delicti », à l’image du fétichisme surréalisme de Man Ray ou d’Hans Bellmer. Au-delà du réalisme attendu, il produit un « simulacre », tel que Platon le pense dans Le Sophiste, quoiqu’il puisse prétende à « l’innocence, la primauté et l’autonomie du « support » de l’image esthétique[16] ». À cet égard, Platon séparait dans « la production d’images […] deux genres : celui des copies et celui des illusions[17] ». L’illusoire corps du délit photographique peut cependant, répondrons-nous,  parvenir à statufier la présence de l’art, à force de soin, de penser et de regard.

 

      La nouvelle objectivité des années soixante aux années quatre-vingts préconisa un « photoréalisme », des images absolument neutres, des collections de faits, comme les châteaux d’eau gris de Bernd et Hilla Becher, qui se veulent une « typologie des constructions techniques ». Ce sont des images « essentiellement dénuées de qualité artistique », selon Ed Rusha. Comme le soumet l’analyse de Jean-François Chevrier et de James Lingwood, dans le catalogue de l’exposition Une autre objectivité, des photographes comme Patrick Tosani (qui aime présenter non sans beauté spectrale d’immense vues de creux de cuillères de métal), aiment à produire des « artifices » et « cherchent le point d’équilibre entre la prise du réel (par l’enregistrement) et la distance du tableau ». Car pour eux « la réalité est une chose introuvable, une fiction du XIX° siècle […] tout est théâtre et illusion […] l’objectivité n’est plus en soi un critère de vérité ». L’on passera sur la thèse un brin spécieuse pour préférer : « une image descriptive peut être considérée aujourd’hui comme une œuvre en soi, autonome et suffisante, à condition qu’elle résulte d’une démarche méthodique et spécifique ». C’est ainsi que ces photographes n’en cherchent pas moins une beauté, pas celle miraculeuse de la trouvaille, mais celle « élaborée, construite, concrètement, selon une procédure précise […] lucide[18] ».

      Il est alors évident que la question de « l’aura » de l’œuvre d’art selon Walter Benjamin est ici invalidée, comme celle de la noblesse de la beauté[19], devenue presque un tabou dans l’art contemporain[20], qui n’est peut-être en cela n’est plus art. S’agit-il, de la part de cette « autre objectivité » d’une réelle rigueur sans vanité devant le réel, ou d’une démission devant la responsabilité esthétique, voire morale de l’œuvre d’art ?

 

      Pour revenir à Walter Benjamin, ce dernier notait que Karl Blossfeldt, « avec ses étonnantes photographies de plantes, a ainsi fait apparaître les formes les plus anciennes de colonnes dans des prêles, le bâton d’évêque dans des fougères, des arbres totem dans des pousses de marronnier et d’érables agrandies dix fois[21] ». Soit le dépassement du modèle pour en extirper la magie d’une autre forme et des métaphores, donc l’œuvre d’art que peut être indubitablement la photographie, n’en déplaise à notre amateur de Baudelaire[22]. Il y a en effet, devant certaines images, archétypale ou novatrices, spirituellement et esthétiquement conçues, la nécessité induite d’un vouloir dire ce qui n’est pas déjà dans la forme, d’un arrangement compositionnel - éventuellement digne du nombre d’or- d’un cadrage, d’un angle et d’une lumière, d’une traque des sphères de la réalité autant que d’un saut platonicien, d’une contemplation devant la beauté enfin ; pour une paix intellectuelle et sensuelle, labile et nourrissante.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur la Nouvelle histoire de la photographie a été publiée

dans La République Internationale des Lettres, mars 1995.

 

 

[1] Naomi Rosenblum : Histoire mondiale de la photographie,  Abbeville Press, 1992.

[3] Photographies modernes et contemporaines. La Collection Neuflize Vie, Flammarion, 2007.

[4] André Gunthert et Michel Poivert : L’Art de la photographie, Citadelles & Mazenod, 2007. 

[5] Dominique de Font-Réaulx : Peinture et photographie. Les enjeux d’une rencontre, 1839-1914, Flammarion, 2020, p 6, 7.

[6] Théophile Gautier : L’Artiste, 8 mars 1857.

[8] Walter Benjamin : L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée, Ecrits français, Folio essais, 2003, p 179, 181, 190.

[9] Walter Benjamin : Petite histoire de la photographie, Petite bibliothèque Payot, 2019, p 25, 37, 38, 41.

[10] Gustav Janouch : Conversations avec Franz Kafka, Maurice Nadeau, 1998.

[11] Roland Barthes : La Chambre claire. Note sur la photographie, Œuvres complètes 3, 1994, p 1111, 1112, 1126, 1127, 1129, 1137, 1192.

[12] Denis Roche : Conversations avec le temps, Le Castor astral, 1985, p 46.

[13] Susan Sontag : La Photographie, Seuil, Fiction & Cie, 1979, p 196, 197, 63.

[14] Michel Frizot : Nouvelle histoire de la photographie, Bordas / Adam Biro, 1994, p 733-734, 736.

[15] Georges Didi-Huberman : Phalènes. Essais sur l’apparition, 2, Minuit, 2013, p 356.

[16] Rosalind Krauss : Le photographique. Pour une théorie des écarts, Macula, 1990, p 12, 164, 217, 222.

[17] Platon : Sophiste, 266 e, Œuvres complètes, Flammarion, 2008, p 1873. 

[18] Jean-François Chevrier et de James Lingwood : Une autre objectivité, Idea Books, 1989, p 10, 20, 28, 35, 37.

[21] Walter Benjamin : Petite histoire de la photographie, ibidem, p 26.

[22] Voir : L'hydre de Lerne du Baudelaire de Walter Benjamin

 

 

Photo : T. Guinhut.

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23 mai 2020 6 23 /05 /mai /2020 07:27

 

Vierge XV°, Museo civico de Bolzano / Bozen, Trentino Alto-Adige / Südtirol.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Féminités littéraires,

du Moyen Âge à notre contemporain.

Martine Reid & Nathalie Heinich.

 

 

Femmes et littérature. Une histoire culturelle I & II,

Sous la direction de Martine Reid, Folio essais, 2020, 1040 p, 13,50 € et 592 p, 10,30 €.

 

Nathalie Heinich : Etats de femme. L’identité féminine dans la fiction occidentale,

Tel Gallimard, 2018, 402 p, 12,50 €.

 

 

 

 

      Il est loin le temps où l’on songeait à une Galerie des femmes célèbres avec un rien de condescendance, comme Sainte-Beuve, qui, tout en honorant deux douzaines de dames fort renommées, reines, duchesses et amoureuses, ne comptait qu’à peine une demi-douzaine d’écrivaines, quoique ce féminin ne fût pas employé. Madame de Sévigné pour ses lettres, Mademoiselle de Scudéry, pour les interminables préciosités de Clélie et sa « carte du Tendre », traitée d’ailleurs du bout du bec, ou George Sand, dont il aimait ses « tableaux de pastorales et de géorgiques bien françaises[1] ». Cette manière critique bien désuète se devait d’être dépassée. C’est chose faite, en toute ampleur et vigueur, avec Femmes et littérature. Une histoire culturelle, sous la direction de Martine Reid et avec le concours d’une dizaine de spécialistes. Les plumes féminines françaises et francophones méritaient au moins ces mille-six-cents pages, du Moyen Âge à notre contemporain. À cette somme, il ne faut pas manquer d’ajouter l’essai de Nathalie Heinich : Etats de femme. L’identité féminine dans la fiction occidentale, de façon à élargir encore la perspective, non sans se demander s’il y a bien une spécificité de l’écriture féminine et combien de représentations collent à la peau des femmes dans la littérature.

 

      À qui était-il permis d’écrire, au Moyen Âge ? Fallait-il encore savoir lire… «  La grande dame, la religieuse ou la veuve » seules était susceptibles de pages épistolaires, dévotes, plus rarement poétiques à l’instar des troubadours, ou de ce qui devenait le roman. Mais en français, et non en latin, ce qui les rendaient méprisables aux yeux des lettrés. Quoiqu’elles fussent également commanditaires, copistes, enlumineresses, jouant un rôle parfois crucial dans la chaine du livre, encore manuscrit. L’une de ces artistes, Anastaise, nous est connue par l’éloge qu’en fit Christine de Pizan, dans son Livre de la Cité des Dames. Celle-ci, après Marie de France et ses Lais, est la « nonpareille », présentée avec conviction par Jacqueline Cerquiglini-Toulet, qui la traduisit en français moderne[2]. Aux autorités paternelle et masculine, Christine de Pizan préfère « Raison et Philosophie ». Ce qui lui permet d’être fort polémique à l’encontre de la misogynie du Roman de la rose. Sa Cité des dames présente les femmes célèbres, tant dans la guerre que la sainteté et les arts, le Livre des Trois Vertus répond aux Enseignements moraux. Se faisant homme en mettant la main à la plume qui la fait vivre, elle est « la première figure d’une intellectuelle écrivant en français ». Comme quoi « les femmes auteurs ne se sont pas coulées dans un modèle d’amour, d’amour dit courtois, qui n’a pas été pensé par elles ».

      La Renaissance fut-elle également féminine ? Souvent encore, la femme subit les attaques des auteurs qui la conspuent : elle est libidineuse, folle et traitresse, selon Toulouse Gratien du Pont, qui, en 1534, publia les Controverses des sexes Masculin et Femenin. Tout ou presque, y compris la police des mœurs est au service des hommes. À une époque où se poursuit la chasse aux sorcières[3], le développement de l’imprimerie bénéficia cependant à nos auteures, malgré une exclusion des lieux d’éducation : « une floraison inattendue, puisque près de cent-quarante autrices ont pu y être repérées, là où les dix siècles précédents en avaient laissé émerger à peine une cinquantaine ». En effet, l’aristocratie et une certaine bourgeoisie encouragent une éducation de leurs filles. Princesses et reines sont au pouvoir, les salons apparaissent, quand les imprimeurs travaillent avec leurs femmes et filles, et la veuve reprend parfois l’affaire. Bientôt l’on publie une Fleur des dames ou une Vie des femmes célèbres. Quand des humanistes se font « champions des dames », le néoplatonisme et le pétrarquisme contribuent aux « idéologies philogynes ». Et si la poésie de Scève et Ronsard loue la femme, leur répond Louise Labé. Marguerite de Navarre, après une œuvre étendue, dont théâtrale avec pas moins de onze pièces, laisse inachevé son Heptaméron, publié de manière posthume. Si les Reines du temps sont prolixes, sans compter des écrits politiques injustement oubliés, l’on retient les noms de Pernette du Guillet, d’Hélisenne de Crenne, dont il faudrait lire le « grandiose roman » : Les Angoysses douloureuses qui procèdent d’amours. Elle y jette « les bases du roman psychologique qu’on dit à tort inventé par Madame de Lafayette ».

      La « dénonciation de la sujétion féminine » et des violences masculines, dans l’Heptaméron par exemple, est évidement féministe, même si le mot n’existe pas encore. À quoi répond l’éloge des « femmes fortes ». Cependant ce sont aussi des hommes qui se font les éditeurs, les anthologistes de cette « renaissance des Muses », dans la lignée d’une Sappho redécouverte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Enfin vint « un grand siècle pour les femmes auteurs » ! Le XVII° de Mesdames de Lafayette, de Villedieu, d’Aulnoy et de Sévigné, est aussi le grand siècle où elles « revendiquent l’égalité politique, sociale et économique entre les sexes ». L’émergence de volumes aux petits formats, la vogue de la prose romanesque et du français au détriment du latin, tout contribue à l’émergence d’« Amazones, femmes fortes et frondeuses » ; comme Barbe d’Ernecourt, qui porta l’épée pour défendre ses terres et conçut des tragédies. L’on s’arrache avec délectation les romans épiques, politiques, chevaleresques et pastoraux de Madeleine de Scudéry, Artamène ou le grand Cyrus et Clélie, histoire romaine, comptant chacun dix volumes, quand le premier exhibe treize mille pages, soit le plus long roman français jamais écrit ! Ces modèles de chroniques guerrières, de la préciosité et de la galanterie, de l’art d’aimer en de baroques développements, coulaient d’une main révoltée contre la tyrannie du mariage, qu’elle évita en restant célibataire. N’empêche que si l’on ne lit plus guère ses pages aujourd’hui, peut-être à tort, elles eurent une affolante réputation et une influence considérable pendant plus d’un siècle, jusque dans les développements du roman anglais. Hélas, les précieuses à la Clélie sont moqués par Boileau, quoique louées par Huet, deviennent « ridicules » avec Molière, qui en récolte grand succès…

      Avec Zaïde puis La Princesse de Clèves, Madame de Lafayette participe à la « naissance des grands classiques ». Madame de Villedieu n’a pas cette chance, à cause d’un vent de scandale. Madame D’Aulnoy publie en 1690 le premier conte de fées, avant Perrault, donnant lieu à un engouement pour ce nouveau genre presque exclusivement féminin, qui influencera grandement les Lettres anglaises. Probablement a-t-on eu grand tort d’enfouir dans l’oubli les romancières Murat et de La Force. C’est alors que le Dictionnaire de l’Académie, mais aussi ceux de Richelet et Furetière, incluent autant hommes que femmes sous le mot « auteur », ce qui permet à la signataire de ce vaste chapitre, Miss Joan Dejean, de « rester fidèle au choix des premiers grands lexicographes français » et d’adopter « les termes d’auteurs et d’écrivains sans recourir à une forme féminine » ; sage posture sans polémique superflue.

      Paradoxalement, le siècle des Lumières ne fut pas aussi prolixe en auteurs féminins. Ce qui n’empêche pas les dames de la République des Lettres de dialoguer avec les penseurs du temps et les encyclopédistes. Si la question du droit des femmes est intensément débattue, au travers de L’Egalité des deux sexes de Poulain de la Barre que discute Louise d’Epinay, de Voltaire qui prétend que l’imagination passive et servile est féminine quand celle active et créatrice est masculine, sans oublier Sophie fort inférieure à Emile chez Rousseau, auquel l’on préférera la défense de l’éducation dans Les Conversations d’Emilie de Louise d’Epinay, elle aboutira à une revendication occultée, celle de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, en 1791, par la dramaturge et essayiste Olympe de Gouges, guillotinée lors de la Terreur révolutionnaire.

      Il n’en reste pas moins qu’en ce siècle des salons et des académies, des figures essentielles surgissent, tant Emilie du Chatelet, mathématicienne et physicienne dont la traduction française des Principia Mathematica de Newton fait toujours autorité, sans compter son essai De la liberté, que Françoise de Grafigny, dont les excellentes Lettres d’une Péruvienne participent de la curiosité des Lumières à l’égard des nouveaux mondes, ou Marie-Jeanne Riccoboni, aux vastes romans épistolaires sentimentaux et polémiques, ou encore Germaine de Staël[4], qui déborde sur le XIX° siècle.

 

Madame du Boccage : La Colombiade, Desaint & Saillant, 1756.

Œuvres, Chez les Frères Périsse, 1770.

Photo : T. Guinhut.

 

      Placé « sous le signe de la différence des sexes », le siècle inauguré par Napoléon entérine en son Code civil de 1804 l’inégalité des sexes. Germaine de Staël dénonce l’existence « incertaine » des femmes, George Sand vitupère contre « l’esclavage féminin », Hortense Allard défend l’éducation, le divorce, la liberté de conduite. Pendant ce temps la satire s’amuse à caricaturer la savante et l’auteure, comme le fit Frédéric Soulier dans sa Physiologie du bas-bleu, en 1841. Aurore Dupin prit le pseudonyme que l’on sait, Rachilde se targuait de cartes de visite ainsi libellées : « homme de lettres ». Libraires et éditeurs féminins sont encore bien rares.

      C’est cependant le temps des livres pour la jeunesse, pour les filles, dans une visée éducative, écrits par Félicité de Genlis ou la comtesse de Ségur. Cénacles, salons, presse féminine, librairies se développent peu à peu. Quelques rares voyageuses peuvent publier, comme la malheureuse Flora Tristan avec ses Pérégrinations d’une paria. Mais aussi des mémoires, des autobiographies, telle l’Histoire de ma vie, sous la plume de George Sand. Quant à la poésie, elle reste un discours « genré », où parmi une abondante production domine la romantique Marceline Desbordes-Valmore, que Baudelaire ne dédaignait pas, poétesse honorée, mais à condition qu’elle reste fidèle à une poésie de femme… Nombreuses et lyriques, ces poétesses parlent du cœur, des fleurs et de l’âme, jusqu’à la musicalité synesthésique d’Anna de Noailles ; rares sont celles qui accèdent autour de 1900 à la capacité de laisser entendre leur homosexualité, telle Renée Vivien ou Natalie Clifford Barney dont on retient Quelques portraits-sonnets de femmes.

      Genre féminin, le roman se doit être sentimental. Sophie Cottin et Madame de Staël, avec Corinne ou l’Italie sont parmi les meilleures ventes. Il en est de même avec George Sand, puis à la Belle époque, Marcelle Tynaire, Gérard D’Houville, alors que ces dames n’hésitent pas à investir les genres gothique, historique, comme Madame de Genlis, avec Mademoiselle de Lafayette ou le siècle de Louis XIII, voire libertin, avec Monsieur Vénus de Rachilde. Cependant il s’agit d’investir l’essai, là encore avec Germaine de Staël dont l’Essai sur les fictions n’est pas aussi célèbre que De l’Allemagne. C’est sous le nom de Daniel Stern que Marie d’Agout, amante de Franz Liszt, publie son brillant et méconnu Essai sur la liberté considérée comme principe et fin de l’activité humaine, dans lequel elle défend ardemment le droit des femmes, à l’éducation, au divorce, au choix de la maternité !

      Le XIX° littéraire n’était pas si misogyne que l’on voulut nous le faire croire. Au rebours de nombre de contempteurs méprisant une romancière prétendue médiocre, l’auteur de L’Âne mort, et critique renommé, Jules Janin, déclara en 1839 : « Le roi des romanciers modernes, c'est une femme ». Certes il ne pensait pas à détrôner Balzac, mais à louer George Sand, elle-même admirée par l’auteur de La Comédie humaine et par Flaubert, rien de moins ! Celle qui a publié plus de soixante-dix romans[5] obtint un succès considérable avec Indiana, s’illustra scandaleusement au cours du roman-poème Lélia dans la révolte métaphysique et l’expression d’une sexualité féminine en 1833. Mauprat est à la fois un roman historique, familial, d'amour, d'aventures, noir, humanitaire, et social, quand Nanon réécrit l'histoire de la Révolution par le truchement des lèvres d’une paysanne. Pauline est le roman de formation de l'artiste, alors que le triptyque champêtre formé par La Mare au Diable, François le Champi et La Petite Fadette, la révèle en pionnière de l'ethnographie et de l'ethnolinguistique, non sans compter l'ethnomusicologie avec Les Maîtres sonneurs. Par ailleurs Chopin transparait dans  Lucrezia. La Ville noire est un roman industriel à la fois réaliste et utopiste. N’est-elle pas également précurseure du Voyage au centre de la Terre, de Jules Verne, lorsque Laura, voyage dans le cristal associe voyage initiatique, conte fantastique et science, en particulier la minéralogie ?

 

Madame de Grafigny : Lettres d'une Péruvienne, Didot l'Ainé, 1797 ;

Ménard et Desenne, fils, 1822.

Photo : T. Guinhut.

 

      Foisonnant, explosant toutes ou presque les barrières, le XX° siècle voit la vogue de Colette, qui aura droit à des funérailles nationales en 1959, malgré ses thématiques parfois homosexuelles, voire incestueuses, puis celle du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, le flux du féminisme et les éditions « Des femmes ». Une Marguerite de Yourcenar se voit accéder à l’Académie française, Françoise Sagan ou Marguerite Duras éclipsent bien des messieurs. Les « étrangères de Paris » viennent de Russie pour devenir Nathalie Sarraute ou Irène Némirovski, dont Suite française, posthume, ne sera publié qu’en 2004. Le roman politique fait d’Elsa Triolet une thuriféraire du Parti Communiste, alors que Charlotte Delbo participe de la littérature concentrationnaire. Sans compter que le roman sentimental devient stéréotypé, rose avec Delly et « passion » avec les surproductions de la collection « Arlequin » qui abreuve les lectrices en mal d’amour, c’est « Eros au féminin » qui vient troubler le jeu : l’on se souvient, malgré la censure encore vive, d’Histoire d’O, de Pauline Réage, de Thérèse et Isabelle de Violette Leduc, d’Emmanuelle

      Être romancière n’a plus rien qui puisse être dépréciatif. Journalistes, philosophes comme Simone Weil, poétesses comme Andrée Chédid, peut-on dire que le récent siècle réalise le rêve de l’équité ?

      Une foule de poétesses, théologiennes, romancières, épistolières, essayistes éclosent sous nos yeux en ce livre-fleuve, parfois introuvables, comme Madame du Boccage[6], au XVIII° qui fit une tragédie sur Les Amazones, mais aussi, quoiqu’elle soit ici trop peu évoquée, une belle épopée en vers sur Christophe Colomb et la découverte de l’Amérique : La Colombiade. Une redécouverte s’impose, non pas par égalité des sexes, car ce serait un critère usurpé face à celui de la qualité littéraire, mais de par une réelle équité, une curiosité créatrice, jusqu’à une actuelle et féminine francophonie.

      « Chacune des contributrices », dit-on ; est-ce à dire qu’aucun contributeur ne fut invité ? Au risque du sectarisme féminin qui considérerait que l’on ne peut faire œuvre féminine que par des femmes. Ce qui, gageons-en, serait à cent lieues de l’esprit dans lequel Christine de Pizan, George Sand ou Simone Weill ont écrit. Un rien de dogmatisme, aimant traquer pas toujours avec nuance, l’« antiféminisme ordinaire » (à propos des « chosettes » de Christine de Pizan qui devinrent au XIX° des « chaussettes »), imprègne de manière par instant dommageable ce vaste ensemble, quoique nos femmes savantes de cette « histoire culturelle échappent presque toujours à ce travers. Insistons avec vigueur, l’ouvrage, qui eût gagné à être édité avec des couvertures cartonnées, reste au long cours prodigieusement intéressant, lisible comme un bon roman, érudit et roboratif.

      Avouons qu’en apercevant un entrefilet annonçant cette parution, nous imaginions une anthologie documentée et commentée, de façon à découvrir maintes auteures ignorées. Faut-il regretter que cela ne soit pas le cas ? Oui et non. Certes ces deux volumes comptent des citations judicieusement choisies et permettent d’éclairer ce qui fut occulté, mais la perspective s’intéresse autant au contenu proprement littéraire qu’aux conditions sociétales et idéologiques qui président à cette créativité moins contrainte que l’on aurait pu l’imaginer, qui a cependant pu exploser au cours du XX° siècle, grâce à sa libération des femmes. Sans oublier les lectrices et bien plus tard les éditrices.

      Nos auteures rappellent avec pertinence Hélène Cixous, affirmant en 1975 combien il est « impossible de définir une pratique féminine de l’écriture », et Julia Kristeva, elle aussi en 1975, pensant « de plus en plus qu’il faudrait se garder de sexualiser les productions culturelles ». L’on sait à ce propos qu’aujourd’hui ces messieurs, au contraire de Georges Sand au XIX° siècle, ne répugnent pas le moins du monde à user d’un pseudonyme féminin, tel Yasmina Khadra, qui se révéla en 1999, s’appeler Mohammed Moulessehoul, ce qui ne manque pas de sel si l’on pense à l’origine culturelle maghrébine de tels noms…

      En complément de cette vaste traversée, ne faut-il pas s’intéresser à « l’identité féminine dans la fiction occidentale » ? L’essai de Nathalie Heinich (dont nous connaissions la réflexion sur l’art contemporain[7]), Etats de femmes, aurait pu se passer d’un tel titre pour ne conserver que le sous-titre plus explicite. L’essayiste s’attache à décrire les « structures élémentaires de l’identité féminine » parmi le roman occidental du XVIIIe siècle à notre contemporain, sans ignorer contes, nouvelles, pièces de théâtre et films. Soit, à la suite de Claude Lévi-Strauss, « les structures élémentaires de l'identité féminine ». Comment représente-t-on les personnages féminins, selon quels regards, quelles stratégies ? Ils sont évidemment et de manière écrasante hétérosexuels, fort souvent adossés au sentiment amoureux et à un projet matrimonial, en situation de sujétion face aux entités masculines.

      Nathalie Heinich structure sa réflexion selon trois états de la femme romanesque : la première, jeune fille à marier, devient souveraine légitime face au mari, et mère comblée comme il se doit ; la seconde, rivale ou maîtresse, est aux prises à la menace d’une autre fantasmée ; la troisième est gouvernante, veuve, vieille fille ou « bas bleu », en ce sens exclue du monde sexué, elle n’est rien ni n’est touché par la rivalité entre les précédentes. L’on se demande alors où placer la courtisane, la prostituée et fille des rues et de bas-étage, « la grisette et la débauchée », ou encore « concubine et maîtresse ». Même si l’on observe la survenue de nouvelles figures, en particulier entre les deux guerres mondiales, comme la « femme non-liée », indépendante financièrement et assumant sa sexualité, qui chamboule la représentation traditionnelle du féminin.

