Alessandro Varotari, Padovino : La Justice et la Paix, XVII°siècle,
Fundación Barrié, A Coruña, Galicia.
Photo T. Guinhut.
Sonnets
au regard qui sait aimer.
Prologue
Tu es la Dame ailée d’un bel imaginaire,
Labile construction, passé dilapidé,
Avenir sans instant, fantasme de la chair,
Bulle de mots et trop immatériel sonnet.
Tu es le pastel, l’accord des paumes ouvertes
Pour affiner un visage que la tendresse
Aimerait susciter et modeler, promesse
De paix et de vérité, quoiqu’en pure perte.
Beauté intellectuelle, idéal infatué,
Saurais-tu demeurer hors des rêves enfuis,
Des lézardes du Temps, de Mémoire écrasée ?
Saurais-tu incarner une main légère et rose,
Planant en mon front clair aux paupières écloses :
Le pur concept charnel à l’abri d’Ironie…
Thérèse Duchâteau : Portrait de jeune fille, 1898,
Musée des Beaux-Arts, Tours, Indre-et-Loire.
Photo T. Guinhut.
I
J’aimerais dessiner, plume et pulpe des doigts,
Le soin de ton regard, la voûte des sourcils,
L’azur de tes iris, l’affirmation de toi :
Au cumulus du cœur, les cirrus de tes cils.
Discrétion, répartie, hauteur intellectuelle,
Regard qui sait aimer, au battement des ailes
De tes yeux sont tes délicates qualités :
Où sait penser ta charnelle féminité.
Malgré le Temps fol et l’Histoire dévastée,
Hormones d’Eros, intelligence d’amour
Conspirent à une éphémère éternité.
De peur que l’excès de mes mots reste muet,
Ma langue n’a qu’un piètre sonnet pour secours.
Alors que de ta chère attention elle est née.
Anonimo, Museo de la Catedral, Ciudad Rodrigo, Salamanca, Castilla y León.
Photo : T. Guinhut.
II
Entre oreille et cheveux, près de la nuque nue,
Où demeure un espace à bisous insensés,
Au plus près du cerveau qui fait ce que tu es,
J’aspire au souffle de tes paroles émues.
Que fais-tu de tes yeux pour les offrir en chœur,
Est-ce attention, amitié, ou déjà passion ?
Mérité-je tes yeux et ton admiration,
Comment te comprends-tu, méprends-tu ton ardeur ?
Veillant au bel essor d’un esprit d’exception,
Prisonnier de mon corps, je ne suis pas la rime
De ton âme lointaine, si autre, celée.
Quand délacer ta ceinture pour accéder
À l’intellect précieux de ton bonheur intime ?
Or Chronos me veille, inévitable sanction.
Albert Braïtou-Sala : Portrait d'Elena Olmazu, 1931,
Musée Sainte-Croix, Poitiers, Vienne.
Photo T. Guinhut.
III
Pourquoi choyer en moi cet effroi caressé ?
Parce qu’apollinienne, équilibrée, éclairée,
Le bleu-vert de tes yeux rayonne d’intellect,
De joie et de sérieux, d’hormones et d’affects.
Quoi ! mes chers sonnets ne te caressent-ils pas ?
Leur piètre pouvoir suranné ne t’atteint pas,
Ni pour être entendu, ni pour éclore en art,
Ils ne sont ni ton corps, ni ton charme bavard ;
L’amour ne sait panser l’absence où tu demeures.
Quand guérir d’amour perdu sinon par tes mains ?
L’arum des empreintes digitales prend peur
Dans la distance, et spatiale et trop temporelle.
Réponds à l’aspiration, au respect sans fin,
Pour que les doigts de tes mots me donnent tes ailes…
Musée Massey, Tarbes, Hautes-Pyrénées.
Photo T. Guinhut.
IV
Jamais je ne reverrai ton précieux visage,
Jamais je n’aurai la permission de tes mains.
Car du poète, érudit, sentimental, l’âge
N’est en rien celui de tes jeunes lendemains.
Je n’ai pas le visage d’Eros aux traits lisses
Car les griffes du Temps s’acharnent et conspirent
À ruiner la vigueur qui croule vers le pire ;
Mais le savoir aimer, quoiqu’en un port je glisse.
Car tu ne peux m’aimer en miroir utopique,
Même si diffracté, tant je me sais moqué
Aux cris du dieu Momus, son ironie caustique…
Rassemblant tes regards, tes quelques confidences,
Le parfum de ton corps et ton intelligence,
Je suis infusé, terrassé, par ta beauté.
Cecilio Pla y Gallardo : Retrato de Ena Wertheimer, 1908?
copia de un original de John Singer Sargent de 1905,
Museo Goya, Zaragoza, Aragon.
Photo T. Guinhut.
V
Tu es mon odeur de forêt pluvieuse et de menthe,
De jardin au soleil et de palais classique :
Les roses s’ouvrent pour tes pas chorégraphiques,
Les fontaines chantent de licornes géantes.
Tu sièges parmi le salon des mappemondes,
Les ailes de tes dix doigts volent sur les globes
D’étincelles, qui pleuvent aux fleurs de tes robes,
Qui sont autant de baisers pour unir un monde.
Mais, là, je ne puis entrer. Comme si mon être,
Indésirable, offert au talent des pleureuses,
Cassait du cosmos tous les segments ordonnés.
Je garde le jardin. Sa cabane aux fenêtres,
Son mur riche de livres, certes lumineuse.
Me reste l’imaginaire : pour te penser…
Musée des Arts, Nantes, Loire-Atlantique.
Photo T. Guinhut.
VI
En la chambre d’Hypnos, j’attends de te rêver.
Des chandeliers de songe estompent l’ombre enfuie,
Des fenêtres de lierre ondoient pendant la nuit,
Un lézard griffon vert crisse dans le pierrier.
Chambre aux constellations, tentures de nuages,
Un harmonica de verre tintinnabule,
Quand un rapace nocturne et bleuté hulule
Pour te peintre en saveur sur un torrent de pages.
Un ciel de plumes descend de l’espace en fête,
Ecrivant pour toi l’histoire de l’univers,
En un seul haïku, en un sonnet divers.
Les dieux ne sont plus que des vapeurs irréelles ;
Toi seule est vénusté, allégorie parfaite :
Tu es le nom de l’ouest et le prénom des ailes.
Thierry Guinhut
Une vie d'écriture et de photographie
Edgard Maxence : L'âme de la forêt, 1898,
Musée des Arts, Nantes, Loire-Atlantique.
Photo T. Guinhut.