      Cependant des modèles iconiques surgissent, telle Rebecca, chez Daphné Du Maurier, qui est éprouvée par le « complexe de la seconde », soit l’ « incertitude quant à sa propre position, obsession d’une autre magnifiée, rabaissement puis négation de soi, endossement successif de rôles toujours plus infériorisant. » Nathalie Heinich y décèle un « Œdipe au féminin », ce qui s’explique par « l’identité de la structure entre la situation de la seconde épouse en rivalité avec la première pour l’amour du mari, et la situation de la fille en rivalité avec sa mère pour l’amour du père ». Ainsi, de Charlotte Brontë à Marguerite Duras, d’Henry James à Delly, l’on saura comment et quelle femme être, quelle femme remplacer dans le cœur ou le panier de mariage de messieurs exigeants, ou dupés. L’on devine que les désillusions dues au mariage sont nombreuses. Il en va ainsi en étudiant le cas de Madame Bovary par l’entremise de Flaubert, de Gervaise dans L’Assommoir de Zola. L’on ne pouvait rater les romans de Colette, icône de « l’affranchissement sexuel de la femme moderne », en particulier La Seconde, où les relations extraconjugales perturbent Fanny, l’épouse de Farou, quoique notre essayiste fasse l’impasse sur ce titre. Ni ces personnages emblématiques, Jane Eyre, menacée par une première femme folle, dans les pages addictives de Charlotte Brontë, « Tess, âgée de seize ans, violée au fond des bois, dans sa robe de fête » sous la plume de Thomas Hardy… Veuve joyeuse et dangereuse, femme passive ou révoltée, harem, polygamie, sorcière, « divorce et délivrance », « écriture et indépendance », ce sont cent « états de femme » qui donnent le vertige.

      Malgré la riche énumération d’intrigues romanesques et d’allusions à des personnages aux prises avec leur féminité, le roman ne se contente pas ici d’être un objet littéraire, il devient le « terrain » d’une enquête sociologique, anthropologique et psychanalytique. Le désir qui peut être tyrannie de la possession de l’autre chez l’homme peut devenir, au-delà du désir de procréation, au-delà de la domination patriarcale, un désir de reconnaissance chez la femme, celui d’un statut familial, social, intellectuel. L'appréciation traditionnelle des qualités littéraires des œuvres n’est pas ici la tasse de thé de Nathalie Heinich. Qu’importe, le but est autre, préférant scruter le récit, les personnages, en tant que témoignages et moteurs d’un temps, en tant que structures des mentalités. Il postule avec pertinence que le roman est un moyen pour les femmes de se connaître et d'exister, comme auteur et comme lectrice.

      In fine, faut-il saluer la probité de la chercheuse qui ne campe pas au sommet d’une position dogmatique, «  pour s’abstenir de toute position idéologique et, en l’occurrence, de tout engagement féministe », assumant une sociologie de la compréhension, ou se chagriner qu’elle ne joue pas dans la cour d’une lecture critique, déconstructive et militante du champ masculin à l’œuvre dans la fiction littéraire, se démarquant ainsi de ce que l’on appelle la recherche féministe ? La seconde démarche polluerait qui sait la première…

 

      Certes l’Histoire littéraire, dans les manuels scolaires de Lagarde et Michard, par exemple, honorait une écrasante majorité d’hommes. Mais, quand un tropisme hérité du XIX° siècle ne daignait pas considérer les « bas-bleus », ce n’était pas faute de candidates honorables ; il suffit de feuilleter ces copieux volumes de Femmes et littérature pour s’en convaincre. Ces dames ne sont plus seulement des personnages de la fiction occidentale, le plus souvent écrite par des hommes, quoiqu’ils puissent dire avec justesse « Madame Bovary c’est moi », mais depuis longtemps et pour longtemps des créatrices à part égale. Espérons qu’un avenir venu de la dystopie de Noami Alderman, dont Le Pouvoir[8] met en scène une tyrannie féminine, ne nous obligera pas à devoir imaginer un essai en miroir intitulé « Hommes et littérature »…

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[1] Sainte-Beuve : Galerie des femmes célèbres, Garnier Frères, sans date, p 435.

[5] George Sand : Romans I et II, La Pléiade, Gallimard, 2019.

[6] Madame du Boccage : Œuvres, Les Frères Périsse, 1770.

[8] Voir : Révolution anthropologique, féministe et politique du Pouvoir par Naomi Alderman

 

Madame de Genlis : Mademoiselle de La Fayette ou le siècle de Louis XIII,

Maradan, 1813. Photo : T. Guinhut.

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20 mai 2020 3 20 /05 /mai /2020 11:59

 

Murano Francesco Zugno (1709-1787) : Il Trionfo di San Lorenzo,

Museo del vetro, Murano, Venezia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

 

Thierry Guinhut

 

LA REPUBLIQUE DES RÊVES

 

Roman

 

L'Harmattan, 468 p, mai 2023.

 

 

 

          Louis Braconnier deviendra-t-il l'artiste qu'il rêve d'être ? Connaîtra-t-il le fin mot des machinations politiques qui irriguent la cité bordelaise et l'utopie d'Euro Urba ? Des grands vins au radio-télescope de Nançay, des récits amoureux à la trouble galaxie des hommes de pouvoir, de l'idéalité des colloques à la corruption des virus du sida et de l'argent détourné, un archipel de personnages aux destins croisés intrigue, aime et meurt par épisodes, court vers la réussite, l'oubli ou le crime.

       Une philosophico-burlesque initiation aux grands crus girondins précède « La Conscience de Bordeaux », pour accéder avec l'artiste photographe à l'Aquitaine Communauté des Savants. L'on élargira ses rencontres lors des histoires d’ « Eros à Sauvages », avant de basculer dans les cérémonies funéraires de « Job ». Et c'est grâce à des trajectoires insolites, à leurs quêtes de montagnes et de particules quantiques que Louis et l'astrophysicien Rémi ourdiront chacun leur « De natura rerum », non sans les défis d'une vaste enquête financière et criminelle.

          Véritable somme, La République des Rêves déploie une étonnante galerie de personnages : la fantasque Flore, l’œnologue Robert, Léo le platonicien concepteur de ville-nuage, Le Ministre Lecommunal, les députés Antonelli et Orlu, la mystérieuse Eros, Julius l'érotomane distingué, « la Jeannie la barjo », Joss Roche-Savine machiavélique promoteur d'Euro Urba ville promise, le moine catho-zen, la Juge Judith-Renée... Et bien des comparses qui trouveront la chute ou l'accomplissement, et dont les révélations éclaireront d'un jour parfois sardonique ce grand roman philosophique, cette fresque de société aux nombreuses ramifications.

 

LA REPUBLIQUE DES RÊVES

roman

 

 

   Une route des vins de Blaye au Médoc

 

II  La Conscience de Bordeaux

      La Conscience de Bordeaux

      Le contrat faustien

 

III  Bironpolis

       Incipit : la République des savants

       Les nuages de Titien

 

IV  Eros à Sauvages, première journée

      Prologue

      Les belles inconnues

 

V   Eros à Sauvages, deuxième journée

 

VI  Eros à sauvages, troisième journée

       Mélissa et les sciences politiques

 

VII Job

       Le testament de Job

 

VIII De natura rerum

         Incipit

         Euro Urba 

         La montée vers l’Empyrée  

         Excipit                                                                       

 

Bibliographie

 

 

 

Roman paru en mai 2023 aux éditions de L'Harmattan.

     

Toute ressemblance avec des personnes ou des organismes réels serait purement fortuite et n'engagerait en aucune manière la responsabilité de l'auteur. De même, la ville de Bordeaux, l'observatoire du Pic du Midi, le CERN de Genève, le radiotélescope de Nançay et autres lieux sont traités avec toutes les libertés de la fiction.

 

 

EROS A SAUVAGES

 

 

Première journée :

Prologue

premier récit de Geneviève : La vérité nue des hommes.

premier récit de Gérard : Amalia Antonelli, ou les couteaux.

premier récit de Flore : Le conte des deux clones.

premier récit de Louis : Les belles inconnues

premier récit de Julius : Aude Sarlande, suivi de Galante la parfumeuse.

premier récit d'Eros : Cynthia et Philip, roman rose.

première soirée : Léo et les piscines de la Pomme d’Or.

 

Deuxième journée

 

deuxième récit de Geneviève : Les 24 femmes de Raymond Lecommunal.

deuxième récit de Gérard : Sibylle et Béatrix, ou le voyeur puni.

deuxième récit de Flore : Le conte de la Belle et du jardinier.

deuxième récit de Louis : Trois amoureuses, dont Sylvie et son viol.

deuxième récit de Julius : Une trouvaille, suivi d'une voilette.

deuxième récit d'Eros : Minette et les prétendants, roman noir.

deuxième soirée : Léo et ses historiens en sida.

 

Troisième journée

 

troisième récit de Gérard : L'opéra bouffon, ou l'attente comblée.

troisième récit de Geneviève : La confession d'une femme mariée.

troisième récit de Flore : Le conte de moi.

troisième récit de Louis : Mélissa et les sciences politiques

troisième récit de Julius : Diane et Natacha, suivi de la danseuse indienne.

troisième récit d’Eros : Eros et ses proies, roman rouge.

troisième soirée : Voyage en Erotélie.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

Ligne méridienne et cadran solaire de Bianchini,

Chiesa Santa Maria degli angeli, Rome. Photo : T. Guinhut.

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17 mai 2020 7 17 /05 /mai /2020 10:41

 

Elisabeth de Quaasteniet, Hotel Monasterio, Boltaña, Huesca, Aragon.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Les romans intimistes

de Mieko Kawakami & Kawakami Hiromi :

De toutes les nuits, les amants ;

Seins et œufs ; J’adore ;

Le Temps qui va, le temps qui vient.

 

 

 

Mieko Kawakami : De toutes les nuits, les amants,

traduit du japonais par Patrick Honnoré, Actes Sud, 2014, 288 p, 21,80 €.

Mieko Kawakami : Seins et œufs, traduit par Patrick Honnoré, Actes Sud, 112 p, 13,50 €.

Mieko Kawakami : Heaven, traduit par Patrick Honnoré, Actes Sud, 2016, 240 p, 20 €.

Mieko Kawakami : J’adore, traduit par Patrick Honoré, Actes Sud, 2020, 224 p, 21,50 €.

 

Kawakami Hiromi : Le Temps qui va, le temps qui vient,

traduit par Elisabeth Suetsugu, Philippe Picquier, 2013, 280 p, 19 €.

 

 

 

      À la charnière des X° et XI° siècles, le Japon connut un « âge d’or de la prose féminine[1] ». Qui sait si les auteures du Dit du Genji, Dame Murasaki Shikibu, des Notes de chevet (ou « de l’oreiller »), Sei Shônagon[2], ont trouvé une lointaine et plus modeste descendante en la personne de Mieko Kawakami, pour un nouvel âge d’or de la féminité littéraire japonaise ? Murasaki Shikibu dépliait, sous le voile translucide d’un érotisme discret, la vie des femmes de la cour, leurs amours intenses et souvent contrariés, en un immense roman-fleuve constellé de poèmes allusifs : les waka. Notre contemporaine reçut le fameux prix Agutagawa pour sa nouvelle au titre indécent et comique : Seins et Œufs. Elle sut alors comment rendre intéressante les vies les plus banales. Il semble qu’il s’agisse d’un art maîtrisé par les auteurs japonais, au premier rang desquels la jeune Mieko Kawakami, née à Osaka en 1978. On l’avait remarquée lors de son bref roman intimiste et discrètement féministe ; elle récidive, avec De routes les nuits, les amants, puis avec J’adore, en explorant la personnalité, si pauvre en apparence, d’une anti-héroïne, puis de deux adolescents. Découvrons également, par rebond, le roman d’une homonyme, Kawakami Hiromi, dont nous lirons Le Temps qui va, le temps qui vient.

 

      Les générations de femmes japonaises sont l’un des fils d’Ariane de la romancière et nouvelliste Mieko Kawakami, également diplômée de philosophie, musicienne, actrice et poète. Dans Seins et œufs, c’est en toute sensibilité qu’elle oppose une fille et sa mère de quarante ans, dont le projet, la lubie, est de se faire refaire les seins. Sa petite poitrine, plate comme des « œufs », est en effet pour elle une « malédiction ». On se doute que la chirurgie esthétique serait une revanche sur la jeunesse perdue, voire une concurrence insidieuse avec son enfant en devenir de femme. L’adolescente pubertaire tourne alors ses réflexions angoissées vers son propre corps, ses règles, la reproduction sexuée ; au point de demander aux ovules et aux spermatozoïdes » si l’on « devrait éviter de les faire se rencontrer ». Elle ne communique qu’avec les notes d’un carnet, se mure dans le silence, dans son journal intime dont les pages alternent avec le récit de Natsu, la cadette célibataire de Makiko. Comme au cours de Toutes les nuits, les amants, le réalisme du huis clos, un rien clinique, est légèrement tragicomique. Reste que toute japonaise que soit la sensibilité de Mieko Kawakami, entre analyse impitoyable des fantasmes, des peurs, des désillusions et compassion, elle devient la nôtre, reflétant plus que des destins de femmes, mais d’humanité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      C’est par antiphrase que le titre nous accroche : Toutes les nuits, les amants. Car Fuyuko n’a pas le moindre amant pour ses nuits, en sa chasteté rétrécie, ni pas grand-chose pour plaire d’ailleurs. Elle est passe-partout, la trentaine peu causante, quoique volontiers attentive, elle couve une addiction pitoyable au saké, qui alourdit son haleine. Sa culture est d’une faiblesse insigne, puisqu’elle ne retient rien de ce qu’elle lit. Pourtant, elle est correctrice free-lance, maniaque invétérée de son métier qu’elle exerce comme un sacerdoce laïque et moral : « C’était comme si je n’existais nulle part ». Ses rares rencontres sont formelles, avec Hijiri, sa patronne néanmoins amicale et dont la vie relationnelle et sexuelle est agitée, nombreuse, en une parfaite antithèse. Mais aussi, peu à peu, de loin en loin, avec un homme, Mitsutsuka, professeur de physique, dont le discours sur la lumière la fascine. Va-t-elle laisser ouvrir sa carapace au contact de ces deux êtres ? Saura-t-elle ce qu’est l’amitié, voire l’amour avec celui qui offre un disque de Chopin, avec qui elle mange « une soupe de terre » ?

      Au creux des abîmes existentiels de la solitude psychologique et de la relation avec l’étrangeté de l’autre, Mieko Kawakami sait offrir à son lecteur, entraîné à son corps défendant, une intrigue qui le confronte aux incompétences et aux possibilités de son existence. Correctrice, peut-être s’agit-il d’une métaphore de nos tentatives de pouvoir sur le monde et sur autrui ; timide, introvertie, s’agit-il de notre piètre destin sous influence, qui peu à peu s’éclaire en des épiphanies lyriques… Le roman réaliste de l’incommunicabilité devient peu à peu sentimental, profondément émouvant, quoique pas un instant à l’eau de rose. Il traque la condition féminine japonaise au tournant de son évolution, alors que la solitude de l’anti-héroïne s’exile entre femmes indépendantes sexuellement actives et femmes mariées insatisfaites qui se confient à la narratrice.

      Sans nul doute, en ce roman qui est peut-être sa plus intense réussite, notre Mieko Kawakami, fouillant et dépliant le non-dit des sentiments et de la sensibilité, est une lointaine héritière de Murasaki Shikibu, cette fabuleuse femme de lettres du XIème siècle, qui inventa le roman psychologique, fort avant Madame de Lafayette. Elle fit s’épanouir, non sans que bien des fleurs s’y fanent, le cœur des femmes de la cour, dans le roman fondateur aux multiples volets de la culture nippone, le Dit du Genji[3]. Certainement peut-on imaginer que Mieko Kawakami, sociologue de la condition et de la sensibilité féminine du tournant du XX° et du XXIème siècle, où les femmes ont plus de liberté, mais non moins de solitude, malgré le format modeste de ses romans, en soit un lointain avatar. Sans compter que ses seins ont de nombreux amants : lecteurs et lectrices…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Chez Mieko Kawakami l’enfance et le passage vers l’âge adulte sont tout un roman. Un roman rose et noir. Le harcèlement scolaire frappe les deux adolescents d’Heaven, l’un brimé pour un défaut physique, l’autre pour son apparence volontairement négligée. La violence des élèves du collège s’abat sur eux comme grêle morale et physique. Cachés aux adultes qui pensent les entourer, leur souffrance, leur stoïcisme les rapproche : ainsi nait une réelle et pudique amitié. La dimension psychologique tout en finesse du roman n’empêche en rien celle sociologique : un roman engagé nait sous nos yeux, un appel à l’attention se lève, de façon à ne plus ignorer les traumatismes du harcèlement scolaire. Est-cette amitié, ou l’espoir de voir un ciel de paix se révéler qui résonnent dans le titre ?

      Plus paisible et néanmoins inquiet est J’adore. C’est encore dans et au dehors des salles de classe que se croisent les collégiens Hegatea et Mugi. L’on sait que l’amitié nait de la rencontre de points communs. Ces deux enfants ont tous deux perdu un parent ; mais les unit surtout leur désir effréné de nommer les choses de la vie. La première, dont le père est critique de cinéma, adore les films dont elle mime à la perfection les scènes et les expressions. Le second adore dessiner, arroser de « pluie colorée » le papier et faire le portrait de « Miss Ice Sandwich » pour le lui offrir en un pudique hommage.

      D’un narrateur à l’autre, la romancière offre à son lecteur un vif sens de l’observation et des images, vus au travers du regard enfantin, sans cesse à l’affut et surprenant. La grand-mère mutique de Mugi meurt. Hegatea est bouleversée en découvrant sur Internet que son père a une autre fille, d’autant qu’elle est censée rédiger en classe un « Livre de nos souvenirs ». L’incendie du « magasin des pierres à pouvoirs » les impressionne, les failles des adultes les laissent perplexes, entrainent des abîmes de soupçons, de furtives enquêtes, jusqu’à la rencontre des deux sœurs. Comment analyser et exprimer au mieux le mystère de ses émotions ? La brouille et la réconciliation permettent aux deux amis de mieux se comprendre. Au-delà d’une émouvante intrigue, ce sont la concurrence et la complémentarité entre l’image et le langage qui sont mises en scène en ce récit psychologique. Il n’est pas douteux qu’avec ce quatrième livre traduit chez nous et tout en finesse, Mieko Kawakami puisse nous ravir, d’autant qu’à sa sensibilité particulière s’ajoute la dimension de l’initiation à l’être et au monde.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Voici une homonyme : Kawakami Hiromi, née à Tokyo en 1958, dont nous aimons Le Temps qui va, le temps qui vient. C’est autour d’une boutique de poissonnier que s’organise ce roman en forme de puzzle. Peu à peu, surgit sous nos yeux tout un quartier de Tokyo, mais aussi son mode de vie, parmi lequel cuisine et gastronomie ont une large place. Ses habitants nous rendent visite, nous parlent. Ce sont un veuf et l’amant de sa femme qui deviennent amis, une cliente enseignante avec qui les liens de cordialité et de compassion parviennent à se nouer. Plus loin, comme dans d’autres nouvelles, ce sont les jeunes élèves de cette dernière qui nous content leur enfance, leurs petites amours, leurs amitiés parfois contrariées, leur vie familiale souvent difficile. Ou les parents, dont les vies sont en pointillés : elles vont de mariages en divorces, de maîtresses en remariages, voire jusqu’à la solitude. On y croise un homme malchanceux qui démissionne de plusieurs emplois, avant de devenir « auxiliaire de vie », des gamins qui capturent des vipères pour les vendre. Fait d’une pléiade de petits récits, apparemment disjoints, ce roman intimiste est tissé de psychologie et d’affects, dans une tonalité tendre et douce-amère. Les petits riens et les grands événements se distribuent et se complètent, ténus ou graves, mais toujours dans une sorte de prose semi-poétique qui parvient à toucher la sensibilité du lecteur. Bientôt l’on comprend que tous ces personnages sont liés : « Ces parcelles, innombrables, par millions, par milliards se combinent et nous existons ». Toutes ces existences aléatoires forment un motif dans le tapis de l’univers, comme celui d’Henry James[4]. Ainsi, l’écriture de cette auteure a pour vocation de ressusciter une population inaperçue : « Jusqu’à ce qu’un jour les hommes disparaissent de l’univers, moi, Heizô, Genji, nous vivons. Perpétués par ceux qui vivent aujourd’hui, dans cette ville, dans ce quartier, au fin fond de la mémoire ».

 

      Par chance, Kawakami Hiromi est abondamment traduite. Son écriture est amoureuse de l’amour et de la sexualité, comme dans Les Années douces[5], récit d’une relation épisodique entre une trentenaire et un professeur septuagénaire, ou Les Dix amours de Nishino[6]. Ce roman étonnant sait entretisser avec soin le personnage énigmatique de Nishino, sous les yeux de dix femmes, qui, tour à tour, sont les observatrices et narratrices de ce contrepoint poétique et parfois amusant. Sans guère de doute, l’on peut supposer qu’un inconscient littéraire permet de lier cette romancière, et bien évidemment Mieko Kawakami, à la tradition du Dit du Genji, en un renouvellement obligé du roman sentimental et psychologique en une ère plus moderne et plus féministe.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur De toutes les nuits, les amants a été publiée dans Le Matricule des anges, avril 2014,

celle sur J'adore, avril 2020.

 


[1] Jacqueline Pigeot : L’Âge d’or de la prose féminine au Japon (X°-XI° siècle), Les Belles Lettres, 2017.

[2] Sei Shônagon : Notes de chevet, Connaissance de l’Orient, Gallimard / Unesco, 1985.

[3] Murasaki Shikibu : Le Dit du Genji, Diane de Selliers, 2007.

[4] Henry James : Le Motif dans le tapis, Nouvelles complètes 1888-1898, La Pléiade, Gallimard, 2011, p 1117-1161.

[5] Kawakami Hiromi : Les Années douces, Philippe Picquier, 2005.

[6] Kawakami Hiromi : Les Dix amours de Nishino, Philippe Picquier, 2015.

 

 

Manga japonais XIX°. Photo : T. Guinhut.

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15 mai 2020 5 15 /05 /mai /2020 14:05

 

Catedral de Santo Domingo de la Calzada, La Rioja.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Les spectaculaires funérailles de Julien

 ou la page dernière

du Rouge et le Noir de Stendhal.

Lecture analytique linéaire.

 

 

 

      Nature morte et vanité par excellence, le crâne orne les tombeaux et les tableaux allégoriques, comme la tête coupée de Julien Sorel orne l’excipit du roman de Stendhal. Marie-Henri Beyle, né à Grenoble en 1783 et mort à Paris en 1842, emprunta son pseudonyme poétique à la ville allemande de Stendhal, grâce auquel fut consacrée sa réputation littéraire. Après une carrière de sous-lieutenant en Italie, devenu intendant dans l’armée napoléonienne, il suit la trace de son impérial héros, de Vienne à Moscou. Le dandy mélomane aux nombreuses amours se réfugie à Milan à la chute de l’Empire, avant de résider entre Paris et l’Italie. Mélomane passionné, il publie sous le pseudonyme de Bombet Les Vies de Haydn, Mozart et Métastase, en 1814 ; puis Rome, Naples et Florence en 1817, cette fois sous le nom de Stendhal. En 1822, son essai De l’Amour, reflet de sa passion pour Métilde, présente sa célèbre théorie de la « cristallisation » amoureuse. Après le manifeste romantique de Racine et Shakespeare, son premier roman s’intitule Armance. En 1839 paraît La Chartreuse de Parme, avant que seules des publications posthumes assurent l’importance de ses œuvres autobiographiques, telles que La Vie d’Henry Brulard, au titre transparent. Mais en 1830 avait été publié Le Rouge et le noir, qui s’appela d’abord Julien, du prénom de ce jeune précepteur d’origine modeste qui s’élève jusqu’aux sphères de l’aristocratie. Après avoir séduit deux femmes, Madame de Rênal et Mathilde de la Mole, il meurt sur l’échafaud pour avoir tenté d’assassiner sa première maîtresse qui avait dénoncé sa duplicité, son « hypocrisie » et sa « séduction ». Penchons-nous sur l’excipit du roman, soit la dernière page. Comment le cérémonial funèbre contribue-t-il à l’esthétique romantique de ce roman ? Etudions, en une lecture analytique linéaire, la loyauté de Fouqué, puis les mises en scènes macabres de Mathilde et enfin la mort discrète de Madame de Rênal.

      Séparé par une ellipse, où l’on devine l’exécution de Julien, notre passage voit Fouqué seul, d’abord loué par le narrateur, en un registre épidictique : « Fouqué réussit dans cette triste négociation », ce qui est une conséquence des paroles testamentaires recueillies auprès du condamné. L’habileté et la fidélité de l’ami sont soulignées par le verbe au passé simple et l’oxymore associant une personnification pathétique à l’art de la diplomatie. Le personnage est mis en valeur à la façon d’un religieux priant auprès d’un mort, quoique la scène soit désacralisée. Sa solitude est aiguisée par la chronographie nocturne, par l’austère topographie de « la chambre » et par le champ lexical funèbre de la veillée mortuaire. « Le corps de son ami », souligne la dichotomie entre l’âme disparue, autrefois capable d’amitié, et ce qui reste, en un euphémisme : « le corps ». Ce que l’on comprend être une longue et amère méditation est brusquement interrompu par une entrée perturbatrice et théâtrale, marquée par le passage de l’imparfait au passé simple : « Il passait la nuit seul dans sa chambre, auprès du corps de son ami, lorsqu'à sa grande surprise, il vit entrer Mathilde ». Son émotion est à l’antithèse de la précédente, comme les deux personnages sont opposés, ami et amante, homme et femme, abattu et surexcitée. Suit une brève analepse et une topographie régionale, la lieue faisant environ quatre kilomètres : « Peu d'heures auparavant, il l'avait laissée à dix lieues de Besançon ».
      Le champ lexical de la vue, celle de Fouqué, balaie le personnage de Mathilde avec une personnification et une synecdoque, accusant son exaltation à la limite de la folie : « Elle avait le regard et les yeux égarés ». Le portrait moral, ou éthopée, la montre décidée, autoritaire, exprimant une exigence, un ordre, qui ne souffre pas de retard, grâce à un bref registre délibératif au discours direct : « Je veux le voir, lui dit-elle ».
Fouqué représentant l’émotion vraie sans théâtralité, mais aussi la faiblesse, l’antithèse se poursuit : « Fouqué n'eut pas le courage de parler ni de se lever. Il lui montra du doigt un grand manteau bleu sur le plancher […] Fouqué détourna les yeux. […] Lorsque Fouqué eut la force de la regarder ». Le champ lexical de la vue oppose les deux protagonistes, l’un cache par pudeur et craint de regarder, tétanisé par l’effroi, montrant « du doigt », et non du regard, l’autre veut voir et exhiber. Entre eux deux est « un grand manteau bleu sur le plancher », disposé comme s’il était vide, mais inquiétant par sa grandeur, par la froideur de sa couleur, en une allusion à celle du ciel, sinon au costume bleu et jaune porté par Werther, suicidé par amour impossible, dans le roman de Goethe : Les Souffrances du jeune Werther. Répondant au « corps de son ami », l’objet tragique est évoqué par un euphémisme : « là était enveloppé ce qui restait de Julien ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Au contraire de l’intimisme de l’évocation de Fouqué, Mathilde est une actrice de la théâtralité spectaculaire : « Elle se jeta à genoux. Le souvenir de Boniface de La Mole et de Marguerite de Navarre lui donna sans doute un courage surhumain ». La passion du romanesque pousse Mathilde à accomplir son geste macabre avec une hyperbole et à l’aide de ce « souvenir » qui confère à son acte la dimension généalogique et aristocratique requise, venue du chapitre X de la seconde partie, dans laquelle « la reine Marguerite de Navarre osa faire demander au bourreau la tête de son amant », soit Boniface de La Mole. Ainsi Julien, par cette comparaison implicite, fait symboliquement partie de la lignée de La Mole. L’émotion de Mathilde est accentuée par une personnification. « Ses mains tremblantes ouvrirent le manteau », et par un trouble érotisme.
      La focalisation interne là centrée sur Fouqué (quoique dans un roman usant du point de vue omniscient) mène le discours narratif et descriptif, d’abord grâce au champ lexical de l’ouïe, puisqu’il n’ose regarder, ensuite celui de la vue : « Il entendit Mathilde marcher avec précipitation dans la chambre. Elle allumait plusieurs bougies. Lorsque Fouqué eut la force de la regarder, elle avait placé sur une petite table de marbre, devant elle, la tête de Julien, et la baisait au front ». Un rituel macabre et nécrophile, transmuant la sombre veillée mortuaire en adoration d’un reliquaire illuminé, est mis en scène par l’amante narcissique, puisque sans nul doute elle reproduit une anecdote historique avec grande autosatisfaction. Eros et Thanatos, soit l’amour et la mort, sont ici présents, par ce baiser, presque maternel, puisqu’au « front », quoique le narrateur, d’une manière elliptique, s’abstient de décrire, par bienséance et pudeur, la « tête » que l’on devine sanglante et convulsée, et cependant sacralisée comme une relique sur le « marbre », un matériau noble relevant de l’objet d’art, esthétisant la scène. L’écho du romantisme noir est patent, venu de ces romans gothiques anglais au goût macabre de la fin du XVIII° et du début du XIX° siècle, comme Le Moine de Lewis.
      Là encore une ellipse précipite le lecteur vers les funérailles : « Mathilde suivit son amant jusqu'au tombeau qu'il s'était choisi ». Le champ lexical égrené de la mort amplifie le registre tragique, tandis que Mathilde assure sa fidélité à la dernière volonté de Julien. Le narrateur ménage une antithèse entre la solitude assumée de l’héroïne en un lieu clos, sa secrète action, la reprise du mot « genoux », signifiant sa révérence envers l’être aimé, accentuée par le modalisateur « tant », et d’autre part le cortège officiel des membres du clergé : « Un grand nombre de prêtres escortaient la bière et, à l'insu de tous, seule dans sa voiture drapée, elle porta sur ses genoux la tête de l'homme qu'elle avait tant aimé », ce qui est une note élégiaque. L’on devine que cette voiture est « drapée » de noir, rappelant, conjointement avec la tête à la gorge tranchée de sang, le titre du roman.
      Le sommet des funérailles est également un sommet topographique : « Arrivés ainsi vers le point le plus élevé d'une des hautes montagnes du Jura […] dans cette petite grotte ». Ce choix de la grotte est symbolique : elle signe d’abord le retour de Julien dans cette ville qu’il abhorre au début du roman ; d’autre part, sa position dominante en fait un lieu symbolique par la domination qu’il s’assure au-dessus de cette même ville, par sa situation élevée qui coupe le personnage de l’agitation du monde, soit un romantisme qui n’est pas sans rappeler les tableaux du peintre romantique allemand Caspar David Friedrich. En effet, cette notion d’élévation est clairement soulignée  puisqu’ils se trouvent au « point le plus élevé d'une des hautes montagnes », ce qui est la métaphore de l’ascension sociale de Julien depuis le début du roman, ce malgré son déraisonnable acte criminel qui entraîne sa chute et le conduit vers la mort. À l’antithèse de l’immensité et de l’altitude, leur répond la « petite grotte » par sa taille humaine et sa profondeur. Elle devient un monument au mort, assurant à Julien une gloire posthume usurpée par la vanité de Mathilde. Autre antithèse spectaculaire, celle de l’ombre et de la lumière, métaphores de la mort et d’une vie éternelle, suggérée par l’hyperbole, « infini », le champ lexical religieux, les « cierges » qui sont l’amplification des bougies précédentes : « au milieu de la nuit, magnifiquement illuminée d'un nombre infini de cierges, vingt prêtres célébrèrent le service des morts. Tous les habitants des petits villages de montagne traversés par le convoi l'avaient suivi, attirés par la singularité de cette étrange cérémonie ». Les marques quantitatives sont nombreuses : « nombre infini », « vingt », « tous les habitants », pour accentuer la solennité et l’importance de la scène, telle que voulue par les goûts de grandeur et de pompe de Mathilde. Si Julien pouvait encore regarder, il verrait avec ironie (et c’est celle du narrateur) se réunir pour ses funérailles les trois ordres de la société qu’il a pourtant méprisés et défiées jusqu’à son procès : l’aristocratie, le clergé et le peuple villageois, en une piquante description sociologique.
      Le narrateur montre que Mathilde choit dans l’ostentation et dans tous les travers de sa caste : elle fait une véritable entrée théâtrale, en grand costume, soulignée par le verbe « paraître » : « Mathilde parût au milieu d’eux en longs vêtements de deuil », ses derniers rappelant le « grand manteau bleu ». Aveuglée par sa vanité nobiliaire, elle reste enfermée dans sa caste au point de risquer de méconnaître la vérité de Julien, sa conduite va à l’encontre de la façon modeste dont celui-ci a vécu sa mort, assurant cependant la gloire à son ambition, de manière posthume, dans un sépulcre splendide. La nature et l’art sont à l’antithèse, avec « grotte sauvage » et « marbre sculpté à grand frais », ce dernier répétant avec une gradation ascendante « la petite table de marbre ». Le champ lexical de l’argent est celui de l’ostentation : « Mathilde parut au milieu d'eux en longs vêtements de deuil, et, à la fin du service, leur fit jeter plusieurs milliers de pièces de cinq francs ». Si l’avarice est un péché capital, l’indécente prodigalité, marquée par l’exagération, est loin d’être une vertu ; l’ostentatoire charité est donc une acmé de l’orgueil, où l’on devine une fois de plus l’ironie du narrateur. Enfin, « restée seule avec Fouqué, elle voulut ensevelir de ses propres mains la tête de son amant ». La beauté du geste, digne d’une scène picturale, au milieu des marbres travaillés avec art, contraste avec ce que l’on devine être la laideur de la tête, à moins qu’il s’agisse, dans une opération esthétique concertée, de la beauté du laid, donc du sublime. Ce qui foudroie le spectateur : « Fouqué faillit en devenir fou de douleur ». Le nom de Fouqué étant répété, accentué par la répétition de la syllabe « fou », en une association de sonorités persuasive, s’agit-il de renforcer l’hyperbole ou de l’opposer à la maîtrise de soi de l’amante qui va jusqu’à jouer le rôle cérémoniel du fossoyeur, de prêtresse d’un culte chtonien, puisque dans une grotte, et solaire puisqu’au sommet d’une montagne…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Hors un paragraphe, relevant plus exactement du paratexte, qui justifie l’invention de la « petite ville de Verrières » et donc garant du statut de la fiction romanesque, le roman trouve une chute discrète, à l’antithèse des attitudes de Mathilde : « Madame de Rênal fut fidèle à sa promesse. Elle ne chercha en aucune manière à attenter à sa vie ; mais trois jours après Julien, elle mourut en embrassant ses enfants ». Les trois jours ont quelque chose de christique (puisque Jésus ressuscita trois jours après sa crucifixion). Une fois de plus, le narrateur connait les sentiments et les pensées de ses personnages, en une focalisation omnisciente habilement menée. Au contraire des nombreuses velléités exaltées de suicide de Julien, elle confirme son rôle de victime expiatoire, alors que son amour pour Julien ne lui permet pas de négliger l’amour maternel, qui reste une valeur infrangible.
      À l’inverse de Mathilde, dont l’amour pour Julien est d’abord un amour d’orgueil personnel, Mme de Rênal, même si elle ne réapparaît que dans les deux dernières lignes, et pour disparaître, représente peut-être aux yeux  du narrateur la vérité de Julien. Absente tout au long de cette page, loin de l’horreur, elle retrouve tous ses droits à la dernière ligne qui la consacre comme l’héroïne ultime du roman et la véritable amante. C’est à elle que Julien a confié la garde de son fils futur, dont la mère est Mathilde, faisant d’elle sa profonde épouse de cœur, et lui redonnant l’image maternelle qui a caractérisée la jeune femme tout au long du roman. Mme de Rênal, au contraire de Mathilde, clôt son destin avec celui de Julien, en allant jusqu’au bout de sa passion. Elle reste fidèle à elle-même et à ses convictions morales et religieuses prohibant le suicide, « elle ne chercha en aucune manière à attenter à sa vie », et meurt comme elle a vécu, en mère et femme aimante. Après la mort sanglante de Julien et l’ostentation macabre de Mathilde, le roman s’achève sur une mort douce, une vision apaisée. Non sans faire penser au traditionnel memento mori, consubstantiel au registre tragique empreignant cet excipit qui sait subtilement unir émotion profonde et ironie stendhalienne.

 

      Les valeurs d’un personnage sont l’ensemble des croyances et des principes qui vont l’influencer dans ces choix et décisions pour donner du sens à sa vie. Honorer un mort et l’accompagner au tombeau est un devoir moral partagé par Fouqué et Mathilde, au-delà des barrières sociales entre la fille du marquis de la Mole et le propriétaire d’une entreprise de vente de bois. Tous deux  honorent le souvenir Julien, fils de paysan anobli, malgré leurs différences de classes sociales. Si l’amitié et la fidélité sont les valeurs du personnage de Fouqué en cet incipit, celles de Mathilde sont l’aristocratie, le luxe et l’amour passion. Mais ces derniers sont ostentatoires, alors que Madame de Rênal aime avec plus de discrétion, voire de sincérité, jusqu’à la mort. Ainsi l’esthétique de Stendhal s’appuie à la fois sur le réalisme, ici morbide, sur un spectaculaire sommet tragique, et sur le romantisme, qui compte autant de versants que ses deux personnages féminins. Cet expicit du Rouge et le noir, profondément original, met en valeur une grande diversité d’espaces, de sentiments et de picturalités. Ce en quelques paragraphes, qui répondent aux attentes des lecteurs en achevant le roman au moyen de la mort de Julien et de Mme de Rênal. Il peut être perçu comme l'achèvement d'une vie ambitieuse et trompeuse, exhibant le passage de l'illusion romantique à la réalité tragique. La concision, le sens de l’ellipse, la rapidité de la succession des émotions et des actions, tout cela, mené avec brio par notre Stendhal préféré, ne peut qu’accrocher et bouleverser le lecteur d’un tel roman d’apprentissage finalement avorté. La mort du personnage principal est un topos de l’excipit romanesque, à l’instar de Meursault, meurtrier lui aussi guillotiné, au final de L’Etranger d’Albert Camus publié en 1942, mais dans un contexte littéraire fort différent, puisqu’au lieu de romantisme il s’agit du mouvement philosophique de l’absurde.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

Voir : Julien lecteur bafoué. Stendhal : Le Rouge et le noir, I, IV, commentaire littéraire

Voir : L'échelle de l'amour : Julien et Mathilde. Stendhal, II, XIX, Le Rouge et le noir, lecture analytique linéaire

 

 

Photo : T. Guinhut.

 

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9 mai 2020 6 09 /05 /mai /2020 15:44

 

Lewis Carroll : Alice's Adventures in Wonderland, John Lane the Bodley Head LTD.

Lewis Carroll : Les Aventures d'Alice au pays des merveilles, Fernand Nathan, 1981.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Alberto Manguel lecteur des aventures d’Alice

& collectionneur de folie, de monstres.

 

 

 

 

Alberto Manguel : Nouvel éloge de la folie,

traduit de l’espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco et par Christine Le Bœuf,

Actes Sud, 2011, 400 p, 24 €.

 

Alberto Manguel : Monstres fabuleux,

traduit de l’anglais (Canada) par Christine Le Bœuf, Actes Sud, 2020, 288 p, 22,50 €.

 

Alberto Manguel : Un Retour,

traduit de l’espagnol (Argentine) par Alexandra Carrasco et par Christine Le Bœuf,

Actes Sud, 2005, 80 p, 12 €.

 

      Bibliomania, folie des livres et gourmandise du lettré sont de délicieux virus qui n’ont pas manqué d’insuffler une seconde vie, sinon la seule vraie, à l’écrivain argentin Alberto Manguel. Ainsi goûte-t-il le bonheur de se portraiturer en incurable et boulimique papivore. Son identité, entre Argentine natale, Canada d’élection, Londres des hippies et sérénité poitevine, entre quatre langues, le souvenir d’ancêtres juifs et l’intérêt pour la littérature gay, est avant tout celle d’un noble lecteur, mais aussi d’un essayiste et conteur. Ce serait assez d’éloges à lui faire s’il n’avait aussi le goût du partage. Il confie en effet à ses aficionados ses choix, ses analyses, toujours séduisants, souvent aussi fantasques que son Alice préférée… L’encyclopédiste protéiforme, quoique toujours animé par la courtoisie de la discrétion, n’en est pas à son coup d’essai. L’impressionnant Une Histoire de la lecture[1] balayait nos civilisations pour interroger ce silence ému de l’intellect devant le papier ouvert, mais aussi les cris brûlants des censeurs lors des autodafés[2]. Quant à La Bibliothèque, la nuit[3], cet essai, toujours curieux, enlevé, explorait les architectures et les mœurs de ces temples de la connaissance intemporels autant qu’à l’abri, du moins espérons-le, de la volatilité numérique. Une fois, deux fois de plus, voici Alberto Manguel courtisant en diable les bibliothèques dans son Nouvel éloge de la folie et collectionnant Les Monstres fabuleux de la littérature.

       L’arrivée torrentielle du numérique ne menace pas tant que l’on voudrait nous le faire croire. C’est du moins la conviction de Manguel dans son Nouvel éloge de la folie. Dans la continuité de l’humanisme d’Erasme et de son Eloge de la folie[4], du papyrus en passant par Gutenberg et au-delà des Ebooks, le livre en son objet reste une ferveur entre les mains, car « Dans ces bibliothèques fantomatiques, l’incarnation concrète du texte est abandonnée et la chair du verbe est privée d’existence. » La volatilité du texte sur écran, le picorage et le copié-collé d’un document électronique ne sont que « collecte d’informations », et ce n’est pas là « lire avec compétence (…) dans le labyrinthe des mots ». Vision passéiste, nostalgique, trop alarmiste ? Procès de ces pages de blog ? Ou sagesse devant un écran trompeusement disponible qui ne devient pas bibliothèque aux volumes vivants, aux pages caressées et comprises ?

      Comme en un jeu de piste, Alberto Manguel prend pour guide Alice « dans la forêt du miroir » (ce qui est un autre de ses titres [5]) pour tisser cet essai pluriel aux yeux plein de curiosités. Parmi « édits et inédits », il fait précéder chacun de ses trente-neuf petits bijoux d’une citation de Lewis Carroll : Alice au pays des merveilles étant pour lui, depuis l’enfance, un livre séminal. De « Qui suis-je ? » à la « Bibliothèque universelle », de l’enfance à la maturité, c’est à une autobiographie en lecteur que nous somme conviés. Depuis la gouvernante qui lui lisait ses premiers contes jusqu’à l’immense prieuré poitevin du grand âge qui abrita ses milliers de livres venus de garde-meubles de plusieurs continents[6], jusqu’aux « Notes pour une définition de la bibliothèque idéale », le parcours est vertigineux. Sans oublier, à tout seigneur tout honneur, des portraits du maître semi-aveugle dont il fut un des lecteurs : Borges lui-même, dont il relate les amours souvent malheureuses, sa passion pour Dante qui peut-être n’écrivit La Divine comédie que pour y placer sa Béatrice, réhabilitant enfin sa dernière épouse, parfois jalousée par les critiques et universitaires : Maria Kodama[7].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Seul bémol peut-être à pointer en ce retour sur ses vies et en ces pages profuses, en ces « Memoranda » : l’évocation du mythe Che Guevara, « héros romantique », « qui a assumé pour nous notre besoin d’agir contre l’injustice, notre encombrante mauvaise conscience ». Certes ; mais c’est trop vite oublier la carrière criminelle de celui qui contribua au régime communiste et donc liberticide de Fidel Castro et ne rêvait que d’en fonder d’autres… Reste qu’Alberto Manguel, qui se définit comme un « anarchiste modéré », est lui bien attaché à l’exercice souverain des libertés : il ne manquerait pas d’être révolté par les récents autodafés hongrois contre les livres du Juif Imre Kertész, qui connut en son enfance l’enfer des camps nazis[8], ou par les Frères Musulmans décidés à interdire l’un des chefs-d’œuvre préférés de Borges : ces merveilleuses Mille et une nuits. De cette éthique nécessaire témoigne, entre des évocations de la cécité d’Homère et des explorations parmi « Le commerce des livres », sa réflexion sur le rôle des journalistes et des écrivains - ces Don Quichotte - dans la « Persévérance de la vérité » face aux tyrannies et aux mensonges de l’Histoire, mais aussi en confrontant « Le sida et le poète ». Même face à une telle pandémie, un poème peut-il être une « lueur de bonheur […] une possibilité de sagesse » ?

      Ainsi, en ces « essais édits & inédits », va l’éloge de qui est atteint de la folie de la lecture, qui stocke des milliers de livres en une bibliothèque au lieu de les engouffrer dans une puce électronique ou dans un cloud internet, jusqu’à leur disparition programmée. Car l’art de lire, l’éthique de la lecture, se conjuguent avec la certitude de n’être « jamais seul » dans sa bibliothèque aux murs couverts d « amis littéraires ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Ils caressent et secouent nos nuits et nos jours, enrichissent de nouvelles excroissances nos mythologies, se dupliquent sur nos écrans, ces Monstres fabuleux de la littérature ! Ce sont « Dracula, Alice, Superman et autres amis littéraires » d’Alberto Manguel et, toutes affaires cessantes, du lecteur complice en amitié. Trente-huit petits croquis facétieux de la main de notre Alberto préféré illustrent autant de figures étonnantes et détonantes, qui boursouflent les pages, crevassent et fleurissent les oreillers du songe. Plus modestement, une quinzaine d'entre elles avaient déjà été publiées dans une version traduite de l'espagnol[9], ce qui permet de deviner les capacités presque babéliennes de notre essayiste, puisqu'il les a réécrits, amplifiés et multipliés dans la langue anglaise, alors qu'il maîtrise parfaitement le français.

      Il s’agit de lister ces obsédants et symboliques personnages autant que de considérer quels enseignements ils sont en mesure de nous délivrer. S’ils sont « monstres fabuleux », c’est presque un oxymore, autant la peur induite côtoie l’émerveillement, mais c’est souligner leur dimension totalement fictionnelle, tant ces créatures sont à l’image d’un « Adam verbal ». Si preuve en était besoin, ils témoignent le nécessité des amis  - ou ennemis - imaginaires, avec qui nous entretenons une « relation dyadique normale », pour emprunter l’expression d’Edmund Husserl. Ils sont pour Alberto Manguel une façon d’assurer son autobiographie : « J’ai toujours considéré ma vie comme  un composé des pages de nombreux livres ». D’autant que, fils de diplomate voyageur, toute chambre ne devenait la sienne qu’avec le concours de sa petite bibliothèque.

      Etrangement, l’essayiste commence avec un personnage inattendu, un médiocre à l’ombre d’une héroïne malheureuse : Monsieur Bovary, « le plus prosaïque ». Quoiqu’il ne fasse en rien rêver, il est proprement indispensable à l’intelligence du roman de Flaubert, mais également en terme d’élément contrastant au seuil de cette énumération d’héroïnes et héros féériques et légendaires. « Dépourvu d’imagination », il est l’antithèse des préférés de notre collectionneur.

      Plus colorés sont le Petit chaperon rouge et Dracula[10] : si éloignés soient-ils, le sang de l’innocence les désigne. Le loup du conte est un émule du marquis de Sade, celle qui finit dans le lit du loup annonce la destinée de la Lolita de Nabokov. Si la première est « emblématique de la liberté individuelle », vite châtiée par le loup, le second, prince sanguinaire de Valachie, va jusqu’à mordre à la gorge les jeunes gens de l’Angleterre en raillant le sang du Christ, et en recherchant ardemment la fontaine de la jeunesse. Jeunesse autrement « miraculeuse » que celle d’Alice, née de la rencontre d’Alice Liddell et du révérend Dodgson, alias Lewis Carroll. L’entrée dans le trou de lapin, puis la chute en spirale, le royaume labyrinthique de la Reine rouge et l’autre côté du miroir firent dès lors partie de « la littérature universelle ». Cette métaphore du voyage au travers du non-sens et de la folie humaine est à la fois enfantine et voisine de celui de Dante parmi l’Enfer souterrain, ce qui apparaît bien vite archétypal. La Reine de cœur est un « despote », ce « pays des merveilles » n’est pas loin de Kafka ; cependant face à un tel désordre, Alice conserve et logique et raison. Plus loin, répondent à ces enfants une jeune fille telle que la Belle au bois dormant, dont le sommeil ressemble à la mort, qui a l’art de « ne pas vieillir avec grâce », en son trouble érotisme.

      Faust est une sorte d’opposé de Superman. L’un, vieux, cherche la connaissance, la jeunesse, l’amour, et signe un pacte avec le Malin ; l’autre, toujours jeune, combat avec succès les forces du mal, tout en étant touchant par sa fragilité : « Je me sentais proche de Superman. Non pas, bien sûr, en raison de ses super-pouvoirs, mais à cause de la solitude forcée et de son impression d’être exclu ». Alberto Manguel souligne là cette identification qui fait de nos héros des doubles fantasmatiques. Superman, qui n’est pas le « surhomme » nietzschéen, est l’image du désir d’impossible qui éreinte l’homme, comme Don Juan cherche l’impossible de l’amour. Collectionneur et « tireur d’élite », ce dernier est semblable aux « conquistadors espagnols pillant les royaumes du Nouveau Monde ».

      Lilith, qui précéda Eve, aimait converser avec le serpent et concevoir des démons. Le Juif errant, qui repoussa Jésus, est condamné à voyager pour l’éternité. Ils viennent tous deux de mythes juifs et ensemencent la littérature de leurs maléfices, malheurs et errances, non sans hélas concourir à l’antisémitisme.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

      Après avoir écrit son De la curiosité[11], Alberto Manguel reste fidèle à cette vertu. Ce ne sont pas seulement les « amis littéraires » les plus connus qui le sollicitent, mais aussi Phoebé venue de L’Attrape-cœurs de Salinger, Hsing-Cheng dans La Conférence des oiseaux d’Attar[12], Jim l’un des noirs esclaves dans les Aventures d’Huckleberry Finn de Mark Twain. Ce dernier nous parle encore tant que le racisme sévira aux Etats-Unis et ailleurs… L’on ne s’étonnera cependant pas que Robinson Crusoé croise Queequeg, l’indien tatoué de Melville, ou le voyageur Sindbad, que le fascinant et effrayant Capitaine Nemo voisine avec le monstre de Frankenstein, que Jonas et Job jaillissent de la Bible ; et si nous attendions Don Quichotte, ô surprise, c’est Cid Hamet Ben Engeli, son auteur fictif imaginé par Cervantès, qui le détrône ici, en ambigu témoin de la culture morisque. Plus étonnant encore est ici la présence d’Emile, le jeune homme qu’éduque par la nature Jean-Jacques Rousseau, et qui serait aujourd’hui tout autre : « Plutôt que par une éducation rationnelle, l’apprentissage quotidien d’Emile s’effectue au moyen d’annonces publicitaires et de jeux électroniques qui lui disent que le bonheur, on peut l’acheter, que la violence est sans conséquences et que les anciennes règles patriarcales sont encore en vigueur ». La satire de celui qui manque d’éducation, est rude, amère, hélas passablement réaliste…

      Monstrueux au sens propre est la chimère, mythologique et rêveuse en sa polysémie, ce qui entraîne notre essayiste à énumérer les « monstres d’aujourd’hui » : Hitler, Staline ou « les tueurs en séries, les violeurs ». Alors que pauvre monstre humain reste Quasimodo, qui « demande seulement qu’on l’autorise à être », même si c’est l’idéaliser. Il y a ceux qui font peur, comme Satan, « l’implacable ennemi de l’humanité », ou le « Wendigo » cannibale qui hante les forêts du nord du Québec. Ceux qui font rêver comme l’hippogriffre, merveilleux cheval volant au service du héros, parmi le poème de l’Arioste, Roland furieux, où règne « une logique poétique sauvage ». Ainsi demeure la dichotomie entre le bien et le mal.

      Une fois de plus, autant les plus anciens « amis littéraires » que les plus récents (l’on aurait pu ajouter Harry Potter) entraînent l’écrivain et moraliste à réfléchir sur notre temps, voire à d’étonnantes extrapolations, comme lorsque le biblique Jonas le conduit au statut des artistes de Ninive qui pourrait être le nôtre. Pourtant, le rappelle Alberto Manguel, « la fiction n’est ni comptabilité ni dogme et ne délivre ni message ni catéchisme ». Ce voyage parmi les héros littéraires de l’imaginaire est aussi érudit que joliment hétéroclite, animé par un aimable talent de vulgarisateur, goûteux à souhait, revitalisé de rapprochements imprévus, qui donnent à chaque fois une irrésistible envie de se plonger, ou replonger, dans les romans - voire les comics pour Superman - qui leur donnent vie. Ce recueil de Monstres fabuleux se déploie comme une galerie de peintures, éminemment intelligente et stimulante.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Notre auteur a parfois commis des romans plus vastes[13], des récits plus ténus, voire, diront les détracteurs, plus maigres, quoiqu’associant l’érotisme du voyeur et l’art photographique[14]… Mais s’il faut choisir un texte narratif emblématique, son Retour, quoique mince en pagination, est d’une réelle intensité. Intensité de la dynamique narrative d’abord et de la déflagration produite par le souvenir ensuite.

      Nestor, antiquaire romain, reçoit une invitation à un mariage. C’est l’occasion de retrouver une Argentine oubliée, ou occultée. Dès l’aéroport, les rues bondées, il fait la première rencontre d’un fantôme de son passé… Quitte-t-il le sol de la réalité, des coïncidences perturbées par la fatigue du décalage horaire ? S’agit-il de fantasmes excités par le retour du refoulé de sa jeunesse estudiantine, des manifestations, des interventions policières, de l’exil précipité ? Peut-être est-il entré dans le royaume des ombres, si l’on imagine que ses anciens amis, étrangement inchangés, ont été tués par la répression fascisante… Peu à peu, les apparitions et disparitions, au détour d’une rue, dans un café soudain introuvable, emportent Nestor dans une spirale d’inquiétude et de culpabilité : pendant que ses amis étaient dévorés par les geôles de la police, il profitait d’un exil aussi rapide que facile. Un autobus apparemment réaliste finit par l’emporter sur le terrain d’un Luna Park qui fleure bon les retrouvailles autant que la danse macabre aux Enfers…

      Si l’on se demandait comment unir réflexion sur les années noires du fascisme argentin et bacchanale fantastique, comment l’éthique de l’essayiste rejoint celle du raconteur d’histoires, nul doute qu’Alberto Manguel nous ait offert une réponse magistrale grâce à ces fantômes argentins.

      Notre essayiste lit comme Alice parcourt le pays des merveilles. Pour interroger et comprendre un monde parfois absurde, armé des lampes des livres dans la nuit des rayonnages. Il serait évidemment injuste de ne voir en lui qu’un disciple et lecteur officiel de Borges[15] au paradis des bibliothèques et des contes ; assurément sa voix, quoique prudente, est aussi universelle, de par son cosmopolitisme, de par l’acuité de sa pensée, que singulière. Si le « point final » est pour nous tous un « memento mori », souhaitons à notre cher Alberto Manguel bien d’autres points à démêler de la clarté de sa langue. Non sans lui assurer la suprême consolation future : ses livres ont une place irréfragable dans nos bibliothèques.

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie


[1] Alberto Manguel : Une Histoire de la lecture, Actes Sud, 1998.

[3] Manguel : La Bibliothèque, la nuit, Actes Sud, 2006.

[4] Voir : Eloge de vos folies contemporaines, à l'occasion d'Erasme et Jean-Francois Braunstein

[5] Alberto Manguel : Dans la forêt du miroir. Essai sur les mots et le monde, Actes Sud, 2000.

[8] Voir : Généalogie et encyclopédie de Dracula et autres vampires

[9] Alberto Manguel : M. Bovary & autres personnages, L'Escampette éditions, 2013.

[10] Voir : Alberto Manguel, le cheminement dantesque de la curiosité

[12] Alberto Manguel : Dernières nouvelles d’une terre abandonnée, Seuil, 1999.

[13] Alberto Manguel : Un Amant très vétilleux, Actes Sud, 2005.

[14] Alberto Manguel : Chez Borges, Acte Sud, 2003.

 

Lewis Carroll : Alice's Adventures in Wonderland, John Lane the Bodley Head LTD.

Photo : T. Guinhut.

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7 mai 2020 4 07 /05 /mai /2020 09:24

 

Porto de Barqueiro, Galicia. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

L’empreinte antédiluvienne du mal.

Jaume Cabré : Confiteor,

Quand arrive la pénombre ;

Ricardo Menéndez Salmon : Medusa.

 

 

Jaume Cabré : Confiteor,

traduit du catalan par Edmond Raillard, Actes Sud, 2016, 782 p, 26 €.

Jaume Cabré : Quand arrive la pénombre,

traduit du catalan par Edmond Raillard, Actes Sud, 2020, 272 p, 22 €.

 

Ricardo Menéndez Salmon : Medusa,

traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu,

Jacqueline Chambon, 2013, 138 p,  18 €.

 

 

 

 

      Péché originel ou pénombre anthropologique et antédiluvienne, le mal est un terrain miné propice au labour du philosophe[1]. Mais aussi du romancier qui choisit de tracer une destinée individuelle en résonance avec l’Histoire. C’est ce parti qu’a pris le Catalan Jaume Cabré (né en 1947) avec cet immense fleuve romanesque à plusieurs bras qui devient un Confiteor. En effet, la destinée d’Adrià, entre les années quarante et deux mille, n’aurait qu’un éclat modéré si elle ne s’enrichissait du passé de ses ancêtres et du poids symbolique des objets qu’il côtoie. Outre son personnage d’érudit confronté au mystère du mal, de l’inquisition à Auschwitz, Jaume Cabré multiplie en ses nouvelles ceux qui se livrent tout entier, « quand arrive la pénombre », à l’empreinte du mal radical. Plus radical encore est le courage du Catalan Ricardo Menéndez Salmon, médusé par les serpents du mal.

 

      Né à Barcelone dans une famille sans amour, mais dans une bibliothèque, l’enfant prodige de Jaume Cabré subit en Confiteor la double pression de ses parents : l’une le décrète violoniste virtuose, l’autre, à son image, le charge de pratiquer une dizaine de langues, jusqu’à l’araméen. Quoique bon exécutant, Adrià abandonne bientôt le premier rêve pour se consacrer avec aisance au second. Devenu professeur des courants esthétiques et d’histoire des idées, et malgré de profondes périodes de découragement, Adrià Ardèvol publiera « La Volonté esthétique » et une « Histoire de la pensée européenne », avant de méditer une « Histoire du mal » : « Nous essayons de survivre au chaos grâce à l’ordre de l’art » devient sa profession de foi, trop souvent contrariée.

      Car le chaos veille. Son père, ce théologien défroqué qui à Rome abandonna une jeune fille aimée, ce grand antiquaire et collectionneur de manuscrits précieux, meurt assassiné, lui laissant, entre autre fortune, ce violon « Storioni », qui devient bientôt un personnage chargé de sens, de sa généalogie, des vies et des morts de ceux qui l’ont créé, fait sonner ou volé. Une longue chaîne de crimes, depuis la fondation d’un monastère des Pyrénées catalanes, en passant par l’inquisition, le franquisme, jusqu’à Auschwitz, ensanglante l’instrument, pollue les consciences et rend plus que malaisée la confession, sans guère de mea culpa, adressée post-mortem par le vieil Adrià à celle qu’il aime, Sara : « J’écris devant ton autoportrait, qui conserve ton essence ». Du déploiement de l’immensité des connaissances et des doutes à la maladie d’Alzheimer, le projet autobiographique devient arborescence.

       Peu à peu, les secrets du père ressurgissent : une fille cachée, l’origine délictueuse de ses collections, y compris lors de la spoliation des Juifs au cours des exactions nazies, tout ce que devra difficilement assumer le fils. La fresque, aux richesses inouïes, est menée non sans puissance, campant les personnages avec une acuité psychologique aussi concise que troublante. Peut-on sereinement « chercher le territoire du bonheur », quand « le désir ne s’ajuste jamais à la réalité », quand Adrià pense à son père : « Il est mort par ma faute » ; quand Sara, d’origine juive, ne lui pardonne pas d’omettre de rechercher les justes héritiers du violon ? En un subtil contrepoint, Bernat, l’ami de toujours, est un écrivain de peu de succès, un talentueux second violon, un époux maladroit, un père qui ne sait pas comprendre son fils…

      Mais y-a-t-il une structure romanesque plus curieuse, en rhizomes, sans contraindre en rien la lisibilité ? Au beau milieu d’un paragraphe, pourquoi pas d’une phrase, on change d’espace et de temps, de narrateur, entre « je » et « il » (ce que Gérard Genette appelle une métalepse[2]), rencontrant en des récits emboités et disséminés d’autres personnages, comme autant d’opposants, d’échos et alter ego. Ainsi, comme s’ils se chargeaient de conter leurs propres destinées, les objets cristallisent autour d’eux l’envie et le meurtre, l’art et l’argent, qu’il s’agisse de ce violon dont on découvre la forêt originaire, sa facture à Crémone en 1725, ses tribulations au cours de l’Histoire troublée de l’Europe, car il est « un mirador pour l’imagination ». Mais aussi d’une serviette de table, de figurines d’Indiens et de Cow-boys, de rares manuscrits…

      Le roman mosaïque ne souffre que de rares longueurs, brassant l’amour et la mort, le judaïsme et le nazisme, la tyrannie religieuse et politique, à la recherche du mystère du mal, qu’il soit divin, naturel, humain ; comme lorsqu’avec ses fusains, Sara dessine « l’âme humaine au noir ». Pire, celui qui se révèlera être un vieil acteur, faux Juif rescapé des camps, au service d’arnaqueurs décidés à s’approprier le violon, dit à Adrià : « Je suis arrivé à la conclusion que si Dieu tout puissant permet le mal, Dieu est une invention de mauvais goût ».

      En des raccourcis fulgurants, l’écriture talentueuse permet alors de bousculer et d’agréger les temporalités, d’associer inquisition et nazisme, tous deux « au service de la vérité de la foi et des ordres sacrés ». Ainsi « L’Oberstrurmbannführer Rudolf Höss, qui était né à Gérone pendant l’automne pluvieux de l’an 1320 », se dévoue-t-il « ad majorem Reich gloriam ». Le souffle épique du réalisme magique est alors impressionnant, montrant que la volonté tyrannique court d’âge en âge, que le mal radical est indéracinable. Y compris lorsque le modeste héros - ou anti-héros - de sa vie maladroitement prise en charge, « coupable de la dérive peu enthousiasmante de l’humanité », incarne la banalité du mal, pour reprendre le concept d’Hannah Arendt[3].

Plus qu’une personnelle confession, ce roman de formation d’un érudit fortuné, ce roman-somme aux multiples facettes de la connaissance et de la culpabilité, entre intimité profonde et vastitude du champ politique, non loin des Bienveillantes de Littell[4] ou de La Fête au bouc de Vargas Llosa[5], est un magnifique Confiteor universel de l’humanité, cette bête angélique tenaillée entre les aspirations de l’art et celles ataviques du mal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      C’est au plus modeste clavier du nouvelliste que Jaume Cabré prend également  le mal à la racine et à la gorge, enfilant une belle brochette de meurtriers. Car pour les enfants la « mère supérieure » a « le regard du diable », quand Henricus le surveillant est aussi tortionnaire que pédophile. L’incompréhension du petit narrateur auquel son père a dit en l’abandonnant, selon le premier titre, « Les hommes ne pleurent pas », fait du lecteur un voyeur impuissant. De l’enfance à l’âge adulte, un train de brutalité, physique et morale, carbonise l’existence, dans le cadre d’un réalisme sans échappatoire. Se venger d’Henricus jusqu’à la mort est de l’ordre des choses. De même le séjour en prison. Enchaînant les vengeances jusqu’au parricide, le jeune Toi vit « pour être au plus près de la tragédie ». Comme en une sordide fatalité venue de la Grèce antique, le bruit des « tragédies célestes » est assourdissant. Lui répond l’un des derniers criminels du recueil, que n’embarrasse pas l’hubris : « Je me sens invincible. Comme si j’étais un héros grec toujours victorieux. Appelez-moi Thésée ».

      Un tueur impeccable, « moyennant finances », est un des personnage-clefs du recueil. Sa confession devant un prêtre prépare une chute d’une splendide ironie, non sans écho avec Confiteor. Ironie également à l’occasion d’un voleur d’agneaux, qui tué et enterré continue son monologue souterrain, jusqu’à ce qu’en compagnie de cinq « héros et victimes de la guerre civile assassinés par les troupes franquistes » il soit honoré par une plaque tombale gravée. Autre ironie encore, celle d’un écrivain que son Prix Nobel tout frais n’empêche pas de se faire assassin d’assassins. Et gare à celui qui hésite à enclencher le contrat, il risque d’en être à son tour  la victime explosée.

      Que l’on soit un professionnel de l’assassinat commandité ou un pédophile qui étrangle ses « lolitas » après consommation, pas l’ombre d’un remord pour cette galerie d’abominables. À moins que le boulot de « ramoneur » envisagé par ce tueur de petites filles en soit la métaphore à double sens. Pour la plupart il faut « une âme de fer et un cœur d’acier » si l’on veut réussir dans cette profession, celle de la parfaite exécution du mal, quoiqu’elle sache être source de biens, d’aisance et de la possession d’œuvres d’art pour les heureux élus.

      Le meurtre de sang-froid est un motif récurrent en ce recueil de nouvelles au réalisme exacerbé, sauf si l’on glisse au travers d’un tableau, en de rares contes fantastiques, car la peinture est un autre leitmotiv. Cet art répond à l’écriture d’un plumitif qui menace de se suicider s’il n’est pas édité. Au-delà de ce dernier personnage repoussoir, l’écrivain catalan maîtrise à merveille l’art du récit, les échos et le contrepoint, sans qu’aucune nouvelle ne répète la précédente, quoiqu’une ou deux d’entre elles soient un peu décevantes, comme « Balle d’argent », non sans instiller un personnage qui traverse de ci-de-là les pages. Jaume Cabré a l’élégance de laisser son lecteur déduire de ses récits les causes d’une telle addiction maléfique chez ses personnages. Rarement il est loisible de l’attribuer à des conditions sociales, à une éducation perverse, presque toujours au pur appât du gain, à l’absence d’empathie, mais le plus souvent au « mal radical inné dans la nature humaine[6] » selon Emmanuel Kant. Le recueil de Jaume Cabré, volontiers sarcastique, pourrait passer pour un éloge paradoxal du professionnalisme du tueur à gages, et, bien entendu comme un clin d’œil à De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts par Thomas de Quincey[7].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Le presque compatriote du Catalan Jaume Cabré est un romancier espagnol venu des Asturies. Sa Trilogie du mal[8] a fait de Ricardo Menéndez Salmon (né à Oviedo en 1971) un écrivain assis à la lisière du romanesque et de la philosophie autant esthétique que politique. Exploitant le filon des abominations humaines, il ne pouvait que s’interroger sur la relation de l’artiste au mal, s’il s’agit d’une relation saine, perverse, voyeuriste, cathartique ou thérapeutique… C’est chose faite avec Medusa, bref (trop bref ?) roman qui emprunte les masques de la biographie et de l’essai pour heurter le lecteur de sa rare puissance en s’attaquant aux serpents de Méduse.

      Le peintre, tout ce qu’il y a de plus fictif, également photographe et cinéaste, se nomme Prohaska. Son art, ou du moins son activité d’enregistreur, qui ne parait pas vouloir s’embarrasser ni de l’éthique, ni du réquisitoire, consiste en un regard  apparemment sans responsabilité. Commis aux massacres nazis, puis franquistes, enfin des dictatures d’Amérique latine, mais jamais communistes - là est peut-être une limite de cet ouvrage - l’homme ne veut que nulle part n’apparaisse son visage : a-t-il peur de se regarder en face et d’en être médusé ? Œuvrant au service de tyranniques régimes, s’il reste indemne de tout sentiment, l’est-il de toute idéologie, de toute impunité ?

      Quand Prohaska, qui est pourtant capable d’aimer sa femme Heidi, travaille « sous la dictée d’un dieu cruel », l’écriture froide du romancier est celle du constat et de l’amère ironie devant « les bagatelles de l’extermination ». Regard clinique, cynisme, irresponsabilité s’adressent autant à la conscience professionnelle du journaliste qu’à l’éthique de l’artiste. Faisant de l’image « son baume et sa rage », il dessine des visages d’enfants morts. Vautour des images ou cueilleur de vérité ? Complice, témoin ou procureur ? Figurant les « Plaies d’Hiroshima », le narrateur et faiseur d’icônes fuit l’émotion, délivrant « l’une des plus puissantes représentations de la douleur humaine que l’art du XX° siècle nous ait léguées ». La cruauté mécanique de l’Histoire est alors l’occasion pour l’auteur de nourrir un véritable mythe, celui de l’artiste, nouveau Sisyphe, condamné à vivre au chevet des souffrances qu’il reflète. Comme les victimes de la Méduse de l’antiquité grecque, il oscille froidement entre fascination et répulsion. Au service du catalogue de l’horreur à la gloire des tyrans, peut-il encore croire contribuer à la beauté, à la pitié, à l’empathie envers la victime, croire en une fin atteignable de la chaîne de tortures, que son art aurait contribué à voir advenir… La dimension esthétique de la violence et de ses cadavres semble subjuguer le sens moral. À moins qu’il s’agisse d’une lecture théologique sous le silence de Dieu, non loin de la Théodicée de Leibniz : « Dieu étant porté à produire le plus de bien qu’il est possible, il est impossible qu’il y ait en lui faute, coulpe, péché ; et quand il permet le péché, c’est sagesse, c’est vertu[9] ». En effet, l’anti-héros de Ricardo Menéndez Salmon médite ainsi : « La guerre est le récit répété de la chute ».

      Le suicide de ce « bureaucrate du mal », de ce Goya des « Désastres de la guerre », dont l’âme, sans aucune transcendance, serait irrémédiablement salie, conclue alors cet étrange et bel apologue, épique et psychologique, qui peut être lu comme un poème en prose, un livre noir du mal. Auquel on pourrait également donner le titre d’une des œuvres de l’artiste : « Requiem pour notre dignité ».

 

      Du reportage à l’œuvre d’art, la lecture du mal infligé par l’homme à l’homme est une constante de la nécessaire interrogation humaniste. Là où le mal radical selon Kant côtoie la banalité du mal selon Hannah Arendt, l’universalité des génocides et des crimes met en doute la capacité de l’humanité à œuvrer au service de la tolérance et du bonheur, autrement dit, le bien. Manichéisme philosophique ou nécessité de l’artiste, l’opposition du bien et du mal, voire l’iconologie du mal, rassemblent des écrivains aussi divers que Jaume Cabré et Ricardo Menéndez Salmon, dont la Medusa est une sorte de déploration antique, ou Jonathan Littell, pour qui Les Bienveillantes oscillent moins vers le pardon que vers le châtiment. Bien que les personnages des nouvelles de Jaume Cabré s’y refusent absolument, la fonction de l’artiste consolateur, peintre ou romancier, est-elle d’être à chaque création le nouveau Persée tranchant la tête de Méduse du mal ?

 

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

[2] Gérard Genette : Métalepse, Seuil, 2004.

[6] Emmanuel Kant : La Religion dans les limites de la raison, 1, III, Œuvres Philosophiques, Pléiade, tome III, p 46.

[7] Thomas de Quincey : De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts, Nouvel Office d’Edition, 1963.

[8] Ricardo Menéndez Salmon : La Ofensa, Derrumbe, El Corrector, Seix Barral, 2007, 2008, 2009.

[9] Leibniz : Essais de Théodicée, Charpentier, 1842, 83.

 

Empreintes de dinosaures, Abiego, Huesca, Alto Aragon.
Photo : T. Guinhut.
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1 mai 2020 5 01 /05 /mai /2020 16:36

 

Collegiata dei Santi Gervasio e Protasio, Bormio, Brescia.

Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Les livres dans l’Histoire ou dans la peau.

 

Martin Puchner,

 

Erin Morgenstern & Gunnar Kaiser.

 

 

 

 

Martin Puchner : Ecrire le monde. La formidable épopée des livres qui ont fait l’Histoire,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Odile Demange, Fayard, 2019, 432 p, 25 €.

 

Erin Morgenstern : La Mer sans étoiles,

traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Julie Sibony, Sonatine, 2020, 656 p, 23 €.

 

Gunnar Kaiser : Dans la peau,

traduit de l’allemand par Yasmin Hoffmann, Fayard, 2020, 512 p, 24 €.

 

 

 

 

      À quoi mesure-t-on la valeur d’un livre ? À son contenu, son récit et son argumentaire, ou à sa parure, la peau de sa reliure ? Hors de toute appréciation subjective, certainement à son importance dans l’Histoire de l’humanité et des civilisations, comme ceux que présente Martin Puchner dans Ecrire le monde. Il y a des livres fondateurs, mythologiques, angéliques et saints, d’autres qui nous emportent sur la mer des rêves, d’autres encore sur les voies de la liberté ou du crime politique. Ou plus simplement ils sont redevables de valeurs subjectives, là où ils collent à la peau du lecteur, comme un miroir, d’où la quête d’Erin Morgenstern, dans La Mer sans étoiles. Nombreux sont ceux qui vont jusqu’à faire basculer leurs lecteurs dans le labyrinthe de la personnalité et des mondes parallèles en les glissant dans la peau d’un personnage troublé. Pire, comme le postule Gunnar Kaiser, avec son roman Dans la peau, ceux dont la peau est à prendre au sens cutané, pour vêtir les meilleurs, ou les pires livres de l’humanité…

      Il en va de l’Histoire des livres comme de l’Histoire du monde, telle qu’analysée par John M. Roberts et Odd A. Westad[1] : « J’ai cherché d’emblée à repérer, là où c’était possible, les éléments qui par l’influence générale qu’ils exercèrent, eurent l’impact le plus large et le plus profond […] et mettre en valeur les processus historiques majeurs, ceux qui ont affecté une quantité considérable d’êtres humains et laissé un héritage substantiel aux générations futures[2] ». C’est ce qu’a tenté avec brio Martin Puchner dans Ecrire le monde, narrant « la formidable épopée des livres qui ont fait l’Histoire » ; même si une certaine pusillanimité ne permet pas au lecteur d’être tout à fait convaincu.

      L’ingénieux prologue de Martin Puchner est situé dans l’espace, là où l’on se livre une « guerre froide littéraire ». Car Borman à bord d’Apollo 8 lisait la Genèse[3], partie inaugurale de la Bible, pour célébrer la vision de la terre depuis son hublot, alors que Gagarine n’y voyait aucun dieu, se référant à l’auteur du Manifeste communiste. Ce sont bien là deux livres d’inspiration presque universelle, quoiqu’antagonistes.

      Auparavant, Alexandre le Grand emportait toujours avec lui, lors de ses conquêtes, de l’Egypte jusqu’à l’Inde, un manuscrit de l’Iliade d’Homère, qui plus est annoté par son maître Aristote, et qu’il glissait sous son oreiller. Ainsi l’épopée était son modèle. Celui qui fut à l’origine de la bibliothèque d’Alexandrie contribua également à diffuser l’alphabet grec, qui à la différence de son ancêtre phénicien, ajouta les voyelles aux consonnes, d’où l’influence considérable d’une littérature couplée à une écriture.

      Mais à cet amateur et inspirateur de récits épiques, qui n’eut pas la chance d’avoir à son service un poète à la hauteur d’Homère, échappait un texte déjà disparu, et qui ne réapparut qu’au XIX° siècle, lors de fouilles anglaises à Ninive : l’Epopée de Gilgamesh, venue des années 1200 avant notre ère, quoique ses origines fussent plus anciennes. Grâce aux signes cunéiformes, « pour la première fois, la narration, domaine oral des chantres, croisa l’écriture, sphère des diplomates et comptables ». Le roi Gilgamesh avait pu dompter le sauvage Enkidu, en faire son ami, dont il dut pleurer la mort... Mais le plus étonnant et que, répondant à la Bible, un déluge voisinait avec un navire salvateur échoué sur une montagne ! L’universalité des mythes rencontrait l’Histoire. Le souverain de Ninive, et maître d’une bibliothèque d’argile, Assurbanipal, « n’ignorait rien de l’importance stratégique d’un texte fondateur », confie Martin Puchner, même s’il devinait que le déluge du temps aurait raison de son empire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Plus vivantes sont encore les saintes écritures, établies au sixième siècle avant Jésus Christ et sous les doigts d’Ezra et de ses scribes araméens : « pour la première fois, le peuple adora son dieu sous forme de texte ». C’est en hébreu que la Torah fut écrite pour devenir un texte sacré fondateur, soit ce que nous appelons l’Ancien testament. Mais gare à ce que l’essayiste appelle justement « l’intégrisme textuel » ! La suite, historique sinon logique, est l’éclosion du Christianisme.

      Pour Martin Puchner, les sutras bouddhistes, les entretiens de Confucius, les dialogues de Socrate et les Evangiles ont un point commun : « un maître et ses disciples ». Ce qui était un enseignement oral devint une « littérature de maîtres », fondant une philosophie, une morale, une religion, donc une civilisation du livre. Affranchi des attachements terrestres, Bouddha est le guide suprême vers le nirvana. Confucius, plus exactement Maître Kong, est à l’origine du « canon de la littérature chinoise », qui fut longtemps à la base du recrutement des fonctionnaires. Socrate fit de sa mort une mise en scène, qui lui permit de devenir le philosophe de la remise en cause et du questionnement ; et paradoxalement son refus de l’écriture lui valut d’être immortalisé par la graphie de Platon. Jésus également fut rédimé par ceux qui écrivirent le récit de sa vie et de sa mort, recueillant son enseignement : les évangélistes. À des degrés divers, des millions d’individus sont encore aujourd’hui redevables de leurs enseignements, et portent à la main leurs livres, de manière talismanique. Cependant cela ne se passa pas sans « guerres de traduction », sans que l’évolution des supports, du papyrus au parchemin, du rouleau au codex, ne contribue à la diffusion des textes. Alors que les adeptes de Bouddha et de Confucius accédaient les premiers à l’invention du papier et de l’imprimerie, quoique par un système de blocs de bois gravés et non de caractères.

      Plus surprenant, quoique fort justifiée, est la présence ici d’un roman, mais de Dame Murasaki Shikibu, Le Dit du Genji[4], écrit vers l’an 1000 à la cour du Japon, racontant une immense histoire de pouvoir et d’amour contrariée, émaillée de près de huit cents poèmes. Ce premier roman psychologique de l’histoire littéraire, texte raffiné, abondamment lu et illustré au cours des siècles, dans lequel le « Prince radieux, ou Genji, enlève sa jeune aimée pour faire son éducation littéraire et calligraphique, est à la fois un manuel de cour et le canon d’une esthétique japonaise fondée sur le dialogue poétique. Mieux encore il permit de renforcer « l’identité culturelle «  du Japon face à la Chine.

      Une autre femme lui répond au Proche-Orient, c’est Shéhérazade, la conteuse des Mille et une nuits, celle qui a l’art d’inventer et de compiler des centaines de récits venus de Perse, de Chine et d’Inde, voire d’Egypte et de Grèce, mais si peu d’Arabie, quoique le livre qui nous reste, écrit en arabe, soit probablement originaire de Perse. L’arabisation du texte coïnciderait avec la Bagdad d’Haroun al-Rachid, qui vit également l’expansion du papier et la création d’une bibliothèque au VIII° siècle. Martin Puchner omet cependant de préciser que les Arabes ont depuis le IX° siècle négligé ce livre, au point qu’il aurait disparu, si le Français Antoine Galland ne l’eût recueilli et traduit en français au début du XVIII° siècle…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Un souffle nouveau emporta la Bible lorsqu’en 1454 Gutenberg en fit le second livre imprimé avec des caractères mobiles (après sa plus modeste grammaire latine de Donatus) ; alors que Luther la traduisant en allemand invitait chaque Protestant à lire son volume propre. Et surtout Luther, imprimant ses Quatre-vingt-quinze thèses s’opposant à la vente des indulgences, « avait inauguré l’ère de la polémique publique, une ère où un auteur isolé pouvait publier sous son propre nom ».

      Mais avec la découverte des Amériques un texte maya allait pouvoir révéler ses glyphes. Ce qui, imprimé sur papier et en caractères romains, donna le Popol Vuh[5], dans lequel on peut lire un mythe de la création par la main du « Souverain Serpent à plumes », mais aussi un déluge ; encore une fois ! Ce récit aujourd’hui largement ignoré avait pourtant fait l’Histoire de la Mésoamérique. L’Espagne ayant détruit la civilisation Maya, l’on se console avec le Don Quichotte de Cervantès[6], de 1605. Non seulement, il inventa largement le roman moderne, qui « mobilisa la réalité contre le roman de chevalerie » bien trop idéalisé, mais il connut une aventure de « piraterie littéraire », qui le conduisit à écrire une seconde partie, dans laquelle le plagiat et l’imprimerie jouent un rôle non négligeable.

      Plutôt que l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert - qu’il n’oublie pas - Martin Puchner a choisi les activités et les écrits de Benjamin Franklin, qui prospéra en se faisant « imprimeur de la République des Lettres ». Ses journaux propagèrent la déclaration d’indépendance américaine, qui fut une conséquence des Lumières et un prélude à la constitution de 1787. De l’autre côté de l’Atlantique, entre Weimar et l’Italie, Goethe promeut le concept de Weltliteratur, soit littérature mondiale. Outre ses romans et son théâtre considérables, il écrivit, inspiré par le poète persan Hafez, tout un cycle de poèmes, le Divan occidental oriental. C’est en lisant de rares traductions de romans chinois qu’il forgea cette expression, qui offrait à la littérature une dimension aussi novatrice que planétaire.

      L’on ne pouvait rater (faut-il dire hélas ?) le Manifeste communiste qui eut l’honneur trouble de multiplier ses fidèles et ses propagandistes, de voir son programme adopté de la Russie à la Chine et au-delà. Marx et Engels eurent avec ce brûlot prolétarien un succès d’abord timide puis considérable, prétendant libérer les peuples alors que le texte contient les préceptes du totalitarisme qui allait s’ensuivre[7], avec Lénine, Mao, qui fit de son Petit livre rouge un autre bréviaire, et Castro, ce que ne dit pas notre essayiste ; quoiqu’il note avec pertinence que le genre du manifeste allait faire école jusqu’au sein des mouvements littéraires et artistiques. Peut-on conclure ce chapitre sur une telle formule obscène : « Peu d’écrits ont su, au cours des quatre premiers millénaires de la littérature, façonner aussi efficacement l’Histoire ? » S’agit-il de l’efficacité du goulag et du logaï…

      Heureusement, ensuite, il est question d’« écrire contre l’Etat soviétique », avec Akhmatova et Soljenitsyne. Car écrire des poèmes en dehors du réalisme socialisme est forcément subversif ; Anna Akhmatova[8] pouvant à cet égard être associée à Marina Tsvetaïeva et Ossip Mandelstam, tous pourchassés par le stalinisme. Face à l’omniprésence de la censure, elle dut recourir à l’oralité du poème, que des amies apprenaient par cœur, comme si l’on revenait à la culture orale préhistorique. Après la mort de Staline, son œuvre circula sous forme de samizdats ; et c’est à Soljenitsyne qu’elle lut son Requiem. De la machine à écrire de ce dissident tombait alors Une Journée d’Ivan Denissovitch, découvrant l’horreur et l’immensité du goulag, qui devint par la suite un « archipel ». Comme Primo Levi, il est un de ces écrivains qui « témoignent contre les horreurs du fascisme et du totalitarisme ».

 

      Il faut s’attendre à quelques surprises à la fin de cet essai décidément bouillonnant. Le modeste critique auteur de ces lignes dut avouer son ignorance abyssale en y découvrant l’Epopée de Soundiata. Elle raconte la fondation de l’empire mandingue (englobant Mali et Guinée) à la fin de notre moyen Âge. Longtemps transmise oralement, elle attendit 1994 pour être transcrite par un scribe. À ce récit précolonial (quoique colonisé précédemment par l’Islam), répond une littérature postcoloniale, celle du poète de Sainte-Lucie, Derek Walcott, un « Homère caribéen ». Son épopée des Amériques s’appelle Omeros ; et si elle n’a pas encore été traduite en français, car écrite en un anglais teinté de créole, d’autres pans, magnifiques, de son œuvre sont ici connus[9]. Le poète a su « exprimer pour la première fois un lieu, une culture et un langage sous une forme littéraire ». La dernière étape (mais n’est-elle pas provisoire au regard des évolutions de la littérature et de l’Histoire) ?) va « De Poudlard à l’Inde ». Sans préjugés, après avoir arpenté de prestigieux millénaires de littérature, notre professeur de Harvard, se plonge dans le monde d’Harry Potter. Certes il trouve l’œuvre répétitive et la traite de « fatras », de « méli-mélo médiéval et de roman d’internat » ; mais il ne peut que reconnaître, sans le dire explicitement, combien une génération a pu être formée par ce roman de fantasy et d’initiation à la sorcellerie, à cet archétypal combat du bien contre le mal. Notre essayiste à la curiosité sans limite va jusqu’à se demander si des « archéologues de l’avenir » sauront parmi Internet « dénicher des chefs-d’œuvre oubliés comme l’Epopée de Gilgamesh »…

      Qu’avant les grands textes politiques les grands textes religieux soit ici présents, rien d’étonnant, entre la Bible juive, les Evangiles et les enseignements du Bouddha ; mais quid du Coran ? N’a-t-il pas « fait l’Histoire » ? Notre essayiste n’y fait allusion qu’à l’occasion de « son intégrisme textuel », alors qu’un milliard de croyants le révèrent. Que des livres fassent l’Histoire, soit, mais d’une manière positive ou délétère ? Il faut bien, au-delà de Martin Puchner, élaborer des jugements de valeurs. Si l’influence de la Bible et des Evangiles n’a pas généré que des conséquences heureuses, malgré le message intrinsèquement pacifique du Christ, celle du Coran tient en quatorze siècles de soumission, de guerre de conquête et de tyrannie[10]. De même, les textes profanes ont des influences diverses : on ne mettra pas dans le même plateau de la balance l’Encyclopédie et le Manifeste communiste.

      Malgré de tels manques criants, l’essai de martin Puchner mérite plus que le détour. C’est un parcours historique non sans largeur de vue, associé avec un art du récit et de la vulgarisation agréable et entraînant, quoiqu’il présente et résume abondamment tel ouvrage en négligeant un peu tel autre - n’est-il pas permis d’avoir des préférences enthousiastes ? Il va jusqu’à voyager à Jérusalem ou Alexandrie pour accréditer son enquête dont il nous rend complice. Cependant, et en dépit de ses indéniables qualités, ne fait-il pas preuve d’un certain degré de politiquement correct ?  Si la traînée sanglante du Manifeste du parti communiste et du Petit livre rouge est ici pointée, pourquoi ne pas avoir livré à un tel examen le Coran et Mein Kampf [11] ? Qu’un texte ait marqué l’Histoire ne signifie pas expressément qu’il s’agisse d’un excellent livre, tant au regard des critères esthétiques que moraux. Reste que chacun aurait beau jeu d’ajouter des grands textes à l’exposé de l’essayiste, comme les récits des mythes fondateurs que sont les Métamorphoses d’Ovide[12] pour le monde gréco-romain ou le Ramayana pour le sous-continent indien, sans compter Shakespeare et 1984 d’Orwell.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Voici un roman d’un intérêt somme toute modeste, qui de toute évidence n’a rien de la puissance des œuvres fondatrices présentées par Martin Puchner, sans compter qu’il confond à plusieurs reprises « tranche » et « dos ». Cependant, au lieu d’un regard qui revendiquerait une pertinente objectivité dans le choix des livres qui ont fait l’Histoire, toute subjective est la valeur accordée au livre par le personnage d’Erin Morgenstern, dans La Mer sans étoiles. C’est en effet lui-même qu’il quête en partant à la recherche d’un volume de la bibliothèque de sa ville. Car quelle ne fut pas la surprise du jeune Zachary Ezra Rawlins de découvrir en un roman sans auteur, intitulé Doux chagrins, « dans un livre qui a l’air beaucoup plus vieux que lui », parmi des séquences abracadabrantesques, le récit exact d’une scène de son enfance ! Une quête doit s’ensuivre, où une épée et une abeille forment un indice récurrent, alors que le livre est perdu, volé, retrouvé, dissimulé, de façon à découvrir le mystère de l’identité du jeune homme. Les péripéties abondent, entre un bal où devoir rencontrer une mystérieuse inconnue et un « Club des collectionneurs ». Cependant elles alternent avec des épisodes recueillis dans le volume mis en abyme, de l’ordre du merveilleux et de la fantasy, par un étonnant labyrinthe, avec « des disciples sans langue dans une bibliothèque souterraine », jusqu’à « la mer sans étoiles » du titre : « Il y a toutes sortes de portes dans toutes sortes d’endroits. Dans des villes grouillantes et des forêts lointaines. Sur des îles, au sommet des montagnes et au milieu des plaines ». Il faudra également passer par le « Journal secret de Katrina Hawkins » pour accéder à ce qui n’est « pas la fin de l’histoire ».

      Au critère historique et planétaire qui préside au choix d’un livre - ceux que se doit de présenter toute bibliothèque digne de ce nom, publique ou privée - s’oppose, sans que cela soit en rien indigne, la subjectivité du lecteur et sa capacité d’imaginaire ouverte sur « un monde fantastique biblio-centré ». N’importe quel livre est grand s’il est élu par son lecteur, s’il est notre miroir personnel et intime, sans que cela puisse cependant tendre à un relativisme niveleur. Il faut alors souhaiter que ce lecteur, sans abandonner son fétiche, puisse un jour accéder à quelques-unes des grandes œuvres, non de son petit moi, mais de l’humanité, telles que celles d’Homère ou de Cervantès, et connaître les grands textes religieux et politiques. Non pour se placer face à eux en position de sujet et d’assujetti, mais de façon à mesurer leur implication dans l’Histoire et leur dimension morale.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Faire coïncider bibliophilie et roman policier parait une gageure ; à moins de penser à des vols de livres précieux. Egalement philosophe, le romancier allemand Gunnar Kaiser, né en 1976, va bien plus loin dans l’élaboration de son imaginaire, alternant en son Dans la peau deux romans d’initiation, dont il entrelace les fils de son intrigue, sensuelle, intellectuelle, haletante et terrible. Ce sont, dans un cruel premier roman venu d’Allemagne, les noces de la reliure et du crime.

      Voici un romancier qui a le diable dans la peau selon l’expression familière consacrée : Gunnar Kaiser, avec son roman dont le titre laisse longtemps planer une avide interrogation. C’est en 1969 que l’étudiant Jonathan rencontre à New York un étrange homme mûr, Josef Eisenstein. Très vite ce dernier devient son initiateur, d’une part dans la séduction des jeunes filles dont il observe les copulations avec un Jonathan ravi, d’autre part devant sa bibliothèque aux rares volumes soigneusement reliés. Peu à peu les aventures érotiques, et parfois amoureuses, de l’étudiant qui cherche « la fille définitive », ses lectures et ses velléités enthousiastes d’apprenti écrivain, cèdent le pas à une inquiétude récurrente : qui est véritablement son mentor ?

      En un habile contrepoint, Josef devient le narrateur de sa propre adolescence, qui se déroule dans un tout autre contexte : l’Allemagne des années trente et la montée du nazisme. Malgré son ascendance juive, Josef, recueilli à Berlin chez une famille allemande et ainsi appelé Schwarzkopf, traverse l’époque sans autre souci que l’hallucinante beauté des livres anciens, comme une Germania de Tacite qu’il vole aux dépens de la délicieuse  fille d’un bouquiniste, désespérée au point de se jeter dans la rivière. Bénéficiant lui aussi d’initiateurs, le libraire Abramsky et le relieur Cornelius, sans oublier un tanneur, il n’aura de cesse de faire coïncider ces deux beautés en réalisant des reliures parfaites ; car « ces livres étaient sirènes et Lotophages à la fois », voire « le livre que tu ouvres et [qui] enlève le péché du monde ». Aussi, en une montée soigneusement disposée, en un enchaînement épicé jusqu’à l’horreur, devine-t-on qu’il est « L’Ecorcheur », qui sème les cadavres jeunes et féminins au service de son art exigeant et cruel. La piste passant par l’Allemagne de l’Est, Israël, enfin l’Argentine en 1990, l’enquête policière devra mettre sous le nez de Jonathan l’évidence pourtant niée.

      Dès son premier roman, Gunnar Kaiser excelle dans le thriller intelligent, dépeignant des caractères opposés et divers, une amitié contrecarrée par un abîme éthique, fouillant des passions délétères, non sans érudition bibliophilique, réalisant « les noces du papier et de la peau », surtout avec le concours des classiques de l’Antiquité. Ainsi l’épiderme d’une danseuse acquiert plus de valeur : « Elle aurait pu danser pendant quelques années et enchanter le public par son art. Mais quel art éphémère cela aurait été comparé à celui qu’elle rendait possible à présent ! ». Comme le suggère son titre ambivalent, Dans la peau, il s’agit d’entrer dans celle du personnage, dont le livre-confession du même titre est une habile mise en abyme. Et si le récit de Jonathan parait plus faible, manquant parfois de tension et de concision, l’on comprend que, frappé « d’impuissance narrative » face à son fantasme de « Grand Roman Américain », cela soit intentionnel, face à la puissance et à l’autorité de celui du criminel, d’ailleurs calligraphié en « Centaur » dans un exemplaire unique.

      L’on ne peut s’empêcher de penser à un autre romancier allemand, certes fort différent, Patrick Suskind, dont Le Parfum a marqué à bon droit les esprits. Un tueur poursuivait les jeunes filles pour extraire leur essence enivrante. Ici la perversion ne recule pas devant la réalisation d’un bel exemplaire de Mein Kampf relié « dans la peau » de la fille d’un officier, qui, bien sûr ignore la nature et la provenance d’une si suave reliure à lui vendue. Cependant, si le roman de Gunnar Kaiser est digne d’être relié, lui faudra-t-il une moins inhumaine peau ?

      Faut-il alors penser à la reliure comme à une peau animale, que les défenseurs de la cause des quatre pattes et autres végans verraient avec horreur ? Pourtant elles habillent si bien les chefs-d’œuvre…

      Louis-Sébastien Mercier publiait en 1801, dans l’Almanach des prosateurs, une charge acide contre les relieurs, « profession inutile », et la reliure, qui est la « plus cruelle ennemie » de la lecture. Ce sont « carton doré et surdoré […] peaux de bêtes bien polies, dont on couvre les productions du génie, et que l’on vend à l’ostentation et à l’ignorance […] C’en est fait, on ne l’ouvre plus[13] ». Avouons que nous ne sommes pas le moins du monde en accord avec l’auteur de L’An 2440[14], d’ailleurs étonnante œuvre d’utopie et de science-fiction avant l’heure. Certes une précieuse et fragile reliure doit se traiter avec rare respect qui ne supporte pas le continu feuilletage, mais une reliure esthétique et bien en main encourage au contraire à l’amour du livre, elle est ainsi un tentatrice du lecteur. Unir les dimensions esthétique et morale, tant dans la reliure que dans le contenu du roman ou de l’essai religieux ou politique, reste le gage de l’excellence du livre. Et s’il est indispensable de conserver en sa bibliothèque les grands livres évoqués par Martin Puchner, nous ne nous résoudrons pas à les relier tous de la même manière. Car la « peau » d’un livre doit révéler son âme.

 

Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Dans la peau a été publiée dans Le Matricule des anges, mars 2020.

 

[2] John M. Roberts et Odd A. Westad : Histoire du monde, Perrin, 2017, p 19.

[4] Murasaki Shikibu, Le Dit du Genji, Diane de Selliers, 2007.

[5] Popol Vuh, VLB / Castor astral, 1987.

[13] Louis-Sébastien Mercier : Des relieurs et de la reliure, Almanach des prosateurs, 1801, p 267.

[14] Louis-Sébastien Mercier : L’An 2440, France Adel, 1977.

 

Reliures en veau glacé sur :

Linguet : Histoire des révolutions de l'empire romain, Desaint, 1766.
Photo : T. Guinhut.

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26 avril 2020 7 26 /04 /avril /2020 10:11

 

Krimml, Salzburg, Österreich. Photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

 

Le Mur invisible et la Mansarde

de Marlen Haushofer,

ou l’indépendance face à une poignée de vies.

 

 


Marlen Haushofer : Le Mur invisible,

traduit de l’allemand (Autriche) par Liselotte Bodo et Jacqueline Chambon,

Actes Sud, 1985, 286 p, 19 €.

 

Marlen Haushofer : Dans la Mansarde,

traduit par Miguel Couffon, Babel, 2019, 224 p, 7,80 €.

 

Marlen Haushofer : Une Poignée de vies,

traduit par Jacqueline Chambon, Chambon, 2020, 192 p, 19 €.

 

 

 

      Comme l’arbre qui cache la forêt, Le Mur invisible, paru en 1968, est le roman qui éclipse tous les autres écrits par l’Autrichienne Marlen Haushofer (1920-1970). Ce récit d’une femme isolée par un incompréhensible phénomène dans sa ferme de montagne est d’une intensité fantastique et poétique troublante. Cependant une autre femme relit Dans la mansarde les pages de son journal, et sa claustration est également la métaphore d’une farouche indépendance, cette fois désirée. Sur une autre gamme, c’est ce que l’on retrouve dans un roman, publié en 1955, qui attendit jusqu’à cette année pour être traduit comme son titre originel le veut : Une Poignée de vies. Reste que, même s’il ne fut pas son dernier, il est permis de considérer Le Mur invisible comme son livre testamentaire, étrangement métaphysique.

 

      Il ne se passe presque rien face au « Mur invisible ». Un seul évènement suffit à ouvrir le livre mené de main de maître : l’inexplicable fermeture de la vallée devenue inaccessible. Une seule action suffit à le clore : l’arrivée d’un homme sur l’alpage, qui tue « Taureau » et le chien « Lynx », à coups de hache, avant d’être tué à son tour par le fusil de la narratrice traumatisée : « Le souvenir, le deuil et la peur existeront tant que je vivrai et aussi le dur labeur ». Le reste forme le récit lui-même, son écriture, « les travaux et les jours », pour reprendre le titre antique d’Hésiode. Qui sait si, après la mort de la modeste héroïne qui est inévitable, si viendra un œil capable de lire ce récit, ce pourquoi le lecteur est placé dans une situation paradoxale, de voyeur insolite, ou d’outre-tombe.

      Jamais sa cousine et son époux fortuné ne reviendront dans ce chalet où les attend notre personnage, une femme déjà mûre. En l’espace d’un jour, puis pendant les deux années que franchit le récit, le monde de la société et de la civilisation n’est plus qu’un souvenir. Le chien cognant sa gueule contre l’invisible, la narratrice se cognant la tête « sur la vitre », là commence la réclusion et la constatation qu’au-delà route et paysage restent déserts. Depuis la montagne, et à l’aide des jumelles, elle ne distingue que quelques personnes figées bientôt envahies par les hautes herbes. La radio ne fait que grésiller. Explorer les hauteurs d’une autre vallée, n’aboutit qu’au même résultat et à un constat radical : « Puisqu’il n’y a personne pour prononcer mon nom, il n’existe plus ».

      L’arrivée d’une vache à traire est un événement considérable, puis d’une chatte qui aura des chatons. L’instinct de conservation oblige à planter et récolter des pommes de terre, des haricots, chasser les chevreuils, couper du foin, du bois et les entreposer avant l’hiver. L’on devine qu’il faut en cette implacable solitude remuer ses pensées ou les faire taire dans la rudesse du travail. Elles concernent le monde d’avant, son mari, sa famille, ses amis, les Noëls, un monde qui n’est plus, sacrifié peut-être sur l’autel de la littérature. Mais aussi le rythme des saisons, forcément contrastées en montagne, la compagnie animale, la cueillette des framboises et des airelles. Il faut penser ses gestes pour vivre pleinement, là où « la main est un outil merveilleux ». Depuis les hauteurs des pâturages, la contemplation des paysages alpestres prend une tonalité lyrique et élégiaque, qui n’est pas sans faire penser au compatriote de Marlen Haushofer, le romancier romantique Adalbert Stifter[1].

      Indubitablement, l’ossature - et le succès - de ce récit, plutôt que « roman » car il n’est qu’à une seule voix, repose sur la peur : de la mort, de la fin du monde, en une acmé de l’angoisse apocalyptique. Notre narratrice est probablement la dernière femme, comme le postulait Mary Shelley dans son ultime roman, Le Dernier homme[2]. À la différence que dans ce dernier, l’on savait la cause de la disparition de l’humanité, une peste épidémique. Chez Marlen Hausofer, tout est mystère, la matière transparente du mur, sa cause, et le pourquoi du vide de la campagne au-delà, où la nature reprend ses droits, sans la moindre intervention humaine visible…

      En cette lecture fluide et sans complaisance, en ce réalisme saisissant, le plaisir de la robinsonnade est loin d’être exclu, sauf qu’à la différence du Robinson Crusoé de Daniel Defoe aucune allusion divine ne vient offrir la moindre transcendance. Le chalet, isolé parmi les montagnes et les forêts de l’Autriche profonde, est nanti des vivres et des objets de première nécessité, accompagné de quelques animaux, d’où l’organisation méticuleuse et laborieuse d’une vie solitaire attachée à survivre au mieux, à cultiver son jardin, bien plus qu’au sens voltairien, envers et seul équivalent d’un impossible jardin d’Eden ; ce qui permettrait de rattacher avec prudence cette œuvre à ce que d’aucuns appellent l’ « écoféminisme ». Ainsi, malgré la situation catastrophique et plus qu’angoissante, l’œuvre n’est pas sans dégager une certaine sérénité, en particulier grâce à l’amitié avec la nature et les quotidiens travaux afférents à la survie. Aussi c’est là un livre essentiel, recentré sur la rudesse de la nature et l’opiniâtreté de la survie, sans guère de romantisme, sur la nécessité de satisfaire les besoins premiers de l’homme, se nourrir, dormir au chaud, mais également ceux affectifs, ici grâce aux animaux. Si la littérature et l’art ont disparu en ce rustique chalet, ils trouvent à la fois leur nécessité et leur triomphe dans ce magnifique et touchant récit dont seules les souris se nourriront.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Être une épouse bourgeoise, être de surcroit mère de deux enfants, ne doit en rien empêcher de retrouver son quant à soi. Le récit Dans la Mansarde se déroulant en huit jours, entre deux dimanches, les tâches ménagères, courses et cuisine, alternent avec un délicieux loisir : dans sa pièce mansardée elle dessine oiseaux, batraciens et insectes : « chacun d’entre eux est entouré d’une aura d’étrangeté. C’est ma propre étrangeté, naturellement ».

      La « mansarde » du titre est en effet un refuge, à mi-chemin de la maison et de l’évasion dans le ciel, où lire son courrier. Quoi de plus banal si ce dernier n’était pas insolite ? Périodiquement sa boîte aux lettres déborde d’une enveloppe jaune, où se réveillent les pages du journal qu’elle tenait lors de sa surdité, quinze ans plus tôt. D’où viennent-elles ? Qui les lui envoie ? À moins qu’elle se dédouble…

      Pendant quelques mois, une cabane de garde-chasse sise en la forêt autrichienne était la cellule de sa claustration, loin de son mari et de son jeune fils. Les pages descriptives, les arbres, le lac, les sommets, sont d’une belle ampleur lyrique, sans la moindre grandiloquence cependant, à l’instar de celles du Mur invisible : « Aujourd’hui je suis allée en forêt. Silence glacé et beauté. Rien ne me distrait, ni un craquement d’arbre ni le crissement de mes chaussures qui s’enfoncent dans la neige. Je me rappelle très distinctement ce frottement sec. Le silence me donne un sentiment d’irréel, j’ai l’impression d’être un fantôme qui vient hanter la forêt enneigée ». Aux paysages correspondent des notations psychologiques : « J’aimerais bien être une montagne mais je n’en suis pas une, je ne suis toujours que la courtilière qu’on humilie et qui s’étonne ».

      En contrepoint cette femme vit en ses pensées, où passe son mari, dont elle s’éloigne discrètement de plus en plus, en une réserve où alternent chamailleries, apparences courtoises et respect des convenances : « Mes extravagances hors des règles d’une vie bourgeoise se limiteraient à passer la soirée dans la mansarde ».  Là, même ses enfants, dont elle prend cependant soin, ont quelque chose d’étranger. L’indulgent examen psychologique n’est pas sans une touche de satire : « C’est un homme tempérant, légèrement enclin à la pédanterie. Pourquoi ne vieillirait-il pas ? » C’est, parmi bien d’autres, une de ses « pensées de mansarde ».

      Avec un parfait doigté, en son monologue intérieur qui fait toute l’épaisseur de son personnage, l’auteure explore l’hypocrisie et les non-dits des relations humaines, y compris maternelles et conjugales. Certes la société autrichienne d’après-guerre n’est guère propice à la libération de la femme, mais elle y creuse une faille où se lève la réalisation de soi et la créativité, comme en un surgeon original d’Une Chambre à soi de Virginia Woolf.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

      Une dame d’âge mûr revient dans sa maison familiale pour la racheter, en laissant les précédents propriétaires, qui ne la reconnaissent pas, en jouir encore. C’est en toute discrétion que lors de de ses quarante-cinq ans Betty apparait. Ne pense-t-on pas Elisabeth morte ? C’est en feuilletant des lettres et des photographies oubliées dans un tiroir que le passé d’Une Poignée de vies reprend ses droits. Remonte à la surface une petite fille qui libère les crabes et tombe amoureuse d’une boite à bijoux, dans une chambre où règne une « amitié dorée ». Mais aussi une Elisabeth adolescente, pleine d’inquiétudes, de fantasmagories et de sagesse précoce et révoltée, dans un internat religieux parmi les années 1920.

      Être assaillie par deux jeunes filles amoureuses n’a rien de confortable, au point de penser que l’on a peut-être « le mal » en soi, surtout lorsque l’on est convoquée par « un collège de juges » pour se voir reprocher de ne s’attacher à aucune amie. Mais à son tour elle succombe au charme grec et sévère de sa professeure Elvira, quoique de manière éphémère. Plus tard, elle rompt ses fiançailles avec Günther, pour garder sa liberté, sa vérité. Son mariage avec Anton, qu’elle appelle Toni, même s’ils ont un enfant, même s’il incarne parfois « la tendresse gaie », n’a pas à ses yeux une importance fondamentale. Son escapade adultère avec Lenart, « grand animal triste », n’est qu’une rencontre récurrente, à la longue angoissante, avec un homme doué d’« un sentiment de domination », et avec ce qui, bien que paisible, n’est pas de l’amour, mais « l’emprise d’une violence qui avait fait d’elle son objet ». La sujétion consentie est étonnante, au point que l’on se demande si l’auteure ne laisse pas discrètement le lecteur qualifier cette satire de la condition féminine comme la marque d’une servitude volontaire…

      La chronique de cette femme à laquelle l’on fait trop la cour, en quelque sorte victime de sa beauté, étouffée par la société qui l’entoure, qui « ne pouvait pas supporter d’être la possession d’une autre personne » et qui est « privée de ce minimum de solitude qui pour elle était vital », est poignante. Parcourue par « une soif d’inatteignable », elle est une image de la condition humaine, contrainte par des conventions sociales, voire une énigme existentielle : « Elle se vivait comme une parcelle infime du grand tourment de millions de vivants, de morts et de pas-encore-nés jusqu’à en oublier qu’elle était Elisabeth, une personne persuadée jusqu’à présent de son unicité ». Faut-il lire ce roman comme le ferait un psychiatre, devant un cas d’angoisse, ou comme un apologue sur la contrainte et la liberté ?

      Au moyen d’un narrateur omniscient, l’écrivaine use de mille finesses pour raconter cet intense drame psychologique. L’écriture, douée de sensualité et d’acuité, est aussi exacte psychologiquement qu’intense poétiquement. Une vie fatiguée par le monde ambiant et sa « poignée de vies » adjacentes n’ont pas de peine à se cristalliser dans l’esprit du lecteur, et ce d’une manière durable. Alors que Le Mur invisible était en 1963 une pure fiction fantastique (précédent subtil du plus lourd Dôme de Stephen King en 2009), et puisque Marlen Hausofer a fréquenté le pensionnat des Ursulines de Linz, il n’est pas impossible d’imaginer qu’il s’agisse là d’un roman autobiographique.

 

      En cette sorte de trilogie, les narratrices sont souvent seules, ou restent à distance, parfois seulement intérieure, de la société et de la vie conjugale. Leur tour à tour paisible et tourmentée tranche de vie se nourrit du réalisme de l’observation et de la notation, mais aussi d’une poésie intimiste un rien rugueuse. Décidément, l’Autriche accouche de romanciers qui se mettent en retrait par leur insolence, comme Thomas Bernhard[3], ou par leur inquiète discrétion, comme Ingeborg Bachmann[4], pour la poésie, et Marlen Hausofer pour son écart volontaire vis-à-vis du monde, d’une société germanique qui enfanta du monstre impardonnable du nazisme. Une certaine stature de rebelle sociale et métaphysique s’élève de la plume affutée de l’écrivaine. Faut-il lire ce splendide Mur invisible, par définition conçu à huis-clos, comme une ode à la solitude montagnarde ou comme une métaphore de l’isolement intérieur ? Si un « mur invisible », mieux que Le Mur de Sartre, nous sépare d’autrui, la vertu de l’art, ici romanesque, permet de le franchir, de faire cause commune avec un personnage diffracté en alter ego de tout lecteur un tant soit peu sensible. Aussi, au-delà de l’irrécusable prospection féministe de cette écriture, et de la facilité à s’identifier au personnage, que l’on soit homme ou femme, mieux vaut il y voir une dimension métaphysique propre à l’humain en son entier.


Thierry Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

La partie sur Une Poignée de vies a été publiée dans Le Matricule des anges, février 2020.

 

Krimmler Achen, Salzburg, Österreich. Photo : T. Guinhut.

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23 avril 2020 4 23 /04 /avril /2020 12:21

 

"Baedeker Suisse". Triptyque et photo : T. Guinhut.

 

 

 

 

Le carnet des Triptyques géographiques.

 

Petite esthétique plastique de l’espace.

 

 

 

 

      Inventés au début des années quatre-vingts, et parfois exposés en diverses galeries et institutions, entre 1988 et 1995, délaissés, repris de manière intermittente, oubliés, les Triptyques géographiques se veulent carnets de voyages, réels ou imaginaires, et surtout carnets d’art plastique. Mais aussi tentative de mettre en ordre le chaos de l’espace et du temps, ce qui n’est pas sans être la justification et le but de toute œuvre d’art, si modeste soit-elle.

      Pourquoi des Triptyques ? Parce qu’avec un, pas tant l’unité que l’immobilité univoque, rien ne se déploie ; parce qu’avec deux ne commence que la dualité, en miroir, amoureuse, indifférente, amicale ou pugnace ; parce qu’avec trois commence la multiplicité, et déjà plus que la trinité des primitifs italiens sur fond d’or. À moins que la triade extrême-orientale, « Ciel, Terre, Homme », ait joué un rôle secret. Il est évident que, plus ou moins consciemment, mes études universitaires d’Histoire de l’art y ayant contribué, j’ai œuvré dans la tradition des triptyques et autres polyptiques des retables religieux, de la Renaissance au baroque. Nantis d’un vaste panneau central et de deux volets voisins, ces derniers peuvent se fermer comme un meuble d’église, ce que ne peuvent mes modestes travaux sur papier, faits au format intime du visage proche qui les regarde. Alors que ces triptyques de Van Eyck ou Rubens s’adressent aux foules des croyant, associant Dieu, Jésus ou la Vierge au centre, et divers saints et donateurs sur les côtés. Peu à peu, poursuivant l’expansion de ma démarche, se sont parfois ajoutées, comme en ces objets hautement religieux, des prédelles, soit ces planches situés à la partie inférieure du tableau d’autel et compartimentées en plusieurs scènes ayant trait à la vie des saints.

 

"Terre du Livradois". Triptyque et photo : T. Guinhut.

 

 

      Certes mes petits Triptyques sont désacralisés, sans dieu aucun, sinon en des allusions, comme lorsque j’intitulai l’un d’entre eux « Saint-Vert », à la ressemblance du minuscule village de Haute-Loire qui figure sur la cartoline centrale. Plutôt que des scènes édifiantes, illustratives et pieuses, ce sont des aplats et des brouillons de couleurs, des plages méditatives, des coups de pinceaux ailés, des petits reposoirs de paix et d’émotion pure. Modeste retablier, je ne peints ni l’humilité de la prière, ni ne célèbre la splendeur divine du cosmos, comme le Jean-Sébastien Bach des Cantates, mais des perceptions du cosmos naturel et humain. Et si au-dessus de la cartoline principale apparaît un couronnement, ce n’est qu’une forme pour chanter là-haut l’ode à la couleur.

 

"Tubes et palettes en pays du Viaur". Triptyque et photo : T. Guinhut.

 

 

      Pour autant le mélange des techniques, la modestie du format et la dimension conceptuelle ont trait, à côté de l’amateurisme aquarellé, à une part l’art contemporain, soit une légère parenté avec le Land Art, qui dessina des lignes de roches sur le paysage, comme le fit un Richard Long.

      Devenues cartolines esthétiques, ce sont des cartes géographiques, le plus souvent au cent-millième, de l’Institut Géographique National, sinon au vingt-cinq-millième, donc de randonnée, qui sont utilisées. Ou venues d’anciens guides Baedeker du début du XX° siècle, y compris une couverture rouge de celui consacré à la Suisse, découpées et cartonnées selon un patron univoque et récurrent : soit une petite plaque photographique métallique ancienne, rectangulaire, trouvée parmi les bricoles d’un Emmaüs, où l’on devine l’ombre et la lumière dorée d’une maison et d’un jardin, comme le petit paradis perdu d’un Combray proustien. Découper puis coller en ordre tripartite ces fragments arbitraires de cartes, c’est ordonner une opération de l’esprit, une configuration de l’espace à usage individuel et mental, une congruence esthétique. Sans oublier que l’espace parcouru ne l’est que dans le temps, un temps rapidement rejeté dans le passé, et que le choix, la découpe, la coloration, le collage d’objets afférents, sont destinés à garder une vertu intemporelle, du moins tant que durera l’œuvrette, dans la contemplation rêveuse ou délibérative, engageant à partir marcher sur routes et sentiers, de l’œuvre offerte à soi et à autrui.

 

"Saint Vert". Triptyque et photo : T. Guinhut.

 

 

      L’on y trouve la trace des voyages exactement réalisés, le plus souvent à pied, la cartographie permettant un cheminement sanguin de gouache rouge qui figure l’itinéraire. À cette époque fin de siècle, je marchais beaucoup dans le Massif Central, dans le Cantal, le Puy-de Dôme, la Lozère, les Causses, d’où par ailleurs je tirai un modeste livre : Le Recours aux Monts du Cantal et autres récits en Massif central[1]. Mais aussi, déjà, dans les Pyrénées, les Alpes françaises. Ou bien des voyages rêvés, alors inaccessibles, fantasmés à l’aide de guides Baedeker et autres livrets de tourisme, que l’avenir allait parfois me permettre de réaliser, comme dans les Alpes suisses. Au lieu de marcher avec mes chaussures de montagne et à la force de mes pas, je marchais en esprit, en ciseaux et pinceaux…

 

"Recoules-d'Aubrac". Triptyque et photo : T. Guinhut.

 

 

      Ce sont des collages sur papier canson, en un format 30 par 40 cm, redevables pour une légère part de l’art cubiste de Picasso, pour une autre part des « papiers collés » de Matisse, et enfin de ceux de Rauschenberg, mais aussi de je ne sais quelle alchimie de l’invention neuronale. La peinture y est soit représentative et paysagère, avec une nostalgie avouée à l’égard des romantiques William Turner et Caspar David Friedrich, soit empruntant avec ferveur sinon facilité à l’abstraction lyrique. Les bricoles collées peuvent être de pierre, de bois, pour répondre aux arbres dessinées et peints, voire, pour figurer les ravages infligés à la nature des fragments déchirés de sac-poubelles bleus, cependant avec peu d’emphatique militantisme écologiste. Sans compter, parmi tous ces strates et palimpsestes, sinon ces notes manuscrites, un parfum d’art conceptuel, interrogeant l’objet et sa représentation, les mots et les choses, pour faire cuistre allusion à Michel Foucault[2]

      Coller des diapositives - cet artefact de la photographie qui est déjà de l’histoire ancienne, voire de l’Histoire de l’art, tant elles ont été remplacées, évacués par cette image numérique que l’on ne peut plus voir sans l’intermédiaire d’un instrument technologique, Iphone ou ordinateur - semblait innocent à cet égard il y a une trentaine d’années. Il s’agissait pourtant d’apporter la preuve du passage en ces lieux que désignaient et décrivaient à leur manière les cartes. À moins d’utiliser d’antédiluviennes pellicules positives en noir et blanc, représentant les gorges du Tarn, encore une fois découvertes en un Emmaüs, pour les associer avec la carte adéquate, striée par le fil artériel de l’itinéraire, et, en vis-à-vis, le croquis d’un chemin au crayon de bois, puis en conséquence la peinture gouachée de bruns, de grisés et de verts.

 

"Cirque de Navacelles". Triptyque et photo : T. Guinhut.

 

      Passablement modeste est la matière picturale du paysagiste qui s’évade en touches rêveuses et soyeuses, ou redouble la partie cartographiée de sa visibilité de tableautin naturaliste et romantique, ou de sa triviale dimension de carte postale. La gouache et le pastel, glissé ou écrasé, côtoient et intègrent des crayonnés, comme en autant d’étapes de la réalisation. Soudain, l’idée jaillit d’aller matériellement plus avant, de coller et intégrer, en une pâte picturale, un peu de la terre grattée de mes chaussures de montagne, après une marche forestière et boueuse dans les monts du Livradois, d’intégrer une herbe ramassée par le botaniste en herbe, une branchette, comme dans un herbier. Et, matérialité de la peinture oblige, d’y fixer les tubes de gouache qui ont été pressés pour l’exécution picturale. Il n’y manquait plus, mais elle y est suggérée, que la neige pour nourrir le tourbillon du blanc. Sans oublier les techniques diverses, crayon de bois et graphite, crayons de couleurs et aquarelle, précision graphique de l’encre de Chine et barbouillis gouachés, techniques enfantines que l’on ne saura qualifier de sophistiquées. S’y ajoutent exceptionnellement des découpes en creux, où les trois cartolines sont en négatif, laissant apparaître le blanc du papier.

      Parfois, ils devinrent polyptyques, selon le simplissime principe mathématique du triplement du triptyque, en un format 30 par 100 cm, donc doués de neuf cartolines. Un long itinéraire pouvait se déployer, comme si le spectateur était à même de lui-même marcher le long du mètre du tableau en effectuant autant de stations que de vignettes découpées, collées et peintes, reliées par de vertes visions d’horizons montueux. Le panoramique cartographique devint ainsi panoramique pictural et paysager, photographique et mémoriel, avec adjonctions errantes de collages de gouaches redécoupées, colorées et brouillées comme autant de nuages, de brumes et de pluies, comme autant de tempêtes de feuillages, et surtout de monts forestiers parmi les hauteurs lointaines du Massif central. Le journal de marche jouait de deux états et de deux perspectives : narrative et  plastique.

 

"Ambert-Retournac". Polyptyque et photo : T. Guinhut.

 

 

      S’élargissant vers d’autres espaces, les triptyques géographiques conquirent la Montagne noire, devenant partie intégrante d’un livre[3], grâce à une commande conjointe de la mairie d’Aussillon et de « Cimaises et portiques » d’Albi, puis le Haut-Languedoc, à Lacaune. Où j’eus l’audace de faire réaliser un triptyque, intitulé « Et Sidobra ego », par allusion à la fameuse peinture de Nicolas Poussin, « Et in Arcadia ego », avec deux cartes  au vingt-cinq-millième entièrement dépliées et encadrées, dont le panneau central de granit polie du Sidobre portait en lettres d’or cette inscription gravée, d’autant plus allusive que de ce granit du Sidobre l’on fait des plaques tombales. Plus tard, les étangs de la Brenne, en Berry, me permirent également de juxtaposer des photographies paysagères avec des triptyques tachetés du bleuté aquatique et rayés de roseaux, à l’occasion d’une exposition à la galerie « Ocre d’art » de Châteauroux.

      Pourquoi les ai-je longtemps délaissés, remisés parmi les étagères supérieures de la bibliothèque, dans un lourd coffre de métal ? Certainement parce que mes premiers livres paraissant, je me dirigeais beaucoup plus vers la photographie paysagère et vers la maturation romanesque. Sans doute parce que plus aucune perspective d’exposition ne se faisait jour et que par contrecoup la veine allait s’épuisant ; même si me démange parfois la velléité de reprendre le cours de ces Triptyques géographiques pour les enrichir de nouvelles variations, de déclinaisons afférentes à des espaces parcourus depuis, à des nouvelles allusions à l’Histoire de l’art, à des interrogations métaphysiques : qui sait si une prédelle, en pensant au Christ mort de Grünewald, allait deviner un terreux corps ? Qui sait si des cartes de visites d’auberges, de refuges montagnards, des tickets d’entrées de musées, devraient baliser cet équivalent sublimé du carnet de voyage ? Si des insectes, des coquillages et des plumes pourraient s’y découvrir, comme en un cabinet de curiosités ?

 

"Retournac". Triptyque et photo : T. Guinhut.

 

 

      Aujourd’hui, revenir sur ce travail ancien en le photographiant est une renaissance. Cependant, il ne s’agit pas seulement d’une reproduction photographique, certes maladroite, mais d’une recréation, comme l’on dit en littérature une réécriture. Lorsqu’au tableau encadré de bois verni (lui conférant ainsi une minuscule dimension galeriste, voire muséale) s’ajoute un objet, les deux dimensions deviennent trois dimensions, quoique cette dernière épaisseur volumétrique figurât déjà sur le papier grâce aux collages en épaisseur. Pierre en forme d’œuf répondant à l’ovoïde barbouillé de terre, plaque photographique et son empreinte découpé vide, caillou aux couleurs contrapuntiques, plumes envolées au-dessus des sierras enneigées, jeté de tubes de gouaches et de débris de papiers qui ont servi de palette, mince pissenlit jaune tombé sur la vitre qui protège le Triptyque, branchette séchée aux couleurs d’un causse, galet au sort géologique incertain, trouvé sur une plage espagnole et glissant sur les neiges des antédiluviennes montagnes râpées de l’Aubrac, poignée de diapositives comme autant de fenêtres aveugles sur le souvenir… Tout est mis en œuvre pour que s’inaugure un jeu d’échos entre la peinture-collage sous verre et l’objet qui lui répond et le prolonge, d’une manière itérative ou interprétative, paraphrase ou développement symbolique, propres à une dimension méditative supplémentaire. Ainsi la démarche artistique se dit en abyme quand la photographie contient la peinture, quand elle lui ajoute une dimension compositionnelle et dynamique.

      Il est permis d’espérer qu’à un tel exposé narcissique, à une telle remémoration auto-promotionnelle, répondra l’indulgence du rare lecteur et contemplateur, en un échange de perceptions et de regards au miroir spatial de ces Triptyques géographiques. Est-il possible qu'ils aient quelque chose à voir avec la beauté[4] ? Peut-être, grâce à ce texte, ces photographies, un rebond, une visibilité, un nouveau destin les attend-il…

 

Thierry Guinhut

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De César à Fellini par la poésie latine

Les Amazones par Mayor et Testart

Le Pogge et Lucrèce par Greenblatt

Des romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

Antisémitisme

Histoire et rhétorique de l'antisémitisme

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Céline et les pamphlets antisémites

Wagner, Tristan und Isolde et antisémitisme

Kertesz : Sauvegarde

Eloge d'Israël

 

 

 

 

 

 

Appelfeld

Les Partisans, Histoire d'une vie

 

 

 

 

 

 

 

Arbres

Leur vie, leur plaidoirie : Wohlleben, Stone

Richard Powers : L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

Arendt

Banalité du mal, banalité de la culture

Liberté d'être libre et Cahier de L'Herne

Conscience morale, littérature, Benjamin

Anders : Molussie et Obsolescence

 

 

 

 

 

 

 

Argent

Veau d'or ou sagesse de l'argent : Aristote, Simmel, Friedman, Bruckner

 

 

 

 

 

 

Aristote

Aristote, père de la philosophie

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

Art contemporain

Que restera-t-il de l’art contemporain ?

L'art contemporain est-il encore de l'art ?

Décadence ou effervescence de la peinture

L'image de l'artiste de l'Antiquité à l'art conceptuel

Faillite et universalité de la beauté

Michel Guérin : Le Temps de l'art

Théories du portrait depuis la Renaissance

L'art brut, exclusion et couronnement

Hans Belting : Faces

Piss Christ, icone chrétienne par Serrano

 

 

 

 

 

 

Attar

Le Cantique des oiseaux

 

 

 

 

 

 

Atwood

De la Servante écarlate à Consilience

Contes réalistes et gothiques d'Alphinland

Graine de sorcière, réécriture de La Tempête

 

 

 

 

 

 

Bachmann

Celan Bachmann : Lettres amoureuses

Toute personne qui tombe a des ailes, poèmes

 

 

 

 

 

 

 

Bakounine

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

L'anarchisme : tyrannie ou liberté ?

 

 

 

 

 

 

Ballard

Le romancier philosophe de Crash et Millenium people

Nouvelles : un artiste de la science-fiction

 

 

 

 

 

 

 

Bande dessinée, Manga

Roman graphique et bande-dessinée

Mangas horrifiques et dystopiques

 

 

 

 

 

 

 

Barcelo

Cahiers d'Himalaya, Nuit sur le mont chauve

 

 

 

 

 

 

 

Barrett Browning

E. Barrett Browning et autres sonnettistes

 

 

 

 

 

 

 

Bashô

Bashô : L'intégrale des haikus

 

 

 

 

 

 

Basile

Le conte des contes, merveilleux rabelaisien

 

 

 

 

 

 

Bastiat

Le libéralisme contre l'illusion de l'Etat

 

 

 

 

 

 

Baudelaire

Baudelaire, charogne ou esthète moderne ?

"L'homme et la mer", romantisme noir

Vanité et génie du dandysme

Baudelaire de Walter Benjamin

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

Beauté, laideur

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai, La Mouette de Minerve éditeur

Art et bauté, de Platon à l’art contemporain

Laideur et mocheté

Peintures et paysages sublimes

 

 

 

 

 

 

Beckett 

En attendant Godot : le dénouement

 

 

 

 

 

 

Benjamin

Baudelaire par Walter Benjamin

Conscience morale et littérature

Critique de la violence et vices politiques

Flâneurs et voyageurs

Walter Benjamin : les soixante-treize sonnets

Paris capitale des chiffonniers du XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

Benni

Toutes les richesses, Grammaire de Dieu

 

 

 

 

 

 

Bernhard

Goethe se mheurt et autres vérités

 

 

 

 

 

 

 

Bibliothèques

Histoire de l'écriture & Histoire du livre

Bibliophilie : Nodier, Eco, Apollinaire

Eloges des librairies, libraires et lecteurs

Babel des routes de la traduction

Des jardins & des livres, Fondation Bodmer

De l'incendie des livres et des bibliothèques

Bibliothèques pillées sous l'Occupation

Bibliothèques vaticane et militaires

Masques et théâtre en éditions rares

De Saint-Jérôme au contemporain

Haine de la littérature et de la culture

Rabie : La Bibliothèque enchantée

Bibliothèques du monde, or des manuscrits

Du papyrus à Google-books : Darnton, Eco

Bibliothèques perdues et fictionnelles

Livres perdus : Straten,  Schlanger, Olender

Bibliophilie rare : Géants et nains

Manguel ; Uniques fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

 

Blake

Chesterton, Jordis : William Blake ou l’infini

Le Mariage du ciel et de l’enfer

 

 

 

 

 

 

 

Blasphème

Eloge du blasphème : Thomas-d'Aquin, Rushdie, Cabantous, Beccaria

 

 

 

 

 

 

Blog, critique

Du Blog comme œuvre d’art

Pour une éthique de la critique littéraire

Du temps des livres aux vérités du roman

 

 

 

 

 

 

 

Bloom

Amour, amitié et culture générale

 

 

 

 

 

 

 

Bloy

Le désespéré enlumineur de haines

 

 

 

 

 

 

 

Bolaño

L’artiste et le mal : 2666, Nocturne du Chili

Les parenthèses du chien romantique

Poète métaphysique et romancier politique

 

 

 

 

 

 

 

Bonnefoy

La poésie du legs : Ensemble encore

 

Borel

Pétrus Borel lycanthrope du romantisme noir

 

 

 

 

 

 

 

Borges

Un Borges idéal, équivalent de l'univers

Géographies des bibliothèques enchantées

Poèmes d’amour, une anthologie

 

 

 

 

 

 

 

Brague

Légitimité de l'humanisme et de l'Histoire

Eloge paradoxal du christianisme, sur l'islam

 

 

 

 

 

 

Brésil

Poésie, arts primitifs et populaires du Brésil

 

 

 

 

 

 

Bruckner

La Sagesse de l'argent

Pour l'annulation de la Cancel-culture

 

Brume et brouillard

Science, littérature et art du brouillard

 

 

 

 

 

 

Burgess

Folle semence de L'Orange mécanique

 

 

 

 

 

 

 

Burnside

De la maison muette à l'Eté des noyés

 

 

 

 

 

 

Butor

Butor poète et imagier du Temps qui court

Butor Barcelo : Une nuit sur le mont chauve

 

 

 

 

 

 

Cabré

Confiteor : devant le mystère du mal

 

 

 

 

 

 

 

Canetti

La Langue sauvée de l'autobiographie

 

 

 

 

 

 

Capek

La Guerre totalitaire des salamandres

 

 

 

 

 

 

Capitalisme

Eloge des péchés capitaux du capitalisme

De l'argument spécieux des inégalités

La sagesse de l'argent : Pascal Bruckner

Vers le paradis fiscal français ?

 

 

 

 

 

 

Carrion

Les orphelins du futur post-nucléaire

Eloges des librairies et des libraires

 

 

 

 

 

 

 

Cartarescu

La trilogie roumaine d'Orbitor, Solénoïde ; Manea : La Tanière

 

 

 

 

 

 

 

Cartographie

Atlas des mondes réels et imaginaires

 

 

 

 

 

 

 

Casanova

Icosameron et Histoire de ma vie

 

 

 

 

 

 

Catton

La Répétition, Les Luminaires

 

 

 

 

 

 

 

Cavazzoni

Les Géants imbéciles et autres Idiots

 

 

 

 

 

 

 

Celan

Paul Celan minotaure de la poésie

Celan et Bachmann : Lettres amoureuses

 

 

 

 

 

 

Céline

Voyage au bout des pamphlets antisémites

Guerre : l'expressionnisme vainqueur

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

 

Censure et autodafé

Requiem pour la liberté d’expression : entre Milton et Darnton, Charlie et Zemmour

Livres censurés et colères morales

Incendie des livres et des bibliothèques : Polastron, Baez, Steiner, Canetti, Bradbury

Totalitarisme et Renseignement

Pour l'annulation de la cancel culture

 

 

 

 

 

 

Cervantès

Don Quichotte peint par Gérard Garouste

Don Quichotte par Pietro Citati et Avellaneda

 

 

 

 

 

 

Cheng

Francois Cheng, Longue route et poésie

 

 

 

 

 

 

Chesterton

William Blake ou l'infini

Le fantaisiste du roman policier catholique

 

Chevalier

La Dernière fugitive, À l'orée du verger

Le Nouveau, rééecriture d'Othello

Chevalier-la-derniere-fugitive

 

Chine

Chen Ming : Les Nuages noirs de Mao

Du Gène du garde rouge aux Confessions d'un traître à la patrie

Anthologie de la poésie chinoise en Pléiade

 

 

 

 

 

 

Civilisation

Petit précis de civilisations comparées

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

 

 

 

 

 

 

 

Climat

Histoire du climat et idéologie écologiste

Tyrannie écologiste et suicide économique

 

 

 

 

 

 

Coe

Peines politiques anglaises perdues

 

 

 

 

 

 

 

Colonialisme

De Bartolomé de Las Casas à Jules Verne

Métamorphoses du colonialisme

Mario Vargas Llosa : Le rêve du Celte

Histoire amérindienne

 

 

 

 

 

 

Communisme

"Hommage à la culture communiste"

Karl Marx théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

 

 

 

 

 

 

Constant Benjamin

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Corbin

Fraicheur de l'herbe et de la pluie

Histoire du silence et des odeurs

Histoire du repos, lenteur, loisir, paresse

 

 

 

 

 

 

 

Cosmos

Cosmos de littérature, de science, d'art et de philosophie

 

 

 

 

 

 

Couleurs
Couleurs de l'Occident : Fischer, Alberti

Couleurs, cochenille, rayures : Pastoureau

Nuanciers de la rose et du rose

Profondeurs, lumières du noir et du blanc

Couleurs des monstres politiques

 

 

 

 

 


Crime et délinquance

Jonas T. Bengtsson et Jack Black

 

 

 

 

 

 

 

Cronenberg

Science-fiction biotechnologique : de Consumés à Existenz

 

 

 

 

 

 

 

Dandysme

Brummell, Barbey d'Aurevilly, Baudelaire

 

 

 

 

 

 

Danielewski

La Maison des feuilles, labyrinthe psychique

 

 

 

 

 

 

Dante

Traduire et vivre La Divine comédie

Enfer et Purgatoire de la traduction idéale

De la Vita nuova à la sagesse du Banquet

Manguel : la curiosité dantesque

 

 

 

 

 

 

Daoud

Meursault contre-enquête, Zabor

Le Peintre dévorant la femme

 

 

 

 

 

 

 

Darger

Les Fillettes-papillons de l'art brut

 

 

 

 

 

 

Darnton

Requiem pour la liberté d’expression

Destins du livre et des bibliothèques

Un Tour de France littéraire au XVIII°

 

 

 

 

 

 

 

Daumal

Mont analogue et esprit de l'alpinisme

 

 

 

 

 

 

Defoe

Robinson Crusoé et romans picaresques

 

 

 

 

 

 

 

De Luca

Impossible, La Nature exposée

 

 

 

 

 

 

 

Démocratie

Démocratie libérale versus constructivisme

De l'humiliation électorale

 

 

 

 

 

 

 

Derrida

Faut-il pardonner Derrida ?

Bestiaire de Derrida et Musicanimale

Déconstruire Derrida et les arts du visible

 

 

 

 

 

 

Descola

Anthropologie des mondes et du visible

 

 

 

 

 

 

Dick

Philip K. Dick : Nouvelles et science-fiction

Hitlérienne uchronie par Philip K. Dick

 

 

 

 

 

 

 

Dickinson

Devrais-je être amoureux d’Emily Dickinson ?

Emily Dickinson de Diane de Selliers à Charyn

 

 

 

 

 

 

 

Dillard

Eloge de la nature : Une enfance américaine, Pèlerinage à Tinker Creek

 

 

 

 

 

 

 

Diogène

Chien cynique et animaux philosophiques

 

 

 

 

 

 

 

Dostoïevski

Dostoïevski par le biographe Joseph Frank

 

 

 

 

 

 

Eco

Umberto Eco, surhomme des bibliothèques

Construire l’ennemi et autres embryons

Numéro zéro, pamphlet des médias

Société liquide et questions morales

Baudolino ou les merveilles du Moyen Âge

Eco, Darnton : Du livre à Google Books

 

 

 

 

 

 

 

Ecologie, Ecologismes

Greenbomber, écoterroriste

Archéologie de l’écologie politique

Monstrum oecologicum, éolien et nucléaire

Ravages de l'obscurantisme vert

Wohlleben, Stone : La Vie secrète des arbres, peuvent-il plaider ?

Naomi Klein : anticapitalisme et climat

Biophilia : Wilson, Bartram, Sjöberg

John Muir, Nam Shepherd, Bernd Heinrich

Emerson : Travaux ; Lane : Vie dans les bois

Révolutions vertes et libérales : Manier

Kervasdoué : Ils ont perdu la raison

Powers écoromancier de L'Arbre-monde

Ernest Callenbach : Ecotopia

 

 

 

 

 

 

Editeurs

Eloge de L'Atelier contemporain

Diane de Selliers : Dit du Genji, Shakespeare

Monsieur Toussaint Louverture

Mnémos ou la mémoire du futur

 

 

 

 

 

 

Education

Pour une éducation libérale

Allan Bloom : Déclin de la culture générale

Déséducation et rééducation idéologique

Haine de la littérature et de la culture

De l'avenir des Anciens

 

 

 

 

 

 

Eluard

« Courage », l'engagement en question

 

 

 

 

 

 

 

Emerson

Les Travaux et les jours de l'écologisme

 

 

 

 

 

 

 

Enfers

L'Enfer, mythologie des lieux

Enfers d'Asie, Pu Songling, Hearn

 

 

 

 

 

 

 

Erasme

Erasme, Manuzio : Adages et humanisme

Eloge de vos folies contemporaines

 

 

 

 

 

 

 

Esclavage

Esclavage en Moyen âge, Islam, Amériques

 

 

 

 

 

 

Espagne

Histoire romanesque du franquisme

Benito Pérez Galdos, romancier espagnol

 

 

 

 

 

 

Etat

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Constructivisme versus démocratie libérale

Amendements libéraux à la Constitution

Couleurs des monstres politiques

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Socialisme et connaissance inutile

Patriotisme et patriotisme économique

La pandémie des postures idéologiques

Agonie scientifique et sophisme français

Impéritie de l'Etat, atteinte aux libertés

Retraite communiste ou raisonnée

 

 

 

 

 

 

 

Etats-Unis romans

Dérives post-américaines

Rana Dasgupta : Solo, destin américain

Bret Easton Ellis : Eclats, American psycho

Eugenides : Middlesex, Roman du mariage

Bernardine Evaristo : Fille, femme, autre

La Muse de Jonathan Galassi

Gardner : La Symphonie des spectres

Lauren Groff : Les Furies

Hallberg, Franzen : City on fire, Freedom

Jonathan Lethem : Chronic-city

Luiselli : Les Dents, Archives des enfants

Rick Moody : Démonologies

De la Pava, Marissa Pessl : les agents du mal

Penn Warren : Grande forêt, Hommes du roi

Shteyngart : Super triste histoire d'amour

Tartt : Chardonneret, Maître des illusions

Wright, Ellison, Baldwin, Scott-Heron

 

 

 

 

 

 

 

Europe

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

Fables politiques

Le bouffon interdit, L'animal mariage, 2025 l'animale utopie, L'ânesse et la sangsue

Les chats menacés par la religion des rats, L'Etat-providence à l'assaut des lions, De l'alternance en Démocratie animale, Des porcs et de la dette

 

 

 

 

 

 

 

Fabre

Jean-Henri Fabre, prince de l'entomologie

 

 

 

 

 

 

 

Facebook

Facebook, IPhone : tyrannie ou libertés ?

 

 

 

 

 

 

Fallada

Seul dans Berlin : résistance antinazie

 

 

 

 

 

 

Fantastique

Dracula et autres vampires

Lectures du mythe de Frankenstein

Montgomery Bird : Sheppard Lee

Karlsson : La Pièce ; Jääskeläinen : Lumikko

Michal Ajvaz : de l'Autre île à l'Autre ville

Morselli Dissipatio, Longo L'Homme vertical

Présences & absences fantastiques : Karlsson, Pépin, Trias de Bes, Epsmark, Beydoun

 

 

 

 

 

 

Fascisme

Histoire du fascisme et de Mussolini

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Haushofer : Sonnets de Moabit

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

Lettre à une jeune femme politique

Humanisme et civilisation devant le viol

Harcèlement et séduction

Les Amazones par Mayor et Testart

Christine de Pizan, féministe du Moyen Âge

Naomi Alderman : Le Pouvoir

Histoire des féminités littéraires

Rachilde et la revanche des autrices

La révolution du féminin

Jalons du féminisme : Bonnet, Fraisse, Gay

Camille Froidevaux-Metterie : Seins

Herland, Egalie : républiques des femmes

Bernardine Evaristo, Imbolo Mbue

 

 

 

 

 

 

Ferré

Providence du lecteur, Karnaval capitaliste ?

 

 

 

 

 

 

Ferry

Mythologie et philosophie

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

De l’Amour ; philosophie pour le XXI° siècle

 

 

 

 

 

 

 

Finkielkraut

L'Après littérature

L’identité malheureuse

 

 

 

 

 

 

Flanagan

Livre de Gould et Histoire de la Tasmanie

 

 

 

 

 

 

 

Foster Wallace

L'Infinie comédie : esbroufe ou génie ?

 

 

 

 

 

 

 

Foucault

Pouvoirs et libertés de Foucault en Pléiade

Maîtres de vérité, Question anthropologique

Herculine Barbin : hermaphrodite et genre

Les Aveux de la chair

Destin des prisons et angélisme pénal

 

 

 

 

 

 

 

Fragoso

Le Tigre de la pédophilie

 

 

 

 

 

 

 

France

Identité française et immigration

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Antilibéralisme : Darien, Macron, Gauchet

La France de Sloterdijk et Tardif-Perroux

 

 

 

 

 

 

France Littérature contemporaine

Blas de Roblès de Nemo à l'ethnologie

Briet : Fixer le ciel au mur

Haddad : Le Peintre d’éventail

Haddad : Nouvelles du jour et de la nuit

Jourde : Festins Secrets

Littell : Les Bienveillantes

Louis-Combet : Bethsabée, Rembrandt

Nadaud : Des montagnes et des dieux

Le roman des cinéastes. Ohl : Redrum

Eric Poindron : Bal de fantômes

Reinhardt : Le Système Victoria

Sollers : Vie divine et Guerre du goût

Villemain : Ils marchent le regard fier

 

 

 

 

 

 

Fuentes

La Volonté et la fortune

Crescendo du temps et amour faustien : Anniversaire, L'Instinct d'Inez

Diane chasseresse et Bonheur des familles

Le Siège de l’aigle politique

 

 

 

 

 

 

 

Fumaroli

De la République des lettres et de Peiresc

 

 

 

 

 

 

Gaddis

William Gaddis, un géant sibyllin

 

 

 

 

 

 

Gamboa

Maison politique, un roman baroque

 

 

 

 

 

 

Garouste

Don Quichotte, Vraiment peindre

 

 

 

 

 

 

 

Gass

Au bout du tunnel : Sonate cartésienne

 

 

 

 

 

 

 

Gavelis

Vilnius poker, conscience balte

 

 

 

 

 

 

Genèse

Adam et Eve, mythe et historicité

La Genèse illustrée par l'abstraction

 

 

 

 

 

 

 

Gilgamesh
L'épopée originelle et sa photographie


 

 

 

 

 

 

Gibson

Neuromancien, Identification des schémas

 

 

 

 

 

 

Girard

René Girard, Conversion de l'art, violence

 

 

 

 

 

 

 

Goethe

Chemins de Goethe avec Pietro Citati

Goethe et la France, Fondation Bodmer

Thomas Bernhard : Goethe se mheurt

Arno Schmidt : Goethe et un admirateur

 

 

 

 

 

 

 

Gothiques

Frankenstein et autres romans gothiques

 

 

 

 

 

 

Golovkina

Les Vaincus de la terreur communiste

 

 

 

 

 

 

 

Goytisolo

Un dissident espagnol

 

 

 

 

 

 

Gracian

L’homme de cour, Traités politiques

 

 

 

 

 

 

 

Gracq

Les Terres du couchant, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Grandes

Le franquisme du Cœur glacé

 

 

 

 

 

 

 

Greenblatt

Shakespeare : Will le magnifique

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

Adam et Eve, mythe et historicité

 

 

 

 

 

 

 

Guerre et violence

John Keegan : Histoire de la guerre

Storia della guerra di John Keegan

Guerre et paix à la Fondation Martin Bodmer

Violence, biblique, romaine et Terreur

Violence et vices politiques

Battle royale, cruelle téléréalité

Honni soit qui Syrie pense

Emeutes et violences urbaines

Mortel fait divers et paravent idéologique

Violences policières et antipolicières

Stefan Brijs : Courrier des tranchées

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Une vie d'écriture et de photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut Muses Academy

Muses Academy, roman : synopsis, Prologue

I L'ouverture des portes

II Récit de l'Architecte : Uranos ou l'Orgueil

Première soirée : dialogue et jury des Muses

V Récit de la danseuse Terpsichore

IX Récit du cinéaste : L’ecpyrose de l’Envie

XI Récit de la Musicienne : La Gourmandise

XIII Récit d'Erato : la peintresse assassine

XVII Polymnie ou la tyrannie politique

XIX Calliope jeuvidéaste : Civilisation et Barbarie

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Faillite et universalité de la beauté, de l'Antiquité à notre contemporain, essai

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Au Coeur des Pyrénées

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Pyrénées entre Aneto et Canigou

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Haut-Languedoc

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Montagne Noire : Journal de marche

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Triptyques

Le carnet des Triptyques géographiques

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Recours aux Monts du Cantal

Traversées. Le recours à la montagne

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Le Marais poitevin

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut La République des rêves

La République des rêves, roman

I Une route des vins de Blaye au Médoc

II La Conscience de Bordeaux

II Le Faust de Bordeaux

III Bironpolis. Incipit

III Bironpolis. Les nuages de Titien 

IV Eros à Sauvages : Les belles inconnues

IV Eros : Mélissa et les sciences politiques

VII Le Testament de Job

VIII De natura rerum. Incipit

VIII De natura rerum. Euro Urba

VIII De natura rerum. Montée vers l’Empyrée

VIII De natura rerum excipit

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Les Métamorphoses de Vivant

I Synopsis, sommaire et prologue

II Arielle Hawks prêtresse des médias

III La Princesse de Monthluc-Parme

IV Francastel, frontnationaliste

V Greenbomber, écoterroriste

VI Lou-Hyde Motion, Jésus-Bouddha-Star

VII Démona Virago, cruella du-postféminisme

 

 

 

 

 

 

Guinhut Voyages en archipel

I De par Marie à Bologne descendu

IX De New-York à Pacifica

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Sonnets des paysages

Sonnets de l'Art poétique

Sonnets autobiographiques

Des peintres : Crivelli, Titien, Rothko, Tàpies, Twombly

Trois requiem : Selma, Mandelstam, Malala

 

 

 

 

 

 

Guinhut Trois vies dans la vie d'Heinz M

I Une année sabbatique

II Hölderlin à Tübingen

III Elégies à Liesel

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut Le Passage des sierras

Un Etat libre en Pyrénées

Le Passage du Haut-Aragon

Vihuet, une disparition

 

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Ré une île en paradis

 

 

 

 

 

 

Guinhut

Photographie

 

 

 

 

 

 

Guinhut La Bibliothèque du meurtrier

Synospsis, sommaire et Prologue

I L'Artiste en-maigreur

II Enquête et pièges au labyrinthe

III L'Ecrivain voleur de vies

IV La Salle Maladeta

V Les Neiges du philosophe

VI Le Club des tee-shirts politiques

XIII Le Clone du Couloirdelavie.com.

 

 

 

 

 

 

Haddad

La Sirène d'Isé

Le Peintre d’éventail, Les Haïkus

Corps désirable, Nouvelles de jour et nuit

 

 

 

 

 

 

 

Haine

Du procès contre la haine

 

 

 

 

 

 

 

Hamsun

Faim romantique et passion nazie

 

 

 

 

 

 

 

Haushofer

Albrecht Haushofer : Sonnets de Moabit

Marlen Haushofer : Mur invisible, Mansarde

 

 

 

 

 

 

 

Hayek

De l’humiliation électorale

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Histoire

Histoire du monde en trois tours de Babel

Eloge, blâme : Histoire mondiale de la France

Statues de l'Histoire et mémoire

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Rome du libéralisme au socialisme

Destruction des Indes : Las Casas, Verne

Jean Claude Bologne historien de l'amour

Jean Claude Bologne : Histoire du scandale

Histoire du vin et culture alimentaire

Corbin, Vigarello : Histoire du corps

Berlin, du nazisme au communisme

De Mahomet au Coran, de la traite arabo-musulmane au mythe al-Andalus

L'Islam parmi le destin français

 

 

 

 

 

 

 

Hobbes

Emeutes urbaines : entre naïveté et guerre

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

 

 

 

 

 

 

 

Hoffmann

Le fantastique d'Hoffmann à Ewers

 

 

 

 

 

 

 

Hölderlin

Trois vies d'Heinz M. II Hölderlin à Tübingen

 

 

 

 

 

 

 

Homère

Dan Simmons : Ilium science-fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

Homosexualité

Pasolini : Sonnets du manque amoureux

Libertés libérales : Homosexualité, drogues, prostitution, immigration

Garcia Lorca : homosexualité et création

 

 

 

 

 

 

Houellebecq

Extension du domaine de la soumission

 

 

 

 

 

 

 

Humanisme

Erasme et Aldo Manuzio

Etat et utopie de Thomas More

Le Pogge : Facéties et satires morales

Le Pogge et Lucrèce au Quattrocento

De la République des Lettres et de Peiresc

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Pic de la Mirandole : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

 

Hustvedt

Vivre, penser, regarder. Eté sans les hommes

Le Monde flamboyant d’une femme-artiste

 

 

 

 

 

 

 

Huxley

Du meilleur des mondes aux Temps futurs

 

 

 

 

 

 

 

Ilis 

Croisade des enfants, Vies parallèles, Livre des nombres

 

 

 

 

 

 

 

Impôt

Vers le paradis fiscal français ?

Sloterdijk : fiscocratie, repenser l’impôt

La dette grecque,  tonneau des Danaïdes

 

 

 

 

 

 

Inde

Coffret Inde, Bhagavad-gita, Nagarjuna

Les hijras d'Arundhati Roy et Anosh Irani

 

 

 

 

 

 

Inégalités

L'argument spécieux des inégalités : Rousseau, Marx, Piketty, Jouvenel, Hayek

 

 

 

 

 

 

Islam

Lettre à une jeune femme politique

Du fanatisme morbide islamiste

Dictatures arabes et ottomanes

Islam et Russie : choisir ses ennemis

Humanisme et civilisation devant le viol

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : dénis

Arbre du terrorisme, forêt d'Islam : défis

Sommes-nous islamophobes ?

Islamologie I Mahomet, Coran, al-Andalus

Islamologie II arabe et Islam en France

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Vérité d’islam et vérités libérales

Identité, assimilation : Finkielkraut, Tribalat

Averroès et al-Ghazali

 

 

 

 

 

Israël

Une épine démocratique parmi l’Islam

Résistance biblique Appelfeld Les Partisans

Amos Oz : un Judas anti-fanatique

 

 

 

 

 

 

 

Jaccottet

Philippe Jaccottet : Madrigaux & Clarté

 

 

 

 

 

 

James

Voyages et nouvelles d'Henry James

 

 

 

 

 

 

 

Jankélévitch

Jankélévitch, conscience et pardon

L'enchantement musical


 

 

 

 

 

 

Japon

Bashô : L’intégrale des haïkus

Kamo no Chômei, cabane de moine et éveil

Kawabata : Pissenlits et Mont Fuji

Kiyoko Murata, Julie Otsuka : Fille de joie

Battle royale : téléréalité politique

Haruki Murakami : Le Commandeur, Kafka

Murakami Ryû : 1969, Les Bébés

Mieko Kawakami : Nuits, amants, Seins, œufs

Ôé Kenzaburô : Adieu mon livre !

Ogawa Yoko : Cristallisation secrète

Ogawa Yoko : Le Petit joueur d’échecs

À l'ombre de Tanizaki

101 poèmes du Japon d'aujourd'hui

Rires du Japon et bestiaire de Kyosai

 

 

 

 

 

 

Jünger

Carnets de guerre, tempêtes du siècle

 

 

 

 

 

 

 

Kafka

Justice au Procès : Kafka et Welles

L'intégrale des Journaux, Récits et Romans

 

 

 

 

 

 

Kant

Grandeurs et descendances des Lumières

Qu’est-ce que l’obscurantisme socialiste ?

 

 

 

 

 

 

 

Karinthy

Farémido, Epépé, ou les pays du langage

 

 

 

 

 

 

Kawabata

Pissenlits, Premières neiges sur le Mont Fuji

 

 

 

 

 

 

 

Kehlmann

Tyll Ulespiegle, Les Arpenteurs du monde

 

 

 

 

 

 

Kertész

Kertész : Sauvegarde contre l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Kjaerstad

Le Séducteur, Le Conquérant, Aléa

 

 

 

 

 

 

Knausgaard

Autobiographies scandinaves

 

 

 

 

 

 

Kosztolanyi

Portraits, Kornél Esti

 

 

 

 

 

 

 

Krazsnahorkaï

La Venue d'Isaie ; Guerre & Guerre

Le retour de Seiobo et du baron Wenckheim

 

 

 

 

 

 

 

La Fontaine

Des Fables enfantines et politiques

Guinhut : Fables politiques

 

 

 

 

 

 

Lagerlöf

Le voyage de Nils Holgersson

 

 

 

 

 

 

 

Lainez

Lainez : Bomarzo ; Fresan : Melville

 

 

 

 

 

 

 

Lamartine

Le lac, élégie romantique

 

 

 

 

 

 

 

Lampedusa

Le Professeur et la sirène

 

 

 

 

 

 

Langage

Euphémisme et cliché euphorisant, novlangue politique

Langage politique et informatique

Langue de porc et langue inclusive

Vulgarité langagière et règne du langage

L'arabe dans la langue française

George Steiner, tragédie et réelles présences

Vocabulaire européen des philosophies

Ben Marcus : L'Alphabet de flammes

 

 

 

 

 

 

Larsen 

L’Extravagant voyage de T.S. Spivet

 

 

 

 

 

 

 

Legayet

Satire de la cause animale et botanique

 

 

 

 

 

 

Leopardi

Génie littéraire et Zibaldone par Citati

 

 

 

 

 

 

 

Lévi-Strauss

Claude Lévi-Strauss juge de l’Islam

 

 

 

 

 

 

 

Libertés, Libéralisme

Pourquoi je suis libéral

Pour une éducation libérale

Du concept de liberté aux Penseurs libéraux

Lettre à une jeune femme politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Requiem pour la liberté d’expression

Qui est John Galt ? Ayn Rand : La Grève

Ayn Rand : Atlas shrugged, la grève libérale

Mario Vargas Llosa, romancier des libertés

Homosexualité, drogues, prostitution

Serions-nous plus libres sans l'Etat ?

Tempérament et rationalisme politique

Front Socialiste National et antilibéralisme

Rome du libéralisme au socialisme

 

 

 

 

 

 

Lins

Osman Lins : Avalovara, carré magique

 

 

 

 

 

 

 

Littell

Les Bienveillantes, mythe et histoire

 

 

 

 

 

 

 

Lorca

La Colombe de Federico Garcia Lorca

 

 

 

 

 

 

Lovecraft

Depuis l'abîme du temps : l'appel de Cthulhu

Lovecraft, Je suis Providence par S.T. joshi

 

 

 

 

 

 

Lugones

Fantastique, anticipation, Forces étranges

 

 

 

 

 

 

Lumières

Grandeurs et descendances des Lumières

D'Holbach : La Théologie portative

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

 

 

 

 

 

Machiavel

Actualités de Machiavel : Le Prince

 

 

 

 

 

 

 

Magris

Secrets et Enquête sur une guerre classée

 

 

 

 

 

 

 

Makouchinski

Un bateau pour l'Argentine

 

 

 

 

 

 

Mal

Hannah Arendt : De la banalité du mal

De l’origine et de la rédemption du mal : théologie, neurologie et politique

Le libre arbitre devant le bien et le mal

Christianophobie et désir de barbarie

Cabré Confiteor, Menéndez Salmon Medusa

Roberto Bolano : 2666, Nocturne du Chili

 

 

 

 

 

 

 

Maladie, peste

Maladie et métaphore : Wagner, Maï, Zorn

Pandémies historiques et idéologiques

Pandémies littéraires : M Shelley, J London, G R. Stewart, C McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Mandelstam

Poésie à Voronej et Oeuvres complètes

Trois requiem, sonnets

 

 

 

 

 

 

 

Manguel

Le cheminement dantesque de la curiosité

Le Retour et Nouvel éloge de la folie

Voyage en utopies

Lectures du mythe de Frankenstein

Je remballe ma bibliothèque

Du mythe européen aux Lettres européennes

 

 

 

 

 

 

 

Mann Thomas

Thomas Mann magicien faustien du roman

 

 

 

 

 

 

 

Marcher

De L’Art de marcher

Flâneurs et voyageurs

Le Passage des sierras

Le Recours aux Monts du Cantal

Trois vies d’Heinz M. I Une année sabbatique

 

 

 

 

 

 

Marcus

L’Alphabet de flammes, conte philosophique

 

 

 

 

 

 

Mari

Les Folles espérances, fresque italienne

 

 

 

 

 

 

 

Marino

Adonis, un grand poème baroque

 

 

 

 

 

 

Marivaux

Le Jeu de l'amour et du hasard

 

 

 

 

 

 

Martin Georges R.R.

Le Trône de fer, La Fleur de verre : fantasy, morale et philosophie politique

 

 

 

 

 

 

Martin Jean-Clet

Philosopher la science-fiction et le cinéma

Enfer de la philosophie et Coup de dés

Déconstruire Derrida

 

 

 

 

 

 

 

Marx

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

« Hommage à la culture communiste »

De l’argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

Mattéi

Petit précis de civilisations comparées

 

 

 

 

 

 

 

McEwan

Satire et dystopie : Une Machine comme moi, Sweet Touch, Solaire

 

 

 

 

 

 

Méditerranée

Histoire et visages de la Méditerranée

 

 

 

 

 

 

Mélancolie

Mélancolie de Burton à Földenyi

 

 

 

 

 

 

 

Melville

Billy Budd, Olivier Rey, Chritophe Averlan

Roberto Abbiati : Moby graphick

 

 

 

 

 

 

Mille et une nuits

Les Mille et une nuits de Salman Rushdie

Schéhérazade, Burton, Hanan el-Cheikh

 

 

 

 

 

 

Mitchell

Des Ecrits fantômes aux Mille automnes

 

 

 

 

 

 

 

Mode

Histoire et philosophie de la mode

 

 

 

 

 

 

Montesquieu

Eloge des arts, du luxe : Lettres persanes

Lumière de L'Esprit des lois

 

 

 

 

 

 

 

Moore

La Voix du feu, Jérusalem, V for vendetta

 

 

 

 

 

 

 

Morale

Notre virale tyrannie morale

 

 

 

 

 

 

 

More

Etat, utopie, justice sociale : More, Ogien

 

 

 

 

 

 

Morrison

Délivrances : du racisme à la rédemption

L'amour-propre de l'artiste

 

 

 

 

 

 

 

Moyen Âge

Rythmes et poésies au Moyen Âge

Umberto Eco : Baudolino

Christine de Pizan, poète feministe

Troubadours et érotisme médiéval

Le Goff, Hildegarde de Bingen

 

 

 

 

 

 

Mulisch

Siegfried, idylle noire, filiation d’Hitler

 

 

 

 

 

 

 

Murakami Haruki

Le meurtre du commandeur, Kafka

Les licornes de La Fin des temps

 

 

 

 

 

 

Musique

Musique savante contre musique populaire

Pour l'amour du piano et des compositrices

Les Amours de Brahms et Clara Schumann

Mizubayashi : Suite, Recondo : Grandfeu

Jankélévitch : L'Enchantement musical

Lady Gaga versus Mozart La Reine de la nuit

Lou Reed : chansons ou poésie ?

Schubert : Voyage d'hiver par Ian Bostridge

Grozni : Chopin contre le communisme

Wagner : Tristan und Isold et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

Mythes

La Genèse illustrée par l'abstraction

Frankenstein par Manguel et Morvan

Frankenstein et autres romans gothiques

Dracula et autres vampires

Testart : L'Amazone et la cuisinière

Métamorphoses d'Ovide

Luc Ferry : Mythologie et philosophie

L’Enfer, mythologie des lieux, Hugo Lacroix

 

 

 

 

 

 

 

Nabokov

La Vénitienne et autres nouvelles

De l'identification romanesque

 

 

 

 

 

 

 

Nadas

Mémoire et Mélancolie des sirènes

La Bible, Almanach

 

 

 

 

 

 

Nadaud

Des montagnes et des dieux, deux fictions

 

 

 

 

 

 

Naipaul

Masque de l’Afrique, Semences magiques

 

 

 

 

 

 

 

Nietzsche

Bonheurs, trahisons : Dictionnaire Nietzsche

Romantisme et philosophie politique

Nietzsche poète et philosophe controversé

Les foudres de Nietzsche sont en Pléiade

Jean-Clet Martin : Enfer de la philosophie

Violences policières et antipolicières

 

 

 

 

 

 

Nooteboom

L’écrivain au parfum de la mort

 

 

 

 

 

 

Norddahl

SurVeillance, holocauste, hermaphrodisme

 

 

 

 

 

 

Oates

Le Sacrifice, Mysterieux Monsieur Kidder

 

 

 

 

 

 

 

Ôé Kenzaburo

Ôé, le Cassandre nucléaire du Japon

 

 

 

 

 

 

Ogawa 

Cristallisation secrète du totalitarisme

Au Musée du silence : Le Petit joueur d’échecs, La jeune fille à l'ouvrage

 

 

 

 

 

 

Onfray

Faut-il penser Michel Onfray ?

Censures et Autodafés

Cosmos

 

 

 

 

 

 

Oppen

Oppen, objectivisme et Format américain

Oppen

 

Orphée

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

 

 

 

 

 

 

Orwell

L'orwellisation sociétale

Cher Big Brother, Prism américain, français

Euphémisme, cliché euphorisant, novlangue

Contrôles financiers ou contrôles étatiques ?

Orwell 1984

 

Ovide

Métamorphoses et mythes grecs

 

 

 

 

 

 

 

Palahniuk

Le réalisme sale : Peste, L'Estomac, Orgasme

 

 

 

 

 

 

Palol

Le Jardin des Sept Crépuscules, Le Testament d'Alceste

 

 

 

 

 

 

 

Pamuk

Autobiographe d'Istanbul

Le musée de l’innocence, amour, mémoire

 

 

 

 

 

 

 

Panayotopoulos

Le Gène du doute, ou l'artiste génétique

Panayotopoulos

 

Panofsky

Iconologie de la Renaissance

 

 

 

 

 

 

Paris

Les Chiffonniers de Paris au XIX°siècle

 

 

 

 

 

 

 

Pasolini

Sonnets des tourments amoureux

 

 

 

 

 

 

Pavic

Dictionnaire khazar, Boite à écriture

 

 

 

 

 

 

 

Peinture

Traverser la peinture : Arasse, Poindron

Le tableau comme relique, cri, toucher

Peintures et paysages sublimes

Sonnets des peintres : Crivelli, Titien, Rohtko, Tapiès, Twombly

 

 

 

 

 

 

Perec

Les Lieux de Georges Perec

 

 

 

 

 

 

 

Perrault

Des Contes pour les enfants ?

Perrault Doré Chat

 

Pétrarque

Eloge de Pétrarque humaniste et poète

Du Canzoniere aux Triomphes

 

 

 

 

 

 

 

Petrosyan

La Maison dans laquelle

 

 

 

 

 

 

Philosophie

Mondialisations, féminisations philosophiques

 

 

 

 

 

 

Photographie

Photographie réaliste et platonicienne : Depardon, Meyerowitz, Adams

La photographie, biographème ou oeuvre d'art ? Benjamin, Barthes, Sontag

Ben Loulou des Sanguinaires à Jérusalem

Ewing : Le Corps, Love and desire

 

 

 

 

 

 

Picaresque

Smollett, Weerth : Vaurien et Chenapan

 

 

 

 

 

 

 

Pic de la Mirandole

Humanisme philosophique : 900 conclusions

 

 

 

 

 

 

Pierres

Musée de minéralogie, sexe des pierres

 

 

 

 

 

 

Pisan

Cent ballades, La Cité des dames

 

 

 

 

 

 

Platon

Faillite et universalité de la beauté

 

 

 

 

 

 

Poe

Edgar Allan Poe, ange du bizarre

 

 

 

 

 

 

 

Poésie

Anthologie de la poésie chinoise

À une jeune Aphrodite de marbre

Brésil, Anthologie XVI°- XX°

Chanter et enchanter en poésie 

Emaz, Sacré : anti-lyrisme et maladresse

Fonctions de la poésie, pouvoirs d'Orphée

Histoire de la poésie du XX° siècle

Japon poétique d'aujourd'hui

Lyrisme : Riera, Voica, Viallebesset, Rateau

Marteau : Ecritures, sonnets

Oppen, Padgett, Objectivisme et lyrisme

Pizarnik, poèmes de sang et de silence

Poésie en vers, poésie en prose

Poésies verticales et résistances poétiques

Du romantisme à la Shoah

Anthologies et poésies féminines

Trois vies d'Heinz M, vers libres

Schlechter : Le Murmure du monde

 

 

 

 

 

 

Pogge

Facéties, satires morales et humanistes

 

 

 

 

 

 

 

Policier

Chesterton, prince de la nouvelle policière

Terry Hayes : Je suis Pilgrim ou le fanatisme

Les crimes de l'artiste : Pobi, Kellerman

Bjorn Larsson : Les Poètes morts

Chesterton father-brown

 

Populisme

Populisme, complotisme et doxa

 

 

 

 

 

 

 

Porter
La Douleur porte un masque de plumes

 

 

 

 

 

 

 

Portugal

Pessoa et la poésie lyrique portugaise

Tavares : un voyage en Inde et en vers

 

 

 

 

 

 

Pound

Ezra Pound, poète politique controversé par Mary de Rachewiltz et Pierre Rival

 

 

 

 

 

 

Powers

Générosité, Chambre aux échos, Sidérations

Orfeo, le Bach du bioterrorisme

L'éco-romancier de L'Arbre-monde

 

 

 

 

 

 

 

Pressburger

L’Obscur royaume, ou l’enfer du XX° siècle

Pressburger

 

Proust

Le baiser à Albertine : À l'ombre des jeunes filles en fleurs

Illustrations, lectures et biographies

Le Mystérieux correspondant, 75 feuillets

Céline et Proust, la recherche du voyage

 

 

 

 

 

 

Pynchon

Contre-jour, une quête de lumière

Fonds perdus du web profond & Vice caché

Vineland, une utopie postmoderne

 

 

 

 

 

 

 

Racisme

Racisme et antiracisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Ecrivains noirs : Wright, Ellison, Baldwin, Scott Heron, Anthologie noire

 

 

 

 

 

 

Rand

Qui est John Galt ? La Source vive, La Grève

Atlas shrugged et La grève libérale

 

 

 

 

 

 

Raspail

Sommes-nous islamophobes ?

Camp-des-Saints

 

Reed Lou

Chansons ou poésie ? L’intégrale

 

 

 

 

 

 

 

Religions et Christianisme

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Catholicisme versus polythéisme

Eloge du blasphème

De Jésus aux chrétiennes uchronies

Le Livre noir de la condition des Chrétiens

D'Holbach : Théologie portative et humour

De l'origine des dieux ou faire parler le ciel

Eloge paradoxal du christianisme

 

 

 

 

 

 

Renaissance

Renaissance historique et humaniste

 

 

 

 

 

 

 

Revel

Socialisme et connaissance inutile

 

 

 

 

 

 

 

Richter Jean-Paul

Le Titan du romantisme allemand

 

 

 

 

 

 

 

Rios

Nouveaux chapeaux pour Alice, Chez Ulysse

 

 

 

 

 

 

Rilke

Sonnets à Orphée, Poésies d'amour

 

 

 

 

 

 

 

Roman 

Adam Thirlwell : Le Livre multiple

L'identification romanesque : Nabokov, Mann, Flaubert, Orwell...

Nabokov Loilita folio

 

Rome

Causes et leçons de la chute de Rome

Rome de César à Fellini

Romans grecs et latins

 

 

 

 

 

 

 

Ronsard

Sonnets pour Hélène LXVIII Commentaire

 

 

 

 

 

 

 

Rostand

Cyrano de Bergerac : amours au balcon

 

 

 

 

 

 

Roth Philip

Hitlérienne uchronie contre l'Amérique

Les Contrevies de la Bête qui meurt

 

 

 

 

 

 

Rousseau

Archéologie de l’écologie politique

De l'argument spécieux des inégalités

 

 

 

 

 

 

 

Rushdie

Joseph Anton, plaidoyer pour les libertés

Quichotte, Langages de vérité

Entre Averroès et Ghazali : Deux ans huit mois et vingt-huit nuits

Rushdie 6

 

Russell

De la fumisterie intellectuelle

Pourquoi nous ne sommes pas religieux

Russell F

 

Russie

Islam, Russie, choisir ses ennemis

Golovkina : Les Vaincus ; Annenkov : Journal

Les dystopies de Zamiatine et Platonov

Isaac Babel ou l'écriture rouge

Ludmila Oulitskaia ou l'âme de l'Histoire

Bounine : Coup de soleil, nouvelles

 

 

 

 

 

 

 

Sade

Sade, ou l’athéisme de la sexualité

 

 

 

 

 

 

 

San-Antonio

Rire de tout ? D’Aristote à San-Antonio

 

 

 

 

 

 

 

Sansal

2084, conte orwellien de la théocratie

Le Train d'Erlingen, métaphore des tyrannies

 

Schlink

Filiations allemandes : Le Liseur, Olga

 

 

 

 

 

 

Schmidt Arno

Un faune pour notre temps politique

Le marcheur de l’immortalité

Arno Schmidt Scènes

 

Sciences

Agonie scientifique et sophisme français

Transhumanisme, intelligence artificielle, robotique

Tyrannie écologique et suicide économique

Wohlleben : La Vie secrète des arbres

Factualité, catastrophisme et post-vérité

Cosmos de science, d'art et de philosophie

Science et guerre : Volpi, Labatut

L'Eglise est-elle contre la science ?

Inventer la nature : aux origines du monde

Minéralogie et esthétique des pierres

 

 

 

 

 

 

Science fiction

Philosopher la science fiction

Ballard : un artiste de la science fiction

Carrion : les orphelins du futur

Dyschroniques et écofictions

Gibson : Neuromancien, Identification

Le Guin : La Main gauche de la nuit

Magnason : LoveStar, Kling : Quality Land

Miller : L’Univers de carton, Philip K. Dick

Mnémos ou la mémoire du futur

Silverberg : Roma, Shadrak, stochastique

Simmons : Ilium et Flashback géopolitiques

Sorokine : Le Lard bleu, La Glace, Telluria

Stalker, entre nucléaire et métaphysique

Théorie du tout : Ourednik, McCarthy

 

 

 

 

 

 

 

Self 

Will Self ou la théorie de l'inversion

Parapluie ; No Smoking

 

 

 

 

 

 

 

Sender

Le Fugitif ou l’art du huis-clos

 

 

 

 

 

 

 

Seth

Golden Gate. Un roman en sonnets

Seth Golden gate

 

Shakespeare

Will le magnifique ou John Florio ?

Shakespeare et la traduction des Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

La Tempête, Othello : Atwood, Chevalier

 

 

 

 

 

 

 

Shelley Mary et Percy Bysshe

Le mythe de Frankenstein

Frankenstein et autres romans gothiques

Le Dernier homme, une peste littéraire

La Révolte de l'Islam

Frankenstein Shelley

 

Shoah

Ecrits des camps, Philosophie de la shoah

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Paul Celan minotaure de la poésie

 

 

 

 

 

 

Silverberg

Uchronies et perspectives politiques : Roma aeterna, Shadrak, L'Homme-stochastique

 

 

 

 

 

 

 

Simmons

Ilium et Flashback géopolitiques

 

 

 

 

 

 

Sloterdijk

Les sphères de Peter Sloterdijk : esthétique, éthique politique de la philosophie

Gris politique et Projet Schelling

Contre la « fiscocratie » ou repenser l’impôt

Les Lignes et les jours. Notes 2008-2011

Elégie des grandeurs de la France

Faire parler le ciel. De la théopoésie

Archéologie de l’écologie politique

 

 

 

 

 

 

Smith Adam

Pourquoi je suis libéral

Tempérament et rationalisme politique

 

 

 

 

 

 

 

Smith Patti

De Babel au Livre de jours

 

 

 

 

 

 

Sofsky

Violence et vices politiques

Surveillances étatiques et entrepreneuriales

 

 

 

 

 

 

 

Sollers

Vie divine de Sollers et guerre du goût

Dictionnaire amoureux de Venise

Sollersd-vers-le-paradis-dante

 

Somoza

Daphné disparue et les Muses dangereuses

Les monstres de Croatoan et de Dieu mort

 

 

 

 

 

 

Sonnets

À une jeune Aphrodite de marbre

Barrett Browning et autres sonnettistes 

Marteau : Ecritures  

Pasolini : Sonnets du tourment amoureux

Phénix, Anthologie de sonnets

Seth : Golden Gate, roman en vers

Shakespeare : Six Sonnets traduits

Haushofer : Sonnets de Moabit

Sonnets autobiographiques

Sonnets de l'Art poétique

 

 

 

 

 

 

Sorcières

Sorcières diaboliques et féministes

 

 

 

 

 

 

Sorokine

Le Lard bleu, La Glace, Telluria

 

 

 

 

 

 

 

Sorrentino

Ils ont tous raison, déboires d'un chanteur

 

 

 

 

 

 

 

Sôseki

Rafales d'automne sur un Oreiller d'herbes

Poèmes : du kanshi au haïku

 

 

 

 

 

 

 

Spengler

Déclin de l'Occident de Spengler à nos jours

 

 

 

 

 

 

 

Sport

Vulgarité sportive, de Pline à 0rwell

 

 

 

 

 

 

 

Staël

Libertés politiques et romantiques

 

 

 

 

 

 

Starobinski

De la Mélancolie, Rousseau, Diderot

Starobinski 1

 

Steiner

Oeuvres : tragédie et réelles présences

De l'incendie des livres et des bibliothèques

 

 

 

 

 

 

 

Stendhal

Julien lecteur bafoué, Le Rouge et le noir

L'échelle de l'amour entre Julien et Mathilde

Les spectaculaires funérailles de Julien

 

 

 

 

 

 

 

Stevenson

La Malle en cuir ou la société idéale

Stevenson

 

Stifter

L'Arrière-saison des paysages romantiques

 

 

 

 

 

 

Strauss Leo

Pour une éducation libérale

 

 

 

 

 

 

Strougatski

Stalker, nucléaire et métaphysique

 

 

 

 

 

 

 

Szentkuthy

Le Bréviaire de Saint Orphée, Europa minor

 

 

 

 

 

 

Tabucchi

Anges nocturnes, oiseaux, rêves

 

 

 

 

 

 

 

Temps, horloges

Landes : L'Heure qu'il est ; Ransmayr : Cox

Temps de Chronos et politique des oracles

 

 

 

 

 

 

 

Tesich

Price et Karoo, revanche des anti-héros

Karoo

 

Texier

Le démiurge de L’Alchimie du désir

 

 

 

 

 

 

 

Théâtre et masques

Masques & théâtre, Fondation Bodmer

 

 

 

 

 

 

Thoreau

Journal, Walden et Désobéissance civile

 

 

 

 

 

 

 

Tocqueville

Française tyrannie, actualité de Tocqueville

Au désert des Indiens d’Amérique

 

 

 

 

 

 

Tolstoï

Sonate familiale chez Sofia & Léon Tolstoi, chantre de la désobéissance politique

 

 

 

 

 

 

 

Totalitarismes

Ampuero : la faillite du communisme cubain

Arendt : banalité du mal et de la culture

« Hommage à la culture communiste »

De Mein Kampf à la chambre à gaz

Karl Marx, théoricien du totalitarisme

Lénine et Staline exécuteurs du totalitarisme

Mussolini et le fascisme

Pour l'annulation de la Cancel culture

Muses Academy : Polymnie ou la tyrannie

Tempérament et rationalisme politique 

Hayes : Je suis Pilgrim ; Tejpal

Meerbraum, Mandelstam, Yousafzai

 

 

 

 

 

 

 

Trollope

L’Ange d’Ayala, satire de l’amour

Trollope ange

 

Trump

Entre tyrannie et rhinocérite, éloge et blâme

À la recherche des années Trump : G Millière

 

 

 

 

 

 

 

Tsvetaeva

Poèmes, Carnets, Chroniques d’un goulag

Tsvetaeva Clémence Hiver

 

Ursin

Jean Ursin : La prosopopée des animaux

 

 

 

 

 

 

Utopie, dystopie, uchronie

Etat et utopie de Thomas More

Zamiatine, Nous et l'Etat unitaire

Huxley : Meilleur des mondes, Temps futurs

Orwell, un novlangue politique

Margaret Atwood : La Servante écarlate

Hitlérienne uchronie : Lewis, Burdekin, K.Dick, Roth, Scheers, Walton

Utopies politiques radieuses ou totalitaires : More, Mangel, Paquot, Caron

Dyschroniques, dystopies

Ernest Callenbach : Ecotopia

Herland parfaite république des femmes

A. Waberi : Aux Etats-unis d'Afrique

Alan Moore : V for vendetta, Jérusalem

L'hydre de l'Etat : Karlsson, Sinisalo

 

 

 

 

 

 

Valeurs, relativisme

De Nathalie Heinich à Raymond Boudon

 

 

 

 

 

 

 

Vargas Llosa

Vargas Llosa, romancier des libertés

Aux cinq rues Lima, coffret Pléiade

Littérature et civilisation du spectacle

Rêve du Celte et Temps sauvages

Journal de guerre, Tour du monde

Arguedas ou l’utopie archaïque

Vargas-Llosa-alfaguara

 

Venise

Strates vénitiennes et autres canaux d'encre

 

 

 

 

 

 

 

Vérité

Maîtres de vérité et Vérité nue

 

 

 

 

 

 

Verne

Colonialisme : de Las Casas à Jules Verne

 

 

 

 

 

 

Vesaas

Le Palais de glace

 

 

 

 

 

 

Vigolo

La Virgilia, un amour musical et apollinien

Vigolo Virgilia 1

 

Vila-Matas

Vila-Matas écrivain-funambule

 

 

 

 

 

 

Vin et culture alimentaire

Histoire du vin et de la bonne chère de la Bible à nos jours

 

 

 

 

 

 

Visage

Hans Belting : Faces, histoire du visage

 

 

 

 

 

 

 

Vollmann

Le Livre des violences

Central Europe, La Famille royale

Vollmann famille royale

 

Volpi

Volpi : Klingsor. Labatut : Lumières aveugles

Des cendres du XX°aux cendres du père

Volpi Busca 3

 

Voltaire

Tolérer Voltaire et non le fanatisme

Espmark : Le Voyage de Voltaire

 

 

 

 

 

 

 

Vote

De l’humiliation électorale

Front Socialiste National et antilibéralisme

 

 

 

 

 

 

 

Voyage, villes

Villes imaginaires : Calvino, Anderson

Flâneurs, voyageurs : Benjamin, Woolf

 

 

 

 

 

 

 

Wagner

Tristan und Isolde et l'antisémitisme

 

 

 

 

 

 

 

Walcott

Royaume du fruit-étoile, Heureux voyageur

Walcott poems

 

Walton

Morwenna, Mes vrais enfants

 

 

 

 

 

 

Welsh

Drogues et sexualités : Trainspotting, La Vie sexuelle des soeurs siamoises

 

 

 

 

 

 

 

Whitman

Nouvelles et Feuilles d'herbes

 

 

 

 

 

 

 

Wideman

Trilogie de Homewood, Projet Fanon

Le péché de couleur : Mémoires d'Amérique

Wideman Belin

 

Williams

Stoner, drame d’un professeur de littérature

Williams Stoner939

 

 

Wolfe

Le Règne du langage

 

 

 

 

 

 

Wordsworth

Poésie en vers et poésie en prose

 

 

 

 

 

 

 

Yeats

Derniers poèmes, Nôs irlandais, Lettres

 

 

 

 

 

 

 

Zamiatine

Nous : le bonheur terrible de l'Etat unitaire

 

 

 

 

 

 

Zao Wou-Ki

Le peintre passeur de poètes

 

 

 

 

 

 

 

Zimler

Lazare, Le ghetto de Varsovie

 

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